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L'ours des Pyrénées : variabilité des images, place dans le territoire et implications socio-politiques de sa réintroduction.

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par Elise LABYE
Université de Toulouse-Le-Mirail - Master 2 Anthropologie Sociale et Historique 2010
  

Disponible en mode multipage

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Toulouse
Septembre 2010

Université de Toulouse Le Mirail

Master Mention "Anthropologie sociale et historique"

Mémoire de Master 2

L'OURS DES PYRÉNÉES : VARIABILITÉ DES IMAGES,
PLACE DANS LE TERRITOIRE ET IMPLICATIONS SOCIO-

POLITIQUES DE SA RÉINTRODUCTION

par Elise LABYE

Directrice de recherche : Marlène ALBERT-LLORCA

SOMMAIRE

Introduction 1

PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DU TERRAIN ET MÉTHODOLOGIE 3

I. Le village de Mérens dans l'espace montagnard pyrénéen 3

II. Types d'acteurs et usages de la nature en zone de montagne 6

III. L'agro-pastoralisme pyrénéen et ariègeois 7

IV.

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Méthode de recueil et nature des données 9

DEUXIÈME PARTIE : ÉVOLUTION DU STATUT DE L'OURS ET VARIABILITÉ DES IMAGES QU'ON LUI ASSOCIE DANS LE CORPS SOCIAL ACTUEL

I. Du prédateur au symbole de la biodiversité

A : L'image de l'ours autrefois et l'évolution de son statut

B : Vers l'avènement d'un statut patrimonial dans un contexte de mondialisation de la thématique environnementale et de patrimonialisation de la nature

II. Variabilité des images associées à l'ours dans le contexte pyrénéen actuel

A : L'ours comme une nuisance, un prédateur voire un danger symbolique pour ceux qui vivent en montagne

B : L'ours comme le symbole d'une nature en péril mais aussi de l'identité pyrénéenne

C : Des discours très divergents entre les « pro-ours » et les « anti-ours » 1/Sur sa dangerosité

2/Sur son régime alimentaire

3/Sur la différence (ou pas) entre ours autochtones et ours réintroduits 4/Le rôle des associations dans la diffusion de ces discours

III. Deux portraits plutôt atypiques et significatifs 21

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A : Jérôme

B : Patrick

IV. La symbolique de l'ours : entre continuités et discontinuités

A : L'anthropomorphisme de l'ours : un invariant culturel et temporel ?

B : Vers une artificialisation du sauvage ?

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TROISIÈME PARTIE : QUELLE PLACE POUR L'OURS DANS LE TERRITOIRE ?

I. L'impossible cantonnement strict d'une espèce sauvage

A : « Le plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises »

B : Proposition de création d'un grand parc fermé par les « anti-ours »

II. La frontière sauvage/domestique ou comment les habitants des villages de

montagne délimitent, au niveau symbolique, leur environnement ?

A : Évolution socio-économique des territoires de montagne et conséquences en termes d'occupation des espaces naturels

B : Découpage « traditionnel » de l'espace

C : Déplacements de frontières

QUATRIÈME PARTIE : IMPLICATIONS SOCIO-POLITIQUES

I. Résistance au pouvoir central : le local face au global

II. Conséquences dans la société locale

III. Les liens entre pastoralisme et environnement

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE ANNEXE

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis à ce mémoire de voir le jour et plus particulièrement toutes les personnes qui ont accepté de me recevoir. Merci à Bernard et Andréa pour leur accueil chaleureux.

Je souhaite également remercier tout particulièrement les membres du jury d'avoir pris le temps de se pencher sur mon travail.

Enfin, un très grand merci à Marlène Albert-Llorca pour m'avoir dirigée et conseillée dans la réalisation de ce mémoire.

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INTRODUCTION

Les zones de montagne, par leurs hauts reliefs peu anthropisés et l'exceptionnalité de certains sites sont parmi les premières zones à avoir été l'objet d'attentions particulières et érigées au rang de patrimoine naturel; ce qui a donné lieu à différents types de politiques de protection de la nature comme les parcs nationaux, mais aussi à d'autres modalités de gestion des espaces naturels permettant de mettre « entre parenthèses » certains espaces et certaines espèces quant à l'impact que l'activité humaine pouvait avoir sur eux.

Le projet de restauration d'une population d'ours dans les Pyrénées est un des aspects de ces politiques publiques de protection de la nature. Et, dans ce contexte, les différents discours tenus à propos des ours et du projet de restauration d'une population d'ours permettent de rendre compte d'abord de la variété des images de l'ours que ce soit dans le contexte passé et actuel. Mais aussi de tout ce qui est en jeu, autour de cette politique de restauration d'une certaine biodiversité, pour les habitants de la chaîne pyrénéenne. La gestion des espaces et des espèces naturels apparaissent comme un enjeu majeur pour les différents groupes d'acteurs qui y participent.

La modification des statuts de ces espaces et espèces a entrainé une reconfiguration, une multiplication, une superposition des images que les gens ont du monde végétal ou animal. Dans ce contexte, la réintroduction des ours a mis à jour et exacerbé des conflits d'intérêts et de représentations préexistants notamment dans les domaines de la protection de l'environnement et de l'agropastoralisme. Aussi, l'ours concentre-il sur lui tout un panel de discours englobant l'ensemble des équilibres et des enjeux, actuels mais aussi passés, relatifs aux territoires de montagne.

Dans un premier temps, je m'étais intéressée à des personnes concernées de près par ce sujet et activement engagées dans la mise en oeuvre du programme de réintroduction ou contraire activement engagées à son encontre : éleveurs, agents de l'ONCFS1 et de l'Equipe Technique du suivi de l'Ours, membres actifs de l'ASPAP (Association pour la Sauvegarde du Patrimoine de l'Ariège et des Pyrénées, qui regroupe les personnes opposées au programme de réintroduction dans le département de l'Ariège) etc. Ce premier travail m'avait permis de constater qu'il y avait souvent un lien entre les représentations de la nature qu'ont les individus et leur avis sur le projet de réintroduction. D'une manière générale, ceux qui s'opposent au projet valorisent une nature humanisée, culturelle alors que ceux qui le soutiennent valorisent bien souvent la nature dite « sauvage ». J'avais également décrit dans

1 Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage.

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un précédent mémoire les processus mis en oeuvre par les opposants pour contrer le projet et comment leur action s'était structurée au sein d'associations.

Les questions auxquelles je tenterai d'apporter quelques éléments de réponses ici sont les suivantes : comment a évolué le statut de l'ours en France et quelle influence cela a-t-il sur la variabilité des images de l'ours dans les Pyrénées actuelles ? Quelles sont les implications de ce statut et de ces différentes images dans la place qui lui est assignée ou qu'on souhaiterait lui assigner dans les espaces de montagne ? Et qu'est ce que cela nous révèle du contexte social et politique au sein duquel sa réintroduction cause de sérieux clivages ? Ce type de questionnement a été traité à propos des animaux sauvages par différents chercheurs dont les résultats ont notamment été publiés dans l'ouvrage collectif publié, sous la direction de Stéphane Frioux et Émilie-Anne Pépy, en 2009 et intitulé : L'animal sauvage entre nuisance et patrimoine.

Après avoir présenté le contexte de mon étude, par un bref retour historique j'ai souhaité montrer quelle a pu être l'évolution du statut et de l'image de l'ours et en quoi cela peut permettre d'apporter des éléments de compréhension à ce qui se passe actuellement pour les populations de montagne confrontées au retour des ours. Ensuite, je souhaite apporter quelques éclairages sur la variété des images de l'ours que l'on peut rencontrer de nos jours dans les Pyrénées, et qui, chez certains, se sont radicalisées au fil du temps dans le contexte de l'opposition qui existe entre les défenseurs et les détracteurs de la réintroduction. Cette radicalisation des discours n'empêche pas une large palette de discours possibles que j'ai souhaité illustrer à travers la présentation de deux portraits de personnes aux discours plus nuancés, qui se rejoignent d'ailleurs sur de nombreux points malgré un avis quelque peu différent au sujet des réintroductions. C'est ensuite la question de la place de l'ours et de la faune sauvage dans le territoire que j'aborderai car il me semble que les frontières ont évolué dans le contexte de la déprise agricole.

Dans la quatrième partie, nous verrons comment les opposants à la réintroduction inscrivent leur combat dans une sorte de tradition de résistance face au pouvoir central et quelques unes des répercussions qu'il y a eu dans la société locale. Au final j'aborderai la question des rapports entre le pastoralisme et les politiques de l'environnement et comment on assiste depuis presque deux décennies à un rapprochement de ces domaines. C'est à dire depuis que l'on cherche à impliquer le monde agricole dans les questions la protection de l'environnement. Une part des acteurs du domaine agropastoral s'y intéresse également, notamment en cherchant à tendre vers la production d'aliments de « haute qualité gustative », obtenus par des moyens de production respectueux de l'environnement.

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PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DU TERRAIN ET DE LA MÉTHODOLOGIE

I : Le village de Mérens dans l'espace montagnard pyrénéen.

Les notions de montagne et de montagnard n'ont pas de définition simple. Il semblerait que même les géographes aient du mal à trouver un consensus pour faire entrer le concept de montagne dans un paradigme commun. Donc, je rappellerai simplement ici que la montagne constitue du point de vue des sciences sociales, « une impression subjective » et qu'elle « apparaît donc non pas tant comme une réalité physique qu'une construction mentale, relative, subjective. Appropriée par des groupes sociaux ou des acteurs politiques, elle varie selon les représentations collectives de chacun d'eux » (Bozonnet 1992).

Situé à un peu plus de 1000 mètres d'altitude, le village de Mérens-les-Vals en Haute-Ariège est ce que l'on appelle un village de montagne. Non loin de l'accès au tunnel de Puymorens, il est néanmoins traversé par un des courants de circulation les plus pratiqués des Pyrénées centrales. Par cette route, on accède également en Andorre en passant par le Pas de la Case, très fréquenté pour ses produits détaxés. Bien qu'entouré d'espaces naturels de montagne et de haute montagne, le village se situe en plein dans l'activité humaine et l'intense trafic routier entraîne certaines nuisances pour les habitants du bas du village. Au plus fort de sa démographie, vers 1830, le village comptait près de 900 habitants. Il est désormais peuplé de 188 habitants dont à peu près 120 résidents à l'année, et sa population est en légère augmentation depuis les années 1980. Le village est divisé en deux parties : Mérens d'en haut qui constitue le noyau historique du village, avec son église romane, et Mérens d'en bas qui ne fut construit qu'au 19ème siècle, lorsque le fond de la vallée devint plus sûr.

Mérens se distingue également par une certaine rudesse du climat due à l'altitude (l'hiver dure ici environ cinq mois) mais aussi à la configuration du milieu naturel dans lequel le village se trouve : des aménagements ont du être faits pour pallier les risques d'inondations et d'avalanches. Un de mes interlocuteurs a eu son jardin, situé à proximité de la rivière, emporté par une forte inondation en 1982. Trois cours d'eau se rejoignent dans le village, d'où le nom de Mérens les Vals. Autre exemple de la rudesse du climat, au début de l'été 2010 suite à un violent orage, une coulée de boue a coupé la circulation sur la Route Nationale, en aval de Mérens, isolant ainsi pour une douzaine d'heures la commune de Mérens et celle de l'Hospitalet, située en amont, du reste du département.

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Source : Géoportail.fr

Conséquence du déclin agricole, il reste deux exploitations agricoles dans le village. Les estives, qui étaient autrefois fréquentées par de très grands troupeaux rassemblant quasiment tout le bétail des communes de Mérens et de l'Hospitalet2, seraient désormais sous-paturées. La première, l'estive des Bésines était traditionnellement utilisée par les habitants de Mérens d'en haut, elle est désormais utilisée par des éleveurs venant d'autres communes réunis au sein d'un Groupement Pastoral3. Il s'agit d'un territoire domanial qui est loué à l'ONF4. Un berger est embauché à la saison pour la garde du troupeau d'ovins, des vaches et des chevaux estivent également.

La deuxième, la Soulane d'Andorre, est une estive de 1500 hectares, réputée d'excellente qualité en raison notamment de son exposition favorable. Elle fut l'objet de conflits, pour la revendication de sa propriété entre les communes frontalières françaises et andorranes, pendant des siècles. Elle est désormais louée aux deux communes andorranes qui

2 Actuellement il n'y a plus d'exploitation agricole sur cette commune.

3 Un Groupement Pastoral réunit des éleveurs d'une même estive, ce qui leur donne la responsabilité de la gestion de l'estive.

4 Office National des Forêts.

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en sont propriétaires et réservée aux troupeaux du village de Mérens. Ce bail existe depuis la fin du 18ème siècle. Le troupeau à l'estive comprend des ovins, des bovins et de quelques chevaux. Un berger est également embauché lors de la saison d'estive. Une Association Foncière Pastorale5 a été créée sur la commune pour tenter de pallier les conséquences de la déprise agricole. Elle réalise notamment des travaux de débroussaillage et l'entretien des chemins de montagne.

Parallèlement au déclin du monde agro-pastoral et à l'exode rural qui l'a accompagné, comme partout ailleurs, d'autres activités se sont développées. L'industrie hydroélectrique, avec l'implantation d'EDF dans les années soixante, apporte une quinzaine d'emplois et des rentrées financières pour la commune. On cherche également à développer le tourisme, qu'il soit hivernal, avec la proximité de stations de ski, ou estival avec la randonnée pédestre6. Le maintien d'une agence postale et d'une épicerie est financé par la mairie.

Schéma de l'étagement montagnard relatif aux usages pastoraux. (Source : plaquette de présentation de la Fédération Pastorale de l'Ariège)

J'ai choisi ce village pour faire mon terrain d'étude afin de recueillir, à propos des ours, des témoignages un peu moins tranchés que peuvent l'être ceux des opposants ou des défenseurs de cet animal qui sont très engagés. De plus, ce village se trouve dans une zone où

5 Il s'agit d'une association syndicale de l'ensemble des propriétaires fonciers (privés ou public) d'un périmètre agro-pastoral comprenant des pâturages, des prés de fauches, des terres, des landes et des bois. Au sein d'une AFP, « des éleveurs, des élus et des propriétaires s'engagent ensemble pour conserver et améliorer leurs élevages et leurs exploitations, pour sauvegarder la vie rurale, leur cadre de vie, et gérer le territoire de la commune, pour préserver la qualité des paysages et entretenir leur patrimoine privé et collectif. » (extrait d'une plaquette éditée conjointement par le Conseil Général et la Fédération Pastorale de l'Ariège). Tout comme les Groupements Pastoraux, ces structures bénéficient de soutiens spécifiques.

6 Il y a à Mérens de nombreux départs de sentiers de randonnées et un gîte d'étape dans le village pour ceux qui empruntent le GR10 : ce sentier de randonnée traverse toute la chaîne des Pyrénées de la mer méditerranée à l'océan Atlantique.

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il y a une présence régulière d'ours, à la fois aux abords du village, du moins cela a été le cas pendant une certaine période ce qui a donné lieu à de nombreuses observations visuelles de la part des habitants du village et même par quelques touristes ; de plus, il y a quasiment chaque année, depuis les premières réintroductions, des prédations sur les troupeaux en estive mais aussi aux abords du village à l'intersaison.

II : Types d'acteurs et usages de la nature en zone de montagne.

Les personnes qui vivent en montagne ou qui la fréquentent ne constituent pas un groupe homogène, on y distingue plusieurs catégories d'acteurs qui ont des usages différents de la nature. L'usage que les gens font de la nature détermine largement la représentation qu'ils ont des espaces naturels et de la faune et de la flore qui la compose, mais l'inverse a aussi sa part de vérité car dans une certaine mesure selon les représentations les usages diffèrent. L'expérience que chacun a de ce qui l'entoure constitue son environnement propre. Ainsi, lorsqu'il est en montagne, l'environnement du paysan n'est pas celui du randonneur ni celui de l'agent chargé du suivi des espèces animales ou de la gestion de la forêt. Car ce qui constitue l'environnement d'un individu dépend en grande partie du type d'activité qu'il y pratique ; quotidiennement pour certains, dans le cadre de leur activité professionnelle. Leurs visions ne sont pas les mêmes puisque chacun aborde la nature avec un but et des pratiques spécifiques.

Adel Selmi (2007) dans le cadre des recherches qu'il a menées sur le Parc National de la Vanoise a établi des liens entre trois groupes sociaux et trois façons de catégoriser le paysage. Le paysage « ouvert » est valorisé par les associations à caractère touristique et il permet une contemplation de la nature. Le paysage « fermé » est valorisé par certains naturalistes pour lesquels la nature doit être protégée de la manière la plus stricte qui soit. Quant au paysage entretenu, nettoyé, « propre » c'est celui que valorisent les éleveurs et il précède l'idée même que la nature puisse et doive faire l'objet de protection. Si le paysage « propre » et le paysage « ouvert » recouvrent une même réalité physique, un même état de la végétation, le paysage « fermé » quant à lui correspond à un état du couvert végétal associé à la déprise agricole et il caractérise un espace naturel où l'homme n'a plus d'influence, si ce n'est celle de laisser délibérément cet espace revenir à une certaine « primitivité » comme cela peut être le cas dans la zone centrale d'un Parc National. Adel Selmi explique comment la loi sur les parcs nationaux a trouvé un compromis entre ces trois types de regards en mettant en

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place un aménagement en trois zones, chaque zone correspondant à un certain degré de protection.

Dans son enquête sur l'évolution des populations d'animaux sauvages, menée principalement en Vanoise, Isabelle Mauz décrit deux grands types de monde, régis par des couples d'opposition différents. Le premier est structuré par une opposition entre sauvage et domestique et d'une manière générale il regroupe les chasseurs, les éleveurs et les agents du Parc National les plus anciens. Dans le second, l'opposition se fait entre nature et artifice, il regroupe principalement les nouveaux gardes du parc et les naturalistes. Or le sauvage, dévalorisé dans le premier monde, correspond au naturel qui est valorisé dans le second. Ceci apporte une explication aux conflits de représentations que l'on constate notamment dans le cadre de la mise en oeuvre de politique de protection de la nature.

Concernant la figure du montagnard, tout comme la notion de montagne, elle échappe à la possibilité d'une définition simple. Néanmoins, la perception des montagnards par ceux de l'extérieur oscille souvent entre deux pôles : les montagnards peuvent être vus, soit comme des « sauvages », un « groupe autarcique à civiliser » ou bien au contraire ils sont de « bons sauvages » ayant « l'intelligence profonde des choses » et « le sens de la vraie hospitalité » (Jean-Paul Bozonnet, 1992). Quant à l'auto-désignation par les populations elles-mêmes, elle semble avoir été plus tardive dans l'histoire et elle apparaît généralement dans des contextes de revendications ou d'affirmation. On met alors en avant les caractères positifs associés à la figure du montagnard. ( Bernard Debarbieux, 2008)

Lors de mon enquête de terrain j'ai pu rencontrer des personnes correspondant aux principales catégories d'acteurs évoquées. À Mérens j'ai pu rencontrer des éleveurs, un chasseur, également propriétaire du seul café du village, un accompagnateur en montagne, également agent territorial, des personnes âgées, nées au village et retraitées de différentes activités, etc. Lorsque j'ai rencontré ces personnes, la discussion sur l'ours a toujours fini par s'orienter vers la question de la réintroduction des ours venus de Slovénie, à propos du pastoralisme et de la vie des gens en montagne.

III : L'agro-pastoralisme pyrénéen et ariègeois.

Pour présenter ce point, je me réfère à un article de Corinne Eychenne, géographe, paru en 2003. Elle y montre comment l'analyse des résultats de l'enquête pastorale menée en 1999 et du recensement agricole de l'année 2000, permet de remettre en cause l'image classique d'une agriculture pyrénéenne vieillie et archaïque. En effet la comparaison de ces

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résultats avec ceux des enquêtes antérieures permet de rendre compte d'une modernisation de l'agriculture de montagne, d'un rajeunissement de ses effectifs et d'une spécialisation de sa production. Une évolution qui s'est toutefois réalisée au prix de la disparition d'un très grand nombre d'exploitations. Il y a eu notamment une reprise en main des estives par les éleveurs qui se sont organisés et ont aménagé les espaces pastoraux de montagne avec l'appui des différents programmes de soutien initiés par les lois pastorales de 1972.

La loi pastorale de 1972 a permis de poser les bases d'une politique en faveur de l'agriculture de montagne. Son but était de rénover l'économie pastorale traditionnelle. Notamment en donnant un cadre légal aux pratiques collectives d'utilisation des pâturages grâce à la mise en place des Associations Foncières Pastorales (A.F.P) et des Groupements Pastoraux (G.P). Ainsi que par la mise en place d'une aide directe à l'agriculture de montagne pour compenser les handicaps subis et rémunérer les éleveurs pour une mission d'entretien du milieu naturel et de sauvegarde du tissu social. Avec la mise en place en 1992 de la Politique Agricole Commune (P.A.C), qui généralise le système d'aides directes à l'agriculture, la zone de montagne n'est plus la première bénéficiaire des aides directes par exploitation bien qu'elle le soit en ce qui concerne les mesures agri-environnementales, qui s'appliquent également aux surfaces d'estive, exploitées collectivement.

Au niveau pyrénéen, on constate une forte relance du pastoralisme depuis trente ans avec une augmentation des surfaces utilisées et des effectifs d'ovins et de Bovins. Le département des Pyrénées Atlantiques a néanmoins un rôle prépondérant dans cette évolution et les résultats des enquêtes sont contrastés selon les départements.

En ce qui concerne l'Ariège, c'est un département où le pastoralisme tient une place importante et qui fut confronté très tôt à une forte déprise. Mais la relance y fut également précoce. La plus grande partie des animaux qui estivent provient des communes usagères (dont les éleveurs disposent du droit d'envoyer leurs animaux sur une ou plusieurs estives domaniales, communales ou privées à titre payant ou gratuit) mais peu à peu les estives s'ouvrent à des troupeaux venant de la plaine ou du piémont. Les exploitations sont généralement spécialisées dans l'élevage allaitant ovin et bovin extensif7 grand utilisateur d'espace.

Les vingt dernières années font état d'une forte restructuration de l'élevage montagnard ariègeois. La montagne a perdu 60% de ses exploitations depuis 1979 mais le rythme des disparitions se modère. On remarque une très forte augmentation de la taille des

7 Les jeunes animaux sont vendus pour être engraissés ailleurs, généralement en Italie ou en Espagne.

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exploitations8 et une amélioration globale de la maîtrise foncière9. On constate également un fort rajeunissement des chefs d'exploitation avec près d'1/4 des éleveurs âgées de moins de 40 ans. Cette relance pastorale doit beaucoup aux soutiens à l'agriculture de montagne qui a notamment permis la mise en place d'un travail d'animation pastorale, mené depuis 1990 par la Fédération Pastorale de l'Ariège, rattachée au Conseil Général du Département.

IV : Méthodes de recueil et nature des données.

La réalisation de ce mémoire se base principalement sur des interviews réalisées auprès de la population mérengoise où diverses catégories d'acteurs ont pu être rencontrées ; complétées par des observations de terrain réalisées lors de plusieurs séjours sur place.

Je suis également allée à la rencontre d'un berger-éleveur interviewé sur son estive, il exerce dans une autre partie de l'Ariège, dans le Couserans. Son point de vue atypique sera détaillé plus loin. Au mois de juillet 2010, je me suis rendue aux « Estivales du pays de l'ours », évènement culturel et touristique organisé par l'association « ADET pays de l'ours10» à Arbas en Haute-Garonne. Au programme se trouvait notamment un « marché pyrénéen », diverses expositions sur la faune, la flore, la géologie des Pyrénées, des projections de films, des conférences, etc. Diverses activités étaient proposés, comme des initiations VTT et Taï Chi, des sorties nature, des jeux de rôles « ours », etc. Un grand nombre d'associations oeuvrant en faveur de la réintroduction des ours11 sont présentes, on les retrouve lors d'une table ronde intitulée « Quel avenir pour l'ours dans les Pyrénées ?». Cette journée se termine par un « repas montagnard » et des concerts gratuits. Tout comme l'année précédente, j'ai également assisté à divers événements du monde agro-pastoral ariègeois.

Une partie de mes données est constituée de documents écrits et d'informations récoltées sur différents sites internet dont celui du ministère de l'environnement, consacré au programme de réintroduction. Les données recueillies précédemment pour la rédaction d'un premier mémoire seront également utilisées.

8 Elles ont pratiquement triplé en 20 ans.

9 « Les agriculteurs de montagne utilisent le même espace en 2000 qu'en 1979 ».

10 Association pour le Développement Économique et Touristique des Pyrénées centrales. Fer de lance de la cause « pro-ours » et principale partenaire de l'État dans la mise en place du « plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées française »

11 Ces associations se sont fédérées au sein de CAP-Ours : Coordination Associative Pyrénéenne pour

l'ours.

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DEUXIÈME PARTIE : ÉVOLUTION DU STATUT DE L'OURS DANS LE TEMPS ET VARIABILITÉ DES IMAGES QU'ON LUI ASSOCIE DANS LE CORPS SOCIAL ACTUEL

I : Du prédateur au symbole de la biodiversité

A : L'image de l'ours autrefois et l'évolution de son statut

Selon les époques, et les lieux dans l'histoire, l'image de l'ours n'a pas toujours été la même. Il a pu être valorisé ou dévalorisé selon les contextes. Voici, en partie, comment l'historien Michel Pastoureau (2007) retrace l'histoire symbolique de l'ours. À la fin du 8ème siècle, en terre germanique ainsi que chez les peuples slaves et celtes, l'ours était vénéré comme un véritable dieu et faisait l'objet de cultes. Tout cela étant absolument effroyable aux yeux de l'église chrétienne médiévale, elle lutta contre cet animal jusqu'au 13ème siècle et en fit une bête diabolique. Issu des traditions orientales, le lion finira par s'emparer définitivement du titre de roi des animaux jusque là dévolu à l'ours. Privé de tout prestige, transformé en bête de foire ou de cirque il continue néanmoins d'occuper une place de premier plan dans l'imaginaire des hommes et prend en quelque sorte sa revanche au 20ème siècle en devenant un véritable fétiche : l'ours en peluche.

Au niveau juridique, le statut de l'ours a largement évolué au cours du 20ème siècle, son image a également beaucoup changé. Autrefois c'était un animal qui était chassé et l'on percevait une prime si on pouvait prouver qu'on en avait abattu un. Moins d'un siècle après, l'ours est devenu une espèce protégée et un programme de réintroduction a été mis en place afin de restaurer sa population sur le massif pyrénéen. Celle-ci étant parvenue à un seuil critique, l'ours semblait condamné à disparaître de la chaîne.

Dans le cadre pyrénéen d'une économie très majoritairement agropastorale l'ours et les autres animaux prédateurs représentaient une forte contrainte pour les populations qui vivaient de cultures vivrières et d'élevage. « Il suffisait en effet que le plantigrade tue quelques brebis, en blesse quelques autres et terrorise tout le troupeau pour que le fragile équilibre économique d'une exploitation soit remis en question » (Olivier de Marliave 2008) L'ours était perçu comme une réalité hostile, une nuisance dont il fallait se prémunir et pour cela, on faisait souvent appel à des chasseurs professionnels.

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Avant l'apparition des armes à feu et du poison « armés d'un couteau et protégés par une sorte de cuirasse en bois, ils tuaient la bête au corps à corps » (Michel Chevalier 1952). Ces chasseurs, dont ce n'était généralement pas l'activité principale car trop aléatoire et dangereuse, bénéficiaient d'une image prestigieuse et les revenus qu'ils tiraient de cette pratique provenaient plus de la vente des différentes partie de l'animal (graisse, viande, peau,...) que des primes allouées par les autorités. Certains de ces chasseurs sont restés célèbres. Ainsi, en Haute-Ariège, dans la vallée d'Aston, un chasseur d'ours surnommé Tambel (1885-1957) aurait abattu une quinzaine de plantigrades au cours de son existence (Olivier de Marliave 2008).

L'ours était à la fois craint et respecté par les populations, la symbolique associée à l'ours était très souvent empreinte d'anthropomorphisme, il apparaît comme une sorte d'homme sauvage. Les nombreux surnoms qui lui étaient donnés en attestent : Martin, le va-nu-pieds, le vagabond, le déguenillé, le Maître, le type...On l'assimilait parfois à un seigneur prélevant son impôt, sous forme de prédations, auprès des habitants de la montagne.

« [L'ours] est toujours plus ou moins humanisé. Ses pas dans la neige à peine fondue `'semblent ceux d'un homme». [...] Les montreurs d'ours [...] savaient bien jouer de cette indétermination. La bête toujours se dressait sur ses pattes arrières, on laissait penser qu'elle comprenait fort bien le langage des hommes et qu'il valait mieux ne pas médire d'elle » (Daniel Fabre, 1993)

Également en relation avec les conditions de vie des populations des Pyrénées, l'apparition du métier de montreur d'ours au début du 19ème siècle dans le Couserans en Ariège représentait une activité alternative afin de gagner sa vie en cette période de misère et de surpopulation. Certains partirent faire carrière jusqu'en Amérique. Il s'agissait de faire exécuter à l'ours des tours où il était très souvent mis en scène dans des postures habituellement dévolues aux humains (il se tient debout, il danse, il porte un chapeau, tient un bâton, etc.). Ici, l'ours perd en quelque sorte sa qualité d'animal sauvage puisqu'il est maîtrisé par l'homme, « domestiqué ». Des rituels de guérison étaient également pratiqués pour les enfants, le montreur d'ours les faisait monter sur le dos de l'animal dans le but de soigner certains maux.

Quant à l'aspect agressif et dangereux de l'animal il fut largement mis en avant dans l'imagerie romantique des Pyrénées au 19ème siècle. Les lithographies de cette époque, le représentent le plus souvent en position d'attaque. Cet aspect de l'animal a également été

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abondamment relaté et exagéré dans les récits de faits divers de la presse locale ou nationale ; ce qui dans certains cas reste encore vrai aujourd'hui.

Au fur et à mesure que les ours se faisaient de plus en plus rares et que la sensibilité écologique se développait, une législation nationale s'est mise en place et, parallèlement, une volonté internationale de protéger l'ours brun a émergé. Cela s'est fait très progressivement et il y a eu parfois des retours en arrière dans la législation. Tout d'abord, les primes de destruction de l'ours, qui était alors classé nuisible, furent définitivement supprimées en 1947. Puis l'interdiction de la chasse à l'ours fut mise en place, officiellement, à partir de 1962. Enfin, en 1981, l'espèce Ursus arctos (ours brun) devient espèce protégée sur l'ensemble du territoire français; ce qui signifie que sa destruction, sa naturalisation, son transport, son commerce, etc. sont interdits.

À ceci s'ajoute une volonté internationale de protéger l'ours brun qui se manifeste dès les années 1970, et à laquelle la France s'engage. L'ours brun est notamment protégé par la convention de Washington en 1973, puis en 1976, il figure sur le livre rouge, recensant les espèces menacées de disparition, de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). En 1984, il est protégé en Europe par la Convention de Berne et en 1992 il est inscrit comme espèce prioritaire de l'annexe II de la directive « habitats ». La protection de l'ours brun s'intègre également dans l'objectif principal de la convention sur la diversité biologique de Rio de Janeiro en 1992.

B : Vers l'avènement d'un statut patrimonial dans un contexte de mondialisation de la thématique environnementale et de patrimonialisation de la nature.

D'un point de vue général, on assiste depuis plusieurs décennies à un renversement de l'image de l'ours comme c'est également le cas pour d'autres animaux sauvages prédateurs tel que le lynx ou le loup12, anciennement classés nuisibles. Certains sont désormais classés comme espèces protégées et l'objet d'une politique de protection spécifique voire d'une opération de réintroduction ou de renforcement de population, ce qui n'est pas sans soulever des oppositions de la part du monde agro-pastoral. Cette évolution est concomitante de la montée de la sensibilité écologiste qui a lieu à partir des années 1970 d'une part, et d'autre part, des grands bouleversements qu'a connu notre société qui, de très rurale et paysanne est devenue plutôt citadine et industrielle. On abouti aujourd'hui à un phénomène de

12 Un numéro complet de la revue Le Monde Alpin et Rhodanien est consacré à l'image du loup : « Le fait du loup, de la peur à la passion. Le renversement d'une image », 1er-3ème trimestre 2002.

mondialisation de la thématique environnementale. Face au constat des effets néfastes de certaines activités humaines, ayant entraîné pollutions et réchauffement climatique, la nature et la protection dont elle doit être l'objet sont désormais omniprésentes.

En France, les dispositifs relatifs à la protection des espaces (et donc des espèces végétales et animales qui s'y trouvent) sont apparus relativement tard. Aux États-Unis le parc de Yellowstone fut institué en 1872 alors que le premier parc national français fut crée en 1960 (Pierre Merlin, 2002 p.234). Il s'agit, selon la définition de l'UICN, d'un « territoire relativement étendu, qui présente un ou plusieurs écosystèmes, généralement pas ou peu transformé par l'exploitation et l'occupation humaines, où les espèces végétale ou animales, offrent un intérêt spécial du point de vue scientifique et récréatif, dans lequel ont été prises des mesures pour y empêcher l'exploitation et l'occupation et pour y faire respecter les entités écologiques, géomorphologiques ou esthétiques ayant justifié sa création, à des fins récréatives, éducatives ou culturelles ».

« L'apparition du terme de patrimoine naturel dans un document officiel date de 1967. Il s'agit du décret instituant les parcs naturels régionaux et spécifiant qu'un territoire peut être classé dans cette catégorie en raison de `'la qualité de son patrimoine naturel et culturel» » (Jean-Claude Lefeuvre, 1990). La nature, et certains de ses éléments plus particulièrement, prennent alors la valeur d'un héritage, d'un capital à transmettre aux générations futures. Dans ce contexte, l'ours des Pyrénées en tant qu'élément incontournable de la faune pyrénéenne se trouve élevé au rang d'élément capital du patrimoine naturel pyrénéen, d'autant plus que sa valeur identitaire est également très forte.

Au vu de la baisse très inquiétante de ses effectifs et de la disparition certaine de sa population qui allait en découler, l'idée d'un projet de réintroduction est initiée dans les années 1980. Déjà l'objet d'une protection, il est décidé sous l'impulsion des associations de défense de l'environnement de procéder au renforcement de sa population par l'introduction d'ours venant de Slovénie. Le noyau résiduel qui se trouvait dans le secteur du parc national des Pyrénées était déjà l'objet d'une attention particulière13 de la part des gestionnaires du parc. Mais c'est dans les Pyrénées centrales que furent finalement réintroduits les ours slovènes, en 1996 pour la première phase et en 2006 pour la seconde.

Le but de cette opération de réintroduction, la restauration d'une population d'ours viable à long terme, constitue dans cette logique un objectif d'intérêt général et, à ce titre, est accueilli favorablement par la majorité de la population française. Mais, pour d'autres et ce

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13 C'est toujours le cas actuellement.

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principalement dans le monde agro-pastoral confronté aux prédations de l'ours, son image est restée assez proche de celle qui prévalait autrefois et qui avait amené à le classer en tant que nuisible. Pour eux « le projet de réintroduction est vécu comme une négation de leur présence en montagne, de leur activité en montagne et de leur avenir, car au-delà des risques de pertes d'animaux c'est l'atteinte à leur identité, à leur fierté et à leur honneur qui révolte les éleveurs » (Corinne Eychenne, 2006).

II : Variabilité des images associées à l'ours dans le contexte pyrénéen actuel.

Les propos que j'ai recueillis auprès de mes interlocuteurs concernent l'ours, l'animal, mais aussi en grande partie l'opération de réintroduction dont il est l'objet. La première remarque que l'on peut faire est que généralement le point de vue des gens est lié à une façon de concevoir les espaces naturels qui les entourent et aux usages qu'ils en font. Pour les défenseurs de l'ours et de sa réintroduction (souvent des naturalistes et des professionnels du tourisme) ce qui est valorisé dans la nature est ce qui est exempt de l'influence humaine et que l'on qualifie de « sauvage » ou « naturel ». Ceux qui s'opposent au projet de réintroduction valorisent dans la nature ce qui est le résultat de l'action humaine, de la domestication, comme le paysage agro-pastoral de montagne et de haute-montagne résultant des activités d'élevage et de transhumance. Ils parlent de nature humanisée, culturelle. Et ils s'opposent ainsi à ce qu'ils considèrent comme une « volonté d'ensauvager leurs montagnes ». Afin de mieux comprendre ce qui peut amener à des images de l'ours si différentes, voici ce qu'Isabelle Mauz a remarqué à propos du retour des loups dans les Alpes et qui peut être rapporté aux ours dans le contexte pyrénéen :

« Si les portraits des loups diffèrent tellement selon les enquêtés, ce n'est pas seulement une question de représentation ou d'imaginaire. A ce stade là de la crise déjà, les gens ont quelque expérience de l'animal. Ceux qui l'admirent consacrent des journées et des nuits à le chercher, l'aperçoivent parfois, fugitivement, croisent sa piste ou trouvent la carcasse d'une proie sauvage. Ou bien ils fréquentent des parcs animaliers, regardent et lisent des documentaires qui exaltent leurs qualités. De leur côté, les éleveurs et leurs partenaires constatent de visu l'état des troupeaux après le passage des prédateurs. Ce sont bien les mêmes loups dont parlent les uns et les autres, mais ne les voyant pas se livrer aux mêmes activités, ils s'en font des idées très différentes, les idéalisant ou les diabolisant__il est vrai que les diverses faces de l'animal ne sont pas si faciles à emboîter ». ( Isabelle Mauz, 2005, p.179)

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A : L'ours comme une nuisance, un prédateur voire un danger symbolique pour ceux qui vivent en montagne

Du point de vue des éleveurs, confrontés aux prédations des ours sur leurs troupeaux, l'ours reste un animal sauvage au comportement cruel qui nuit au bon déroulement de leurs activités d'élevage. L'expression qui revient le plus souvent dans leurs propos est que « l'on n'élève pas des bêtes pour se les faire manger par les ours ». Ils déclarent aimer leurs bêtes et que ce n'est pas une question d'argent. Souvent très marqués par la découverte des animaux qui ont été attaquées, ils en soulignent souvent les détails qui les ont choqués.

« Nous autres quand on avait les bêtes ce n'était pas pour se les faire « tchaper » par les ours, ce n'est pas une question de pognon, on les aimait les bêtes nous...on était malade...à plus forte raison si ils les mangent vivantes...ils les mangent vivantes les ours ! Moi j'en ai vu qui sont reparties de là-haut jusqu'à la grange à moitié ouvertes qu'on avait recousues...elles n'ont pas crevé...ça fait quelque chose quand même, c'est les bêtes qui souffrent...l'ours c'est bien joli mais...il faudrait qu'ils leur portent à manger... (Jean, éleveur à la retraire à Mérens)

« J'avais décidé de dormir avec le troupeau sous la tente, toutes les nuits, pour protéger le troupeau...Il était venu me voir, un jeune à l'époque, je crois que c'était Boutxy...donc il m'avait réveillé avec les chiens, il était passé tout près...j'avais eu très peur...depuis je monte rarement en montagne la nuit, alors qu'avant je partais le soir pour aller voir les brebis en montagne et j'arrivais à la frontale, maintenant j'évite...de peur de l'ours...parce que quand tu vois les brebis ouvertes en deux...(soupir)...les brebis avec le pis bouffé mais vivantes et l'agneau qui essaye de téter par-dessous...c'est terrible... » (Benoît, éleveur et ancien berger)

Dans ce second extrait apparait l'idée que c'est un animal qui fait peur, surtout lorsque l'on a fait l'expérience d'une rencontre et que l'on a vu ce qu'il est capable de faire aux brebis ou à d'autres animaux domestiques. L'ours apparait ici comme un danger potentiel pour les personnes. Mais l'idée de danger qui revient le plus souvent à propos de l'ours est plus celle d'un danger symbolique véhiculé par l'opération de réintroduction.

En effet, l'opposition à la réintroduction des ours est généralement justifiée par le danger qu'il représente pour l'avenir des gens qui vivent en montagne. On considère qu'il y a un impact négatif sur le monde agro-pastoral qui, bien que dans une situation très difficile, fait vivre des gens en montagne. Le rôle des éleveurs dans l'entretien des espaces de montagne et dans le maintien d'un certain type de paysage, d'une certaine biodiversité apparaît primordial

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pour le territoire. Par la volonté de remettre des ours dans ces territoires, on estime qu'on veut privilégier un certain type de nature dite « sauvage » avec peu ou pas d'activité humaine. Et en plus, cela viendrait perturber « tout un équilibre entre un pays et des gens » (Laurent, éleveur transhumant) et les savoirs et savoir-faire qui sont associés à la pratique de la transhumance.

Un autre aspect apparaît aussi dans les discours. La réintroduction des ours est vue comme un révélateur du peu de cas qui est fait des gens vivant dans les petits villages de montagne. Certains estiment qu'on voudrait leur faire croire que l'ours représente pour eux un espoir de développement économique et touristique pour les villages de montagne, ce qu'ils contestent.

« Pour moi c'est un choix politique...à un certain moment tu mets de côté la

problématique de la biodiversité [...] on a de plus en plus de mal à maintenir les services publics dans nos communes [...] y'a un choix politique qui est fait à Paris [et qui dit que] quelque part l'avenir de l'Ariège c'est les ours et les camions (allusion à un projet de construction d'une route à 4 voies )...quelque part on a plus notre place nous...quand je dis nous, je parle des ruraux de montagne, des gens qui habitent au dessus de 900M d'altitude...[...] quelle est notre place encore ici ? est-ce que la montagne c'est quelque chose qu'on sanctuarise, qu'on met sous cloche et on vire l'activité humaine tout en promotionnant le tourisme ? Mais voilà, le tourisme sans pastoralisme en montagne n'existe pas, parce que la biodiversité en terme de paysages, c'est pas la nature qui l'a fait : c'est l'homme et la nature [...] [l'ours ] il est pas dangereux, c'est pas une menace pour l'homme directement, c'est une menace en général quelque part et en plus effectivement c'est facile de choisir un bouc-émissaire quand tu as un problème...c'est ce qu'ont fait les éleveurs et ils ont raison quelque part... » (Jérôme, accompagnateur en montagne et conseiller territorial)

B : L'ours comme le symbole d'une nature en péril mais aussi de l'identité pyrénéenne

Dans le contexte actuel de prise de conscience des effets néfastes de certaines activités humaines pour la planète, on assiste à un fort engouement notamment au niveau médiatique pour les causes environnementales dans lesquelles la protection des animaux sauvages occupe une place de premier rang. L'ours apparaît comme un animal emblématique dont la protection semble être un devoir inconditionnel pour l'homme. C'est finalement de l'homme que les ours et la nature dans son ensemble doivent être protégés. Une des idées qui justifie ce devoir de l'homme, c'est l'idée d'égalité entre les hommes et les animaux, fussent-ils des prédateurs.

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Selon Martine, éleveuse et pour la réintroduction des ours dans les Pyrénées, l'homme ne se situe pas au dessus des autres êtres de la nature, il doit se considérer comme un être parmi d'autres dans la nature et par conséquent il doit reconnaître aux ours le même droit que l'homme à vivre dans les Pyrénées. À ce titre, il doit s'adapter à la présence des ours et des autres éléments de la nature qui peuvent lui nuire et non pas les éliminer. Quant à Patrick, éleveur et berger favorable à la réintroduction, il refuse tout simplement de classer les animaux dans des catégories telles qu'espèces utiles ou espèces nuisibles.

Tout comme le pastoralisme l'est par ailleurs, l'ours est très souvent présenté comme un garant de la biodiversité pyrénéenne. Car sa présence serait la garantie de la richesse de la biodiversité et participerait également à la protection d'autres espèces. À ce titre, il apparaît comme un élément incontournable du patrimoine naturel pyrénéen. Il est également présenté comme un élément essentiel du patrimoine culturel pyrénéen, car très présent dans le folklore local, mais aussi comme un atout pour l'avenir des Pyrénées et des pyrénéens. L'ours apparait ici comme protecteur et bénéfique; pour les autres espèces mais aussi pour les humains, car à travers son image et sa simple présence il est censé pouvoir oeuvrer à la conservation des autres espèces et au bonheur futur des populations pyrénéennes.

« L'ours brun est présent dans les Pyrénées depuis 250 000 ans. On le retrouve régulièrement dans le folklore pyrénéen : fêtes de l'ours, légendes,...De plus, le plantigrade est synonyme de nature bien conservée car il a besoin d'un milieu sain. Espèce dite parapluie, sa protection profite à de nombreuses autres espèces. L'ours est donc un élément essentiel du patrimoine naturel et culturel des Pyrénéens. L'ours est également un atout pour le développement économique est touristique. »

« Les Pyrénées abritent une flore et une faune riche et diversifiée dont l'ours est le symbole vivant ».

« Pourquoi sauver l'ours ? C'est avant tout une question éthique et morale. La bonne question n'est-elle pas plutôt `'avons-nous le droit de laisser disparaître cette espèce ?»[...] L'ours n'est ni utile ni nuisible; il n'a pas à se justifier d'exister. »

(Extraits de plaquettes éditées par des associations de protection de la nature)

« Chaque peuple est vis-à-vis de tous les autres, responsable des richesses naturelles qu'il a reçues en héritage. La convention sur la diversité biologique, élaborée en 1992 à Rio-de-Janeiro, traduit une prise de conscience mondiale : le combat contre la disparition des espèces et des milieux naturels engage solidairement l'humanité toute entière » (extrait de l'introduction du « Plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises 2006-2009 »)

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Dans leurs discours, les défenseurs des ours et ceux qui s'opposent à sa réintroduction, mettent en valeur des aspects très différents de l'animal. Sur certains points, qui semblent capitaux, leurs avis divergent fortement et sont souvent subordonnés à une volonté de justifier leur position sur le sujet.

C : Des discours très divergents entre les « pro-ours » et les « anti-ours »

1/ Sur sa dangerosité.

Les défenseurs de l'ours mettent en avant le caractère craintif, solitaire et discret du plantigrade : « l'ours fuit l'homme et n'est pas agressif ». Ils rappellent néanmoins que, comme de nombreuses autres espèces sauvages ou domestiques, il peut éventuellement être dangereux dans certaines circonstances de rencontres : une femelle suitée (accompagnée de ses petits), un animal surpris ou blessé ; mais dans les Pyrénées « aucun homme n'est mort depuis 1850 » et si les ours s'approchent parfois des habitations, « cela ne constitue pas pour autant un danger, l'ours fuyant à la première perception de présence humaine »14. L'ours est donc présenté comme pas particulièrement dangereux, en tout cas pas plus que d'autres animaux qui sont bien plus nombreux que les ours tels que les sangliers ou les cerfs par exemple.

Au contraire, certains opposants à la réintroduction estiment que les ours réintroduits n'ont pas peur de l'homme car ils n'hésitent pas à s'aventurer près des villages, ce qui les rendrait potentiellement dangereux et surtout peut entraîner un sentiment d'insécurité dû à la présence d'ours aux abords des villages et des exploitations agricoles situés en zone intermédiaire, notamment au printemps. Voici comment ce point est présenté dans une plaquette éditée par l'Aspap : « l'ours attaque l'homme, c'est rare mais c'est vrai, le risque zéro n'existe pas ». Ce sentiment d'insécurité est comparé par certains à l'insécurité qui peut régner dans certaines grandes villes, l'ours apparaît ici comme un être « déviant » et potentiellement dangereux. « Chaque fois qu'il y a une première attaque c'est au printemps [...] on sort plus, on ne laisse plus les enfants dehors, [...] d'un coup on se dit on est agressé, un peu comme si on vivait au centre ville et qu'il y avait des agressions sur des gens... » (Mme Joly, femme d'un éleveur).

14 Les passages entre guillemets sont des extraits de plaquettes éditées par des associations militant pour la réintroduction des ours.

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2/ Sur son régime alimentaire.

Les défenseurs des ours valorisent le caractère opportuniste, omnivore et plutôt végétarien de l'ours en s'appuyant sur les résultats des analyses scientifiques réalisées à partir de leurs excréments. L'ours y apparait comme végétarien à 70%, et la part de son alimentation animale composée en grande partie d'insectes comme les fourmis. Au contraire, et en s'appuyant sur le caractère dit « opportuniste » de l'animal, ses détracteurs mettent en avant l'idée que les ours se nourrissent de ce qui est le plus facile à attraper et le plus « nourrissant ». Ce point de vue est des fois accentué par une idée assez répandue selon laquelle les ours réintroduits seraient plus carnivores car ils auraient été nourris avec des carcasses d'animaux en Slovénie, ce qui aurait modifié leur comportement alimentaire au fil des générations.

« Quand ils ont gouté à la viande, ils ne mangent quasiment plus que ça l'été ». (un

éleveur )

« La brebis, en terme de recherche de protéines animales, c'est super facile à attraper, ce sont des opportunistes ». (Jérôme, accompagnateur en montagne et agent territorial)

« Ces ours slovènes, amenés, qui vivent à 600, 700 mètres d'altitude, qui ont des comportements tout autres que nos ours pyrénéens nous ennuient, ce sont des viandards, ils ont été nourris, ils restent habitués à cette viande ». (Un éleveur).

3/Sur la différence (ou pas) entre ours autochtones et ours réintroduits.

Ces multiples points de vues sur l'animal sont très souvent associés au fait qu'il y aurait une différence entre les ours pyrénéens et les ours slovènes ; mais pour d'autres, le discours est très clair, il n'y pas de différence entre les ours réintroduits et les ours de souche pyrénéenne car ils font partie de la même espèce et dire le contraire est pour eux assimilé à une sorte de racisme. Un discours qui n'est pas l'exclusivité des « pro-ours », car certains fondent leur tendance à être opposés sur des considérations toutes autres.

« Ils appartiennent tous deux à la même espèce, et à la même lignée occidentale d'ours européens. Par ailleurs les habitats étant proches, les ours pyrénéens et slovènes ont exactement le même comportement et le même régime alimentaire » (extrait d'une plaquette d'une association défendant la réintroduction des ours).

Ceux qui estiment qu'il y a des différences l'expriment notamment à propos du régime alimentaire des ours et de leur comportement par rapport aux humains. « Ceux qu'ils ont réintroduits, ils faisaient souvent les poubelles, ils s'approchaient des habitation là-bas (en Slovénie) pourquoi ils le feraient pas ici ! » (Un résident secondaire, à Mérens). Les ours réintroduits seraient moins craintifs, plus carnivores et inadaptés au milieu naturel pyrénéen (car venant d'un pays où il n'y a pas de hautes-montagnes). Concernant la familiarité, supposée plus grande, des ours elle pourrait être due pour certains à une adaptation de l'animal aux changements intervenus dans son environnement, comme la déprise agricole et le changement de statut de l'animal15.

En haute-Ariège, avant les réintroductions, il n'y avait plus d'ours depuis assez longtemps, lorsque j'ai interviewé des personnes âgées, dans le village de Mérens notamment, eux-mêmes n'avaient que très peu voire pas du tout de souvenirs ou d'anecdotes à propos de l'époque où il y avait encore des ours dans le secteur, avant les réintroductions. De ce fait, la différence entre ours autochtones et ours réintroduits devient parfois une différence entre les ours d'autrefois et les ours d'aujourd'hui. Bien que certains soient opposés aux réintroductions, ils parlent parfois avec sympathie des ours d'autrefois, et regrettent leur disparition tout en estimant que désormais c'est trop tard, cette lignée est éteinte. Ils sont souvent évoqués pour opposer leurs qualités à celles des ours réintroduits jugés « déviants », différents.

4/ Le rôle des associations dans la diffusion de ces discours.

Par le biais des discours des associations et de leurs publications, largement diffusées au sein de la population, chacun des « camps » semble accentuer les côtés de l'animal qui l'arrange afin de justifier sa position vis-à-vis de la réintroduction. Ce qui semble entraîner une certaine radicalisation des avis sur la réintroduction et des représentations sociales de l'ours. Mais aussi, par extension, à propos des espaces naturels et de ce à quoi l'on souhaite les voir dévolus. D'un côté on estime que le pastoralisme est essentiel et donc à favoriser en priorité pour la gestion des espaces naturels. Ce qui induit une valorisation des espaces domestiqués et entretenus par l'activité humaine et les troupeaux, en somme une nature plutôt « culturelle ». Au contraire, pour certains ce sont les espèces et les espaces sauvages qui sont

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15 Ce point sera détaillé dans la troisième partie du mémoire.

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à valoriser et selon cette logique, la réintroduction des ours apparait comme une priorité dans la gestion des espaces naturels dont on valorise principalement le caractère « sauvage », « naturel », c'est-à-dire peu ou pas modifié par l'activité humaine.

L'analyse des discours sur les ours peut ainsi permettre de mieux comprendre ce qui se joue entre les différents groupes sociaux, surtout dans ce contexte conflictuel où il ya une surenchère dans les discours des associations. Car chacun cherche alors à faire prévaloir sa lecture du monde et à faire en sorte qu'elle soit légitimée. Ici, l'enjeu permettant la légitimation est la poursuite ou non du programme de réintroduction.

Afin de relativiser un peu le « cliché » opposant les éleveurs ou bergers anti-ours qui valorisent dans la nature ce qui est domestiqué et les défenseurs de la nature qui ne valorisent que les espèces et espaces sauvages, voici deux portraits de personnes dont les points de vue expriment à quel point la palette des discours possibles peut être large.

III Deux portraits plutôt atypiques et significatifs.

A : Jérôme

Agé d'environ trente-cinq ans, Jérôme est accompagnateur en montagne et agent territorial à mi-temps, de plus il possède des chevaux qui montent en estive avec les autres troupeaux du village. Ayant grandi à l'autre bout de la France, il est revenu vivre et travailler dans le village où son grand-père avait grandi, mais qu'il avait quitté pour faire carrière ailleurs. Ses différentes occupations l'amène à avoir des activités quotidiennes diversifiées et à côtoyer différents groupes sociaux ayant chacun des sensibilités diverses. Au départ, de par sa « sensibilité naturaliste », comme il l'exprime lui-même, il était très favorable au projet de restauration d'une population viable d'ours et enthousiaste de constater que certains des ours réintroduits s'étaient installé à proximité, dénotant par là que le biotope leur était favorable. Il estime que l'ours ne représente pas à priori un danger pour ceux qui fréquentent la montagne, ce qu'il explique au gens qu'il emmène en montagne ; et pour lui l'ours des Pyrénées n'existe pas, il y a simplement l'espèce « ours brun », et donc les ours réintroduits, ne sont pas différents. Mais, « en tant que montagnard », (il appelle montagnards ceux qui vivent au-delà de 900m dans de petits villages ou bien « les ruraux de la montagne ») il se dit désormais un peu circonspect par rapport au programme de réintroduction. Il n'y voit pas d'avantages particuliers pour le tourisme liés à l'attractivité ou à la notoriété due à la présence des ours. Il

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est très critique sur la façon dont cela a été mis en oeuvre et estime finalement que c'est un choix politique qui a été imposé à ceux qui vivent en montagne.

S'il ne pense pas que la présence de l'ours remette en cause directement l'élevage, il déplore néanmoins que l'on n'ait pas mis en place les conditions pour permettre que le pastoralisme soit véritablement pérenne. Pour lui, la présence des ours est très problématique pour le pastoralisme tel qu'il est pratiqué dans les Pyrénées centrales. Il aurait fallu selon lui que « les équilibres de la montagne soient considérés plus globalement », ce qui l'amène à penser que ce projet est « une espèce de délire un peu écologiste ». Il regrette que cela n'est pas été mieux pensé et préparé afin que la cohabitation soit possible entre les activités d'élevage et la présence des ours, il pense que c'est désormais trop tard, que les opposants ne changeront plus d'avis.

Parallèlement à la question de la biodiversité, il considère l'activité humaine dans les zones de montagne, constate les difficultés existantes pour que les gens continuent à y vivre, notamment les éleveurs et en arrive finalement à dire qu'il n'a pas d'avis sur la réintroduction, que du moins il n'est pas contre. Dans le contexte actuel, qu'il estime aussi être du à une mauvaise façon de procéder de la part de l'État et qui a conduit à une sorte de « reflexe communautaire » au sein d'une certaine population pyrénéenne, il se demande si l'ours a encore sa place ou s'il ne l'a plus du tout. Et, pour lui la « résistance passive » qui anime les gens, notamment au sein de l'Aspap, il en est sympathisant même si il n'adhère pas aux positionnements les plus « extrêmes ». Il constate qu'avec le temps, le débat a pris une dimension plus large, il concerne désormais ce choix, qu'il estime imposé, de sanctuariser la montagne et de ne plus laisser sa place à l'homme ; mais aussi la condition des ruraux de la montagne qui fait qu'il est très difficile de vivre au dessus de 1000m d'altitude dans les Pyrénées; la disparition progressive des services publics, notamment les écoles, et le fait que désormais ce soit l'axe européen qu'on privilégie l'amène à penser qu'ils sont un peu comme des laissés-pour-compte. Dans ce contexte, il pense que l'ours joue effectivement le rôle du bouc-émissaire, mais selon lui, c'est plus à raison qu'à tort.

B : Patrick

Patrick est berger et éleveur. Ses parents étaient également paysans dans une autre région de France. Il s'est installé en Ariège en zone de montagne il y a plus de trente ans et a commencé à faire de l'élevage transhumant ce qui l'a ensuite amené à devenir berger. Cela fait trente ans que tous les étés, sans exception, il garde des troupeaux de brebis et de vaches

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(dont son propre troupeau de brebis) sur la même estive. Pour lui, le métier de berger, qu'il a appris sur le tas et en suivant les conseils de bergers plus âgées, est une véritable passion. Par la suite, il est lui-même devenu formateur pour de futurs bergers. Il dit être favorable à la réintroduction des ours depuis la première heure, tout en ayant une oreille attentive aux critiques qui sont faites au projet de réintroduction.

Il estime « qu'en tant qu'être humain, digne de ce nom, on ne peut pas être contre » et que cela tient d'une certaine philosophie. Pour lui il y a deux façons de concevoir la nature. La conception judéo-chrétienne qui considère la nature comme un bien qui a été offert à l'homme afin qu'il l'exploite, et la fasse proliférer tel que c'est mentionné dans la bible et une autre conception à laquelle il se réfère. Pour lui il doit y avoir un certain respect de la nature et des animaux. Il refuse de les classer en utiles ou en nuisibles car tous les animaux ont leur place et le fait que ce soit des animaux réintroduits n'y change rien. Les montagnes ne lui paraîtraient plus aussi belles s'il n'y avait plus d'ours.

Selon lui, les raisons de la disparition de l'agriculture de montagne n'ont rien à voir avec la réintroduction des ours mais bien plus avec des décisions politiques nationales ou européennes et le productivisme dans lequel on inscrit la production agricole. Pour lui, le vrai combat à mener serait contre le productivisme agricole. Il est à l'origine avec d'autres éleveurs de la création du label « le broutard du pays de l'ours », notamment en partenariat avec l'association « Adet, pays de l'ours »16. Le but de ce label, qui suit un cahier des charges précis, est de valoriser leurs produits grâce à la présence de l'ours sur le territoire où leurs troupeaux estivent. Garantissant ainsi la qualité gustative et « ethique » des agneaux qu'ils produisent. L'expansion de ce label, qui permettait pourtant une forte hausse du prix de vente, s'est heurté au refus de la plupart des éleveurs d'être associés à un label « cautionnant » les réintroductions et la présence des ours.

Son estive se situe dans une zone où il y a une présence régulière d'ours, mais il affirme ne pas avoir de problèmes en raison de son mode de garde : le troupeau est groupé, il ne se divise pas en plusieurs parties. De plus, suite à la perte d'une trentaine de bêtes en raison d'une attaque de chiens errants qui l'avait beaucoup affecté, dans les années 1980, et comme « on n'élève pas des brebis pour les voir mourir quelle que soit la raison», il s'est mis à utiliser des chiens de protection que l'on appelle des patous17, bien avant les réintroductions

16 Principale partenaire de l'État dans la mise en place du projet de réintroduction.

17 Ce sont des chiens qui restent toujours au sein du troupeau, ils y sont habitué dès leur naissance et sont dressé pour défendre le troupeau des intrus et des prédateurs.

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d'ours. En quinze ans, il a perdu trois brebis et une vêle dont les prédations ont été imputées à l'ours par les experts de la commission d'indemnisation.

Patrick pense que les ours réintroduits sont les mêmes que ceux qui existent dans les Pyrénées et ne croit pas qu'ils aient été nourris en Slovénie. Ce qui pour lui se confirme par le fait que les ours réintroduits fréquentent les mêmes lieux et empruntent les mêmes chemins que les ours d'autrefois. Ces lieux et ces chemins dont la toponymie rappelle ce passé. Il existe dans les Pyrénées de nombreux lieux nommés le pas de l'ours ou la tute de l'ours par exemple qui signifient respectivement le passage et la tanière de l'ours.

IV : La symbolique de l'ours : entre continuités et discontinuités

A : L'anthropomorphisme de l'ours : un invariant culturel et temporel ?

Un élément semble à la fois traverser l'histoire et le corps social contemporain à propos des ours, c'est la tendance à humaniser l'ours. Sophie Bobbé (2002) a relevé un anthropomorphisme quasi systématique de l'ours après avoir passé en revue toute la littérature orale et écrite sur l'ours. L'ours est un plantigrade18, il est capable de se tenir debout, il possède différentes caractéristiques physiques qui peuvent expliquer cette tendance et la place particulière qu'il occupe au sein du « bestiaire pyrénéen ». Les nombreux surnoms patois qui ont pu lui être donné en témoigne : l'homme velu, celui aux sabots sans dessus, le vagabond, le type, le maître, le va-nu-pieds, etc. Considéré comme une sorte d'homme sauvage, l'ours n'a pas toujours été, malgré sa qualité d'animal sauvage et de nuisible, si éloigné de l'homme dans l'imaginaire social. Il existe, notamment dans le département des Pyrénées orientales, des « fêtes de l'ours » célébrées à la période du carnaval, au tout début du printemps, et il apparaît dans les contes populaires dont le plus célèbre est l'histoire de Jean de L'ours. Ce conte relate les exploits extraordinaires d'un personnage à la force surhumaine née de l'union d'une jeune femme et d'un ours. Il en existe de très nombreuses variantes tout au long de la chaîne des Pyrénées. Cette tendance à rapprocher l'homme et l'ours, à l'humaniser, existe également dans d'autres lieux du monde.19

Cette humanisation de l'ours est toujours à l'oeuvre, actuellement, dans les Pyrénées et même selon Sophie Bobbé (2002) « à son comble ». À travers les opérations de

18 C'est-à-dire qui marche sur toute la plante des pieds et non sur les seuls doigts (définition du dictionnaire Larousse)

19 Voir à ce propos : « L'ours, l'autre de l'homme », 1980, numéro spécial de la revue Études mongoles et sibériennes n°11.

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réintroductions, un nouvel élan est donné à cet anthropomorphisme notamment car on donne des noms aux ours réintroduits et chacun a un parrain choisi parmi des personnalités qui soutiennent le projet. On retrace leur arbre généalogique comme s'il s'agissait d'une famille. En résumé, les registres lexicaux utilisés pour parler des ours sont souvent ceux que l'on réserve habituellement aux humains.

Sur mon propre terrain, à Mérens-les-Vals en Haute-Ariège, j'ai pu constater cette tendance au travers de récits d'observations directes des ours, aux abords du village, elles ont eu lieu entre 2002 et 2008. Plusieurs des personnes que j'ai interviewées ont décrit les agissements de l'animal en utilisant des métaphores et un champ lexical qui traduit une certaine anthropomorphisation de l'ours. Son intelligence est souvent soulignée, ici à propos de la façon dont il s'y prend pour contourner les dispositifs destinés à empêcher ses intrusions au milieu des ruches.

« En 2005 il nous a attrapé une brebis juste à côté de la porte...c'est quand même au milieu des maisons ! Elles étaient là, il les a amené à côté de la cabine téléphonique au milieu du village (Mérens d'en haut), il les a fait dormir là [...] après il les a coursé, il en a attrapé une là ! il est allé les chercher, elles étaient en face, il les a faites descendre, parce que c'est très marrant un ours de le voir manoeuvrer avec les brebis... après il les a plus embêté donc elles ont dormi là à côté de la cabine téléphonique, après il les a re-coursé, il en a attrapé une...[...] quand on le voit faire il agit comme une personne, il les emmène vers un étranglement parce que les brebis c'est bête quoi ! il faut le dire...si y'en a une qui passe là elles vont toutes passer là...il les fait descendre toujours dans un endroit où il peut agir [...] la première chose qu'il fait, il les rassemble, comme un berger, après il les dirige toujours vers des endroits pentus et très étroits, il les course pas longtemps, il les course sur 50m et il attrape toujours la dernière celle qui celle qui fait une erreur de pas [...]... alors il dors au milieu...nous on l'a vu au lever du jour les brebis couchées et l'ours au milieu ! Il reste dans le coin, tant qu'il n'a pas sa ration il reste dans le coin... » (Un éleveur)

« Chez P., à Mérens d'en haut, il avait mis derrière chez lui des ruches, il avait mis le courant électrique, à un moment donné il y avait une muraille haute, il n'y a pas mis le courant...l'ours a démonté une partie de la muraille et il est passé par là ! Heureusement y'avait les traces parce qu'on aurait dit `'c'est quelqu'un» ! C'est comme une personne, c'est intelligent... » (Jean, éleveur retraité à Mérens)

On m'a aussi parlé d'une « histoire que les anciens racontaient » selon laquelle, alors que des gens du village cherchaient à récupérer des brebis coincées par la neige au-dessus du village, un ours se serait mis à déclencher des avalanches pour qu'ils ne puissent pas

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redescendre les bêtes et pouvoir en faire son repas...Ici, on crédite les ours d'une capacité de réflexion et d'une véritable intentionnalité.

B : Vers une « artificialisation » du sauvage ?

Contrairement au phénomène d'humanisation de l'ours qui semble traverser le temps, une autre tendance plus contemporaine a été décrite et analysée par différents auteurs. Cette tendance porte en elle un paradoxe car il s'agit de la volonté de l'homme, qui en est devenu capable, de « recomposer du sauvage ». Dans cette perspective, l'ours, animal sauvage par excellence, symbolisant une nature également « sauvage », c'est-à-dire qui échappe à la maîtrise de l'homme voit une nouvelle facette apparaître, celle d'un animal qui aurait à la fois une dimension sauvage et une dimension domestique. En effet, dans le cadre d'une opération de réintroduction, dont le but reste néanmoins que la population animale concernée devienne autonome, les animaux sont l'objet d'un grand nombre de manipulations par l'homme. On cherche notamment à contrôler leur reproduction. D'une certaine façon, ils deviennent familiers pour ceux qui mettent en oeuvre l'opération de réintroduction, ou qui s'occupe du suivi de la population.

Raphaël Larrère (1994) a souligné la contradiction qu'il y a à qualifier de sauvages des animaux qui ont été réintroduits par la main de l'homme et la confusion que cela peut entraîner entre les catégories du sauvage et du domestique. Et ici nous rejoignons le point précédant puisque bien souvent on parle de ces animaux comme s'ils étaient domestiques, on leur donne couramment un prénom et des métaphores anthropomorphiques sont utilisées pour parler d'eux.

Dans les propos que j'ai pu recueillir, cette tendance est considérée comme une volonté de l'homme de tout contrôler, même le « sauvage ». On a l'habitude d'entendre dire que certaines espèces d'animaux sauvages sont les victimes de l'action humaine qui dégrade les écosystèmes; mais ici les ours sont considérés comme des « victimes » de ceux qui les réintroduisent. On peut constater une certaine confusion entre les catégories du sauvage et du domestique dans la mesure où les gens s'interrogent sur le fait qu'on manipule les ours, qu'on les opère pour leur mettre des émetteurs, qu'on les capture pour les relâcher à l'endroit souhaité. Ils soupçonnent qu'ils soient nourris et s'étonne de toute cette attention qu'on leur porte. Aussi, les gens semblent parfois se demander dans quelle mesure ce sont encore des animaux sauvages.

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« Quand je vois la façon dont ils ont été ramenés, capturés...en fait il y est pour rien quoi, on aurait mieux fait de les laisser dans les forêts où ils étaient je pense qu'ils étaient mieux qu'ici...opérés, équipés d'émetteurs, suivis nuit et jour...Ce n'est pas de l'écologie ça, c'est [...] une opération médiatique ! » (Laurent, éleveur)

« Pourquoi y'a des secteurs il faut qu'il y soit et des secteurs il ne faut pas qu'il y soit ? Pourquoi ce n'est pas à lui à décider où il veut vivre ? Puisqu'il faut le laisser en liberté...Les secteurs où ils le jugent trop en danger [...] ils y vont, ils l'effarouchent pour le faire partir ailleurs, ça fait que l'ours il est toujours en train de naviguer, il n'a pas de territoire... [...] une fois de plus, l'homme il veut tout gérer...y'a des fois ce n'est pas à lui à gérer tout, il faut laisser la nature aller...enfin moi c'est mon avis ». (M. Joly, éleveur)

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TROISIEME PARTIE : QUELLE PLACE POUR L'OURS DANS LE TERRITOIRE ?

I : L'impossible cantonnement strict d'une espèce sauvage

A : « Le plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises ».

Le « plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises » est une politique « azonale » (Johan Milian, 2006) de protection de la nature. La mise en place et la gestion d'un espace naturel protégé, comme un parc national, s'effectue sur une portion de territoire précisément balisée. Il existe même plusieurs zones ayant des degrés de protection différents. Une politique de protection de la nature qui s'applique à une espèce que l'on protège ou réintroduit s'inscrit dans un rapport à l'espace totalement différent, puisque l'objet de la protection est mobile. On met donc en place son suivi, effectué par une équipe de techniciens et de scientifiques.

Dans le cas de l'ours des Pyrénées, il s'agit de l'Équipe Technique du suivi de l'Ours (ETO) qui dépend à la fois de l'ONCFS20 et de la Fédération départementale de la chasse. Elle assure le suivi de toute la population ursine des Pyrénées. Il y a la partie technique du suivi qui s'effectue sur le terrain, et ensuite la partie scientifique de traitement des données recueillies. Grace aux émetteurs dont certains ours sont équipés, on réalise ensuite une cartographie de leurs déplacements sur le territoire. La récolte d'éléments matériaux (poils, empreintes, excréments, etc.) permet de réaliser des analyses génétiques et de reconstituer les lignées d'individus.

Si dans le cas d'un parc on fait en sorte que les activités humaines ne perturbent pas les écosystèmes à protéger, dans le cas de la réintroduction ou de la protection d'un prédateur, ce sont les activités humaines, en particulier l'élevage, qui doivent être l'objet de mesures de protections. Les ours sont des animaux sauvages, par définition, ils vivent et « doivent » vivre en liberté dans la nature.

Néanmoins, il semble qu'il y ait une certaine volonté de cantonner l'ours dans l'espace montagnard, qui apparait comme un des espaces privilégiés du sauvage21. Cela peut

20 Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage.

21 La revue de géographie alpine a consacrée un numéro spécial autour de cette problématique. « La montagne comme ménagerie », 2006, Tome 94, n°4.

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s'expliquer par la structuration traditionnelle, en occident, de l'espace anthropisée dont les historiens agraires ont proposé une typologie (Sophie Bobbé, 1993)22. Au moment de la deuxième phase de lâchers en 2006, un des ours est parti en direction de la plaine et au bout de quelques jours, il était à une trentaine de kilomètres de Toulouse. Il aurait été recapturé pour être relâché en altitude. On assigne donc une place particulière au sauvage dans notre environnement, ce qui amène certains montagnards à se poser des questions sur la place de l'ours dans le territoire mais aussi sur leur propre place.

« Nous, on a l'ours qui manifestement passe dans le village au printemps, il est passé dans la rivière devant chez moi, ça c'est pas des trucs qu'on invente...les gens du suivi technique de l'ours nous l'ont dit...et quand l'ours s'approche à 35 km de Toulouse, y'a la gendarmerie qui sort, y'a les avions, tout le tralala pour le faire remonter en montagne alors que nous dans le village l'ours passe quasiment dans le village, le village d'en haut c'est sûr... et bon quelque part nous y'a pas de gendarmes qui viennent, donc les gens ils réagissent mal aussi...y'a un sentiment par rapport à nous...nous...je parle des montagnards ou des ruraux de la montagne, y'a toujours un peu deux poids deux mesures... ce qui n'est pas consenti pour la banlieue toulousaine lorsqu'il arrive...pour nous est tout à fait acceptable et pourquoi c'est acceptable ?...en plus c'est assez réjouissant de savoir qu'il est ici aussi quoi...mais bon il s'est fait éclater lors d'une battue de chasse, un autre sur la route23... et moi en même temps avec ma sensibilité de naturaliste j'arrive à me poser la question de...est ce qu'il a encore sa place... ou est-ce qu'il l'a plus du tout ? » (Jérôme, accompagnateur en montagne et agent territorial)

« Dans la haute-Ariège y'a personne qui les voulait, c'est la Haute-Garonne qui l'a voulu...et quand l'ours descend dans les habitations de la Haute-Garonne, vite vite ! il faut se dépêcher de le remettre dans l'Ariège. Pourquoi ils ne se le garde pas à Toulouse ? Il y était l'an dernier, ils ont fait des pieds et des mains pour le remonter [...] Pourquoi y'a des secteurs il faut qu'il y soit et des secteurs il ne faut pas qu'il y soit ? Où alors ils ont qu'à nous dire : vous gênez, on vous expulse et c'est toute la place à l'ours... » (un éleveur)

D'autres types de mesures tendent à vouloir cantonner ou repousser les animaux sauvages dans certaines zones en particulier. Ainsi, en 1969, au début de la mise en place du Parc National des Pyrénées, une battue fut autorisée par une commune voisine, pour repousser un ours, qui avait causé des dégâts sur un troupeau, dans les limites du parc (Gérard Caussimont, 1981). À la suite des réintroductions, des effarouchements ont également eu lieu en Haute-Ariège, soit par l'Équipe technique du suivi de l'ours (ETO) soit par des groupes

22 Ce point sera abordé plus précisément un peu plus loin dans le texte.

23 Au cours de l'été 2008, un ours a été percuté par un minibus a proximité du village de Mérens, il serait mort des suites de cet accident.

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d'éleveurs, lorsque certains ours ont eu tendance à rester prés des villages ou des exploitations.

« En 2008, vu que personne ne se bougeait quand on a eu l'ours pendant quatre jours, on a essayé de faire du bruit dans la montagne pour le faire partir [...] avec des casseroles et puis en faisant du bruit, en sifflant, on était une quinzaine ou vingt...(Un éleveur)

« Ils (l'ETO) l'ont localisé parce qu'il avait l'émetteur, quand ils ont vu qu'il se rapprochait trop des habitations de nouveau, qu'ils avaient affaire à une autre attaque [...] et que j'allais me mettre en colère plus sérieusement...là ils ont fait partir une fusée éclairante et deux pétards...bon...il est parti l'ours... (Un éleveur)

B : Proposition de création d'un grand parc fermé par les « anti-ours »

Pour certains, l'ours serait plus à sa place dans un parc fermé. À la fois pour son bien et pour celui des humains. L'ours et l'homme ne serait donc pas capable de partager un même territoire et le mieux serait donc de cantonner les animaux prédateurs tels que les ours. D'autres au contraire estiment que cette option est tout à fait impensable.

« L'Aspap est pour le cantonnement, on avait même proposé de faire l'étude, c'était notre force de proposition...[...] s'il faut les cantonner c'est sur un terrain qu'ils aiment bien [...] chez les gens qui l'ont voulu au départ, parce que nous on les a pas voulu au départ, qu'ils se les ferme et qu'ils en fasse leur image de promotion...c'est pas très retenu parce qu'il faut laisser l'ours libre et fermer les brebis, et nous on avait décidé de fermer l'ours et de laisser les brebis libres...nous étions à l'envers de leur schéma... » (un éleveur)

« Il aurait mieux valu qu'ils fassent une grande réserve, y mettre les ours et le clôturer, avec les montagnes qu'on a...le pays qu'ils auraient eu les ours...des bois, des montagnes, des étangs, des rivières...y'a les trois-quarts des vallées y'a pas de bêtes, par exemple on part d'ici et on va jusqu'à la frontière andorrane vous vous rendez compte le morceau que ça fait ? Ils pourraient faire visiter et tout, quitte à leur mettre quelques brebis vieilles pour manger...ils auraient été libres...parce que là tout le monde les emmerde...les chasseurs...les types de l'ours quand ils sont à côté des villages ils les font partir [...] à coup de pétards [...] ce n'est pas évident pour les bêtes...ça a jamais marché l'ours et les moutons, ça marchera jamais qu'on le veuille ou non... »(un éleveur)

« Ce sont des animaux sauvages, si ils sont parqués, ce ne sont plus des animaux sauvages [...] le parc national n'a pas réussi à le faire dans le Béarn » (Patrick, éleveur et berger)

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II : La frontière sauvage/domestique ou comment les habitants des villages de montagne délimitent, au niveau symbolique, leur environnement ?

A : Évolution socio-économique des territoires de montagne et conséquences en termes d'occupation des espaces naturels.

Au cours du 20ème siècle, le recul des activités traditionnelles a entraîné un exode rural en direction des agglomérations, les villages de montagne sont devenus beaucoup moins peuplés et les espaces naturels beaucoup moins exploités pour l'élevage ou l'agriculture. Il y a en quelque sorte un recul général de la présence humaine en montagne. D'un autre côté, le développement d'infrastructures telles que des routes à quatre voies, des chemins forestiers ou de randonnés, des stations de ski, etc. donnent à penser que l'activité humaine est toujours importante, voire plus importante et parfois préjudiciable pour les écosystèmes de montagne.

Une mobilité pendulaire d'individus venus d'agglomérations plus ou moins proches et plus ou moins grandes se développe les weekends et durant les périodes de vacances. C'est le développement de la randonnée, des sports d'hiver et d'autres types d'activités sportives ou non, dont le cadre est la montagne. Les villages voient le nombre de résidents secondaires augmenter ; certains sont originaires du village, partis en ville pour travailler tout en conservant une maison dans le village, pour les périodes de loisirs, et reviennent y passer leur retraite.

La modification du couvert végétal autour des villages de montagne que l'on appelle aussi la fermeture du milieu est une conséquence directe de la déprise agricole, elle est généralement perçue de façon négative de la part des habitants des villages, surtout les générations plus anciennes qui ont vu la transformation s'effectuer sous leurs yeux. Ils l'assimilent à un ensauvagement de leur environnement. C'est dans la zone intermédiaire que cette évolution est la plus flagrante car ce sont des zones qui ne sont pas mécanisables, elles étaient autrefois cultivées ou fauchées à la main. Le paysage entretenu, propre que valorisent ces personnes (Adel Selmi, 2007) a en grande partie disparu, ou du moins, il a subi de profondes modifications.

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B : Découpage « traditionnel » de l'espace

Dans la tradition occidentale, selon la typologie des historiens des systèmes agraires, l'espace anthropisé se structure selon une succession de cercles concentriques (hortus, ager, saltus, sylva) gradués du plus domestique au plus sauvage (Sophie Bobbé, 1993). Le cercle le plus proche du « domestique » regroupe les hommes et leurs animaux ainsi que les lieux de conservation des récoltes. Dans ce premier cercle sont également inclus les potagers et les vergers (hortus) contigus à la maison. Le cercle le plus éloigné, le « sauvage » correspond aux espaces non cultivés comprenant les estives et la forêt (sylva). C'est cette zone que l'on considère généralement comme la juste place de la faune sauvage. Entre ces deux pôles, un espace intermédiaire, « l'entre-deux » rassemble les terrains cultivés (ager) et les prés pâturés par le bétail à la mi-saison (saltus).

Ces différents territoires ne sont pas cloisonnés, et leurs occupants y effectuent des va-et-vient. Les animaux sauvages s'aventurent par moments dans l'espace domestique. Quant aux hommes, leurs activités les amènent, selon les saisons, à fréquenter les espaces « sauvages ». Cette typologie de l'espace anthropisé et la valorisation du domestique par rapport au sauvage reste souvent valable pour les acteurs du monde agro-pastoral surtout pour les anciennes générations. Mais, du fait de la déprise agricole et de la modification des usages selon les zones on assiste à un déplacement des frontières entre ces différents espaces.

C : Déplacements de frontières

Dans le découpage de l'étagement montagnard la zone intermédiaire correspond à l'hortus et au saltus, autrefois une zone particulièrement domestiquée et considérée comme un espace familier à «l'entre-deux », la zone tampon entre les deux extrêmes. Mais la modification du couvert végétal due à la déprise et à une moindre présence humaine au quotidien, en raison de l'abandon des cultures en terrasses, a quelque peu modifié le statut de cette zone. Une certaine végétation y « reprend ses droits » et les animaux sauvages peuvent désormais la fréquenter avec plus de liberté. Dans les zones de montagne, l'ager a souvent disparu est s'est transformé en saltus pour le pâturage des animaux voire même en sylva. Ainsi, la zone tampon s'est en quelque sorte réduite et donc l'espace domestique et l'espace sauvage semble moins distants l'un de l'autre.

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À Mérens, situé à la limite de la zone intermédiaire, pour certaines personnes issues du milieu agro-pastoral, cette zone, où la déprise se lit le mieux dans le paysage, semble cristalliser des ressentis négatifs. On peut y lire à travers certains vestiges comme les murailles des terrassements les activités agricoles passées. C'est sur cette zone qu'apparaît le plus clairement ce qui semble vécu comme la disparition des résultats du difficile travail réalisé les nombreuses générations qui les ont précédées et qu'ils assimilent souvent à un héritage, un patrimoine qu'ils n'ont pu sauvegarder en quelque sorte, ce qui est peut-être vécu parfois comme la perte d'un support identitaire. Certains ont vu leurs parents cultiver ces zones, eux mêmes ont ensuite fauché le foin à la faux puis les dernières années à la motofaucheuse. Désormais, ce sont surtout des zones de pacage pour les troupeaux du village. Eux qui valorisent plutôt la nature humanisée assistent à « l'ensauvagement » de leur environnement.(voir les photos en annexe)

« Les champs ils étaient jusqu'en haut, tout ce qu'on voit que c'est des bois, c'était des champs et des prés, partout jusqu'aux rochers en haut, jusqu'à 1500m d'altitude et de chaque côté...et maintenant c'est que des bois, des ronces et des saloperies quoi ! [...] y'a des murailles jusqu'en haut... maintenant ça se voit plus, chaque parcelle avait sa muraille. » (Un éleveur retraité)

« Les montagnes, personne n'y fait plus rien...c'est sale... [...] avant c'était tout nettoyé, maintenant y'a plus personne y'a trois éleveurs, ils ne peuvent pas nettoyer toutes les montagnes. » (Un chasseur)

« Comme on l'a trouvé la nature, comme on l'a trouvé on veut la laisser comme ça...c'est-à-dire comme nos parents nous l'ont transmis » (un éleveur)

La présence des ours accentue ce phénomène déjà perçu négativement. Et leur réintroduction souligne selon eux une volonté d'ensauvager encore plus leur environnement alors que c'est précisément contre cet « ensauvagement » que le monde agro-pastoral dans son ensemble se bat. Ce contexte semble accentuer l'inadmissibilité, pour certains, de la présence des ours, symbole du sauvage par excellence, et qui vient effectuer ses prédations jusque dans le village. La modification du statut de la zone intermédiaire et des usages que l'on en fait semble faciliter la possibilité pour les ours de se rapprocher des ruches et des brebis. Les troupeaux paissent désormais au plus près des villages à l'intersaison, et les ours peuvent s'approcher sans être trop à découvert ou risquer une rencontre avec un humain. Ceci pourrait expliquer le fait que l'on dise des ours d'autrefois qu'ils étaient plus craintifs,

différents de ceux de maintenant. Pour les habitants de Mérens, la grande différence c'est que « maintenant on les voit alors qu'avant on les voyait pas. »

« En 2008 on l'a eu pendant quatre jours au milieu des brebis, sans discontinuer, matin, et soir on le voyait, en train de faire des prédations, le lendemain on faisait constater et ainsi de suite ça a duré quatre jours le matin de bonne heure ou le soir à la tombée de la nuit c'était aux portes du village là en face, aux portes du village, on les met là au printemps il vient au garde-manger ». (Un éleveur)

« Les montagnes étaient pas si sales aussi, les gens travaillaient les prés jusqu'en haut alors les ours ils descendaient le moins possible, parce que c'est des bêtes sauvages qui se cachent... (Un chasseur)

« Il est venu à Mérens d'en haut manger une ruche contre une maison et égorger une brebis là au milieu de la route dans le village, non ce n'est pas admissible ça ! (une retraité du service RTM de l'ONF24)

« Mon père avait eu une brebis mangée, il avait vu une patte d'ours au sol mais l'ours n'était jamais venu dans le village » (une éleveuse retraitée)

« Ils ne faisaient pas tellement de dégâts comme là, avant ils les trouvaient qu'en montagne, là il traverse le village maintenant c'est plus pareil ! » (Un éleveur retraité)

Ce ressentiment de la part de certains habitants est encore accentué du fait de la modification du statut légal de l'ours car c'est un animal que l'on ne peut désormais plus chasser de l'espace domestique en l'éliminant physiquement comme cela se pratiquait auparavant. Il y a des personnes qui pensent que l'ours s'est adapté à ce nouveau statut : comme on ne le chasse plus, il a moins peur de l'homme.

« Les ours se tenaient en altitude et quand y'en avait un [...] qui s'amusait à descendre trop bas, ils prenaient les armes et ils s'en débarrassaient ! » (une femme d'éleveur)

« Ils étaient en estive, ils entendaient les plombs de temps en temps et ils avaient peur de l'homme quoi ! » (un éleveur)

Les défenseurs de la réintroduction, estiment au contraire que suite à la déprise agricole le territoire est redevenu propice à la reconstitution d'une population d'ours. Il a donc

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24 Service Restauration des Terrains de Montagne à l'Office National des Forêts.

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pour eux toute sa place dans le territoire puisque les Pyrénées sont désormais beaucoup moins peuplées et les espaces libérés par la déprise agricole beaucoup plus nombreux.

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QUATRIEME PARTIE : IMPLICATIONS SOCIO-POLITIQUES

I : Résistance au pouvoir central : le local face au global ?

Tout un imbroglio politico-médiatique est à l'oeuvre autour de la question des réintroductions d'ours Lorsque le programme de réintroduction a été lancé, il n'a pas été mis en place sur un terrain neutre. Il y a dans le contexte local des conflits d'intérêts, des groupes d'influence qui sont déjà en proie à de multiples remous et contradictions (Benhammou Farid, Mermet, Laurent, 2003). L'arrivée des ours va avoir tendance à exacerber ces tensions.

L'opposition au projet de réintroduction s'inscrit pour beaucoup de ses détracteurs dans un mouvement plus large de résistance face au pouvoir central. Ce projet est considéré comme un choix politique imposé d'en haut par le gouvernement relevant d'une volonté de limiter le pouvoir des acteurs locaux dans la gestion des espaces naturels (dont une grande partie appartient à l'État puisque c'est un territoire domanial) et les usages qu'ils en font. D'où le fait qu'il soit régulièrement fait référence à la guerre des demoiselles, qui au 19ème siècle en Ariège a opposé les montagnards à l'État qui souhaitait mettre en place le code forestier et limiter les droits d'usage des paysans notamment pour le pacage des troupeaux.

C'est également vécu comme une ingérence de l'État dans les affaires des montagnards et l'imposition de changements de pratiques imposés par des personnes considérées comme ne connaissant rien à la réalité du terrain.

Ce projet, porté par le ministère de l'écologie et des associations de protection de l'environnement, apparait aux yeux de certains habitants de ces territoires comme une volonté d'ensauvager la montagne. Deux conceptions s'opposent. Au niveau local on estime que la présence des ours pose problème à ceux qui sont considérés comme les garants d'un certain type de paysage auquel est associée une certaine biodiversité. D'autres, sur un plan global, considèrent que comme l'Homme est en train de surexploiter, de dégrader la terre et d'entrainer la disparition d'espèces animales ou végétales, il y a urgence d'y remédier pour la sauvegarde du patrimoine de l'humanité. Ils considèrent que c'est un devoir car ce patrimoine appartient à tous et sa sauvegarde doit passer au dessus des intérêts locaux et personnels.

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II : Conséquences dans la société locale

Une forte structuration du mouvement d'opposition s'est réalisée au sein de structures associatives. Ces associations ont eu un rôle fédérateur et ont produit un discours dans lequel tous semblent se retrouver, nivelant les disparités individuelles et favorisant la diffusion d'une conception commune de la nature, cela a aussi entrainé une radicalisation des positionnements de chacun. Le monde agro-pastoral semble avoir renforcé sa cohésion, mais par contre le fossé s'est agrandi entre eux et ceux qui ont une conception différente de la nature et un avis autre à propos du projet de réintroduction.

Selon un de mes interlocuteurs, avec ce projet et sa mauvaise gestion, l'État a produit un réflexe communautaire au sein des populations montagnardes et brouillé certains groupes d'acteurs sociaux avec d'autres. On assiste à la revendication d'une identité montagnarde pyrénéenne qui dans ce contexte est valorisée. L'autodéfinition en tant que montagnard devient une source d'identification (Debarbieux, 2008) et l'on cherche à mobiliser la part positive de la figure du montagnard incarnée par une sorte de « bon sauvage » (Bozonnet, 1992). Par la mobilisation de divers éléments identitaires ( l'identité d'éleveur transhumant est également valorisée) ils cherchent aussi à se donner du poids et ainsi à légitimer leur point de vue afin de peser dans la balance pour la prise de décisions les concernant grâce à la structure associative.

Cette construction identitaire se joue aussi autour de la construction de l'altérité des ours slovènes réintroduits. Certains discours tenus sur les ours slovènes font usage d'un vocabulaire que l'on utilise généralement pour parler des étrangers et des immigrés. L'utilisation de ce type de champ lexical a été décrit et analysé par Elisabeth Rémy et Corinne Beck (2008) à propos des espèces animales et végétales dîtes « invasives ». Dans un contexte de revendication ou d'affirmation d'identité la référence à l'autre, à l'étranger est fréquente car elle vient renforcer son identité propre en marquant la frontière entre soi et l'autre. C'est à l'aune de cet « autre » que l'on peut signifier la force de son propre groupe. Dans le contexte pyrénéen d'opposition aux réintroductions, l'ours slovène semble apparaitre comme cet « autre ». Il s'oppose à l'ours pyrénéen auquel on peut s'identifier et qui est considéré comme étant un vrai pyrénéen. On retrouve ici certaine facettes dont l'ours est crédité en divers lieux du monde.

« Cet autre qui permet de se définir soi, quel que soit le rapport qu'on établit avec lui. En effet, nous voyons l'ours figurer soit le rival, soit l'idéal du moi, soit le défunt face au

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vivant du même clan, soit enfin le voleur de femme face au parent--autant de facettes qui peuvent être regroupées dans les deux catégories suivantes : celle du double (qui est un autre moi) et celle de l'allié (qui reste un autre). » ( Laurence Delaby, Roberte Hamayon et Anne de Sales, 1981)

L'ours pyrénéen apparaît comme un double alors que l'ours slovène est un autre, un rival. D'autant plus pour l'éleveur pyrénéen qui, comme les ours, semble en voie de disparition. Les noms que l'on donnait autrefois aux ours traduisent également cette duplicité de l'ours puisque qu'ils évoquent tantôt un étranger, tantôt un être humanisé ou les deux: « le vagabond », « le monsieur », etc.

« J'étais vraiment pour défendre ce que j'appelle une population ursine autochtone, donc ça c'était nos vieux ours, c'était très difficile...notre ours qui a été tué par un chasseur, qui était ce que j'appelle moi des nôtres... » (Un éleveur).

« Si y'a des animaux en voie de disparition c'est nous quoi ! Nous on est vraiment en voie de disparition...et personne ne nous protège... »(une éleveuse).

Cette construction de l'altérité passe aussi par la catégorisation des ours en fonction de leurs pratiques alimentaires, les ours slovènes étant souvent considérés comme plus prédateurs et plus carnassiers que les ours pyrénéens.

III : Les liens entre pastoralisme et environnement

Au cours du 20ème siècle la façon dont on souhaite prendre soin de la nature a évolué, les politiques de protection de la nature ont évolué. Autrefois, il s'agissait surtout de mettre en place la protection de la nature, ce qui a été appelé la « sanctuarisation » de la nature, c'est-à-dire qu'un espace naturel était « mis sous cloche » et l'homme devait y intervenir le moins possible. Depuis le début des années 1990, un changement s'est opéré et on parle désormais de « pilotage de la biodiversité ». Avant, dans le domaine de l'écologie, c'est l'idée d'équilibre de la nature qui prévalait, désormais, c'est celle de changement permanent qui s'est imposée (Patrick Blandin, 2008). De plus, on assiste à une remise en cause de la naturalité du monde de la part du monde scientifique, désormais on estime qu'il n'y a plus d'espace totalement naturel, et même un espace comme la forêt amazonienne aurait subi de profondes modifications de ses écosystèmes dues à l'homme.

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De ce changement a notamment résulté une volonté d'impliquer le monde agro-pastoral dans la gestion durable des espaces naturels. Les acteurs du monde agro-pastoral ont été reconnus comme oeuvrant d'une certaine manière à la protection de l'environnement, à la création et au maintien de paysages particuliers résultant de leurs activités sur les espaces naturels et porteur d'une certaine biodiversité.

Ce phénomène est désormais largement intégré et mis en avant par les éleveurs et d'autres acteurs du monde agropastoral notamment dans le cadre de leurs revendications pour faire cesser les réintroductions d'ours. On pu les voir défiler sous des banderoles où était inscrit : « producteurs de paysages ». Ils se présentent également comme étant les « vrais écologistes » face à ceux qu'ils qualifient d' « écologistes intégristes » ou d'écologistes des villes. Cette étiquette positive a été largement appropriée. La réintroduction des ours apparait comme une situation mettant en jeu ces liens entre pastoralisme et environnement qui sont en profonde mutation depuis l'avènement du pastoralisme comme garant d'une certaine biodiversité.

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CONCLUSION

J'espère avoir pu dans ce mémoire et dans le précédent apporter quelques précisions sur les différents registres de discours que l'on peut rencontrer à propos des ours et sur les implications sociopolitiques des réintroductions dans le monde local. Et notamment comment la modification du couvert végétal autour des villages de montagne peut avoir une certaine influence sur la perception que les habitants des villages de montagne ont des ours actuellement.

Bien qu'élevé mondialement au rang d'espèce patrimoniale à protéger, garante de la bonne santé des espaces naturels, l'espèce « ours brun » continue à véhiculer des images différenciées selon les catégories d'acteurs. Les images associées à son ancien statut légal restent prégnantes pour une part de la population qui se trouve précisément être confrontée à sa présence en montagne. Si pour certains l'ours n'a peut-être jamais représenté une nuisance, pour d'autres au contraire il en constitue toujours une.

L'ours apparait ici comme particulièrement propice à catalyser différentes dimensions de la vie sociale ; et en projetant diverses images sur lui les hommes signifient leurs différences notamment de points de vue concernant la gestion des espaces naturels de montagne et leur manière spécifique d'appréhender la nature. Selon la place à laquelle les personnes assignent les ours mais aussi les autres espèces domestiques, ils signifient la façon dont ils considèrent que les espaces naturels doivent être gérés. Et en focalisant l'attention sur les prédations des ours, le monde agro-pastoral a soulevé les autres problèmes auxquels il est confronté. Une sorte de contre-pouvoir face à un mode de gestion s'est constitué, notamment au sein des associations anti-ours.

L'analyse des données recueillies telle que je l'ai menée est largement emprunte de l'opposition sauvage/domestique. L'évolution du statut des animaux autrefois considérés nuisibles, comme l'ours, et à ce titre non admis à vivre et à évoluer sur le même territoire que les hommes, amène à une complexification des possibilités de les considérer, désormais les ours apparaissent comme « réhabilités » en quelque sorte et à ce titre admis à vivre plus près des humains. Les activités traditionnelles d'élevage doivent désormais adapter leurs pratiques à sa présence et l'on assiste à l'émergence d'une nouvelle catégorie d'animaux qu'André Micoud(2009) a nommé la catégorie des « animaux sauvages naturalisés vivants, au sens d'à nouveau admis à vivre parmi nous ». Face à l'émergence de nouvelles catégories d'animaux, cet auteur propose toutefois de substituer la polarité sauvage /domestique à la polarité

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« vivant-matière » et « vivant-personne ». Car selon lui, les catégories « traditionnelles » du sauvage et du domestique ne suffisent plus pour rendre compte de la réalité actuelle tant les situations des animaux se sont différenciées et complexifiées. André Micoud propose désormais de ne plus se rapporter à une « polarité spatiale anthropocentrée » mais à d'autres catégories qui s'échelonneraient d'un pôle où l'être vivant n'est plus qu'une matière à un autre où lui serait reconnu le statut de personne.

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ANNEXE

Une centaine d'années sépare ces deux

photos. Mérens au début du 20ème siècle et la même vue en 2010.






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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein