1.2. PROBLÈMATIQUE
Les agents anesthésiques inhalatoires volatils sont
utilisés pour anesthésier les patients dans les salles des blocs
opératoires par les médecins anesthésistes
réanimateurs seuls, ou assistés par les infirmiers
spécialisés en anesthésie et réanimation. Leur
utilité est d'induire et d'entretenirl'anesthésie à l'aide
d'un appareil d'anesthésie(Bussières et al, 2013).Ils ont pour
objectif principal la suppression temporaire et réversible de la
conscience et de la sensibilité douloureuse liée à l'acte
thérapeutique et/ ou diagnostic.
On distingue trois procédures d'anesthésie
générale : l'anesthésie inhalatoire,
l'anesthésie intraveineuse et l'anesthésie balancée
combinant les deux premières procédures. De nos jours, les
anesthésiques par inhalation sont de plus en plus utilisés dans
les blocs opératoires. Les halogénés utilisés dans
les pays développés sont le sévoflurane, l'isoflurane, le
desflurane et tandis que l'halothane et isoflurane sont encore largement
utilisés dans les pays en voie de développement du fait de leur
coût abordable.
D'après Raymondet al (1998), trois types de circuit
respiratoire sont couramment utilisés :
-La ventilation par l'intermédiaire d'un
masque, par l'apport du mélange gazeux qui se fait selon deux
modalités : soit à l'aide du circuit accessoire ; ici
les gaz expirés sont dans ce cas rejetés dans la salle à
moins que l'on utilise des masques à double enveloppe décrits
dans la littérature étrangère et permettant une
récupération partielle des gaz expirés , soit
à l'aide de l'appareil d'anesthésie en position manuelle ;
les gaz expirés transitent alors par la branche expiratoire, sont
récupérés par l'appareil d'anesthésie et peuvent
être évacués par un système d'évacuation des
gaz anesthésiques(SEGA).
-Le circuit sans réinhalation de gaz (circuit ouvert).
Ici, le mélange gazeux expiré peut être soit
rejeté dans la salle, soit récupéré par un SEGA
présenté ci-haut. Dans le cas d'un rejet dans la salle, certains
ont proposé, pour réduire la pollution, de faire passer les gaz
expirés à travers une cartouche de charbon actif capable de
piéger les halogénés.
-Dans un circuit fermé, le mélange gazeux
expiré passe sur une cartouche de chaux sodée destinée
à retenir le gaz carbonique rejeté par le patient. Le
mélange est alors totalement recyclé. L'alimentation du circuit
en gaz neuf est faible (de l'ordre de 5% des débits mis en oeuvre en
circuit ouvert), ce qui implique que le débit rejeté dans la
salle se situe dans une fourchette de 0.3 à 1 l/min. Entre le circuit
ouvert et le circuit fermé, il existe toute une gamme
d'intermédiaires utilisant des débits variables. On les nomme
les circuits «semi-fermés». Seule une partie du mélange
est «recyclée» vers le circuit inspiratoire, l'autre partie
(15 à 40%) est rejetée dans la salle, le plus souvent
après passage sur une cartouche à charbon actif. Par ailleurs,
l'utilisation des anesthésiques volatils a augmenté de 77% des
anesthésies générale en 1996 contre 49% en 1980.
Les agents anesthésiques inhalatoires
s'échappent des circuits de ventilation et des voies aériennes
des opérés pour polluer l'atmosphère des blocs
opératoires et sont susceptibles d'avoir des effets indésirables
sur la santé du personnel qui les manipulent et ceux présents
dans la salle.
En Allemagne, Hagemann et al (1993) ont enquêté
dans 22 blocs opératoires, interrogé 120 anesthésistes et
ont recueilli les plaintes suivantes : fatigue (68%), épuisement
général (53%), irritabilité (26%), difficulté
à la conduite (19%), céphalée (17%), trouble de la
concentration (8%). Ils ont contrôlé la pollution pendant 200
jours et ont mesuré des niveaux d'exposition toujours supérieurs
à la valeur moyenne pondérée d'halothane (5 ppm) et une
exposition moyenne au protoxyde d'azote de 280 ppm avec des pics
supérieur à 560 ppm.
D'autres travaux expérimentaux menés ont
retrouvé les mêmes plaintes auxquelles s'ajoutent les avortements
spontanés,malformations congénitales, les modifications des
performances,les aberrations chromosomiquesdans les cellules urinaires
(Lamberti, cité parRaymond et al,1998).
Selon Arnaud Bassez (2012), les effets sur la santé de
l'exposition à de faibles concentrations de gaz anesthésiques
sont évalués à partir de travaux menés chez
l'animal, d'enquêtes épidémiologiques et d'études
chez des volontaires sains. Les durées d'exposition sont
également variables, idéalement proches de celles du personnel,
soit 4 à 8 heures par jour, 5 jours sur 7, pendant plusieurs semaines.
En 1967, Vaismancité par Arnaud Bassez (2012), est le premier à
s'intéresser aux conditions de travail des personnels de santé et
à noter chez un collectif de 110 anesthésistes russes la
fréquence de manifestations non spécifiques (vertiges,
céphalées...) , mais également l'incidence des avortements
spontanés et des malformations congénitales chez leurs enfants.
Aux États-Unis, au début des années 1970, le National
Institute for OccupationalSafety and Health (NIOSH) en collaboration avec
l'American Society of Anesthesiologists (ASA), réalise une vaste
enquête nationale auprès de 73 000 « sujets
exposés » aux gaz et vapeurs anesthésiques dont les
résultats sont publiés en 1974.
L'alerte du NIOSH sur les médicaments dangereux
publiée en 2004 a mené plusieurs groupes de professionnels de la
santé à s'intéresser activement à l'utilisation
sécuritaire des médicaments dangereux menant, entre autres,
à la création du Guide de prévention sur la manipulation
sécuritaire des médicaments dangereux de l'Association pour la
santé et la sécurité au travail, secteur des affaires
sociales(ASSTSAS) en 2008. Rappelons qu'un médicament dangereux est un
médicament ayant au moins l'un des effets
suivants :cancérogène, mutagène,
tératogène, toxique pour un organe ou pour la reproduction. Tels
est le cas de l'hépatite pour l'halothane, de neuropathies secondaire
à l'inhalation chronique,du dommage génétique
dose-dépendante pour les halogénés (Desmonts, 1999). Par
ailleurs, le NIOSH révèle que l'exposition professionnelle aux
gaz anesthésiques pour inhalation se produit à différentes
étapes du circuit du médicament :
· bris à la réception des stocks à
la pharmacie;
· bris lors du transport dans l'établissement;
· bris/déversement accidentel lors de la
manipulation dans les zones d'anesthésie;
· fixation du bouchon de raccordement;
· fuites;
· évaporation en cours d'anesthésie
liée à un problème d'évaporateur;
· expiration des gaz anesthésiques pour inhalation
par les patients en salle de réveil;
· etc...
En Suisse, selon Rùgger (1998), bien que les patients
soient les premiers concernés par ces effets indésirables, il
existe également des risques pour le personnel exposé à
ces gaz. Les quantités de gaz dans l'atmosphère d'un bloc
opératoire sont certes beaucoup plus faibles que celles inhalées
par le patient, mais l'exposition dure des années ou des
décennies pour le personnel. Des symptômes non spécifiques,
tels que fatigue et céphalées, sont bien connus. Des troubles
plus sérieux ont été évoqués, comme des
altérations de la fertilité ou de la grossesse. Si l'on tient
compte du fait qu'un grand nombre de personnes travaillant en salle
d'opération sont des femmes en âge de procréer, il existe
un certain risque qui ne peut être exclu que par des mesures
appropriées. La possibilité d'un risque d'augmentation des
avortements et des malformations suite à une exposition aux agents
anesthésiques par inhalation reste un objet de controverse. Dans plus de
10 études rétrospectives chez des femmes ayant travaillées
avant ou durant leur grossesse dans des salles d'opération, une
fréquence d'avortements spontanés augmentée de 1,5
à 2 fois a été constatée. Une telle augmentation
d'avortements spontanés a aussi été
démontrée chez les épouses d'hommes exposés. Une
revue des taux d'avortements spontanés observés chez 2781
infirmières enceintes de la salle d'opération du groupe
exposé montre que 19,5 % ont fait l'avortement contre15, 1 % sur 1948 du
groupe contrôlé.
Cette exposition chronique à faible dose
intéresse essentiellement le personnel hospitalier :
anesthésistes, chirurgiens, infirmiers, sages- femmes,
vétérinaires et, dans certains pays anglo-saxons, les
chirurgiens-dentistes. L'étude de la toxicité chronique des
halogénés et celle du protoxyde d'azote sont difficilement
dissociables car ces composés sont généralement
associés lors d'une anesthésie (Raymond, 1998).
D'après Bussiers et al (2012), une étude de
cohorte rétrospective faite au Quebecau Canada a évalué
les anomalies congénitales retrouvées chez les enfants
d'infirmières exposées aux gaz anesthésiques pour
inhalation. De 1990 à 2000, 9 433 infirmières ont
donné naissance à 15 317 enfants. Ce nombre inclut
1 079 enfants avec anomalies congénitales ainsi que
80 mortinatalités, dont 23 avec des anomalies
congénitales. Le degré d'exposition des infirmières a
été classé en deux groupes soit « aucune
exposition » ou « exposition ». L'exposition
était catégorisée selon un algorithme en tant
qu'« improbable », « possible » ou
« probable ». L'algorithme prenait en compte les gaz
utilisés par le département, le nombre de patients traités
par l'infirmière et les précautions mises en place telles que la
présence d'un système d'évacuation des gaz et
l'évacuation complète de ces gaz avant le transport du patient
vers la salle de réveil. Les gaz anesthésiques pour inhalation
utilisés pouvaient inclure le protoxyde d'azote et les agents
halogénés suivant : desflurane, enflurane,
fluoroxène, halothane, isoflurane, méthoxyflurane et
sévoflurane.
Pour tous les agents halogénés regroupés
sans inclure le protoxyde d'azote, le rapport des cotes des anomalies
congénitales était de 1,49 lorsque les trois types d'exposition
étaient combinés. Le rapport des cotes n'était
significatif que pour la catégorie « probable» 2,61 et
non significatif pour les catégories « improbable »
1,08 et « possible » 1,47. La catégorie
d'exposition « probable » correspondait à une
infirmière travaillant dans un département utilisant des gaz
anesthésiques pour inhalation dont ses tâches l'exposaient
à plus de 100 patients par semaine et où il y avait moins de deux
techniques de précautions utilisées. Plusieurs autres
études rapportent des effets neurocomportementaux pouvant être
associés à une exposition professionnelle aux gaz
anesthésiques pour inhalation, notamment des maux de tête, de la
fatigue, une perte d'appétit, une baisse des habiletés
psychomotrices, une baisse de la vitesse de réaction, une baisse de la
performance à des tests de mémoire et audiovisuels. Des effets
hépatotoxiques associés à l'utilisation de l'halothane
chez les patients ont également été observés lors
d'exposition professionnelle prolongée, bien que cet agent ne soit plus
utilisé dans les pays développés. Quelques cas
d'hépatites associées à son utilisation ont
été rapportés chez des anesthésiologistes, des
techniciens ou d'autres professionnels médicaux exposés( Bussiers
et al , 2012).
Mérat et al (2008) ont publié une revue des
risques professionnels liés à la pratique de l'anesthésie,
de leurs conséquences et des éléments de
prévention. Huit facteurs de risques liés à la pratique de
l'anesthésie ont été identifiés, incluant
l'utilisation de gaz anesthésiques. L'exposition professionnelle aux gaz
anesthésiques pour inhalation comprend des risques d'avortement
spontané, d'anomalies congénitales, d'accouchement
prématuré, de génotoxicité, ainsi que des risques
d'effets neurocomportementaux.
Bien que les études menées ne soient pas
exemptes de critiques, l'ensemble des données peut conduire à
suspecter une nocivité des anesthésiques sur la reproduction.
En France,Saurel-Cubizolles et al (1992), cité par
Raymond et al (1998) ont conduit une enquête par questionnaire et
relevé des conditions de travail auprès de personnels soignants
(557 exposés/566 témoins). Ils ont recueilli de façon
significativement plus fréquente la notion de fatigue et
identifié la survenue d'un syndrome dit neuropsychologique à
savoir le cumul d'au moins deux des trois symptômes suivants :
céphalées, vertiges, ralentissement des réactions. Sa
survenue est corrélée à l'intensité de l'exposition
appréciée à partir de l'activité opératoire
et d'un indicateur, le taux de renouvellement de l'air de la salle.
Les atteintes hépatiques sont essentiellement dues
à l'halothane potentialisé par le protoxyde d'azote même si
quelques cas d'hépatites toxiques chez le personnel soignant ont
été décrits avec l'Isoflurane. La toxicité
hépatique d'halothane a donné lieu en 1989 à la
création du tableau 89 des maladies professionnelles, indemnisant les
hépatites provoquées par l`halothane.
Très récemment, une méta-analyse des 24
études épidémiologiques relatives aux effets de
l'exposition professionnelle à des gaz anesthésiques sur la
reproduction publiées en langue anglaise entre 1971 et 1995 vient
d'être réalisée par le Conseil d'Evaluation des
technologies de la Santé au Québec (Canada). Le risque relatif
global obtenu est de 1,5 et augmente à 1,81 lorsqu'on sélectionne
les 7 études épidémiologiques ayant les cotes de
validité les meilleures. Le risque d'avortement étant d'environ
15% dans la population générale, le risque relatif de 1 ,5
correspond à une augmentation absolue du risque d'avortement chez les
femmes. Le risque relatif a également été estimé
pour certaines professions comme étant plus élevés pour
les assistants dentaires 1,89.
D'après une étude
rétrospectiveréalisée au centre hospitalier de Libreville
du 1er janvier 2003 au 31décembre 2011 en anesthésie
pédiatrique, 2627 patients âgés de 1 jour à 16 ans
ont bénéficié d'une anesthésie dont 69,2 % de
garçons et 30, 8 % de filles. L'anesthésie
générale a été la technique la plus
utilisée : 98,9 % des cas contre 1,1 % des cas
d'anesthésie locorégionale. L'induction de l'anesthésie a
été pratiquée 1858 fois par voie inhalatoire (71,2%) et
751 fois (28,8%) par voie intraveineuse. L'halothane et l'isoflurane ont
été les agents volatils utilisés dans les proportions
respectives de 99,9% et 0,1%.Seul l'halothane a été
utilisé pour l'induction par voie inhalatoire.
Par ailleurs, dans la plupart des pays africains au sud du
Sahara, l'anesthésie est pratiquée dans un contexte de
pénurie : sous-équipement, absence de médicaments,
sous-effectif en personnel qualifié (Essolaet al,2013).
En Afrique, selon le XXVIIème Congrès de la
Société d'Anesthésie-Réanimation d'Afrique Noire
Francophone à Dakar (2008), la pratique de l'anesthésie dans nos
contrées demeure un exercice à haut risque car
émaillée de complications plus ou moins fatales, la faiblesse de
la démographie médicale demeure aussi un déterminant
essentiel de la qualité des soins. Dans le domaine de
l'anesthésie-réanimation, si la démographie connaît
un certain essor, les données sur la formation médicale continue
(FMC) restent insuffisantes tandisque dans les pays développés,
l'anesthésie a connu un développement considérable
notamment par une meilleure formation des anesthésistes, une
amélioration de l'équipement et à l'effort entrepris dans
sa pratique.
Il ressort de ce qui précède que l'exposition
aux agents anesthésiques pourrait être source de complication dans
notre milieu.
En Afrique bien qu'au Cameroun, aucune étude n'a
été faite sur l'exposition aux agents anesthésiques
volatils inhalatoires. Face à cette préoccupation, il nous semble
important de savoir comment prévenir l'exposition aux agents
anesthésiques volatils inhalatoires. Cette interrogation nous a
amené à nous poser la question de recherche suivante.
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