1.2. Dépenses publiques et croissance
endogène : une autre justification de la mobilisation fiscale
En analyse statique, l'efficacité des impôts
dépend de l'ampleur des effets de substitution face aux effets
revenus ; le lien entre le niveau des impôts et la croissance
n'apparaît pas, les auteurs libéraux insistent plus sur les
transferts de revenus entre catégories ou d'agents ou s'évertuent
à mettre en évidence le caractère contre-productif des
impôts (Semedo, 2001).
Cette manière de présenter l'impôt n'est
pas validée dans un système de rendements d'échelle
croissants. En outre, elle ne tient pas compte de l'importance de
l'activité de l'Etat dans le processus de production, surtout en ce qui
concerne le financement d'un ensemble de services productifs y compris le
capital humain, services indispensables au système productif.
L'efficacité de ce type d'intervention de l'Etat est
incluse dans la fonction de production des entreprises sous forme
d'externalités. De ce fait, un impôt sur les entreprises
bénéficiant de telles externalités se comprend, dans la
mesure où cet impôt sert à combler l'écart entre le
coût marginal social et le coût marginal privé. Le capital
humain est un exemple d'application de l'irréversibilité en
investissement, et donc de défaillance du marché.
En effet, les investissements en capital étant par
nature des investissements à long terme, il y a un coût
d'irréversibilité à les entreprendre. Il revient au
secteur public d'investir pour permettre l'accroissement ou le maintien du
stock de capital humain dans les domaines fondamentaux de l'éducation,
de la santé et des assurances sociales lorsque le secteur privé
se révèle une sous-optimalité. La théorie de
croissance endogène avec Romer (1986) met en évidence qu'en
situation d'incertitude irréductible, le stock de croissances doit
être au moins maintenu pour garantir un taux de croissance minimal :
la complémentarité secteur public/secteur privé est aussi
posée. Dans ce modèle, il est introduit dans la fonction de
production à la fois un stock de connaissances privé, et un stock
ayant la nature d'un bien public.
Dans les nouvelles théories, on montre qu'un optimum
décentralisé peut être sous-optimal par rapport à un
optimum centralisé. Si l'entreprise représentative prend des
décisions, elle ne les fait pas indépendamment de son
environnement, et l'impôt est justifié par la mauvaise nouvelle
qui donne un contenu rationnel à l'endogènéisation des
dépenses publiques.
Les nouvelles théories de la croissance sont souvent
présentées comme revalorisant l'influence des dépenses
publiques et plus généralement comme réhabilitant le
rôle économique de l'Etat. Il y a là un basculement
important par rapport aux années soixante-dix et quatre-vingt où
les théories économiques ultralibérales ont inspiré
les politiques économiques. Au cours des années quatre-vingt,
l'analyse dominante a été que la crise était due à
un manque de flexibilité. On s'attendait à ce que l'ajustement
structurel réalisé à travers une libéralisation des
marchés permette une amélioration de l'offre suffisante pour
réduire le chômage et accroître la productivité. Le
discours économique allait dans le sens du « moins
d'Etat ».
Au début des années quatre-vingt-dix, ce
discours s'est pour le moins infléchi. D'une part, une crise
conjoncturelle a sévi en Europe et, avec elle, s'est fait sentir la
nécessité d'une intervention publique (Guellec et Ralle, 2003).
Ainsi la régulation conjoncturelle traditionnelle (politiques
budgétaire et monétaire) a été
réhabilitée. D'une part, la faiblesse criante des infrastructures
publiques a montré que les dépenses publiques sont un facteur
d'offre trop négligé.
Ce second point est justement un des messages importants des
nouvelles théories de la croissance. Il faut cependant se garder de tout
machiavélisme ou de toute naïveté. Ce ne sont pas les
nouvelles théories de la croissance qui ont conduit à une
modification des discours (et parfois des pratiques) de politique
économique. Mais, inversement, les modèles ne sont pas venus
après coup, pour justifier des préoccupations politiques (la
thèse de Romer sur le sujet date de 1983). En fait, il y a eu une
juxtaposition des deux problématiques (théoriques et
politiques).
Cependant, les nouvelles théories de la croissance ne
seront sans doute pas aux politiques économiques de la fin du
siècle ce que la théorie keynésienne a été
à celle des années cinquante et soixante. En effet,
l'hétérogénéité des modèles de
croissance endogène conduit à des conclusions contrastées
quant au rôle économique de l'Etat. Schématiquement, deux
niveaux de l'intervention publique peuvent être décrits :
Ø L'Etat gérant des externalités
et
Ø L'Etat fournisseur de biens publics.
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