Mobilisation des recettes fiscales au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Philémon Parfait ANGO ESSAMA Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies/Master 2 en sciences économiques, spécialité économie publique 2010 |
Section 2 : Les autres déterminants de la mobilisation fiscale au CamerounAprès l'étude des déterminants structurels et de politiques macroéconomiques dans la section précédente, il convient à présent de mettre en exergue les effets des facteurs relatifs à la qualité des institutions sur la mobilisation fiscale, aux stratégies des hommes politiques, aux contraintes sociales et afin à la culture des populations. 2.1. Facteurs institutionnels et prélèvement fiscalLes premiers travaux (Lotz et Morss, 1970 ; Heller, 1975 ; Bahl, 1971) ont souligné le rôle du niveau de développement, du degré de monétisation, de l'ouverture commerciale et de la composition sectorielle dans la détermination du niveau des recettes publiques. Par ailleurs, avec le développement de l'économie institutionnelle, un nouveau facteur est apparu : les institutions. On a ainsi souligné l'existence des comportements de rente, de prédation et de la corruption dans l'administration publique (Hendricks et al.,1999) dont les conséquences peuvent être néfastes pour les économies et en particulier pour les finances publiques(Mauro,1995,1998 ; Morphy, Shleifer et Vishny,1993). En effet, il semble que si la corruption accroît la part des investissements publics, elle réduit leur productivité, puisque les infrastructures construites sont de mauvaise qualité et mal entretenues. Les auteurs ont jugé qu'un niveau de corruption et de fraude fiscale élevé a un impact négatif sur les recettes fiscales. 2.1.1. Corruption, fraude et recettes fiscalesD'un point de vue théorique, il est un lien direct entre la corruption et la fraude fiscal dont l'une des conséquences immédiates est la réduction des recettes publiques. Dans un environnement corrompu, la possibilité de négocier les pots de vin entre les contrôleurs et les contribuables en cas de détection de la fraude, pourrait motiver les contribuables à accroître leur effort de travail. Dans ce cas, la fraude devient moins attractive et décroît. Il en résulte un accroissement des recettes de l'Etat. Bien que cette idée ait eu des implications de politique en incitant les autorités à tolérer un certain niveau de corruption, une telle approche est tout à fait discutable. En effet elle peut accroître le niveau de corruption. Ainsi, Fjeldstad et Tungodden (2003) critiquent les politiques d'incitations basées sur les pots de vin en montrant que même si la corruption peut contribuer à un accroissement des recettes publiques dans le court terme, il est difficilement plausible qu'une telle augmentation soit soutenable dans le long terme. Par ailleurs, dans ce mémoire, nous défendons l'hypothèse selon laquelle la corruption a un effet négatif sur les rentrées fiscales en érodant le civisme fiscal. Sur le plan économétrique, la plupart des résultats montrent que la corruption a un impact négatif sur la mobilisation des recettes publiques. En particulier en Afrique, les pertes de recettes disponibles pour l'Etat sont estimées à près de 50% des recettes collectées (Megersa, 2003). L'étude de Tanzi (1997,1998) aboutit au résultat selon lequel, un accroissement d'un point d'indice de la corruption réduit les recettes fiscales collectées de 2,7% du PIB. 1) Les effets de la fraude Les impôts réduisent les dépenses totales des ménages et des entreprises ( Ghura, 1998 ; Azam, Gauthier et Goyette, 2004). Ils sont aussi à l'origine de distorsions dans l'allocation des ressources économiques. Leurs coûts incitent au développement des phénomènes de fraude de la part des contribuables, la fraude fiscale étant définie comme une dissimulation par un agent économique de la valeur réelle des transactions économiques légales dans le but d'éviter la charge fiscale (Hindricks et al., 1999). De plus, les gouvernements sont souvent incapables de fournir aux populations les services publics de base ou ces biens ne sont pas d'une qualité adéquate. Une réponse naturelle des agents économiques pour sanctionner le comportement de rente et prédateur de l'autorité est de développer des activités informelles qui échappent au bénéfice public. Les contribuables usent de la fraude pour échapper au moins partiellement à leurs obligations fiscales. La fraude a donc pour effet initial un transfert des ressources publiques vers les agents privés (Tanzi et Davoodi, 2000 ; Azam, Gauthier et Goyette, 2004). Elle affecte la distribution de la charge fiscale dans la mesure où l'Etat pour parvenir à un niveau de recettes fiscales donné accroît la « pression fiscale » sur d'autres catégories de contribuables. La fiscalité peut ainsi devenir particulièrement régressive dès lors que certains impôts (impôt foncier) sont souvent mal collectés sur les contribuables les plus favorisés (Tanzi et Davoodi, 2000) et aussi que les pauvres supportent l'essentiel de l'incidence fiscale de la fraude (Hendricks, et al. 1999). Enfin, la fraude peut empêcher l'Etat d'atteindre son objectif de recettes fiscales et être contraint à réduire les dépenses. Si l'arbitrage budgétaire concerne des dépenses bénéficiant aux plus pauvres, la fraude exerce encore un effet régressif. Non seulement, la fraude agit sur le niveau des recettes publiques sur la distribution de la charge fiscale mais elle modifie aussi la structure des recettes fiscales : certaines catégories d'impôts sont plus vulnérables9(*)à la fraude en raison de procédures administratives spécifiques (Tanzi, 1998 ; Tanzi et Davoodi, 2000), de dispositions et réglementations complexes, de pouvoirs discrétionnaires des administrations, de défaillances institutionnelles, etc. La fraude porte donc le risque de rendre l'impôt injuste (Shleifer and Vishny, 1993) et d'en abaisser le rendement budgétaire (Hendricks, Keen et Muthoo, 1999). Dans tout système fiscal, même en l'absence de corruption, en raison des difficultés de supervision et de contrôle, la fraude est inévitable. Cependant, le contribuable encourt le risque d'être sanctionné ; ce qui limitera sa propension à frauder et donc l'impact de la fraude sur les caractéristiques du prélèvement fiscal. 2) Corruption et fraude fiscale Le sens de la causalité entre les deux phénomènes n'est pas aussi évident. La corruption induit-elle la fraude ou la relation est plutôt dans l'autre sens ? Nous adhérons à l'idée selon laquelle la corruption et la fraude fiscale sont deux formes distinctes de malhonnêteté (Hendricks et al., 1999) mais complémentaires. Si la corruption des agents des administrations financières par les contribuables ne constitue pas une condition nécessaire à la fraude, cependant, elle modifie radicalement les effets fiscaux de la fraude. Le contribuable, en recourant à la corruption, peut considérer acquitter une prime d'assurance lui permettant d'échapper à la sanction. Il abaisse fortement la probabilité de sanctions ce qui constitue un facteur favorable au développement de la fraude. Ainsi, la corruption aggrave certainement les effets de la fraude. Cependant, l'effet sur les recettes fiscales peut être complexe. Ainsi, Sanyal, Gang et Gosmani (1998) ont analysé l'effet d'une augmentation du « taux de pression fiscale » dans une administration fiscale corrompue et ont envisagé la possibilité d'une courbe de Laffer dans un tel environnement. Ces auteurs ont montré que, l'augmentation du « taux de pression fiscale » présente deux effets : d'une part, un taux de pression plus élevé offre l'opportunité d'un pot de vin plus grand à négocier avec le contribuable et d'autre part cette augmentation accroît le nombre de fonctionnaires corrompus en affectant le comportement moral et psychologique des fonctionnaires qui étaient honnêtes. D'un autre côté, les contribuables réagissent à l'accroissement du taux de pression fiscale en altérant le montant de revenu déclaré, une fois tenu compte de stratégies à des taux d'imposition croissants. * 9 Par exemple, les patentes recouvertes sur les petites activités offrent l'occasion de détournements importants relativement au montant de l'impôt tandis que la TVA n'offre pas des possibilités identiques en raison du faible nombre de collecteurs et de procédures de contrôle. De même, la corruption est favorisée par des procédures impliquant des contacts fréquents entre les agents des administrations financières et les contribuables alors qu'au contraire des procédures informatisées de télétransmission avec virements offrent plus de garanties. |
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