Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.( Télécharger le fichier original )par Emmanuel BRILLET Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007 |
III. Une destinée pré-tracée : le massacre des harkis par le FLN, un crime de froide logique révolutionnaireLa figuration comme « traîtres » et le ciblage systématique des musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre d'Algérie, puis le sort "exemplaire" réservé à nombre d'entre eux après l'indépendance, sont des composantes essentielles de l'histogenèse du nouvel Etat algérien. Conformément à la visée hégémonique du FLN dans la société algérienne, la fondation du nouvel ordre politique participe d'abord et avant tout d'une politique de la table rase", entièrement tendue vers ce « monde tout artificiel, placé en avant du présent » décrit par Georges Sorel660(*), et qui appelle l'élimination sur le territoire comme dans l'imaginaire de tout ce qui ne trouve pas sa place dans le récit de la "Révolution" : au mythe nationaliste d'une Algérie exclusivement arabe et musulmane (« Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes ! »661(*)) s'ajoute celui - césariste - de l'unanimité des masses derrière le FLN (« Un seul héros, le Peuple ! »). La recomposition par le vide de l'Algérie nouvelle exigeait donc - outre le départ des Européens et des autochtones de confession juive - que les musulmans francophiles et les nationalistes dissidents soient assimilés non à des opposants mais à des « traîtres » ; non à une des multiples facettes du « Nous » mais à "l'ennemi intérieur" à la solde de l'étranger. Compte tenu de cette visée hégémonique, le massacre des harkis à l'issue de la guerre d'Algérie - précédé du ciblage systématique des civils musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre (jusque et y compris, donc, les nationalistes dissidents) - est un crime "logique". Loin d'être un événement contingent ou irrationnel, le massacre des harkis est consubstantiel de la stratégie du FLN dans et par-delà la guerre : d'une logique de front unique à une logique de parti unique, le FLN n'entendait pas simplement assumer un rôle de « libérateur » mais aussi et surtout un rôle de « guide » dans la société algérienne, sur le modèle des partis-Etats alors en vogue dans les régimes du tiers-monde. Déjà, la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956, qui dépeint le FLN « comme guide unique de la Révolution Algérienne », exige que le FLN soit reconnu « comme seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation », et stipule que « les conditions sur le cessez-le-feu étant remplies, l'interlocuteur valable et exclusif pour l'Algérie demeure[ra] le FLN »662(*). Cette même plate-forme précise d'ailleurs que « toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement, élections, etc.) ». Dans ce droit fil, la Constitution du 10 septembre 1963 - la première de l'Algérie post-coloniale - énonce que le FLN est le « parti unique d'avant-garde en Algérie » (article 23) et qu'il : « - Mobilise, encadre et éduque les masses populaires pour la réalisation du socialisme ; - Perçoit et reflète les aspirations des masses par un contact permanent avec celles-ci ; - Elabore, définit la politique de la nation et en contrôle l'exécution; - Est composé, animé et dirigé par les éléments révolutionnaire les plus conscients et les plus actifs ; - Base son organisation et ses structures sur le principe du centralisme démocratique. » (Préambule)663(*). Qu'on ne s'y trompe pas : ni le principe de l'unité d'action dans la guerre d'indépendance, ni l'impératif de formation de l'esprit national (qui, l'un et l'autre, peuvent revêtir des modalités multiples, plus ou moins consensuelles) n'impliquent par essence qu'une fraction de la société, se posant en dépositaire exclusif de l'esprit et de la légitimité nationale, impose en retour son hégémonie sur le reste de la société. Nulle fatalité liée au processus de décolonisation donc, mais une logique d'action particulière, visée et entreprise par une organisation donnée, qu'il s'agit précisément de mettre au jour pour comprendre ce en quoi et ce pourquoi la figuration politique du harki comme « traître » est, par excellence, un artefact politique. Un artefact dont les conséquences, bien réelles elles, furent ce que l'on sait. En ce sens, il nous faudra considérer le ciblage systématique des populations civiles non inféodées au FLN pendant la guerre, puis l'éradication des musulmans pro-français après la guerre, comme liés non seulement à une certaine manière de conduire la guerre et de la conclure, mais aussi - et surtout - à « un processus de fabrique de pouvoir »664(*). Jacques Sémelin, se référant à Charles Tilly : « On a ici en tête la relation entre war making et state making qui peut être complétée par celle de crime making »665(*). « Oser massacrer des civils, écrit Jacques Sémelin, c'est recourir à une méthode de lutte extrême, soit pour se saisir du pouvoir, soit pour le conserver. Tout se passe comme si celui qui se montre le plus résolu à donner la mort, y compris contre des civils, conquiert du même coup l'ascendant nécessaire à exercer sa propre autorité sur les survivants »666(*). Et l'auteur d'ajouter : « De ce point de vue, l'action de massacrer n'est pas l'expression d'un pouvoir qui se sent fort mais qui aspire à le devenir. Massacrer ne serait pas en ce sens l'expression d'une position de force mais plutôt de faiblesse, qu'il s'agit précisément de subsumer par le recours au massacre »667(*). Aussi, plutôt que de considérer le massacre des harkis comme un moment d'hystérie collective ou un « trou noir », au sens d'un événement vide de sens échappant à toute rationalité668(*), il nous faudra montrer que, loin de constituer une rupture de sens dans l'histoire de la guerre d'Algérie et de l'accession à l'indépendance de ce pays, il est au contraire paradigmatique des voies et moyens du FLN dans et par-delà la guerre : moment fondateur de l'Etat-FLN, il est « la voie par laquelle un pouvoir impose sa transcendance sur les individus en s'arrogeant le droit de tuer en masse un segment de cette société »669(*). Au fond, le massacre des harkis est à l'articulation d'une certaine manière de conduire la guerre (via notamment une stratégie d'implication forcée des populations civiles et l'application corrélative d'une politique de terreur à l'encontre des récalcitrants et des "tièdes") et d'une certaine manière de concevoir le politique (visée hégémonique dans la société algérienne, d'une logique de front unique à une logique de parti unique) : à la fois résultante et moment fondateur, donc. Aussi ne s'agira-t-il pas de faire l'étude de ce massacre en tant qu'évènement ponctuel mais, à la manière de Jacques Sémelin, « de prendre en compte le phénomène plus large qui le précède et l'accompagne »670(*), à savoir : - « l'ensemble d'actes souvent d'une extrême violence qui précèdent et/ou accompagnent les massacres proprement dits »671(*) : en l'occurrence, la politique de terreur pratiquée par le FLN à l'encontre des populations civiles européennes et, surtout, musulmanes entre 1954 et 1962 ; - « la formation d'un imaginaire de destruction comme opérateur collectif du crime de masse » 672(*), dont participe notamment la construction d'une figure de l'ennemi intérieur. L'insurrection du 1er novembre 1954, décidée par les membres les plus résolus de la branche armée clandestine du Parti populaire algérien (PPA)/Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), était moins le fruit d'une réflexion prospective sur les principes qui devaient guider l'édification d'une Algérie nouvelle673(*), que l'expression de l'impatience des éléments les plus radicaux à engager la destruction de l'ordre établi : le vrai dénominateur commun résidait donc dans la réfutation du réformisme et la promotion de la lutte armée674(*). Mohamed Boudiaf, interrogé par Yves Courrière quelques années après l'indépendance, ne dit pas autre chose : « A la veille de l'insurrection, nous n'avions pas une conception précise de ce que devrait être le programme de la révolution algérienne. Le mot révolution désignait surtout la façon dont nous entendions conquérir l'indépendance contre l'appareil colonial, d'une part, par la violence, contre les méthodes réformistes et bureaucratiques du mouvement nationaliste, de l'autre, en faisant éclater les vieilles structures de ce mouvement »675(*). Cet accord a minima sur l'emploi de la violence, décidé par une faction minoritaire de la mouvance nationaliste, n'est pas sans faire peser de lourdes hypothèques sur le processus ainsi enclenché : sans claire vision de l'avenir, l'entreprise insurrectionnelle n'encourrait-elle pas le risque d'être prisonnière des moyens au détriment des fins ? Ce risque - qui était en même temps une opportunité pour les éléments les moins "politiques" du PPA - a été semble-t-il parfaitement assumé, voire revendiqué par ses promoteurs676(*). D'ailleurs, la proclamation du 1er novembre 1954, outre l'objectif de l'indépendance (qui, à ce stade, reste cependant une "coquille vide" en l'absence de programme de gouvernement), fixe avant tout des objectifs négatifs aux insurgés, à savoir : 1) « l'anéantissement [au sein de la mouvance nationaliste] de tous les vestiges de corruption et de réformisme cause de notre régression actuelle » ; 2) « la liquidation du système colonial »677(*). Le premier objectif situe l'entreprise insurrectionnelle dans une logique de front unique et affirme son caractère hégémonique. L'emploi d'un vocabulaire hygiéniste - il est notamment question d'« assainissement politique par la remise du Mouvement National Révolutionnaire dans sa véritable voie » - et la manipulation des catégories du "pur" et de "l'impur" - il est encore question de l'« anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme » - signifient bien cette volonté de plier la mouvance nationaliste, jusque là diverse dans ses modalités d'expression et dans ses mots d'ordre, à une stricte discipline révolutionnaire : ce n'est plus la chose politique qui gouverne la destinée de la mouvance nationaliste, mais le fait accompli de l'insurrection et de sa répression. « Notre désir, peut-on lire en amorce de la proclamation, est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l'impérialisme et ses agents : administratifs et autres politicailleurs véreux »678(*). La chose politique, en tant qu'elle n'est pas formatée par et pour l'insurrection, est présentée comme une impureté, qui corrompt les esprits et les volontés. Les instructions données - depuis Le Caire - par Ben Bella en 1955 traduisent bien cette hantise d'une solution négociée, qualifiée alors - non sans mépris - de « bourguibiste » : « Les démocrates français parlent beaucoup de la solution tunisienne en Algérie. On avance même la question des interlocuteurs valables. On pense à Abbas et surtout à Messali pour jouer le rôle de Bourguiba (...). La vigilance des combattants tuera dans l'oeuf le bourguibisme en Algérie »679(*). Dans ses mémoires inédits, commentés par Gilbert Meynier680(*), Lakhdar Ben Tobbal (qui fut l'un des commanditaires de l'assassinat d'Abane Ramdane) marque clairement cette primauté des moyens, en même temps qu'un certain mépris pour la chose politique : « [La discipline] était de fer (...) car nous avions devant nous une organisation solide, et puis, en plus, c'était une guerre. En temps de guerre, il ne peut y avoir de place pour la parlotte ou pour le blablabla » (Ben Tobbal, p.267)681(*). Le Parti communiste algérien (PCA), qui proposa une alliance politique au FLN peu après le déclenchement de l'insurrection, ne put obtenir « la transformation du Front en un rassemblement pluraliste associant plusieurs partis sur la base d'un programme commun »682(*). Le FLN n'accepta d'intégrer des militants communistes qu'à titre individuel et exigea du PCA qu'il s'auto-dissolve. Mieux, les quelques maquis communistes qui refusèrent de se fondre dans l'ALN furent combattus et détruits par cette dernière683(*). Le FLN intervint plus violemment encore contre le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, leader historique de la mouvance nationaliste, qui avait refusé de prêter allégeance au FLN. Les affrontements furent d'ailleurs comparativement plus violents (et continus) en France métropolitaine, au sein de la communauté immigrée, où Messali Hadj bénéficiait d'une forte audience684(*). La tragédie de Melouza, cependant, témoigne de ce que la lutte pour la suprématie entreprise par le FLN fut également sans merci en Algérie685(*). Jusqu'au bout, le FLN refusera de donner suite aux appels à la trêve lancés par le MNA, comme il refusera obstinément de s'associer au projet de Conférence de la Table ronde « sans préalable ni exclusive » prônée par Messali Hadj pour trouver une « solution démocratique » au conflit algérien686(*). De fait, donner suite à l'une ou l'autre de ces propositions aurait impliqué pour le FLN de reconnaître le MNA comme un interlocuteur légitime, ce qui allait à l'encontre de sa prétention hégémonique. Guy Pervillé estime à près de 10.000 tués et 23.000 blessés le bilan total de la guerre intestine au sein de la mouvance nationaliste algérienne entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962. Maurice Faivre avance pour sa part le chiffre d'environ 14.000 tués687(*). En outre, après que les autorités françaises, en mars 1962, eurent accédé, de fait, à la prétention du FLN de représenter par exclusive les intérêts du peuple algérien (le MNA ayant été tenu à l'écart du processus de négociation d'Evian), « le GPRA prit des mesures immédiates visant à éradiquer le MNA : arrestation et détention secrète de tous ses militants, à moins qu'ils acceptent de renier leur parti et d'adhérer au FLN »688(*). Certes, à partir de juin 1955, et non sans hésitation, d'autres leaders des anciennes formations nationalistes - au premier rang desquels Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda - acceptèrent de rejoindre le Front et de dissoudre leurs organisations, mais « [ils] restèrent spécialisés dans des fonctions de représentation, de propagande ou de gestion »689(*). Guy Pervillé d'ajouter : « Le véritable pouvoir de décision et de contrainte appartint toujours aux «activistes» issus du groupe des 22 fondateurs, chefs politico-militaires du FLN-ALN ». Cette stratégie de front unique (et hégémonique) n'était pas simplement conjoncturelle. Plus qu'un principe de guerre, elle allait valoir principe de gouvernement puisque, dès janvier 1960, et conformément à la voie tracée par la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 (voir ci-dessus), les statuts du FLN adoptés par le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) stipulèrent que l'organisation était appelée à « poursuivre après l'indépendance du pays sa mission historique de guide et d'organisateur de la Nation algérienne »690(*). Il était même fait explicitement référence au modèle léniniste du « centralisme démocratique » dans l'article 7 des statuts691(*). Le second objectif consigné dans la proclamation du 1er novembre 1954 - à savoir « la liquidation du système colonial » - témoigne de la primauté de la geste insurrectionnelle sur toutes les justifications qui pourraient l'encadrer. Conquérir l'indépendance, c'est d'abord et avant tout faire table rase du passé : « La doctrine est simple. Le but à atteindre c'est l'indépendance nationale. Le moyen, c'est la révolution par la destruction du régime colonialiste »692(*). Guy Pervillé note ainsi que le mot « révolution », plutôt que de définir un contenu programmatique précis, « qualifiait des principes et des pratiques faisant de l'efficacité le seul critère du choix des moyens, à l'opposé du réformisme et du légalisme »693(*). Dans ses mémoires inédits, Lakhdar Ben Tobbal précise : « Si vous êtes prêts à tuer et à sacrifier votre vie, le programme existe » (Ben Tobbal, p.30)694(*). La logique de front unique avaient vocation à assurer cette unité d'action qui, dès l'entame de l'insurrection, conférera au FLN une redoutable efficacité opérationnelle, d'abord sur le plan "militaire" puis, par la force des choses, sur le plan diplomatique. Par contraste avec cette unité d'action, les principes programmatiques, insuffisamment élaborés et étroitement subordonnés à l'impératif d'efficacité opérationnelle, apparaissaient écartelés entre un discours "progressiste" (i.e. socialiste) et un discours "identitaire" (i.e. islamo-nationaliste) : le discours de la révolution sociale, conforme à l'air du temps, le disputait à celui de la restauration des principes islamiques, dans un confusionnisme qui ira grandissant à mesure que l'on approchera du dénouement du conflit695(*). Ainsi, pour Guy Pervillé, « le programme du FLN apparaissait au départ comme un compromis éclectique entre les «principes islamiques» mal définis hérités de la tradition précoloniale, et les idéaux révolutionnaires, démocratiques et laïques, empruntés à l'enseignement républicain français et au mouvement communiste international »696(*). De même, Mohammed Harbi, qui fut un acteur de cette période (avec des sympathies marxistes affichées), reconnaît rétrospectivement que « le courant populiste amalgamait des systèmes symboliques et des langages idéologiques hétéroclites sans se soucier de leurs contradictions ». Et il ajoute : « Le populisme, hégémonique au sein du FLN, lorsque celui-ci accéda au pouvoir en 1962, fut marqué d'une faiblesse congénitale résultant de la combinaison, en son sein, d'un projet volontariste d'administration autoritaire du pays et, sous le mythe d'une «authenticité» à retrouver, d'un projet de restauration culturelle »697(*). Ahmed Ben Bella, premier président de la république algérienne, lui-même écartelé entre le dogme de la restauration du caractère arabo-islamique de l'Algérie698(*) et la mystique de l'autogestion socialiste, symbolisera à lui seul ce confusionnisme programmatique. Cependant, pour hétérogènes qu'ils soient au niveau idéologique, ces discours avaient en commun d'être en pratique des discours de l'exclusive, promouvant l'usage de la violence à des fins messianiques : messianisme révolutionnaire et messianisme religieux ont en commun d'être pareillement rétifs à toute forme de compromis avec l'adversaire, que celui-ci fût combattu comme « oppresseur » ou comme « infidèle »699(*). Sur le court terme, donc, ce confusionnisme idéologique servait la poursuite des objectifs dits "négatifs" (ou "destructeurs" de l'ordre établi) précédemment évoqués ainsi que l'usage des moyens les plus radicaux pour ce faire. A. L'invocation autoritaire de l'Un ou la prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la représentation des aspirations de la population algérienneNous l'avons vu, le FLN revendiquait non seulement des pouvoirs fondateurs (la fondation d'un Etat-nation indépendant en rupture complète avec le passé colonial), mais aussi des pouvoirs hégémoniques (l'établissement d'un régime de parti unique fondé sur le principe du centralisme démocratique). Cette visée hégémonique de l'entreprise frontiste impliquait la « reconnaissance du FLN comme seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation »700(*). Et donc l'obligation pour les anciennes formations nationalistes de s'auto-dissoudre sous peine d'être éliminées par la force. Cette prétention au monopole de la représentation du peuple algérien était redoublée, sur le plan rhétorique, par le postulat de l'unanimité des masses musulmanes derrière le FLN. Lequel - corrélativement - impliquait que les musulmans non inféodés au FLN - et particulièrement les harkis - fussent désignés non comme des opposants mais comme des « traîtres », non comme une autre facette du « Nous » mais comme une figure de l'ennemi intérieur. Ainsi, dans le contexte de la décolonisation et de l'instauration d'un régime de parti unique, les liens entre fiction et fondation apparaissent clairement : l'élaboration imaginaire de l'Un ne va pas sans la désignation fantasmatique de l'Autre, radicalement "extériorisable" donc "tuable". A cet égard, donc, la figuration du harki comme "traître" est le symétrique - et le complément indispensable - du mythe du « Peuple-Un », unanime et unanimement groupé derrière le FLN. Or, ainsi que le signale Jacques Sémelin, de telles représentations anthropomorphiques du politique agissent potentiellement comme opérateurs de crime collectif « en ce sens qu'elles réifient, nivellent les caractéristiques personnelles des individus visés au profit d'un seul trait de nature politique, raciale, ethnique, etc. » : perçus à travers un ensemble compact, ceux-ci sont littéralement "massifiés", pour ne plus constituer qu'une seule et même cible. C'est précisément de cette figuration/essentialisation du harki comme ennemi intérieur qu'il nous faut maintenant traiter. - 1. Le « traître imaginé » ou l'effacement de la frontière entre opposition et subversionLe FLN se définissait non comme une entreprise politique soucieuse de concourir avec d'autres pour recueillir des suffrages, mais bien comme le « guide de la Nation » dans son entier701(*) : un parti plébiscitaire, en somme. Dans cette logique, l'obligation faite aux formations nationalistes rivales de s'auto-dissoudre était redoublée par l'obligation faite aux masses musulmanes d'apporter leur concours à la « Révolution » ou, tout au moins, de se conformer à ses mots d'ordre : « Le Front de Libération Nationale est ton Front, sa victoire est la tienne (...). Ton devoir impérieux est de soutenir tes frères combattants par tous les moyens (...). Donc, sans perdre une minute, organise ton action aux côtés des forces de libération à qui tu dois porter aide, secours et protection en tous lieux et en tous moments. En les servant tu sers la cause. Se désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l'action est une trahison »702(*). Ainsi l'organisation alla-t-elle jusqu'à criminaliser l'attentisme ou la neutralité affichée des populations civiles musulmanes. Et a fortiori s'agissant de l'engagement dans les rangs adverses, engagement qualifié sans surprise de « trahison » puisque le FLN se voulait le dépositaire exclusif des aspirations des populations musulmanes. À cet égard, le journaliste Jean Daniel, pourtant convaincu de la nécessité de l'accession à l'indépendance de l'Algérie (fût-ce au prix d'une domination du FLN), n'en dressa pas moins un constat sévère : « Les premiers maquisards de novembre 1954 ont fait ce rêve insensé de livrer d'abord une guerre civile, pour transformer tous les Algériens en étrangers à l'intérieur d'un territoire francisé. Cela ne pouvait se faire que dans le sang, par la terreur, le sectarisme, l'intimidation religieuse. Il fallait transformer en traîtres tous ceux qui n'étaient pas pour l'indépendance ou qui n'y songeaient pas (...). Il fallait inventer le concept de trahison et faire de tous les incertains et de tous les tièdes, comme de tous les passifs, des renégats, des apostats et des collaborateurs » (20 novembre 1962)703(*). De fait, l'engagement des populations civiles musulmanes aux côtés du FLN n'était pas simplement optatif mais impératif. Aussi n'était-ce pas à l'organisation de convaincre les populations du bien-fondé de son entreprise, mais aux populations de convaincre le FLN de l'effectivité de leur contribution à l'insurrection. La culpabilité, voire la « dette », étaient a priori du côté des populations : « Algériens ! venez en masse renforcer les rangs du «FLN». Sortez de votre réserve et de votre silence (...). Ainsi, vous vous acquitterez envers votre conscience et votre pays d'une lourde dette »704(*). Fort du postulat de la coïncidence des vues entre les visées de l'organisation et l'intérêt national, le Front, inversant la source de la légitimité, avait aussi renversé la charge de la preuve. Et Guy Pervillé d'écrire : « Les libérateurs se préparaient à juger chacun des membres du peuple algérien au lieu de se laisser juger par lui »705(*). A cet égard, Sylvie Thénault souligne que, pendant la guerre, « l'appareil judiciaire est conçu au sein du FLN comme le moyen de propager la Révolution et de sanctionner ceux qui n'y prêteraient pas main forte ». « Cette logique, ajoute-t-elle, implique d'ailleurs la mise sous tutelle politique des structures judiciaires créées ». Et de citer des procès-verbaux de tribunaux de la wilaya III prononçant des peines de mort contre des civils qui disent - dans leur diversité et leur "extensivité" mêmes - ce que fut le contrôle implacable du FLN sur la composante musulmane de la population algérienne, aux fins de prévenir tout "déviationnisme". L'aperçu non exhaustif des motifs invoqués pour motiver la condamnation à mort est édifiant à cet égard : « a pris les armes contre l'ALN et accusé d'avoir collecté des impôts », « dénonciation », « engagé au MNA », mais encore « a payé ses impôts », « a assassiné sa femme sans motif » (sic) ou « elle a participer (sic) au viol volontaire (sic) avec le djoundi ». Sylvie Thénault précise à cet égard que « les relations sexuelles hors mariage sont qualifiées de viols avec consentement ou volontaire » et que « les affaires de ce type sont relativement nombreuses »706(*). Ceci pose d'ailleurs la question du statut des femmes dans la « Révolution » algérienne, et souligne un décalage manifeste avec une vision progressiste de l'insurrection, vision artificiellement projetée de l'extérieur par certains soutiens français au FLN. Cependant, en dépit des menaces, des millions de musulmans demeurèrent prudemment attentistes, donnant des gages à chacune des deux parties (et ce au moins jusqu'à ce que, au cours de l'année 1960, l'inflexion de la politique du général de Gaulle devienne évidente707(*)), tandis que des centaines de milliers d'autres prenaient une part active à l'administration ou à la défense de l'Algérie française. Bien que niée par les autorités algériennes depuis 1962, cette réalité ambivalente fut pourtant largement anticipée et constatée par les stratèges du FLN qui, dès l'entame de l'insurrection, ciblèrent systématiquement ceux - musulmans pro-français et nationalistes "dissidents" - qui refusaient de sacrifier à l'autorité exclusive de cette organisation708(*). L'objectif était d'édifier les populations civiles musulmanes sur ce qu'il leur en coûterait de déroger à l'autorité exclusive du FLN et, plus encore, de se "compromettre" avec les autorités en place. Littéralement : une politique de la terreur. « En principe, écrit Mohammed Harbi, la terreur est un instrument de défense révolutionnaire contre les collaborateurs, pour raffermir la discipline nationale. En fait, elle touche indistinctement tous les milieux »709(*). Du reste, le ton tout à la fois paternaliste (« Le Front de Libération Nationale est ton Front ») et menaçant (« Se désintéresser de la lutte est un crime ») des deux premiers appels du FLN atteste, par son ambivalence, du décalage entre la rhétorique unanimiste du Front et la réalité autrement plus labile des aspirations des populations civiles musulmanes. « Le fait est, écrit Guy Pervillé, que le FLN dut mener une guerre sur deux fronts : contre la France pour lui imposer le droit de l'Algérie à l'indépendance, et contre plusieurs catégories d'Algériens qui refusaient d'admettre sa légitimité »710(*). Le bilan des victimes civiles du terrorisme du FLN - ventilé par communauté de rattachement - témoigne de cette réalité ambivalente. Ainsi, le décompte officiel établi à la suite de la conclusion des accords d'Évian fait état de 29.674 civils musulmans tués ou disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 en raison des agissements du FLN, pour 3.163 européens (auxquels s'ajoutent 13.610 civils musulmans blessés et 7.541 européens). Le ratio des tués et disparus - 1 civil européen pour 9 civils musulmans - équivaut donc très exactement à l'importance démographique relative des deux communautés dans la population algérienne. Encore ce bilan est-il exclusif des dizaines de milliers de musulmans victimes des représailles de l'après-19 mars 1962711(*). Guy Pervillé : « Le FLN a tué beaucoup plus d'Algériens «traîtres» à sa cause que d'ennemis «colonialistes» étrangers ; et les cruelles représailles qui se sont déchaînées après l'indépendance n'ont fait que rendre le constat plus éclatant. Ce bilan de guerre civile - inavouée comme telle - interdit de parler d'un soulèvement national unanime »712(*). Cette politique de la terreur fut fondée sur l'effacement de la frontière entre "opposition" et "subversion" : dès l'origine, toute marque d'opposition au FLN fut conçue comme un indice de subversion puisque le FLN se voulait l'émanation exclusive du "Peuple". Cette fiction de l'identité, de l'unanimité du "Peuple" derrière le FLN n'était pas seulement due aux circonstances de la guerre. Son inspiration devait au moins autant à la volonté de préempter l'après-guerre qu'à la nécessité de mobiliser les populations en temps de guerre. L'instauration du parti unique après-guerre avait d'ailleurs été décidée pendant la guerre, témoignant de ce que l'entreprise de « libération » du Peuple algérien était conçue, simultanément, comme une entreprise hégémonique au profit de son « avant-garde ». Omar Carlier souligne à cet égard que « le point commun entre tous ces hommes résidait dans l'accord sur la nécessité de l'action armée, pour en finir avec le colonialisme et construire une Algérie nouvelle. La majorité adhérait à l'idée en marche de tiers-mondisme et de non-alignement. Certains, toutefois, étaient déjà sensibles à des influences de droite, voire d'extrême droite ». Et il ajoute : « En 1954, beaucoup sont fascinés par les grands leaders du Tiers-monde, mais aussi par les modèles autoritaires, et les personnages d'hommes forts ou de dictateurs, sans se réclamer pour autant d'une idéologie précise, phalangiste, national-socialiste, ou marxiste-léniniste. Ils ne croient pas, pour certains ils ne croient plus, au modèle démocratique, en tout cas pour l'Algérie, et voient volontiers leur pays sous la férule d'un despote éclairé »713(*). Et, conformément à une logique centripète d'exercice de la terreur inhérente à toute force politique se posant comme hégémonique, ladite terreur fut exercée tant à l'encontre des éléments « traîtres » extérieurs à la mouvance nationaliste qu'au sein même de cette mouvance.
- Au sein de la mouvance nationaliste Historiquement, la mouvance nationaliste s'est affirmée dans la pluralité : pluralité des opinions exprimées, pluralité des suffrages recueillis714(*). Outre les partisans sincères de l'intégration dans un cadre français et ceux, plus intéressés, qui usaient de leur strapontin comme d'une prébende (les fameux "béni-oui-oui"), le mouvement nationaliste lui-même était partagé entre plusieurs courants et familles de pensée, depuis l'UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien) de Ferhat Abbas, « parti appelant les deux populations de l'Algérie à collaborer dans une République algérienne fédérée à la République française »715(*), jusqu'au PPA-MTLD de Messali Hadj (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques)716(*). Le PPA-MTLD était lui-même une mouvance composite, depuis les « centralistes », partisans d'une position légaliste (certains étaient même de proches collaborateurs du maire libéral d'Alger, Jacques Chevalier), jusqu'aux activistes de l'OS (Organisation spéciale, l'aile armée clandestine du PPA-MTLD, dirigée notamment par Hocine Aït Ahmed, et qui servira de vivier au Comité révolutionnaire d'unité et d'action/Front de libération nationale), en passant par les « messalistes » proprement dits (dans une perspective plus populiste, axée sur la figure charismatique de Messali). Sans oublier l'Association des Oulémas (« qui visait à défendre la personnalité algérienne contre l'assimilation, suivant le slogan : «L'Islam est ma religion, l'arabe est ma langue, l'Algérie est ma patrie» »717(*), sans pour autant prôner la lutte armée) ou le Parti communiste algérien (PCA) qui, en 1954, « comptait une majorité de membres musulmans »718(*). A l'inverse, à compter du 1er novembre 1954, le FLN, dans sa quête totalisante et violente, se posera en apôtre unique du sentiment national (notamment contre le MNA), en promoteur unique de la justice sociale (notamment contre le PCA) et en garant unique de l'orthodoxie confessionnelle (notamment contre les ulémas). Toute dissension sera assimilée à une trahison et combattue comme telle. François Gèze souligne à cet égard « le rôle majeur qu'a joué très tôt au coeur même du combat de libération la culture paranoïaque des services de renseignement et de contre-espionnage du FLN (le MALG, ministère de l'Armement et des Liaisons générales), établi à Tripoli en Libye » sous l'autorité d'Abdelhafid Boussouf (principal commanditaire de l'assassinat d'Abane Ramdane), et « dont les actions étaient bien sûr dirigées contre l'armée française, mais qui assurait aussi une fonction de contrôle et de vigilance intérieure contre les combattants algériens eux-mêmes ». « Les hommes de Boussouf, ajoute François Gèze, avaient été formés par le KGB à Moscou, au sein de la fameuse promotion «Tapis rouge» »719(*). Selon Ould Kablia, président de l'Association des anciens du MALG, « le MALG disposait de 1.400 agents, 1.500 collaborateurs avec un budget équivalent au quart du budget du GPRA »720(*). - Au sein de la composante musulmane dans son ensemble Nous l'avons vu, la simple indécision est assimilée à une trahison par le FLN, qui proclame dès novembre 1954 que « se désintéresser de la lutte est un crime ». A fortiori, la démarche qui consiste à s'affranchir ouvertement des cadres de la communauté politique imaginée par le FLN - surtout s'il s'agit de la combattre par les armes comme l'ont fait les harkis - représente un point d'extrême hostilité. Krim Belkacem assigne les « traîtres notoires » comme objectif prioritaire aux commandos qui lancent l'insurrection le 1er novembre 1954721(*). Le commando Chihani (du nom d'un des premiers dirigeants de la Wilaya I, dans les Aurès, qui sera par la suite victime d'une purge interne) reçoit comme consigne de « tuer les musulmans dont on connaît les sympathies pro-françaises après les avoir sondés sur leurs opinions »722(*). « Chaque patriote se fera un devoir d'abattre son traître », proclamait en décembre 1955 un tract du chef politique d'Alger Abane Ramdane723(*). Parvenue à ce point, souligne John Crowley, « la guerre contre l'ennemi intérieur se nie comme telle, pour se penser comme opération d'extermination «hygiénique» »724(*). Ainsi en sera-t-il, également, après-guerre, au moment d' « épurer » l'Algérie de ceux que les nouveaux maîtres de ce pays ont pu considéré être des "scories" de l'ancien régime725(*). * 660 Georges Sorel [1907], Réflexions sur la violence, Paris, Seuil, 1990, p.43-44. * 661 Déclaration publique d'Ahmed Ben Bella à son arrivée à l'aéroport de Tunis en provenance du Caire, peu après la conclusion des accords d'Évian. * 662 Texte consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/soummam.htm. * 663 Texte consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm. * 664 Jacques Sémelin, « Remarques introductives sur la notion de crime de masse », texte présenté lors de la réunion du 8 février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2. * 665 Ibidem. * 666 Jacques Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.7. * 667 Jacques Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.7. * 668 Pour une approche transdisciplinaire et comparative des imaginaires de la destruction et de la rationalité stratégique des massacres, voir Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005. * 669 Jacques Sémelin, « Remarques introductives sur la notion de crime de masse », texte présenté lors de la réunion du 8 février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2. * 670 Ibid, p.1. * 671 Ibid, p.2. * 672 Ibidem. * 673 A cet égard, les textes fondateurs du FLN en tant que parti-Etat (à l'indépendance, donc) sont des plus explicites, même s'il faut aussi y voir la marque des luttes d'influence conduites par "ceux de l'armée des frontières" (groupés autour de Boumediene) à l'encontre des "chefs historiques". Voici ce que dit la Charte d'Alger, adoptée à l'issue du 1er Congrès du parti du Front de Libération Nationale (du 16 au 21 avril 1964) : « Le passage à la lutte armée a été déterminé par l'impasse que connaissait l'ensemble du Mouvement de Libération nationale. L'impréparation dans tous les domaines ne permettait pas d'envisager la guerre de libération nationale dans toutes ses implications. C'est ainsi que la question fondamentale de l'exploitation de la victoire et de l'organisation sociale de l'Algérie indépendante dont dépendaient le style de guerre, les alliances et la nature de la direction, n'a pas été clairement posée au départ ». C'est nous qui soulignons. Texte complet consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm. * 674 « Une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d'elle la majorité des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l'impasse où l'ont acculé les luttes de personnes et d'influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire » (Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm). * 675 Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.171. * 676 Le « principe de la révolution armée illimitée jusqu'à l'indépendance » a été entériné à l'unanimité des 22 chefs historiques le 25 juillet 1954, un peu plus de trois mois avant le déclenchement de l'insurrection (cf. Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.161). « Nous tenons à cet effet à préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l'intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et prestige, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et aveugle, qui s'est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de lutte pacifique » (Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm). * 677 Proclamation reproduite in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.124. C'est nous qui soulignons. * 678 Proclamation du 1er novembre 1954 ; Source : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm. * 679 Instructions retrouvées dans les archives de Chihani Bachir, chef de la zone Sud-Constantinois, et citées par Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris, Editions de l'Alma, 1962, p.182. * 680 Gilbert Meynier, « Idéologie et culture politique de la Révolution algérienne : les mémoires inédits de Lakhdar Ben Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997. * 681 Ibid, p.275. * 682 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.133. * 683 Voir notamment Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.294 à 299 et p.376. * 684 La lutte entre le FLN et le MNA a occasionné la plupart des 4'055 tués et près de 9'000 blessés officiellement décomptés au sein de la communauté algérienne de métropole entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 ; cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242. * 685 En une seule nuit, à Melouza, plus de trois cent villageois réputés gagnés à l'influence du MNA furent massacrés par le FLN. Par la suite, le FLN tenta de faire porter la responsabilité de ce massacre à l'armée française. Guy Pervillé estime à environ 6000 tués et 4000 blessés le bilan de l'affrontement fratricide entre nationalistes algériens en Algérie même (cf. Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242). Le commanditaire de ce massacre, Mohammedi Saïd, qui, à l'indépendance, deviendra vice-président du Conseil sous Ben Bella puis membre du Conseil de la Révolution sous Boumediene, « a fait son temps de service en Allemagne nazie et raconte qu'il a fait partie de la légion de l'émir Amin Hossini, grand mufti de Jérusalem, qui a créé les SS arabes. Ensuite, Mohammedi Saïd est entré dans l'Abwehr, les services secrets allemands, et a été parachuté en Tunisie où il a été arrêté à la fin de la guerre par les Forces françaises » (cf. Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.220 ; sur le massacre de Melouza, voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - III : L'Heure des Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970, p.58-59). * 686 A ce sujet, voir notamment les travaux du Centre de Recherche et d'Etude sur l'Algérie Contemporaine (CREAC ; http://www.creac.org/), en particulier ceux de Jacques Simon (La solution démocratique au problème algérien (1954-1962) : la FEN et la table ronde). * 687 Cf. Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995. * 688 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.216. A titre d'exemple, l'historien algérien Rabah Belaïd rapporte qu'à l'indépendance près de 700 combattants du MNA ont été égorgés par leurs rivaux du FLN près de Biskra (Interrogé et cité par Christophe Boltanski, « Dans les Aurès, le spectre de l'autocar », Libération, 25 octobre 2004, p.43). * 689 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.134. * 690 Extrait des statuts du FLN adoptés par le CNRA en janvier 1960 ; extrait cité par Guy Pervillé, op.cit., p.135. * 691 Ibidem. * 692 Extrait de la plate-forme du Congrès de la Soummam, août 1956 ; passage cité in Guy Pervillé, op.cit., p.126. * 693 Guy Pervillé, op.cit., p.125. * 694 Repris in Gilbert Meynier, « Idéologie et culture politique de la Révolution algérienne : les mémoires inédits de Lakhdar Ben Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.268. * 695 Sortie vainqueur des luttes d'influence de l'immédiat après-indépendance, l'armée des frontières, avec à sa tête le colonel Boumediene, choisira l'option socialiste dans sa déclinaison franchement étatiste (notamment après le renversement de Ben Bella), option plus conforme à ses intérêts qu'un régime islamique. Pour autant, l'État-FLN entretiendra la confusion précédemment évoquée en instituant l'Islam religion d'État, puis en promouvant une politique d'arabisation qui, plutôt que de prévenir la contestation identitaire, en fera le lit. Une constante cependant : le rejet institutionnel de la démocratie pluraliste jusqu'en 1989, puis son rejet de facto après l'interruption du processus électoral fin 1991 au profit d'une forme d'oligarchie pluraliste, ouverte aux tendances pro-système uniquement. * 696 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.127. * 697 Mohammed Harbi, « L'Algérie prise au piège de son histoire », Le Monde diplomatique, mai 1994. Voir aussi Mohammed Harbi, Aux origines du FLN. Le Populisme révolutionnaire en Algérie, Paris, Christian Bourgois, 1975 ; Le FLN : mirages et réalités, des origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980 ; et L'Algérie et son destin, croyants ou citoyens, Paris, Arcantère, 1993. * 698 En mars 1962, après la conclusion des accords d'Evian, Ben Bella préféra se rendre d'abord au Caire et ne faire au retour qu'une escale technique à l'aéroport de Tunis pour proclamer ostensiblement et par trois fois - comme s'il avait une mission impérieuse à remplir - devant les médias et les responsables tunisiens venus le saluer : « Nous sommes des Arabes ! Nous sommes des Arabes ! Nous sommes des Arabes ! ». En outre, dans une déclaration récente à El Jazira, Ahmed Ben Bella a déclaré : « La révolution algérienne était d'essence islamique et arabe. Elle a eu lieu surtout grâce au soutien des Égyptiens. Le Congrès de la Soummam était une trahison puisqu'il a rayé de sa charte ces deux références essentielles » (Cité par Mohammed Harbi au cours du colloque La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire qui s'est tenu les jeudi 14 et vendredi 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu). * 699 Selon Mohammed Harbi, « les conceptions du FLN sur la guerre comme djihad, sa tendance à voir dans l'opposition une déviation et une hérésie, son évaluation de la représentativité à partir du consensus, son approche du problème des minorités, enfin sa pratique de l'épuration comme élimination de l'impur, sont toutes empruntées à la tradition » (Le FLN, mirages et réalités, p.305 ; cité in Guy Pervillé, op.cit., p.264-265). Emprunt à la tradition, certes, mais pas seulement puisque chacune de ces conceptions - messianisme, exclusivisme, unanimisme, autoritarisme - a trouvé un support égal dans le discours dit « progressiste » (i.e. révolutionnaire) comme en témoignent les emprunts à la doctrine du centralisme démocratique, à laquelle il sera explicitement fait référence dans les statuts du FLN. * 700 Extrait de la plate-forme du Congrès de la Soummam publiée in El Moudjahid, n°4, t. 7, p.59-60 ; extrait repris in Guy Pervillé, op.cit., p.128. * 701 Cf. plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 et statuts du FLN votés en janvier 1960 par le CNRA. * 702 Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 : appel de l'ALN ; extrait cité par Guy Pervillé, op.cit., p.135 ; texte intégral consultable à cette adresse : http://www.algeria-watch.org/farticle/1954-62/proclamation1nov.htm. C'est nous qui soulignons. * 703 Extrait tiré de La Blessure, Paris, Grasset, 1992, p.129 ; cité in Guy Pervillé, op.cit, p.143. * 704 Extrait du deuxième appel du FLN, daté du 1er avril 1955, rédigé par Abane Ramdane à Alger ; extrait cité par Guy Pervillé, op.cit, p.136. * 705 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.136. * 706 Sylvie Thénault, « L'organisation judiciaire du FLN », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.146 et 148. * 707 Guy Pervillé de souligner le caractère décisif de l'évolution des prises de position du général de Gaulle sur l'état de l'opinion musulmane : « Le principe de l'indépendance de l'Algérie avait été reconnu par une décision unilatérale du président de la République française, avant les journées de décembre 1960 [journées marquées par les premières manifestations populaires réclamant dans les rues d'Alger et des plus grandes villes des négociations entre de Gaulle et Ferhat Abbas]. Le basculement de l'opinion musulmane peut donc être interprété autant comme une conséquence de l'évolution de la politique gaullienne que comme un facteur d'accélération de celle-ci » (Pour une histoire de la guerre d'Algérie, p.171-172). * 708 Yves Courrière rapporte ainsi qu'au cours des six premiers mois du conflit (entre le 1er novembre 1954 et début mai 1955), ce sont presque uniquement des civils musulmans (à l'exception du couple Monnerot et d'un autre Européen tués le 1er novembre 1954), victimes musulmanes dont le chiffre s'élève à plusieurs centaines, qui sont visés par la politique de terreur du FLN (Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969). * 709 Mohammed Harbi, Le FLN : mirages et réalités, des origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980, p.259. * 710 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.132. * 711 Cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242-243. * 712 Ibid, p.246. * 713 Omar Carlier, « Le 1er novembre 1954 à Oran », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.23-24. * 714 Cf. Benjamin Stora, Les sources du nationalisme algérien, Paris, L'Harmattan, 1989. * 715 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.116. * 716 Le MTLD était la vitrine légale du PPA, interdit le 26 septembre 1939. * 717 Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.85. * 718 Ibid, p.101. * 719 François Gèze, « Aux origines de la violence », Mouvements, novembre-décembre 1998. Voir aussi Mohammed Harbi, « Le système Boussouf », in Reporters sans frontières, Le drame algérien. Un peuple en otage, Paris, La Découverte, 1996. * 720 Cité par Tahar Mohamed Al Anouar, « Abdelhafidh Boussouf, «Si Mabrouk», le concepteur des services de renseignement de la Révolution algérienne », El Moudjahid du 29 décembre 2004. * 721 Yves Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.254. * 722 Ibid, p.299. * 723 Cité in Guy Pervillé, op.cit., p.146. Cette proclamation est paradoxale à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle semble présupposer qu'il y a autant de « traîtres » que de « patriotes » au sein de la population musulmane, ce qui va à l'encontre du mythe de l'unanimité des masses derrière le FLN. Ensuite parce qu'Abane lui-même a ensuite été considéré comme un « traître » et éliminé à ce titre par le Comité de Coordination et d'Exécution (CCE, l'exécutif du FLN). * 724 Dossier « Pacifications, réconciliations » (2), Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.83. * 725 J'ai indiqué en introduction ce qu'avait été la justification donnée à Monsieur Alexandre M. lorsqu'il s'était enquit du sort et des raisons de l'assassinat de ma grand-tante, de son mari et de leur fils de 7 ans auprès d'un jeune parent de ceux-ci, que Monsieur M. indiquait être un « indicateur du FLN ». A la question d'Alexandre M. : « Mais pourquoi avoir tué aussi le petit Djelloul, ce petit innocent ? », il fut répondu : « Pour que la graine disparaisse » (voir l'introduction). |
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