Partie 3 : Ce que veut dire être harki dans
l'ordinaire des relations sociales et familiales
Corrélativement à l'étude de la
stigmatisation telle qu'elle a été ou est
institutionnellement "agie", depuis l'invention de la figure du harki
jusqu'à ses reconfigurations et usages rétrospectifs (niveau
macropolitique), cette troisième partie, glissant sur l'autre versant de
la sociodynamique de la stigmatisation (niveau infrapolitique), traite de la
capillarisation des anathèmes politiques dans les interactions de la vie
sociale et dans l'intimité des relations familiales (niveau
micropolitique), à savoir : la stigmatisation telle qu'elle est
ordinairement subie et relayée (sous des formes plus ou moins
dégradées et banalisées des grands mythes politiques et
idéologiques) au sein et autour de la communauté harkie.
A cet égard, il nous faudra d'abord rendre compte de la
stigmatisation telle qu'elle est intimement subie et ressentie dans le cercle
familial. Qu'en est-il notamment du rapport à la mémoire
familiale et de la façon dont il peut (ou non) produire la honte chez
l'enfant ? En d'autres termes, comment les anathèmes
politiques interfèrent-ils dans l'ordinaire des relations
familiales, s'agissant tant de la transmission de la mémoire (du
côté des parents) que de la réception de cette
mémoire dans une visée d'identification (du côté des
enfants) ?
Par suite, il nous faudra faire état de la
manière dont les « idéologies de statut »
(Elias et Scotson) véhiculées à l'encontre des anciens
harkis - ou, à l'inverse, les formes institutionnalisées d'oubli
qui tendent délibérément à en estomper la trace -
influent sur la qualité des relations interpersonnelles en dehors du
cercle familial : en d'autres termes, comment s'opère la
construction du rapport "Nous / Eux" dans l'ordinaire des relations sociales,
à l'articulation des processus d'étiquetage et des
stratégies de présentation de soi (sur la base de "savoirs
pratiques" et d'anticipations qui assurent la fluidité des interactions
dans l'ordinaire des relations sociales) ?
Il s'agira ici à la fois d'identifier les agents,
relais et modes opératoires ordinaires de la stigmatisation
(mécanismes et formes de capillarisation des figurations politiques dans
les interactions de la vie quotidienne), mais aussi de rendre compte des
phénomènes liés au « maniement du
stigmate » (Erving Goffman), autrement dit, des difficultés et
du coût psychologique liés à la mise en oeuvre de
stratégies d'accommodation ou d'adaptation aux exo-définitions de
soi, qu'il s'agisse de neutraliser les préjugés liés au
faciès (vis-à-vis du groupe majoritaire) ou de se conformer aux
attentes normatives des populations issues de l'immigration maghrébine.
Ce "coût" peut être décrit sous la forme d'un double
triangle de stigmatisation (catégoriel et existentiel), qui dit bien
l'écartèlement des identifications au niveau du moi, et la
situation de « déchirement » dans laquelle se
trouvent ordinairement placés les fils et filles de harkis dans la
société d'accueil.
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