UNIVERSITE PARIS IX - DAUPHINE
UFR Sciences des Organisations
Thèse de Doctorat en Sciences Politiques
Emmanuel BRILLET
Mémoire, identité et dynamique des
générations au sein et autour de la communauté harkie
Une analyse des logiques sociales et politiques de la
stigmatisation
Thèse dirigée par John CROWLEY,
spécialiste principal du programme à l'Unesco, section des
sciences humaines et sociales
Rapporteurs :
Omar CARLIER, Professeur d'histoire à
l'Université Paris-VII
Claude DUBAR, Professeur de sociologie à
l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Suffragants :
Luis MARTINEZ, Directeur de recherches au CERI-Sciences-Po
à Paris
Pierre VALLIN, Maître de conférences en sciences
politiques à l'Université Paris IX - Dauphine
Thèse soutenue le 21 février 2007
Table des matières
Introduction 11
I. Ouverture 11
II. Etat des questionnements et des travaux
17
II.1 Les figurations politiques : construction,
usages et réception 17
II.2 Les harkis comme objet d'étude
24
III. Orientation et posture analytiques
29
III.1 Problématique 30
III.2 Posture analytique 32
III.2.1 La stigmatisation telle qu'elle est "agie" :
les rationalités stratégiques au fondement de la construction des
anathèmes politiques, ou la dimension narrative de l'appareil
social de domination (niveau macro-politique) 33
III.2.1.1 De l'invention d'une figure à l'invention
d'un destin : le rapport entre fiction et fondation (y compris le
mouvement itératif entre langage et violence) 34
III.2.1.2 Jeux et enjeux de mémoire :
postérité symbolique et usages rétrospectifs de la figure
du harki 36
III.2.2 La stigmatisation telle qu'elle est subie et
ordinairement relayée : la capillarisation des anathèmes
politiques dans les interactions de la vie sociale et familiale (niveau
infra ou micro-politique) 39
III.2.2.1 Une posture analytique aux confluents d'une
visée compréhensive du sujet et d'une approche dynamique du
processus de socialisation 42
III.2.2.2 La dynamique des générations au coeur
des processus de médiation entre l'individuel et le collectif
43
IV. De soi aux autres : contre-transfert et
objectivation du rapport à l'objet 50
V. Annonce de plan : Inventer,
étiqueter, subir, réagir : au fil d'une
destinée 53
Partie 1
Ce que devenir harki veut dire
60
I. Une destinée singulière ou
comment l'on devient « harki » 62
A. Qui sont les « harkis » ? Les
supplétifs de l'armée française et autres
catégories de musulmans "pro-français" pendant la guerre
d'Algérie 63
B. Combien étaient-ils ? Effectifs
comparés avec ceux du FLN / ALN et importance relative des musulmans
pro-français dans la population musulmane algérienne
69
C. Pourquoi les supplétifs ont-ils
été recrutés ? 71
- 1. De l'utilité des troupes supplétives
dans un contexte de guérilla ou la question de l'efficace militaire des
supplétifs 72
- 2. De l'utilité d'un recrutement de masse dans le
contexte d'une guerre « subversive » ou la question de
l'efficace politique des supplétifs 73
D. Pourquoi les supplétifs se sont-ils
engagés ? 74
- 1. Par conviction, fidélité à
l'armée et/ou tradition familiale 75
- 2. Le besoin de protection et/ou le désir de
vengeance contre les exactions du FLN 76
a) Les atteintes à l'honneur et à la
virilité .....76
b) La somme des interdits et des obligations, et la
démesure des châtiments 76
c) Le ciblage systématique des élites
traditionnelles et des éléments non inféodés au FLN
77
- 3. Les engagements forcés, sous pression physique
et/ou psychologique de l'armée française 79
a) La violence psychologique 79
b) La violence physique 79
- 4. Les ralliements d'anciens maquisards de l'ALN
80
a) Les ralliements volontaires
b) Les ralliements sous pression
- 5. Les engagements par besoin / « pour la
solde » 81
- 6. Par solidarité tribale (rivalités de
clans ou de villages) ou par désir d'assouvir des vengeances d'ordre
privé 81
E. Les facettes d'un comportement : attitude à
l'égard des populations civiles et des prisonniers, attitude au combat
et loyauté 83
a) L'attitude à l'égard des populations civiles
et des prisonniers 84
b) La combativité et la loyauté
88
II. L'obstruction faite au repliement des
harkis : un crime d'indifférence ? 92
A. Du statut de supplétif à celui de
figurant 93
- 1. Ni la lettre, ni l'esprit : la vacuité
voulue des accords d'Évian en termes de garanties offertes aux musulmans
pro-français 94
a) La légitimation de fait du FLN comme seul
représentant qualifié des intérêts de la composante
musulmane de la population algérienne au cours des négociations
d'Evian 95
b) L'absence de tout volet répressif gradué en
cas de violation des clauses de non-représailles par le FLN
97
c) La promesse non tenue du maintien automatique dans la
nationalité française des Algériens de statut civil de
droit local 101
- 2. Lire entre les lignes : un dispositif officiel de
rapatriement assorti de critères restrictifs, ou le rapatriement sous
condition(s) des anciens supplétifs de l'armée
française 112
a) Le désarmement 114
b) Les options offertes aux anciens supplétifs
musulmans : sauver sa peau seul ou mourir en famille 116
b.1 Les procédures et modalités d'application
pratique des options précitées 116
b.2 L'esprit de la mise en oeuvre des options
précitées 122
b.2.1. La minoration des périls (19 mars - 2 juillet
1962) 122
- La duplicité du FLN 126
- L'annonce du plan général de rapatriement
129
- L'interdiction des rapatriements en dehors des voies
officielles 131
- L'assimilation des harkis à des recrues potentielles
de l'OAS 139
b.2.2. De la minoration à la dénégation
des persécutions (à partir du 3 juillet 1962) 142
c) L'autre figure du Père, ou la place accessoire des
musulmans pro-français dans le dessein gaullien 153
c.1 Sur la considération portée par le chef de
l'État aux troupes supplétives et sur son attitude quant à
l'évolution de leurs effectifs 153
c.2 Sur le scepticisme du chef de l'État quant à
la possible coexistence et, plus encore, quant à la possible
intégration des communautés européenne et musulmane dans
un cadre français 155
B. Chiffrer les maux 162
- 1. Sur le nombre de rapatriements 163
- 2. Sur le nombre de musulmans pro-français
massacrés par le FLN 169
a) La succession des faits 169
b) Le bilan 179
III. Une destinée
pré-tracée : le massacre des harkis par le FLN, un crime de
froide logique révolutionnaire 185
A. L'invocation autoritaire de l'Un ou la
prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la
représentation des aspirations de la population algérienne
192
- 1. Le « traître imaginé »
ou l'effacement de la frontière entre opposition et subversion
192
- 2. La réduction de
l' « Un » au « Même », ou
l'exclusive d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed
Benrabah) 197
a) L'exclusivisme identitaire ou la primauté d'un
« discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah)
199
b) L'exclusivisme religieux, entre condamnation du
maraboutisme et condamnation de l'oecuménisme 202
c) L'exclusivisme programmatique, entre
anti-impérialisme et anti-cosmopolitisme 206
B. L'exercice stratégique de la terreur ou la
« conscientisation » à marche forcée des
populations 211
- 1. Le ciblage systématique des musulmans
pro-français et des nationalistes dissidents
214
- 2. La « politique du pire » ou
l'exposition délibérée des civils musulmans aux
représailles de l'armée française 217
IV. Du regroupement à la
relégation : la politique d' « accueil »
des Français musulmans rapatriés 221
A. « Une politique de reclassement
collectif » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 223
- 1. Des quais aux camps ou les prémisses d'une vie
en coupe réglée 223
- 2. De la vie en réserves aux emplois
réservés : « un destin
préfabriqué » 225
a) Coupés de leurs droits : la mise sous tutelle
légale 225
b) Coupés du monde du travail 227
c) Coupés de l'école 228
B. « Des espaces de contrôle
totalitaire » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 230
- 1. Des espaces enclavés 231
- 2. De la sériation à la
sérialité, ou « la dispersion
délibérée des groupes
d'affinités » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)
232
- 3. De l'infantilisation à la
déresponsabilisation des Français musulmans rapatriés
232
- 4. La violation de l'intimité, de la vie
privée et des libertés individuelles 235
C. « La rupture de 1975 et la politique de
déconcentration » (M. Abi Samra, F.-J. Finas) 237
Partie 2
Ce que parler des harkis veut dire 246
I. La figure du harki dans les gestes algériennes
de la guerre d'Algérie 249
A. Le harki réifié ou la
mémoire comme réalité instrumentale 250
- 1. Entre totem et tabou : une figure
recomposée (1962-1988) 250
- 2. Entre Charybde et Scylla : une figure
décomposée (depuis 1988) 264
B. Le harki retrouvé ? Les chemins de traverse
de la mémoire collective 275
II. La figure du harki dans les gestes françaises
de la guerre d'Algérie 285
A. Les habits officiels du souvenir : un
récit éthéré (le harki sous
l'éteignoir) 287
B. L'ordinaire des prises de position
295
- 1. Le détournement de vocable ou la banalisation
des acceptions outrancières du terme « harki » (le
harki comme référence injurieuse) 295
- 2. Entre positionnement politique et geste
politicienne : images et usages des harkis dans le paysage politique
français 299
a) Entre geste gaullienne et gêne
néo-gaulliste : de la difficulté d'un droit d'inventaire sur
la personne du général de Gaulle au sein de la droite
chiraquienne 299
b) Entre défiance et indifférence : la
figure du harki dans les gestes communiste et socialiste de la guerre
d'Algérie 302
- La figure du harki dans la geste communiste 303
- La figure du harki dans la geste socialiste 306
c) Le Front national, entre "nostalgérie" et islamophobie
310
- 3. Les évocations inaudibles ou la geste
amère des « soldats perdus » de l'Algérie
française (le harki comme étendard d'une
« espérance trahie ») 314
III. La figure du harki dans la geste
intellectualiste de la guerre d'Algérie 322
A. Les ressorts immédiats de la
stigmatisation : une vision clairement adversative (1954-1962)
332
- 1. « Chose colonisée » et
« spectateur écrasé d'inessentialité »
(Frantz Fanon) : le harki, une figure non avenue 336
- Un contexte intellectuel : l'Algérie au prisme
de la littérature tiers-mondiste 338
- L'inattention systématique portée aux
dimensions locales, discriminantes du conflit algérien
340
- 2. « Ces hommes en bleu payés pour
trahir leurs frères » (Simone de Beauvoir) : le harki,
une figure malvenue 345
- De la divinisation de l'histoire à la
fétichisation de la violence (la praxéologie de la
« table rase ») 345
- De la notion de « fausse conscience »
à celle de « culpabilité objective »
351
- Le refus de la symétrie entre les exactions commises
par le « colonisé » et celles commises par - ou au
nom du - « colonisateur » 352
B. Les ressorts rétrospectifs de la
stigmatisation : une vision déplorative ? (depuis 1962)
362
- 1. Un esprit simple : le harki, produit passif
de l'aliénation coloniale 365
- 2. Un esprit rude : le harki, exécuteur des
basses besognes de la répression 367
- Sur le souvenir de la répression de la manifestation
du 17 octobre 1961 et la manière dont il participe de la stigmatisation
des anciens harkis dans la geste intellectuelle de la guerre d'Algérie
368
- Une personnalisation opportune ? La focalisation sur
les « harkis de M. Papon » (Marcel Péju)
373
Partie 3
Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des
relations sociales et familiales 379
I. De la confusion à la forclusion : le
rapport à la mémoire familiale et la façon dont il peut
(ou non) produire la honte chez l'enfant 384
A. « Une indicible histoire »
(Mohand Hamoumou) ou l'histoire d'une honte "partagée"
388
- 1. La difficulté d'en parler (du
côté des pères) 390
- 2. La résistance à la recevoir (du
côté des enfants) : l'évitement du conflit ou
la délicate transgression du tabou paternel 399
B. « Le manque du père de l'avoir
introduit au monde » (Jacqueline Palmade) : un obstacle
à la « dynamique de l'appropriation »
(Jean-Pierre Terrail) 402
II. La construction routinière du rapport
Nous / Eux ou la difficulté d'être soi dans
l'ordinaire des relations sociales 408
A. L'infirmation de soi dans le regard d'autrui ou la
sur-exposition des enfants de harkis aux exo-définitions de soi
411
- 1. La dépossession de soi par l'amalgame : le
"délit de faciès", forme ordinaire de déni d'une
mémoire singulière 412
- 2. La dépossession de soi par la
flétrissure ou la rémanence transgénérationnelle du
stigmate d'infamie 417
B. Le maniement du stigmate ou « les
difficultés qu'éprouve l'individu
«discréditable» à contrôler l'information sur
lui-même » (E. Goffman) 424
- 1. L'effort de neutralisation des préjugés
liés au faciès, ou « le surmarquage des attributs de
francité » (Mohamed Kara) 426
a) L'usage de
« désidentificateurs », ou comment ne pas
« être parlé par son corps » (André
Gorz) 426
b) La stratégie de divulgation de l'identité
intime 430
- 2. L'effort de conformation aux anticipations normatives
des populations issues de l'immigration maghrébine, ou « le
surmarquage des attributs de l'arabité » (Mohamed Kara)
432
III. L'écartèlement des
identifications au niveau du Moi : le concept de triangle de
stigmatisation et la notion de « déchirement »
(V. de Gaulejac) 436
A. Le concept de triangle de stigmatisation
436
- 1. Un triangle "catégoriel" 436
- 2. Un triangle "existentiel" 437
B. La notion de
« déchirement » (Vincent de Gaulejac) :
« l'insécurité ontologique des enfants de harkis,
entre irrésolution identitaire et ambivalence des sentiments
filiaux » (Mohamed Kara) 440
Partie 4
Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation
veut dire 453
I. Remonter aux sources de la honte : la
reconnaissance comme travail de dégagement (au sein de la
communauté harkie) 458
A. La mobilisation du sujet pour sauvegarder son
unité (dimension individuelle) 459
- 1. « Le besoin de savoir à qui et
à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » (P.
Nora) ou la nécessaire transgression du tabou paternel (niveau
intime) 461
- 2. Le besoin de s'opposer pour se poser ou l'expression
de la différence avec la deuxième génération issue
de l'immigration (niveau interpersonnel) 467
B. La lutte pour la réhabilitation de la figure du
père ou la nécessaire mise en cause des valeurs et vecteurs
symboliques qui légitiment la stigmatisation (dimension collective)
472
II. Réparer les termes de l'échange : la
reconnaissance comme travail de l'écart (autour de la communauté
harkie) 478
A. En-deça de la reconnaissance : les
grâces octroyées ou la prégnance du modèle
"assistanciel-cérémoniel" 479
- 1. La relation d'aide institutionnelle (volet
assistanciel) 480
- Les carences d'ordre symbolique ou les limites
intrinsèques à la relation d'aide institutionnelle :
l'exemple des modalités de mise sur agenda, de traduction et de prise en
charge politiques des revendications des grévistes de la faim, à
Paris, en 1997-1998 483
- Les carences d'ordre relationnel : l'exemple de la mise
en oeuvre du plan d'action en faveur des anciens membres des formations
supplétives et de leurs familles au sein du service des rapatriés
de la Préfecture de Paris (mai 2000-fin février 2001) 487
- Le caractère potentiellement stigmatisant des
dispositifs de discrimination positive ou la nécessité d'un
retour au droit commun ? 491
- 2. Le cérémoniel consensuel
494
B. Le pardon : un au-delà de la
reconnaissance ? 502
- 1. Les préconditions philosophiques du
pardon : du pardon "christique" au pardon opératoire
503
- 2. L'état des résistances : une
politique non avenue ? 509
a) inerties militantes 510
b) indéterminations savantes 516
c) obstructions étatiques 526
- L'Algérie des gardiens de la
Révolution ou la difficulté de s'inscrire dans une
démarche de pardon sans altérer les frontières de
l'identité 529
- La France dans l'ombre d'un grand Français, ou la
difficulté de faire sourdre un passé occulté sans mettre
en cause la réputation consensuelle du général de Gaulle
538
- 3. Le strapontin judiciaire : le pardon mis en
demeure ? 549
a) Les actions en justice : un nouveau répertoire
d'action politique 553
b) Les ressorts juridiques et sociologiques des actions en
justice entreprises par des représentants de la communauté harkie
558
c) Est-ce bien la vocation de l'institution judiciaire de
trancher des conflits de mémoire ? 562
Conclusion 565
Annexes 576
Bibliographie 592
Introduction
I. Ouverture
Chacun à sa manière, Ernest Renan1(*) et Milan Kundera2(*) ont pointé la
facticité nécessaire des récits ou romans identitaires au
fondement des collectivités humaines : la réorchestration
univoque des guerres intestines, l'oubli sélectif accompagneraient le
plus souvent le processus de fondation ou de stabilisation d'une entité
sociale et politique autrefois déchirée. C'est dans et par le
biais de cette entreprise de falsification, de cette confrontation ou de ce
glissement sémantique et pratique entre histoire et mémoire, que
se racontent et s'affirment, sur le long terme, les collectifs. L'effet et la
fonction propres de cette violence symbolique seraient de compléter
voire de suppléer à l'exercice de la violence physique
légitime en enfermant et conformant le champ de la conscience
(conscience de soi, conscience des autres) dans des limites très
étroites. Ce sont précisément les effets ainsi que les
ressorts d'une telle violence symbolique qui posent ici question, avec un
accent important sur leur épaisseur historique et leur
pérennité. D'où le choix d'une direction de recherche
prioritaire : étudier les mécanismes, engrenages et logiques
d'influence qui commandent la construction des imaginaires, leur
évolution (les jeux de mémoire), mais encore - mais surtout -
l'efficace et les implications de telles constructions sur le fonctionnement
des sociétés et l' « itinéraire
moral » des individus (sur la notion
d' « itinéraire moral », voir
infra3(*)). La
notion de stigmatisation (sur laquelle nous reviendrons plus avant dans
l'introduction) apparaît précisément comme une des
articulations du triptyque "histoire-mémoire-identité", et l'une
des expressions conceptuelles majeures de l'approche constructiviste,
considérée à la fois sous un angle catégoriel
(constructions historico-administratives), normatif (figurations politiques) et
interrelationnel (question de la capillarisation des anathèmes
politiques dans l'ordinaire des relations sociales et familiales, mais encore -
symétriquement - question du rapport des individus et des groupes aux
institutions). Aussi, la question des effets propres aux
phénomènes actifs (et passifs) d'oubli, ainsi qu'aux exercices
délibérés d'écriture de l'histoire ou de
manipulation des symboles au service de projets particuliers,
soulève-t-elle une autre question, celle du rapport au langage
dominant : comment trouver une manière d'être, de parler de
soi et de faire parler de soi (ce que Paul Ricoeur appelle
« l'identité narrative ») qui ne soit pas
prisonnière d'une « mise en intrigue » partielle et
partiale du passé4(*) ?
En l'espèce, il s'agira ici de se situer au point de
friction entre la destinée matérielle et la destinée
symbolique des anciens harkis et de leurs familles, et d'opérer le
travail de l'écart entre la disparition des "harkis" telle qu'elle a
été tramée à la fois sur un mode
"génocidaire" (violence politique) et sur un mode non génocidaire
(violence symbolique), sous l'angle de l'histoire et sous l'angle de la
mémoire (jusque et y compris la quête à être des
enfants de harkis). C'est dans ce point d'indétermination entre le
présent et le passé, l'advenu et le représenté,
l'ici et l'ailleurs, le Nous et le Eux, et au prix d'un travail de
l'écart entre ces différentes dimensions, que peut
s'opérer la déconstruction des logiques sociales et politiques de
la stigmatisation au sein et autour de la communauté harkie (voir
l'exposé détaillé de la problématique plus avant
dans l'introduction). Nous verrons ainsi, au fil de ce travail, que la
destinée matérielle et symbolique des anciens harkis et de leurs
enfants est exemplaire des enjeux, dilemmes et implications inhérents au
couplage incertain entre "histoire" et "mémoire" d'une part, entre
« choix » et « poids » du passé
d'autre part5(*).
Lors de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, le
président de la République algérienne, Abdelaziz
Bouteflika, avait eu ces mots à l'égard ou, plutôt,
à l'encontre des anciens supplétifs de l'armée
française : « Les conditions ne sont pas encore venues
pour les visites de harkis, c'est exactement comme si on demandait à un
Français de la Résistance de toucher la main d'un
collabo ». Ces paroles, prononcées en direct à la
télévision française, participent classiquement, en
Algérie (et plus encore de la part d'« un homme qui a le
triste privilège d'avoir fait et servi le
système »6(*)), d'une entreprise de "verrouillage" de la
mémoire à des fins présentes de légitimation
politique (voir la Partie 2). Du reste, même grossières du point
de vue de la connaissance historique (voir la Partie 1), de telles
représentations n'en continuent pas moins à être
dotées d'une forte résonance sociale, jusque et y compris dans
les populations issues de l'immigration algérienne (voir la Partie 3).
Ainsi, par exemple, en novembre 2003, des incidents et bagarres à
répétition à la cité Berthe de La Seyne-sur-Mer,
dans le Var, avaient-elles fini par acculer une famille de harki au
déménagement après que le père de famille, M.
Chérif Araar, un ancien harki de 67 ans, avait été
publiquement (et notoirement) décoré de la médaille
militaire le 14 juillet 2003 à Toulon7(*). Sur le moment, l'affaire reçut quelque
écho dans les médias mais ne donna lieu à aucune
mobilisation particulière de la part de personnalités
extérieures à la communauté harkie. Si bien que, dans une
stratégie habituelle pour lui (voir la Partie 2), le Front national -
fortement impliqué dans la vie politique locale - déplora de son
côté « le silence assourdissant des bonnes consciences
et des associations droits-de-l'hommistes ». "Inappétence" des
intellectuels et récupérations politiques : deux traits qui,
nous le verrons, participent communément des logiques sociales et
politiques de la stigmatisation autour de la communauté harkie (voir la
Partie 2).
Mais les ressorts de la stigmatisation des anciens harkis et
de leurs familles ne doivent pas uniquement à la rémanence de
discours outranciers véhiculés par leurs anciens adversaires. Ils
doivent tout autant, en France, à l'absence de "contre-discours" - et
même, pendant longtemps, de quelque discours que ce soit - de la part des
relais institutionnels de la mémoire8(*). Plus encore, les usages dérivés du
terme "harki" - employé à n'importe quel sujet comme synonyme de
"traître" par certains responsables politiques français et autres
leaders d'opinion - n'ont fait que renforcer l'efficace des attaques
directement malveillantes venues d'Algérie ou de France, en les
banalisant9(*). Ainsi, le 3
décembre 2000, au cours de l'émission « France Europe
Express » sur France 3, Raymond Barre, répondant
à une accusation sans équivoque de Renaud Donnedieu de Vabres
(UDF lui aussi) qui l'avait qualifié de « harki de
Jospin » après qu'il avait fait part de son intention de voter
l'inversion du calendrier électoral avec le groupe socialiste à
l'Assemblée nationale (instauration de la présidentielle avant la
législative), avait à son tour indirectement assimilé les
harkis à des traîtres en qualifiant de « harkis de
Mitterrand » les hommes de droite qui s'étaient ralliés
à l'ancien président de la République au cours de ses
différentes mandatures. De fait, l'ancien Premier ministre, plutôt
que de s'offusquer de l'utilisation ainsi faite du terme harki, l'avait
retournée à l'encontre de ses accusateurs : « Vous
savez comment ça se passe », avait expliqué Raymond
Barre dans l'émission précitée, « vous n'aurez
pas d'investiture si vous allez au secours de Jospin, [car] vous êtes les
harkis de Jospin ». Mais, déplorant ainsi entendre
« un certain nombre de parlementaires, et vous savez à quel
parti ils appartiennent, parler de traîtres ou de gens qui font le jeu de
Jospin », il ajoutait en guise de répartie :
« Ce sont ceux là même qui depuis 1986 ont
été les harkis de Mitterrand qui viennent dire
cela »10(*). Et
Raymond Barre d'ajouter : « Moi, depuis 1986, je suis contre la
cohabitation, je ne suis pas allé au pas de gymnastique
cohabiter »11(*). A la suite de ces déclarations, l'association
Générations Mémoire Harkis (GMH) considérant
qu' « il avait été de la sorte porté
atteinte à l'honneur et à la considération d'un
groupe de personnes que sont les anciens harkis et leurs
descendants » (notamment du fait de la notoriété de
l'intéressé), avait intenté une action en justice pour
diffamation à l'encontre de l'ancien Premier ministre. Cette action en
justice, il faut dès à présent le noter, est
caractéristique des nouvelles formes de mobilisation collective
portées par ceux qui entendent "faire voix" autour de la
communauté harkie et parler en son nom (voir la Partie 4).
Ainsi, plus de quatre décennies après la fin de
la guerre d'Algérie (1954-1962), l'évocation de la
destinée des anciens harkis et de leurs enfants demeure
particulièrement délicate : rien, ni la succession des
générations, ni l'avancée des travaux historiques (sur ce
sujet en particulier, sur la guerre d'Algérie en général),
ne semble devoir contribuer à apaiser l'abord de cette thématique
dans les sociétés algérienne et française. Il est
symptomatique, à cet égard, que l'instauration en septembre 2001
d'une Journée d'hommage nationale aux harkis à l'initiative du
président de la République, Jacques Chirac, ait été
explicitement conçue comme une réponse à la sortie
controversée du président de la République
algérienne, Abdelaziz Bouteflika, un an plus tôt (voir plus
haut)12(*). Une
réponse, donc, non une libre initiative : comme si la France
officielle n'avait pu se résoudre à célébrer
spontanément ceux qui, autochtones de confession musulmane, avaient
choisi de combattre à ses côtés au moment de la guerre
d'Algérie.
La rémanence en Algérie - mais aussi en France -
des invectives à l'encontre des anciens harkis, la persistance
corrélative de nombreux tabous autour de leur destinée
matérielle13(*),
mais encore, donc, le caractère tardif et contraint des
célébrations en France, témoignent de ce que la
thématique "harkie" n'est ni un objet neutre ni un objet "froid", ce
dont témoigne, en particulier, la difficulté des sciences
sociales (historiques notamment) à la construire en objet
d'investigation légitime et routinisé (et, ce, non seulement en
Algérie - où l'autonomie de la sphère historienne par
rapport à la sphère politique a été et reste
relative14(*) - mais
encore en France, où la mémoire collégiale des
intellectuels en guerre d'Algérie a pu faire obstacle à son
émergence15(*)).
Précisément, et pour le dire très
simplement, ce mémoire s'intéresse à la manière
dont - depuis près d'un demi-siècle et jusqu'à aujourd'hui
- sont considérés et, surtout, déconsidérés
les anciens harkis et leurs enfants, en France et en Algérie ; et,
par là, à la charge symbolique - sinon polémique - dont
est susceptible d'être entourée l'évocation de leur
destinée, ainsi qu'aux déterminants socio-historiques et
socio-politiques d'une telle postérité. Notre dessein sera
donc de faire la part des influences sociales et politiques,
routinières (dans les interactions de la vie quotidienne) et
institutionnalisées (dans toutes les sphères
d'autorité : politiques, savantes ou militantes) qui, d'une
manière ou d'une autre, ont contribué et contribuent à
nourrir ce processus d'indexation sociale (et la charge émotionnelle qui
lui est corrélative) et qui, parfois, en jouent (la stigmatisation telle
qu'elle est "agie"). Symétriquement, il s'agira de considérer la
manière dont les intéressés "font avec" cette charge
symbolique (ce "stigmate"), ici et maintenant, en France, et, ce, tant sur les
plans individuel et collectif qu'au regard de la succession des
générations. En somme : comment la destinée des
anciens harkis et de leurs familles a-t-elle été figurée
politiquement ? Par qui ? Pourquoi ? Avec quelles
répercussions à moyen et long terme sur les
sociétés française et algérienne, et sur les
intéressés en particulier ?
Le fait est, donc, que si la charge symbolique - i.e.
polémique - dont cette thématique est susceptible d'être
entourée en rend l'abord délicat, elle constitue par
elle-même et pour cela même un point d'ancrage heuristique
essentiel pour notre étude. De fait, celle-ci, partant du postulat que
« les groupes de statut supérieur maintiennent leur pouvoir
autant par le contrôle des représentations du monde social -
manipulation de définitions et d'étiquettes - que par l'usage de
formes plus rudimentaires de contrôle »16(*), accorde une attention
particulière à « la manière dont les acteurs
sociaux se définissent mutuellement et définissent leur
environnement »17(*), et ce tant dans une dimension synchronique que
diachronique (y compris, donc, les jeux et enjeux de
mémoire). Mais, bien évidemment, si notre étude
considère les mécanismes d'assignation statutaire comme une
dimension primordiale de l'activité sociale et politique, elle adopte
une position relativiste à leur égard, et traite ceux-ci
« non comme l'expression morale de vérités
incontestées, mais comme le matériel brut des analyses de
sciences sociales »18(*). Sur le plan analytique, nous conférerons au
processus d'indexation et de marginalisation sociales et politiques des harkis
et de leurs familles l'habillage notionnel de "stigmatisation" ou encore,
à la manière de Norbert Elias, de "sociodynamique de la
stigmatisation"19(*), au
sens de configuration plus ou moins stable formée par le faisceau
évolutif des représentations et interrelations familiales,
communautaires, sociales et politiques au sein et autour de la
communauté harkie. À la fois, donc, la stigmatisation telle
qu'elle est "agie" (dans l'espace et dans le temps), et la stigmatisation telle
qu'elle est subie, jusque et y compris la quête à être ou
à réapparaître des enfants de harkis ("au nom des
pères", dirions-nous). Cette approche `configurationnelle' ou
`écologique' a pour avantage, dans l'étude de la manière
dont se constituent les catégories de la vie sociale (en l'occurrence
« les définitions, les étiquettes et
représentations conventionnelles de l'identité des
personnes »20(*)), de ne jamais tenir leurs limites pour naturelles
mais de les tenir pour des catégories construites au cours des
activités d'un ensemble complexe d'agents, « aussi bien les
entrepreneurs de morale que ceux qu'ils cherchent à
contrôler »21(*). Pour sa part, Elias parle à ce sujet de
« configuration établis/marginaux »22(*).
Avant de revenir plus en détail sur notre
démarche particulière (s'agissant tant de l'objectivation de la
problématique que de la posture analytique qui lui est
corrélative) et, par là, sur ce qui en fait l'originalité,
il importe d'abord de situer la question générale de la
"représentation" et de la narration en politique (construction des
mythes politiques et récits identitaires collectifs, figuration de
l'ennemi intérieur), ainsi que la question des usages et des effets de
tels processus dans l'ordinaire des relations sociales et familiales. A la
suite, il importe - ayant sérié les approches jusqu'alors
privilégiées pour objectiver ou faire le récit de la
destinée des anciens harkis et de leurs enfants, tous genres
littéraires et disciplines académiques confondus - de montrer en
quoi une approche politologique par les imaginaires, leurs usages et leur
réception, vient opportunément enrichir et, d'une certaine
manière, donner du liant à un corpus trop nettement
partagé entre approche historique et approche sociologique.
II. Etat des questionnements et des travaux
II.1 Les figurations politiques : construction, usages
et réception
Comment un collectif disparate d'individus, produit
catégoriel contingent né de la conjonction et situé
à l'articulation des aléas du cours de l'Histoire (cette
catégorie naît avec l'événement guerre
d'Algérie) et de logiques périssables de classification
administratives et militaires (cette même catégorie
disparaît, en tant que telle, à la fin de la guerre), en
vient-elle à être conçu comme une « essence
haïssable »23(*), et à se concevoir comme une
« communauté de destin » ? Ces rapports entre
le politique et l'imaginaire social renvoient à une perspective
constructiviste (dans un sens très générique) où,
d'une part, la représentation et les usages du passé participent
des stratégies d'instrumentalisation et d'appropriation de l'imaginaire
à des fins de légitimation politique24(*) et où,
corrélativement, l'identité - à la fois promesse faite
à soi-même et assignation statutaire puissante venue de
l'extérieur - est le fruit d'une « mise en
récit », le produit évolutif et perméable de
« mises en intrigue » concurrentes25(*). Cette approche globale du
politique est attentive, à travers l'étude des systèmes de
représentation26(*)
et des « expressions publiques de la
mémoire »27(*), à la manière dont la mémoire
peut être utilisée à des fins politiques et sociales qui la
transcendent28(*),
notamment dans les questions liées à la production des
identités collectives (l'on s'intéresse ici à la
production du sens, à la manière dont les institutions
donnent sens à l'histoire, ce que Paul Ricoeur appelle
« la mobilisation de la mémoire au service de la requête
d'identité »29(*)), mais encore aux effets de cette utilisation
dans ce que Thomas Luckmann appelle le « temps négociable de
l'interaction »30(*) (l'on s'intéresse alors aux effets de
sens de telles mises en récit dans l'ordinaire des relations
sociales).
Cette « mobilisation des systèmes symboliques
et de leurs expressions rhétoriques » aux fins de
« clôturer l'identité communautaire » (Paul
Ricoeur) participe de ce que Marie-Claire Lavabre appelle le « choix
du passé »31(*). L'accent est mis sur la mémoire comme
« mécanisme d'ajustement du passé au
présent » (Valérie-Barbara Rosoux), comme
« travail de configuration et de refiguration narrative »
qui consiste à « raconter autrement, en supprimant, en
déplaçant les accents d'importance, en refigurant
différemment les protagonistes de l'action en même temps que les
contours de l'action »32(*). Ce qui est visé, ici, c'est « le
rôle de l'imaginaire dans les choix collectifs »33(*), et plus encore « le
rapport de l'idéologie au processus de légitimation des
systèmes d'autorité » (Paul Ricoeur). Selon
Marie-Claire Lavabre, « les usages et instrumentations du
passé expriment ainsi moins la «mémoire» et
«l'identité» [en tant que telles] que la volonté
politique qui vise l'adhésion et l'identification »34(*). Il s'agit, avec Pierre
Laborie, de « mettre en évidence la manière dont les
représentations agissent par l'analyse de leurs fonctions sociales et
socio-symboliques » et de « déterminer comment ces
fonctions s'articulent avec les logiques de pensée
dominantes »35(*). En somme, de « chercher à savoir
quelle fonction tient tel ou tel événement, tel
phénomène ou telle idée dans l'imaginaire collectif du
temps »36(*). La
notion de « choix du passé » renvoie ainsi
clairement à ce que Pierre Nora appelle « l'économie
générale et l'administration du passé dans le
présent »37(*) et aux objectifs qui lui sont corrélatifs,
à savoir notamment la légitimation de l'ordre social et du
personnel politique. Elle obéit à une « logique de la
téléologie » dans et par laquelle les exigences du
présent donnent visage et sens au passé38(*). De fait, ainsi que le
soulignent Bruno Jobert et Pierre Muller en s'inspirant de la notion
gramscienne d'hégémonie, « une domination durable
implique nécessairement une légitimation, c'est-à-dire
l'identification de chacun à un ensemble de symboles et
d'interprétation qui la justifie et la rend
tolérable »39(*). Le choix du passé doit donc être
pensé non pas en rapport avec l'historicité de
l'événement mais en rapport avec les représentations qui
le constituent comme événement historique, celles-ci bien
ancrées dans le présent. Arno Mayer : « Car ce que
l'on poursuit avec la valorisation d'une mémoire collective est moins la
préservation d'un passé qui s'éloigne inexorablement que
son réajustement et sa revivification afin de s'en servir dans les
débats politiques d'aujourd'hui et de demain. Nier ou minimiser ces
aspects utilitaires de la mémoire collective ou sociale revient à
se méprendre sur sa nature »40(*).
Le réel qui nous intéresse ici « est
fait d'une part idéelle et d'une part matérielle ; il est le
produit de leur interaction »41(*). Les représentations sociales apparaissent
ainsi comme « une articulation essentielle entre le fait, les
réactions provoquées et leurs conséquences ».
Pierre Laborie ajoute : « Elles sont des miroirs qui montrent,
qui disent, mais aussi qui agissent. Apparemment attachées à un
objet dont elles sont le reflet - les représentations de tel ou tel
événement ou problème - elles appartiennent en
réalité à un système possédant sa propre
cohérence interne, à cet ensemble structuré que forme
l'imaginaire social. Ainsi intégrées et reliées, les
représentations sociales sont plus que de simples perceptions, plus que
des images, plus que des mythes, plus que des idéologies... mais tout en
étant aussi cela, dans des proportions et selon des hiérarchies
changeantes ». L'imaginaire est « créateur de
réalité sociale », il y a une "efficace sociale" de la
représentation ou de la reconstruction du passé (le
« choix du passé »), qui doit être clairement
distinguée de la charge traumatique de l'événement (le
« poids du passé »), c'est-à-dire de
« ce qui, dans l'événement lui-même, était
susceptible de durer et de resurgir une fois la crise
passée »42(*), « sur le modèle de la trace, de la
marque ou de l'empreinte, de la conséquence de
l'événement »43(*).
La sociologie politique du nationalisme a
présenté le concept d'identité nationale comme
étant le fruit de telles constructions, autour du couplage "histoire /
mémoire" : les nations seraient des « traditions
inventées »44(*), des « communautés
imaginées »45(*) ou "bricolées" à partir de
réalités « ethniques »
prénationales46(*),
des doctrines empreintes d'une certaine religiosité47(*) en même temps que des
outils de domination sociale. Ainsi, à travers la formation d'un "sens
historique commun", la reconstruction du passé s'intègre à
la construction du présent, la fiction historiographique et l'action
politique se conjuguent et tendent à s'identifier.
Parallèlement, les historiens se sont attachés
à distinguer l'histoire et la mémoire, et à construire la
seconde en objet d'étude particulier de la première48(*). « Une nation, c'est
une mémoire », écrit Pascal Ory, c'est-à-dire
non pas un passé, non pas une histoire, mais une « belle
histoire », de celle que les parents racontent aux enfants. Faire
l'histoire de la mémoire, c'est faire l'histoire des « fables
de la mémoire » et des « silences de
l'oubli »49(*).
« La mémoire est une forme de rapport au passé dont la
cause finale n'est pas la connaissance, la réalité et
l'intelligibilité du passé, insiste Marie-Claire Lavabre, mais la
vérité du présent, la construction ou le renforcement
d'une identité (...) »50(*). Ainsi a-t-on fait entrer l'imaginaire social,
« la dimension non cognitive de la connaissance
historique »51(*) dans les problématiques de l'histoire
contemporaine52(*).
« En faisant l'histoire de l'utilisation du passé,
écrit D. Quattrocchi-Woisson, on apprend plus des sociétés
contemporaines qu'en voulant retrouver une soi-disant vérité
historique »53(*).
Il est donc ici question d'une histoire des
interprétations historiques et des conflits - notamment
politiques - d'interprétation : une histoire au « second
degré », en somme (Pierre Nora). Il s'agit de montrer comment
et pourquoi l'interprétation ou la falsification du passé peuvent
devenir vérité historique : « C'est en étouffant
la capacité critique et la réflexion historique des masses que
l'idéologie devient force matérielle et
socio-politique ». Francis Guibal ajoute : « Elle
donne bien une identité substantielle au pays, mais dans une
plénitude imaginaire qui ne peut que rejeter à l'extérieur
tout facteur de division »54(*). A cet égard, Henry Rousso souligne que
« la mémoire (...) remplit une fonction essentielle dans la
prise en compte de l'altérité : altérité du
temps qui change, en assurant la permanence plus ou moins fictive, plus ou
moins réelle du groupe ou de l'individu ; mais aussi
altérité du face à face avec d'autres groupes, d'autres
nations, d'autres passés, donc d'autres mémoires, en permettant
ainsi la distinction, donc la définition d'une identité
propre »55(*).
L'affirmation de l'identité passe ainsi d'abord par l'affirmation d'une
opposition et d'une altérité. Les situations conflictuelles, en
particulier, accentuent ces phénomènes de polarisation : les
usages du passé et le formatage de l'identité - la sienne propre
(construction d'un « soi collectif hypertrophié en
fonction d'un appel à une mémoire mythique du
groupe »56(*))
et celle que l'on assigne à l'autre (désignation du
« bouc émissaire »57(*), désignation / mise à distance de
l'ennemi58(*) ou
construction d'une « idéologie de statut »59(*)) y apparaissent comme des
enjeux politiques majeurs. Ainsi que le souligne Béatrice Pouligny,
« il existe des stratégies d'appropriation de l'imaginaire,
différents types d'instrumentalisation des récits du conflit,
notamment à travers les constructions et usages politiques des figures
de l'ennemi »60(*). Ce à quoi Michel Hastings ajoute que
« le conflit entraîne une discrimination entre les parties en
présence et oblige à choisir son camp. Plus il s'intensifie, plus
il se dramatise, plus la séparation symbolique sera brutale. Il y a une
surévaluation du groupe d'appartenance et une dévalorisation du
groupe adverse »61(*).
Georges Sorel62(*), a défini le mythe comme un réseau de
significations et un prisme d'élucidation de l'histoire, en somme une
traduction symbolique du réel qui favorise la mobilisation des masses, y
compris les mobilisations les plus violentes. Pour sa part, Jacques
Sémelin, plaidant non pour le Grand Soir mais pour une
« sociologie du passage à l'acte », insiste sur la
« levée des inhibitions » préalable au
déclenchement des violences de masse, sur le rôle
de l'imaginaire comme « opérateur collectif »,
comme « matrice » du crime de masse, « ce par
quoi il monte en puissance »63(*). De la même manière, Mark Levene
souligne que, dans certaines situations, « des gens - que parfois
même on n'aurait pas distingués du reste de la population
dominante - se retrouvent étiquetés non seulement comme
différents, mais d'une façon telle que l'Etat, à un
certain moment, décide que la seule forme d'action possible est de les
éliminer »64(*). Cette construction de l'opposition "ami/ennemi"
participe d'un « jeu sur des frontières
symboliques », d'un « discours vers l'essence »
où les imaginaires « naturalisent »
l'affrontement65(*). Plus
généralement, Norbert Elias et John L. Scotson soulignent combien
« le charisme collectif que l'on s'attribue et la disgrâce que
l'on prête aux autres sont partout des phénomènes
complémentaires »66(*). Ils ajoutent : « La prétention
charismatique du groupe ne joue sa fonction de lien - sa fonction de
préservation - qu'en érigeant des barrières
hermétiques contre les autres groupes dont les membres sont, selon ce
même groupe, à jamais exclus de toute participation à la
grâce et aux vertus qu'il se prête. En élevant ainsi les
siens, le charisme du groupe relègue ipso facto les membres
d'autres groupes interdépendants à une position
d'infériorité »67(*).
Ainsi, les récits identitaires sont en même temps
- et au sens plein du terme - des « prédictions
créatrices », au sens où ces narrations sont porteuses
de sens pour les acteurs (y compris pour ceux qui les rejettent) et produisent
des effets - qui s'expriment en termes de croyances, de
stéréotypes, de préjugés, de mobilisations - dont
l'épaisseur et la pérennité doivent être
questionnées, et ce « depuis la constitution de
l'identité personnelle jusqu'à celle des identités
communautaires qui structurent nos liens d'appartenance »68(*). Qu'il s'agisse de mettre en
acte des conduites conformes aux préceptes dominants (le processus de
« nationalisation » ou de « désignation de
l'ennemi » contribue à créer la réalité
qu'il postule) ou d'opérer un « retournement du
stigmate » (Erving Goffman), de produire des
« contre-modèles », le mythe peut être dit
« fécond » (Georges Sorel) en ce sens qu'il
fait naître la mobilisation. Les idéologies sont donc
également « des schèmes à partir desquels nous
agissons »69(*).
Partant du théorème formulé par W.I. Thomas70(*), R.K. Merton souligne, dans un
chapitre intitulé The Self-Fulfilling Prophecy, que les hommes
réagissent non seulement aux caractères objectifs d'une
situation, mais aussi, et parfois surtout, à la signification qu'ils
donnent à cette situation »71(*). Et il ajoute : « Les
définitions collectives d'une situation font partie intégrante de
la situation et affectent ainsi ses développements
ultérieurs »72(*). De fait, ainsi que le souligne Michel Wieviorka,
« lorsqu'on appartient à un groupe faiblement structuré
et organisé, il est difficile d'échapper individuellement
à la stigmatisation du groupe. L'exclusion, à la limite,
façonne chez ceux qu'elle atteint ce qu'elle leur
reproche »73(*).
L'identité participerait ainsi d'un processus
d'étayage ou d'un « travail de l'écart » sur
les significations imaginaires de la société74(*). Dans cette visée
d'intégration du monde commun, la formation de l'identité serait
ainsi consubstantielle à sa reconnaissance par l'autre75(*). Pour G.-N. Fischer,
« l'identité s'échafaude comme une construction
représentative de soi dans son rapport à l'autre et à la
société. L'identité est ainsi la conscience sociale que
l'acteur a de lui-même, mais dans la mesure où sa relation aux
autres confère à sa propre existence des qualités
particulières ». Et il ajoute :
« L'identité, c'est donc le produit des processus interactifs
en oeuvre entre l'individu et le champ social, et non pas seulement un
élément des caractéristiques
individuelles »76(*).
Dans cette même optique, les théories
interactionnistes de la déviance, tout comme les théories
interactionnistes en général, accordent une attention
particulière aux différences dans le pouvoir de définir,
à la manière dont un groupe acquiert et utilise le pouvoir de
déterminer comment d'autres groupes doivent être
considérés et traités, tout en s'attachant à
objectiver les moyens par lesquels cette oppression ou ce contrôle
(basés sur la manipulation de définitions et
d' « étiquettes »77(*), mais encore sur
l'élaboration d'une « idéologie de statut »,
soit « un ensemble d'attitudes et de croyances qui soulignent et
justifient la supériorité [du groupe établi] tout en
marquant l'infériorité [d'autres groupes
interdépendants] »78(*)) acquiert un statut de légitimité
« normale » et ordinaire. Ainsi la stigmatisation
n'est-elle qu'un aspect d'une relation "installés-marginaux" dont la
pièce centrale est un rapport de forces inégal et les tensions
inhérentes à cette situation.
Partant, pour Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada
Léonetti, « c'est la non-reconnaissance de la place qu'occupe
dans la société l'individu ou le groupe qui, dans l'examen des
figures actuelles de l'exclusion, constitue le trait le plus
pertinent »79(*). A cet égard, Norbert Elias et John L.
Scotson, pointant « la dépendance des individus
vis-à-vis de la position et de l'image des groupes auxquels ils
appartiennent, [et] l'identification profonde des premiers aux seconds dans
l'évaluation des autres et dans leur amour-propre », souligne
que « les dénigrements qui mettent en jeu la honte ou les
sentiments de culpabilité du groupe socialement inférieur par le
biais de symboles d'infériorité, de signes d'indignité qui
lui sont attribués, et la paralysie de sa capacité de riposte qui
les accompagne font partie de l'appareil social grâce auquel les groupes
supérieurs et socialement dominants assoient leur empire et leur
supériorité »80(*).
Ainsi, ce qui est en cause, ici, à l'articulation des
paramètres structuraux, familiaux et psychologiques81(*), et aux confins de
l'histoire, de la mémoire et de l'identité82(*), c'est un voyage analytique au
coeur de la « violence symbolique »83(*), telle qu'elle est "agie" et
telle qu'elle est subie, depuis « la dépossession des acteurs
sociaux de leur pouvoir originaire de se raconter eux-mêmes »
jusqu'à « la reconquête par ces mêmes agents
sociaux de la maîtrise de leur capacité à faire
récit »84(*). Dans son étude du stigmate, Erving Goffman
nous invite ainsi à considérer de concert « l'histoire
de la capacité qu'à un attribut de servir de stigmate »
et « l'itinéraire moral de l'individu
stigmatisé »85(*). Il s'est surtout attaché à traiter le
second aspect ; je m'attacherai autant au premier qu'au second.
II.2 Les harkis comme objet d'étude
Eu égard à l'intérêt suscité
en France, tant dans les sphères politique et médiatique que dans
le champ universitaire, par les questions relatives à la formation et
à la conformation politique de la figure de
l' « immigré » dans l'imaginaire national d'une
part, à la construction des identités sociales et politiques,
dans une visée d'intégration à la communauté
nationale, de la deuxième génération issue de
l'immigration maghrébine (ceux que l'on appelle communément les
"beurs"), d'autre part, l'"inappétence", sinon l'indifférence des
hommes politiques, des journalistes comme des chercheurs pour ces mêmes
questions relatives, cette fois, aux Français musulmans rapatriés
et à leurs enfants, plus communément désignés sous
l'appellation (à entendre dans un sens générique) de
"harkis", ne manquent pas d'interroger :
« La rareté des livres ou films sur cette
population surprend. Comment expliquer le désintérêt
presque total pour une minorité française aussi
nombreuse86(*), alors que
les immigrés algériens sont sujets, eux, d'innombrables articles,
livres ou colloques ? Ainsi l'on pressent que l'oubli de cette
communauté n'est ni anodin, ni fortuit »87(*).
Nous reviendrons au fil de ce mémoire sur les diverses
raisons et manifestations de cet "oubli". A ce stade, précisons que ce
constat global, établi en 1990, s'il est toujours valable dans ses
grandes lignes (notamment pour ce qui a trait au déséquilibre
avec la production livresque ou filmique consacrée aux populations
issues de l'immigration maghrébine), mérite néanmoins
d'être amendé, et ce à plusieurs égards :
- d'abord, l'intérêt des observateurs sociaux -
à commencer par les universitaires - pour cette population est
allé croissant au cours des années 1990, et plus encore à
compter du début des années 2000 (s'agissant notamment des
journalistes et des acteurs politiques), avec un "pic" clairement identifiable
au cours des années 2000 et 2001, lié à la visite
controversée d'Abdelaziz Bouteflika en France puis à
l'instauration d'une Journée d'hommage national aux harkis
l'année suivante ; en outre, la parution en 2003 du livre de
Georges-Marc Benamou, Un mensonge français88(*), qui ne consacre pourtant
qu'un court chapitre à la question des harkis, fut un autre moment fort
à cet égard, quoique éphémère et très
largement redevable de la renommée ou du "capital
médiatique" de son auteur (et dont nul autre avant lui ayant
travaillé sur cette question n'avait pu se prévaloir) ;
- ensuite, les années 1990 et 2000 ont
été marquées par la "prise de parole" des enfants de
harkis, "hérauts" de plume de l'épopée familiale et
chroniqueurs de leur propre trouble ou mal-être. Les récits
parfois naïfs - mais violents - de certains (ainsi en va-t-il du
récit de Djami, fille de harki victime des accès de violence d'un
père égaré par sa propre souffrance89(*)) côtoient des
récits plus construits, tramés sur le mode initiatique de la
réminiscence et de la reviviscence du "chemin de croix" familial
(Mon père ce harki, de Dalila Kerchouche, journaliste à
L'Express), ou exprimés dans un style très
littéraire, presque halluciné, tel le Moze de Zahia
Rahmani, publié chez Sabine Wespieser, où l'auteur, partant du
récit du suicide de son père un 11-novembre, à la suite
d'une cérémonie patriotique, règle ses comptes
post-mortem avec l'intéressé lui-même et tous ceux
qui, de près ou de loin, ont "décidé" ou influé sur
sa destinée (Etat français, FLN).
Les travaux universitaires et rapports d'enquête sont
restés rares jusqu'à la fin des années 1980, et à
vocation essentiellement médicale ou épidémiologique
(notamment dans les années 1970), traduisant la fragilisation d'une
population affectée par les conséquences de la guerre puis de
l'exil. Les études d'ordre sociologique ou socio-historique90(*) ont d'abord visé
à rendre compte des conditions d'insertion socio-économiques des
anciens harkis et de leurs familles, avant et après le
démantèlement de la politique de « mise sous tutelle
administrative »91(*), puis ont insisté - dans une optique
intergénérationnelle - sur les dynamiques de reconstitution des
réseaux de parenté sur le territoire
métropolitain92(*),
sur la difficile gestion du phénotype dans l'ordinaire des relations
sociales93(*), mais encore
sur les silences, les oublis ou désirs d'oubli - à commencer par
ceux, collectifs et individuels, des Français musulmans rapatriés
eux-mêmes - qui caractérisent l'évocation et/ou la
commémoration du sens de l'engagement, puis de l'exil, des anciens
supplétifs musulmans, en France et en Algérie94(*).
Ces premiers travaux furent principalement l'oeuvre soit
d'anciens protagonistes de la guerre et/ou de la prise en charge administrative
des anciens harkis et de leurs familles (Jean Servier, Anne Heinis), soit
d'enfants de harkis : ainsi en allait-il, pour ces derniers, des deux
études pionnières de K.D. Bouneb (sur la gestion du
phénotype) et de Mohand Hamoumou (sur le rapport à la
mémoire des anciens harkis, mais aussi sur les usages politiques de la
mémoire de leur destinée).
Les années 1990 et 2000 seront marquées par
l'intensification et la diversification des publications, que cela touche
à la dissémination et/ou à la vulgarisation scientifiques
(voir ci-dessous), à la production associative/militante95(*) ou à la publication
dite de "témoignage" (s'agissant notamment des témoignages
d'enfants de harkis ; voir ci-avant), mais encore une multiplication des
colloques (le plus souvent mixtes, car mêlant associatifs, politiques et
universitaires).
S'agissant de la production de dissémination et/ou de
vulgarisation scientifiques, l'on peut distinguer entre :
- une approche de type socio-historique, essentiellement
d'ordre diachronique, à travers les ouvrages et articles de Maurice
Faivre96(*), Mohand
Hamoumou97(*) et de Michel
Roux98(*), les articles de
Guy Pervillé99(*)
ou de Charles-Robert Ageron100(*), ou encore les ouvrages récents de Nordine
Boulhais101(*) et de Tom
Charbit (sous forme de courte synthèse didactique)102(*) ;
- une approche plus sociologique et synchronique, visant
à rendre compte de la situation des anciens harkis et de leurs enfants,
dans leur rapport à la mémoire, à l'identité et au
politique, ici et maintenant en France, à travers les ouvrages et
travaux de Mohamed Kara103(*), Laurent Muller104(*) ou Stéphanie Abrial105(*), ou encore - au tout
début des années 1990 - un numéro spécial
d'Hommes et migration106(*).
Pour autant, en dépit de la multiplication
récente des témoignages d'enfants de harkis (voir
supra), et à la différence de l'historiographie plus
générale de la guerre d'Algérie qui, selon Guy
Pervillé, a été principalement le fait - outre les grands
témoins et les journalistes - des acteurs de la guerre eux-mêmes
jusqu'au début des années 1990107(*), les témoignages dus aux Français
musulmans rapatriés (les anciens harkis proprement dits) ont
été et restent l'exception. Ainsi, au-delà des quelques
rares témoignages écrits par d'anciens notables ou officiers de
l'armée d'active (les plus connus étant ceux du Bachaga
Boualam108(*) d'abord,
puis, plus près de nous, du colonel Abd-el-Aziz Meliani109(*)), des livres comme ceux de
Saïd Ferdi110(*)
(recruté de force à 14 ans) ou de Brahim Sadouni111(*) (recruté à 17
ans) soulignent, par contraste, le manque de récits à
portée autobiographique des simples supplétifs. La raison de ce
silence prolongé tient à la fois au profil socioculturel des
intéressés (beaucoup sont illettrés), aux conditions
initiales d'accueil qui furent les leurs (la mise sous tutelle dans des camps,
allant parfois jusqu'au filtrage du courrier et des visites), mais encore au
manque de proximité sociologique et idéologique, et donc à
l'insuffisance des relais au sein des milieux journalistique, universitaire ou
de l'édition, originellement plus volontiers acquis à la cause du
FLN.
Enfin, un certain nombre de documentaires112(*) (dont certains
réalisés par des enfants de harkis113(*)), de reportages
télévisés114(*) ou d'émissions radiophoniques115(*) ont été
produits au cours des années 1990-2000, le plus souvent basés sur
le recueil de témoignages. Les fictions romanesques116(*), et plus encore les oeuvres
de fiction télévisuelles et théâtrales, sont
restées elles l'exception, sinon pour aborder cette question de
manière le plus souvent incidente.
Eu égard à l'état de l'art tant sur la
question générale que sur l'objet, notre travail se distingue en
ce qu'il objective, dans une perspective à la fois diachronique et
synchronique, l'économie de la violence symbolique au sein et
autour de la communauté harkie, c'est-à-dire à la fois
telle qu'elle est agie et telle qu'elle est subie et
réagie : non pas simplement une histoire de la destinée des
anciens harkis et de leurs familles, ou une sociologie des regards
portés et du sentiment d'identité de leurs enfants, ici et
maintenant, en France, mais l'un et l'autre, et même l'un par
l'autre : non pas leur simple juxtaposition, mais leur éclairage
mutuel via l'abord de ce liant entre le passé et le présent, le
"Nous" et le "Eux" que constituent les imaginaires et les
(auto-)représentations sociales et politiques. Et l'on est à
même, ce faisant, de délinéer ce que Elias et
Scotson117(*) appellent
la configuration "établis" / "marginaux" (son histogenèse, ses
effets et les réactions qu'elle engendre), et la double relation de
dépendance dont elle se nourrit : à savoir, d'abord, la
relation de dépendance qui, presque inévitablement, lie
l'offensé à son contempteur (avéré ou potentiel)
et, symétriquement, l'autre relation de dépendance, celle qui lie
à dessein le contempteur à son bouc émissaire. A la fois,
donc, « l'histoire, des origines au déclin, de la
capacité qu'a un attribut de servir de stigmate dans une
société donnée » mais encore, en miroir,
« l'histoire naturelle d'une catégorie d'individus
affligés d'un certain stigmate »118(*).
III. Orientation et posture analytiques
Pour le sociologue américain Erving Goffman119(*), l'identité sociale
d'un individu ressortit avant tout du souci qu'ont les autres de le
définir ; à l'inverse, l'identité pour soi,
c'est-à-dire le sentiment subjectif de sa situation et de la
continuité de son personnage que l'individu en vient à
acquérir par suite de ses diverses expériences sociales, est
avant tout une réalité subjective, réflexive,
nécessairement ressentie par l'individu120(*). Si l'on suit à la
lettre le schéma conceptuel élaboré par Erving Goffman, le
stigmate représente un désaccord particulier entre les
identités sociales virtuelles (c'est-à-dire la
caractérisation imputée « de façon
potentiellement rétrospective » à l'individu) et
réelles (soit la catégorie et les attributs dont on pourrait
prouver qu'il les possède en fait) ; parmi tous les attributs
susceptibles de porter le discrédit, sont en cause ceux-là seuls
qui détonnent par rapport au stéréotype que nous avons
quant à ce que devrait être une certaine sorte d'individus :
un stigmate représente donc en fait un certain type de relation entre
l'attribut et le stéréotype.
La notion de "stigmatisation" renvoie donc à la
dimension symbolique de l'exclusion, et notamment « aux
différences dans le pouvoir de définir [l'identité des
personnes], à la manière dont un groupe acquiert et utilise le
pouvoir de déterminer comment d'autres groupes doivent être
considérés, compris et traités »121(*). Elle est régie par
des représentations collectives dévalorisantes, et
participe de la non-reconnaissance - au sens de mise en cause - par un ou
plusieurs autres groupes interdépendants de l'utilité et/ou de la
place qu'occupe un groupe donné dans une société
donnée (tout au moins telles que les membres dudit groupe se les
représentent)122(*). Cette autodéfinition se heurte à la
construction d'une "contre-image" qui, bien qu'elle n'émane pas des
membres du groupe stigmatisé et leur soit globalement
défavorable, peut s'imposer au corps social comme la meilleure ou la
première image possible pour désigner les
intéressés. Symétriquement, la notion de stigmatisation
renvoie aux répercussions de tels mécanismes d'assignation
statutaire (qui imposent à certains individus une image
d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent éluder) sur le sentiment
d'identité et les relations sociales des intéressés. Nous
userons donc de la notion de "stigmatisation" - ou de "sociodynamique de la
stigmatisation" (Norbert Elias) - comme d'un outil analytique permettant
à la fois :
1) d'appréhender les processus de
« figuration politique »123(*) ou de construction d'une
« idéologie de statut »124(*) autour d'un segment de
population donné dans un contexte donné - processus dont
participent les phénomènes de désignation du "bouc
émissaire" ou de désignation de "l'ennemi intérieur",
ainsi que leurs traductions plus routinières (sous des formes plus ou
moins dégradées) dans l'ordinaire des relations sociales :
c'est la stigmatisation telle qu'elle est "agie" ;
2) mais aussi, symétriquement, de rendre compte de la
manière dont les intéressés font avec cette image,
à la fois en termes d'identification (niveau intime), de socialisation
(niveau interpersonnel) et de mobilisation (niveau sociétal) :
c'est la stigmatisation telle qu'elle est subie et "réagie".
III.1 Problématique
Cette thèse vise à rendre compte tant de
l'histogenèse (dimension diachronique) que de l'économie des
échanges symboliques - et notamment de la violence symbolique - entre
individus et entre groupes d'individus autour et au sein de la
communauté harkie, de nos jours, en France et en Algérie
(dimension synchronique). Il s'agira, pour ce faire, d'opérer une forme
d'écologie politique de la stigmatisation, afin d'objectiver non
seulement « la capacité qu'a un attribut [en l'occurrence la
qualité de harki] de servir de stigmate »125(*) (la stigmatisation telle
qu'elle est "agie"), mais encore « l'itinéraire
moral »126(*)
des individus affligés de ce stigmate (la stigmatisation telle qu'elle
est subie). Une perspective à la fois diachronique et synchronique donc,
qui vise à délinéer ce que nous appellerons la
"sociodynamique de la stigmatisation". À la manière de Norbert
Elias et John L. Scotson, il s'agira d'abord d'objectiver « les
conditions dans lesquelles un groupe est en mesure de flétrir un
autre »127(*) ; puis, partant de cette
« représentation formée par les deux (ou plus) groupes
concernés ou, en d'autres termes, [de] la nature de leur
interdépendance »128(*), d'en découvrir « l'incidence sur
la structure de personnalité et sur les conduites des
«outsiders» »129(*).
Ainsi, la perspective adoptée est double :
1) explicative et exégétique d'abord, à
travers ce que Erving Goffman appelle « l'histoire, des origines au
déclin, de la capacité qu'a un attribut de servir de stigmate
dans une (ou plusieurs) société(s)
donnée(s) »130(*).
Il nous faudra ici rendre compte du travail de l'écart
entre ce qu'a été la destinée des harkis et la
manière dont elle est figurée politiquement, autrement dit,
caractériser les contours et la place de la figure du harki dans les
imaginaires politiques en France et en Algérie : comment ont
été figurés les anciens harkis et leurs familles depuis
1962 ? Qui est à l'origine et à quoi visent de telles
assignations statutaires ? Comment expliquer la perpétuation /
banalisation dans l'espace et dans le temps de telles
« idéologies de statut » (Elias et Scotson), que
celles-ci s'objectivent dans la flétrissure en Algérie de la
destinée des anciens harkis (de leur "choix") et à la
transformation de cette destinée (de ce "choix") en "essence" ou
"nature" maléfiques, ou confinent à la non-reconnaissance non
seulement de la place particulière qu'occupe cette catégorie de
population dans la société d'accueil (notamment par rapport aux
populations issues de l'immigration maghrébine, avec lesquelles les
intéressés sont routinièrement amalgamés), mais
aussi - et surtout - à la non-reconnaissance des responsabilités
incombant aux autorités françaises de l'époque dans la
destinée tragique des anciens harkis et de leurs familles à
l'issue de la guerre d'Algérie ? L'objectif est de dévoiler
les visions et principes de division qui sont à la source de telles
mises à l'index, amalgames et censures, et d'en démonter les
usages. En somme, de déconstruire les logiques de domination - sociales
et politiques, routinières et institutionnalisées - qui
s'exercent par les voies symboliques de la stigmatisation à l'encontre
des anciens harkis et de leurs enfants.
C'est la fonction légitimante - par excès ou par
défaut - des mécanismes de désignation de "l'ennemi
intérieur" (en Algérie) ou de non-reconnaissance de la place
symbolique qu'occupe un groupe dans la société (en France) qu'il
nous faudra ici interroger.
2) compréhensive et phénoménologique
ensuite, soit « l'itinéraire moral de l'individu
stigmatisé », ou encore « l'histoire naturelle d'une
catégorie d'individus affligés d'un certain
stigmate »131(*).
Partant du vécu et du ressenti, ainsi que des
rationalisations propres aux individus, il s'agira d'objectiver comment
s'opère au niveau individuel, dans la sphère familiale aussi bien
que dans les interactions de la vie quotidienne, la construction
routinière du rapport "Nous" / "Eux" tant dans l'immédiat
alentour qu'au sein de la communauté harkie. Ici, c'est vers le "monde
vécu" de la stigmatisation que nous dirigerons notre attention. En
clair, comment ceux qui sont ciblés par de telles assignations - et
notamment la génération suivante, à savoir les enfants de
harkis - s'en accommodent-ils, individuellement et collectivement ?
Comment les « idéologies de statut »
véhiculées par l'environnement social influent-elles sur la
transmission de la mémoire et la qualité des relations
interpersonnelles au sein et en dehors du cercle familial ? Et quelles
sont les différentes stratégies identitaires - "adaptatives" ou
"émancipatrices" - mises en oeuvre à différents niveaux
(individuel et collectif) et à différents stades de leur
existence par les intéressés pour "faire avec" cet environnement
stigmatisant ?
Cette optique - délinéer les structures du monde
vécu - implique :
(i) d'identifier les agents ou relais, ainsi que les modes
opératoires ordinaires de la stigmatisation : par quels
mécanismes et sous quelles formes - plus ou moins
"dégradées" - les assignations statutaires
véhiculées originellement par des "entrepreneurs de morale"
institutionnels investissent-elles l'ordinaire des relations sociales et
accèdent-elles ainsi au « statut de fait
établi » 132(*) ?
(ii) et, symétriquement, du point de vue des personnes
étiquetées, de repérer les "savoirs pratiques" et les
anticipations qui assurent la fluidité des interactions dans la famille
(au regard notamment de la gestion du tabou paternel) et dans l'ordinaire des
relations sociales (vis-à-vis de groupes diversement positionnés
sur l'échelle sociale, et qui peuvent être vecteurs de
stigmatisation à des titres et à des degrés divers). Mais
encore, par-delà ces stratégies adaptatives (qui visent à
faire au mieux avec le stigmate), de rendre compte des stratégies dites
de "rupture" qui, dans un premier temps au sein du cercle familial, visent
à "transgresser" le non-dit paternel pour remonter aux
« sources de la honte »133(*) puis, dans un second temps et à un autre
niveau, visent à réhabiliter socialement la figure du père
et à retourner le stigmate en un symbole de prestige publiquement
assumé et revendiqué aux yeux d'autrui.
Cette insistance sur la dimension symbolique de l'exclusion -
la « lutte des places »134(*) - implique de faire de la qualité des
représentations et des relations de et avec autrui (dans l'espace et
dans le temps, notamment à travers le couplage histoire/mémoire)
un critère et un enjeu importants de la dynamique des identités
(individuelles et collectives).
III.2 Posture analytique
Nous l'avons vu, l'objectif de cette étude est
d'objectiver puis de mettre en perspective (sans les confondre) : 1) la
stigmatisation telle qu'elle est institutionnellement "agie" d'une part
(identification/mise à plat des rationalités stratégiques
au fondement de la construction et de la perpétuation des
anathèmes politiques, via l'objectivation du "travail de
l'écart" entre les déroulements historiques et les
dispositifs narratifs ou fictionnels qui prétendent leur donner
sens) ; 2) la stigmatisation telle qu'elle est ordinairement subie et
relayée (sous des formes plus ou moins "dégradées" et
banalisées des grands mythes politiques et idéologiques) ;
autrement dit, les formes de dissémination et de capillarisation de
telles accusations dans l'ordinaire des relations sociales et familiales, et
les stratégies identitaires que déploient les individus
stigmatisés pour y faire face, qu'il s'agisse de s'adapter au stigmate
ou de le "retourner" (Erving Goffman).
L'abord d'une telle problématique - qui revêt une
double dimension : explicative et compréhensive,
exégétique et phénoménologique - implique de
construire des cadres interprétatifs et de développer des
méthodes d'investigation qui, bien que naturellement ancrés dans
la science politique, dépassent les frontières disciplinaires des
sciences humaines et sociales. A la manière de Norbert Elias et John L.
Scotson dans leur approche des logiques de l'exclusion, il s'agira, à
côté d'une approche plus proprement politologique, de
« relier de façon cohérente histoire et sociologie [y
compris les apports de la psychologie sociale], synchronie et diachronie, sans
les réduire l'une à l'autre, ni les
fusionner »135(*).
Ceci implique d'abord d'opérer un va-et-vient constant
entre l'individu, le groupe et la structure, afin de dépasser les
apories (et notamment les effets de nivellement) propres à certaines
approches objectivistes.
Ceci implique ensuite de prêter une attention soutenue
à la dimension temporelle des faits étudiés (qu'il
s'agisse des « faits objectifs relevant de la structure sociale [ou]
des changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de
l'individu »136(*)), qui doivent toujours être conçus
comme des processus, et non comme des états. Dans cette optique, Erving
Goffman souligne que 1) « Le caractère visiblement
fâcheux de tel attribut personnel et la capacité qu'il a de mettre
en branle le jeu du normal et du stigmatisé ont leur histoire, histoire
que viennent régulièrement modifier des actions sociales
délibérées »137(*) (c'est ce qu'Erving Goffman appelle
« l'histoire de la capacité qu'a un attribut de servir de
stigmate ») ; et 2) l'idée que les personnes
affligées d'un certain stigmate ont d'elles-mêmes est sujette
à évolution, « cause en même temps qu'effet de
leur implication dans une même suite d'adaptations
personnelles »138(*) (c'est ce que l'auteur appelle
« l'itinéraire moral des individus
stigmatisés »).
Ceci implique enfin de prendre au sérieux ce que tous
les acteurs impliqués dans cette dynamique - institutions,
collèges d'acteurs et gens ordinaires - ont à dire de la
situation faite (s'agissant des contempteurs ou de leurs relais) ou
vécue (s'agissant des intéressés) par les anciens harkis
et leurs enfants. Ainsi que nous y invite Herbert Blumer, « nous
devons prendre en compte le point de vue de la personne ou du groupe
("l'acteur") dont le comportement nous intéresse, et comprendre le
processus d'interprétation à travers lequel il construit ses
actions »139(*). Et il ajoute :
« L'interprétation est construite par l'acteur sous forme
d'objets désignés et appréciés, de significations
acquises et de décisions prises »140(*). Autrement dit, les objets
sociaux - à commencer par les normes relatives à
l'identité des personnes - sont soumis à un processus continu
d'interprétation, qui détermine la manière dont les
acteurs (inter)agissent.
III.2.1 La stigmatisation telle qu'elle est
"agie" : les rationalités stratégiques au fondement de la
construction des anathèmes politiques, ou la dimension narrative de
l'appareil social de domination (niveau macro-politique)
Il s'agira ici d'inscrire l'analyse des
« opérations figuratives »141(*) et autres dispositifs
fictionnels (mythes, narrations) - ce que Norbert Elias et John L. Scotson
appellent la construction d'une « idéologie de
statut » à propos de tel ou tel acteur
interdépendant142(*) - au coeur de l'analyse du politique : comment
et à quelles fins modèle-t-on de telles images ? Avec quels
effets ? Ces images sont-elles évolutives ou immuables,
conjoncturelles ou structurantes ?
A cet égard, ces opérations figuratives exigent
une analyse aussi bien synchronique que diachronique : l'exploration de la
question du rapport entre les opérations figuratives et l'action
politique dite "exécutive" (à savoir, en l'espèce,
l'exploration du rapport entre la manière dont les harkis ont
été portraiturés et la manière dont il a
été décidé de leur sort dans le contexte de la
guerre d'Algérie et de l'immédiat après-guerre) se double
ainsi de l'exploration du jeu entre le passé et le présent (jeux
et enjeux de mémoire autour de la figure du harki, dans un contexte de
perpétuation des violences politiques en Algérie et de tentative
de "normalisation" des relations entre la France et l'Algérie). En
l'occurrence, on distingue deux séries d'interrogations :
1. Comment les harkis ont-ils été figurés
au moment de la guerre d'Algérie par d'autres acteurs
interdépendants (autorités françaises, Front de
libération nationale, leaders et relais d'opinion) ? A quelles
fins ? Et avec quels effets ?
2. Comment les anciens harkis sont-ils figurés
rétrospectivement, en France et en Algérie ? Cette image et
les usages qui en sont faits ont-ils évolué - et, si oui, comment
- depuis la fin de la guerre d'Algérie ?
Dans l'un et l'autre cas, il nous faudra rendre compte non
seulement des opérations figuratives et autres formes d'appropriation de
l'imaginaire (à savoir comment les choses sont-elles
représentées / narrées / mises en récit), mais
aussi de la "rationalité stratégique" qui les sous-tend (à
savoir pourquoi les choses sont-elles ainsi représentées
/ narrées / mises en récit). En outre, cette analyse concerne
aussi bien la figuration institutionnelle de l' « ennemi
intérieur » (imaginaires de guerre et imaginaires politiques),
que les processus d'étiquetage qui, sous des formes plus ou moins
dégradées et banalisées, en découlent
routinièrement (à l'échelle des relations
interindividuelles notamment).
III.2.1.1 De l'invention d'une figure à
l'invention d'un destin : le rapport entre fiction et fondation (y
compris le mouvement itératif entre langage et violence)
Les dispositifs fictionnels tendent à produire une
réalité politique conforme à ce qu'ils énoncent.
Encore faut-il objectiver ce rapport entre narrativité et
performativité (la relation entre ce que "dit" le langage et ce qu'il
"fait") ou, pour le dire autrement, le rapport entre fiction et fondation.
Terry Cochran note avec justesse que les images traversent le
politique de part en part, « très souvent sous la forme de
personnifications »143(*). Il ajoute : « Une
collectivité quelconque ne peut pas devenir le sujet d'une phrase sans
une opération rhétorique, sans l'utilisation d'une figure de la
pensée, qui unit dans une seule image des individus disparates qui
n'agissent jamais dans le même esprit : il faut imaginer,
rendre en image, un collectif qui, en tant que cette image, agit comme une
personne singulière »144(*). Ainsi, mise en image et narration accompagnent la
fondation, entendue comme procès de formation d'une
volonté collective déterminée, pour une fin politique
déterminée. Terry Cochran : « L'image
représente le processus de consolidation d'une volonté collective
parce qu'elle crée la possibilité de visualiser un acteur
concret, une peau pour une masse amorphe et sans contenant. Cette image est
davantage une incarnation idéale qu'une représentation
simple : elle projette une forme dans l'esprit à laquelle on peut
attribuer une volonté, une conscience, un visage avec des expressions
émotives, des bras pour saisir les objets du monde, des jambes pour se
déplacer ou pour donner des coups de pieds, ainsi que des devoirs
historique »145(*). Il ajoute : « La «persona»
qu'on invente pour sentir et englober les passions politiques s'insère
dans une narration qui se déploie historiquement. La fiction qui la
véhicule convainc les lecteurs qui s'identifient avec le protagoniste
principal. Tout cela au nom de la fondation éventuelle, qui occupe une
place privilégiée dans ce paradigme
historique »146(*).
Cependant, ces opérations figuratives qui, selon
Cochran, « jouent un rôle fondamental de catalyseur dans la
représentation du monde "réel" tout comme dans les projets
potentiels de métamorphoser le domaine politique », prennent
non seulement la forme de mythes fusionnels mais aussi, symétriquement,
celle de figures d'excommunication ou de boucs émissaires. Ces
figures d'excommunication sont des "catalyseurs à l'envers" qui jouent
sur la fonction cohésive des peurs. Ainsi, dans l'immédiat
après-guerre d'Algérie, il y a bien, à côté
de cette "vitrine" de la représentation politique qu'est le collectif
fusionnel et fondateur (le mythe de l'unanimité des masses
derrière le FLN : « Un seul héros, le
peuple »), cet "envers" tyrannique qu'est la figure du bouc
émissaire (le harki comme « traître »). Selon
Max Pagès, les révolutions « remettent en question les
bases traditionnelles de la sécurité collective dans le rapport
aux institutions (...), sur le fond d'un système psychologique
fonctionnant à l'identification projective, à l'angoisse et
à la haine, sans médiation, contrepoids, ni
limite »147(*). « On assiste, ajoute-t-il, à une
sorte de détriangulation de la vie politique, par la suppression des
positions intermédiaires et de toutes sortes de médiations,
immédiatement assimilées à une
trahison »148(*). C'est dans un tel contexte, marqué par une
« logique duelle, manichéenne, persécutoire et
paranoïaque » liée à la désignation de
l'ennemi intérieur comme principe structurant de l'espace politique,
qu'a pris corps le massacre des harkis
Dans La Violence et le Sacré, René
Girard149(*)
suggère que la désignation d'un bouc émissaire permet
d'opérer une catharsis des pulsions agressives des membres de la
communauté. Dans et par ce rite sacrificiel, la violence de tous contre
tous se résout dans la violence de tous contre un. Autour de la victime
sacrifiée se reforme - au moins provisoirement - l'unité de
la collectivité, "apaisée" par cet exutoire. Se produit ainsi une
solidarité dans le crime, dont tout un chacun - du détenteur du
pouvoir au simple quidam - peut tirer profit, bien qu'à des
degrés et pour des raisons divers. Le bouc émissaire est
censé condenser sur lui toutes les tares et toutes les souillures
qui ont entaché l'unité de la communauté. Son sacrifice,
plus ou moins unanimement consenti, doit expulser le mal hors de ses
frontières. Ce lynchage originel est, selon René Girard, le
fondement de toute société. Quoi que l'on pense de l'ambition
universelle de cette thèse, elle éclaire - même
contestablement - certaines dynamiques de fondation ou de refondation
politique, dont le cas de l'Algérie indépendante est
exemplaire.
En ce sens, souligne Max Pagès, « le massacre
peut être aussi créateur de lien social »150(*). Mais, parce qu'elle joue
sur les vertus cohésives de la peur, cette socialisation là est
aussi un vecteur de fragilité à plus long terme : en
instaurant la désignation de "l'ennemi intérieur" comme
contrechamp de l'harmonie sociale, et confondant - ce faisant - opposition et
sédition, elle condamne le corps social à user par
privilège de la violence comme mode de règlement des conflits,
qu'il s'agisse d'exercer l'autorité (on ne transige pas avec les
"traîtres") ou de la contester (puisqu'il n'y a d'alternative, dans un
contexte artificiellement unanimiste, que de se soumettre ou de se
rebeller).
Ainsi, en Algérie, la récurrence des violences
politiques qu'accompagnent le réinvestissement et la constante
réactualisation des antiennes de la "trahison" et du "parti de la
France" amènent à s'interroger sur la profondeur historique et
l'efficace sociale des usages à la fois attentatoires et dilatoires de
la figure du harki. Cette "performativité" à long terme des
dispositifs fictionnels mis en place par le FLN dès le
déclenchement de l'insurrection (et immédiatement "actés"
par une politique de ciblage systématique des populations non
inféodées à cette organisation pendant la guerre
d'Algérie, puis par le massacre des harkis à l'issue de cette
guerre) témoignent de la contrainte, de l'effet d'entraînement et
parfois d'enfermement exercé par les imaginaires politiques. C'est aussi
ce que suggère Béatrice Pouligny, pour qui « dans la
compréhension de ce qui se passe pour les membres des
sociétés dans lesquelles ont été commis des crimes
de masse, la frontière est le plus souvent infime entre "faits" et
"paranoïa" »151(*). « C'est pourquoi, ajoute-t-elle, dans les
récits que l'on tente de reconstituer, les structures historiques de
peur et d'ennemi doivent être étudiées comme telles et non
pas simplement discréditées au titre de paranoïa ou
d'extrémisme »152(*).
III.2.1.2 Jeux et enjeux de mémoire :
postérité symbolique et usages rétrospectifs de la figure
du harki
L'intérêt de ceux qui orchestrent de tels "rites
sacrificiels" est bien entendu d'en prolonger l'effet cohésif et
mobilisateur au-delà même des bouleversements liés à
la période de fondation. En instaurant la désignation de l'ennemi
intérieur comme mode pérenne de régulation sociale et
politique, ce sont les conditions de prise de pouvoir initiales - et
l'hégémonie de fait qu'appelle l'exercice de la violence
fondatrice - que l'on cherche à perpétuer. La menace de
réédition à l'identique du sacrifice originel
(l'éradication comme constante du discours et des pratiques politiques
en Algérie) se double de la nécessité d'adapter la trame
de cette menace aux réalités mouvantes du présent, par
exemple en entretenant l'équivoque quant aux contours exacts de la
figure de l'ennemi intérieur (l'assimilation des islamistes armés
à des fils de harkis), afin que chacun au sein de la communauté
se sente potentiellement menacé. Et que tous restent disciplinés.
En l'espèce, resituant l'analyse dans « le
temps de l'après massacre »153(*), nous entendons objectiver les usages
rétrospectifs tant de la figure que du souvenir du massacre des harkis
sur les scènes politiques algérienne et française
(où l'enjeu, à l'inverse de l'Algérie, n'est pas de
capitaliser les effets du traumatisme originel mais d'en taire ou d'en
minimiser les séquelles - donc les responsabilités).
En Algérie, la rémanence, jusqu'à
aujourd'hui, d'une rhétorique obsidionale articulée autour de la
désignation de "l'ennemi intérieur" (en l'occurrence, du "harki")
et, plus encore, son instrumentation tous azimuts y compris par ceux qui
aspirent à renverser le système en place, témoignent de ce
qu'elle a profondément imprégné la culture politique
algérienne. Et invite à s'interroger sur le jeu entre le
passé et le présent, ou encore, sur la manipulation de la
mémoire comme outil de légitimation politique. De fait,
par-delà son rôle fantasmatique d'"aiguillon" à
l'égard de l'étranger (et de la France en particulier), la
désignation de l'ennemi intérieur est aussi et surtout une arme
à usage interne, qui participe de la régulation de l'expression
affective du corps social par exacerbation de la fibre nationaliste des masses
algériennes. Une forme de manipulation que Raymond Boudon dépeint
comme un « appel délibéré aux pulsions
inconscientes » et qui joue sur la désarticulation du
« principe de réalité »154(*). Très clairement, via
l'incrimination récurrente de la figure du harki, c'est à la
vertu "intégrative" des conflits ou des menaces imaginaires que l'on en
appelle. Dans le contexte actuel en Algérie, cette incrimination
fantasmatique des harkis ou de leurs enfants participe du récit d'une
société déchirée qui se refuse - ou, plutôt
que la strate dominante se refuse à représenter comme
telle : car admettre le récit de la déchirure, qui est aussi
un récit de la pluralité (ou de la "non-unanimité"), c'est
admettre la nécessité de partager le pouvoir. Ainsi, chaque fois
qu'une société perd de vue ce qui la fonde, ou prend conscience
que les récits qui la fondent sont de l'ordre du mythe (le mythe de
l'unanimité des masses derrière le FLN), il lui devient
nécessaire de s'inventer (ou de se réinventer) un bouc
émissaire afin que sa désignation - ou la menace de son sacrifice
- "ressoude" la communauté. Dans les sociétés
fermées, en particulier, l'objectivation des logiques politiques de
désignation de l'ennemi intérieur contribue à mettre
à nu l'appareil symbolique grâce auquel le groupe établi
assoit sa domination. L'exercice prémédité de
l'anathème appartient à « la famille des relations de
pouvoir », et participe de cette forme d'influence qui est
« synonyme de manipulation »155(*). En Algérie, les
usages rétrospectifs de la figure du harki sont associés à
un type spécifique de fantasme collectif : l'assimilation de toute
opposition à une trahison. Le message sous-jacent est : voyez ce
qu'il en coûte de s'opposer à nous.
Pour cette raison, nous partirons du postulat - non exclusif
mais fécond - qu'en Algérie, jusqu'à aujourd'hui, c'est du
côté du rapport belliqueux, du côté du modèle
de la guerre que l'on peut trouver un principe d'intelligibilité et
d'analyse du pouvoir politique156(*). Il apparaît ainsi d'évidence que le
schéma de lutte privilégié par le FLN pendant la guerre
d'indépendance - logique exclusiviste de front unique et
suprématie du militaire sur le politique - a été et
demeure à la source de force pratiques politiques, qu'elles
ressortissent de l'ordre de la rhétorique ou de l'action : dans un
cas, les usages rétrospectifs de la figure du harki témoignent de
la prégnance du champ lexical de la trahison ainsi que d'un principe de
division du champ politique articulé autour de l'opposition
amis/ennemis ; dans l'autre cas, l'annulation autoritaire du processus
électoral en 1992, la formation de maquis islamistes, les tueries
à l'encontre des populations civiles et la politique dite
d'éradication qui s'en sont suivies, témoignent de la
prégnance de la violence comme forme d'expression du politique. Cet
héritage belliqueux a été directement à la source
du régime de parti unique à direction militaire qu'a connu ce
pays jusqu'en 1989, et il continue, en dépit de l'instauration formelle
du pluralisme, à inspirer l'écriture des lois dans certains
domaines vitaux (voir la Partie 2), d'autant, nous l'avons vu, que l'emprise
des militaires demeure.
Mais manipuler le passé à des fins d'influence,
ce n'est pas seulement "re-contemporanéiser" (mettre au goût du
jour), ce peut être aussi "dé-contemporanéiser" (mettre
sous l'éteignoir). En France, nous l'avons dit, la stigmatisation de la
figure du harki participe davantage de son occultation que de sa
démonisation. L'enjeu n'est pas, comme en Algérie, de
délégitimer l'expression de la pluralité en
désignant un ennemi intérieur (construction au forceps d'une
nation une et unanime), mais de préserver le consensus tacite entre
droite et gauche de gouvernement autour des modalités de
règlement de la guerre d'Algérie (stabilisation de l'ordre
politique). Ce qui implique d'occulter les conséquences humaines somme
toute exorbitantes (mais alors minorées) de la politique de
dégagement opérée par le général de Gaulle,
avec le soutien au moins passif de l'opposition parlementaire d'alors.
D'où la nécessité de construire un récit
générique et dédramatisé (centré sur les
tenants du processus de négociation plutôt que sur les
aboutissants), comme expurgé de tout ressort affectif ; un
récit stato-institutionnel articulé autour du "pragmatisme"
gaullien, tout entier contenu et symbolisé par le processus de
négociation d'Evian, puis la conclusion desdits accords et du
cessez-le-feu : le fait que ces accords aient été
négociés à l'exclusion de représentants des
pieds-noirs et des musulmans pro-français, qu'ils aient
été quasi-immédiatement et intégralement
violés par la partie algérienne pour ce qui concerne les
garanties accordées à la sécurité et aux biens des
personnes, et que le cessez-le-feu n'ait donc été que le
prélude à une série d'assassinats et de massacres de
civils parmi les plus massifs de la guerre d'Algérie, importe peu :
pieds-noirs et harkis, quelle qu'ait pu être l'intensité de leurs
drames respectifs, sont des minorités. Le consensus, en France
métropolitaine, s'est donc construit contre et malgré eux, dont
la trajectoire pouvait sans mal - et au bénéfice, pensait-on, de
la paix civile - être effacée des pages du roman
national157(*). Cet
exercice volontaire de l'amnésie par les instances officielles a
été redoublé, jusqu'à une période
récente, par l'ataraxie volontaire des lieux de production et de
diffusion du savoir. La forte implication des clercs, mais aussi des
étudiants, dans la lutte "contre" la guerre d'Algérie a
grevé pour de longues années l'appétence de nombres
d'intellectuels pour la destinée des harkis, jugée politiquement
incorrecte - y compris dans ses aspects les plus dramatiques.
III.2.2 La stigmatisation telle qu'elle est subie et
ordinairement relayée : la capillarisation des anathèmes
politiques dans les interactions de la vie sociale et familiale (niveau infra
ou micro-politique)
Nous l'avons dit, par-delà l'objectivation de la
stigmatisation telle qu'elle est "agie", notre démarche vise à
rendre compte de la stigmatisation telle qu'elle est subie et ordinairement
relayée dans les interactions de la vie sociale et familiale. Cette
double perspective réclame d'introduire la dimension subjective,
vécue, au coeur même de l'analyse sociopolitique. En l'occurrence,
il s'agit de saisir la manière dont les fils et les filles de harkis
"font avec" les imaginaires et les processus socio-institutionnels (en
particulier les anathèmes politiques, stéréotypes et
autres idéologies de statut) qui façonnent le ou les univers dans
lesquels ils évoluent quotidiennement. Notre posture vise ainsi à
redoubler la construction d'un système explicatif de type
macrosociologique et exégétique à même d'objectiver
la dimension narrative de l'appareil social de domination (ce que Erving
Goffman appelle « l'histoire de la capacité qu'a un attribut
à servir de stigmate »158(*) et Howard Becker « l'histoire naturelle de
l'élaboration et de l'imposition des normes »159(*)) par la saisie des
significations vécues, relais et répercussions ordinaires -
interrelationnelles et intimes - de tels dispositifs fictionnels, à
savoir : la "capillarisation" des anathèmes politiques dans
l'ordinaire des relations sociales et familiales, c'est-à-dire à
la fois ce que Howard Becker dépeint comme « l'étude
des moyens par lesquels l'oppression des catégories de statut
supérieur acquiert un statut de légitimité "normale" et
ordinaire »160(*), ou encore « l'étude de la
construction et de la réaffirmation des significations morales dans la
vie quotidienne »161(*), et, symétriquement, ce que Erving Goffman
appelle « l'itinéraire moral de l'individu
stigmatisé »162(*).
L'optique, ici, est avant tout compréhensive. Il
s'agira, autant que possible, de « circuler de l'individuel au
collectif », autrement dit, d' « analyser les
conduites de vie dans leur relation aux ordres de vie »163(*). Il nous faudra ainsi
étudier « l'ensemble du processus par lequel les individus
[tant ceux qui se font les relais ordinaires des opérations de
figuration politique que ceux qui en sont la cible] construisent
l'interprétation de leur situation, et par-delà, leurs
actions »164(*), autrement dit, « la réalité
dans laquelle sont engagées les acteurs sociaux, la
réalité qu'ils créent en donnant un sens à leur
expérience, et par référence à laquelle ils
agissent »165(*). S'agissant d'appréhender la stigmatisation
telle qu'elle est routinièrement subie et "réagie" (le monde
vécu de la stigmatisation), notre démarche est tournée
d'abord vers la saisie des routines et des "allant-de-soi" : savoirs
pratiques (dans la présentation de soi ou l'identification par autrui),
sentiments (sentiment d'identité, sentiment de honte ou de fierté
vis-à-vis d'autrui) et registres d'action mobilisés par les
individus stigmatisés pour réagir aux informations
véhiculées par l'environnement immédiat.
La dimension critique ne sera pas pour autant
éludée. Le pari est que l'attention aux êtres, à la
manière dont ils se définissent et dont ils sont définis
par les autres dans l'ordinaire des relations sociales, recèle des
vertus dialectiques insoupçonnées : ne serait-ce que parce
qu'une telle attention nous amène à objectiver ce qui d'ordinaire
ressortit de la simple impression ; et surtout parce que cela nous oblige
à prendre du recul par rapport aux structures immédiates de
l'interaction, à les relier à d'autres structures, moins
immédiates mais tout aussi agissantes, sans perdre de vue ni les unes ni
les autres. Ce faisant, l'idée est de délinéer
« les structures du monde vécu », de repérer
« les cadres de l'expérience » (Erving Goffman),
pour nous situer à l'articulation des paramètres structuraux,
interrelationnels et psychologiques, s'agissant de la stigmatisation telle
qu'elle est à la fois ordinairement relayée et subie.
Ainsi, à rebours de toute "rupture
épistémologique"166(*), il ne s'agit ni de refuser a priori toute valeur
interprétative au ressenti des acteurs sociaux, sous prétexte
qu'il ferait systématiquement écran à quelque sens /
explication caché(e) inaccessible au sens commun, ni de le valider a
posteriori. Mais il s'agit, d'une part, d'en rendre la substance, et, d'autre
part, d'en explorer l'efficace sociale, via l'examen des stratégies
individuelles ou collectives déployées par les acteurs sur la
base de ce ressenti. Ceci implique, en particulier, de prendre au
sérieux ce que les anciens harkis et leurs enfants ont à dire de
leur situation, de le restituer et de le resituer (au sens de mettre en
perspective les mots et les choses). Et non de considérer les individus
stigmatisés comme des "idiots sociaux", incapables de
démêler les fils de leur destinée, ou encore de tenir un
discours et d'agir sur la complexité sociale et politique du ou des
mondes qui les environnent : même soumis à des
déterminismes "lourds" dont l'écheveau peut, par surcroît,
être difficile à démêler, ils sont à
même, dans certaines circonstances ou à certains moments de leur
vie, de "faire avec" ou, tout au moins, de produire une définition de la
situation qui va contribuer à orienter leurs comportements167(*). Symétriquement,
rien ne dit que ceux qui, dans la vie de tous les jours en France et en
Algérie, se font les relais ordinaires des gestes infamantes ou des
narrations tronquées véhiculées par diverses institutions
et certains collèges d'acteurs à l'encontre des anciens harkis et
de leurs enfants, soient dupes du caractère artificieux et parcellaire
de tels récits ; mais, à condition d'y trouver leur propre
intérêt, ils peuvent se faire les acteurs complaisants de la
"naturalisation" du stigmate, en contribuant à l'ancrer dans l'ordinaire
des relations sociales : un intérêt ou une rationalité
"dérivés" qui, bien que non réductibles aux usages
proprement politiques de la figure du harki, participent de fait de leur
efficace sociale. C'est dans ce va-et-vient entre le "micro" et le "macro" que
nous entendons rendre compte des phénomènes de capillarisation
des opérations de figuration politique, de leur plus ou moins grande
propension à faire tâche d'huile et à faire date, et donc
à structurer l'ordre social jusque dans ses manifestations les plus
routinières et / ou les plus intimes. A cet égard, il nous faut
informer l'étude des formes de sociabilité à
l'échelon des relations interpersonnelles (la construction du rapport
"Nous-Eux" dans l'ordinaire des relations sociales) aussi bien que des
mobilisations collectives à l'échelon sociétal (la lutte
pour la réhabilitation de la figure du père) par celle de la
dynamique des générations au sein de la cellule familiale (y
compris la "quête à être" intime des enfants de harkis).
Dans cette étude du "monde vécu" de la
stigmatisation (capillarisation des anathèmes politiques dans
l'ordinaire des relations sociales et, symétriquement, itinéraire
moral de l'individu stigmatisé), l'accent est mis, dans une relation en
miroir :
- 1. sur les phénomènes de transmission -
ou d'oblitération - de la mémoire familiale (du côté
des parents), ainsi que sur les phénomènes d'identification
à - ou de forclusion de - la figure du père (du
côté des enfants) ; autrement dit, sur le rapport des parents
à leur propre destinée et la façon dont ce rapport peut -
ou non - susciter la honte chez l'enfant ;
- 2. sur les processus d'étiquetage dans l'ordinaire
des relations sociales d'une part, sur la manière dont les enfants de
harkis ajustent leur conduite pour faire face puis s'émanciper des
formes d'assignation statutaire véhiculées à leur endroit
(ou à leur encontre) d'autre part, et ce tant à l'échelon
individuel que collectif.
Notre approche repose ainsi sur une conceptualisation
dynamique du processus de socialisation qui, entre individuation et
assignation, identité pour soi et identité pour autrui, permet
d'aborder celui-ci dans une intrication intime entre le psychologique et le
social. Une posture analytique dans la droite ligne de celle de Claude Dubar,
qui « refuse de distinguer l'identité individuelle de
l'identité collective pour faire de l'identité sociale une
articulation entre deux transactions : une transaction "interne" à
l'individu et une transaction "externe" entre l'individu et les institutions
avec lesquelles il entre en interaction »168(*). Cette conceptualisation,
ajoute Claude Dubar, et cela est essentiel pour nous, « s'attache
particulièrement à dégager et à définir des
catégories d'analyse qui soient opératoires pour des recherches
empiriques »169(*).
III.2.2.1 Une posture analytique aux confluents
d'une visée compréhensive du sujet et d'une approche dynamique du
processus de socialisation
Dans cette même optique, Jean-Pierre Terrail170(*) propose d'appréhender
comme un même mouvement le processus qui "produit" les hommes et celui
par lequel ils "se produisent" : « Le sujet est toujours
déjà présent dans le mouvement de sa constitution :
mouvement qu'il semble dès lors légitime de désigner comme
appropriation, pour signifier l'identité nécessaire et
immédiate de la détermination objective et de la mobilisation du
sujet »171(*).
Le concept d'appropriation, en tant qu'il s'inscrit dans une dialectique de
l'identité des contraires (« L'intériorisation de
l'extériorité est extériorisation de
l'intériorité, c'est-à-dire
activité »172(*)), rend compte de la potentialité du
dépassement de l'opposition entre individualisme méthodologique
et structuro-fonctionnalisme en constituant l'interaction et
l'intersubjectivité en objets "naturels" de l'investigation
scientifique. Claude Dubar rappelle que c'est sans doute G.H. Mead, dans son
ouvrage intitulé Self, Mind and Society (1934), qui a le
premier décrit, de manière cohérente et argumentée,
la socialisation comme construction d'une identité sociale (un "self"
dans le vocabulaire meadien) dans et par l'interaction avec autrui. Mead
considère que « le fait premier est l'acte social qui implique
l'interaction de différents organismes, c'est-à-dire l'adaptation
réciproque de leurs conduites dans l'élaboration du processus
social »173(*). Ce qui importe dans ce processus c'est le double
mouvement par lequel les individus s'approprient subjectivement un
« monde social », c'est-à-dire
« l'esprit » (Mind) de la communauté
à laquelle ils appartiennent (socialisation) et, en même temps,
s'affirment positivement dans le groupe en s'appropriant un rôle actif et
spécifique en son sein (individuation). En se socialisant, les individus
créent de la société autant qu'ils reproduisent de la
communauté. Les hommes non seulement se transforment mais se forment
initialement au travers de leurs interactions :
- dans cette optique, il faut nécessairement prendre
en compte le caractère actif de l'individu socialisé. La part de
ce qui est appris mécaniquement est faible ;
- il faut aussi prendre en compte le fait que l'individu
socialisé est confronté à des visions du monde plurielles
et concurrentes, à des agents de socialisation
multiples « dont on peut apprendre sans qu'ils enseignent, et
qui peuvent produire effet longtemps après l'expérience
immédiate »174(*).
Une telle optique invite le chercheur à viser la
compréhension des aspects non délibérément
"éducatifs" de la vie sociale, qui fonctionnent à un moment et
dans un milieu social donnés comme conditions pertinentes
d'individuation, et à envisager la formation du soi comme le
résultat de l'activité biographique au sens le plus large.
L'action réciproque des hommes est la clé de l'intelligence du
social en même temps que de la formation des individus. L'homme
entretient un rapport toujours actif aux conditions qui le déterminent.
Ainsi, la posture interactionniste permet d'appréhender de
manière beaucoup plus fine - non étroitement mécaniste -
la question de l'introduction des nouvelles générations dans la
vie sociale.
III.2.2.2 La dynamique des
générations au coeur des processus de médiation entre
l'individuel et le collectif
Aux côtés des rapports de classe et de genre, les
rapports de génération contribuent à structurer la vie
collective ; mais de façon sans doute bien plus silencieuse. Leur
visibilité sociale est moindre ; et les politologues, à la
différence des sociologues, leur portent un intérêt
épisodique.
Si au regard de l'acception durkheimienne du concept de
socialisation chaque élément particulier du social peut
être interrogé du point de vue de sa place dans, et de sa
contribution à, la permanence structurale du tout, du point de vue
interactionniste, « la reproduction n'est plus cet "a priori" qui
guide le regard du chercheur, mais le produit toujours problématique
d'une activité dont il s'agit de comprendre concrètement comment
elle opère et, par suite, comment elle construit tel ou tel
résultat »175(*). Dans cette même optique, Claudine
Attias-Donfut conçoit la dynamique des générations comme
la résultante d' « une relation d'engendrement
réciproque imbriquant étroitement processus cognitifs et
interactions sociales »176(*) :
« Prendre conscience de sa génération,
ajoute-t-elle, implique de prendre conscience aussi - et pourrait-on dire
d'abord - des autres générations. C'est dans une relation de
réciprocité que s'opère la différenciation
générationnelle d'où émerge une conscience
spécifique. C'est par une forme de "décentration temporelle" que
sa propre durée est relativisée par rapport à celles des
générations antérieures contemporaines, et située
dans une échelle de temps qui n'est plus celle d'une vie humaine mais de
la suite des générations qui assure la continuité du temps
dans la société »177(*).
Chaque génération se définit par rapport
aux générations précédentes dans une
"référence/opposition" permanente. L'identification implique la
différenciation. En constituant les rapports d'âge en rapports
intergénérationnels, à l'articulation des biographies
singulières et de l'histoire sociale, notre posture de recherche permet
de prendre en compte, s'agissant du passage d'une génération
à l'autre, non seulement la stabilité, la perpétuation,
mais aussi le changement, le déplacement dans la façon
d'interroger le social.
Précisément, l'inscription dans un contexte
problématique du lien entre filiation, transmission et identification au
sein de la communauté harkie, repose sur l'hypothèse d'une
"cassure" dans la dynamique des générations, cassure
consécutive aux silences, aux "non-dits" de la mémoire familiale
(et notamment de la mémoire paternelle). De fait, en raison de la
trajectoire singulière - et singulièrement dramatique - des
anciens supplétifs et de leurs proches parents, la famille
apparaît, au sein de cette communauté, comme le lieu de
cristallisation de fortes tensions entre les générations. Ces
tensions, liées à la situation de double relégation (exil
géographique et exclusion symbolique) des parents, furent
aggravées par les conditions initiales d'accueil et de socialisation des
enfants. La réticence des pères à rendre compte d'une
trajectoire fortement grevée sur le plan symbolique, la fragilisation
corrélative des enfants, le plus souvent désarmés pour
faire face à un environnement stigmatisant, dessinent en creux ce que
Irène Théry appelle un « malaise dans la
filiation »178(*). Cette mémoire en déshérence,
refoulée par les pères, quêtée par les enfants,
serait un obstacle tant à l'épanouissement individuel des fils et
filles de harkis qu'à l'émergence d'une conscience collective
assumée par tout un chacun au sein de la communauté. De cette
cassure de la dynamique des générations résulte aussi,
pour les enfants, la difficulté de mettre en place un répertoire
d'action commun et de faire voix à l'échelle de la
société tout entière.
Ainsi, la problématique de la formation de
l'identité est-elle intrinsèquement liée à celle de
la transmission de la mémoire : c'est dans l'économie des
échanges entre mémoire et identité que se trame la
dynamique des générations. La transmission de la mémoire
vise d'ailleurs moins à la recension qu'à la symbolisation de la
chose passée. Ce qui est en jeu, c'est au moins autant la
célébration du Moi (individuel et collectif) que la ressouvenance
de ce qui a été. En ce sens, la problématique de la
mémoire lie indissociablement connaissance de soi par soi et
reconnaissance de soi par autrui. Porte-étendard aussi bien qu'outil
d'exhumation du passé, la mémoire est un liant qui scelle la
destinée d'un groupe au fil des générations et sert
d'étai à chacun de ses membres : se construire comme
individu ou comme collectif oblige nécessairement, pour se positionner
par rapport aux autres, à se positionner par rapport au passé et,
donc, à incorporer puis digérer ce qui a été avant
soi (qu'il s'agisse de l'assimiler ou de l'éliminer). L'attention
accordée à ces phénomènes prend un relief
particulier lorsque, comme c'est le cas ici, ils prennent corps dans un
environnement social stigmatisant. D'où la nécessité de
mettre l'accent sur les phénomènes d'entrave à la
transmission de la mémoire familiale, de fragilisation relative du
sentiment d'hérédité et donc d'identité des enfants
de harkis (phénomènes qui, d'une certaine manière, vont
"donner raison" à cet environnement stigmatisant) et, inversement, sur
les formes d'insurrection symbolique, individuelle et collective, visant
à transgresser le tabou paternel d'abord (connaissance de soi par soi),
à mettre en place un répertoire d'action commun et à faire
voix à l'échelon sociétal ensuite (reconnaissance de soi
par autrui).
Le chercheur est ainsi convié à
appréhender le "non-dit", le silence (là où il pourrait,
là où il devrait y avoir échange, transmission), comme une
composante fondamentale de l'expérience intersubjective des acteurs
sociaux et, à ce titre, du processus de construction des
identités. Symétriquement, pour les enfants, interroger la
mémoire du groupe, ses silences, ses "non-dits", c'est se
"re-mémorer" pour se "re-constituer", c'est-à-dire reconstituer
ce par quoi on a été construit pour se construire
« soi-même comme un autre » (Paul Ricoeur) :
« Telles sont les préoccupations de ceux (...) qui partent
à la recherche de leurs aïeux [à commencer par leurs
ascendants directs] pour retrouver dans leurs racines la source de leur
moi »179(*). A
travers l'histoire de ses ancêtres et de son groupe d'appartenance, c'est
avant tout son identité personnelle que chacun tente de cerner :
« Les enfants de harkis partent à la recherche de leur
mémoire, celle de la guerre d'Algérie (...). Dépositaires
des expériences passées, la mémoire des pères, des
mères, est garante de leur propre survie au sein d'une
société qui masque ses continuités »180(*).
« Pour que sentiment du passé il y ait, il
faut qu'une faille intervienne entre le présent et le passé,
qu'apparaisse un "avant" et un "après", un intervalle vécu sur le
mode de la filiation à rétablir »181(*) : c'est cette dynamique
des générations, ce « besoin de savoir à qui et
à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » qui sont
entravés au sein de la communauté harkie, plongeant la
deuxième génération dans un "no man's land" identitaire
déstabilisateur : « Si l'histoire des harkis est à
raconter et à transmettre, c'est sans nul doute pour rendre le choix
à nouveau possible : ou bien l'assumer, ou alors choisir en toute
connaissance de cause de s'en déprendre »182(*).
Pour faire état de la dynamique des
générations au sein de la sphère familiale, ainsi que des
tensions que peut engendrer dans l'ordinaire des relations sociales la gestion
d'un héritage paternel fortement grevé sur le plan symbolique),
nous avons choisi de centrer nos analyses sur le cas des fils et filles de
harkis proprement dits - la deuxième génération -
plutôt que sur celui des troisième et quatrième
générations. Il y a plusieurs raisons à cela. La
première d'entre elles est notre insistance sur les
phénomènes de transmission dans la sphère familiale,
lesquels, en l'espèce, trouvent leur densité première dans
la relation à l'image du père. Une autre raison à cette
approche par privilège de la deuxième génération
est qu'avec l'avancée du temps celle-ci recouvre une très large
palette d'âges, depuis les jeunes gens qui entrent dans la vie active
et/ou finissent leurs études (souvent les derniers de larges fratries)
jusqu'aux individus dans la force de l'âge (pour ceux qui étaient
nés en Algérie notamment), eux-mêmes déjà
parents, voire grands-parents. Cette diversité d'âge est
essentielle pour nous qui ambitionnons d'étudier
« l'itinéraire moral des individus
stigmatisés » (Erving Goffman) car elle nous permet non
seulement de faire état des phases qui jalonnent cet itinéraire
au cours de l'avancée en âge de l'individu, mais encore de
comparer - à âge égal - le poids du contexte
immédiat, d'une époque l'autre (avoir 20 ans et être fils
ou fille de harki en 1980 était-ce la même chose que d'avoir 20
ans et être fils ou fille de harki en 2000 ?).
L'appréhension, c'est-à-dire la saisie et la
traduction, des "mondes subjectifs", qui sont à la fois des "mondes
vécus" et des "mondes exprimés", donc saisissables
empiriquement183(*),
implique le recours à une méthodologie de type qualitatif :
nous avons opté pour la méthode de l'entretien semi-directif
(complétée, à l'occasion d'un séjour de travail en
Ardèche, par celle de l'observation participante). Deux vagues
d'entretiens semi-directifs, régis - sans souci excessif de
directivité - par une consigne et une grille d'entretien, et
archivés sur bande magnétique, ont été
réalisées à un peu plus d'un an d'intervalle (au printemps
1997 et à l'automne 1998) dans des contextes socio-géographiques
contrastés : la région parisienne d'une part (une dizaine
d'entretiens, mobilisant de façon paritaire des fils et filles de
harkis), la ville de Largentière en Ardèche d'autre part (une
dizaine d'entretiens là encore, mais mobilisant très
majoritairement des fils de harkis). Afin de ne pas alourdir notre propos, nous
avons choisi de reporter en annexe les développements
méthodologiques liés à la constitution du corpus et
à la conduite de l'entretien (voir l'Annexe n°1).
En outre, des centaines de contacts et conversations informels
(entendre non formalisés par une consigne et une grille d'entretien)
avec des anciens harkis, enfants de harkis (qu'ils soient ou non militants
associatifs), sympathisants et/ou spécialistes de la question ont nourri
mes réflexions depuis l'entame de mon mémoire de DEA (au
printemps 1997) jusqu'au bouclage de ma thèse, et ceci dans des cadres
et contextes diversifiés :
- d'abord dans le cadre de manifestations associatives,
à visée pédagogique ou revendicative (expositions,
journées débats-conférences, manifestations, grèves
de la faim, etc.) ;
- dans le cadre de cérémonies officielles,
cérémonies patriotiques génériques ou ad hoc
(cérémonies du 11 novembre, Journée nationale
d'hommage aux harkis, etc.) ;
- dans le cadre de colloques scientifiques ;
- dans le cadre de contacts amicaux ;
- enfin, et cela constitue un éclairage original et
fécond184(*), la
centaine de fils et filles de harkis de tous âges reçus entre mai
2000 et fin février 2001 au sein du service des rapatriés de la
préfecture de Paris en ma qualité d'agent de coordination
chargé de l'emploi (ACCE), fonction exercée - il faut le
préciser - dans le cadre de mes obligations militaires (je
m'étais porté volontaire pour cette mission). Ceci m'a permis non
seulement de parfaire ma connaissance des intéressés mais aussi
de mieux connaître - littéralement, de connaître "de
l'intérieur" - les modalités de prise en charge de cette
population par l'administration, non seulement dans ses composantes techniques
(connaissance des textes et des modalités d'application) mais aussi, et
c'est selon moi l'élément le plus riche d'enseignement compte
tenu de la problématique de cette thèse, dans ses composantes
humaines et relationnelles (nature et qualité des relations entre
fonctionnaires et "bénéficiaires" ; voir la section II.A.2
de la Partie 4 : « La relation d'aide
institutionnelle »).
A cela s'ajoutent les entretiens sollicités
auprès de hauts responsables, ordonnateurs ou exécutants en chef
des politiques publiques consacrées à cette population :
j'ai ainsi sollicité et obtenu un entretien avec M. Jacques Santini,
ancien secrétaire d'Etat en charge des rapatriés (1986-1987), ou
encore avec M. Alain Vauthier (entouré à cette occasion de ses
proches collaborateurs), président du Haut conseil des rapatriés
(HCR) et directeur général de l'agence d'indemnisation des
Français d'Outre-mer (ANIFOM). Le HCR, créé en 2002 par
Jean-Pierre Raffarin, est un organe de réflexion et de concertation
entre les pouvoirs publics et les représentants des rapatriés
(pieds-noirs et harkis).
A ce stade, il est important de préciser que mon
protocole d'enquête n'a pas été étendu à
l'Algérie, et ce pour plusieurs raisons :
- La difficulté d'identifier et d'approcher, de
l'extérieur, sans relais familiaux ou amicaux fiables et solidement
établis, les enfants de harkis vivant en Algérie : il
n'existe bien entendu, pour ce faire, aucune association ou amicale d'anciens
harkis ayant - ou même n'ayant pas - pignon sur rue dans ce pays. A cet
égard, il ne faut pas négliger le danger ou, à tout le
moins, le coût psychologique et social de s'identifier comme fils ou
fille de harki dans le contexte politique et sécuritaire actuel en
Algérie. Par ailleurs, et pour ce qui me concerne plus directement, une
telle démarche ne saurait passer inaperçue, plus encore
initiée par un jeune chercheur français n'ayant
développé de près ou de loin aucune amitié avec le
régime en place. Et je vois mal, à cet égard, comment mes
investigations eussent pu ne pas être placées sous
surveillance.
- Complémentairement, il eût certes
été très intéressant d'aller recueillir directement
en Algérie, sans intermédiaire d'aucune sorte, l'opinion intime,
non "obligée" des gens ordinaires sur les anciens harkis, et ce d'autant
plus que cela constitue un des angles d'approche de ce mémoire (voir la
Partie 2). Mais, là encore, l'absence de relais familiaux ou amicaux
fiables et solidement établis, le contexte politique et
sécuritaire actuel en Algérie et, corrélativement, la
difficulté pour moi de passer inaperçu et de conduire ma
recherche dans un climat de sérénité et de totale
liberté (pour moi et pour les personnes interrogées) m'en ont
découragé.
J'ai eu recours à différentes sources pour
pallier ces manques :
1. S'agissant de l' « itinéraire
moral » des enfants de harkis demeurés ou nés en
Algérie :
- certains articles ou reportages télévisuels
(par exemple, un reportage d'Envoyé Spécial donnant la
parole, sous couvert d'anonymat, à un fils de harki vivant en
Algérie et faisant part des brimades dont il était l'objet en
raison de son ascendance) ;
- les contacts entretenus ou développés, parfois
en toute discrétion, par des associations de harkis ou des associations
d'anciens combattants avec des harkis ou enfants de harkis demeurés sur
place, de gré ou de force (la liberté de circulation est
refusée aux anciens harkis, dans un sens comme dans l'autre ; pour
les enfants de harkis vivant en Algérie, la barrière à
l'émigration est plutôt d'ordre économique) ;
- enfin, avec force précautions d'usage, les forums
Internet (notamment ceux des associations de harkis ou de pieds-noirs), qui
permettent aux intéressés de s'exprimer anonymement depuis
l'Algérie, et avec un sentiment de liberté au moins relatif. Ce
genre de témoignages n'est bien entendu pas fréquent mais, sous
réserve d'authenticité (des manipulations sont toujours
possibles), précieux.
2. S'agissant de l'opinion des gens ordinaires en
Algérie ou au sein des populations issues de l'immigration
maghrébine :
- d'abord, les témoignages issus des entretiens ou
conversations informelles avec les enfants de harkis interrogés en
France. De fait, certains - une petite minorité de filles et de
mères (je n'ai pas rencontré ce cas de figure pour les fils) -
ont eu l'occasion, par le passé, d'aller visiter certains de leurs
proches demeurés en Algérie. Ils m'ont rapporté la nature
des opinions recueillies sur place, au sein du cercle familial. En dehors du
cercle familial, les choses sont bien entendu plus compliquées, et
aucune de ces personnes n'avait entrepris d'étendre ces discussions
à la communauté villageoise dans son entier. A cet égard,
certains témoignages ayant fait l'objet d'une publication viennent
compléter ceux que j'ai directement recueillis. Ainsi en va-t-il du
témoignage de Saliha Abdellatif, anthropologue, ancienne
étudiante de Germaine Tillion et fille de notable pro-français
exilé en métropole, qui, bénéficiant de relais
familiaux disposés à l'accueillir, indique avoir
débuté une enquête sur le territoire algérien en
1983185(*). A la
différence des personnes qui, issues de mon corpus d'entretiens, ont
vécu une expérience similaire, Saliha Abdellatif rapporte
qu' « [elle] n'a pu parler des harkis connus [entendre : de
sa connaissance] dans leur douar d'origine » mais
qu' « elle a pu aborder le sujet dans les villages où
[elle] ne pouvai[t] [se] prévaloir de connaître leurs
supplétifs ». Autre témoignage accessible au grand
public et riche d'enseignements, celui de Dalila Kerchouche, journaliste
à L'Express, que j'avais d'ailleurs rencontrée en 1997
avant qu'elle n'entreprenne un voyage en Algérie et ne publie son
récit (ce projet germait déjà dans son esprit)186(*) ;
- là encore, et avec les mêmes
précautions, les forums Internet, qui sont éminemment utiles pour
se faire une idée de la diversité des opinions
véhiculées en Algérie ou au sein de l'immigration
algérienne sur les harkis et leurs enfants, mais certes pas pour
préjuger de la représentativité statistique de telles
opinions ;
- enfin, les très nombreuses conversations informelles
que j'ai pu avoir avec des amis, connaissances ou simples rencontres de
circonstance issus de l'immigration maghrébine (et notamment
algérienne).
IV. De soi aux autres : contre-transfert et
objectivation du rapport à l'objet
Avant de clore cette introduction et d'exposer l'annonce de
plan, il m'apparaît nécessaire de me défaire provisoirement
du "nous" académique au profit du "je" incarné, afin d'objectiver
les résonances intimes de la thématique abordée et, par
là, de clarifier mon rapport à l'objet.
J'ai souvent été frustré, en prenant
connaissance de tel ou tel article, de tel ou tel point de vue d'historien, sur
ce sujet comme sur d'autres sujets (mais cela est particulièrement vrai
des prises de position sur la guerre d'Algérie, qui est à la fois
un conflit contemporain et un marqueur identitaire pour toute une
génération d'intellectuels), de manquer des
éléments biographiques nécessaires pour mettre en
perspective les mots et les choses, le dire et l'agir. Combien d'auteurs, par
peur de se livrer tout entier (et, par là, de donner prise à la
critique), substituent sans précaution - plutôt que de les mettre
en perspective - le masque de l'historien ou de l'expert d'une part, à
celui du militant, de l'acteur ou de l'héritier (d'une cause ou d'un
drame) d'autre part, comme s'ils pouvaient sans coup férir, et sans plus
d'explications, rendre compte d'un épisode qu'ils ont eux-mêmes
contribué à façonner et/ou qui a grandement
contribué à les façonner. Non pas que leurs analyses
soient sans valeur. Mais, précisément, où se situe la
frontière entre l'acte militant, le témoignage et l'analyse
lorsqu'un auteur, plutôt que de se dévoiler dans ses multiples
facettes, laisse volontairement à penser au lecteur qu'il n'est que ce
que son statut professionnel donne à voir de lui ? Cette
manière de faire, guidée par des implicites inaccessibles au
lecteur, est toujours plus ou moins trompeuse car elle interdit d'expliciter la
part des motivations non heuristiques (c'est-à-dire biographiques) dans
le choix et la présentation du sujet abordé : des
manières de voir sont privilégiées, d'autres
obérées, sans que le lecteur dispose de tous les
éléments pour comprendre et critiquer les choix de l'auteur. Il
est bien sûr parfaitement justifié de privilégier certaines
manières de voir : encore faut-il expliciter les fondements de ce
parti pris, tant sur le plan heuristique que sur le plan personnel /
biographique, au risque de laisser penser qu'il n'y a objectivement pas
d'autres manières de voir ou que les autres manières de voir sont
accessoires. Ainsi, pour l'historien Guy Pervillé, l'un des rares
spécialistes reconnus de la guerre d'Algérie à n'avoir pas
lié ses investigations à un quelconque engagement militant,
l'attitude de ses congénères qui prétendent « se
retrancher dans une tour d'ivoire loin des passions du monde, comme s'ils
n'avaient été d'aucun temps ni d'aucun pays »
apparaît « très peu crédible dans le cas d'un
sujet aussi contemporain et actuel »187(*). Guy Pervillé
d'ajouter : « Un historien de la guerre d'Algérie, plus
encore s'il est de ceux qui ont vécu la guerre d'Algérie en tant
qu'hommes et citoyens responsables, ne peut réussir à faire
croire qu'il n'est motivé que par une curiosité personnelle
désintéressée »188(*).
Pour ce qui me concerne, et bien qu'appartenant à une
génération qui n'a pas vécu ou été
directement témoin des événements d'Algérie, je ne
me crois pas dispensé de satisfaire à une démarche de
clarification et d'explicitation des motivations intimes qui m'ont conduit
à entreprendre la rédaction de cette thèse. Et ce d'abord
parce que, d'une certaine façon, j'ai été le
"récipiendaire" - d'abord inconscient ou "semi-conscient" - de certaines
de leurs expressions traumatiques, au sein même de ma famille. Je
m'explique. Mon rapport à l'objet d'étude, loin d'être
dilettante ou étroitement intellectuel, est empreint à la source
d'une forme d'attachement charnel : ma grand-tante Odette, qui
était franco-tunisienne de confession chrétienne, son mari
Djelloul, qui était algérien de confession musulmane et
caïd189(*) de
Jean-Mermoz (dans le département d'Oran), ainsi que leur fils Djelloul
junior, alors âgé de sept ans, furent assassinés par le FLN
à la fin du mois d'août 1962 (cinq mois après la
proclamation du cessez-le-feu, deux mois après la proclamation de
l'indépendance) pour avoir crû et incarné le rêve
d'une Algérie fraternelle, liée à la France. Leurs corps
sans sépultures, jamais retrouvés, ont proprement disparu.
Restent des témoignages indirects, qui donnent le ton
de ce que fut l'Algérie nouvelle des premiers jours. Le 30 octobre 1962,
à la suite de démarches répétées pour
recueillir des informations sur les circonstances de la disparition d'Odette,
Djelloul et de leur fils, mon grand-père paternel reçoit aux
Armées (il était alors Commandant dans l'Armée de l'Air)
une lettre adressée par Monsieur Alexandre M., alors récemment
rapatrié d'Algérie. En voici de larges extraits :
« Verdun, le 30 octobre 1962
Monsieur le Commandant,
Je reçois à l'instant votre lettre du 22 octobre
(...).
De toute façon, je vais vous dire ce que je sais et ce
n'est pas grand-chose car nous étions plutôt des otages en
Algérie que des hommes libres et ce, depuis le 30 juin.
J'avais l'habitude, possédant une voiture, de
ravitailler Mme et Mr M. [NDA : Odette et Djelloul] en pain et autres
produits. Le dimanche 26 et lundi 27 août j'ai trouvé porte close
mais cependant forcée, entr'ouverte et un certain désordre
régnait dans l'appartement, du moins le peu que j'y ai vu.
M'étant renseigné auprès des musulmans,
ces derniers m'avaient affirmé que la famille M. était à
Oran, d'autres qu'ils étaient en France.
La vérité, hélas, était tout autre
car le propre neveu de Djelloul, le petit Driss, qui était un indicateur
du FLN, m'a affirmé qu'ils avaient été enlevés dans
la nuit du samedi 25 et tués à coups de mitraillettes au bord de
trous préparés à l'avance. Et lorsque je lui ai
posé la question : « Mais pourquoi avoir tué aussi
le petit Djelloul, ce petit innocent ? », il m'a
répondu : « Pour que la graine
disparaisse ».
Quand au lieu de sépulture, il se situerait dans un des
nombreux ravins au-dessus de Jean-Mermoz, et il y en a beaucoup.
Vous voyez que mes renseignements ne sont pas fameux et
surtout contrôlés. Mais j'ai bien la conviction et même la
certitude à l'accent de triomphe et de joie hideuse du neveu que la
petite famille M. Djelloul, bien sympathique, a été
assassinée ce samedi 25 août et je vous présente ainsi
qu'à votre famille mes sincères condoléances avec toute ma
sympathie ».
Reste également le mutisme de mon père, pendant
des années, alors que je n'étais pas en âge de comprendre,
puis la libération tardive de la parole, ma vingtième
année passée : il est parfois difficile, même pour un
père, d'aller contre la geste officielle de la guerre d'Algérie,
d'aller contre l'Histoire telle qu'on la raconte aux enfants. J'ai
moi-même été sensible à cet enseignement qui, il est
vrai, ne prépare guère à entendre, et moins encore
à comprendre ceux qui, porteurs d'une "tierce" mémoire, ne sont
ni reconnus ni légitimés par les relais institutionnels de la
mémoire. Sans entrer dans les détails, j'ai le souvenir d'une
telle incompréhension, un jour, avec mon père. Il m'a fallu du
temps pour comprendre le point de vue qui était alors le sien, si
différent de celui présenté dans les écoles. Il m'a
fallu grandir, sans doute, et m'informer, tout simplement.
Aujourd'hui, c'est certain, ce pan de l'histoire familiale, de
mon histoire, est partie intégrante de mon identité. Elle est
aussi, sans l'ombre d'un doute, l'un des moteurs de ce travail. Par ce travail,
donc, je veux comprendre en même temps que me comprendre.
On le voit, le "contre-transfert" n'est pas simplement un
exercice formel : il participe d'un souci d'honnêteté
intellectuelle, tant vis-à-vis de soi que d'autrui. J'en assume les
risques, j'en mesure également les bénéfices. Libre au
lecteur de relativiser ce qui est dit - et de souligner ce qui n'est pas dit -
au regard de mes "résistances" biographiques. Libre
à moi d'en accepter l'augure avec sérénité puisque,
par définition, un discours situé et reconnu comme tel par son
auteur le dispense d'arborer l'attitude fausse (et parfois infatuée) de
ceux qui, soucieux d'exercer un magistère moral sur leur lectorat, se
livrent à d'opportuns écarts d'identité : hier encore
militants, acteurs ou héritiers, aujourd'hui historiens sans
passé.
V. Annonce de plan : INVENTER, ETIQUETER, SUBIR,
REAGIR : AU FIL D'UNE DESTINEE
Partie 1 : Ce que devenir harki veut dire
L'on ne saurait entreprendre une analyse des logiques sociales
et politiques de la stigmatisation au sein et autour de la communauté
harkie sans rendre compte, au préalable, du substrat historique qui en
constitue la trame et, par là, remonter aux "sources" du stigmate.
D'une part, parce que les anciens supplétifs de l'armée
française ne sont pas nés "harkis" : ils le sont devenus
dans un contexte où leurs choix ne pouvaient être
détachés des stratégies d'influence exercés par
d'autres acteurs interdépendants (Etat français et FLN).
Comprendre leur destinée - y compris symbolique, à savoir le
"travail de l'écart" entre l'advenu et ce qui en a été
donné à voir rétrospectivement - implique donc de revenir
sur les circonstances et les motifs (individuels) premiers de leur engagement,
sur ce que fut leur emploi par les autorités civiles et militaires, et
sur le sort qui leur fut réservé au cours de la phase finale de
négociation puis de passation des pouvoirs. D'autre part, parce
que leur catégorisation comme « traîtres » ou
« collabos » correspond à une lecture adversative
des circonstances et motivations ayant présidé à
l'engagement des anciens harkis aux côtés de l'armée
française au cours de la guerre d'Algérie, façonnée
au prisme d'un imaginaire politique (à la fois propagande de guerre et
mythe fondateur) dont il s'agira de restituer la « rationalité
stratégique » (Jacques Sémelin). Un imaginaire qui,
faisant accroire que les harkis se battaient non contre une certaine vision de
l'Algérie mais contre les Algériens eux-mêmes, vise
à gommer le caractère violemment hégémonique du
soulèvement orchestré par le FLN et, par-là, à
perpétuer le mythe de l'élan spontané et unanime des
masses algériennes
Ainsi, au fil de cette première partie, il nous faudra
rendre compte des formes de contrôle exercé par d'autres acteurs
interdépendants (Etat français et FLN) sur les trajectoires des
anciens supplétifs de l'armée française - qu'il s'agisse
de les représenter, de les façonner ou de les contrer - et
expliquer pourquoi cela a constitué, sur le moment, un enjeu politique
majeur : enjeu pratique certes (les troupes supplétives ont
constitué une force d'appoint non négligeable pour l'armée
française), enjeu symbolique surtout, dans un contexte où
l'implication des populations civiles dans la guerre était un objectif
avoué des différents protagonistes de ce conflit.
L'intérêt proprement politologique d'une telle mise en
perspective, nous l'avons dit, est qu'elle permet de rendre compte du "travail
de l'écart" entre les déroulements historiques et les
dispositifs narratifs ou fictionnels qui prétendent leur donner
sens : ce que Terry Cochran désigne comme la question de
« l'historicité des figures de la
pensée »190(*), de leur plus ou moins grande épaisseur
historique.
D'où l'attention particulière accordée
à ce que Béatrice Pouligny appelle les
« stratégies de pouvoir et d'appropriation de
l'imaginaire » à travers lesquelles ont été
modelées et comprises les trajectoires considérées dans le
contexte de la guerre d'Algérie et de l'immédiat
après-guerre 191(*), à savoir : le rapport entre fiction et
fondation en Algérie, fiction et stabilisation de l'ordre politique en
France. Il nous faudra ainsi faire état des visées politiques et
formes d'appropriation (ou de mise en sommeil) de l'imaginaire qui ont
accompagné, côté français, le recrutement massif
puis la démobilisation brutale (précisément au prix d'une
vacance de tout imaginaire les concernant) des supplétifs musulmans de
l'armée française et, côté algérien, le
ciblage quasi-systématique des civils musulmans non
inféodés au FLN pendant la guerre, puis le massacre de nombreux
supplétifs fraîchement démobilisés après la
guerre. Il s'agira par là d'objectiver les visions du monde et principes
d'intervention qui, d'un côté et de l'autre, ont
décidé indissolublement de l'invention d'une figure et de
l'invention d'un destin. Nous verrons, à cet égard, que c'est
dans l'examen du mouvement itératif entre pratiques de
démonisation (violence symbolique) et d'éradication (violence
armée), et dans la mise en exergue de la visée à la fois
fondatrice (érection d'un Etat-nation indépendant) et
hégémonique (instauration d'un parti-Etat) qui le
sur-détermine, que doit être appréhendée la question
de l'invention de la figure de l'"ennemi intérieur" par le FLN.
Partie 2 : Ce que parler des harkis veut dire
Précisément, la deuxième partie sera
consacrée à l'exploration de la postérité
symbolique et des usages rétrospectifs de la figure du harki en France
et en Algérie depuis 1962 : quelle place tient-elle dans les gestes
officielles (algérienne et française), politiciennes (partis /
familles politiques), collégiales (mouvance anticolonialiste et,
symétriquement, "soldats perdus" de l'Algérie française)
ou anonymes ("chemins de traverse" de la mémoire collective en
Algérie), pour quels usages et avec quel impact sur les
sociétés considérées ?
Ici c'est moins l'objectivation des circonstances de
l'invention de la figure du harki et de la rationalité
stratégique qui l'avait sous-tendue sur le moment qui nous
intéressent, que la mise en évidence du jeu entre le passé
et le présent qui, depuis lors, tend à perpétuer ou
à reconfigurer les usages qui en sont faits, de même que la mise
en évidence des effets produits par ces actes de (mé)connaissance
sur les sociétés française et algérienne. Nous
passerons donc de l'examen des logiques ou rationalités
stratégiques présidant à la construction d'un imaginaire
pendant la guerre, à l'examen des stratégies de
capitalisation et/ou de forclusion de cet imaginaire après la
guerre. Selon Jacques Sémelin, cette analyse de type rétrospectif
est de nature à donner des éclairages essentiels sur
« l'évolution des rapports de force entre le pouvoir et la
société » en général, sur « les
effets politiques des pratiques de massacres sur la
société » en particulier, notamment en termes de
« militarisation de l'Etat »192(*). Ceci vaut
particulièrement, bien sûr, pour l'Algérie.
Précisément, en Algérie, nous verrons
comment, au fil des convulsions successives qui, à compter de 1962 (et
particulièrement à compter de la fin des années 1980),
sapent les fondements de l'autorité hérités de la lutte
pour l'indépendance, le pouvoir va chercher dans l'imaginaire de
l'ennemi intérieur ce que Castoriadis appelle « le
complément nécessaire à son ordre »193(*). En ce sens, nous verrons
comment le massacre des harkis, qui visait à expulser hors du monde les
intéressés, a été suivi, dans un second temps,
d'une instrumentation du souvenir de ce massacre (en tant que menace latente de
réactualisation par le pouvoir des pratiques d'éradication
à l'encontre de ceux qui contestent sa légitimité) :
la figure du harki, niée dans sa réalité sociologique
(à aucun moment elle ne doit apparaître comme une autre facette du
"Nous" au risque de fissurer le mythe fondateur de l'unanimité des
masses derrière le FLN) a été réifiée et
surexposée en tant que figure de démonisation et
épouvantail politique afin de signifier combien l'espace
réservé à l'expression du dissensus ne saurait, en
Algérie, empiéter sur l'impératif d'unité
nationale. Ainsi en va-t-il, en particulier, de l'instrumentation tous azimuts
de cette figure depuis le déclenchement de la "seconde" guerre
d'Algérie, qui témoigne du rôle "pivot" dévolue
à la thématique de l' « ennemi
intérieur » dans le champ politique de ce pays.
Inversement, en France, nous verrons que la figure du harki
est tout au plus une figure "en creux" qui, pour des raisons diverses mais
convergentes dans leurs effets, n'a droit de cité ni dans
« l'histoire telle qu'on la raconte aux enfants » (Pascal
Ory, à propos de l'histoire officielle), ni dans l'histoire
telle que la racontent (et se la racontent) les élites intellectuelles,
jusque et y compris celles qui pensent et agissent en marge de la "doxa
nationale". Ainsi, dans la geste officielle française de la guerre
d'Algérie, le jeu entre le passé et le présent se nourrit,
s'agissant de la destinée faite aux harkis, d'un non-récit ou,
plutôt, d'un récit tronqué, minimaliste et, pour tout dire,
"lisse", qui évacue toute dimension polémique, pourtant si
prégnante dans les souvenirs véhiculés par les
intéressés quant au traitement qui leur a été
réservé par les autorités d'alors. Symétriquement,
il n'est que de constater - dans une assez large mesure - la
non-appétence intellectuelle voire l'antipathie relative conçues
pour la destinée des anciens harkis dans les lieux autonomes de
production, de diffusion et de transmission du savoir :
universités, organes de presse et maisons d'édition notamment.
Une situation qui doit en partie à l'intimité relative
(sociologique, si ce n'est toujours idéologique) de ces milieux avec la
mouvance anticolonialiste, et qui n'a pas été sans
conséquence sur la construction et la diffusion d'une image "en creux"
(quoique assez nettement négative) de la figure du harki, et plus encore
sur son "élision", notamment dans ses aspects les plus dramatiques. Car
c'est un fait : le ciblage systématique par le FLN des musulmans
pro-français pendant la guerre, puis le massacre des anciens harkis
après la guerre, n'ont guère ému - à de rares
exceptions près - ceux qui s'étaient faits ou se font
après-coup les hérauts de la dénonciation des actes de
torture perpétrés par l'armée française.
Partie 3 : Ce que veut dire être harki dans
l'ordinaire des relations sociales et familiales
Corrélativement à l'étude de la
stigmatisation telle qu'elle a été ou est
institutionnellement "agie", depuis l'invention de la figure du harki
jusqu'à ses reconfigurations et usages rétrospectifs (niveau
macropolitique), cette troisième partie, glissant sur l'autre versant de
la sociodynamique de la stigmatisation (niveau infrapolitique), traite de la
capillarisation des anathèmes politiques dans les interactions de la vie
sociale et dans l'intimité des relations familiales (niveau
micropolitique), à savoir : la stigmatisation telle qu'elle est
ordinairement subie et relayée (sous des formes plus ou moins
dégradées et banalisées des grands mythes politiques et
idéologiques) au sein et autour de la communauté harkie.
A cet égard, il nous faudra d'abord rendre compte de la
stigmatisation telle qu'elle est intimement subie et ressentie dans le cercle
familial. Qu'en est-il notamment du rapport à la mémoire
familiale et de la façon dont il peut (ou non) produire la honte chez
l'enfant ? En d'autres termes, comment les anathèmes
politiques interfèrent-ils dans l'ordinaire des relations
familiales, s'agissant tant de la transmission de la mémoire (du
côté des parents) que de la réception de cette
mémoire dans une visée d'identification (du côté des
enfants) ?
Par suite, il nous faudra faire état de la
manière dont les « idéologies de statut »
(Elias et Scotson) véhiculées à l'encontre des anciens
harkis - ou, à l'inverse, les formes institutionnalisées d'oubli
qui tendent délibérément à en estomper la trace -
influent sur la qualité des relations interpersonnelles en dehors du
cercle familial : en d'autres termes, comment s'opère la
construction du rapport "Nous / Eux" dans l'ordinaire des relations sociales,
à l'articulation des processus d'étiquetage et des
stratégies de présentation de soi (sur la base de "savoirs
pratiques" et d'anticipations qui assurent la fluidité des interactions
dans l'ordinaire des relations sociales) ?
Il s'agira ici à la fois d'identifier les agents,
relais et modes opératoires ordinaires de la stigmatisation
(mécanismes et formes de capillarisation des figurations politiques dans
les interactions de la vie quotidienne), mais aussi de rendre compte des
phénomènes liés au « maniement du
stigmate » (Erving Goffman), autrement dit, des difficultés et
du coût psychologique liés à la mise en oeuvre de
stratégies d'accommodation ou d'adaptation aux exo-définitions de
soi, qu'il s'agisse de neutraliser les préjugés liés au
faciès (vis-à-vis du groupe majoritaire) ou de se conformer aux
attentes normatives des populations issues de l'immigration maghrébine.
Ce "coût" peut être décrit sous la forme d'un double
triangle de stigmatisation (catégoriel et existentiel), qui dit bien
l'écartèlement des identifications au niveau du moi, et la
situation de « déchirement » dans laquelle se
trouvent ordinairement placés les fils et filles de harkis dans la
société d'accueil.
Partie 4 : Ce que recouvrer ses capacités de
symbolisation veut dire
En contrepoint de cette situation de dépendance
statutaire et des stratégies adaptatives qui lui sont
corrélatives, la dernière partie porte l'accent non plus sur la
stigmatisation telle qu'elle est subie (et sur ce que veut dire
être et se découvrir "harki" dans l'ordinaire des relations
sociales et familiales), mais sur la stigmatisation telle qu'elle est
"réagie" (et sur ce que recouvrer ses capacités
de symbolisation veut dire, d'une logique adaptative à une logique
revendicative). Ceci implique d'aborder la question de la
reconnaissance au sens le plus extensif du terme, ainsi que les enjeux
de visibilisation - voire d'invisibilisation (à travers notamment la
question du pardon, conçue comme un au-delà de la reconnaissance)
- qui lui sont corrélatifs, à savoir :
- La reconnaissance de soi par soi entendue comme
"travail de dégagement" vis-à-vis du stigmate et, surtout, de la
honte qui lui est corrélative. Ceci implique de rendre compte des
stratégies dites de "rupture" qui, dans un premier temps au sein du
cercle familial, visent individuellement à "transgresser" le non-dit
paternel pour remonter aux « sources de la
honte »194(*)
puis, dans un second temps et à l'échelle de la
société dans son entier, visent collectivement à
réhabiliter la figure du père et à retourner le stigmate
en un symbole de prestige publiquement assumé et revendiqué aux
yeux d'autrui.
- La reconnaissance de soi par autrui (et d'autrui par
soi) entendue comme "travail de l'écart" entre les différents
protagonistes (communauté harkie, Etat français, Etat
algérien), dans une visée de réparation des termes de
l'échange. Et d'abord la reconnaissance de soi par cet autrui
significatif qu'est l'Etat français : qu'en est-il des politiques
de la reconnaissance - qu'elles soient d'ordre matériel ou symbolique -
consacrées par leur pays d'accueil aux membres de cette
"communauté de destin" ? Selon quelles modalités
traduisent-elles et dans quelle mesure sont-elles congruentes avec les
revendications des intéressés ?
C'est ce travail de l'écart entre les revendications
identitaires des représentants de la communauté harkie et la
logique propre à la raison d'État qui est ici en jeu. A cet
égard, il est un fait qu'en raison des épreuves endurées
et du sentiment d'abandon qui leur est corrélatif, l'aspiration des
anciens harkis et de leurs familles à être reconnus et
célébrés dans leur singularité passe par une
reconnaissance qui ne soit pas seulement réminiscence mais aussi
résipiscence de la part des autorités195(*) ; interpellés
dans leur rôle de gardiens de la mémoire nationale (pour
célébrer le rôle et le sens du sacrifice des anciens
harkis) et de garants du lien social (pour pallier les conséquences
socio-économiques de la transplantation brutale de ces populations), les
gouvernants actuels sont également instamment pressés de
reconnaître la responsabilité de leurs devanciers dans l'abandon
à un sort funeste (pour ceux qui furent empêchés ou
découragés de gagner la France) ou à la relégation
géographique et sociale (pour ceux qui y furent "accueillis") des
anciens harkis et de leurs familles. L'enjeu de la reconnaissance doit donc
être ici entendu comme "travail de l'écart" entre ce que fut et/ou
ce que souhaitent donner à voir les anciens harkis et leurs familles de
leur destinée (et ce qu'ils attendent en retour) d'une part, ce qu'il en
est officiellement donné à voir et "à agir" d'autre part.
En d'autres termes, l'enjeu, pour les autorités françaises, est
précisément de savoir quel contenu et quelle mesure donner
à la notion de reconnaissance : se souvenir /
célébrer quoi ? Et assumer la responsabilité / se
repentir de quoi ? En somme, dans quelle mesure la réminiscence
doit-elle se faire résipiscence196(*) ?
La section finale est précisément
dédiée à l'analyse des conditions de dépassement ou
de sortie hors de cette configuration stigmatisante, ce que Sandrine Lefranc
appelle la « déconstruction des relations de
domination »197(*). Car, là où l'histoire touche au
tragique et instaure une dissymétrie radicale entre soi et autrui,
reconnaître l'autre, réinstaurer de la réciprocité,
c'est aussi reconnaître ce qui, à un moment donné, a pu
contribuer à briser cette réciprocité et refuser que ce
passé là ne continue à produire ses effets dans le
présent. Ainsi aborderons-nous, in fine, la question du pardon,
entendue comme un "au-delà" de la reconnaissance, son expression la plus
parfaite et, pour cette raison sans doute, la plus difficilement traduisible
dans le champ et la grammaire politiques.
Cela est tout sauf anodin puisque, dans un contexte et sur un
sujet où les représentants de l'Etat français sont plus
qu'hésitants à pointer les responsabilités de leurs
prédécesseurs, et où les représentants de l'Etat
algérien s'inscrivent dans le droit fil de l'Etat-FLN (à l'image
d'Abdelaziz Bouteflika qui incarne, par sa personne même, cette
continuité), l'on n'hésite plus, au sein de la communauté
harkie, à ester en justice pour acculer à la repentance, sinon
pour faire condamner, ceux - États ou anciens hauts responsables - que
l'on accuse de fuir leurs responsabilités.
Le cas des anciens harkis et de leurs familles ouvre ainsi,
à différents niveaux, sur trois questions fondamentales (qui se
déclinent également sur d'autres cas très divers, selon
des modalités propres) :
1. L'invention d'une figure de l'ennemi intérieur dans
un contexte conflictuel et post-conflictuel, et le choc subséquent entre
histoire et mémoire (visée de légitimation -fondation
et stabilisation - de l'ordre politique) ;
2. La question de la transmission et de la
réappropriation - dans une visée de construction des
identités - d'un héritage lourdement grevé sur le plan
symbolique : la "quête à être" et la gestion du
paraître des générations suivantes dans l'ordinaire des
relations sociales et familiales (dialectique identification/identisation et
maniement du stigmate) ;
3. L'enjeu de la reconnaissance (entendu à la fois
comme recouvrement des capacités de symbolisation et réparation
des termes de l'échange avec d'autres acteurs interdépendants) et
du pardon (comme envers de la raison d'Etat).
PARTIE 1
Ce que devenir harki veut dire
Partie 1
Ce que devenir harki veut dire
Le sens générique du mot harki et l'existence
d'un groupe (ou d'une catégorie) qu'il définit, résultent
d'un processus complexe de construction. La première étape,
indispensable à la compréhension, en est la guerre
elle-même puisque ce terme renvoie originellement à une logique
d'organisation militaire (dans un contexte où le contrôle et
l'implication des populations civiles dans la guerre était un objectif
avoué tant du FLN que des autorités françaises) et
administrative (seuls les Algériens de statut civil de droit local - les
musulmans - étaient visés par cette forme d'enrôlement).
Aussi nous faudra-t-il faire état, dans cette première partie, de
ce en quoi et de ce pourquoi l'engagement de centaines de milliers de musulmans
aux côtés de l'armée française a constitué,
sur le moment, un enjeu politique majeur de la guerre d'Algérie. A la
frontière du militaire et du politique, le rôle pivot
dévolu aux supplétifs musulmans de l'armée
française leur a valu, nous le verrons, d'être
particulièrement exposés aux sinuosités du cours de la
guerre et, surtout, de l'après-guerre.
Dès lors, comprendre "ce que devenir harki veut dire"
oblige, du point de vue de l'analyse, à mettre en perspective, d'une
part, ce que fut pour les intéressés l'engagement aux
côtés de l'armée française (ce qu'il signifiait et
ce en quoi il consistait) et, d'autre part, ce que d'autres acteurs
interdépendants (autorités de tutelle et FLN) en ont dit et fait
sur le moment :
- 1. qu'est-ce qui a pu motiver et qu'est-ce qu'a pu
signifier, pour les intéressés, le fait de devenir harki ?
Quel furent concrètement leur emploi et leur comportement pendant la
guerre ?
- 2. symétriquement, de quelle manière et
à quelles fins les principaux protagonistes de ce conflit -
autorités françaises et FLN - se sont-ils attachés
à "travailler" le sens de cet engagement aussi bien qu'à en
influencer le cours, jusque et y compris au sortir immédiat de la
guerre ?
C'est donc une sociologie des trajectoires au miroir d'une
sociologie politique des statuts (au double sens de logiques de classification
administrative et de formes d'appropriation de l'imaginaire) qui est ici en
jeu, cette mise en abîme historique étant fondée
principalement sur l'exploitation de sources secondaires (travaux
universitaires, ouvrages de vulgarisation et articles
spécialisés, essais et biographies), mais aussi de notes et
directives officielles, de textes programmatiques ainsi que de
témoignages rapportés par la presse ou collectés dans le
cadre d'autres travaux198(*).
I. Une destinée singulière ou
comment l'on devient « harki »
L'emploi massif de troupes supplétives musulmanes aux
côtés des formations régulières de l'armée
française (qui incorporaient aussi nombre de musulmans) fut l'un des
traits marquants de la guerre d'Algérie (1954-1962), au plan militaire
comme au plan politique. Par-delà la diversité des
catégories existantes, les supplétifs ont en commun, selon
l'historien Maurice Faivre (l'un des meilleurs spécialistes de la
question199(*)),
d'être « des combattants volontaires, auxiliaires de
l'armée, qui n'ont pas le statut de militaires
d'active »200(*). Dès novembre 1954, dans les Aurès,
des troupes supplétives sont levées par les autorités pour
faire face à l'insurrection. Dans l'immédiat, on se contente de
réactiver des schémas bien connus mais entrés depuis
longtemps en désuétude : le préfet de Constantine
recrute ainsi dans l'urgence un millier de goumiers, et remet sur pied les
cavaliers des communes mixtes, tandis qu'à Arris (première
visée par l'insurrection) l'ethnologue Jean Servier arme et organise la
tribu des Ouled Abdi, en jouant de sa rivalité ancestrale avec
la tribu des Touabas201(*) dont sont originaires les premiers
rebelles202(*). Selon
Jacques Frémeaux203(*), le terme "goum" est tiré de l'arabe "quwn",
qui se traduit par "peuple" ou "tribu" : dans le jargon militaire, il
désigne des troupes de partisans recrutés collectivement, en cas
de besoin (pour une campagne), et détachés provisoirement par les
chefs de tribus auprès des Bureaux arabes chargés de quadriller
le territoire au fur et à mesure des progrès de la colonisation.
Les cavaliers sont également des volontaires, mais ils sont directement
recrutés et attachés aux Bureaux dont ils assurent la protection
permanente. Cependant, avec la disparition des Bureaux arabes et leur
remplacement par une administration civile (communes mixtes) qui ne disposent
pas des moyens nécessaires et ne voient pas l'utilité de lever
des goums ou d'entretenir des cavaliers en trop grand nombre, l'emploi de
troupes supplétives tend pratiquement à disparaître
à compter des années 1920.
C'est donc dans l'affolement né de l'insurrection du
1er novembre 1954 qu'est réactivé l'emploi de ces
troupes traditionnelles. Leur structuration, cependant, n'est plus
adaptée au contexte inédit d'un soulèvement
généralisé et simultané sur l'ensemble du
territoire : « c'est donc une organisation nouvelle qui est mise
sur pied à partir de 1954 par les responsables civils et
militaires »204(*). Et, sous l'impulsion initiale du gouverneur
Léonard et du ministre de l'Intérieur François Mitterrand
(qui donnent favorablement suite à une suggestion en ce sens du
préfet Vaujour, directeur de la Sûreté nationale à
Alger) sont créées des troupes supplétives à forte
majorité musulmane. Soit successivement : les Groupes mobiles de
protection rurale (35 GMPR de 85 hommes sont mis sur pied dès 1955),
les maghzens (officiellement mis en place le 5 septembre 1955, et
chargés de protéger les Sections administratives
spécialisées, lointaines filleules des Bureaux arabes), les
harkas (précisément composées de harkis et
officialisées le 8 février 1956 à la suite
d'expériences isolées concluantes au sein des unités
combattantes) puis les Groupes d'autodéfense l'année
suivante (GAD, nom donné aux villages placés en
autodéfense au fur et à mesure des progrès de la
« pacification »). Certaines de ces unités ont une
vocation plutôt défensive et sont administrées par
l'autorité civile (GMPR, maghzens et GAD), d'autres une vocation
plutôt offensive et sont rattachées à l'autorité
militaire (harkas). Nous donnerons le détail de l'organisation et de
l'emploi de ces formations, ainsi que du statut de leurs membres, dans les
développements à suivre.
A. Qui sont les « harkis » ?
Les supplétifs de l'armée française et autres
catégories de musulmans "pro-français" pendant la guerre
d'Algérie
Qui entend-on désigner sous le vocable de
"harkis" ? En fait, une certaine confusion règne entre les
multiples significations et réalités afférentes. Il
convient, à cet égard, d'opérer un distinguo entre une
définition dite "stricte" et une définition dite
"générique" ou extensive de ce terme.
Dans son acception stricte, originelle, c'est-à-dire
immédiatement contemporaine de la guerre d'Algérie entre 1954 et
1962, le vocable "harkis" servait à désigner une partie de ceux
qui, au sein de la population autochtone (arabophone ou berbérophone),
et non compris les militaires réguliers (engagés et
appelés) et les personnels civils officiant à différents
échelons administratifs et électifs, avaient choisi de se faire
soldats supplétifs de l'armée française. Une
catégorie de supplétifs parmi d'autres, mais pas tout à
fait comme les autres : la plus nombreuse, la plus offensive aussi.
Si l'on met à part l'expérience conduite par
Jean Servier à Arris dès novembre 1954 auprès de la tribu
des Touabas (voir infra), les premières harkas sont
créées au cours de l'année 1955, en dehors de tout cadre
réglementaire, par des commandants d'unité soucieux
d'accroître leur efficacité opérationnelle en faisant appel
à des volontaires autochtones. Les premières expériences
s'avérant concluantes, leur existence est officialisée le 8
février 1956 par le général Lorillot à
l'échelle du Quartier (territoire subordonné au Secteur).
À la différence des autres formations supplétives, les
harkas sont administrées par l'autorité militaire, ce qui
contribue à les distinguer en marquant leur caractère offensif
(le terme "harka", en arabe, signifie "mouvement" et, par extension, "troupe
mobile"). Initialement levés pour des opérations ponctuelles,
comme les goumiers auxquels ils succèdent, les harkis sont payés
mensuellement mais leur solde est décomptée journellement,
à raison de 7,50 F par journée. Ils ne bénéficient
pas de prestations sociales à l'exception des soins médicaux
gratuits. Engagés sans contrat, ils peuvent être licenciés
sans préavis. En contrepartie, ils peuvent quitter la harka à
leur convenance. Mais, comme le souligne Maurice Faivre, « une fois
compromis par leur engagement, ils n'ont pas intérêt à la
faire »205(*).
En février 1959, le traitement des harkis sera aligné sur celui
des autres catégories de supplétifs (jusque-là mieux
loties) et porté à 8,25 F par jour pour les hommes du rang, 11 et
13,20 F pour les sous-officiers (pour des effectifs de 1 sergent-chef et 4
sergents pour 100 harkis). Certains harkis résident dans un village de
regroupement avec leur famille. Mais beaucoup de harkas sont amalgamées
et logées dans le cantonnement des unités d'active.
Les effectifs progressent rapidement, passant de 4.000
à 17.000 au cours de la seule année 1957. Au même moment,
l'armement des harkas est revalorisé aux fins de les doter de 50%
d'armes de guerre (en remplacement partiel des fusils de chasse), et de
quelques armes automatiques pour les harkas les mieux encadrées. En
octobre 1958, la politique dite de « non-discrimination »
envers les unités autochtones, voulue par le général
Salan, conduira à les doter entièrement en armes de guerre. Le 30
août de la même année, un comité
interministériel fixe les effectifs des harkas à 30.000, puis
à 60.000 en décembre, après accord exprès du
général de Gaulle. Les effectifs maximums seront atteints en
janvier 1961 avec 800 harkas regroupant 62.900 hommes. Par ailleurs, une
directive du 22 décembre 1958 crée les « commandos de
chasse », sorte de "harkas d'élite" qui ont pour mission de
traquer les katibas de l'ALN en collant à leurs méthodes
d'organisation et de déplacement. Il y aura jusqu'à 160 commandos
de chasse, dans lesquels serviront 6 à 7.000 harkis
équipés de fusils semi-automatiques. Plus tard, des Centres
d'entraînement préparatoires aux Commandos de chasse (CEPC) seront
créés, chargés de « former en cinq semaines les
harkis au combat d'infiltration en zone rebelle »206(*). Certaines harkas seront
même implantées dans les villes : les
« Bleus » du capitaine Léger pendant la bataille
d'Alger, première harka urbaine, puis la Force de police auxiliaire
(FPA) du capitaine Montaner, chargée de combattre la
Fédération de France du FLN en plein Paris, dont les affectifs
atteindront 400 hommes. Parmi les plus célèbres, ces harkas
seront aussi parmi les plus discutées du fait de leurs méthodes
"musclées". Les missions qui leur étaient imparties
étaient, il est vrai, particulièrement délicates et
atypiques. Nous y reviendrons plus avant207(*). Enfin, plus anecdotiquement, il convient de noter
qu'une harka de femmes fut constituée à Catinat208(*).
Aux côtés des harkis proprement dits, d'autres
catégories de supplétifs - ainsi que des unités
spéciales - furent constituées pour accompagner l'effort de
guerre (ou, selon la terminologie de l'époque, de « maintien
de l'ordre ») de l'armée française :
- les Groupes mobiles de protection rurale (GMPR),
créés en 1955, puis rebaptisés Groupes mobiles de
sécurité (GMS) en mars 1958 relèvent de
l'autorité civile (la Direction de la Sûreté nationale).
Ils sont mis à la disposition de l'autorité militaire pour emploi
statique ou offensif. Les GMS sont engagés par contrat renouvelable de
douze mois et bénéficient d'avantages sociaux : allocations
familiales, sécurité sociale, congé annuel, logement,
indemnité de déplacement. Les blessures et accidents sont soumis
à la législation sur les accidents du travail. L'on compte 35
GMPR de 85 hommes en 1955, 70 en 1957. Les effectifs maximums seront atteints
en mars 1962 avec 114 GMS regroupant 8.500 hommes.
- les maghzens sont chargés de protéger
les Sections administratives spécialisées (SAS). Les SAS,
créées le 5 septembre 1955 pour pallier la sous-administration
des campagnes, sont dirigées par un officier d'active ou de
réserve et « constituent une sorte de renaissance des
Bureaux arabes du XIXème siècle »209(*). Les SAS seront
complétées au début de l'année 1957 par 14 puis 20
Sections administratives urbaines (SAU). Chargés de protéger les
SAS, les maghzens - composés de 20 à 50 moghaznis - sont le plus
souvent statiques. Mais certains maghzens sont opérationnels. En fait,
tout dépend de l'esprit d'initiative de l'officier responsable de la
SAS210(*). Les moghaznis
sont engagés par contrat renouvelable de six mois. Ils
bénéficient des mêmes avantages sociaux que les membres des
GMS. A la fin de 1957, près de 16.000 moghaznis assurent la protection
de 606 SAS. Les effectifs maximums seront atteints en janvier 1961 avec 19.100
moghaznis assurant la protection de 710 SAS et 30 SAU.
- Les Groupes d'autodéfense sont
constitués à partir de 1957 au sein des villages dits
"pacifiés" (soustraits à l'emprise de l'Organisation
politico-administrative du FLN). Les villageois, non rétribués,
sont dotés de fusils de chasse ou de fusils de guerre afin d'assurer la
protection statique de leurs foyers contre les incursions du FLN. Tous les
membres des groupes d'autodéfense ne sont pas armés : au
moment où sont atteints les effectifs maximums, en janvier 1961, moins
de la moitié des membres des quelque 2.031 Groupes d'autodéfense
recensés sont effectivement armés, soit 28.000 sur 62.000. En
fait, cette "sous-dotation" n'est qu'apparente dans la mesure où les
membres des GAD opèrent leurs tours de garde par roulement.
- Les Unités territoriales (UT), puis les
Assès
La catégorie particulière des Assès sera
créée à la suite de la dissolution des UT, en
février 1960, pour en réaffecter les membres musulmans. Les UT
(créées en septembre 1955), qui étaient composées
très majoritairement de pieds-noirs (une exception s'agissant des
troupes supplétives) et affectées à la garde des points
sensibles et des communications en zone urbaine (infrastructures, quartiers
d'habitation), furent dissoutes en janvier 1960 pour s'être
montrées particulièrement en pointe lors des
« journées des barricades ». C'est d'ailleurs en
janvier 1960 que sont atteints, pour les membres musulmans des UT, les
effectifs maximums, à savoir 7.600 (un an plus tard on ne compte plus
que 2.300 Assès).
- Enfin, les unités musulmanes
spéciales, le plus souvent créées sur la base de
maquis nationalistes rivaux de ceux de l'ALN/FLN (d'obédience messaliste
notamment), et plus ou moins étroitement contrôlées et
manipulées par les services en charge des opérations
spéciales au sein des armées211(*). Il est possible de citer, parmi d'autres
unités : les Forces K (Belhadj Djilali)212(*), les Commandos
sud-algériens (l'A.N.P.A. de Bellounis), la Force auxiliaire
franco-musulmane (groupe Lahi Cherif), le Front Algérien d'Action
Démocratique (FAAD213(*)), etc.
Par extension, le terme "harkis" englobe ces
différentes catégories de supplétifs et unités
spéciales, qui ont pour caractéristiques communes de servir sur
la base du volontariat, et en dehors des cadres de l'armée
régulière (même s'ils sont à sa disposition).
Jacques Frémeaux caractérise ainsi les troupes supplétives
comme des « corps à recrutement local, que leur financement et
leur organisation mettent à part »214(*). Il ajoute qu'il s'agit
aussi d'unités « à vocation exclusivement territoriale,
qui ne doivent pas être employées hors du pays où elles ont
été recrutées »215(*).
Cependant, très rapidement au fil des
événements, le terme "harkis"216(*) va acquérir une valeur
générique, emblématique même, au point d'englober
l'ensemble des catégories de personnels civils et militaires autochtones
qui, durant cette période, ont pris une part active tant à
l'administration qu'à la défense de l'Algérie
française ; autrement dit, cet ensemble progressivement indivis,
dans l'imaginaire collectif, formé par ceux que Mohand Hamoumou appelle
« les Musulmans au service de la France »217(*). Et s'y agrègent de
fait, dès cette époque, dans l'esprit de leurs contempteurs comme
dans celui de leurs amis, les troupes régulières de
l'armée française (conscrits et engagés FSNA218(*) de tous grades), ainsi que
les petits et les grands commis de l'État : anciens combattants,
gardes champêtres, gardes forestiers, agents et cadres de la fonction
publique, caïds, aghas, bachagas, hauts fonctionnaires, élus. En
somme, l'ensemble des populations arabophones ou berbérophones qui ont
participé à la défense, à l'administration et/ou
à la promotion de l'Algérie française219(*).
- Les troupes régulières (conscrits et
engagés)
S'agissant des musulmans incorporés dans les troupes
régulières de l'armée française (engagés et
conscrits), les effectifs maximums (26.199 engagés et 39.216
conscrits pour un total de 65.415 hommes) sont atteints en janvier 1961.
S'agissant plus particulièrement des conscrits, les
effectifs cumulés tout au long des sept années et demi de
guerre sont estimés à plus de 100.000 hommes par Stéphanie
Chauvin220(*), ce qui
est à la fois peu et beaucoup. L'appréciation de ces chiffres
doit selon elle tenir compte des difficultés de la politique de
promotion de la conscription en Algérie, grevée par un taux
d'insoumission relativement élevé, et ce tant pour des raisons
structurelles antérieures au déclenchement du conflit
(l'éloignement des conscrits de l'environnement familial et social et,
symétriquement, le manque d'intérêt porté par
l'armée française à l'incorporation des appelés
musulmans221(*)) qu'en
raison des obstacles liés à la conjoncture
(l'insécurité qui règne sur une partie du territoire et
les appels à rejoindre les maquis et l'ALN). Cependant, note
Stéphanie Chauvin, « le déclenchement du conflit
n'entraîne aucune augmentation significative des
défections »222(*).
- Les catégories de personnels non
militarisés et franges de la population acquises à la
France
Cette catégorie disparate comprend une part importante
des anciens combattants, gardes champêtres, gardes forestiers, agents et
cadres de la fonction publique, caïds, aghas, bachagas (ces trois derniers
statuts étant hérités en droite ligne des titres de
notabilité liés à la régence ottomane), hauts
fonctionnaires, élus et autres élites francisées.
Cette acception générique du terme "harkis",
pour imprécise qu'elle puisse apparaître au premier abord, traduit
pourtant une réalité qui n'était pas simplement discursive
mais, pourrions-nous dire, "polémo-logique" :
l'impossibilité d'échapper aux étiquettes et aux
classifications dans un conflit où la demi-mesure n'était de mise
ni dans un camp ni dans l'autre. « Vous êtes avec nous ou
contre nous » : « fidèle » ou
« rebelle » pour les uns ;
« résistant » ou
« traître » pour les autres. Et, de fait,
par-delà la diversité des statuts et des motifs d'engagement,
l'usage générique du terme "harkis" avait l'avantage de tout
ramener à cette simple réalité : « Vous
êtes avec nous ou contre nous ». Au fond, cette classification
homogénéisante a été l'un des rares motifs
d'"entente" entre les deux camps, à savoir : la
nécessité de trahir la complexité de la
réalité, donc de gommer la diversité des statuts et des
motifs d'engagement des musulmans dits "pro-français", pour mieux
distinguer "amis" et "ennemis".
Par ailleurs, dans une perspective plus diachronique, il
convient encore, au plan sémantique, d'opérer un distinguo entre,
d'une part, les anciens supplétifs demeurés de gré ou de
force en Algérie après l'indépendance - qu'ils aient ou
non été la cible de représailles - et, d'autre part, ceux
qui purent trouver refuge en métropole et qui choisirent, après
déclaration d'option devant le juge d'instance (procédure sur
laquelle nous reviendrons plus avant223(*)), de recouvrer la nationalité
française. Tandis que les premiers - tout au moins ceux qui ont
survécu - ont perdu tout lien avec la France et sont ce que l'on
pourrait appeler des "innommables" en Algérie, les derniers ont
été affublés par les autorités françaises de
différentes appellations administratives : Français de
souche nord-africaine d'abord (FSNA, appellation couramment employée par
l'Administration au temps de l'Algérie française par opposition
aux Français de souche européenne, ou FSE), puis Français
de souche indigène rapatriés d'Afrique du Nord (FSIRAN),
Rapatriés d'origine nord-africaine (RONA) ou encore Français
musulmans rapatriés (FMR). Ces appellations, si elles ne se sont jamais
substituées à l'acception générique du terme
"harkis" dans le langage usuel224(*) aussi bien que dans les modes
d'auto-désignation des intéressés eux-mêmes (y
compris d'une génération l'autre225(*)), ont pour avantage de
permettre à l'analyste de désigner ceux qui, parmi les anciens
supplétifs, sont parvenus à trouver refuge en France et ont
"choisi" de s'y établir - d'y faire "souche" en quelque sorte. Nous
emploierons par convention le terme de Français musulmans
rapatriés pour désigner spécifiquement cette frange de la
population (par opposition à cette part importante de supplétifs
qui a soit perdu la vie au moment de l'indépendance, soit a
survécu aux massacres mais n'a pu - ou voulu - gagner la
France)226(*).
B. Combien étaient-ils ? Effectifs
comparés avec ceux du FLN/ALN et importance relative des musulmans
pro-français dans la population musulmane algérienne
Les musulmans pro-français, toutes catégories
confondues (personnels civils et militaires), pouvaient-ils être
comparés à une "nomenklatura" ou à un "réduit
collaborationniste", vivant en marge ou au ban de la société
algérienne ? Cette question est importante car l'unanimisme
était (et reste) un élément fort du récit
algérien, du moins tel que porté par le FLN au cours et à
la suite du conflit. Or, sur un plan strictement comptable, si l'on compare les
effectifs des musulmans pro-français à ceux des militants et
combattants du FLN/ALN (auxiliaires, maquisards mais aussi djounouds de
l'armée des frontières), la réponse est clairement
négative : les effectifs des premiers ont été
continûment supérieurs à ceux des seconds (voir
ci-dessous), même s'il faut tenir compte, pour ceux-ci, des
difficultés particulières d'engagement dans l'organisation civile
et militaire du FLN/ALN (et pas seulement dans les maquis) et du taux de
renouvellement plus important des effectifs de l'ALN (en raison de pertes
infiniment supérieures à celles des supplétifs).
Inversement, les risques encourus par ceux des musulmans qui acceptaient une
charge élective ou administrative d'une part, la limitation des
crédits impartis aux formations supplétives - limitation qui,
localement, a pu interdire de faire droit à l'ensemble des
disponibilités et demandes d'engagement227(*) - d'autre part, ont pu
également contribuer à contenir les effectifs des musulmans
pro-français en deçà des potentialités
réelles.
- Les effectifs maximums pour l'ensemble des
unités supplétives
Selon Maurice Faivre, les effectifs maximums des troupes
supplétives - toutes catégories confondues - sont atteints en
janvier 1961 : à cette date, on dénombre 153.470
supplétifs aux côtés des troupes régulières
de l'armée française, dont 119.470 sont effectivement
armés (a contrario, 34.000 membres des GAD sont
dépourvus de tout armement individuel)228(*). Pour sa part, Charles-Robert Ageron, rapportant les
estimations du 2ème bureau et de l'EMI, indique des pics
d'effectifs de supplétifs armés compris entre 120.000 et 125.000
hommes fin 1960229(*).
- Les effectifs maximums pour l'ensemble des
combattants musulmans de l'armée française (formations
supplétives et troupes régulières)
Si l'on ajoute aux supplétifs, les musulmans
engagés (26.199) ou appelés (39.216) dans les troupes
régulières, l'on atteint - toujours en janvier 1961 - un maximum
historique de 218.685 combattants musulmans, dont 184.685 sont effectivement
armés (34.000 membres des GAD non armés). À quoi
s'ajoutent 1.515 engagés et 21.416 appelés affectés en
Europe230(*).
Encore ces pics d'effectifs ne donnent-ils qu'une idée
partielle de l'importance des enrôlements tout au long des sept
années et demi de guerre. Jean Monneret évoque ainsi, en termes
non plus d'effectifs maximums mais bien d'effectifs cumulés,
« l'engagement massif de plusieurs centaines de milliers de
Musulmans, échelonné sur plusieurs
années »231(*). La décroissance des effectifs intervient
à partir de 1961 avec l'amorce de la politique dite de
« dégagement ». En 1961, les effectifs des harkis
sont réduits de 25%, ceux des autodéfenses de 50%. Au moment de
la conclusion du cessez-le-feu, en mars 1962, il demeure tout de même
146.449 combattants musulmans (87.600 supplétifs, 24.548 engagés
et 33.301 appelés), dont 138.449 sont armés (8.000 membres des
GAD non armés). À quoi s'ajoutent 6.382 engagés et 209
appelés affectés en Europe232(*).
- Les effectifs globaux des musulmans acquis
à la France, toutes catégories de personnels confondues, civiles
et militaires
Si, donnant à la notion de musulmans
pro-français son extension maximale, l'on ajoute les petits et grands
commis de l'État aux membres des formations supplétives et des
troupes régulières, l'on compte au moins 250.000 Algériens
engagés à un titre ou à un autre dans le camp
français, soit environ 1.000.000 (un million) de personnes en comptant
la (très) proche famille (sur un total de 8 millions de musulmans vivant
en Algérie à cette époque)233(*).
- Les effectifs des militants et combattants du
Front de libération nationale/Armée de libération
nationale (auxiliaires, maquisards et djounouds de l'armée des
frontières)
Selon le 2ème Bureau, les effectifs maximums
de l'ALN/FLN, atteints à la charnière de 1957 et 1958, n'auraient
jamais dépassé les 50.000 hommes armés, dont 32.000 au
Maroc et en Tunisie (auxiliaires non armés non compris)234(*). En termes d'effectifs
cumulés, le recensement de 1974 du ministère algérien des
Anciens combattants fait état d'un total de 336.748 combattants sur
l'ensemble de la période de guerre, se répartissant comme
suit235(*) :
COMBATTANTS
|
VIVANTS
|
TUES
|
TOTAL
|
Organisation civile du FLN
Armée de libération nationale
|
122.990
60.895
|
81.468
71.395
|
204.458
132.290
|
TOTAL
|
183.885
|
152.863
|
336.748
|
Au final, deux constats s'imposent : 1. les effectifs
maximums des combattants musulmans de l'armée française à
une époque donnée ont été continûment
supérieurs à ceux des membres actifs du FLN et de l'ALN ; 2.
le taux de renouvellement des effectifs du FLN et de l'ALN, malgré une
décroissance continue à partir de 1957-58, a été
infiniment plus rapide que celui des troupes musulmanes loyalistes. Qu'en
conclure ? Selon Guy Pervillé, « malgré la part
d'incertitude des évaluations proposées des deux
côtés, une conclusion vraisemblable s'en dégage : le
nombre des Algériens musulmans engagés dans l'un et l'autre camp
a été du même ordre de grandeur [en termes d'effectifs
cumulés] »236(*). Il faut le souligner sans attendre : ces
chiffres témoignent d'une réalité autrement plus labile
que celle portée par le récit unanimiste du FLN. Ils
témoignent en effet, pour le moins, de la fragilité de
l'accusation de "trahison" véhiculée à l'encontre des
musulmans pro-français, et, pour cette raison même, de son
impérieuse nécessité sur un plan stratégique pour
une organisation qui se voulait politiquement hégémonique.
C. Pourquoi les supplétifs ont-ils
été recrutés ?
Jusqu'à quel point les autorités
françaises ont-elles souhaité impliquer les troupes
supplétives dans la conduite de la guerre ? Quel(s) rôle(s)
entendaient-elles leur faire jouer ? Compte tenu de la
problématique d'ensemble qui est la nôtre, et de ce que fut la
destinée faite aux intéressés à l'issue de la
guerre d'Algérie par leurs autorités de tutelle (voir infra), ces
questions sont importantes car elles apportent un éclairage utile aux
demi-silences qui entourent (ou grèvent), jusqu'à aujourd'hui,
l'évocation de leur destinée en France.
En fait, pour les autorités coloniales, depuis les
premiers "goums" improvisés par Jean Servier le 1er novembre
1954 jusqu'au projet de Fédération des unités
territoriales et des autodéfenses du général Challe en
1959 (voir ci-dessous), l'intérêt bien compris de l'emploi de
ces soldats supplétifs autochtones était double, à la fois
militaire et politique. Au plan militaire, les harkis furent employés -
en soutien et, pour certaines unités, en avant-garde des troupes
régulières - à réduire l'activité
insurrectionnelle de l'Armée de libération nationale (ALN), le
bras armé du FLN. Au plan politique, ils furent employés à
endiguer l'emprise sur les populations autochtones des mots d'ordre
nationalistes popularisés par le Front de libération nationale
(FLN), le principal mouvement indépendantiste algérien. Ils
devaient symboliser l'attachement des populations musulmanes à la
France, incarner leur implication dans la lutte.
Cependant, les attendus et l'intensité de l'emploi des
troupes supplétives - à la fois sur les plans militaire et
politique donc - furent évolutifs. À cet égard, il
convient de distinguer trois grandes phases : 1. une phase de
méfiance initiale quant à l'emploi de troupes autochtones, dans
un contexte où prévalaient, sur le plan militaire, une logique
essentiellement réactive et, sur le plan politique, le désarroi
et l'instabilité (dont témoigne, par exemple,
l'indétermination de la politique prônée par le
gouvernement Guy Mollet) ; puis 2. une phase d'emploi massif, dans un
contexte où, dans l'élan des scènes de "fraternisation" du
13 mai 1958, le redoublement des opérations offensives (plan Challe) fut
étroitement couplé à une logique de promotion et
d'intégration des populations musulmanes (instauration du suffrage
universel par le général de Gaulle, projet de constitution d'une
Fédération des unités territoriales et des
autodéfenses par le général Challe) ; enfin 3. une
phase de démobilisation progressive des unités
supplétives, désengagement contemporain du virage amorcé
par de Gaulle vers une politique d'autodétermination, puis de
négociation directe avec le GPRA, et corrélatif, sur le plan
militaire, d'une politique de décroissance - voire de suspension pure et
simple - des opérations offensives.
Les jugements portés par les autorités civiles
et militaires sur l'action des supplétifs furent étroitement
corrélés à la phase dans laquelle ils furent
formulés, mais aussi - à partir de 1961 - au soutien
apporté ou non par lesdites autorités à la politique de
« dégagement » voulue par le général
de Gaulle, un tel soutien impliquant mécaniquement de relativiser le
poids militaire et politique des unités supplétives.
- 1. De l'utilité des troupes supplétives
dans un contexte de guérilla ou la question de l'efficace militaire des
supplétifs
Sur le plan militaire, les troupes supplétives furent
davantage que des troupes d'appoint. Certes, par la masse des engagements et
leur implication dans le quadrillage du territoire (que l'on pense aux villages
constitués en autodéfense), ils furent surtout et avant tout un
élément d' "oxygénation" des troupes
régulières. Celles-ci, libérées en partie des
tâches de défense statiques, purent se consacrer plus efficacement
aux opérations offensives. Mais par-delà cet apport quantitatif,
certaines unités de supplétifs - à commencer par les
harkis proprement dits - furent employées pour leur qualités
spécifiques, directement au contact des unités de l'ALN. Ainsi en
fût-il des "commandos de chasse", troupes offensives par excellence, dont
le rôle fut prééminent dans la réussite du plan
Challe (qui, sur la base d'une succession d'opérations de grande
envergure, visait à la destruction systématique des maquis de
l'ALN et de l'organisation politico-administrative du FLN).
Ainsi, au fur et à mesure de l'avancée du
conflit, l'emploi des troupes supplétives deviendra d'autant plus massif
que les schémas de guerre classiques, basés sur l'utilisation
d'unités d'infanterie pléthoriques appuyées par des
blindés et l'aviation, feront la preuve de leur inefficacité face
aux katibas ultra-mobiles de l'ALN, lesquelles se fondaient - de gré ou
de force - dans la population grâce au maillage étroit
opéré par l'Organisation politico-administrative (OPA) du FLN.
Inversement, coupée des populations et en proie à un adversaire
labile, voire invisible, la lourde logistique guerrière de
l'armée française peinait à endiguer la montée en
puissance de la rébellion. Précisément, l'intensification
de l'emploi des troupes supplétives à partir de 1956-57 marquera
un virage stratégique à cet égard, une volonté
nouvelle d'impliquer les populations autochtones dans la conduite de la guerre.
Ainsi, le 30 août 1959, lors de son exposé au PC d'Artois (en
présence du chef de l'Etat), le général Challe justifiera
de la sorte cette nouvelle phase de la "pacification" : « Il
faut que la population musulmane prenne activement part à la lutte.
J'entends désormais donner (aux autodéfenses) un esprit offensif,
rendre la vie intenable à tout rebelle s'aventurant sur leurs
terres »237(*). De fait, selon Maurice Faivre, lui-même
ancien chef de harka, « les échelons de commandement en
Algérie [faisaient] davantage confiance aux harkis qu'aux appelés
[pour mener la guerre], en raison de leur volontariat et de leur recrutement
local »238(*).
Par suite, la multiplication des Sections administratives
spécialisées (protégées par des maghzens), puis des
harkas (attachées aux troupes opérationnelles), obéira,
aux yeux des autorités militaires, à deux ordres de
justification : (1) le bled, jusque-là sous-administré, ne
pouvait être abandonné à l'OPA du FLN sous peine d'asseoir
définitivement l'influence de la rébellion et de garantir son
approvisionnement logistique ; (2) les maquis adverses, qui puisaient leur
force dans leur mobilité et leur connaissance du terrain, ne pouvaient
être réduits que par des unités comparables :
légères, autonomes et nomades (commandos de chasse). En
complément, les villages dits « pacifiés »
sont peu à peu constitués en autodéfenses pour
décharger les troupes d'intervention des tâches de quadrillage.
- 2. De l'utilité d'un recrutement de masse dans le
contexte d'une guerre « subversive » ou la question de
l'efficace politique des supplétifs
Mais dans le contexte de la guerre d'Algérie (guerre
dont l'enjeu principal, compte tenu de la disproportion des forces militaires,
était le contrôle et/ou la conquête des populations
civiles), la question de l'efficacité militaire des supplétifs
était indissociable de celle de leur efficacité politique. Dans
cette optique, le haut commandement entend notamment faire jouer aux
autodéfenses - élément adventice (quoique utile) sur le
plan militaire - un rôle politique de premier plan, car ces
autodéfenses symbolisent l'implication directe des populations dans la
lutte, donc leur "responsabilisation". Ainsi, dans son exposé du 26
octobre 1959, dans la salle des opérations de l'état-major
interarmées d'Algérie, le général Challe explique
comme suit comment il entend arriver à ce que « la population
de ce pays, avec notre aide, prenne la direction des
événements » :
« Il faut qu'en face du parti de la
sécession, nous organisions dès maintenant le parti de la France,
et que nous le rendions vigoureux. (...) Pour moi l'embryon du parti de la
France réside, militairement parlant, dans les unités
territoriales et les autodéfenses. (...) J'ai fait monter une
fédération des U.T. et des autodéfenses ; cette
fédération prendra corps et soutiendra sur le plan civil
l'organisation que nous mettrons sur pied sur le plan militaire. Par ce moyen
nous arriverons à la «structuration» des populations : le
mot n'est certes pas joli mais il doit être
prononcé »239(*).
Soucieux de pousser plus avant cet avantage, « le
Commandant en chef [le général Challe] décide de
créer dans chaque secteur un centre de formation pour les responsables
des GAD, qui seront les adhérents du grand parti constitué par la
Fédération des unités territoriales et des
autodéfenses »240(*). Selon Maurice Faivre, ces centres de formation,
progressivement mis sur pied, accueillirent jusqu'à 1.200 stagiaires par
mois241(*). Selon
Charles-Robert Ageron, ils étaient 20.000 à les avoir suivis en
avril 1960. Pour cet auteur, « le «grand parti de la
France» que le général Challe voulait constituer autour des
supplétifs ne parvint pas à voir le jour. La
Fédération des unités territoriales et des
autodéfenses fut une tentative mort-née. (...) Le
général Challe dut renoncer à son projet
politique »242(*). Maurice Faivre avance pour sa part que
« le général Challe ne renonça pas à son
projet politique de créer «un grand parti de la France» mais
fut plus simplement relevé de son commandement en avril
1960 »243(*).
Mais il faut aussi rappeler que la Fédération des unités
territoriales et des autodéfenses a bien sûr pâti de la
dissolution des unités territoriales, en février 1960, à
la suite des journées des barricades, à Alger, fin janvier
1960.
D. Pourquoi les supplétifs se sont-ils
engagés ?
Cette question est importante compte tenu de l'enjeu des
motivations dans les constructions de la figure du harki, qu'elles soient
contemporaines de la guerre d'Algérie ou ultérieures. Il n'y a
d'ailleurs pas de réponse simple à cette question, ni de
réponse univoque : les différentes raisons
évoquées ci-après se sont souvent entremêlées
- et parfois contredites - pour donner prise à la décision des
intéressés. A cet égard, l'essentiel ici est de souligner
la complexité des choses, non de proposer une lecture concurrente ou
alternative de celles - uniment dépréciatives ou laudatives, mais
toutes également réductionnistes244(*) - institutionnellement
consacrées et/ou habituellement relayées sur l'une ou l'autre
rive de la Méditerranée.
? Par conviction, fidélité à
l'armée et/ou tradition familiale
Les commentateurs, quel que soit leur degré d'empathie
pour les anciens supplétifs de l'armée française, et
quelles que soient leurs sources (témoignages directs des
intéressés ou archives militaires), s'accordent
généralement à dire que le "patriotisme
pro-français" est un facteur de motivation sinon complètement
marginal, du moins relativement mineur au regard de la masse des engagements.
Ainsi, pour l'historien Charles-Robert Ageron, seule « une petite
minorité des musulmans engagés dans des formations
supplétives agirent par patriotisme
français »245(*). De même, pour Mohand Hamoumou,
« l'engagement avec la France - plus souvent que
pour la France - est en général avant tout un
réflexe de survie »246(*). Sans doute cet ordre de motivation concernait-il
avant tout certaines élites francisées, qui vivaient leur
engagement dans la continuité d'autres engagements, et puisaient leur
conviction dans une tradition familiale déjà ancienne. Ainsi en
va-t-il du commandant Khélif, qui n'était pas supplétif
mais officier dans l'armée d'active : « Pour moi, la
question du choix ne se posait même pas. Ma famille avait opté
pour la naturalisation française en 1865. Ma mère était
catholique. Moi, je parlais français et anglais mais pas l'arabe. Je me
sentais français parce que j'étais français.
Français avec des racines kabyles comme mes copains étaient
français avec des racines espagnoles, italiennes ou alsaciennes. Pour
moi, la trahison eût été de ne pas servir mon pays, la
France, contre une bande de hors-la-loi qui voulait s'imposer par la
terreur »247(*). Ainsi en va-t-il également du colonel L.,
lui aussi officier dans l'armée d'active : « Nous aimions
la France, ses auteurs, ses valeurs. La France des Lumières, des Droits
de l'homme, de la Résistance. Nos parents s'étaient battus pour
elle. Nous étions prêts à le faire aussi, sans
hésiter, si l'intégrité de son territoire ou ses valeurs
démocratiques étaient menacés »248(*). Mais pour "naturel" qu'il
lui apparaisse rétrospectivement, cet engagement n'était pas pour
autant inconditionnel, ou aveugle. Le colonel L. : « Pour
autant, nous étions lucides. Il y avait des différences, des
injustices entre «musulmans» et «Européens». Nous
pensions que notre rôle d'élite francisée était de
faire cesser ces injustices. Mais on voulait aller à l'autonomie puis
à l'indépendance progressivement, avec la France et pas contre
elle. En imposant un suffrage démocratique non truqué et en
formant des élites, peu à peu, les musulmans auraient pris des
postes clés, des mairies. Et l'indépendance serait venue comme un
fruit mûr, sans trop de heurts, sans guerre civile »249(*).
Mohand Hamoumou souligne par ailleurs que nombre d'anciens
combattants et vétérans de la Seconde guerre mondiale se
porteront volontaires pour organiser leurs villages en
autodéfense250(*). Sans doute ceux-là agissaient-ils au moins
en partie par conviction patriotique puisque, nous l'avons vu, les membres des
GAD (Groupes d'autodéfense), à la différence des autres
supplétifs, étaient bénévoles et, pour une grosse
moitié, non armés. Ajoutons encore, puisque l'on s'interroge ici
sur la propension du sentiment patriotique ou de la "francophilie" à
motiver des engagements, que nombre de petits et grands commis de
l'État, notables, élus locaux ou nationaux, voire de simples
collectifs de citoyens (à commencer par les associations d'anciens
combattants251(*)) se
prévaudront jusqu'au bout de leur attachement à l'Algérie
française, en dépit des menaces plus que virtuelles pesant sur
eux (comme en témoigne par exemple l'assassinat d'Ali Chekkal,
vice-président de l'Assemblée algérienne, le 26 mai 1957
à Colombes, en présence du président René Coty).
? Le besoin de protection et/ou le désir de
vengeance contre les exactions du FLN
a) Les atteintes à l'honneur et à la
virilité
Dans une société paysanne où organisation
clanique et codes d'honneur codifient les relations interpersonnelles, et
où toute atteinte à la virilité (entendue au sens extensif
du terme, depuis la spoliation des fusils jusqu'au viol des femmes ou des
filles) vaut déclaration de guerre, les motifs d'engagement dans
l'armée française sont loin d'être simplement
idéologiques. Ainsi, l'attitude caporaliste de certains chefs locaux du
FLN, qui, au nom de la lutte pour l'indépendance, s'arrogent la
disposition des biens et des personnes au mépris des voies
hiérarchiques et codes d'honneur traditionnels, leur vaudra-t-elle des
haines féroces de la part de certains chefs de famille et/ou de
tribu252(*).
b) La somme des interdits et des obligations, et la
démesure des châtiments
Les attitudes caporalistes de certains chefs locaux du FLN ne
s'arrêtaient pas à la mise à disposition forcée -
mais ponctuelle - des biens et des personnes. Ceux-ci entendaient
également régir au jour le jour tous les aspects de la vie
quotidienne des populations musulmanes aux fins de les soustraire à
toute influence française. Outre l'instauration d'une
« armée », d'une
« administration » et d'une « justice »
parallèles justifiant réquisitions, abattage des chiens (pour ne
pas donner l'alerte au passage des colonnes de maquisards254(*)), impôt
révolutionnaire et amendes, le FLN, accaparant et interprétant la
doctrine religieuse à son seul profit255(*), s'est en quelque sorte attaché à
« moraliser » les populations via l'interdiction de jouer,
de boire ou de fumer. La sanction de tels comportements s'opérait sous
forme de châtiments corporels, destinés à marquer aux yeux
de tous l' « impiété » des
"contrevenants". Voici, à titre d'illustration locale (mais la consigne
vaut pour toute l'Algérie), le texte d'un tract retrouvé le 25
septembre 1955, à Djemaa, territoire de Touggourt :
« Écoutez gens, évitez de fumer des cigarettes
françaises, cela vaudra mieux pour vous. Nous brûlerons le magasin
de celui chez qui nous trouverons des cigarettes françaises, et, par
Dieu, la France ne pourra jamais rien nous faire. Nous couperons au couteau le
nez de celui que nous trouverons en train de fumer des cigarettes
françaises. Nous en avons décidé ainsi. Faites ce que vous
voulez. Évitez les jeux de hasard dans les cafés tels que dominos
ou cartes, cela vaut mieux pour vous, car vous pourriez vous en repentir. Ceci
de la part de l'Armée de Libération de
l'Algérie »256(*). Chez de nombreux témoins, y compris certains
sympathisants du FLN, la somme de ces interdits suscite un sentiment
d'oppression. Ainsi en va-t-il de Mouloud Feraoun, qui dénonce
l'obscurantisme ambiant : « Abrous me donne quelques
précisions sur les réunions qui se tiennent à la
mosquée de T.A.. Les prétentions des rebelles sont exorbitantes,
décevantes. Elles comportent des interdits de toutes sortes, uniquement
des interdits, dictés par le fanatisme le plus obtus, le racisme le plus
intransigeant, la poigne la plus autoritaire. En somme, le vrai terrorisme. Il
ne reste aux femmes de T.A. qu'à youyouter en l'honneur de la nouvelle
ère de libération qui semble pointer pour elles à
l'horizon brumeux que barrent inexorablement nos montagnes sombres.
Défense de faire appel au toubib ( ?), à la sage-femme,
surtout à la sage-femme ( ?), au pharmacien
( ?) »257(*).
c) Le ciblage systématique des élites
traditionnelles et des éléments non inféodés au
FLN
Pour asseoir son emprise sur les populations musulmanes, le
FLN s'attache dès l'entame de l'insurrection à neutraliser ou
à détruire les cadres hiérarchiques traditionnels
(administratifs et/ou spiritualistes) susceptibles d'offrir quelque
résistance à l'épanouissement de la
« Révolution ». Cette politique de la table rase
vise principalement deux types d'éléments :
- les éléments indigénistes (chefs de
tribus, etc.) ou spiritualistes (marabouts, etc.), porteurs d'une vision
coutumière et parfois ésotérique de la sociabilité,
qui fait obstacle à la diffusion de l'idéologie de la
« libération »258(*) ;
- les éléments administratifs dits
pro-français (qu'ils le soient ouvertement ou non), à
savoir : gardes champêtres et gardes forestiers, caïds, aghas,
bachagas, ainsi que tous les petits et grands commis de l'État, à
commencer par les élus.
Ce ciblage quasi-systématique des civils
attachés de près ou de loin à l'administration de
l'Algérie française, et/ou opposés au bouleversement des
cadres hiérarchiques et spiritualistes coutumiers259(*), sera à l'origine de
ressentiments tenaces tant parmi leurs proches que parmi certaines des
populations administrées. Ainsi, ce n'est pas l'amour de
l'Algérie française qui a motivé l'engagement du
père de Malika, réquisitionné comme interprète par
l'administration coloniale, mais la menace que faisait peser sur lui son
appartenance à une famille de marabouts. Malika : « Mon
père ne pouvait pas s'engager du côté des rebelles parce
qu'il était issu d'une famille de marabouts, qui ne portent jamais
d'armes, et parce que son père, chef coutumier, avait été
condamné à mort par le FLN, comme toutes les élites
traditionnelles »260(*).
Mohand Hamoumou, et de nombreux auteurs avec lui, estime que
le facteur "exactions" du FLN est « le facteur le plus important, au
moins par la fréquence, de l'engagement des
supplétifs »261(*). Ferhat Abbas lui-même, rallié
tardivement au FLN mais qui fut un temps président du Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA) puis
président de l'Assemblée constituante à
l'indépendance, reconnaît la prégnance du
facteur "exactions" dans les motifs d'engagement des supplétifs
musulmans de l'armée française : « Les
responsables utilisèrent la menace, la peur. Ils commirent de
regrettables erreurs poussant les braves gens dans les bras de l'armée
et des autorités françaises. Ce fut le cas de nombreux
Algériens, devenus «harkis» malgré
eux »262(*).
Cette appréciation était tout sauf incidente puisque l'un des
neveux de Ferhat Abbas - pharmacien exerçant à Philippeville et
connu pour ses prises de position hostiles au FLN - fut
précisément assassiné par le FLN lors des émeutes
du Constantinois du 20 août 1955263(*). De même, Mohammed Harbi, ancien responsable
de la Fédération de France du FLN devenu historien de la guerre
d'Algérie, voit dans les exactions perpétrées par le FLN
à l'encontre de civils une explication probante de l'engagement en masse
des musulmans dans les forces supplétives. Mohammed Harbi :
« Contre l'injustice, la paysannerie se protège par tous les
moyens, même ceux qui ne servent pas la cause nationale. Le nombre des
Algériens engagés dans les harkis est
édifiant »264(*).
? Les engagements forcés, sous pression
physique et/ou psychologique de l'armée française
De nombreux témoignages et travaux font état des
pressions exercées par l'armée française sur de jeunes
musulmans pour les contraindre à s'engager à ses
côtés. Aux pressions physiques et psychologiques exercées
par le FLN répondaient donc celles exercées par l'armée
française. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait de forcer les
populations civiles à prendre parti. Parmi les moyens de pression
utilisés par l'armée française, il faut distinguer la
violence psychologique (ruse, compromission délibérée) de
la violence physique directe (emprisonnement arbitraire, passage à
tabac, torture) ou indirecte (le chantage, l'intimidation et les menaces de
mort). Même s'il n'est pas rare, dans les faits, que l'une et l'autre
soient utilisées successivement ou de concert.
a) La violence psychologique
Mohand Hamoumou rapporte comment certains officiers de
l'armée française s'attachaient à compromettre les
populations civiles avec lesquelles ils étaient en contact, pour ne leur
laisser d'autre choix que de s'engager ouvertement aux côtés des
forces de maintien de l'ordre. Il cite notamment le témoignage d'un
député en mission d'observation en Algérie au moment de la
guerre : « Au mois de novembre 1959, comme rapporteur du budget
de la Marine, je suis allé voir les fusiliers-marins de la
frontière marocaine, secteur Nemours. L'amiral qui me conduisait dans sa
jeep me disait : «Nous allons voir énormément de
villages». Et nous montions dans tous ces pics, nous descendions à
la porte des villages, qui étaient en état de défense.
L'amiral faisait toujours monter le chef du village dans sa jeep, et, tous les
quatre, le chauffeur, le chef du village, l'amiral et moi, nous circulions dans
le village. J'ai finalement demandé à l'amiral : «Mais
enfin, pourquoi faisons-nous ainsi toujours cette ronde en jeep ?».
Et il m'a dit : «J'ai reçu l'ordre d'en compromettre le plus
possible !»265(*).
b) La violence physique
Abdelkader Adelaah, alors âgé de 22 ans, a
été contraint de s'engager pour soulager les souffrances de
son père, arbitrairement emprisonné : « Il avait
été jeté dans un camp d'internement par les
Français, qui l'accusaient d'être pro-FLN. La seule façon
de montrer que nous n'étions pas des rebelles et donc d'obtenir sa
libération, c'était de m'engager »266(*). Pour sa part, Brahim
Sadouni, alors apprenti mécanicien, avait accepté de s'atteler
à l'entretien des véhicules dans une unité de
l'armée française, contre la promesse de ne jamais avoir à
porter les armes. Pourtant, du jour au lendemain, il se trouve brutalement mis
devant l'alternative à laquelle il croyait pouvoir
échapper : « J'avais 17 ans. J'avais été
engagé au camp français comme mécanicien. Un jour, le
caporal m'a fait donner un paquetage. Il m'a dit que si je n'étais pas
harki, c'est que j'étais fellagha. J'ai senti que, si je
m'entêtais, je passerais à l'oued avec une balle dans la
tête »267(*). Yahia Temagoult, qui s'est engagé chez les
gendarmes mobiles (GMPR puis GMS), raconte lui aussi n'avoir eu d'autre choix
que de céder aux intimidations et menaces de mort : « Les
Français m'ont dit que, si je refusais, ils ne me feraient pas de
cadeaux quand ils me croiseraient dans la montagne. J'ai eu peur. J'avais 15
ans »268(*).
Il faut noter que la plupart de ces témoignages concernent des
adolescents, des mineurs, sur lesquels l'exercice - même indirect - de
violences physiques ne peut être que d'une redoutable
efficacité269(*).
Pour qualifier ces engagements sous pression de l'armée
française, Mohand Hamoumou parle
d' « engagements-refuges »270(*). Il ajoute
qu' « aucun de ces cas n'est exceptionnel mais qu'il est
difficile, voire impossible d'en situer le nombre ni même d'en
préciser la part relative dans l'ensemble des
engagements »271(*).
? Les ralliements d'anciens maquisards de
l'ALN
Une part non négligeable des effectifs des formations
supplétives est le fruit de ralliements d'anciens maquisards de l'ALN.
Les ralliés sont versés dans ces formations d'élites que
sont les commandos de chasse, dont la tâche est de traquer les katibas de
l'ALN en vivant à leur manière dans le bled272(*). Dans ce cas
d'espèce, il convient cependant de distinguer les ralliements
volontaires273(*) des
ralliements "sous pression". Ce qui n'est évidemment pas toujours chose
aisée.
? Les engagements par besoin / « pour la
solde »
Les spécialistes divergent quant au poids relatif de ce
facteur. Selon l'historien Charles-Robert Ageron, le facteur pécuniaire
a été déterminant pour « la majorité des
supplétifs » : « La majorité des
supplétifs se recrutèrent parmi de pauvres gens sans travail ou
sans ressources. Les salaires d'embauche étaient pour des chômeurs
ou des miséreux assez intéressants ». Il ajoute
cependant : « A l'origine des engagements, on ne peut oublier,
ni minimiser, l'usage de divers procédés de pression du
côté français et le désir de vengeance contre les
exactions du FLN »274(*). Pour sa part, Mohand Hamoumou affirme que
« la solde de harki n'a jamais été le seul ou le
premier facteur d'engagement ». Selon lui, « l'engagement
avec la France [était] en général d'abord un
réflexe personnel de survie » face aux « pressions
de l'armée française » et aux « excès
d'autoritarisme et [aux] violences des chefs locaux FLN »275(*). Certes,
l'impécuniosité des journaliers dans les campagnes, le
chômage structurel dans les villes, mais aussi les menaces du FLN envers
les musulmans acceptant de travailler chez les Européens, tout cela a pu
conduire certains musulmans à devenir supplétifs pour survivre.
Cependant, si cette motivation a pu être déterminante pour
certains, elle n'a pas globalement été prééminente
selon Mohand Hamoumou. L'auteur de rappeler que la première harka,
levée par l'ethnologue Jean Servier en dehors de tout cadre officiel,
était constituée de volontaires non rétribués, et
d'ajouter que « de nombreux musulmans étaient prêts
à devenir supplétifs bénévolement car ils
désiraient avant tout avoir une arme pour défendre leur vie
et celle de leur famille »276(*). Ainsi en va-t-il notamment, nous l'avons dit, des
membres des Groupes d'autodéfense, non rétribués et qui,
par surcroît, étaient pour plus de la moitié d'entre eux
dépourvus de tout armement individuel. Sur ces bases, Mohand Hamoumou,
s'il estime que « la conjoncture économique
extrêmement défavorable pour les musulmans a pu être
un élément supplémentaire parmi ceux qui ont conduit
nombre d'entre eux à travailler dans les SAS ou à devenir
harkis »277(*), réfute la thèse selon laquelle la
solde a été un élément prééminent -
voire exclusif - pour la majorité des supplétifs.
? Par solidarité tribale (rivalités
de clans ou de villages) ou par désir d'assouvir des vengeances d'ordre
privé
Dans une société organisée autour de
groupes - familles, clans, villages - et fondée sur la solidarité
entre les membres d'un même groupe, les engagements collectifs avec
l'armée française ou avec le FLN, peuvent être la
conséquence : 1. de l'influence particulière d'un notable
local, dont les obédiences et choix personnels s'imposent
"naturellement" à la collectivité ; 2. d'une rivalité
ancestrale entre deux groupes, chacun des groupes s'engageant dans un des camps
opposés pour faire droit à cette rivalité ; 3. de la
maltraitance ou de l'exécution d'un ou plusieurs membres du groupe par
l'un des protagonistes du conflit (insurgés ou forces de l'ordre), ce
qui provoque par réaction un engagement collectif dans le camp
opposé.
Le premier cas trouve une illustration paradigmatique dans
l'engagement de la tribu des Beni Boudouane aux côtés de
l'armée française derrière le bachaga Boualam,
notabilité locale engagée de longue date au service de la France,
et qui deviendra vice-président de l'Assemblée nationale en 1962,
avant de démissionner. La logique qui prévaut ici est celle du
fief : le "seigneur", en cour auprès des autorités, accorde
à ces "sujets" certains privilèges en retour d'un engagement sans
faille à ses côtés. Il est en quelque sorte
"propriétaire" du choix de ses administrés, ce dont il ne fait
pas mystère, exerçant au besoin un chantage en bonne et due forme
auprès des autorités.
Le deuxième cas renvoie aux prémisses
mêmes de l'insurrection : comme indiqué plus haut, le
1er novembre 1954, au premier jour de l'insurrection, l'ethnologue
Jean Servier organisera la défense de la ville assiégée
d'Arris, dans les Aurès, en convainquant la tribu des Touabas que c'est
une tribu rivale qui a pris les armes contre la France. L'argument porte
immédiatement278(*). Par la suite, Jean Servier fera de ce "savoir
anthropologique" un credo des opérations de recrutement :
« Je ne recrute pas des individus mais des collectivités, je
joue sur une morale collective forte. Dans ce pays, si l'armée recrute
des supplétifs individuellement, ce sera la
pagaille »279(*).
Le troisième cas trouve une illustration dramatique
dans le massacre de Melouza : les hommes de ce douar,
soupçonnés d'être sympathisants du Mouvement national
algérien (MNA) de Messali Hadj, un parti nationaliste rival du
FLN280(*), seront
entièrement exterminés par l'ALN en l'espace de deux jours (plus
de 300 victimes). Les quelques survivants et les douars environnants se
rallieront collectivement à la France.
Quoiqu'il en soit des raisons précises, Maurice Faivre
estime de fait que, « dans leur grande majorité, les
harkis se sont engagés collectivement dans les villages dits
pacifiés »281(*). Par surcroît, outre ces engagements
motivés par une forme ou une autre de solidarité tribale,
l'ethnologue Germaine Tillion rapporte que « sous le couvert et
l'alibi de trois guerres (entre France et Algérie, mais aussi
entre Français, et entre musulmans), un nombre incalculable de
règlements de comptes assouvissent de vieilles haines pendantes entre
les familles »282(*).
Mais, par-delà les motivations singulières, sans
doute faut-il évoquer, plus globalement, le poids du contexte et de la
structure du conflit : un contexte de guerre révolutionnaire
où, en l'absence de batailles réglées et donc de
possibilité de victoires définitives sur le terrain militaire, le
contrôle des populations (musulmanes) est un enjeu majeur ; à
cet égard, dans l'un et l'autre camp, la pression est mise autant sur
les populations que sur l'adversaire, sommées de donner des gages allant
du soutien passif à l'engagement armé : dans les faits, bien
souvent, la neutralité était interdite sous peine d'encourir la
suspicion des uns ou des autres, donc la mort. D'où, paradoxalement,
l'attitude proactive de beaucoup qui, placés dans un contexte où
ils ne pouvaient échapper aux pressions croisées des principaux
protagonistes du conflit, ont été amenés à prendre
les armes dans l'un ou l'autre camp (et souvent même dans l'un et l'autre
camp au sein d'une même famille283(*)) pour bénéficier au moins de la
protection, passive ou active, d'une des deux parties ; et ainsi
échapper à ce « sentiment d'être pris en
tenaille » dont Abdelkader Adelaah, lui-même ancien harki, nous
dit qu'il était le fait de nombreux musulmans284(*). Saliha Abdellatif,
aujourd'hui sociologue, dépeint ainsi les motivations qui ont
poussé son père à s'engager aux côtés de la
France : « À l'âge de 6 ans, j'ai vu les gens du
FLN tuer une de mes tantes qui n'avait que 19 ans, puis les militaires
français menacer d'éventrer ma mère enceinte : chacun
des deux camps nous soupçonnait d'appartenir à l'adversaire.
Entre la peste et le choléra, les gens choisissaient ce qu'ils
estimaient être le moindre mal ». Elle ajoute, à propos
de l'engagement de son père : « Je ne pouvais pas
comprendre comment, dans un pays sans écoles ni système de
santé, avec des plages interdites aux musulmans et des cafés
réservés aux pieds-noirs, on pouvait combattre du
côté français. Puis j'ai compris. Mon père
était pris entre deux feux. Le feu le plus rude l'a poussé dans
le camp le moins rude »285(*).
E. Les facettes d'un comportement : attitude
à l'égard des populations civiles et des prisonniers, attitude au
combat et loyauté
L'imaginaire du harki se construit non seulement sur les
motivations qu'on lui suppose mais aussi sur les comportements qu'on lui
prête. Les constructions dépréciatives de la figure du
harki, notamment, ont très largement puisé, d'une part (du
côté du FLN et de ses soutiens), dans le registre de la
"brutalité", stigmatisant l'attitude des supplétifs à
l'égard des prisonniers et des populations civiles286(*), et, d'autre part (du
côté des officiers et responsables français favorables
à la politique de « dégagement »), dans celui
de l'irrésolution au combat voire de la "médiocrité",
soulignant le manque de combativité des intéressés et/ou
leur propension à jouer un « double jeu » à
l'égard du FLN287(*). Cette violence symbolique procède d'un
"travail de l'écart" par rapport à l'advenu : il ne s'agit
pas pour nous de proposer un "contre-récit" (supposément plus
"véridique") mais simplement de souligner que ces visions monolithiques
se heurtent à d'autres visions - notamment historiennes - du
comportement des supplétifs en situation de guerre.
a) L'attitude à l'égard des populations
civiles et des prisonniers
Quelles ont été les différentes facettes
du comportement des supplétifs en situation de guerre ? Et d'abord,
quelle a été leur attitude à l'égard des
populations civiles ? Les harkis (et autres supplétifs) ont-ils
fait preuve d'excès de zèle dans les opérations de
maintien de l'ordre ou, au contraire, ont-ils contribué à servir
de "tampon" au profit des populations civiles musulmanes ? Et, à
l'égard des membres du FLN/ALN, ont-ils été des
adversaires brutaux (notamment dans la recherche du renseignement et le
traitement des prisonniers) ou, là encore, des garde-fous contre les
excès des troupes régulières ?
Evoquant les crimes de guerre commis par les forces
françaises pendant la guerre, Ahmed Raffa, porte-parole du Comité
national de liaison des harkis, assure que « les harkis n'ont jamais
participé à cette barbarie, sauf une minorité qui
était entrée dans cette guerre pour venger des membres de leurs
familles massacrés par le FLN »288(*). Une affirmation qui,
disons-le d'emblée, sonne davantage comme une affirmation de principe
que comme un avis documenté. De même qu'apparaissent peu
crédibles certaines affirmations symétriques qui tendent à
généraliser sans précaution des constats
indéniables mais localisés.
Au rang des témoignages "à charge", un pamphlet
de Paulette Péju289(*), écrit sur le moment (mais saisi chez
l'imprimeur par la Police judiciaire), a quasiment valeur de paradigme au sein
de la mouvance anticolonialiste lorsqu'il s'agit de caractériser le
comportement des harkis290(*). Intitulé Les harkis à Paris,
et documenté sur la base de témoignages de militants de la
Fédération de France du FLN, arrêtés puis
torturés291(*),
ce pamphlet dénonce les agissements de la Force de police auxiliaire
(FPA), alors basée à Paris. La FPA était composée
d'auxiliaires de police musulmans placés sous l'autorité du
préfet de police de Paris (en l'occurrence Maurice Papon, qui officie
dans ces fonctions de 1958 à 1967 après un passage par
Constantine), et visait à démanteler l'organisation
politico-administrative (OPA) de la Fédération de France du FLN,
particulièrement agissante et virulente à Paris (notamment
à l'encontre des militants messalistes292(*)). Une enquête censurée de
L'Humanité du 7 mars 1961294(*), qui vise à « alerter l'opinion sur
ce qui est en train de devenir «l'affaire des harkis» », et
qui puise aux mêmes sources que l'ouvrage de Paulette
Péju295(*), fait
état des mêmes méthodes et exactions : rafles suivies
quasi-immédiatement du "supplice de l'eau" (cette méthode est
privilégiée car elle ne laisse pas de trace et ne
nécessite aucun aménagement particulier des caves), coups,
menaces de mort et vexations. Les journalistes Antoine Coursat et Richard
Lerchbaum ont recueillis, en décembre 2000, à la fois le
témoignage de Ghodbane Douadi, qui était alors un
« combattant du FLN », et ceux de deux anciens de la FPA,
qui ont souhaité garder l'anonymat296(*). Ghodbane Douadi, arrêté en
février 1960, évoque le supplice de la bouteille297(*) (qu'il n'a pas subi
personnellement), ainsi que les supplices de l'eau298(*) et du chiffon299(*) (qu'il a subis). Pour leur
part, les anciens de la FPA, s'ils reconnaissent à demi-mot l'existence
de « dérapages », nient le caractère
systématique de telles exactions : « Soyons clairs,
même si on ne nie pas que ça a pu exister, la torture, moi je n'en
ai jamais vu ! Elle n'a jamais été un système. On
peut dire qu'on a été utilisés pour faire pression sur la
population, pour lui faire peur... tous les policiers font un peu peur. Mais si
on torture, c'est qu'on est un mauvais policier qui ne sait pas
interroger... ». Il ajoute : « Sincèrement, il
y a peut-être eu des bavures... ça ne serait pas honnête de
nier. Mais la majorité d'entre nous était contre la
torture », tout en reconnaissant que l'emploi de la Javel
[ajoutée à de l'eau pour faire gonfler le ventre]
« était possible » : « C'est comme en
Algérie, si on en parle, c'est que ça a bien dû arriver
quelques fois. Mais si un supplétif le faisait, par vengeance ou par
dérapage, et que ça se savait, il était directement
renvoyé en Algérie. C'était très strict, Montaner,
notre chef, était très sévère avec nous.
Sévère mais juste ». Commentaire de
l'intéressé (le capitaine Raymond Montaner), lui aussi
interrogé par Antoine Coursat et Richard Lerchbaum : « La
torture... j'ai lu le livre de Paulette Péju. Tout ça me
paraît très exagéré. Ça me donnerait presque
envie de rire. Bien évidemment, je ne pouvais pas être partout,
mais je savais tout ce que mes hommes faisaient. (...) Ça
m'étonnerait qu'il y ait eu de la torture dans les caves, même si,
moi-même, je n'y ai jamais mis les pieds. Qu'il y ait eu des
interrogatoires brusques, quelques coups, ça d'accord, mais que
ça aille jusqu'à la bouteille dans le cul ou l'eau de Javel... je
n'y crois pas [NDA : s'agissant de l'eau de Javel, les propos du capitaine
Montaner sont contredits par ceux - précédemment cités -
de son ancien subordonné] »300(*).
Paris ne fut bien sûr pas la cadre unique des exactions
imputables à certains harkis. Benoît Rey, qui était
affecté dans les commandos de chasse dans la région de Djidjelli,
affirme pour sa part que « sur la centaine d'hommes de son commando,
dont des harkis, une vingtaine furent des violeurs, deux ou trois
protestèrent, mais tous les autres se turent. Et aux viols
s'ajoutèrent fréquemment d'autres tortures »301(*). Ces témoignages
"à charge" ne sont pas seulement le fait d'acteurs a priori
défavorables aux harkis. À cet égard, le témoignage
de Claude Papet, affecté auprès de l'officier de renseignement
(OR) de Taher, et chef de harka, est particulièrement
précieux302(*).
Il en dit long à la fois sur ce que pouvaient être l'attitude de
certains harkis (en l'occurrence des ralliés, anciens maquisards du FLN)
à l'égard des "suspects", attitude renvoyant à une
conception expéditive de l'économie de la violence en temps de
guerre, mais aussi sur ce que pouvait être l'encadrement ou,
plutôt, l'absence d'encadrement et de prise de responsabilité de
leurs chefs : « Nos missions consistaient à partir avec
12 harkis, le lieutenant (OR), le radio et moi, trois Français au milieu
de 12 anciens du FLN, à la recherche de renseignements. Nous allions
fouiller les douars et mechtas pour tenter d'obtenir des renseignements, voire
faire des prisonniers et les faire parler. Oui, la torture existait comme dans
toutes les guerres, malheureusement elle semblait nécessaire car il
fallait faire parler pour sauver plusieurs vies, voire des centaines. Un jour,
je suis entré par hasard dans le local, un harki passait à la
gégène un fellouse, je n'ai pas pu supporter, sortie rapide, trop
peut-être, le courage a souvent manqué dans ces moments là.
Une autre fois, Boumediene me dit : «Viens voir, chef». Nous
rentrons dans la pièce, une douzaine de fellagas est alignée.
Askeur avec un poignard s'approche du premier : «Tu
causes ?». L'homme fait non de la tête. Sans un mot, Askeur
l'éventre. Il passe au deuxième : «Et toi ?».
L'homme a tout dit immédiatement. En sortant, Boumediene me dit :
«Tu vois, mon chef, il vaut mieux en tuer un que torturer les douze, on
obtient le renseignement plus vite. Aujourd'hui, nous avons évité
au moins 100 morts civils». Combien de fois je me suis caché pour
dégueuler tripes et boyaux ? »303(*). Le témoignage de
Claude Papet nous informe aussi de l'existence de forfaits apparemment plus
"anodins" mais qui, à leur échelle, participent d'un même
climat d'impunité, telles ces rapines qui servent à
améliorer l'ordinaire des soldats aux dépends de l'ordinaire des
populations : « Le soir, nous arrivons en haut de la colline.
Plus rien à manger et peu à boire. Les bérets noirs, bien
organisés, lancent un message radio. Quelques minutes plus tard, des
hélicos larguent des vivres et des outres de vin chaud et sucré
qui malheureusement éclatent en arrivant au sol. La nourriture est comme
d'habitude dégueulasse, on appelait cela du singe. Nos harkis
ramènent un boeuf, attrapé je ne sais
où »304(*).
À front renversé, d'autres témoignages
nous donnent à voir les harkis comme témoins impuissants des
exactions de leurs officiers. Ainsi, l'ancien harki Messaoud Kafi se
souvient : « Mon commandant français était
incontrôlable. Il se livrait fréquemment à des exactions
contre les civils ». Otage de la violence de son supérieur,
Messaoud Kafi "choisit" de se taire, à l'instar de beaucoup
d'appelés : « J'étais écoeuré, mais
je n'ai jamais rien dit. Je ne savais pas à qui le dénoncer. Mais
je savais bien que si je le dénonçais, je serais accusé de
complicité avec l'ennemi »305(*). De même, l'ancien harki Brahim Sadouni qui,
par extraordinaire, apprend que des soldats français ont battu sa
mère à coups de crosse au cours d'une opération parce
qu'elle refusait que soient opérées des fouilles dans sa
maison : « J'ai eu honte de porter l'uniforme qui avait
humilié ma mère »306(*).
Dès lors, s'il apparaît incontestable que
certains harkis se soient livrés plus ou moins routinièrement
à des exactions à l'encontre des populations civiles et, surtout,
des prisonniers, les attendus et la fréquence de tels agissements se
doivent d'être à la fois nuancés et
contextualisés :
- l'exemple des exactions imputables aux supplétifs de
la FPA doit beaucoup au contexte dans lequel s'inscrit son action : en
plein Paris, à l'encontre de la Fédération de France du
FLN qui, principal argentier de la « révolution »,
exerce un contrôle sans merci sur les travailleurs immigrés et se
livre, pour cette raison, à une surenchère de violence à
l'égard de sa rivale messaliste aussi bien que des forces de l'ordre qui
cherchent à la désorganiser ; de même, les violences
imputées aux "commandos de chasse" doivent beaucoup à la nature
spécifique des missions qui leur étaient imparties : troupes
nomades chargées de traquer les katibas adverses, majoritairement
constituées de ralliés, elles doivent leur efficacité
à leur capacité d'anticipation et à leur
réactivité ; et, de fait, les méthodes
employées sont souvent expéditives, qu'il s'agisse de "glaner" le
renseignement ou de se "décharger" du poids des prisonniers. Ainsi en
va-t-il, selon Raphaëlle Branche, du célèbre commando
Georges (entièrement constitué de ralliés) :
« Même si l'autonomie des Algériens à qui on a
recours est parfois redoutée, si certains chefs sont
débordés par des violences qu'ils ne maîtrisent pas
toujours, celles-ci participent aussi d'une économie de la guerre. Le
commando Georges, sur lequel on pourrait accumuler les témoignages
accablants, est ainsi laissé libre de ses mouvements - ses exactions
étant considérées par le commandant du Corps
d'armée d'Oran comme des « procédés habituels
aux musulmans entre eux » qu'il serait trop long de modifier. Le
général en chef Crépin estime même que les
procédés de ce commando « parfois un peu trop
énergiques » sont « malheureusement adaptés
aux moeurs de leurs coreligionnaires qu'ils connaissent mieux que personne. Le
commando Georges est un cas extrême mais le point de vue des
autorités militaires vaut aussi pour les autres unités de ce
genre »307(*).
La fréquence des exactions imputables aux commandos de chasse,
particulièrement exposés et mis à contribution, est ainsi
infiniment plus élevée que celle des exactions imputables aux
unités à vocation plus défensive, sur lesquelles pesaient
des contraintes moindres et dont les membres étaient très
certainement mus par des motivations bien différentes de celles des
ralliés
- dans le cas d'espèce de la FPA comme dans d'autres,
les consignes ou la permissivité de l'encadrement apparaissent
naturellement décisifs. Ainsi, les deux témoignages cités
par Madeleine Riffaud dans son article de L'Humanité (voir
ci-dessus) font état, pour l'un, d'un « chef en
civil [qui] n'était pas un Algérien et [qui] donnait les
ordres » (témoignage de Khaldi Madani) et, pour l'autre, d'un
« chef français en civil qui regardait [les tortures] et se
taisait » (témoignage de Amor Medjmedj);
- enfin, et cela intéresse plus directement notre
propos, l'exploitation de la torture à des fins de propagande (sur la
base de témoignages réels ou imaginaires) est une
réalité qui, sans mettre en cause la véracité des
témoignages pré-mentionnés, doit être ici prise en
compte, car elle participe, dans la construction d'une image de l'adversaire,
d'un effet grossissant dont l'impact peut être tout sauf anodin. Ainsi en
va-t-il des consignes véhiculées par le bulletin clandestin de la
Fédération de France du FLN, dont certains journaux firent
état dans leur édition du 17 septembre 1959 :
« Pour ceux de nos frères qui seront arrêtés, il
convient de préciser l'attitude qu'ils devront adopter. Quelle que soit
la façon dont le patriote algérien sera traité par la
police, il devra, en toutes circonstances, quand il sera présenté
devant un juge d'instruction, dire qu'il a été battu et
torturé. Il devra mentionner qu'on a fait passer du courant
électrique dans son corps. Il devra dire qu'il a été
brûlé avec des cigarettes et battu avec un nerf de boeuf sans
donner trop de détails qui risqueraient de le faire se couper. Il devra
inlassablement répéter la même chose. Le patriote
algérien arrêté ne devra pas hésiter à se
brûler lui-même quand il est seul et à se donner des coups
contre le mur, une table ou un bat-flanc de façon à montrer au
juge les traces. Il ne devra jamais se confier à un avocat qui lui aura
été désigné d'office mais il devra parler à
l'avocat que le Front lui aura envoyé. Il ne devra jamais hésiter
à accuser la police de tortures et de coups. Ceci a une très
grande importance sur le juge et les Tribunaux. Au cours de réunions
d'information, tous les responsables doivent insister auprès des
frères sur ces consignes qui sont impératives. Que chaque
responsable qui aura connaissance de ces instructions les diffuse largement
mais verbalement dans les réunions. Il convient de les apprendre par
coeur et de les détruire après »308(*).
b) La combativité et la loyauté
Nous l'avons dit, du côté français, les
considérations négatives - contemporaines ou
rétrospectives - de certains hiérarques politiques et militaires
de l'époque, alléguant du manque de combativité voire du
manque de loyauté d'une large majorité de supplétifs,
doivent sans doute moins à la volonté de caractériser ce
que furent l'engagement et le comportement des harkis qu'à justifier le
sort qui leur fut réservé après la signature des accords
d'Evian par leurs autorités de tutelle. Car là encore, ces
visions monolithiques, volontiers généralisatrices, se heurtent
à d'autres visions, symétriques ou plus nuancées. En fait,
les témoignages quant à la combativité et la
loyauté des supplétifs musulmans de l'armée
française sont généralement fonction, au sein de cette
institution comme au dehors : 1. de la proximité au combat par
rapport aux unités supplétives ; 2. du soutien
apporté sur le moment ou rétrospectivement à la politique
de « dégagement » voulue par le
général de Gaulle, dont les conséquences furent
dramatiques pour les supplétifs (voir infra).
Le général de Gaulle qui,
précisément, tenait les supplétifs en piètre
estime, se moquant sans ambages - en privé - de « ces soldats
de pacotille qui faisaient la parade devant la porte des
SAS »309(*).
De la même manière, quoique rétrospectivement, le
général Buis, qui était alors colonel et qui, durant la
courte période transitoire allant de la conclusion des accords
d'Évian le 19 mars 1962 à la déclaration
d'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, exerça les
fonctions de directeur du cabinet militaire du haut-commissaire de la
République en Algérie (après avoir commandé le
Secteur de Bordj Bou Arreridj), dresse un bilan peu flatteur du comportement
des harkis. Il estime ainsi qu'« en dehors de quelques-uns
véritablement engagés à nos côtés, [les
harkis] avaient toujours eu, plus ou moins, un pied dans la
rébellion ». Et il ajoute : « De belles
âmes s'indigneront. C'est pourtant - et évidemment - la
vérité » 310(*). De même, Charles-Robert Ageron avance que
« le nombre des affaires de collusion ou de subversion
enregistrées et étudiées était
considérable », et rapporte - à titre d'exemple -
que « d'août 1960 à janvier 1961, 134 affaires de
subversion avaient été mises à jour, [qui] touchaient 582
Algériens servant dans les forces françaises [NDA : ils sont
alors plus de 200.000], dont 386 supplétifs parmi lesquels 263
harkis »311(*).
A l'inverse, Maurice Faivre, qui fut chef de harka, et qui
rappelle que le pourcentage des désertions effectives de
supplétifs était inférieur à 1 pour 1.000 en 1958,
et à 1 pour 2.000 de 1959 à 1961, estime que ce chiffre
« devrait être considéré comme négligeable
dans le contexte d'une guerre révolutionnaire »312(*). De même,
François Meyer, qui fut lui aussi chef de harka, estime que le taux
général des désertions de musulmans (appelés et
engagés compris) observé à partir de 1957 (et qui n'est
jamais supérieur à 1 ou 2 pour 1.000) est
« insignifiant dans une guerre civile ». Il ajoute :
« A Bou Alam, au sein de la dernière harka que j'ai
commandée, et qui avait été constituée dès
1956, on ne déplorera pas une seule désertion de harki avant le 6
mars 1962 » 313(*). D'autres témoignages, émanant tant
des plus hauts échelons de commandement en Algérie que de cadres
subalternes directement au contact des supplétifs, contrastent eux aussi
avec les avis exprimés par les généraux Buis et de Gaulle,
ainsi qu'avec les analyses de Charles-Robert Ageron. S'agissant des officiers
généraux, Maurice Faivre rapporte que les Commandants de Corps
d'armée et de Division estimaient nécessaire, en février
1958, l'accroissement des harkas, qu'ils qualifiaient
d' « instrument indispensable de la
pacification » 314(*). Ils ajoutaient : « Les documents
récupérés sur les rebelles prouvent que les harkas
gênent les hors-la-loi sur le plan militaire et de la
propagande »315(*). Dans sa Directive n°1 du 22
décembre 1958, le général Challe qualifiait les FSNA de
« meilleurs chasseurs de fellaghas »316(*). De même, son
successeur, le général Crépin, qui avait proposé
que les effectifs de harkis soient portés à 62.000 (maximum
historique), soulignait le 9 juillet 1960 « l'aptitude des Commandos
[de chasse] à poursuivre les rebelles dispersés en terrain
difficile »317(*). Le 20 septembre de la même année, il
dépeignait le harki comme « l'auxiliaire direct du combattant
régulier grâce à sa rusticité, sa connaissance de
l'adversaire, ses liens avec la population »318(*). Le témoignage du
général Crémière, qui avait succédé
au colonel Buis à la tête du Secteur de Bordj Bou Arreridj
à deux ans d'intervalle, est intéressant en ce qu'il
apparaît autrement plus nuancé. Il classe les
intéressés en trois catégories : « La
1ère catégorie, fortement armée, comptait une
dizaine de harkas constituées par les hommes d'une même tribu,
voire d'une même famille. Elles obéissent chacune à l'un
d'eux dont l'autorité intransigeante, parfois brutale, était
indiscutée... D'un niveau opérationnel remarquable, il
n'était pas rare de les associer aux opérations du Secteur ou
intersecteur, comme ce fut souvent le cas au cours de l'hiver 1961-62. La
2ème catégorie concernait des harkas encadrées
par quelques militaires français ; elles étaient surtout
utilisées dans les opérations ponctuelles du Quartier dans lequel
elles étaient en quelque sorte "enchâssées". Elles
participaient avec succès aux opérations de fouille et de
bouclage. On en comptait une vingtaine. La 3ème
catégorie, une dizaine de harkas, s'apparentait plutôt à
des autodéfenses renforcées. Elles étaient le plus souvent
épaulées à vue ou à très courte distance par
un poste tenu par une unité du secteur (...). Dans tous les cas mieux
valait, à l'évidence, avoir avec nous ces 1.700 hommes et leurs
familles. Ces harkas constituaient pour nous la première et
irremplaçable source de renseignements, et plus de 60% des
opérations étaient déclenchées sur leurs
informations qui s'avéraient toujours exactes. En raison des pertes en
hommes et en armes que la rébellion subissait de ce fait, toutes les
harkas, et en priorité leurs chefs musulmans, se trouveraient en
péril si notre soutien venait à leur faire
défaut »319(*).
Tout aussi précieux est l'avis des cadres subalternes,
directement au contact des supplétifs. Claude Papet, ancien chef de
harka (voir ci-dessus), fait ainsi rétrospectivement état de la
combativité mais aussi de la loyauté des supplétifs
placés sous ses ordres ; mieux, il laisse clairement entendre
combien leur esprit de décision et, parfois, leur esprit de sacrifice a
contribué à sauver des vies dans les rangs des Français de
souche européenne320(*). Claude Papet : « Avec le "radio",
nous étions trois français en opération avec 12 harkis,
ralliés du FLN, livrés pieds et poings liés à leur
volonté. Mais leur fidélité à la France
était grande et ils nous l'ont souvent prouvé en prenant les
risques les premiers, passant devant nous dans les endroits
dangereux »321(*). De même, François Meyer :
« Les harkis ne jouaient pas le double jeu comme l'ont parfois
écrit ceux qui les dédaignaient. Souvent en tête,
puisqu'ils connaissaient bien le terrain et les habitudes des djounouds, ils
étaient particulièrement efficaces et fidèles, et avaient
peu à peu pris conscience de leur rôle »322(*). Pour sa part, le
général Faivre signale que « les harkas
amalgamées et les commandos, [qui] étaient entraînés
au tir et au combat, se montraient généralement plus
opérationnels que les unités de Français de souche, paras
exceptés »323(*). Cela ressort très bien du témoignage
de Gilbert Gardien (qui fut chef de harka en Petite Kabylie), interrogé
par Patrick Rotman et Bertrand Tavernier : « J'en bavais parce
que les gars marchaient très vite, j'avais le sentiment d'être
complètement perdu, on a marché, on a monté notre petite
embuscade. On est rentrés au matin, et j'ai posé la question
à mon prédécesseur qui partait : «Comment tu
fais pour t'y retrouver ?». Il m'a répondu : «Ce
n'est pas compliqué, je connais pas plus que toi le terrain, simplement
avec les harkis, ce sont des gens du pays, ce sont des locaux». Les harkis
avaient la maîtrise du terrain, ils savaient par où il fallait
passer. C'était 50% du résultat qu'on pouvait
obtenir »324(*).
Au fond, ce qui est en jeu pour ceux qui - responsables
politiques et militaires, sur le moment ou a posteriori - mettent en
doute la loyauté et/ou l'efficacité militaires des
supplétifs musulmans de l'armée française, c'est la
justification d'une politique unilatérale de démobilisation puis
de (non-)rapatriement qui, pour les intéressés, a eu des
conséquences dramatiques (voir infra) : en jouant de la
construction d'une image volontiers peu flatteuse ou anecdotique de ceux-ci, ce
sont les frontières mêmes de l'indignation que l'on cherche
à contenir dans les limites les plus étroites possibles. C'est
précisément à l'étude de cette politique de "mise
à distance" des supplétifs musulmans de l'armée
française, au moment de la signature des accords d'Evian puis aux
lendemains immédiats de l'accession à l'indépendance de
l'Algérie, que sont consacrés les développements à
suivre.
II. L'obstruction faite au repliement des harkis :
un crime d'indifférence ?
Dans la perspective d'ensemble qui est la nôtre,
l'étude de la destinée matérielle faite, par leurs
autorités de tutelle, aux anciens supplétifs de l'armée
française au moment de la phase finale de la guerre d'Algérie est
d'une importance capitale si l'on veut rendre compte de l'intensité et
des modalités liées à la construction puis à la
perpétuation d'une image du harki en France, tout au moins s'agissant de
ce qu'on appelle par convention la "mémoire officielle".
Ainsi, au fil de ce chapitre, nous verrons qu'après
avoir continûment assuré qu'elles n'accéderaient jamais
à pareille prétention, les autorités françaises
octroyèrent de fait au FLN le statut de représentant exclusif de
la population musulmane, l'invitant seul à la table des
négociations d'Evian, à l'exclusion de toute autre tendance. Par
suite, au moment de l'accession à l'indépendance de
l'Algérie, après sept années et demi d'une guerre
fratricide et dans la logique d'une entreprise qui s'était toujours
posée comme hégémonique, rien ni personne ne put s'opposer
à ce que l'esprit de vengeance l'emportât sur l'esprit de
mansuétude dans les rangs du FLN. Les musulmans pro-français - ou
considérés comme tels - furent en proie des mois durant (et sur
la quasi-totalité du territoire algérien) à de graves
sévices, en violation ouverte des clauses de non-représailles
contenues dans les accords de cessez-le-feu. Ceux qui purent échapper
aux représailles du FLN ne durent leur salut qu'à la fuite,
à l'exil vers la France. Et au fil des semaines et des mois, ce furent
quelque 95.000 à 100.000 anciens supplétifs et membres de leurs
familles qui purent s'y établir. D'autres - plus nombreux - n'eurent pas
cette chance, pour cette raison même que les autorités
françaises édictèrent des mesures visant à entraver
le transfèrement massif des anciens supplétifs et membres de
leurs familles vers la métropole. (section A.)
De fait, en Algérie, par-delà les vagues
successives et massives d'exécutions sommaires, trente-cinq camps
d'internement et de travaux forcés furent ouverts à l'attention
des musulmans non inféodés au FLN. Une estimation moyenne fait
état d'environ 65.000 musulmans pro-français et membres de leurs
familles massacrés en Algérie après la conclusion des
accords de cessez-le-feu. Les autres estimations, basses et hautes,
s'échelonnent entre quelques milliers et 150.000 victimes, les plus
basses semblant procéder d'une volonté de minimisation de ces
exactions325(*), les
plus hautes de leur exagération326(*). (section B.)
A. Du statut de supplétif à celui de
figurant
Au cours du processus de négociation d'Evian, revenant
sur des engagements jusqu'alors maintes fois et solennellement
ressassés, les autorités françaises vont faire en toutes
choses comme si les musulmans pro-français n'existaient pas ou,
plutôt, comme si leur représentativité (et donc la
nécessité de les associer aux négociations en cours)
était nulle. Et c'est ainsi que, conformément aux objectifs
clairement - quoique confidentiellement - définis de la politique
gaullienne de « dégagement »327(*) (laquelle visait à
décharger au plus vite la France de toute responsabilité dans la
conduite de la destinée et le maintien de l'ordre en
Algérie328(*)),
et sans que cela ne doive ni à l'improvisation du moment
ni à la confusion des esprits, les autorités
françaises vont : 1. exclure les musulmans pro-français - de
même que les messalistes - du processus de négociation d'Evian,
où seuls des représentants du FLN seront conviés ; 2.
négocier a minima la question des garanties, l'avenir et la
sécurité des intéressés n'étant redevable
que d'une clause générique de non-représailles qui tient
en quelques lignes et qui, surtout, n'était assortie d'aucun volet
répressif en cas de violation ; 3. déchoir automatiquement
tous les Algériens de statut civil de droit local (c'est-à-dire
la quasi-totalité des musulmans329(*)) de leur nationalité française au jour
de l'indépendance, même ceux désireux de la conserver, ce
qui revenait à les assujettir entièrement au bon vouloir des
nouvelles autorités (délivrance de papiers d'identité,
autorisations de sortie du territoire, jouissance des droits civiques et
sociaux, etc.) ; 4. maintenir la majorité des supplétifs en
Algérie en limitant au maximum les possibilités de
rapatriement.
C'est ce dernier point qui est le plus connu. Mais il importe
de souligner - et c'est ce que nous ferons - que cette étape n'est que
le point d'orgue d'une politique cohérente dont les points 1. à
3. sont les articulations majeures : simple supplétif de
l'armée française, le harki n'est plus, au moment où tout
se joue, qu'un simple figurant.
- 1. Ni la lettre, ni l'esprit : la vacuité
voulue des accords d'Évian en termes de garanties offertes aux musulmans
pro-français
Entre 1954 et 1962, nous l'avons vu, plusieurs centaines de
milliers de musulmans (membres des formations supplétives ou des
formations régulières de l'armée française, ainsi
que l'ensemble disparate des personnes assumant des responsabilités
administratives ou électives) ont pris les armes et/ou ont pris
ouvertement parti contre le FLN. En mars 1962, dans un rapport adressé
à l'ONU, l'ex-contrôleur général des armées
et président de l'Association Nationale des Familles et Amis de
Parachutistes coloniaux Christian de Saint-Salvy évaluera le nombre des
musulmans pro-français menacés par d'éventuelles
représailles à 263.000 (dont militaires de carrière
20.000, militaires du contingent 40.000, harkis 58.000, moghaznis 20.000,
membres des GMPR et des GMS 15.000, membres des groupes civils
d'autodéfense 60.000, élus, anciens combattants et fonctionnaires
50.000)330(*). Pourtant, en
dépit de la triple dimension de guerre civile de ce conflit331(*), seuls les représentants du
FLN furent invités à la table des négociations avec les
représentants de l'État français. À l'exclusion,
donc, de représentants qualifiés - c'est-à-dire reconnus
comme légitimes par les intéressés - des Français
d'Algérie (y compris, donc, l'OAS), des musulmans pro-français
(notables, militaires d'active et supplétifs) ou des formations
nationalistes rivales du FLN (principalement le MNA). Par surcroît, les
plénipotentiaires français n'ont en aucune façon
cherché à faire droit au point de vue et à négocier
des garanties spécifiques au bénéfice de ceux qui, parmi
les populations musulmanes, avaient ouvertement fait montre de leur attachement
à la France et/ou de leur hostilité au FLN. Ainsi, la
déclaration générale des garanties contenues dans les
accords d'Évian - déclaration qui stipulait un engagement
d'abstention de toute forme de représailles de la part des parties
signataires - n'était assortie, en cas de violation, d'aucune sanction
contraignante. Hors, en l'absence de tout chapitre qui leur soit
spécifiquement consacré, ces dispositions étaient les
seules à même de garantir la sécurité des musulmans
pro-français demeurés en Algérie. Ensuite, à la
différence de ce qui prévalait pour les Algériens de
statut civil de droit commun (les pieds-noirs et quelques milliers de notables
musulmans), la possibilité de conserver sur le sol algérien la
nationalité française fut refusée aux Algériens de
statut civil de droit local (soit la quasi-totalité des musulmans, donc
des supplétifs) : à l'issue du scrutin
d'autodétermination, ils devenaient ipso facto des ressortissants
algériens, même contre leur gré. À ce titre, ils ne
pouvaient bénéficier des (minces) garanties accordées
à titre transitoire aux nationaux français résidant en
Algérie, notamment la création d'une association de sauvegarde
habilitée à ester en justice « pour défendre les
droits personnels des Algériens de statut civil de droit
commun »332(*).
a) La légitimation de fait du FLN comme seul
représentant qualifié des intérêts de la composante
musulmane de la population algérienne au cours des négociations
d'Evian
Une fois parvenu au pouvoir, en juin 1958, Charles de Gaulle
n'aura de cesse, pendant un temps, de dénier au FLN puis au GPRA
l'exclusivité de la représentation des aspirations des
populations musulmanes - exclusivité que cette organisation revendique
et pose en préalable à toute négociation. En
conséquence, il se refusera continûment - dans ses discours du
moins - à traiter par privilège avec le seul FLN. Ainsi, dans son
discours du 16 septembre 1959, le général de Gaulle assura
qu' « il n'y [avait] aucune chance que la République
accorde à ceux qui dirigent l'insurrection le privilège de
traiter avec eux du destin de l'Algérie, les bâtissant par
là même comme gouvernement algérien »333(*). De même, dans son
discours du 29 janvier 1960 - qui faisait suite à la "semaine des
barricades" à Alger - le chef de l'État déclara :
« L'organisation rebelle (...) prétend ne cesser le feu que si
auparavant je traite avec elle, par privilège, du destin politique de
l'Algérie, ce qui reviendrait à la bâtir elle-même
comme la seule représentation valable et à l'ériger, par
avance, en gouvernement du pays. Cela, je ne le ferai pas »334(*). Cette fermeté
n'avait-elle d'usage que dilatoire ? Car lors même que le
général de Gaulle, dans son discours radiodiffusé du 4
novembre 1960, repoussait une nouvelle fois la prétention des
« dirigeants
rebelles » d'être « désignés
d'avance, et désignés par moi-même, comme les gouvernants
de l'Algérie », et qu'il leur refusait le privilège de
« fixer seuls avec nous les conditions du futur
référendum comme s'ils étaient la représentation de
l'Algérie toute entière », des pourparlers avaient
été entamés à Melun quelques semaines auparavant,
en juin 1960, précisément avec les seuls représentants du
GPRA. Cependant, à la suite de l'échec de ces
négociations, le chef de l'Etat laissait entendre publiquement - dans
une tournée en province - qu'il n'était pas possible de
reconnaître « l'organisation extérieure de la
rébellion » comme « représentant
l'Algérie tout entière »335(*) ; propos
réitérés lors de la conférence de presse du 5
septembre 1960, au cours de laquelle il affirmait à nouveau que la
France ne traitera pas avec « la seule organisation extérieure
de la rébellion » et que la discussion doit regrouper toutes
les tendances algériennes336(*) : on s'explique mal, dès lors, pourquoi
il n'avait pas effectivement invité d'autres acteurs politiques à
y participer. L'aval finalement donné à la reconnaissance du FLN
comme seul représentant de la composante musulmane de la population
algérienne restera d'ailleurs très longtemps implicite
puisqu'à Toulon et à Marseille, en novembre 1961, le
général de Gaulle continue à parler d'un accord
« avec tous les éléments politiques
algériens », même s'il ajoute que les dirigeants de la
rébellion « ont pour eux les sentiments de la majorité
de la population algérienne » (Toulon), tandis qu'à
Marseille il parle des « nationalistes algériens »,
c'est-à-dire « à peu près tous les musulmans
algériens, nous le savons bien »337(*).
Guy Pervillé de souligner que,
« contrairement à tout ce qu'il avait
répété de septembre 1959 à novembre 1960
[NDA : et même plus avant], [le général de Gaulle] a
finalement accepté de négocier avec le FLN comme interlocuteur
privilégié »338(*). De même, Mohand Hamoumou et Jean-Jacques
Jordi soulignent que le général de Gaulle, après avoir
maintes fois soutenu le contraire, « va revenir sur ses engagements
et c'est avec le seul FLN que ses ministres signent les accords
d'Évian » 339(*). En conséquence, « ni les
pieds-noirs, ni les musulmans pro-français, ni les
indépendantistes opposés au FLN, ne sont associés aux
négociations sur l'avenir de l'Algérie »340(*).
Plus encore, certains estiment que le général de
Gaulle, soucieux de dégager au plus vite la France du
« bourbier » algérien, aurait été au
devant des exigences du FLN, au risque (assumé) de compromettre l'avenir
de ses ressortissants et de ses anciens serviteurs d'armes musulmans. Ils se
fondent pour ce faire sur une analyse "prémonitoire" (quoiqu'à
son corps défendant) d'Alain Peyrefitte qui, sur la demande expresse du
général de Gaulle, avait rédigé en 1961, à
titre de ballon d'essai dans l'opinion et, sans doute, pour faire pression sur
le FLN, un opus intitulé : Faut-il partager
l'Algérie ?. Dans cet ouvrage, Alain Peyrefitte s'attachait
notamment à déconstruire le jeu d'influence subtil exercé
par le FLN à l'endroit des autorités françaises aux fins
d'amener lesdites autorités à préparer d'elles-mêmes
et au mieux (donc à moindre frais pour le FLN) les conditions de la
future prise de pouvoir de cette organisation. Alain Peyrefitte :
« Pour réussir la prise de pouvoir simultané sur
l'ensemble du pays, il faut que les révolutionnaires algériens
amènent le gouvernement français à éliminer
lui-même tous leurs adversaires ; à organiser lui-même
l'évacuation de la communauté européenne en
métropole ; à sacrifier lui-même à
l'autorité exclusive du FLN les autres tendances (Musulmans élus
sur les listes « Algérie française »,
Musulmans à tendance « association », ou
« soutien au général de Gaulle », MNA,
etc.) ; à installer lui-même un exécutif provisoire
unitaire, qu'ils ne peuvent accepter que s'il est composé de leurs
doublures ; à créer lui-même les conditions d'une
dictature du FLN. Les objectifs du GPRA peuvent se résumer en un
seul : obtenir de la France un fidéicommis pour toutes les
populations algériennes »341(*). L'auteur, qui avait écrit ces lignes
à titre de garde-fou à l'automne 1961, ne pouvait prévoir
que ce scénario "catastrophe" allait se réaliser point par point
quelques semaines plus tard, et en grande partie du fait même de la
volonté du commanditaire de cette étude342(*). Pour les partisans de
l'Algérie française, ce document est la preuve que le
général de Gaulle a « livré »
sciemment les Européens d'Algérie et les musulmans
pro-français au FLN.
Ce qui importe ici, c'est qu'il n'était non seulement
pas impensable mais normalement prévu que la négociation
fût multilatérale (au moins dans les déclarations
publiques), mais les choses se sont passées autrement, avec des
conséquences qui importent beaucoup pour notre analyse.
b) L'absence de tout volet répressif
gradué en cas de violation des clauses de non-représailles par le
FLN
Fondée sur le retournement radical d'une position de
principe longtemps prônée par le chef de l'État, à
savoir ne jamais négocier par privilège avec le FLN, l'entreprise
d'Évian impliquait donc que le FLN - mouvement révolutionnaire,
dont la vocation hégémonique était ouvertement
affichée, et qui asseyait une grande partie de sa prétention
à la domination sur une utilisation extensive de la violence politique -
fût soudainement enclin à bâtir un État de droit et
à respecter point par point l'édifice subtil des engagements
consignés dans les accords d'Evian. Une telle évolution - pour ne
pas dire métamorphose - était la seule à même
d'offrir à la partie française les garanties nécessaires
quant à une application loyale des accords d'Évian. D'autant que,
sur le plan juridique, les accords d'Évian - accords conclus entre le
gouvernement français et une organisation qui ne représentait pas
légalement l'Algérie - n'engageaient réellement pour
l'avenir que la partie française. En fait, ces accords ne pouvaient lier
en aucune façon le futur gouvernement algérien, si ce n'est sur
le plan moral. Or, sur ce plan précisément, il apparaissait
déjà que les détenteurs de la force, donc du pouvoir
efficace au sein du FLN (regroupés non autour du GPRA mais de
l'armée des frontières du colonel Boumediene), n'entendaient pas
sacrifier la morale révolutionnaire à celle du droit343(*). Pourtant, la
détermination des autorités françaises à se
décharger du « boulet » algérien était
telle que les émissaires du gouvernement ne jugèrent ni utile ni
opportun d'insérer quelque volet répressif gradué en cas
de violation des accords par la partie algérienne. Il n'est ainsi
prévu dans les textes, au titre du « règlement des
litiges », que le recours à la conciliation ou à
l'arbitrage, et, « à défaut d'accord sur ces
procédures », la saisie de la Cour internationale de justice.
Autant dire, rien qui ne soit immédiatement contraignant, ni même
seulement contraignant d'ailleurs. Donc rien qui ne soit adapté à
une situation d'urgence éventuelle.
Dans L'Algérie d'Évian,
rédigé en quelques semaines en avril et mai 1962,
l'économiste (et futur Prix Nobel) Maurice Allais en appelait de la part
des autorités concernées à plus de discernement :
« Qui ne voit, écrivait-il alors, qu'un droit vide de toute
sanction contraignante est un droit vide de toute
substance ? »344(*). En fait, la politique de
« dégagement » prônée par
l'exécutif avait pour objectif premier de soulager la France de toute
tâche de maintien de l'ordre en Algérie, au lendemain du
référendum sur l'autodétermination. Ce qui impliquait de
dégager la France de toute responsabilité de terrain quant
à la destinée et la sécurité futures de ses anciens
serviteurs d'armes musulmans, désormais rendus à la vie civile.
Car s'il était vierge de toute menace de rétorsion, le texte
l'était aussi de toute référence à la situation des
anciens supplétifs. En dépit d'une trajectoire qui les
démarquait de la masse des Algériens de statut civil de droit
local, et qui les signalait fortement aux nouvelles autorités, ceux-ci
ne bénéficiaient aux termes des accords d'Évian d'aucun
statut ni protection particuliers (à la différence des
Algériens de statut civil de droit commun, c'est-à-dire des
pieds-noirs). L'objectif, encore une fois, était de délier la
France de tâches de maintien de l'ordre qui l'obligeraient à
suppléer, voire à s'opposer à l'action des forces de
l'ordre algériennes une fois l'indépendance acquise. D'ailleurs,
ce qui aurait pu être la « garantie des garanties »,
à savoir la présence transitoire de l'armée
française pour une période de trois années, n'était
que de pure forme puisque, à compter du jour de l'indépendance,
toute intervention aurait équivalu, en droit international (et en
l'absence de dispositions contraires dans les accords d'Évian), à
une "agression". Ainsi que le stipule l'accord de cessez-le-feu,
« les plans de stationnement de l'armée française en
Algérie prévoiront les mesures nécessaires pour
éviter tout contact entre les forces »345(*).
À l'arrivée, donc, seul un engagement
générique de non-représailles était censé
protéger ceux qui s'étaient signalés par leur engagement
aux côtés de la France. Or, comme le souligne Guy Pervillé,
tout tendait à indiquer que « l'engagement de
«non-représailles» pris par le Gouvernement provisoire de la
République algérienne (GPRA) n'allait pas de soi : les
moeurs ancestrales valorisant la vengeance, la loi musulmane condamnant
à mort les renégats, la pratique révolutionnaire faisant
du châtiment des «traîtres» un moyen d'éprouver la
vertu des «patriotes» »346(*). Par surcroît, le conflit ouvert qui
éclata à l'été 1962 pour la prise de pouvoir
entraîna les chefs rivaux du FLN-ALN « dans une
surenchère nationaliste qui favorisa la chasse aux
«traîtres» »347(*). Aussi, pour Jean Monneret, « une
déclaration [NDA : la déclaration des garanties] de
caractère aussi général ne pouvait suffire pour
protéger les Musulmans loyaux ». Il ajoute :
« Dès lors qu'une des parties était, non pas un Etat
démocratique, mais un mouvement révolutionnaire, c'était
là parier sur une bien aléatoire
métamorphose »348(*).
Certains préfets d'Algérie, pourtant,
s'étaient ouverts sans détour, avant même la conclusion des
accords d'Evian, du caractère certainement illusoire de toute forme
d'engagement pris par la partie adverse quant au devenir des
« musulmans attachés à la France ». En
réponse à un questionnaire envoyé en novembre 1961 par
Louis Joxe aux préfets d'Algérie, le préfet d'Alger
faisait ainsi part de ses craintes : « Les musulmans
engagés à nos côtés ne seront pas
protégés. La seule protection efficace pour eux sera le transfert
en métropole (...). Ils devront être informés du
caractère relatif des garanties ». Et d'insister :
« Quels que soient les engagements de non-représailles, quels
que soient les dispositions prises en faveur de telle ou telle
catégorie, les Algériens attachés à la France
devront être informés du caractère relatif des garanties
qui leur seraient accordées s'ils restaient en Algérie et des
difficultés pour la France d'en imposer l'application
réelle »349(*).
La survenue de lendemains chaotiques en cas de levée
brutale de la souveraineté française était si
prévisible que le chef de l'État lui-même, usant d'un ton
solennel, en avait annoncé l'augure seulement un an et demi plus
tôt : « [Les dirigeants rebelles] prétendent ne
faire cesser les meurtres que si, au préalable, eux seuls ont
fixé avec nous les conditions du futur référendum - ce qui
serait évidemment très extensif - comme s'ils
étaient la représentation de l'Algérie tout
entière. Tout se passerait donc comme s'ils étaient
désignés d'avance, et désignés par moi-même,
comme les gouvernants de l'Algérie. Encore exigent-ils qu'avant le vote
je m'engage à ramener l'armée dans la métropole.
Dès lors leur arrivée à Alger dans de pareilles conditions
ferait de l'autodétermination une formalité dérisoire et,
même s'ils ne le voulaient pas, jetterait le territoire dans un chaos
épouvantable. Ce serait, sans aucun doute, au seul et rapide
bénéfice des empires totalitaires »350(*). À cette date, de
même qu'il se refusait encore à traiter par privilège avec
le FLN, le chef de l'État préconisait d'instaurer une
période transitoire préventive d'au moins trois ou quatre
années à compter du jour de la cessation des hostilités.
Charles de Gaulle, dans son discours du 16 septembre 1959 :
« Grâce au progrès de la pacification, au progrès
démocratique, au progrès social, on peut maintenant envisager le
jour où les hommes et les femmes qui habitent l'Algérie seront en
mesure de décider de leur destin, une fois pour toutes, librement, en
connaissance de cause (...). Quant à la date du vote, je la fixerai le
moment venu, au plus tard quatre années après le retour effectif
de la paix ; c'est-à-dire, une fois acquise une situation telle
qu'embuscades et attentats n'auront pas coûté la vie à 200
personnes en un an. Le délai qui suivra étant destiné
à reprendre la vie normale, à vider les camps et les prisons,
à laisser revenir les exilés, à rétablir l'exercice
des libertés individuelles et publiques et à permettre à
la population de prendre conscience complète de
l'enjeu »351(*). A nouveau, au cours de la tournée dite
« des popotes », du 3 au 7 mars 1960 :
« (...) Après la fin des opérations militaires, il
s'écoulera un long espace de temps avant que l'on procède
à la consultation. Cela durera des années »352(*). À rebours de ces
déclarations d'intentions, cependant, les accords d'Évian
stipuleront noir sur blanc que le scrutin d'autodétermination devrait
avoir lieu dans un délai minimal de trois mois et dans un délai
maximal de six mois à compter du jour de l'entrée en vigueur du
cessez-le-feu. Et, de fait, la période transitoire durera à peine
plus de trois mois (du 19 mars au 2 juillet 1962). Déjà, lors du
Conseil des ministres du 4 mai 1962, Charles de Gaulle, loin de laisser du
temps au temps, entreprenait de hâter l'annonce de la date du scrutin
d'autodétermination et la mise en oeuvre de la politique de
« dégagement » : « Que personne ne
doute que la France n'exercera plus aucune responsabilité, ni politique,
ni de maintien de l'ordre, au plus tard six mois après le
cessez-le-feu ! »353(*).
Aussi Jean Touchard souligne-t-il que le général
de Gaulle en a finalement appelé à des modalités de
négociation puis de transfert de souveraineté en opposition
diamétrale avec les conditions jusque-là posées en
préalables : « Le principe de l'autodétermination,
tel qu'il avait été formulé le 16 septembre [1959],
comptait deux butoirs : un assez long délai entre le retour
à la paix et l'autodétermination, une sorte de triptyque
cessez-le-feu-apaisement-autodétermination, qui rappelait le
triptyque de Guy Mollet :
cessez-le-feu-élection-négociation ; d'autre part,
la non-reconnaissance du FLN comme interlocuteur privilégié,
l'appel à toutes les tendances de l'opinion algérienne. Ces deux
butoirs devaient être l'un et l'autre balayés avant la conclusion
des accords d'Evian ». Et il ajoute : « Le
général a formulé à plusieurs reprises des
préalables qu'il a ensuite abandonnés. (...) Dans plusieurs
circonstances décisives, il a apparemment octroyé sans
négocier »354(*). Dans ces conditions, l'absence de tout volet
répressif gradué en cas de violation des clauses de
non-représailles par le FLN s'inscrivait dans une logique
déjà amorcée, signifiant très clairement le primat
de la visée du « dégagement » sur toute forme
de solution inspirée par ce que l'on appelle aujourd'hui le principe de
précaution, comme en témoignent à nouveau les propos du
chef de l'Etat, au cours de ce même Conseil des ministres du 4 mai
1962 : « Que les musulmans préparent le gouvernement de
l'Algérie ! Que les Européens se persuadent qu'il faut ou
bien s'accommoder avec les musulmans sans que la France les protège, ou
bien rentrer en France ! »355(*). D'après le témoignage d'Alain
Peyrefitte, il ajouta que l'intérêt de la France avait
cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs, et qu'en
matière de décolonisation, comme en amour, « la seule
victoire c'est de s'en aller »356(*). De même, dans le secret des
délibérations du Comité des Affaires algériennes du
16 mai 1962, le chef de l'État réitérait ses vues avec une
détermination qu'Alain Peyrefitte, qui assistait à la
scène, croit bon rétrospectivement de qualifier de
« sombre » : « La France ne doit plus avoir
aucune responsabilité dans le maintien de l'ordre après
l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités
algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens
s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles
autorités »357(*).
Et, de fait, à la suite de l'accession à
l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, « le
président de la République - renonçant à toute
exigence quant à la nature démocratique du nouvel
État358(*) -
donna l'impression d'ignorer ou de minimiser volontairement des actes
contraires aux garanties d'Évian et incompatibles avec une
coopération sereine pour éviter d'en tirer la conséquence
logique : la caducité des accords »359(*). Ainsi, lors du Conseil des
ministres du 29 août 1962, deux mois après l'accession à
l'indépendance de l'Algérie, Charles de Gaulle invita
expressément ses ministres à pratiquer la "politique de
l'autruche" : « Il faut bien admettre que l'Algérie vit
actuellement dans la confusion. Mais il est de notre devoir de faire comme
si elle devait s'en sortir »360(*). Pour cette raison, et bien que les autorités
françaises fussent parfaitement informées de la gravité de
la situation sur le terrain, celles-ci iront jusqu'à proscrire aux
troupes françaises encore stationnées en Algérie la
possibilité d'exercer le devoir d'assistance à personne(s) en
danger (voir infra).
Ainsi, la « garantie des garanties » -
à savoir la présence transitoire de l'armée
française, supposément chargée de veiller au respect des
accords - n'était que pur artifice. D'ailleurs, comme le soulignait
Maurice Allais dès le mois de mai 1962, en l'absence de
spécification contraire dans les accords d'Évian, toute
intervention de l'armée française au-delà du scrutin
d'autodétermination aurait équivalu, en droit international,
à une "agression". Aussi, cet auteur s'inquiétait-il
auprès de l'opinion des conséquences prévisibles de
l'indolence apparente des autorités françaises :
« Au 1er juillet, les forces françaises deviendront
des troupes de stationnement en territoire étranger. Elles n'auront plus
juridiquement la possibilité d'intervenir. Elles ne pourront s'opposer
ni aux règlements de compte ni à une possible flambée de
violences collectives ou de terreur. La France n'aura plus aucun pouvoir de
contrôle ou d'enquête »361(*). Autant dire que le respect des garanties -
déclaration de non-représailles - offertes par les accords
d'Évian à tous ceux qui, résidant en Algérie,
s'étaient engagés contre le FLN ou s'étaient
refusés à son autorité exclusive reposerait
désormais sur la seule bonne volonté de la partie
algérienne, celle-là même qui était la plus
susceptible d'y contrevenir.
c) La promesse non tenue du maintien automatique dans
la nationalité française des Algériens de statut civil de
droit local
À défaut de protection militaire et de statut
négocié, de quelles garanties pourraient bénéficier
les anciens supplétifs musulmans une fois rendus à la vie
civile ? Pourraient-ils, en particulier, choisir de conserver la
nationalité française et bénéficier des minces
garanties attachées au statut de Français résidant en
Algérie (garanties liées à l'instauration d'une Commission
de sauvegarde sans réel pouvoir de contrainte) ? C'est du moins ce
qui avait été continûment affirmé au cours des
semaines et des mois qui avaient précédé la conclusion des
accords d'Évian. De fait, les discours officiels s'étaient faits
rassurants. Ainsi, dans l'hypothèse où l'Algérie
accéderait à l'indépendance, il était dit que tous
les Algériens - pieds-noirs ou musulmans, de statut civil de droit
commun ou de statut civil de droit local (voir ci-dessous) - se verraient
conserver la nationalité française, à moins qu'une
démarche volontaire de leur part ne marque leur volonté de s'en
départir.
Dans son discours du 16 septembre 1959, le
général de Gaulle, évoquant pour la première fois
l'autodétermination, n'en avait pas moins assuré que
« dans l'hypothèse de la sécession, ceux des
Algériens de toutes origines qui voudraient rester Français le
resteraient de toute façon et que la France réaliserait, si cela
était nécessaire, leur regroupement et leur
établissement »362(*). Plus près encore du dénouement final,
dans un télégramme en date du 24 février 1962, ayant pour
objet « la situation des Algériens musulmans au regard de la
France », le Délégué général en
Algérie, Jean Morin, « après consultation du ministre
d'État chargé des Affaires algériennes [Louis
Joxe] », assure les préfets d'Algérie que
« les textes qui seront rendus publics au lendemain du cessez-le-feu
comporteront une déclaration liminaire [disposant que] la
République française maintiendra la nationalité
française à tous ceux qui, en Algérie, la possèdent
actuellement et ne manifesteront pas, dans les conditions prévues par la
Loi, la volonté de ne plus l'avoir. En conséquence, et en cas
d'option pour l'indépendance-coopération, tous les
Français Musulmans devenus de plein droit Citoyens Musulmans au
lendemain du référendum, conserveront aux yeux de la France leur
statut de Citoyens Français, aussi longtemps du moins qu'ils ne
choisiront pas de le répudier selon une procédure
simplifiée qui sera instituée en temps
opportun »363(*). Selon Jean Monneret, « les préfets
s'appuyèrent sur ce texte datant du 24 février 1962 pour rassurer
les fonctionnaires civils et les militaires ainsi que les populations. Ceci a
pu inciter diverses personnes à rester en Algérie, malgré
les dangers »364(*).
Des promesses, plusieurs fois réitérées
donc (jusque et y compris quelques semaines, voire quelques jours avant la
conclusion des accords d'Évian), de conserver la nationalité
française à tous les Algériens aussi longtemps qu'ils
n'auraient pas fait connaître leur volonté de s'en
départir, et ce quelle que fût l'évolution future de
l'Algérie par rapport à la France. Le ministre des Armées
lui-même, dans une note d'information établie à l'intention
des chefs de Corps le 8 mars 1962, certifie qu' « après
le référendum d'autodétermination, que l'on peut
espérer intervenir après quelques mois, commencera une
période probatoire, d'une durée de trois ans, qui offrira aux
Français d'Algérie comme aux musulmans attachés
à la France un délai suffisant pour choisir le pays de leur
installation définitive ainsi que leur
nationalité »365(*). Ce qui frappe, cependant, c'est la très
grande imprécision de la formulation « musulmans
attachés à la France », qui ne renvoie à aucune
catégorie juridique précise. Imprécision qui
soulève la question des attentes créées et donc des
effets. Car que faut-il comprendre ? Faut-il comprendre que le
délai de réflexion sera offert à l'ensemble des musulmans
afin de permettre à ceux qui sont véritablement attachés
à la France d'opter définitivement pour la nationalité
française ? Ou bien, à l'inverse, faut-il comprendre que
cette option et ce délai de réflexion ne seront offerts
qu'à certains musulmans, dépeints a priori comme
particulièrement « attachés à la
France » ? S'il en est ainsi, qui Pierre Messmer entend-il
désigner précisément ? Considère-t-il
notamment que seuls sont « attachés à la
France » les quelques milliers de musulmans ayant opté pour un
statut civil de droit commun366(*) ? Qu'en sera-t-il, dès lors, de la
situation des supplétifs musulmans - Algériens de statut civil de
droit local dans leur quasi-totalité - au regard de la
nationalité française ? Derrière le flou de la
formulation, n'est-ce pas une optique hautement limitative qui se
dessine ? En fait, la suite du message semble conforter cette
dernière interprétation puisque Pierre Messmer ajoute à
l'intention de ses subordonnés qu' « il est hautement
souhaitable que la majorité des Algériens continuent à
vivre dans leur pays natal »367(*).
Cette note d'information, à la formulation
(volontairement ?) imprécise, n'est pas sans laisser dans
l'expectative de nombreux cadres de l'armée. Dans un message en date du
10 mars 1962 à l'intention du ministre des Armées, le Chef
d'Etat-major Hublot « demande urgence éclaircissements sur
sort musulmans droit local. Perdront-ils automatiquement nationalité
française ? Auront-ils mêmes possibilités que
Français de souche pour installation Métropole ? Cette
faculté sera-t-elle maintenue (...) au lendemain du
référendum (...) quand se posera pour certains d'entre eux la
question de vivre sous un régime dont ils ont été les
adversaires ? [En outre], il est encore difficile de faire comprendre aux
cadres qu'il y a intérêt pour Algérie nouvelle que les
musulmans qui ont été à nos côtés restent sur
place. Nombreux cadres auraient le sentiment une fois de plus de ne pas tenir
leur parole et de trahir confiance de leurs compagnons de
lutte »368(*).
Le ton d'indignation à peine contenu dans ce message des plus officiels
en dit long sur les états d'âme de ceux qui, quotidiennement, sont
au contact d'hommes et de populations qu'ils ne savent plus comment rassurer.
Ce message en dit long, également, sur l'incertitude qui règne en
pleines négociations d'Évian quant à la situation future
au regard de la nationalité des musulmans engagés aux
côtés de la France. Ce en dépit des assurances
précitées de Jean Morin, Délégué
général en Algérie.
La réponse à la première question
(« Musulmans droit local perdront-ils automatiquement
nationalité française ? ») sera rapidement connue
et portée à la connaissance des chefs de Corps et de Zones via le
message n°C703 CSFA/EMI/MOR en date du 13 mars 1962 : à
l'inverse des promesses faites quelques jours auparavant par le
Délégué général Jean Morin, il y est
expressément indiqué que « les habitants musulmans de
statut local perdront la nationalité française s'ils demeurent en
Algérie »369(*). Et, de fait, le texte des accords d'Évian,
rendu public moins d'une semaine après la diffusion de ce message,
circonscrira la jouissance des droits attachés à la
période probatoire (soit, notamment, la possibilité de conserver
la nationalité française tout en exerçant les droits
civiques algériens, ou de choisir, sans restriction aucune, le pays de
son installation définitive) aux seuls habitants de statut civil de
droit commun (soit l'ensemble des pieds-noirs et quelques milliers de
musulmans). Pour leur part, les habitants de statut civil de droit local
(coranique ou berbère) étaient donc voués à devenir
automatiquement - et exclusivement - des ressortissants algériens, ce
quelles que fussent leurs allégeances et engagements passés, sans
possibilité de recours ni protection d'aucune sorte370(*).
Cependant, signe patent de la difficulté qu'ont les
autorités à assumer ouvertement les conséquences possibles
de leur décision, celles-ci vont continuer - après même la
publicisation des textes de l'accord - à entretenir l'équivoque
sur cette question du maintien ou de la déchéance de la
nationalité française des Algériens de statut civil de
droit local, en Algérie, à compter du jour de
l'autodétermination. Ainsi, le 20 mars 1962, devant l'Assemblée
nationale, Michel Debré, Premier ministre, laisse accroire - au prix de
formulations ambiguës - que la nationalité française sera
conservée à ceux des musulmans qui refuseraient d'accepter la
nationalité algérienne371(*), lors même que c'est l'inverse qui sera
vrai : ceux-ci seront automatiquement déchus de leur
nationalité française au jour de l'indépendance et ne
pourront la recouvrer, sur demande expresse de leur part, que s'ils parviennent
à gagner la métropole. De même, le lendemain, Louis Joxe,
toujours devant la représentation nationale, laisse accroire - en
reprenant presque mot pour mot les termes du télégramme de Jean
Morin, précédemment cité (télégramme du 24
février 1962) - que la nationalité française sera
automatiquement conservée aux Algériens quels qu'ils soient,
à moins que ceux-ci ne manifestent expressément la volonté
de s'en départir : « Tout ce qui concerne la
nationalité vient d'un acte de la France qui est simple en
lui-même, mais qui est la clé du reste. La France maintiendra
la nationalité française à tous ceux qui, en
Algérie, la possèdent actuellement et qui ne manifesteront pas la
volonté de ne plus l'avoir. C'est là le recours. C'est
là le secours en cas de
nécessité »372(*).
Les conséquences de ce double discours n'ont pas
été qu'anecdotiques puisque, ainsi que le souligne à juste
titre Jean Monneret, il a pu, en entretenant la confusion des esprits,
« inciter diverses personnes à rester en Algérie
malgré les dangers »373(*). Certes, le 21 juin 1962, quelques jours seulement
avant l'accession à l'indépendance de l'Algérie, le
Comité des Affaires algériennes entérina le principe d'une
procédure de recouvrement de la nationalité française
offerte aux Algériens de statut civil de droit local anciennement
engagés dans les forces supplétives. Mais, outre le fait qu'il
s'agissait bien là d'une procédure dite de
« recouvrement » (qui entérinait, donc, à la
différence des Algériens de statut civil de droit commun, la
déchéance automatique de la nationalité française
pour les Algériens de statut civil de droit local à compter du
jour de l'indépendance374(*)), les modalités pratiques d'activation de la
procédure étaient inadaptées à la situation
hautement périlleuse dans laquelle étaient placés les
anciens compagnons d'armes de l'armée française. Ainsi, une
ordonnance du 21 juillet, complétée par un décret du 27
novembre 1962, édicta que la déclaration de recouvrement de la
nationalité française ne pouvait se faire qu'en territoire
français, ce qui ôtait aux Algériens de statut civil de
droit local restés en Algérie toute possibilité d'y
accéder, et donc toute possibilité d'accéder aux garanties
attachées au statut de Français résidant en
Algérie. Notons dès à présent que les conditions
d'un abandon légal étaient par cette voie réunies à
l'encontre de ceux des supplétifs - les plus nombreux - qui, n'ayant pu
gagner la France, étaient livrés à l'arbitraire de
ceux-là mêmes qu'ils avaient combattus.
De fait comme de droit, donc, seuls les Algériens de
statut civil de droit local qui parvinrent à trouver refuge en France
purent bénéficier de cette procédure de recouvrement de la
nationalité française, à condition toutefois : 1.
qu'ils en fissent la demande expresse (à l'inverse, nous l'avons vu, des
engagements, maintes fois répétés, de leur conserver la
liberté de choix, c'est-à-dire de subordonner en Algérie
comme en métropole la déchéance - et non le recouvrement -
de la nationalité française des Algériens de statut civil
de droit local à une déclaration expresse des
intéressés) ; 2. qu'ils pussent fournir la preuve de leur
engagement aux côtés de l'armée française entre 1954
et 1962.
Cette procédure, ressentie comme vexatoire dans son
principe pour des hommes qui se définissaient comme
« français par le sang versé »375(*), apparut très vite
exagérément tatillonne sur le fond, comme s'il s'agissait de
faire ressentir aux anciens supplétifs de l'armée
française combien leur réintégration dans la
nationalité française n'allait pas de soi, et avait en quelque
sorte valeur de « grâce octroyée »376(*). De fait, aux termes de
cette procédure, il appartenait aux intéressés
eux-mêmes de faire la preuve de leur appartenance passée à
une unité de supplétifs. Ce en dépit d'un départ
précipité, dans des conditions qui ne se prêtaient
guère à la constitution en bonne et due forme d'une sorte de
dossier de déroulement de carrière. Aussi, pour pallier l'absence
de pièces justificatives, fut-il décidé de confier au
personnel du Service des Français d'Indochine et Musulmans (SFIM),
chargé de la tutelle administrative des anciens supplétifs admis
dans les centres de reclassement collectif, la mission de produire des
"déclarations de notoriété". Selon
François-Jérôme Finas et Marwan Abi Samra, le remède
fut plus délétère que le mal dans la mesure où ces
déclarations devaient non seulement « évaluer le
«dévouement exceptionnel» des candidats par le passé,
mais aussi leur «fidélité» présente, leur bonne
conduite morale et sociale que sanctionnera un «certificat de
moralité, de loyauté et d'assimilation». Procédure
discrétionnaire qui exclut tout automatisme »377(*). Et qui, entendant
subordonner le recouvrement de la nationalité française non
seulement à la nature des services rendus mais encore aux
témoignages de conformisme social des intéressés,
était un moyen efficace d'assujettir les populations en instance
d'enregistrement à la discipline imposée du système de
reclassement collectif378(*). Mais encore, dans certains cas, un moyen d'exclure
de toute possibilité immédiate de recouvrement de la
nationalité française les populations repliées et
réinstallées par des voies parallèles, en dehors du cadre
officiel et du système de reclassement collectif. Ces conditions
restrictives seront d'ailleurs appliquées avec zèle par les
autorités en charge d'instruire les dossiers puisque sur les 69.303
déclarations d'option pour la nationalité française
souscrites entre 1962 et 1970, 9.619 seront déboutées, soit
près d'une sur sept379(*). « J'ai été témoin,
relatera André Wormser, président du Conseil national pour les
Français-musulmans, de l'angoisse, de l'affolement nés de la
rigueur de cette règle. Les tribunaux n'étaient pas au courant,
réclamaient certains papiers, se montraient tatillons (...). La France
généreuse, la France terre d'asile, la France de la Marseillaise
et du drapeau tricolore, à qui l'on avait si souvent fait rendre les
honneurs s'était détournée avec indifférence et
hostilité »380(*).
Nous l'avons dit, le clivage opéré quant au
maintien de la nationalité française entre Européens
d'Algérie et musulmans repose, aux termes mêmes des accords
d'Évian, sur la réactivation du clivage entre Algériens de
statut civil de droit commun d'une part, Algériens de statut civil de
droit local (coranique ou coutumier) d'autre part. Cette distinction,
consubstantielle du régime colonial, visait originellement à
conserver aux indigènes musulmans la possibilité d'être
régis par le droit musulman (ou les coutumes berbères en vigueur
dans certaines régions d'Algérie), conformément à
la promesse du maréchal de Bourmont, lors de la capitulation d'Alger le
5 juillet 1830, de respecter la religion, les coutumes et les biens des
musulmans en contrepartie de leur reddition et de leur assujettissement. Le
domaine d'application du droit musulman couvrait les affaires familiales
(mariage, répudiation, héritage) mais de moins en moins le droit
foncier, progressivement harmonisé avec le droit civil français
afin de favoriser la division de la propriété tribale et son
acquisition par le colonat européen. En outre, la loi du 28 juillet 1881
avait entériné la création du « code de
l'indigénat », liste d'infractions et de
pénalités spécifiques aux indigènes (ce
régime ne sera abrogé qu'en 1927). Ainsi, la notion
d'Algériens de statut civil de droit local désignait ceux qui,
bien que nationaux français, n'en étaient pas moins
autorisés, s'agissant de certains domaines communément
régis par le code civil, à recourir au droit musulman ou
coutumier (appliqué par une magistrature ad hoc), et qui,
parallèlement, étaient assujettis à un régime
répressif d'exception. Cependant, en raison même du
caractère dérogatoire de ce statut par rapport au droit commun,
les autorités coloniales, arguant de l'impossibilité
corrélative « de revendiquer tous les droits des citoyens
français sans en accepter tous les devoirs, y compris les obligations du
code civil sanctionnées par le code pénal »381(*), exclurent jusqu'en 1958 les
bénéficiaires de ce statut personnel du plein exercice de la
citoyenneté, via l'instauration d'un double collège
électoral382(*).
En fait, il s'agissait moins, pour les autorités coloniales, de composer
avec les règles de sociabilité des populations indigènes
que de "verrouiller" le corps électoral au profit des seules populations
européennes383(*). Ainsi, pour Patrick Weil, « si en 1830 un
tel statut [le droit de s'auto-administrer] pouvait paraître l'octroi par
le vainqueur d'un privilège au vaincu, très vite cependant, ce
privilège fond, et le musulman se voit soumis à un statut
exceptionnel d'infériorité ». « En 1899,
ajoute-t-il, l'assemblée d'Algérie comporte 48
représentants pour 630.000 européens, et 21 pour les 3,6 millions
de musulmans »384(*).
Certes, dès 1866, un décret avait accordé
aux indigènes citadins l'électorat et l'éligibilité
dans les conseils municipaux, mais les conditions d'application en
réduisaient considérablement la portée : les
conseillers municipaux musulmans ne pouvaient constituer que le 1/5 (le 1/3 en
1919) d'un conseil municipal et le suffrage - censitaire - était
réservé aux propriétaires, aux employés
d'État, aux commerçants patentés ou aux
décorés (il sera progressivement élargi mais ne concerne,
en 1919, que 43% des musulmans âgés de 25 ans et plus) 385(*).
La situation n'était cependant pas totalement
figée, au moins en théorie. En vertu du sénatus-consulte
du 14 juillet 1865, tout indigène - juif (avant le décret
Crémieux de 1870) ou musulman - pouvait, sur sa demande, être
admis à jouir des droits attachés à la pleine
citoyenneté (et donc à devenir électeurs dans le premier
collège). Mais il fallait, pour ce faire, qu'il renonce volontairement
à son statut personnel et se plie au droit civil commun. Très
peu386(*) vont faire
usage d'un droit qui revêtait des faux airs d'apostasie387(*) et/ou s'apparentait
à du quémandage388(*), de par le caractère strictement individuel
de la démarche389(*). En outre, cette disposition n'était
guère appuyée par les autorités coloniales. Les demandes
étaient soumises à examen préalable. Certaines
étaient rejetées. Ainsi, nulle automaticité ne
prévalait en la matière390(*). Ainsi, selon Patrick Weil, « le parcours
d'un postulant était parsemé d'obstacles : le dossier devait
être constitué de huit pièces différentes - dont un
certificat de bonne vie et moeurs ; l'indigène devait se
présenter devant le maire ou l'autorité administrative et
"déclarer abandonner son statut personnel pour être régi
par les lois civiles et politiques françaises" ; une enquête
administrative était effectuée sur la moralité, les
antécédents et surtout la situation familiale du demandeur ;
enfin, le dossier était transmis avec l'avis du préfet et celui
du gouverneur au ministère de la Justice, puis au Conseil d'Etat, avant
qu'un décret ne soit signé par le président de la
République »391(*).
Cette manière de faire contrastait avec l'esprit
volontariste du décret du 24 octobre 1870 (ou décret
Crémieux) qui avait élevé l'ensemble des juifs
d'Algérie au rang de citoyens à part entière392(*), de même qu'avec
l'esprit volontariste qui avait guidé l'application de la loi du 26 juin
1889, qui accordait en bloc la nationalité française aux enfants
d'immigrants étrangers de 21 ans et plus nés en Algérie,
sans condition d'origine ou de religion393(*).
Le paradoxe veut que cette base distinctive ait
été réactivée au moment de la négociation
des accords d'Évian sur l'insistance expresse de ceux-là
mêmes - membres du FLN et soutiens intellectuels français - qui,
au moins jusqu'en 1958 et l'instauration du collège unique, en avaient
combattu le principe. En l'espèce, cette distinction, autrefois
dépeinte comme ségrégative par la mouvance nationaliste et
le courant anticolonialiste, s'avérait soudainement opportune
puisqu'elle permettait au FLN de négocier en bloc la situation des
populations musulmanes au regard de la nationalité et, par là, de
satisfaire au mythe de l'unanimité des masses derrière le
FLN394(*). À
l'aune de cette logique exclusiviste, il ne devait être reconnu quelque
statut particulier aux musulmans qui refusaient de sacrifier à
l'autorité exclusive du FLN, qu'ils soient pro-français ou
messalistes. L'objectif immédiat étant de priver la France de
tout droit de regard sur le devenir de ces populations et,
symétriquement, de priver les musulmans non inféodés au
FLN de toute forme de recours extérieur. Et, de fait, dépouillant
ces derniers de la nationalité française au jour de
l'indépendance, les accords d'Évian les privaient ipso
facto de toute forme de protection autre que liée au bon vouloir du
FLN. En outre, à plus long terme, l'objectif du FLN était
d'empêcher ceux qui s'étaient opposés à lui d'avoir
voix au chapitre politique en Algérie, autrement dit, de les rendre une
fois pour toutes quantité négligeable395(*). Ce que la reconnaissance
d'un statut ou de garanties spécifiques pour les musulmans non
inféodés au FLN, voire l'octroi d'une représentation
spéciale, eussent pu contrarié. Il n'en sera donc rien, bien au
contraire, puisque les premières élections jamais
organisées dans l'Algérie indépendante le furent à
candidats uniques (20 septembre 1962), et puisque, dans la foulée, le
FLN fut institué parti unique dans le droit constitutionnel
algérien (10 septembre 1963).
Certes, face au retrait graduel et à l'inertie
prévisible de l'armée française dans le bled à
compter du jour de l'indépendance, et comme en témoignent les
assassinats et les enlèvements dont furent victimes de nombreux
pieds-noirs, le maintien automatique dans la nationalité
française n'eût sans doute offert qu'une protection toute
théorique aux musulmans non inféodés au FLN. Du moins ce
maintien dans la nationalité française eût-il offert aux
intéressés des possibilités supplémentaires
d'exercer leur droit à la protection et à la liberté de
circulation entre l'Algérie et la France. Car tandis que la partie
algérienne n'eût pas été en mesure de jouer - comme
elle l'a fait systématiquement après l'indépendance - sur
la non-délivrance de papiers d'identité aux
éléments "suspects", la partie française n'eût pas
été en droit de contingenter les rapatriements de ses anciens
serviteurs d'armes musulmans au prétexte que ceux-ci ne pouvaient plus,
à la différence des pieds-noirs, être
considérés comme des
« ayant-droit »396(*).
Nous l'avons vu, la déchéance automatique de la
nationalité française des Algériens de statut civil de
droit local n'est que le point d'orgue d'un processus marqué d'abord par
l'octroi au FLN du monopole de la représentation des
intérêts de la composante musulmane de la population
algérienne, puis par la non-négociation de dispositions
particulières à même de garantir la place et la
sécurité futures de ceux qui, au sein de la population musulmane,
avaient fait montre de loyauté à l'égard des
autorités en place et/ou de défiance à l'encontre du FLN.
Les négociateurs d'Evian avaient pourtant été averti des
conséquences possibles de cette politique du "moins-disant". Ainsi, dans
une note datée du 27 janvier 1962 et intitulée
« Protection Particulière de Certains Musulmans »,
le conseiller d'État Roland Cadet, qui avait accompagné la
délégation française au cours des premières
négociations d'Évian en 1961, présentait la question des
garanties à négocier au profit des « Musulmans
fidèles » comme étant en propre une
« question d'honneur »397(*). Affirmant que « tous seront
menacés dans leur personne, dans leur famille et dans leurs
biens », il partait du principe que « l'essentiel de leur
protection résidera dans l'action unilatérale de la
France »398(*). En conséquence, il préconisait que
soit ouvert « à tous les habitants actuels de
l'Algérie, [y compris les musulmans, donc] » : 1.
« le droit de conserver la nationalité française
tout en demeurant en Algérie » ; 2.
« le droit de réclamer la protection [accordée
à] la communauté minoritaire. La France doit mettre à la
disposition de ces Musulmans les mêmes garanties que celles qu'elle aura
obtenue pour les Français d'Algérie, c'est-à-dire qu'ils
pourront, s'ils le désirent, appartenir à la communauté
minoritaire et bénéficier de tous les droits et de toutes les
garanties reconnues aux minoritaires, à l'exception de celles
incompatibles avec leur qualité de Musulmans, statut personnel, par
exemple »399(*). Roland Cadet insiste notamment sur « le
droit de recours devant la Cour des garanties : qu'ils appartiennent ou
non à la communauté minoritaire, les Musulmans pourront toujours
faire appel à cette cour de Justice »400(*).
Très ferme dans sa vision de ce que devait être
la ligne de conduite des autorités à l'approche des
négociations, Roland Cadet en conclut que « le problème
est beaucoup moins juridique que moral et psychologique : la France ne
peut abandonner ceux qui l'ont fidèlement suivie, elle doit les
protéger au même titre - si ce n'est davantage - que ses
propres nationaux. Si elle ne tentait pas tout en leur faveur, elle faillirait
à son honneur. Elle doit rester intransigeante dans ce domaine et aller,
le cas échéant, jusqu'à la rupture des
négociations, si elle n'obtient pas satisfaction »401(*). Bien que
désavouée par ceux à qui elle s'adresse, donc vouée
à l'impuissance, cette note de Roland Cadet n'en est pas moins
décisive rétrospectivement pour l'analyste : elle confirme
que les autorités françaises avaient été averties
de la vacuité de garanties qui, mal négociées, ne
reposeraient que sur le bon vouloir du FLN. Cheville ouvrière de la
délégation française, Roland Cadet avance lui-même
à cet égard les notions de « manquements à
l'honneur » et d' « abandon », qui ne sont
donc pas simplement des clauses de style ou des inventions
rétrospectives des partisans de l'Algérie française, mais
aussi des grilles de lecture reconnues légitimes sur le moment (quoique
confidentiellement) par certains de ceux qui ont contribué à
bâtir l'édifice d'Evian.
A cet égard, et au vu de l'ensemble des
éléments développés dans ce chapitre, il nous
apparaît possible de parler, sinon peut-être d'un abandon politique
pur et simple, du moins de l'abandon d'une politique : celle qui visait
à garantir, au cours des négociations, la représentation
politique et le statut futurs de ceux qui, au sein des populations musulmanes,
avaient fait preuve de leur loyauté à l'égard des
autorités en place et/ou de leur défiance à l'égard
du FLN. Mais, quoique tenus pour quantité négligeable au cours
des négociations d'Évian, les musulmans
pro-français auraient du moins pu bénéficier d'une
politique proactive de sécurisation et de protection physique (à
défaut de statutaire), une telle politique ne tenant - en
première comme en dernière instance - qu'à la bonne
volonté des autorités françaises. Il n'en sera rien, sinon
a minima et tardivement :
- dans un premier temps, au cours de la période
immédiatement postérieure à la signature des accords
d'Evian (19 mars-2 juillet 1962), les regroupements et rapatriements
préventifs seront strictement contingentés, et les initiatives
parallèles sanctionnées (1) ;
- puis, une fois la passation des pouvoirs devenue effective
(à partir du 3 juillet 1962), les troupes françaises encore
stationnées en Algérie se verront interdire toute forme
d'intervention en faveur de leurs anciens compagnons d'armes, en dépit
de violations massives et répétées par la partie
algérienne de la clause de non-représailles contenue dans les
accords d'Evian. Seuls quelques camps de regroupement - trois pour l'ensemble
du territoire algérien - continueront d'être ouverts aux
réfugiés (si tant est qu'ils puissent s'y rendre), soit des
capacités d'accueil dérisoires qui, couplées à une
logistique de transfert (transport maritime) très largement
insuffisante, seront délibérément (et continûment)
maintenues en deçà du nécessaire (2).
C'est précisément à cette politique de
"laisser-faire" ou, pour le dire autrement, à cette forme d'"abandon
matériel" des musulmans pro-français qu'est consacrée la
prochaine section.
- 2. Lire entre les lignes : un dispositif officiel de
rapatriement assorti de critères restrictifs, ou le rapatriement sous
condition(s) des anciens supplétifs de l'armée
française
Nous l'avons vu, pour ce qui a trait à la
sécurité des personnes (et notamment des musulmans
pro-français), les autorités françaises s'en remettent
formellement aux dispositions communes de la déclaration des garanties
contenue dans les accords d'Évian. Or, ces accords ont été
négociés à l'exclusion de représentants
qualifiés des "pieds-noirs", des musulmans pro-français et des
formations nationalistes rivales du FLN. Des accords qui, par surcroît,
conformément à l'invite du général de Gaulle, ont
été conclus « sans juridisme
excessif »402(*). Précisant le sens et les attendus de cette
invite minimaliste, le général de Gaulle ajoute au cours du
Conseil des ministres du 19 mars 1962 : « Que les accords soient
aléatoires dans leur application, c'est certain. Mais il était
indispensable de dégager la France d'une situation qui ne lui procurait
que des malheurs »403(*). Quoique ces déclarations laissent planer
d'évidentes incertitudes quant à ce que sera l'attitude de la
France en cas de violation des accords d'Evian (notamment pour ce qui a trait
à la sécurité des personnes), le général de
Gaulle sait sans doute qu'il sera suivi par l'opinion puisque l'esprit du temps
est à la lassitude, non seulement au sein de l'exécutif mais au
sein de la population française dans son ensemble. Guy
Pervillé : « La plupart des Français qui avaient
voté pour l'indépendance de l'Algérie l'avaient fait sans
sympathie pour les Algériens, avec l'arrière-pensée que
chacun des deux peuples pourrait désormais vivre chez
soi »404(*).
Mais cette indifférence confine par-là
même à l'indifférenciation. Car, de la même
manière que le FLN entend considérer les musulmans en bloc, pour
servir sa politique hégémonique, le gouvernement français
entend considérer ou, plus exactement, se "défaire" des
Algériens en bloc, pour hâter le
« dégagement ». L'heure n'est plus aux subtils
distinguos entre musulmans "séparatistes" et "loyalistes", "moudjahidin"
et "harkis" : il y a désormais les Français et les
Algériens. Dans cette optique, l'attitude du gouvernement
français à l'égard des musulmans pro-français est
claire : évacuer au plus vite la question de leur devenir
immédiat (en en transférant, autant que faire se peut, la charge
vers les nouvelles autorités algériennes) et, par-là,
prévenir tout revirement de l'opinion à leur sujet. Aussi, en des
termes peu amènes pour les intéressés, le chef de l'Etat
enjoint-il au Commandant supérieur des Forces armées en
Algérie de hâter au maximum le désarmement et le
licenciement des supplétifs : « Ce magma qui n'a servi
à rien, et dont il faut se débarrasser au plus
vite »405(*).
A cet effet, la non-représentation des musulmans
pro-français à la table des négociations, puis la
déchéance automatique de la nationalité française
des Algériens de statut civil de droit local, n'étaient qu'une
première étape. Il importait tout autant, pour les
autorités françaises, à la fois de limiter la
capacité de nuisance matérielle des anciens supplétifs
à l'encontre de ceux - le FLN - qui avaient été reconnus
dans les faits comme les interlocuteurs privilégiés et exclusifs
de la partie française dans le cours des négociations, mais aussi
de décourager tout reflux massif des intéressés vers la
métropole. Pour ce faire, la stratégie des autorités
françaises à l'heure du cessez-le-feu tient en trois grands
axes :
- le désarmement systématique et
unilatéral des supplétifs ;
- des solutions de recasement qui privilégient le
retour à la vie civile en Algérie sur l'engagement dans les
armées ;
- une politique de rapatriement préventif strictement
contingentée (car réservée aux supplétifs
censément « les plus menacés ») et
réglementée (car subordonnée à la constitution et
à l'acceptation d'un dossier), ce qui implique l'interdiction des
rapatriements en dehors des voies officielles.
a) Le désarmement
Le désarmement des supplétifs fut amorcé
dès avant la conclusion du cessez-le-feu. Plus précisément
à partir d'août 1961, au moment de l'interruption
unilatérale par l'armée française de ses opérations
offensives. Cette interruption fut décidée par le gouvernement
français pour témoigner de sa volonté de précipiter
le cours des négociations et convaincre le FLN d'adopter une même
disposition d'esprit. À cette date, les autorités
commencèrent à procéder au désarmement des villages
constitués en autodéfenses (GAD, ou Groupes
d'autodéfense). Ces autodéfenses symbolisaient, sinon un soutien
indéfectible à la France, du moins la volonté de
résistance d'une partie des populations musulmanes à l'emprise du
FLN406(*). Les GAD,
unités statiques, étaient constitués de volontaires non
rétribués et armés de fusils de chasse. Et c'est
précisément parce qu'elles symbolisaient une forme de
résistance irréductible à du mercenariat que ces
unités de villageois gênaient la réorientation de la
politique algérienne de la France, désormais uniment tendue vers
la solution du dégagement, donc de négociations
unilatérales avec le FLN. Nous l'avons dit, le général
Challe, alors qu'il était encore Commandant supérieur des forces
armées en Algérie, avait d'ailleurs pensé transformer les
GAD en une vaste Fédération des unités territoriales et
des autodéfenses en vue de soutenir la politique d'intégration
(voir supra). Ainsi, les groupes d'autodéfense, par ce qu'ils
représentaient et par l'utilisation que l'on pouvait en faire,
étaient doublement gênants (et nuisibles) dans l'optique de la
réorientation de la politique algérienne voulue par le
général de Gaulle. Leur maillage fut donc le premier à
être desserré.
Moins d'un an plus tard, en mars 1962, la réorientation
de la politique algérienne de la France aboutit, au terme d'un processus
de négociation unilatérale avec le FLN, à la conclusion
des accords d'Évian et à la proclamation du cessez-le-feu. A ce
moment, l'enjeu du désarmement changea de nature en même temps que
fut rehaussée son intensité : il s'agissait moins
désormais de donner des signes à l'adversaire (pour l'amener
à négocier) que de matérialiser le dégagement en un
minimum de temps et en un minimum de heurts. Ainsi, ce qui pouvait passer
auparavant pour un simple redéploiement des forces - le
désarmement des autodéfenses villageoises pouvant être
justifié par les progrès de la
« pacification » sur le terrain - apparaissait
désormais dans sa vérité "crue" : la France
hâtait son désengagement, et ce au profit d'un exécutif
provisoire et d'une Force locale (chargée transitoirement du maintien de
l'ordre) qui, l'un et l'autre, servaient de paravent au FLN407(*).
Que le désarmement des belligérants, au terme
d'une guerre civile longue et sans merci, suive la conclusion du cessez-le-feu,
à cela rien d'anormal en théorie. A condition, cependant, que ce
processus concerne l'ensemble - et au même degré - des parties en
présence, et qu'il procède d'un accord mutuel. A contrario, que
penser d'un cessez-le-feu qui se traduirait par le désarmement
unilatéral d'une des parties en présence, laquelle, par
surcroît, n'aurait pas été associée aux
négociations préalables : un tel processus pouvait-il
véritablement déboucher sur un processus de pacification et
de concorde ? Tels furent pourtant les termes du cessez-le-feu
proclamé à Evian lequel, d'une part, autorisait les troupes de
l'ALN à conserver leurs armes à la condition expresse qu'elles
campent sur leurs positions jusqu'au référendum
d'autodétermination - condition qu'elles s'empresseront le plus souvent
de violer, investissant les villages au fur et à mesure du retrait des
unités françaises - tandis que, d'autre part, il imposait aux
supplétifs musulmans de regagner désarmés leurs
villages408(*). La suite
des événements montrera qu'un cessez-le-feu conclu et
matérialisé dans de telles conditions ne pouvait être
respecté durablement. Et ce d'autant moins que la Force locale
créée ex nihilo et chargée transitoirement du maintien de
l'ordre, nous l'avons dit, loin de se poser en force d'interposition,
était à l'avance gagnée à l'ALN dont elle viendra
aussitôt grossir les rangs. La situation devint même totalement
asymétrique après le 3 juillet 1962, quand l'ALN devint de
facto l'armée algérienne, lors même qu'elle aurait
été vaincue sur le terrain par ceux-là même qui,
désarmés par leurs anciennes autorités de tutelle, se
trouvaient désormais entièrement à sa merci.
Cependant, s'ils pressentent qu'ils vont être
démobilisés, nombre de harkis pensent encore que l'armée
française les laissera regagner leurs villages munis de leurs fusils.
À titre d'ultime protection. Un espoir vite démenti, qui n'est
pas sans inquiéter les autorités militaires : celles-ci
craignent en effet de se heurter à de vives résistances à
l'annonce du désarmement. Pour parer à cette
éventualité, les supplétifs sont parfois
désarmés par surprise ou par ruse, puis abandonnés sur
place par les troupes régulières qui plient bagage. Bernard
Moinet : « L'adjudant venu désarmer la harka monte sur le
capot de sa jeep et montre à bout de bras l'ordre reçu. Il le lit
et le commente : «Je suis venu pour vous parler, pour vous
expliquer». Tandis qu'il pérore, fixant l'attention de la harka, on
fonce dans les chambrées, vers les râteliers d'armes. Un harki
malade est resté couché, on le maîtrise, on le
bâillonne. Un coup de klaxon au loin donne le signal. Alors l'adjudant se
tait, descend de sa jeep, tourne un peu la tête, regarde derrière
lui à plusieurs reprises, puis annonce à voix
basse : «Maintenant c'est fini. La guerre est finie pour vous.
Vous êtes désarmés et vous êtes libres». En une
seconde les rangs des harkis se sont disloqués. Ils réalisent,
mais trop tard, la supercherie dont ils ont été victimes. On leur
a volé, arraché leurs armes. Ultime
trahison »409(*).
b) Les options offertes aux anciens supplétifs
musulmans : sauver sa peau seul ou mourir en famille
Théoriquement, un certain nombre d'options - quatre
précisément - s'offrent aux anciens supplétifs au moment
de leur démobilisation. Trois options à effet immédiat et
une à effet différé :
Les options à effet immédiat :
- L'engagement dans les armées ;
- Le licenciement avec prime de
démobilisation ;
- Un contrat de réflexion de six mois non renouvelable
comme personnel civil des armées.
L'option à effet
différé :
- Une demande de transfert en France dont l'examen est
subordonné à la constitution d'un dossier.
Cet éventail de solutions est censé garantir le
libre choix des anciens supplétifs : démobilisation
définitive ou souscription d'un contrat d'active, et leur libre
destination : l'Algérie ou la France. Mais, dans les faits,
tant leurs modalités d'application pratique que l'esprit de leur mise en
oeuvre (préfixé par des instructions ministérielles
adressées aux cadres responsables) tendent à restreindre le champ
des possibles : tout est fait pour conformer les choix individuels
à l'optique de "délestage" (c'est-à-dire de maintien des
ex-supplétifs en Algérie) dépeinte sans fard par le
général de Gaulle (voir supra).
b.1 Les procédures et modalités
d'application pratique des options précitées
? Première option : l'engagement dans les
armées
Si les conditions habituelles d'aptitude physique, d'âge
et d'état sanitaire ne sont susceptibles de décourager ou de
faire obstacle qu'à une minorité de demandes, il n'en va pas de
même des conditions pratiques d'incorporation et de transfert vers les
garnisons métropolitaines, qui font fi de la situation des
chargés de famille. Rien n'est prévu, en effet, pour
l'accompagnement des proches parents : « S'engager dans
l'armée, souligne le général François Meyer, c'est
suivre son régiment dans ses garnisons, la famille restant au
pays »410(*).
Pour des raisons évidentes, affectives aussi bien que
sécuritaires, cette option - dans les conditions où elle se
présente - est donc incompatible avec le statut de chargé de
famille et seuls quelques jeunes célibataires vont pouvoir en
bénéficier. Du reste, une note de la Direction du Recrutement
à Alger en date du 23 mai 1962 viendra préciser ce qui
jusque-là était de l'ordre de l'implicite : l'engagement
dans les armées devait être réservé aux seuls
célibataires411(*). Selon François Meyer, qui se
réfère à une fiche du Cabinet du Ministre des
Armées en date du 29 juin 1962, ils seront mille pour l'ensemble des
supplétifs.
? Deuxième option : un contrat de
réflexion de six mois non renouvelable comme personnel civil, sans
arme
Cette option, censée ménager un délai de
réflexion aux ex-supplétifs qui hésitent entre
l'engagement dans les armées et le retour à la vie civile, n'a
pour effet, en pratique, que de les désigner davantage encore à
leurs anciens adversaires. Ceux-ci réservent d'ailleurs explicitement
leur pardon (ou, plutôt, leurs promesses de pardon) à ceux d'entre
les supplétifs qui n'attendent pas pour se débarrasser de leur
uniforme : « Tous ceux qui après le 1er avril
porteront encore l'uniforme des colonialistes ou logeront près des
postes militaires signeront d'eux-mêmes leur arrêt de
mort »412(*).
Dès lors, souligne François Meyer, « c'est en fait,
pour ceux qui choisiraient cette mesure, repousser de six mois la
plongée dans l'Algérie du FLN, tout en allant vivre
désarmé au milieu d'une population maintenant fortement
structurée par le parti, unique et victorieux »413(*).
Ils seront tout de même près de deux mille
à faire ce choix au moment du cessez-le-feu. Principalement des
célibataires là encore, puisque l'une des options
proposées au terme du délai de réflexion - à savoir
l'engagement dans les armées - leur était réservée
(voir ci-dessus). Après l'indépendance, cependant, ce premier
chiffre sera encore grossi par l'obligation dans laquelle seront placées
les autorités militaires de régulariser la situation de ceux qui,
ayant initialement opté pour la prime de recasement au moment du
cessez-le-feu (voir ci-dessous), n'auront par suite d'autre choix que de
refluer vers les camps de regroupement pour échapper aux
représailles massives dont ils seront l'objet de la part du FLN. Les
autorités feront alors signer aux réfugiés (des
chargés de famille aussi bien que des célibataires) ces fameux
contrats transitoires de six mois - originellement dits de
« réflexion » - pour que soit
régularisée leur situation administrative dans les camps. Dans ce
dernier cas de figure, l'alternative originelle - engagement dans les
armées ou retour à la vie civile - ne sera bien sûr plus de
mise, pas plus que le délai de six mois auquel se substituera simplement
l'attente de la mise à disposition de moyens de transfèrement
vers la France.
? Troisième option : une demande de
transfert en France dont l'examen est subordonné à la
constitution d'un dossier
Ainsi que le précise François Meyer, la demande
de transfert en France (pour ceux qui ne souhaitaient ou ne pouvaient s'engager
dans l'armée) était subordonnée à la constitution
d'un dossier, autrement dit à l'inscription sur une liste et à la
production de pièces, documents et témoignages censés
témoigner de ce que cette demande était « manifestement
justifiée par des menaces »414(*). Dans un message du 13 avril adressé à
tous les préfets d'Algérie par Christian Fouchet,
haut-commissaire de la République française en Algérie
entre le 19 mars et le 3 juillet 1962, l'attention de ceux-ci est
appelée sur « nécessité faire preuve menace et
volonté réelle intéressés grand discernement dans
évaluation s'établir métropole »415(*). De fait, de l'aveu
même du général Buis, alors colonel et directeur du cabinet
militaire de Christian Fouchet, les camps de regroupement n'étaient
ouverts qu'à « ceux que nous estimions réellement
en danger »416(*).
Autrement dit, aux yeux des autorités
françaises, le contexte en Algérie au sortir des accords
d'Évian n'était pas tel que tous les musulmans
précédemment engagés à un titre ou à un
autre aux côtés de la France pussent être - ou se sentir
être - en danger. À l'encontre d'une politique proactive de
sécurisation, cette mise en doute a priori de la pertinence
mais aussi de la sincérité de la démarche des demandeurs
d'asile faisait reposer la charge de la preuve sur le demandeur lui-même.
Cette manière de procéder était symptomatique de la
volonté des autorités françaises de faire comme
si les accords d'Évian allaient être respectés par la
partie adverse, tout en sachant pertinemment qu'ils ne le seraient pas, comme
en témoigne cette déclaration - déjà citée -
du général de Gaulle : « Que les accords soient
aléatoires dans leur application, c'est certain. Mais il était
indispensable de dégager la France d'une situation qui ne lui procurait
que des malheurs »417(*).
Au caractère tatillon et suspicieux de l'instruction
des dossiers s'ajoute l'impréparation logistique. François Meyer
de souligner qu'aucune mesure pratique - regroupement, transport, prise en
charge - ne sera édictée avant le 11 avril pour organiser la
protection des anciens supplétifs concernés et de leurs familles.
Or, ajoute-t-il, « les supplétifs ont dû se
décider rapidement, pratiquement dans les dix jours, souvent avant le
premier avril »418(*). Résultat : « Au moment de sa
démobilisation, aucun supplétif ne pourra faire ce choix
autrement qu'en se faisant inscrire sur une liste, si l'on veut bien, puis en
retournant attendre, sans arme, dans un village maintenant sous le
contrôle du FLN »419(*). Ainsi, ceux parmi les supplétifs qui sont
censés être « les plus menacés » n'ont
d'autre choix, en pratique, que d'attendre désarmés dans leurs
villages la conclusion de l'instruction de leurs dossiers. Telle est du moins
la situation jusqu'au 11 avril. Cette impéritie initiale des
autorités ne sera pas sans conséquences pour certains des
demandeurs. François Meyer, ancien chef de harka :
« Avant le premier avril, de nombreux moghaznis de la tribu des
Rézeigats ont demandé en ma présence de partir pour la
France. Le Commandement local leur a signifié d'attendre dans leurs
douars. Plusieurs ont été enlevés et assassinés, le
17 avril, en compagnie du maire de Bou Alam »420(*).
Ce n'est donc que le 11 avril que deux directives vont venir
organiser la protection des anciens supplétifs et membres de leurs
familles ayant sollicité un transfert pour la France :
- une lettre de Louis Joxe (n°443/API/POL), qui prescrit
« le recensement des personnes à rapatrier, et leur
regroupement en Algérie, dans des lieux où leur protection puisse
être efficacement assurée »421(*). Louis Joxe prescrit
cependant à nouveau de « ne rapatrier que les personnes
particulièrement menacées » et, ce, « en
nombre très limité », insistant pour que soient
vérifiées « leurs aptitudes physiques et morales
ainsi que leur volonté de s'établir en
métropole »422(*) ;
- et une Note du Commandement Supérieur en
Algérie à tous les Corps d'Armée
(n°1013/CSFA/EMI/MOR), qui enjoint les récipiendaires à
« regrouper les personnes considérées dans un camp par
Secteur, qui sera gardé, et à assurer leur
subsistance »423(*). Répercutant avec zèle les
instructions du ministre d'Etat en charge des Affaires algériennes,
cette note ne se contente pourtant pas de prescrire les modalités
d'accueil des supplétifs et membres de leurs familles en instance
(conditionnelle) de rapatriement, puisqu'elle entend aussi ajouter aux
critères d'instruction des demandes. La mise en doute du danger encouru
par les demandeurs était-elle jugée insuffisamment
sélective ? Toujours est-il que le commandement entend
désormais « vérifier que les personnes recensées
sont bien aptes physiquement et moralement à s'installer en
Métropole »424(*). C'est ainsi que, selon Jean
Monneret, « certains responsables du camp de Tefeschoun
souhaitaient faire passer des épreuves d'orthographe aux
supplétifs pour les sélectionner avant
embarquement »425(*). Ainsi les autorités ont-elles effectivement
envisagé de subordonner l'instruction des demandes d'asile à
l'examen de critères totalement étrangers à la situation
sécuritaire des intéressés. Combien de demandes ont-elles
été déboutées sur ces bases ? Rien ne permet
de répondre précisément à cette question. Une chose
est sûre, cependant : plusieurs milliers
d'« inadaptés sociaux » (ou du moins
considérés comme tels par les autorités, à
commencer par les grabataires et les invalides de guerre) seront finalement
transférés en France puis regroupés dans le camp de Bias
(spécialement dévolu à leur accueil), témoignant de
ce que ces instructions ont parfois été appliquées avec
souplesse, voire volontairement ignorées426(*).
Encore faut-il que les supplétifs qui ont
demandé à être transférés - et qui, dans
l'intervalle, ont rejoint douars et bourgades - soient informés des
dispositions visant à rendre opérantes leurs demandes de
rapatriement, et qu'ils parviennent à gagner les postes militaires avec
femmes et enfants. Ce qui implique d'abord d'échapper à la
surveillance du FLN, dont la présence s'affirme à raison inverse
de celle de l'armée française. Jean Monneret de rappeler,
à cet égard, combien « il était difficile, en
pratique, de rouler sur des routes tenues par l'ALN »427(*).
? Quatrième option : le licenciement avec
prime de démobilisation
Cette option, qui consiste en un retour définitif et
immédiat à la vie civile, s'accompagne de l'octroi d'une prime de
démobilisation équivalant à un mois de solde par
année d'engagement. Compte tenu des barrières ou des
insuffisances des trois options précitées (les seules à
même, théoriquement, de conserver les supplétifs dans le
giron de l'armée française), cette option est apparue comme
étant la moins compromettante ou la seule possible (au moins à
court terme) à l'immense majorité des supplétifs.
Pour autant, aux yeux de certains spécialistes de cette
période, l'explication est ailleurs. Ainsi, dans un article
publié en 1995, l'historien Charles-Robert Ageron, considérant
que les conditions d'engagement dans l'armée d'active offertes aux
harkis au moment de leur démobilisation étaient
« exceptionnelles »428(*), s'étonne de ce que « moins de 6%
des harkis [aient accepté] de s'engager dans l'armée »
et en conclut que, « dans leur grande majorité, [les harkis]
ne s'étaient jamais considérés comme des soldats de
l'armée française »429(*). Mais la question se posait-elle en ces termes
à ce moment-là ? S'agissait-il seulement pour les
intéressés - placés dans une situation de fragile
équilibre entre la vie et la mort - d'opérer le choix de
l'engagement dans les armées comme on opère un choix normatif,
voire un choix affectif ? Et c'est précisément parce que les
autorités françaises savaient que ce choix risquait de
répondre à d'autres impératifs - à commencer par
des impératifs de survie - qu'elles ont assorti l'activation de cette
option de conditions hautement limitatives (et dissuasives). Du reste,
Charles-Robert Ageron omet de mentionner ce facteur décisif qu'est
l'interdiction faite aux chargés de famille d'activer cette option (cf.
la fiche du Cabinet du Ministre des Armées en date du 29 juin 1962,
déjà mentionnée). Dès lors, comment
s'étonner que seuls 6% des harkis aient opté pour cette solution
quand, pour la plupart, ils avaient la charge de leurs ascendants et/ou
étaient mariés et pères de famille ? Les
témoignages de Séraphin Berthier et Gilbert Gardien, tous deux
chefs de harkas (témoignages recueillis par Patrick Rotman et Bertrand
Tavernier), disent d'ailleurs combien - à rebours de ce qu'avance
Charles-Robert Ageron - les conditions d'engagement dans l'armée
à la suite du cessez-le-feu étaient tout sauf
« exceptionnellement » incitatives. Séraphin
Berthier :
« C'était pénible. J'avais 80 harkis.
Il s'est passé quelque chose qui, pour moi, est impardonnable. On leur a
offert le choix entre deux solutions : la première était de
venir avec nous en s'engageant dans l'armée française - mais on
ne rapatriait pas les familles... la famille, en Kabylie, c'est tout. C'est un
pays montagneux, très tribal, la famille compte
énormément. Trois ont choisi cette voie. La deuxième
possibilité : on leur donnait une prime et on leur racontait qu'ils
avaient leur place dans l'Algérie nouvelle. La plupart sont
restés sur place. On en a récupéré un quatre ou
cinq mois plus tard à Alger. Il était dans un sale état et
il nous a dit que les autres avaient été
massacrés ».
De même, Gilbert Gardien :
« C'était très difficile à
vivre. Avec quelques compagnons, on a chialé [Il essuie une larme]. Tous
les chefs de section ont pleuré. Il a fallu faire les adieux... On
proposait aux harkis de s'engager dans l'armée française en
laissant les familles. Je l'ai vécu... Sentimentalement, c'était
épouvantable. On leur a fait rendre les armes. Nous avions un sentiment
d'abandon total. Total. Quand on s'est embrassés avec les harkis, il y
avait un déchirement absolu [Il se tait, trop
ému] »430(*).
Ainsi, au vu des conditions plus que restrictives auxquelles
était assujettie l'option d'engagement dans l'armée d'active, et
à l'inverse de ce qu'avance Charles-Robert Ageron, il semble bien
plutôt que ce soit les autorités françaises qui n'aient pas
ou plus considéré les harkis comme des soldats de l'armée
française. Il n'est qu'à se reporter, à cet égard,
à la déclaration déjà mentionnée du
général de Gaulle, exigeant que l'on se débarrasse au plus
vite de « ce magma qui n'a servi à rien »431(*).
Quant aux autres options - contrat de
« réflexion » de six mois dans les armées ou
demande de rapatriement assujettie à la constitution d'un dossier, leurs
conditions de mise en oeuvre furent là encore - nous l'avons dit -
conçues pour être dissuasives. François Meyer :
« Ce n'est qu'un mois après la conclusion du cessez-le-feu que
les armées prendront les premières mesures pour protéger
les anciens supplétifs dont les demandes de rapatriement sont en cours
d'instruction. Et ce n'est que trois mois après les licenciements que
les premiers rapatriements du «plan général» seront
effectués. Pendant ces temps d'indécision - ou de
non-décision - les supplétifs seront soumis à des
pressions [fausses assurances du FLN et/ou pression des proches
angoissés par la perspective d'un départ pour la métropole
et les conséquences du déracinement] qui leur seront finalement
fatales »432(*). L'auteur d'ajouter : « Il eût
fallu organiser le rapatriement des combattants musulmans dès leur
désarmement »433(*). Or, il est un fait, nous l'avons vu, que les
autorités ont pensé à limiter l'accueil avant même
de le structurer.
Mais, outre le fait qu'elles négligent les obstacles
pratiques et procéduraux liés à l'activation des options
autres que le retour immédiat à la vie civile, les analyses de
Charles-Robert Ageron font également fi de l'esprit qui a
présidé à la mise en oeuvre de ces options par les
autorités. Soucieuses de maintenir les ex-supplétifs en
Algérie, les autorités n'eurent en effet de cesse, pendant la
courte période de transition (19 mars-2 juillet 1962), de prodiguer des
discours rassurants à leur attention434(*), déniant les dangers auxquels ceux-ci
seraient exposés par suite du désengagement brutal de la
France.
b.2 L'esprit de la mise en oeuvre des options
précitées
En réponse à un questionnaire adressé en
octobre et novembre 1961 aux préfets d'Algérie par Louis Joxe,
ministre d'État chargé des Affaires algériennes, le
préfet d'Alger, conscient des périls auxquels seraient
exposés « les musulmans engagés à nos
côtés » en cas de perte de la souveraineté
française ainsi que de la fragilité des engagements - même
formalisés - de l'adversaire, préconisait que les
intéressés fussent en toute hypothèse
« informés du caractère relatif des
garanties »435(*). C'est très exactement l'inverse qui s'est
produit.
Au cours d'une première phase, correspondant à
la courte période de transition entre la conclusion des accords
d'Évian et l'accession à l'indépendance de
l'Algérie (19 mars - 2 juillet 1962), les autorités s'attachent
non à souligner mais à minorer les périls auxquels sont
susceptibles d'être exposés les musulmans pro-français au
jour de l'indépendance, et ce afin de les fixer - autant que possible -
en Algérie.
Puis, à compter du jour de l'indépendance (le 3
juillet 1962), les autorités françaises feignent publiquement
d'ignorer la gravité des supplices effectivement endurés par les
anciens serviteurs d'armes de l'État français ; en
même temps, dans des notes confidentielles, elles prescrivent aux troupes
encore stationnées en Algérie non seulement de rester l'arme au
pied en toutes circonstances (y compris lorsqu'elles sont les témoins
directs d'exactions perpétrées à l'encontre des
ex-supplétifs et autres catégories de musulmans
pro-français), mais encore de n'ouvrir qu'au compte-gouttes les portes
des camps de regroupement vers lesquels affluent quotidiennement les
réfugiés.
b.2.1. La minoration des
périls (19 mars - 2 juillet 1962)
Au cours de la brève période transitoire qui
courre de la conclusion des accords d'Évian à la proclamation de
l'indépendance de l'Algérie, les autorités
françaises se sont publiquement et uniment attachées à
brosser un tableau, sinon idyllique, du moins étonnamment optimiste des
garanties offertes à la sécurité des personnes par lesdits
accords. L'objectif en était, en dépit de l'exclusion des
tendances autres que pro-FLN du processus de négociation, ainsi que de
l'absence de clauses spécifiques visant à sauvegarder les
intérêts et l'intégrité physique des musulmans
pro-français, de décourager au maximum les demandes de transfert
vers la France de leurs anciens serviteurs d'armes musulmans. À cet
égard, les considérations cinglantes - mais confidentielles - du
président de la République en date du 3 avril 1962 sur le
« magma de supplétifs qui n'a jamais servi à rien et
dont il faut se débarrasser au plus vite »436(*) commandaient et
résumaient à elles seules l'esprit de la mise en oeuvre des
solutions offertes aux supplétifs au moment de leur
démobilisation ; lesquelles, précisément, visaient
moins à garantir l'avenir des intéressés qu'à s'en
« débarrasser », en les orientant vers la solution
du recasement en Algérie (voir ci-dessus). Déjà, dans un
communiqué en date du 8 mars 1962 (déjà cité sur la
question de la nationalité ; voir ci-dessus), le ministre des
Armées, Pierre Messmer, enjoignait le Commandement supérieur en
Algérie d' « inciter [les différentes
catégories de personnels musulmans] à rechercher le recasement en
Algérie plutôt qu'à demander l'installation en
métropole »437(*). A cet effet, des tracts porteurs de
considérations lénifiantes sont diffusés au sein des
unités supplétives en cours de démobilisation :
« Harkis ! (...) Vous n'aborderez pas la vie civile comme
l'enfant nouveau-né aborde la vie » ; ou encore, dans le
but de les convaincre de se laisser désarmer malgré les lourdes
menaces qui pèsent sur eux : « Harkis ! (...) A
l'heure de la paix, le blé vaut plus cher que les
cartouches »438(*).
Cette politique de minoration des périls n'était
pas nouvelle. Déjà, le 28 janvier 1960, au moment de la semaine
des barricades, Paul Delouvrier, nommé Délégué
général du gouvernement en Algérie de décembre 1958
à novembre 1960 (il sera alors remplacé par Jean Morin), invite
les musulmans à se débarrasser du « complexe de
l'abandon » en liant leur sort à celui du
général de Gaulle :
« Ne pas être le glaoui ! Voilà
votre crainte, voilà votre peur. (...) Criez : «de
Gaulle ! Vive de Gaulle !» (...) l'homme qui vous conservera
cette conquête par la présence définitive de la France.
(...) En [le] plébiscitant (...) vous vous délivrez du complexe
de l'abandon »439(*).
Un an plus tard, dans une note du 5 janvier 1961, au moment
où - à l'hiver 1960-1961 - la politique algérienne du
général de Gaulle s'orientait plus nettement encore vers la
solution du « dégagement », le général
Crépin (qui avait remplacé le général Challe au
poste de Commandant supérieur des forces armées en
Algérie) entendait faire conduire à ses subordonnés une
action psychologique telle qu'elle apaise les craintes les plus
élémentaires des supplétifs, au risque d'endormir leur
vigilance. Il invitait ainsi « les cadres à tous les
échelons à conduire une action vigoureuse pour faire
disparaître de l'esprit [des supplétifs] l'idée que les
événements actuels [allaient] aboutir à de sanglantes
représailles »440(*). Il leur faisait part de sa « certitude
qu'au-delà du référendum d'autodétermination, et
quel qu'en soit le résultat, (...) l'Armée [resterait] en mesure
d'assurer par sa présence le retour à la vie normale de ceux qui
[combattaient] à ses côtés et de leurs
familles ». Il précisait qu' « en cas de
sécession, le partage [de l'Algérie] assurerait à
l'Armée la possibilité de faire face à ses
engagements ». Concernant le statut et les options offertes aux
supplétifs, le Commandant en Chef se voulait également
rassurant : « Ceux-ci auront la possibilité de rester
Français441(*),
et la France leur fera la place à laquelle leurs activités au
service du pays leur donne plein droit ». Et de conclure
curieusement : « Sur ce point d'ailleurs, la politique
gouvernementale n'a jamais changé ». L'on peut
s'étonner, rétrospectivement, de la légèreté
de promesses fondées sur des conjectures - l'éventualité
du « partage » - et sur une lecture étonnamment
captive, quoique peu assurée, de la politique du gouvernement. En
témoigne la terrible ambiguïté de la phrase de conclusion du
général Crépin : « Sur ce point d'ailleurs,
la politique gouvernementale n'a jamais changé ». Des propos
qui laissaient entendre que cette politique avait certes été
à géométrie variable sur d'autres points, mais qu'il
importait, sur ce point précis, de faire comme s'il n'allait rien en
être. Un pari audacieux, qui conduisit le général
Crépin à s'engager auprès de ses cadres qu'en toutes
circonstances l'Armée serait à même de garantir le
« retour à la vie normale » des supplétifs
placés sous leurs ordres. En toutes circonstances, c'est-à-dire
quel que soit le résultat du référendum
d'autodétermination, donc l'autorité souveraine442(*).
Au regard de promesses si peu assurées, les tracts du
FLN avaient beau jeu de souligner, exemples à l'appui, la
fragilité des engagements français en même temps que de
faire montre, pour ce qui les concernait, d'une sombre détermination. Un
tract du FLN trouvé en septembre 1957, qui se référait au
précédent marocain, "informait" ainsi les supplétifs
qu'ils seraient inéluctablement abandonnés par la France et
qu'ils subiraient alors « le sort des amis du
Glaoui »443(*). Un autre tract, attribué à la wilaya
2 et diffusé à Grarem en juillet 1961, prévenait la
population que « ceux qui ont travaillé avec la France seront
égorgés » et que « les moins mauvais
travailleront à votre place »444(*).
Feint ou pas, l'optimisme du général
Crépin servait parfaitement les intérêts du gouvernement
dont la visée première était, certes, d'éviter que
les supplétifs ne désertent avant la conclusion du
cessez-le-feu mais aussi, plus secrètement, d'éviter qu'ils
ne se réfugient puis se fixent en métropole après.
À cet égard, dans une étude préliminaire aux
premières négociations d'Évian (mai-juin 1961) -
étude contemporaine de la note du général Crépin,
les directives données par Louis Joxe et Bernard Tricot aux
négociateurs français concernant les « garanties
à négocier en faveur des musulmans fidèles à notre
cause » apparaissent des plus explicites. Je
cite : « L'installation en France n'est pas à
prévoir, ni à encourager »445(*). Un an plus tard, à
l'issue des secondes négociations d'Évian, Louis Joxe,
fidèle à lui-même et aux consignes données par le
chef de l'État (sous la responsabilité duquel il est directement
placé en sa qualité de ministre d'État chargé des
Affaires algériennes), confirmera cette ligne de conduite dans une note
du 7 avril 1962. Il informe ainsi ses subordonnés que « de
toute manière, on fera effort pour maintenir ces personnes [les
supplétifs] en Algérie »446(*). Le 19 avril, Louis Joxe
obtient la dissolution d'une commission interministérielle en charge du
dossier des supplétifs et présidée par Michel Massenet
(commission créée seulement deux mois auparavant par Michel
Debré, le 17 février 1962 très exactement), après
que celle-ci eut remis le 10 avril un rapport sur le Rapatriement
Éventuel des Personnels placés sous le contrôle des
Autorités Militaires. Louis Joxe jugea intempestif le zèle
mis par le président de cette commission, le Conseiller d'État
Michel Massenet, à alerter le gouvernement sur les dangers encourus par
les anciens supplétifs et sur le devoir moral qui incombait à la
France de les protéger. Selon Michel Massenet, Louis Joxe aurait
déclaré à Georges Pompidou, alors Premier ministre :
« Ce rapport est inadmissible. Il trouble les esprits ». On
ne saurait mieux dire, en effet, que ce rapport contrariait l'esprit
minimaliste du plan général de rapatriement. Louis Joxe aurait
ajouté qu'il fallait « scier les pieds de la commission
Massenet ». Ce qui fut fait promptement. Et Jean Monneret
d'écrire que « cela laissait mal augurer de la
suite »447(*).
Le 19 avril encore, Louis Joxe prescrivait d'ailleurs à nouveau
d' « assurer en priorité le reclassement en
Algérie du plus grand nombre de harkis, moghaznis et de personnes
engagées »448(*).
Face à la représentation nationale et à
l'opinion publique, les discours se font plus sinueux. Mais l'on devine,
derrière les circonvolutions, la visée décrite sans fard
dans les instructions ministérielles. Certes, on assure les musulmans
pro-français que la porte de la métropole leur est ouverte. Mais,
plus encore, on insiste sur le fait que le gouvernement s'emploiera à
garantir leur sécurité en Algérie, où - leur dit-on
- « tout les attache ». Je cite Georges Pompidou,
s'exprimant devant la représentation nationale le 26 avril 1962 :
« Les accords intervenus donnent les garanties nécessaires et
la France veillera sur le respect de ces garanties jalousement et fermement
(...). Si les musulmans aussi, préfèrent quitter cette terre
d'Algérie, où pourtant tout vous attache, la
Métropole vous accueillera »449(*). Le lendemain, plus solennel encore :
« Aucune représaille ne pourra en Algérie être
exercée contre quiconque à l'occasion de son activité
politique, l'application rigoureuse de cette disposition est pour le
gouvernement un principe fondamental »450(*).
Un principe "fondamental" dont le général de
Gaulle s'attachera pourtant, peu après, dans le secret des
délibérations du Comité des Affaires algériennes du
16 mai 1962, à circonscrire les limites, elles-mêmes
"fondamentales" : « La France ne doit plus avoir aucune
responsabilité dans le maintien de l'ordre après
l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités
algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens
s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles
autorités »451(*).
Ainsi, ce qui, en public, est un principe fondamental devient,
en privé, une charge indue. Les déclarations
pré-citées de Georges Pompidou n'avaient-elles donc d'autre
vocation que dilatoire ? Ces questionnements apparaissent d'autant plus
légitimes que, à rebours des assurances publiques de son Premier
ministre, le président de la République, nous l'avons vu, sait -
et se satisfait - de l'extrême précarité des garanties
contenues dans les accords d'Évian, accords négociés
à sa demande « sans juridisme excessif »452(*) : « Que les
accords soient aléatoires dans leur application, c'est certain. Mais il
était indispensable de dégager la France d'une situation qui ne
lui procurait que des malheurs »453(*).
Ce double discours s'inscrit de toute évidence dans une
logique de minoration des périls et a délibérément
contribué à orienter les supplétifs vers la solution qui
était la moins à même de garantir leur protection, à
savoir : le licenciement avec prime de démobilisation.
- La duplicité du FLN
A cet égard, l'ambivalence, sinon le louvoiement des
instances gouvernementales n'ont eu d'égale que la duplicité des
cadres de l'ALN. Ainsi qu'en témoignent certaines directives
confidentielles retrouvées par l'armée française, ceux-ci
entendaient clairement soumettre les intéressés à leur
vindicte et passer outre la clause de non-représailles contenue dans les
accords d'Évian. Pour ce faire, il leur fallut d'abord fixer les
supplétifs en Algérie et user, à compter du
cessez-le-feu (et à l'instar des autorités françaises,
quoique pour d'autres raisons), d'un double discours, faussement rassurant.
Ainsi, au cours du mois d'avril 1962, le Comité de la
wilaya 2 prescrit « [de] se montrer conciliant envers les harkis afin
de ne pas provoquer leur départ en métropole, ce qui leur
permettrait d'échapper à la justice de l'Algérie
indépendante »454(*). Au même moment, en Kabylie, la Nahia 324
édicte : « Dans un premier temps, pratiquer la politique
du sourire et de la réconciliation jusqu'à la libération
des détenus, quand la moitié de l'armée française
aura quitté l'Algérie, régler les
comptes »455(*). Mais la directive qui, dans ses attendus, illustre
le mieux cette politique dilatoire du pardon est celle qui émane le 13
avril du Commandement général de la wilaya 5 (Oranie) :
« République Algérienne
F.L.N. - A.L.N.
Aux Armées,
Le 10 AVRIL 1962
ETAT-MAJOR GENERAL
Commandement Général Wilaya 5
Directives
Objet : Répercussions du cessez-le-feu
Quelques jours après le cessez-le-feu, nous avons
pu enregistrer certaines répercussions d'une importance assez grande
pour pouvoir nous causer d'énormes difficultés dures à
surmonter, si les précautions nécessaires ne sont pas tout de
suite prises en conséquence, à savoir notamment :
1) La libération des harkis, goumiers et
ralliés servant dans les rangs ennemis : A travers toute
l'Algérie, l'ennemi a entrepris la démobilisation massive des
harkis, goumiers et ralliés qui n'ont maintenant aucune raison
d'être. Le colonialisme français, ayant fini de se servir et
d'exploiter ses valets inconscients, a décidé de les rejeter
définitivement comme ce devait arriver tout à fait
naturellement.
Nous n'ignorons aucunement leurs actes
irréfléchis et inhumains, leurs méfaits et crimes dont ils
ont été auteurs, obéissant ainsi aveuglément
à leurs maîtres colonialistes qui n'ont à aucun moment
cessé de les dresser contre leur peuple désarmé et meurtri
par tant d'années de souffrance et de misère. Ils ont librement
consenti l'engagement de servir et de n'épargner aucun effort contre
leur cause nationale. Dans leur égarement total, ils ont tout fait pour
détruire, opprimer et bafouer leur dignité et l'honneur de notre
vaillant peuple à jamais invincible. Nul n'ignore leur honteuse et
abominable histoire qui restera plus que jamais connue de toutes les
générations à venir. Si la révolution les a
condamnés, il n'en reste pas moins que le peuple les frappe de son
mépris et continuera toujours à les haïr et à les
nier.
Néanmoins, le cessez-le-feu n'étant pas la
paix, nous devons user du tact et agir avec souplesse afin de les gagner
provisoirement pour ne pas leur donner l'occasion de faire encore le jeu de
l'ennemi qui n'en reste pas moins désarmé qu'avant et continue de
faire des manoeuvres et tentatives en vue de noyauter notre chère et
noble Révolution. Leur jugement final aura lieu dans une Algérie
libre et indépendante devant Dieu et devant le Peuple qui sera alors
seul responsable de leur sort. Il y a lieu donc, d'inviter ce peuple
assoiffé de vengeance, à contenir sa colère et prendre
conscience de la situation actuelle qui n'est que provisoire et que le moment
attendu n'est pas encore arrivé.
Toutefois, comme nous l'avons déjà fait
savoir dans notre Circulaire N°403, ces égarés
abandonnés doivent être surveillés dans leurs moindres
gestes et activités et seront inscrits dans une liste noire qu'il faudra
conserver minutieusement. Aussi, il faut faire de telle manière qu'ils
ne tombent pas dans le camp adverse et de ce fait, peuvent nous saboter et
collaborer soit avec l'OAS, soit avec n'importe quel autre ennemi. C'est la
raison pour laquelle, nous vous recommandons la plus grande souplesse afin de
les gagner et non de les perdre et faire d'eux d'autres ennemis qui auront
à agrandir le camp adverse »456(*).
Il n'est pas jusqu'en métropole où l'on ne
conditionne les esprits à ce double langage, comme en témoigne
cette directive trouvée à Versailles en date du 25 avril
1962 : « Il faut accepter tous les ralliements et mener une
campagne auprès des harkis et des messalistes pour qu'ils se rallient.
Ne pas les brusquer, ne pas leur reprocher ce qu'ils ont fait. L'organisation
est seule compétente pour prendre des décisions... Car
l'épuration elle aussi s'accentue. Les traîtres seront
jugés et s'ils ne sont pas toujours exécutés sur le champ,
ils n'échappent pas longtemps au sort qui leur est
réservé. Par le recensement, l'organisation s'attache à
dresser un fichier général d'où seront extraits les noms
de traîtres et des mauvais citoyens »457(*).
Selon Jean Monneret, cette politique des faux-semblants
correspondait à une orientation déjà ancienne,
tracée par exemple dès 1960 par le ministre chargé des
Liaisons et Communications au sein du GPRA, Lakdhar Ben Tobbal. Celui-ci
déclarait alors : « Autant essayer de les [les harkis]
gagner à nous, c'est autant de gagné sur l'ennemi. Quant à
demain, le Parlement et le Gouvernement qui seront mis en place
décideront de leur sort »458(*). Ce marché de dupes a pu prendre parfois des
atours beaucoup plus mercantiles et vils : ainsi le FLN a-t-il
incité les anciens supplétifs qui avaient opté pour le
licenciement avec prime de démobilisation à lui
rétrocéder l'intégralité de leur pécule
(pour solde de tout compte eu égard aux "arriérés"
d'impôt révolutionnaire) contre la promesse -
généralement restée lettre morte - d'une plus grande
mansuétude459(*).
Cependant, quelle qu'ait pu être la duplicité du
FLN en la circonstance, le fait est que les supplétifs ont d'abord et
principalement été soumis à l'influence de leurs
autorités de tutelle, civiles et militaires, qui les ont uniment
incité à privilégier la solution du recasement en
Algérie. Les discours captieux du FLN n'ont fait, à cet
égard, que relayer les couplets exagérément optimistes de
l'appareil d'État français. Ce dont témoignent
rétrospectivement nombre d'anciens harkis, qui reviennent sur l'effet
dévastateur des « paroles de miel »
prodiguées par les autorités françaises. M. R.
(anonyme) : « On savait que notre village était foutu,
que toutes nos familles étaient foutues. Plus aucun harki n'avait
d'armes parce que la France nous avait menti. Et maintenant, elle nous laissait
en nous disant que c'était fini, que la guerre était finie, et
que nous n'étions plus en guerre »460(*). De même, Abdelkader
Adelaah : « Les officiers français nous ont dit que tout
allait s'arranger. C'était des paroles de miel »461(*).
Ainsi, aux louvoiements à usage externe du FLN
répondait le double discours des autorités françaises. Aux
confluents de ces politiques d'artifice se tramait la disparition des
harkis : il apparaît de fait clairement que tant l'habillage
discursif que les conditions liées à l'instruction des options
offertes aux supplétifs au moment de leur démobilisation,
plutôt que d'organiser leur libre choix, l'ont aiguillé plus
qu'incidemment vers la solution du « recasement » en
Algérie.
- L'annonce du plan général de
rapatriement
Confrontés aux obstacles ou insuffisances pratiques
liés aux modalités d'application de l'option de
transfèrement, ainsi qu'à la rhétorique officielle de
minoration des périls qui les assure de l'innocuité d'un retour
immédiat à la vie civile, la plupart des supplétifs ont
préféré opter pour le licenciement et cherché
à se fondre au plus vite dans les cadres mouvants de l'Algérie
nouvelle, plutôt que de constituer une demande de transfert à
l'issue aléatoire et se signaler ainsi inopportunément au reste
de la population (qui plus est désarmés). Il en résulte
que, dans les jours qui précèdent l'indépendance, seules
1.500 demandes de rapatriement ont été effectivement
enregistrées et transmises pour toute l'Algérie462(*).
C'est sur ces bases, qui satisfont l'optique gouvernementale
de minimalisation du dispositif de rapatriement, que Pierre Messmer annonce
dans un communiqué en date du 5 juin 1962 l'amorce prochaine des
opérations de transfèrement, dans le cadre du plan
général de rapatriement : seules 4.930 personnes (familles
comprises, ce qui correspond aux 1.500 chefs de famille recensés) sont
concernées. Un premier recensement, effectué en avril 1962,
évaluait pourtant à 9.400 le nombre de harkis et membres de leurs
familles dits « réellement menacés », soit un
chiffre deux fois supérieur à celui communiqué en juin.
Quoi qu'il en soit, ces chiffres apparaissent
dérisoires en comparaison de ceux avancés par l'ancien
contrôleur général des armées Christian de
Saint-Salvy qui, dans un rapport adressé à l'ONU en mars 1962,
évaluait le nombre des musulmans pro-français menacés par
d'éventuelles représailles à 263.000 (soit environ un
million de personnes si l'on y ajoute les membres de la proche famille). Ce
chiffre se décompose comme suit :
- militaires de carrière 20.000 ;
- militaires du contingent 40.000 ;
- harkis 58.000 ;
- moghaznis 20.000 ;
- membres des GMPR et GMS 15.000 ;
- membres des groupes civils d'autodéfense
60.000 ;
- élus, anciens combattants et fonctionnaires
50.000.
Comment expliquer de telles différences
d'appréciation ? A la différence des évaluations
officielles, qui reposent sur le seul inventaire des demandes de transfert
effectivement déposées par les intéressés
eux-mêmes puis instruites et validées par les autorités
(procédure dont nous avons vu les difficultés pratiques
d'activation et l'esprit - hautement restrictif - qui entoure sa mise en
oeuvre), l'estimation de Christian de Saint-Salvy se calque sur les effectifs
maximums des différentes catégories de personnels civils et
militaires indigènes atteints à la fin de l'année 1960 et
au début de l'année 1961. Autrement dit, tandis que les
estimations officielles reposent sur l'idée que seule une infime
minorité de musulmans pro-français est réellement sous la
menace de représailles, à l'inverse, l'estimation de Christian de
Saint-Salvy part du postulat symétrique que seule une infime
minorité de musulmans pro-français est à l'abri de telles
représailles.
Les termes du communiqué du ministre des Armées
sont rapportés et commentés l'après-midi même
à l'Assemblée nationale par le bachaga Boualam,
député et ancien vice-président de l'Assemblée. Je
cite le bachaga Boualam : « Ce matin même, 5 juin, un
communiqué du Ministre des Armées affirme que les harkis
menacés et leurs familles, soit 4.930 personnes, vont être
rapatriés, et que M. le Secrétaire d'État aux
Rapatriés est chargé de leur accueil en Métropole. (...)
En fait, il ne s'agit là que d'une estimation provisoire concernant
exclusivement les harkis les plus menacés. Parle-t-on de tous les autres
musulmans condamnés par les tribunaux FLN ? Le chiffre du
Ministère des Armées, je ne le considère pas comme
valable. Il cache l'abandon et la mort de milliers d'autres. En retirant
l'armée, vous livrez nos terres et nos populations à la merci de
l'ALN. Dans le bled on rançonne systématiquement les serviteurs
de la France. (...) Je demande au gouvernement : pourquoi n'avez-vous rien
prévu, depuis des mois, alors qu'il était encore temps et que
déjà l'abandon était décidé ? Pourquoi
n'avez-vous pas, depuis des mois, regroupé et protégé tous
ceux qui sont désarmés ? (...) Il faut qu'on m'assure que
là-bas, en Algérie, partout les autorités vont recevoir
immédiatement l'ordre de regrouper effectivement ceux qui le veulent,
à quel que titre que ce soit. Il faut qu'on m'assure qu'en tout lieu les
moyens seront mis en oeuvre pour les protéger. Car ce sont des milliers
de personnes qu'il nous faut sauver avant le 1er
juillet »463(*).
Devant les réactions indignées de certains
secteurs - minoritaires - de l'opinion, et pour éviter que ces
réactions ne fassent tâche d'huile, Robert Boulin,
secrétaire d'État aux rapatriés, réévaluera
quelques jours plus tard les chiffres du plan général de
rapatriement à hauteur de ceux du recensement effectué en avril,
soit 9.500 personnes. La plupart des auteurs s'accordent à dire que ce
dernier chiffre correspond, en effet, au nombre de demandes de transfert
formulées en bonne et due forme par les intéressés
(proches parents compris) à la suite de leur démobilisation. Tous
s'accordent également à dire que ce chiffre sous-estime gravement
- et sans doute délibérément compte tenu des obstacles
liés aux modalités d'application de cette option et à
l'esprit de sa mise en oeuvre (voir supra) - le nombre des harkis et
membres de leurs familles menacés. François Meyer :
« On pourra dire que les candidats au départ pour la France
n'étaient pas très nombreux464(*). Mais dans les conditions d'accès qui leur
étaient faites, cela n'était guère étonnant.
Désabusés, certains ont peu à peu cédé aux
assurances du FLN. En fait, les supplétifs ne commenceront à
croire à leur transfert en France que lorsqu'ils verront partir les
premiers convois, c'est-à-dire au milieu du mois de
juin »465(*).
Il est un fait cependant que les carences de
l'État-providence (obstacles pratiques et procéduraux liés
à l'activation de l'option de transfèrement d'une part, discours
dilatoires des plus hautes autorités d'autre part), qui, dans un premier
temps, ont convaincu/acculé les ex-supplétifs à demeurer
massivement (et, apparemment du moins, librement) en Algérie dans un
contexte pourtant plus qu'insécure, vont être redoublées
par les excès de zèle de l'État-gendarme : assimilant
les harkis à des recrues potentielles de l'OAS, les autorités, en
plus de donner au plan général de rapatriement un
caractère hautement restrictif, vont - sous le prétexte d'un
péril subversif - aller jusqu'à prescrire l'interdiction des
rapatriements en dehors des voies officielles (et, ce, bien que la
liberté de circulation entre la France et l'Algérie soit une des
dispositions fondamentales contenues dans le texte des accords d'Evian), et
entreprendre de sanctionner contrevenants et complices.
- L'interdiction des rapatriements en dehors des voies
officielles
Dans ces temps de chaos généralisé en
Algérie, l'État-gendarme va trouver matière à
s'exprimer là où on l'attend le moins : le contrôle et
le filtrage tatillons - qui peuvent aller jusqu'à prendre la forme d'une
"traque" - des réfugiés musulmans ayant
bénéficié, pour gagner la métropole, de
filières d'évacuation "hors cadres". Il est un fait que,
dès avant le mois de juin et l'amorce du plan général de
rapatriement, des initiatives privées et localisées,
impulsées notamment par des chefs de harkas ou des chefs de SAS et
motivées par les carences évidentes du dispositif officiel de
rapatriement qu'aggrave la lenteur de sa mise en place, tendent à
faciliter et à précipiter le rapatriement des supplétifs
et de leurs familles vers la métropole. En dehors des voies officielles,
donc.
À Marseille, en mai et juin 1962, les autorités
préfectorales se font d'abord les témoins passifs, sinon
bienveillants, des premières arrivées de familles isolées
ou d'unités reconstituées par leurs cadres. Je cite :
« Ce 11 mai, 17 familles de harkis de
Béni-Saf (90 personnes) ont débarqué à Marseille et
se sont rendues à Chauvigny (Vienne) où elles seront
employées dans l'agriculture. Le voyage, sans problème,
était organisé par le capitaine D., officier des Affaires
algériennes, qui accompagnait les intéressées.
Ce 18 mai, arrivées le matin par le
Ville-de-Bordeaux de 4 familles musulmanes dont 3 ex-harkies - 16
personnes - venant de Nemours [Algérie] pour Dijon pour trois d'entre
elles et pour Troyes en ce qui concerne la quatrième. Les familles
intéressées ont d'ailleurs été
considérées comme de simples familles migrantes
(sic).
Ce 23 mai, 120 familles harkies venant de Mers-el-Kébir
sont arrivées à Marseille. Elles sont encadrées par le
lieutenant de Saint-G. pour le compte d'une association de fusiliers marins
pour la Lozère »466(*).
Cependant, ces initiatives semi-clandestines suscitent, une
fois opérée la remontée de l'information à
l'échelon gouvernemental, une levée de boucliers
immédiate. Aux yeux des autorités gouvernementales, il ne saurait
être question de court-circuiter plus longtemps la voie
hiérarchique normale et, surtout, de contrarier l'esprit minimaliste du
plan général de rapatriement. C'est au ministre en charge des
Affaires algériennes, Louis Joxe, que l'on doit le premier rappel
à l'ordre, le plus fameux malgré son caractère
« Très secret ». Cette directive en date du 12 mai
1962 à l'adresse de Christian Fouchet, haut commissaire de la
République en Algérie, va jusqu'à préconiser le
renvoi en Algérie des supplétifs débarqués en
métropole en dehors du plan général :
« NR 1676 TRES SECRET - PRIORITE ABSOLUE -
MINISTRE ETAT CHARGE DES AFFAIRES ALGERIENNES
A
HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN ALGERIE - ROCHER NOIR
-
NR 223/Z
SUITE NOTE 215/Z DE CE JOUR
LES RENSEIGNEMENTS QUI ME PARVIENNENT SUR LES RAPATRIEMENTS
PREMATURES DE SUPPLETIFS INDIQUENT L'EXISTENCE DE VERITABLES RESEAUX TISSES SUR
L'ALGERIE ET LA METROPOLE DONT LA PARTIE ALGERIENNE A SOUVENT POUR ORIGINE UN
CHEF DE S.A.S. JE VOUS ENVOIE AU FUR ET A MESURE LA DOCUMENTATION QUE JE
REÇOIS A CE SUJET. VOUS VOUDREZ BIEN FAIRE RECHERCHER TANT DANS L'ARMEE
QUE DANS L'ADMINISTRATION LES PROMOTEURS ET LES COMPLICES DE CES ENTREPRISES ET
FAIRE PRENDRE LES SANCTIONS APPROPRIEES.
LES SUPPLETIFS DEBARQUES EN METROPOLE EN DEHORS DU PLAN
GENERAL DE RAPATRIEMENT SERONT EN PRINCIPE RENVOYES EN ALGERIE OU ILS DEVRONT
REJOINDRE AVANT QU'IL SOIT STATUE SUR LEUR DESTINATION DEFINITIVE LE PERSONNEL
DEJA REGROUPE SUIVANT MES DIRECTIVES DES 7 ET 11 AVRIL. JE N'IGNORE PAS QUE CE
RENVOI PEUT ETRE INTERPRETE PAR LES PROPAGANDISTES DE LA SEDITION COMME UN
REFUS D'ASSURER L'AVENIR DE CEUX QUI NOUS SONT DEMEURES FIDELES. IL CONVIENDRA
DONC D'EVITER DE DONNER LA MOINDRE PUBLICITE A CETTE MESURE MAIS CE QU'IL FAUT
SURTOUT OBTENIR C'EST QUE LE GOUVERNEMENT NE SOIT PLUS AMENE A PRENDRE UNE
TELLE DECISION.
SIGNE : LOUIS JOXE.
1825/12/05
JE REPETE 1676 223/Z 215/Z ET 11 AVRIL - LOUIS JOXE -
»467(*).
Le rappel à l'ordre de Louis Joxe est
immédiatement répercuté en Algérie par le colonel
Buis, chef du cabinet militaire du haut commissaire de la République en
Algérie, via une note en date du 16 mai 1962 à l'adresse de
l'Inspecteur général des Affaires algériennes. Il y est
notamment rappelé que « le transfert en métropole de
Français musulmans effectivement menacés dans leur vie et dans
leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération planifiée
et préparée ». Le colonel Buis de conclure :
« J'ai en conséquence l'honneur de bien vouloir prescrire
à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de toute
initiative isolée destinée à provoquer l'installation de
Français-musulmans en métropole. Il vous appartiendra seulement
d'instruire les demandes émanant des personnels demandant à se
réfugier en métropole, et de me transmettre vos propositions, qui
seront présentés au secrétariat d'État aux
Rapatriés »468(*).
En métropole, c'est au Ministre de l'Intérieur
Roger Frey qu'incombe la tâche de répercuter auprès des
autorités déconcentrées les dispositions contenues dans la
directive Joxe. Dans un télégramme « secret »
en date du 17 mai 1962, il informe les préfets qu' « en
dehors des transferts présentés par le haut-commissariat, et
ayant reçu accord du secrétaire d'Etat aux Rapatriés, vous
devez vous opposer à toute opération de ce
genre »469(*).
Ainsi relayée, la directive au ton comminatoire de
Louis Joxe ne tarde pas à être suivie d'effets. On peut lire, par
exemple, dans Le Figaro du 23 mai 1962 : « Il y a
quelque temps, une soixantaine de harkis arrivés à Marseille
étaient refoulés et renvoyés en Algérie, leurs
papiers n'étant pas en règle. Hier, cinquante-cinq harkis et
leurs familles, venant de la région de Palestro, ont été
également refoulés à leur arrivée à
Marseille. Les uns et les autres, pour échapper à la menace du
FLN, sont envoyés - plus ou moins régulièrement - par les
officiers SAS de leur secteur. Refoulés, ils doivent regagner
l'Algérie jusqu'à
l'autodétermination »470(*).
À cette date, les directives Joxe et Buis sont les
seules connues du grand public (elles ont notamment été
publiées par le journal Combat à la suite
d'indiscrétions dues à des officiers scandalisés471(*)). Elles ne sont pourtant pas
isolées. Pierre Messmer, alors ministre des Armées, a lui aussi
participé de cette stratégie gouvernementale de
containment. Son message du 12 mai 1962 à l'adresse du
Commandant Supérieur en Algérie, diffusée le même
jour que la note de Louis Joxe à l'attention du haut commissaire de la
République en Algérie (voir ci-dessus), ne se distingue ni dans
le ton ni dans le contenu de celui du ministre en charge des Affaires
algériennes :
« Il me revient que plusieurs groupes d'anciens
harkis seraient récemment arrivés en Métropole (...) -
Renseignements recoupés tendent à prouver que ces arrivées
inopinées sont dues à initiatives individuelles certains
officiers S.A.S. - De telles initiatives représentent infractions
caractérisées aux instructions que je vous ai adressées
(...) - Je vous prie d'effectuer sans délai enquête en vue
déterminer départ d'Algérie de ces groupes
incontrôlés et sanctionner officiers qui pourraient en être
à l'origine - En veillant application stricte instructions qui ont fait
l'objet votre note de service n°1013/CSFA/EMI/MOR du 11 avril, informer
vos subordonnés que, à compter du 20 mai, seront refoulés
sur Algérie tous anciens supplétifs qui arriveraient en
Métropole sans autorisation de ma part, accordée après
consultation départements ministériels
intéressés »472(*).
Rétrospectivement, pourtant, Pierre Messmer, affectant
d'avoir oublié ses propres instructions, s'est
désolidarisé de son ancien collègue, Louis Joxe. Ainsi,
dans un récent recueil de souvenirs intitulé Les Blancs s'en
vont, il estime que le message pré-cité de Louis Joxe a
soulevé à l'époque « une juste
indignation »473(*). Bien plus, dans une interview donnée
à l'occasion de la Journée d'hommage national aux harkis du 25
septembre 2001, Pierre Messmer avance avoir sur le moment « contredit
publiquement M. Joxe lorsqu'il a parlé de
sanctions »474(*). Et il ajoute : « Je vous
défie de trouver un officier que j'aurais sanctionné pour avoir
rapatrié des harkis. Pas un harki recueilli n'a été
livré au FLN, tous ont été transportés en France
avec leurs familles. Le document que vous mentionnez concerne seulement
certains officiers des sections administratives spécialisées
(SAS) qui rapatriaient des harkis sans accord de la hiérarchie et sans
qu'aucun accueil n'ait été organisé »475(*). Or, le document
précédemment produit, celui-là même qui a
été mentionné par le journaliste et dont Pierre Messmer
cherche visiblement à minorer la portée, témoigne de ce
que l'attitude du ministre des Armées fut au contraire à
l'unisson de celle du ministre d'État chargé des Affaires
algériennes. Et ce tant pour ce qui a trait au renvoi des
supplétifs « inopinément » parvenus en
métropole que pour ce qui concerne les sanctions à prendre
à l'encontre des officiers à l'origine de ces initiatives "hors
cadres". Nous verrons plus avant que cette difficulté des hauts
responsables de l'époque à assumer leurs actes n'est bien entendu
pas sans conséquences sur la construction rétrospective d'une
image des harkis (ou, plutôt, sur son "élision") au sein des
relais institutionnels de la mémoire (voir la Partie 2).
Dans cette même interview, Pierre Messmer affirme que
« pas un harki recueilli n'a été livré au
FLN [et que] tous ont été transportés en France avec
leur famille ». Cela ne fait guère de doute, en effet, pour
les supplétifs recueillis dans le cadre du "plan général
de rapatriement". Mais pour les autres - ceux qui étaient
expressément visés par les directives pré-citées -
divers témoignages tendent au contraire à établir que les
ordres donnés par l'ancien ministre des Armées ont
été parfois suivis d'effet. L'historien et ancien "soldat perdu"
Pierre Montagnon476(*)
se fait ainsi l'écho d'une des répercussions les plus tragiques
de ce faisceau de directives gouvernementales. Je le cite :
« Une illustration parmi d'autres de ces directives : le maghzen
de la SAS des Beni Bechir, une dizaine de kilomètres au sud de
Philippeville, a réussi à embarquer sur un navire
s'apprêtant à appareiller à destination de la France. La
quarantaine d'hommes qui le compose sait quel salut représente cet
embarquement. Dans peu de temps l'ancre sera levée et ils seront
sauvés. Un capitaine de l'ALN a repéré les harkis. Il leur
ordonne de débarquer, ce que, bien évidemment, ils refusent. Il
alerte alors le corps d'armée de Constantine commandé par le
général Ducournau. Peu après, l'ordre tombe :
«Faites débarquer les harkis des Beni Bechir». Agrippés
au bastingage, à tout ce qui se présente, les malheureux
implorent les soldats français qui, à coups de crosse, les
rejettent vers le quai. «Mais vous voulez notre mort !». Peu
après, tombés entre les mains de l'ALN, ils seront
exécutés sur la place Marquet à quelques centaines de
mètres de ce navire dont l'armée française les avait
chassés »477(*).
Le colonel Bernard Moinet se fait quant à lui
l'écho d'un épisode similaire, qui témoigne du rôle
particulièrement actif de la Sécurité militaire (SM),
affectée en Algérie au contrôle des embarquements. Est
relatée ici la tentative avortée des officiers du
"2/9ème hussards" pour faire embarquer certains de leurs
supplétifs :
« Vers 16 heures, la nouvelle se
déplaça comme une tornade : le régiment devait
embarquer dans deux jours. Les harkis se concertèrent un moment - Mon
lieutenant, tu nous emmènes ? L'officier se retourna, surpris et
gêné. Bien sûr, on les avait acceptés et vaguement
hébergés, mais sans dévoiler officiellement leur
présence. - Moi, je ne peux rien pour vous, il faudrait aller voir le
capitaine... Non... c'est au colonel qu'il faudrait demander, je vais en dire
un mot au capitaine, revenez ce soir. À l'heure dite, ils
n'étaient plus dix mais trente... Le colonel finit par sourire. - Bon,
dites-leur qu'on va s'arranger pour les embarquer demain après-midi.
Mais attention ! Pas de vagues ! Il faudra qu'ils soient
habillés en treillis et calot de tradition pour 15 heures. Faites tout
cela discrètement, Leuridan, très discrètement... Vers 16
heures, pour l'embarquement sur le Ville d'Oran, ils étaient
cinquante. On les dissimula dans les GMC arrimés sur le pont
supérieur... 17 heures, on s'affairait pour le départ. Pas une
bâche, pas une ridelle des GMC ne bougeait. Silencieux, immobiles, les
harkis attendaient le moment où s'ébranlerait enfin la grande
carcasse noire du bateau. C'est alors qu'on vit monter à bord quatre
personnes fort préoccupées : un colonel, un commandant, un
jeune lieutenant et un Arabe en tenue fell. - La SM, souffla Leuridan. -
Merde ! Il ne manquait plus qu'eux, laissa échapper le colonel. -
Mon colonel, vous savez sans doute que vos GMC embarqués ne sont pas
vides ? Le colonel a blêmi. Il s'est fait bel et bien piéger.
Leuridan n'était plus là. Il avait donné l'ordre d'alerter
les harkis et de les faire évacuer vers les cales du navire. Mais il
était désormais impossible de garder les clandestins à
bord. On reviendrait sans doute fouiller le bateau de fond en comble. Les
supplétifs furent débarqués par une échelle
arrière, emmenés par deux vedettes puis cachés dans un
hangar de stockage »478(*).
En métropole, les rappels à l'ordre
gouvernementaux du mois de mai motivent également un changement de ton
des autorités préfectorales, qui passent de l'enregistrement
quasi-anecdotique et "après-coup" des convoyages effectués en
dehors du plan général - « Le voyage, sans
problème, était organisé par ... » - à un
signalement préventif qui s'apparente à une forme de
pistage : « Ce 17 juin, vous signale l'arrivée à
Millau pour demain 5 heures du matin, 29 harkis, 28 femmes et 72 enfants non
compris dans le plan des autorités militaires, ils viennent de
Bougie »479(*). De fait, selon Jean Monneret, « les
responsables du port de Marseille demandaient par radio s'il y avaient des
supplétifs à bord à chaque arrivée de bateau en
provenance d'Algérie »480(*). Et l'article du Figaro du 23 mai 1962,
précédemment cité, témoigne de ce que ces
contrôles sont désormais susceptibles d'aboutir au renvoi en
Algérie des intéressés.
Louis Joxe, dont la charge de ministre d'Etat le place en fait
directement sous l'autorité du Président de la République,
de même que Roger Frey et Pierre Messmer, qui se situent à sa
suite, n'agissent pas en "électrons libres". Lors du Comité des
Affaires algériennes (CAA) du 23 mai 1962, le Chef de l'Etat
lui-même appuie de toute son autorité les instructions
données par ses ministres quelques jours plus tôt et
prescrit : « A. Le Ministre des Armées et le Haut
Commissaire de France en Algérie veilleront à ce que les Sections
administratives spécialisées cessent de prendre des initiatives
au sujet du rapatriement des harkis. (...) B. Des instructions seront
données aux préfets de Métropole pour qu'ils signalent au
Ministère de l'Intérieur et au Secrétariat d'Etat aux
Rapatriés toute arrivée irrégulière de musulmans
dans leur département »481(*).
En dépit de l'hostilité affichée et
agissante des autorités à l'encontre des initiatives "hors
cadres", et au seuil d'une dégradation prévisible des conditions
de vie (voire des possibilités de survie) offertes aux supplétifs
à l'approche de l'indépendance, les initiatives sporadiques du
début trouvent rapidement un semblant d'organisation dans « la
constitution de véritables filières clandestines mobilisant des
réseaux relationnels en marge des réseaux
officiels »482(*). Ainsi, l'Association des Anciens des Affaires
Algériennes (AAAA), placée sous le patronage de l'épouse
du maréchal de Lattre et qui regroupe des officiers SAS, est
créée à cet effet au lendemain de la diffusion des
directives Joxe et Messmer. Son action vient renforcer celle de l'Amicale de la
demi-brigade des fusiliers marins (déclarée le 3 mars 1962), du
Comité national de solidarité pour les Français musulmans
réfugiés, de l'Association des familles et amis des parachutistes
coloniaux, et de diverses associations d'officiers de réserve ou
comités d'aide. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou soulignent que
leur action ne consistait pas seulement à convoyer, d'une manière
ou d'une autre, les supplétifs vers la métropole,
« mais à les accueillir à leur arrivée et
à leur assurer travail et emploi »483(*). Ces opérations de
convoiement vers la métropole, généralement menées
dans le plus grand secret, s'apparentent à un véritable jeu de
cache-cache avec les autorités. À cet égard, le
débarquement en France - de même que l'embarquement en
Algérie - sont les phases les plus délicates, comme en
témoigne cette bénévole de la Croix-Rouge, témoin
et complice d'un jour :
« En juin et juillet 1962, j'étais, avec mon
frère et ma belle-soeur, bénévole de la Croix-Rouge pour
l'accueil des rapatriés. Vers la fin du mois de juin, je signale au
commandant du Ville-d'Oran que je désire m'embarquer pour aider
les rapatriés et pour revoir mon père dont nous n'avions plus de
nouvelles. En pleine discussion avec le commandant, j'aperçois un
capitaine qui me regarde attentivement. Puis, ce capitaine s'approche de moi et
il me dit qu'il a pu embarquer quelques-uns de ses harkis mais qu'il n'est pas
sûr de pouvoir les débarquer. Il me demande si je connais
quelqu'un avec une voiture afin d'emmener le plus discrètement possible
ses harkis - je n'ai jamais su combien il y en avait - du port vers une ferme
des Basses-Alpes. Mon frère avait une voiture mais il était
déjà occupé à amener une famille juive pied-noire
à Sainte-Marguerite. Finalement, un ami se porte candidat. On
réussit à entrer dans le port et on place la voiture près
des larges portes des cuisines et des marchandises. De là, sort un
premier harki, complètement ébloui par la lumière, que je
distingue bien, portant un tout petit baluchon, avant que l'officier ne lui
mette un vêtement sur la tête et les épaules. Combien se
sont engouffrés dans cette voiture, je ne le sais pas, car pour ne pas
attirer l'attention, je suis retournée à mon travail d'aide dans
les hangars de la Joliette. Je n'ai jamais su ce qu'ils étaient
devenus »484(*).
Exceptionnellement, cependant, lorsque l'activation de proches
réseaux de solidarité ne suffit pas à assurer la prise en
charge des supplétifs et de leurs familles - notamment s'ils arrivent en
grand nombre, l'opération peut être
délibérément rendue publique une fois l'embarquement
effectué en Algérie : il s'agit alors autant de mobiliser
les bonnes volontés (pour pourvoir à l'accueil des
réfugiés) que de placer les autorités devant le fait
accompli, en tablant sur la pression exercée par l'opinion publique pour
éviter que ne soit mise à exécution la menace de renvoi en
Algérie. Ainsi en va-t-il, par exemple, de l'"exfiltration" de la harka
de Sidi Ali bou Nab (Kabylie) par l'Association des familles et amis des
parachutistes coloniaux et l'Amicale des anciens de cette commune,
annoncée triomphalement en page 6 du Méridionial du 8
juin 1962, à quelques heures de l'arrivée des
intéressés. Le titre de l'article est à lui seul
éloquent : « Vouée à l'égorgement
après avoir défilé sous l'Arc de triomphe, la harka de
Sidi Ali bou Nab où figurent des soldats des plus décorés
de France est sauvée ! Leur marraine, Mme Françoise
Valentin, en appelle à la fraternité
métropolitaine » 485(*). Suit l'article : « Par un
prochain bateau, aujourd'hui ou demain, vont arriver 60 harkis et moghaznis et
leurs familles, soit 337 personnes dont 157 enfants, 94 femmes et 26 vieillards
avec pour unique bagage leur volonté de rester français et
vivants (...). Fidèles aux engagements, respectueux de leur serment, les
anciens chefs de la SAS de ce village, le lieutenant Mondedeo, MM. De Planta et
Faye sont parvenus à faire leur devoir (...). Ils recherchent d'urgence
de vastes locaux, anciennes colonies de vacances, entrepôts, usines
désaffectées où l'on pourrait abriter 250 à 300
personnes »486(*). Jean Monneret de souligner combien l'attitude de ce
journal était peu représentative de celle de la grande presse
nationale qui, pour reprendre les termes de l'auteur, « fut
réservée au sujet des harkis et n'en parla guère avant le
mois de juillet 1962 [début des massacres] »487(*).
Rétrospectivement, Nicolas d'Andoque, l'un des
fondateurs de l'A.A.A.A., s'est interrogé sur les fondements de
l'hostilité agissante des pouvoirs publics à l'égard de
telles initiatives : « Il fallait se résigner : nous
étions seuls. La reculade de l'administration en cette tragique affaire
me paraît encore aujourd'hui aussi incompréhensible
qu'inadmissible. Où diable étaient les risques ? Quelles
foudres menaçaient une action de pure justice aussi
évidente ? »488(*). En fait, l'intéressé n'était
pas sans savoir qu'au moment où avaient été
édictées les directives Joxe et Messmer, leurs auteurs vivaient
dans la crainte que ces initiatives privées, sous un paravent
humanitaire, n'aient d'autre but que de concourir à la structuration
militaire de l'OAS en métropole.
- L'assimilation des harkis à des recrues
potentielles de l'OAS
Ainsi, Louis Joxe, dans son intervention au Conseil des
ministres du 23 mai 1962, évoque le cas des harkis, « qui
veulent partir en masse ». Il ajoute, sous la forme d'un amalgame
évident avec l'OAS : « Il faut combattre une infiltration
qui, sous prétexte de bienfaisance, aurait pour effet de nous faire
accueillir des éléments indésirables »489(*). Déjà,
évoquant les jeunes pieds-noirs lors du Conseil des ministres du 9 mai,
Louis Joxe avait déclaré : « C'est une mauvaise
graine, une graine de fascisme. Il vaut mieux les laisser
là-bas »490(*). Ces "craintes" ou ces
préventions seront relayées instamment par la grande presse.
Par Le Figaro, d'abord. Dans un éditorial en date du 22 mai
1962, Serge Bromberger avance que « dans un certain nombre de cas
précis [dont l'auteur ne rend pourtant pas compte], l'on tend à
faire entrer en métropole des éléments
déracinés ayant la pratique des armes, et destinés
à servir de moyens d'action à l'OAS »491(*). Puis c'est au
Monde, le lendemain, de se faire l'écho des préventions
gouvernementales. Dans un article intitulé « De l'entraide
à l'utilisation des harkis en métropole », Jean
Planchais suggère, sans plus d'éléments tangibles que son
confrère, que l'« on cherche à susciter à
l'occasion du cas des harkis, une opposition à l'application des Accords
d'Evian, voire à faire venir en Métropole des groupes de
supplétifs pour les mettre au service de l'OAS »492(*). Et il ajoute :
« En définitive, à l'heure actuelle, plusieurs
centaines et non plusieurs milliers, comme il a été dit parfois,
de harkis ont demandé à être envoyés en
Métropole en compagnie de leurs familles »493(*). La curieuse concomitance de
ces "éclairages" (les 22 et 23 mai) laisse penser, à
l'évidence, que les inspirateurs de ces articles relèvent d'une
seule et même source gouvernementale.
Rétrospectivement, de telles extrapolations
apparaissent à bien des égards malavisées. Mais qu'en
était-il sur le moment ? Une chose est sûre : les
« cas précis » évoqués par Serge
Bromberger, pour autant qu'ils aient existé, n'ont jamais
été portés à la connaissance du grand public. Et
rien, dans les travaux des historiens, ne vient témoigner ne serait-ce
que de l'amorce d'une tentative de constitution d'un maquis harkis-OAS en
métropole. Qu'en conclure ? Faut-il croire que ceux qui sont
à l'origine de telles allégations - à commencer par Louis
Joxe - n'aient eu d'autre but, en fait, que de désamorcer l'indignation
naissante suscitée par le strict contingentement des rapatriements
offerts aux anciens supplétifs (indignation attisée, nous
l'avons dit, par la divulgation des directives secrètes Joxe et Buis,
rendues publiques par le journal Combat) ? Pour l'historien Jean
Monneret, cette propension à diaboliser les anciens supplétifs et
ceux qui leur portaient assistance s'inscrivait « dans la malheureuse
logique des choses » : « Pour le gouvernement, la
politique définie à Évian était bonne, et ce qui
venait contrarier la vision optimiste de l'avenir qui en découlait
était vu avec suspicion ou hostilité »494(*). De même, pour Anthony
Clayton, « les excès de l'OAS, autour desquels toute la
publicité nécessaire est faite, permettent de détourner
l'attention du monde sur le sort catastrophique des harkis et des
Français d'Algérie »495(*).
Certes, l'OAS comptait des musulmans dans ses rangs, et
certains de ses éléments européens étaient
d'anciens chefs de harkas. Une tentative d'implantation d'un maquis
« Algérie française » avait même
été contrecarrée dans l'Ouarsenis, qui mêlait harkis
et commandos de l'OAS. Mais cette initiative était restée
isolée et n'avait jamais menacé de faire tâche d'huile.
Elle reposait en grande partie sur la personnalité du bachaga Saïd
Boualam, député de l'Orléanvillois et
vice-président de l'Assemblée nationale, qui avait beaucoup
à craindre du FLN. Une semaine après la conclusion des accords
d'Évian, le bachaga avait accepté d'engager quelques centaines de
harkis des Beni-Boudouane aux côtés d'un détachement de
quatre-vingt hommes venus d'Alger. Il avait posé deux conditions :
1. « que l'OAS se montre capable de provoquer le passage à la
dissidence de plusieurs unités constituées » ; 2.
« que le sang ne coule pas »496(*). Cette opération
commando, ponctuée par l'occupation de trois postes militaires,
revêtit d'abord les apparences d'un succès. Mais la riposte des
autorités fut immédiate et violente, contrairement aux attentes
du bachaga et du colonel Gardes qui espéraient des ralliements :
l'état-major fit donner l'aviation, acculant les commandos OAS à
la dispersion. De leur côté, les harkis des Beni-Boudouane,
après avoir temporairement renseigné et hébergé les
fuyards, choisirent finalement, sur ordre du bachaga Boualam, de rentrer dans
la légalité : le bachaga avait directement
négocié leur reddition contre la promesse d'un prochain
rapatriement. Ce qui fut fait, mais seulement au compte-gouttes. Et pour ceux -
la majorité - qui n'eurent pas la chance d'être rapidement
transférés en métropole, la suite des
événements fut sans surprise. Saïd Boualam :
« Après l'aventure Gardes dans l'Ouarsenis, tous mes harkis,
tous mes hommes avaient été désarmés.
L'armée française se retirant peu à peu, le FLN
était à mes portes (...). Sur les quinze mille personnes de mon
douar, j'ai pu en faire ramener, en me démenant, un millier environ. Les
autres sont là-bas ou ne sont plus »497(*). Selon le capitaine Grenier,
qui commanda la SAS de Lamartine de 1958 à la fin de 1960,
« sur les quelque mille hommes qui composaient la harka du bachaga
Boualam, plus de la moitié ont été mis à mort dans
le douar des Beni-Boudouane »498(*).
Cette tentative avortée d'implantation de maquis
« Algérie française » dans l'Ouarsenis en
préfigurait-elle d'autres, en métropole cette fois ? Rien,
hors les déclarations précitées de Louis Joxe, ne vient
factuellement nourrir de telles allégations. Il n'est pas d'exemple
connu d'initiatives de transfèrement de supplétifs vers la
métropole ourdies par des "desperados" de l'OAS. Et on voit mal comment
les initiatives ponctuelles dues à des officiers SAS ou à
d'anciens chefs de harkas, servies par des filières aux ramifications
diverses, eussent pu constituer le socle d'une nouvelle armée
secrète. Par surcroît, et pour ce qui concerne
spécifiquement les harkis, de telles collusions avec l'OAS eussent perdu
tout leur sens, et certainement toute leur efficacité, une fois les
intéressés repliés en métropole. Dès lors,
assimilant ainsi les rapatriements opérés en dehors des voies
officielles à des entreprises séditieuses plutôt
qu'à des entreprises de sauvegarde, et les supplétifs soucieux de
gagner la métropole à une masse de manoeuvre potentielle de l'OAS
plutôt qu'à des réfugiés, les autorités
ont-elles sincèrement pensé déjouer quelque menée
subversive ? Ou cette attitude visait-elle plus prosaïquement
à éluder les véritables raisons qui, depuis l'hiver
1960-1961, avaient conduit les autorités à planifier le maintien
des supplétifs en Algérie en cas de "sécession" ?
Quoiqu'il en soit de l'épaisseur factuelle de telles
allégations, l'assimilation des harkis à des troupes de choc
potentielles de l'OAS en métropole est symptomatique de la ligne de
conduite effective du gouvernement à l'égard des musulmans
pro-français à cette période, à savoir : une
politique de mise à distance. Il est un fait, nous l'avons dit, que,
durant la phase transitoire qui courre de la conclusion des accords
d'Évian à l'accession à l'indépendance de
l'Algérie, les discours officiels tendent à minorer les dangers
auxquels sont susceptibles d'être exposés les anciens
supplétifs et leurs familles. Dès lors, dans un contexte qu'elles
se refusent à reconnaître comme insécure (du moins
publiquement), les autorités, plutôt que d'appliquer
systématiquement le principe de précaution au
bénéfice de leurs anciens serviteurs d'arme, vont jusqu'à
renverser la charge de la preuve et du soupçon : il appartient aux
ex-supplétifs désireux d'être rapatriés en
métropole d'apporter la "preuve" de l'effectivité des menaces qui
pèsent sur eux. Quant à ceux qui, n'ayant pas souhaité
suspendre leurs possibilités de survie à l'attitude
défiante des autorités, ont choisi de gagner la métropole
par leurs propres moyens (ou via l'entremise de filières
parallèles), ils sont suspectés de vouloir attenter à la
sûreté de l'État, et menacés d'être
renvoyés en Algérie.
Nous l'avons vu, cette attitude suspicieuse trouve dans la
presse quotidienne une utile caisse de résonance. C'est ainsi qu'un mois
après avoir relayé les soupçons de collusion entre harkis
exfiltrés en dehors des voies officielles et OAS, Jean Planchais
récusait avec véhémence dans Le Monde du 21 juin
1962 une déclaration du général Weygand qui, dans Le
Monde du 16 juin, s'était fait l'augure des massacres de
supplétifs : « Il est tout aussi faux d'affirmer,
non sans arrière-pensées politiques, que des milliers de harkis
aient été massacrés depuis le cessez-le-feu et que des
dizaines de milliers d'autres soient menacés »499(*). Commentaire de Jean
Monneret : « Si la première subordonnée
complétive exprimait la réalité, - des milliers de harkis
n'avaient pas encore été massacrés -, il n'en allait pas
de même de la seconde et l'avenir allait bien montrer que le péril
pesant sur des milliers d'hommes et de femmes n'était pas une vue de
l'esprit »500(*).
Pour autant, les premiers transferts officiels de juin 1962
qui, après moult tergiversations, sanctionnaient la mise en place
effective du "plan général de rapatriement" (voir
supra), auguraient-ils d'un assouplissement de l'attitude des
autorités, voire d'une plus grande réactivité ? Bien
au contraire, à compter de cette date, l'attitude du gouvernement n'aura
de cesse de se raidir, témoignant de ce que la frilosité initiale
des autorités était tout sauf accidentelle. De fait, au moment
même où, à l'approche de l'indépendance, la
situation se dégrade visiblement sur le terrain, l'attitude des
autorités change de nature : l'on passe ainsi d'une phase de
minoration des périls et de minimalisation du dispositif de prise en
charge préventive (19 mars - 2 juillet 1962) à une phase de
dénégation pure et simple des représailles effectivement
perpétrées et, corrélativement, d'obstruction
quasi-systématique aux opérations de secours et à
l'accueil des ex-supplétifs dans les casernements en cours de
démantèlement (à partir du 3 juillet).
b.2.2. De la minoration des périls à
la dénégation des persécutions (à partir du 3
juillet 1962)
En l'espace d'un mois, une succession d'échanges de
correspondance, de prises de décisions et de directives donnent le ton
de ce que sera l'attitude des autorités françaises à
l'égard des ex-supplétifs à compter de l'accession
à l'indépendance de l'Algérie (le 3 juillet), et
même dès avant :
- le 21 juin, le Comité des Affaires algériennes
(CAA) décidait que « l'intervention d'initiative ne devra
être envisagée pour assurer la protection de nos Forces et celle
de nos nationaux que dans les cas de légitime défense ou
d'attaque caractérisée »501(*). Autrement dit, les troupes
encore stationnées en Algérie ne sauraient faire usage de la
force qu'en situation de légitime défense donc d'agression
caractérisée à leur encontre ou à l'encontre des
Français d'Algérie, et non pour prêter secours à des
éléments tierces, quand bien même s'agirait-il de musulmans
suppliciés pour leurs engagements passés pour ou aux
côtés de la France. Car, du fait même qu'ils ont
été rendus à la vie civile et automatiquement
déchus de la nationalité française au jour de
l'indépendance, ceux-ci ne sauraient être désormais
considérés ni comme des membres des forces armées ni comme
des « nationaux ». Le 24 août, une note du
général de Brébisson, Commandant Supérieur des
Forces Armées en Algérie, répercutera de manière
plus explicite encore ces instructions et précisera
qu' « il y a lieu de ne procéder en aucun cas à
des opérations de recherche dans les douars de harkis ou de leurs
familles »502(*). A cet égard, les témoignages
rétrospectifs du général Buis503(*), de Pierre Messmer504(*) et Jean-Marcel
Jeanneney505(*)
apportent des éclairages décisifs sur ce que fut, en effet, la
stratégie gouvernementale.
- le 15 juillet, Louis Joxe réitère ses
instructions du 12 mai quant à l'interdiction des rapatriements
initiés en dehors des voies officielles et au
démantèlement des filières concernées.
- le 19 juillet enfin, Pierre Messmer, dans une lettre
à Louis Joxe, considérant que « les moyens mis en
oeuvre [dans le cadre du plan général de rapatriement], tant du
point de vue du personnel que des locaux et du matériel,
représentent pour les armées une somme de charges et d'efforts
considérables qu'il est malaisé de maintenir et qu'il ne peut
être question d'accroître », estimait que
« l'armée est ainsi arrivée à la limite du
concours qu'elle peut accorder »506(*). En conséquence, Pierre Messmer, soucieux de
tarir au plus vite le flux des rapatriements, demandait à Louis Joxe
« une intervention rapide et ferme auprès de notre
représentant en Algérie »507(*). Et, ce, au moment
même où s'amorçait, en Algérie, une première
vague de répression massive à l'encontre des anciens compagnons
d'armes de l'armée française508(*). Un état de fait que Pierre Messmer,
régulièrement informé par ces services, ne pouvait
ignorer. Le bulletin de renseignement mensuel du C.A. d'Alger décrit
ainsi la situation en juin 1962, avant même l'accession à
l'indépendance de l'Algérie : « Le sort des
musulmans engagés à nos côtés est tragique. En
dépit des promesses de pardon du FLN, les enlèvements d'hommes,
de femmes et d'enfants, les exécutions sommaires, mises en quarantaine,
les travaux forcés dans les camps de l'ALN en font des
parias »509(*). C'est pourtant un tableau tout autre que brosse le
ministre des Armées aux fins de justifier sa requête :
« Il semble d'ailleurs que, les intéressés ayant eu
le temps et la possibilité d'apprécier les conditions de leur
reconversion en Algérie, les options pour la Métropole qui
pourraient aujourd'hui se manifester ne devraient être le fait que de
quelques rares individus, pourvu que soit vérifié soigneusement
la justification du départ sollicité et que soient
déjouées toutes manoeuvres, inconscientes ou mal
intentionnées, pour maintenir le courant des
départs »510(*). Ainsi, à l'unisson du destinataire de cette
lettre, Pierre Messmer a été de ceux qui ont alimenté la
rumeur selon laquelle, compte tenu des conditions selon
lui « appréciables » offertes aux
ex-supplétifs dans le bled, nombre de départs auraient
été, à n'en pas douter, « mal
intentionnés » (voir ci-dessus la section :
« L'assimilation des harkis à des recrues potentielles de
l'OAS »). Louis Joxe, en parfaite accointance avec Pierre Messmer sur
ce point, répercute avec diligence la demande du ministre des
Armées et, dès le 23 juillet, écrit en ces termes à
l'ambassadeur de France en Algérie, Jean-Marcel Jeanneney, au sujet de
l' « envoi en France de supplétifs
musulmans » : « Je vous serais obligé de me
tenir étroitement informé des demandes de migration de musulmans
qui vous seraient présentées et de ne mettre personne en route
avant d'avoir reçu les directives du Ministre des Armées ou de
moi-même »511(*).
Ainsi, en l'espace d'un mois à peine, l'on passe d'une
phase de minoration des périls à une phase de
dénégation publique de l'aggravation de la situation sur le
terrain (pourtant parfaitement connue et documentée en hauts
lieux) : il ne s'agit donc plus simplement de contenir dans des limites
aussi ténues que possible ce dispositif de protection préventif
qu'est le plan général de rapatriement (que l'on estime
d'ailleurs avoir été « intégralement
réalisé »512(*)), mais de s'abstenir - autant que possible - de
toute opération de sauvegarde (même passive) en interdisant les
interventions d'initiative d'une part, en invitant les troupes encore
présentes en Algérie à n'offrir qu'exceptionnellement
asile aux musulmans persécutés par le FLN.
À cet égard, les instructions
édictées par le général de Gaulle dans le secret
des débats du Comité des affaires algériennes du 17
juillet 1962 et du Conseil des ministres du 25 juillet, puis du 29 août,
sont le témoignage le plus éclatant de cette "politique de
l'autruche". Lors du Comité des affaires algériennes du 17
juillet, le chef de l'Etat estime que « partout où il n'y a
pas d'Européens, il y a intérêt à ne laisser
personne ». Par suite, lors du Conseil du 25 juillet, en
réponse au ministre des Armées, Pierre Messmer, qui lui fait part
des demandes pressantes des autorités civiles et militaires encore
présentes en Algérie sur la position à tenir quant
à l'accueil et au transfèrement des ex-harkis et des
ex-fonctionnaires musulmans qui viennent trouver refuge dans les casernements
français, le général de Gaulle oppose une fin de
non-recevoir brutale : « On ne peut accepter de replier tous les
musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas
avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique
évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir
que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France,
comme tels, que s'ils couraient des dangers ! »513(*). Quatre ans auparavant,
cependant, le général de Gaulle lui-même - au cours de sa
conférence de presse du 23 octobre 1958 - déclarait :
« A quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays
[l'Algérie] si nous étions assez stupides et assez lâches
pour l'abandonner ! ». Le général de Gaulle est-il
moins bien avisé en 1962 qu'il ne l'était en 1958 ?
L'information existe, pourtant, puisque, outre le bulletin de renseignement
mensuel du C.A. d'Alger du mois de juin (voir ci-dessus), les fiches du
Deuxième Bureau rendent instantanément compte, en juillet 1962,
de la brutale aggravation de la situation. « En juillet, observe Jean
Monneret, les fiches du Deuxième Bureau concernant les harkis se
multiplient et prennent rapidement une forme torrentielle. Certains des
renseignements fournis ne sont pas recoupés mais d'autres sont
d'excellente qualité, et portent les codes B3 ou A1. C'est le cas du
bulletin du 28 août qui indique que l'ALN a ordonné de rafler tous
les harkis et leurs enfants de plus de 12 ans, dans le Constantinois. Ils sont
dirigés vers le barrage et employés au
déminage ». Jean Monneret ajoute : « Les
dossiers consultés renferment une véritable litanie de
récits de torture, viols, sévices et cruautés diverses.
Tous mentionnent que les ex-supplétifs sont dépouillés de
leur argent et de leurs biens. La liste des lieux d'internement et
d'exécution est extrêmement dense et basée sur des
informations A1 ou B2. (...) Les harkis ne sont pas seuls visés,
d'anciens élus le sont également514(*) qui vont durement payer leur
participation aux consultations de naguère où ils ont
bravé les consignes du FLN »515(*).
Pourtant, lors du Conseil des ministres du 29 août, le
chef de l'Etat, s'il reconnaît cette fois - à demi-mot - la
gravité de la situation, persiste dans la ligne de conduite qui est la
sienne et qu'il veut être celle du gouvernement : « Il
faut bien admettre que l'Algérie vit actuellement dans la confusion.
Mais il est de notre devoir de faire comme si elle devait s'en
sortir »516(*). Déjà, nous l'avons vu, au cours du
Comité des affaires algériennes du 16 mai 1962, le chef de l'Etat
avait clairement tracé la voie : « La France ne doit plus
avoir aucune responsabilité dans le maintien de l'ordre après
l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités
algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens
s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles
autorités »517(*).
Ainsi, à compter du jour de l'indépendance, la
"politique de l'autruche" prend logiquement la suite des discours qu'avait
inspiré la "méthode Coué" au cours de la phase initiale de
minoration des périls (voir supra). Sur le terrain, pourtant,
la dégradation de la situation sécuritaire est telle que l'afflux
de réfugiés dans les camps de regroupement de l'armée
française, loin de se tarir, aboutit à une situation
d'étranglement incontrôlable en dépit des instructions
gouvernementales. Cette situation motive d'ailleurs des messages en cascade de
la part du nouveau Commandant supérieur en Algérie, le
général de Brébisson, au début du mois d'août
1962. Le 4, il adresse au ministre des Armées, Pierre Messmer, le
message suivant (n°1820/CSFAFA/EMI/MOR) : « Epuration
menée par les populations et l'ALN envers ex-supplétifs se
poursuit avec une violence accrue. De ce fait 2.300 personnes ont
demandé asile et ont été recueillies. Situation
pitoyable anciens compagnons d'armes menacés émeut à juste
titre cadres et troupes. Honneurs vous demander instamment autoriser
embarquement vers Métropole ex-supplétifs menacés, tant
que pouvoir central algérien se révélera incapable faire
cesser violences à leur égard »518(*). Ce message, en
décalage total avec celui du ministre des Armées quant à
l'analyse de la situation sécuritaire (voir ci-dessus), ne pouvait que
susciter une réaction attentiste de sa part. Le directeur de cabinet du
ministre répond en ces termes, le 6 août (n°04433
MA/CM) : « En raison sujétions nées du retour des
unités d'Algérie et de l'accueil des réfugiés, les
possibilités d'accueil de nos camps sont provisoirement
épuisées. Prendre les dispositions nécessaires pour
assurer localement sécurité et hébergement
ex-supplétifs menacés »519(*). Quelques jours plus tard,
le 11 août, le général de Brébisson, qui craint
d'être débordé, insiste (n°1858/CSFA/EMI/MOR) :
« Du fait poursuite épuration violente, nombre de personnes
recueillies en accroissement quotidien. Cette situation devient de plus en plus
préoccupante. Honneur renouveler demande autorisation embarquer vers
Métropole ex-supplétifs menacés »520(*).
L'on ignore quand intervint la réponse du ministre des
Armées, mais la teneur en transparaît clairement dans cette
nouvelle note du général de Brébisson, en date du 24
août (au plus fort de la première grande vague de
représailles), qui passe soudainement d'une optique alarmiste et
volontariste à une optique restrictive et non-interventionniste :
« Le Général Commandant Supérieur a entrepris de
nombreuses démarches pour obtenir le transfert en France des harkis
actuellement en danger. La principale difficulté qui s'oppose à
ce transfert est l'impossibilité de donner du travail en France aux
ex-harkis et moghaznis rassemblés dans les camps. Toutes les tentatives
faites ont été extrêmement décevantes. Il semble que
la plupart des Algériens ainsi déplacés hors de leur pays
soient inadaptables. Il est possible que les efforts faits par l'Ambassade et
le Commandement pour obtenir le transport en France des quelque 4.000 personnes
actuellement dans les camps et les unités d'Algérie aboutissent
à bref délai (...). On peut penser qu'après cet afflux, il
n'y aura plus que des cas isolés. Une fois opéré, s'il est
décidé, le transfert de ces 4.000 Algériens, le
Gouvernement ne sera plus en mesure d'absorber en France d'autres
réfugiés de cette catégorie. Il est donc essentiel
d'orienter les Commandants de Divisions de façon qu'ils préparent
leurs cadres à cesser de donner asile à des Algériens,
sauf dans des cas très exceptionnels ». Par surcroît,
nous l'avons dit, cette note répercute avec zèle les instructions
du Comité des affaires algériennes du 21 juin et précise
qu' « il y a lieu de ne procéder en aucun cas à
des opérations de recherche dans les douars de harkis ou de leurs
familles »521(*).
Ce n'est qu'un mois plus tard, à l'issue de la
première grande vague de représailles (qui s'est
étalée de la mi-juillet à la mi-septembre 1962) et au
seuil de la seconde (à compter de la mi-octobre), que survinrent les
premières protestations françaises en Algérie, et que fut
décidé un assouplissement relatif (et très provisoire,
nous allons le voir) de la politique de transfèrement vers la France des
ex-supplétifs. Le 19 septembre 1962, l'ambassadeur de France,
Jean-Marcel Jeanneney évoque, dans un courrier qu'il adresse à
Abderrahmane Farès, président (à bien des égards
fantoche) de l'Exécutif provisoire, « le cas
particulièrement douloureux de ces hommes et de leurs familles.
Près de deux mois se sont écoulés et l'on est
obligé de constater que les violences n'ont pas cessé. Il ne se
passe pas de jour que l'on ne relève en différents points du
territoire algérien des arrestations, des tortures, des
exécutions. (...) Ils [les ex-supplétifs] subissent, suivant des
témoignages dont cette ambassade n'est pas la seule à avoir
connaissance, des traitements particulièrement odieux. A aucun moment le
gouvernement algérien n'a formellement désavoué ces
violences, ni donné aux autorités responsables des directives
précises dans le sens de l'apaisement »522(*). Le même jour, le
Premier ministre, Georges Pompidou, informe le ministre des Armées
qu' « [il] estime nécessaire, à la suite des
demandes qui ont été présentées par le
Général Commandant Supérieur en Algérie, ainsi que
par notre Ambassadeur, d'assurer le transfert des anciens supplétifs qui
sont venus chercher refuge auprès des Forces Françaises, sous la
menace de représailles de leurs compatriotes »523(*).
Ces inflexions tardivement et provisoirement
données à la politique initiale n'en marquent en fait qu'un
assouplissement très relatif puisque, dans le même temps, les
autorités françaises, plutôt que d'ouvrir largement les
centres aux familles persécutées, s'évertuent encore et
toujours à en contingenter l'accès ainsi que le flux des
rapatriements : il s'agit simplement d'évacuer les
ex-supplétifs et membres de leurs familles déjà
regroupés dans les centres d'hébergement, non d'ouvrir plus
largement ces centres et d'intensifier, à l'avenir, le flux des
rapatriements. Bien au contraire, une note du général Valentin du
17 octobre 1962 (n°2280/CSFAFA/EMI/CEM) ordonne aux responsables de ces
centres de se conformer strictement à la lettre des instructions
précédemment diffusées : « Les
différents centres d'hébergement d'Algérie rassemblent
actuellement 6.200 musulmans menacés et membres de leurs familles. Ce
nombre aurait tendance à s'accroître de 20 par jour. Le
général commandant supérieur a pourtant donné des
ordres précis pour que cet asile ne soit accordé qu'aux cas
exceptionnels. (...) Dès maintenant le général commandant
supérieur est obligé, contre son gré, de prendre des
mesures pour stopper cet exode régulier vers les centres
d'hébergement. (...) Cette prise de position aura une certaine
répercussion sur le moral des petits échelons au contact avec des
situations souvent dramatiques »524(*). Trois jours plus tard, à la suite de sa note
du 24 août (voir ci-dessus), le général de Brébisson
lui-même réitère ses instructions dans une nouvelle note,
plus restrictive encore, en date du 20 octobre 1962 et adressée du
vice-amiral de Querville :
« Note personnelle du commandant supérieur
des Forces Françaises en Algérie à Monsieur le Vice-Amiral
d'Escadre Commandant Supérieur de la base de Mers-el-Kébir
Objet : protection des ex-supplétifs et personnes
ayant aidé les Forces Françaises
Référence : ma note n°1920
CSFAFA/EMI/MOR du 24 août 1962
1. Dans ma note citée en référence, j'ai
attiré votre attention sur les difficultés
présentées par l'arrivée, en France, des
ex-supplétifs et personnes ayant aidé les Forces
françaises, et je vous demande d'inciter à n'accorder asile que
dans des cas exceptionnels. Malgré cette mise en garde, le nombre de
Musulmans hébergés dans nos camps d'Algérie
s'accroît régulièrement. Il dépasse actuellement
6.000 malgré les 1.300 départs en France au cours des mois de
septembre et d'octobre.
2. Le Ministre m'a, d'autre part, fait savoir que la
possibilité d'absorption de la Métropole en hiver serait,
après ces premiers départs, largement saturée. Comme de
plus, il est à craindre que le gouvernement algérien, dont
l'autorité du pouvoir central se confirme, prenne rapidement ombrage de
nos centres largement ouverts à ses opposants, il est nécessaire
que le courant des Musulmans menacés qui alimente
régulièrement nos camps, à raison de 20 par jour, soit
interrompu.
3. En effet, la situation économique en Algérie
risque d'inciter les Musulmans à venir chercher dans nos centres, puis
ensuite en Métropole, l'alimentation et les ressources
financières qui leur font particulièrement défaut.
De plus, la situation politique algérienne est
suffisamment fluide pour que tout supplétif puisse s'estimer plus ou
moins menacé et envisage facilement un exode vers la France.
4. Vous voudrez bien en conséquence :
- faire vérifier que le personnel actuellement dans les
camps correspond bien aux catégories prévues pour recevoir notre
aide (voir à ce sujet télégramme 1881 du 16 août et
note de service 2152 du 20 octobre) ;
- suspendre dès maintenant toute nouvelle admission
dans les camps. Les cas reconnus exceptionnels par les commandants de division
me seront soumis pour décision ; en attendant celle-ci, l'accueil
devra conserver un caractère provisoire. Les éléments
d'appréciation me seront transmis par messages postalisés.
Signé : De Brébisson525(*)
Suspects, sans doute, de ne pas avoir assez fait montre de
leur esprit de sacrifice527(*) pour en plus avoir l'outrecuidance de s'inviter dans
la cuisine des Français, les harkis menacés et
persécutés qui viennent chercher refuge auprès de leurs
anciens compagnons d'armes sont ainsi avilis au rang de "pique-assiette" par le
Commandant Supérieur des Forces Armées en Algérie. Il
apparaît du reste à nouveau clairement dans ce message
(« il est à craindre que le gouvernement algérien,
dont l'autorité du pouvoir central se confirme, prenne rapidement
ombrage de nos centres largement ouverts à ses
opposants ») que la poursuite de la "coopération" avec
les nouvelles autorités algériennes - ô combien vaine dans
l'ensemble, et à sens unique528(*) - prévalait sur la préservation des
vies de ceux qui, censément, étaient protégés dans
leur intégrité physique et morale par la clause de
non-représailles contenue dans les accords d'Evian.
Trois jours plus tard, le Cabinet du ministre des
Armées, dans un message en date du 23 octobre 1962 adressé au
Commandement supérieur en Algérie (n°5945/MA/CM),
insiste à nouveau sur l'impérieuse nécessité
de tarir au plus vite le flux des hébergements et des
rapatriements : « Transfert reliquat musulmans regroupés
sous protection armée sera effectué à partir 10 novembre.
(...) Capacités absorption camps devant être atteintes
après transfert ces personnels estimés à 6.500, aucune
promesse de transfert en métropole ne devra plus être faite
à musulmans qui demanderont protection armée
française »529(*).
Or, cette cascade de rappels à l'ordre intervient au
moment même où s'amorce la deuxième grande vague de
représailles en Algérie530(*). Des fiches préparatoires à la
réunion du Comité des Affaires algériennes (CAA) du 16
novembre 1962 font ainsi état de « plusieurs milliers
d'anciens supplétifs détenus dans des camps (aveu des
Algériens au C.I.C.R.) (...). Nombre d'entre eux ont succombé
à d'horribles violences (...). L'engagement de non-représailles a
donc été ouvertement violé (...) »531(*). Les membres du
Comité (dont le général de Gaulle) prennent-ils
connaissance de ces documents établis à leur intention ?
Dans l'affirmative, choisissent-ils de n'en pas tenir compte ? Il faut
croire que oui puisque, à l'issue de cette réunion, le chef de
l'Etat ordonne au Premier ministre de « [mettre au point] avec les
ministres concernés les mesures propres à organiser et limiter
dans les plus brefs délais l'immigration algérienne en
France »532(*). Du reste, ainsi que le signale Maurice Faivre, qui
a eu accès aux procès-verbaux de ces réunions, le sort des
supplétifs n'a plus été évoqué par le CAA
depuis la réunion du 21 juin 1962, et ne le sera plus jamais
jusqu'à sa dissolution533(*). Début 1963, c'est encore et toujours
l'indifférenciation et le déni de la situation sécuritaire
qui prévalent dans les propos du général, s'exprimant dans
le cadre d'une audience privée accordée à Alain
Peyrefitte, son ministre de l'Information : « Nous ne devons pas
nous laisser envahir par la main-d'oeuvre algérienne, qu'elle se fasse
passer ou non pour des harkis ! Si nous n'y prenons garde, tous les
Algériens viendraient s'installer en France »534(*). Des propos parfaitement
dans la ligne et dans l'esprit de la note Brébisson du 20 octobre 1962,
précédemment citée, considérant que la situation
était « suffisamment fluide » en Algérie pour
qu'il fût possible de considérer que tout ou partie des musulmans
qui se pressaient aux portes des centres de regroupement de l'armée
française ne fussent en fait, plutôt que des
réfugiés politiques gravement menacés, des opportunistes
en quête d' « alimentation et de ressources
financières ».
Dans une note adressée au ministre des Armées
(n°0211/CSFAFA/EMI/BIEM), le général de Brébisson
signale la persistance, au printemps 1963, de brimades, sévices et
assassinats qui acculent les anciens supplétifs et membres de leurs
familles à demander asile aux militaires français :
« Des sévices et des meurtres sont encore signalés. Il
importe de noter que dans beaucoup de régions d'Algérie les
harkis et leurs familles ne peuvent bénéficier d'une vie normale
et qu'à la moindre occasion, la possibilité de gagner leur pain
leur est déniée. Le gouvernement algérien n'est pas
inconscient de ce problème : dans certains cas, malheureusement peu
fréquents, il a pris des mesures pour faire cesser les violences, mais,
la plupart du temps, il a encouragé ou laissé faire. (...)
Périodiquement, donc, des supplétifs qui avaient tenté
leur chance en restant en Algérie viennent demander asile, et nous
prouvent par les marques qu'ils portent sur leur corps que leurs demandes sont
justifiées »535(*). Ceci, pourtant, n'empêche pas le
général de Brébisson, en ce même printemps 1963, de
continuer à adopter une posture "tatillonne" à l'encontre des
anciens supplétifs, allant dans le sens d'un strict contingentement du
flux des rapatriements. Dans une lettre adressée au ministre des
Armées en date du 29 mai 1963, le général de
Brébisson indique avoir prescrit « que les enquêtes
soient menées avec soin par la sécurité militaire et par
nos divisions et brigades. Tous les cas de rapatriement devront [lui]
être soumis et la décision sera prise à [son]
échelon »536(*).
D'après Charles-Robert Ageron, Ben Bella
dénonça quelque temps après, le 4 juin 1963,
« des actes criminels commis contre des harkis et annonça,
dans un grand discours public, que les assassins seraient
exécutés ». Charles-Robert Ageron ajoute
cependant : « Mais cela ne fut jamais suivi
d'effet »537(*). De fait, après cette date, les assassinats
se poursuivirent en Algérie (et en métropole), sans même
parler des vexations en tous genres affectant ouvertement les
intéressés et leurs proches. Du reste, plusieurs milliers d'entre
eux demeuraient prisonniers dans des camps, et leur libération -
échelonnée sur plusieurs années (au moins jusqu'en 1967
pour les derniers survivants) - n'intervint qu'au compte-gouttes.
Pour autant, le général de Gaulle, lors de sa
première rencontre post-indépendance avec le président de
la République algérienne, Ahmed Ben Bella, le 13 mars 1964 au
château de Champs-sur-Marne, plutôt que de saisir cette
opportunité pour protester contre le sort fait aux harkis en
Algérie, lui répétera bien plutôt, et presque mot
pour mot, les propos tenus un an plus tôt à Alain Peyrefitte,
propos qui, pour les harkis, sonnent comme une fin de non-recevoir (dans tous
les sens du terme) :
« Et puis, cessez de nous envoyer des travailleurs
migrants, qui essaient encore de se faire passer pour des harkis. Nous
n'en avons que trop. Vous avez voulu l'indépendance, vous l'avez. Ce
n'est pas à nous d'en supporter les conséquences. Vous êtes
devenus un pays étranger. Tous les Algériens disposaient d'un an
pour opter pour la nationalité française. Ce délai est
largement passé. Nous n'en admettrons plus. Débrouillez-vous pour
les faire vivre sur votre sol »538(*).
Dans son livre Le drame des harkis, le colonel
Abdel-Aziz Méliani rapporte ce constat du sous-préfet Jean-Marie
Robert, qui fut en poste à Akbou avant l'indépendance et qui, par
un rapport, avait cherché à alerter l'opinion sur
l'évolution de la situation dans ce secteur (et plus
généralement en Algérie) après
l'indépendance : « Les faits montrent que le rapatriement ne
fut jamais convenablement préparé, ni planifié, même
lorsqu'il n'y eut aucun doute sur les menaces qui pesaient effectivement sur
les centaines de milliers de musulmans fidèles à la France. Il y
a pire, alors qu'il était évident et visible, notamment
après juillet 1962, que des dizaines de milliers de musulmans loyalistes
étaient déportés pour être liquidés, les
autorités françaises n'entreprirent aucune opération
humanitaire de sauvetage bien que l'armée disposait sur place de tous
les moyens en hommes et en matériel »539(*). A cet égard, nous
l'avons vu, Pierre Messmer et le général Buis insistent
rétrospectivement sur le souci qui était alors celui du
gouvernement de ne pas raviver les tensions entre l'armée
française et le FLN. Mais n'était-ce pas donner là un sens
très limitatif à la notion de "pacification" dès lors que,
dans le même temps, la partie algérienne violait
systématiquement la clause de non-représailles contenue dans les
accords d'Evian ?
En fait, ce qui transparaît clairement au terme de cette
section, c'est le primat de la cessation des hostilités militaires et du
transfert de souveraineté (ce que le général de Gaulle
appelait le « dégagement ») sur les garanties
offertes au respect des dispositions liées à la
sécurité des personnes et des biens. Très clairement, la
politique de passation des pouvoirs alors visée et entreprise
n'accordait, en dépit des assurances gouvernementales et de la lettre
des accords d'Evian, qu'une place contingente au retour de la concorde civile.
C'est bien le sens, en effet, des propos rapportés par Alain Peyrefitte
- et déjà cités - du chef de l'Etat, le 16 mai 1962, dans
le secret des délibérations du Comité des affaires
algériennes : « La France ne doit plus avoir aucune
responsabilité dans le maintien de l'ordre après
l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités
algériennes. Mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens
s'entre-massacrent, ce sera l'affaire des nouvelles
autorités »540(*). Ainsi, le primat du "dégagement" appelait
nécessairement une "mise à distance" de ceux qui, de
manière prévisible, seraient la proie de violentes
représailles et dont la protection, pensait-on, eût risqué
d'alourdir voire de compromettre la tâche des autorités
françaises au moment de la passation des pouvoirs. Un an plus tard, au
cours du Conseil des ministres du 9 octobre 1963, le chef de l'Etat - loin de
s'émouvoir de la tournure des événements en Algérie
- se félicitera à nouveau d'avoir arbitré en faveur des
intérêts "stratégiques" de la France (le pétrole, le
nucléaire) plutôt qu'en faveur de la pacification des esprits en
général, des intérêts de ses ressortissants et amis
d'outre-Méditerranée en particulier :
« Le pétrole est important,
matériellement et financièrement. Il ne faut pas nous laisser
faire. Notre aide en dépendra. N'attachez donc pas une importance
extrême à l'Algérie, qui n'en a plus ! Nous avons
voulu nous dégager. Nous voilà dégagés. Les
Algériens ne le sont pas, les malheureux ! Ils ne sont pas sortis
de l'auberge. Nous, si, heureusement »541(*).
Puis, à l'issue du Conseil, à l'attention
d'Alain Peyrefitte :
« Tout ça était inévitable.
L'essentiel, c'est que c'est eux qui ont dû faire face à la
rébellion des Kabyles, au maintien de l'ordre, à la
cohésion nationale. S'ils s'entre-tuent, ce n'est plus notre affaire.
Nous en sommes dé-bar-ras-sés, vous
m'entendez ? » (c'est l'auteur qui souligne).
Précisément, par-delà la mise au jour des
directives et la mise à plat des responsabilités
afférentes à la mise en oeuvre de cette politique de "mise
à distance", ce qui, aujourd'hui encore, interroge, voire suscite la
polémique542(*),
ce sont les motivations et ressorts profonds d'un tel arbitrage. A une
époque - la nôtre - où, de manière grandissante,
l'intervention militaire se justifie par le risque humanitaire (le fameux
« devoir d'ingérence »543(*)), l'attitude inverse ou
symétrique - à savoir le refus de l'intervention humanitaire au
nom du risque militaire - peut étonner, surtout s'agissant non de
parfaits étrangers mais d'ex-compatriotes et compagnons d'armes. Cela
peut-il s'expliquer - comme nous avons commencé de le voir
(« soldats de pacotille » jouant le « double
jeu », « magma qui n'a servi à rien ») -
par l'image que le général de Gaulle et ses hauts collaborateurs
s'étaient formée des intéressés ? Et dans
quelle mesure cette image a-t-elle influé sur la stratégie de
"mise à distance" précédemment
détaillée ? En outre, quelle a été la part de
l'incroyance gouvernementale - et gaullienne en particulier - quant à la
possible coexistence et, plus encore, quant à la possible
intégration des communautés musulmane et européenne dans
un cadre français, en Algérie mais aussi en France ? Nous
verrons que l'une et l'autre de ces dimensions - l'image des harkis en tant que
(moitiés de) soldats, et l'image des harkis en tant que populations
allogènes inassimilables - constituent, à n'en pas douter, deux
déterminants majeurs de la "frilosité" des autorités au
moment d'envisager l'avenir des ex-supplétifs et de mettre en place le
"plan général de rapatriement".
Certes, tout n'est pas réductible à la
volonté d'un homme et de son proche entourage, quand bien même
seraient-ils aux commandes de l'Etat. Mais dans l'affaire algérienne, il
convient de rappeler combien la personnalité et l'aura du
général de Gaulle ont été déterminantes, de
même que son oeuvre institutionnelle de renforcement de
l'exécutif, l'autorisant en quelques mois à impulser des
inflexions décisives à la politique algérienne de la
France, là où ses prédécesseurs avaient
échoué à dégager des majorités claires et
à oeuvrer dans la continuité. Il se trouve que l'on connaît
assez bien, par différentes sources (dont certaines au plus près
de l'intéressé ; cf. Alain Peyrefitte), la nature de la
considération portée par le général de Gaulle aux
troupes supplétives en tant que telles, mais encore son opinion quant
à la possibilité et à la désirabilité d'une
coexistence des communautés musulmane et européenne dans un cadre
français (en Algérie mais aussi en France). L'une et l'autre
éclairent utilement la compréhension des tenants et des
aboutissants de la politique gouvernementale à l'égard des
musulmans pro-français (et des supplétifs en particuliers)
à l'heure où fut décidé le désengagement de
la France en Algérie.
c) L'autre figure du Père, ou la place
accessoire des musulmans pro-français dans le dessein gaullien
c.1 Sur la considération portée par
le chef de l'État aux troupes supplétives et sur son attitude
quant à l'évolution de leurs effectifs
Sur la fiche « De Gaulle et
l'Algérie » publiée sur le site Internet de l'Institut
Charles de Gaulle, on peut lire que les harkis auraient été
recrutés « contrairement aux instructions du
Général »544(*). C'est là, nous le verrons, un raccourci
rétrospectivement commode mais inexact. Et doublement instructif :
1. parce qu'il semble témoigner sinon de la gêne, tout au moins de
la volonté de ceux qui se font les "gardiens" de la mémoire
gaullienne de désamorcer toute polémique liée à la
destinée des ex-supplétifs de l'armée
française ; 2. parce qu'il témoigne indirectement de la
faible considération - jamais exprimée publiquement cependant -
portée par l'intéressé aux dits supplétifs.
L'affirmation selon laquelle les harkis et autres
supplétifs auraient été recrutés
« contrairement aux instructions du Général »
est un raccourci commode mais inexact, avons-nous dit. S'il a parfois
laissé entendre, sans y insister, qu'il était
préférable de contenir la croissance des effectifs (sinon pour
s'en servir comme variable d'ajustement avec les effectifs d'appelés ou
de rappelés545(*)), ou encore de les employer à des
tâches statiques546(*), le général de Gaulle ne s'est par
contre jamais opposé au principe même du recrutement de
supplétifs musulmans. Il s'est du reste finalement toujours rendu aux
arguments de ses généraux - et notamment du général
Challe, au point, d'une part, de ratifier le doublement des effectifs de harkis
(qui passent de 30.000 à 60.000 unités) et, d'autre part, de se
servir de cette présence massive d'auxiliaires musulmans aux
côtés de l'armée française comme d'un argument
publicitaire dans plusieurs de ses discours publics. Dans une conférence
de presse du 25 mars 1959, le général de Gaulle, évoquant
l'évolution de la situation en Algérie depuis son retour au
pouvoir, s'exclame : « Et pour combien faut-il compter le nombre
et l'importance des rapports humains qui vont se multipliant entre la France et
l'Algérie et dans lesquels l'Armée où servent 110.000
musulmans joue un rôle capital ». Dans son
célèbre discours sur l'autodétermination, encore, le 16
septembre 1959 : « Notre Armée accomplit sa mission
courageusement et habilement en combattant l'adversaire et en entretenant avec
la population des contacts larges et profonds qui n'avaient jamais
été pris. Que nos soldats, et en particulier les 120.000 qui sont
musulmans, aient fléchi devant leur devoir, ou bien que la masse
algérienne se soit tournée contre la France, alors c'était
le désastre ! ». Dans son discours du 10 novembre 1959,
surtout, de Gaulle se félicite des effectifs pléthoriques des
musulmans pro-français, et loue leur fidélité, chiffres
à l'appui : « La rébellion parvient-elle à
empêcher les musulmans algériens de servir dans les Forces de
l'Ordre ? Voici : en janvier 1957, il y avait comme effectifs
musulmans dans nos forces 43.400 hommes, tant appelés au titre du
contingent qu'engagés volontaires ou supplétifs armés. Il
y a, actuellement, 182.000 hommes dont 129.000 servent dans les troupes
régulières et 53.000 sont des auxiliaires armés
[NDA : c'était l'inverse, en fait]. Ce quadruplement des effectifs
musulmans a-t-il augmenté la proportion des désertions ? Pas
du tout et au contraire. Il y avait, en moyenne, en 1957, tous les mois, pour
1.000 musulmans, 4,5 pour mille de déserteurs. Il y en a, actuellement,
chaque mois, moins de 1,4 pour mille ». Et de fait, les effectifs de
supplétifs (toutes catégories confondues), loin de
décroître après l'arrivée au pouvoir du
général de Gaulle, vont atteindre leur maximum historique plus de
deux années après son arrivée au pouvoir, à l'hiver
1960-1961.
Pour autant, nous savons par différentes sources que le
général de Gaulle semble n'avoir jamais fait grand cas de ces
combattants, quand bien même aurait-il publiquement déclaré
le contraire. En privé, il ne cachait pas son scepticisme, voire un
certain mépris à l'égard de soldats trop peu
conventionnels à son goût. Les déclarations -
déjà citées - sur les « soldats de
pacotille » ou le « magma qui n'a servi à
rien » sont édifiantes à cet égard (voir
supra). De même que les déclarations
rétrospectives du général Buis - alors colonel et chef du
cabinet militaire du haut-commissaire de la République pendant la
période de passation des pouvoirs - alléguant que,
« dans leur majorité », les harkis avaient
joué un « double jeu ». Nous n'y reviendrons pas,
sinon pour y ajouter cette déclaration récente de Pierre Messmer,
ministre des Armées du général de Gaulle, soulignant que
« [celui-ci], il est vrai, n'a pas eu pour les harkis beaucoup de
considération, ni de commisération »547(*).
c.2 Sur le scepticisme du chef de l'État
quant à la possible coexistence et, plus encore, quant à la
possible intégration des communautés européenne et
musulmane dans un cadre français
« Sans doute était-il normalement
prévu par le gouvernement qu'une grande partie de la colonie
française [entendre européenne] envisagerait le
rapatriement », écrit de Gaulle dans ses Mémoires
d'espoir548(*).
Mais il ne touche mot des Français-musulmans qui, à des titres
divers, servirent le drapeau français entre 1954 et 1962 et qui, du
même coup, se trouvèrent irrémédiablement compromis
aux yeux des nouvelles autorités algériennes. Or, par-delà
l'image - somme toute médiocre - qu'il s'était formée des
supplétifs en tant que soldats (voir la section
précédente), et aux dires mêmes de certains de ses plus
proches collaborateurs, le général semble n'avoir jamais vraiment
cru à la possible coexistence des communautés européenne
et musulmane dans un cadre français (en Algérie ou en
métropole), ni appelé de ses voeux un plus grand brassage des
origines sous l'égide de la Nation française. Dans son
livre-témoignage C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte
rapporte les confidences que le général de Gaulle lui aurait
faites, à l'occasion des audiences particulières auxquelles il
était régulièrement convié, au sujet de
l'intégration des Français-musulmans. Dans un entretien
privé qu'il accorde à Alain Peyrefitte, le 5 mars 1959, le
général de Gaulle répond à celui-ci, qui lui
demande pourquoi il n'a jamais utilisé le terme
"intégration" :
« Parce qu'on a voulu me l'imposer, et parce qu'on
veut faire croire que c'est une panacée. Il ne faut pas se payer de
mots ! C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des
Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France
est ouverte et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition
qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la
France. Nous sommes quand même avant tout un peuplement
européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion
chrétienne. Qu'on ne se raconte pas d'histoires ! Les
musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez bien
regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien
que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent
l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont
très savants (il doit penser à Soustelle). Essayez
d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un
moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les
Français sont des Français. Vous croyez que le corps
français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront
vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions
l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie
étaient considérés comme Français, comment les
empêcher de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de
vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne
s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais
Colombey-les-Deux-Mosquées ! »549(*).
Quelques mois plus tard, le 20 octobre 1959 l'Elysée,
et toujours dans le cadre d'un entretien privé accordé à
Alain Peyrefitte, il reprend cette antienne de l'invasion et de la perte de
souveraineté : « Avez-vous songé que les Arabes se
multiplieront par cinq puis par dix, pendant que la population française
restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, puis quatre cents
députés arabes à Paris ? Vous voyez un
président arabe à l'Elysée ? »550(*).
Déjà, le 5 mars 1958, peu avant son
arrivée au pouvoir, le général de Gaulle avait fait part
de considérations analogues à Albert Camus, avec qui il avait
été mis en présence. Dans une lettre à sa femme,
Francine, Camus explique qu'ayant évoqué l'attribution de la
citoyenneté à tous les Algériens, il s'est attiré
cette réponse du général : « Oui, et nous
aurions cinquante bougnoules à la Chambre ! »551(*).
Le général, qui instaurera pourtant le suffrage
universel en Algérie quelques mois plus tard, mais sachant sans doute
déjà - au vu des arguments développés sur le "fond"
- que cela ne pouvait être que transitoire, ne déviera jamais dans
son argumentation, se refusant toujours à employer le mot
intégration (voir ci-dessus), et justifiant après-coup sa
politique de « dégagement » selon une ligne de
justification qui, pour être gardée confidentielle et parce
que gardée confidentielle, restera continûment identique
à elle-même (à l'inverse de ses louvoiements publics).
Ainsi, après le Conseil des ministres du 4 juillet 1962, tirant les
conclusions - en la seule présence d'Alain Peyrefitte - du transfert
effectif de souveraineté, la veille, en Algérie :
« Avec le recul, on comprendra que ce cancer allait nous emporter. On
reconnaîtra que «l'intégration», la faculté
donnée à dix millions d'Arabes, qui deviendraient vingt, puis
quarante, de s'installer en France comme chez eux, c'était la fin de la
France »552(*).
Ce "différentialisme" vaut aussi crainte de la
mixité. Au député U.N.R. Raymond Dronne, favorable
à l'Algérie française : « Voyons,
Dronne ! Donneriez-vous votre fille à marier à un
bougnoule ? »553(*). A un autre député U.N.R., Léon
Delbecque, également partisan de l'Algérie
française : « Et puis, Delbecque, vous nous voyez
mélangés à des Musulmans ? Ce sont des gens
différents de nous. Vous nous voyez mariant nos filles avec des
Arabes ? »554(*).
Les citations de cet ordre abondent dans le livre de
Jean-Raymond Tournoux mais, à la différence d'Alain Peyrefitte,
ce sont là des propos rapportés. Tel n'est pas le cas des
déclarations faites par le général de Gaulle à
Cyrus Sulzberger, ancien directeur du New-York Times, dans le cadre
d'une série d'entrevues accordées au journaliste américain
entre 1947 et 1963 : « Qu'est-ce que les Arabes ? Les
Arabes sont un peuple qui, depuis les jours de Mahomet, n'ont jamais
réussi à constituer un Etat. Avez-vous vu une digue construite
par les Arabes ? Nulle part. Cela n'existe pas. Les Arabes disent qu'ils
ont inventé l'algèbre et construit d'énormes
mosquées. Mais ce fut entièrement l'oeuvre des esclaves
chrétiens qu'ils avaient capturés. Ce ne furent pas les Arabes
eux-mêmes. Ils ne peuvent rien faire seuls »555(*).
Le fils aîné du général, l'amiral
Philippe de Gaulle, a lui-même récemment rapporté, dans ses
recueils d'entretiens avec Michel Tauriac, ce qu'inspirait à son
père les notions d'intégration et d'assimilation :
« [Mon père] respectait les Tziganes en tant que tels ou les
Nord-Africains, ou n'importe quelle autre communauté, mais il ne les
appréciait pas en tant que collectivité. Il ne voulait pas les
voir en France sous cette forme. (...) Encore une fois, il pensait que tous les
apports humains au pays étaient une bonne chose, mais qu'ils devaient
être assimilés. «Non pas intégrés,
insistait-il, mais fondus avec les autres». Et leur nombre devait
être limité à un pourcentage raisonnable,
c'est-à-dire acceptable pour tous les Français de souche. Il
ironisait : «On aime bien les Allemands, ils apportent Goethe et
Mozart, mais on n'aime pas les Allemands quand ils arrivent à un
million ! ». Il estimait : «Si une communauté n'est
pas acceptée, c'est qu'elle ne donne pas de bons produits, sinon elle
est admise sans problème. Si elle se plaint de racisme à son
égard, c'est parce qu'elle est porteuse de désordre. Quand elle
ne fournit que du bien, tout le monde lui ouvre les bras. Mais il ne faut pas
qu'elle vienne chez nous imposer ses moeurs» »556(*).
Selon Guy Pervillé, « De Gaulle jugea
impossible l'intégration de la population musulmane pour des raisons
démographiques et économiques, (...) mais également du
fait de sa conception barrésienne de la nation française, produit
d'un déterminisme historique et géographique millénaire.
(...) Ainsi sa politique algérienne restait fidèle à une
logique nationaliste qu'on peut estimer de droite »557(*).
De même, Emmanuel Le Roy Ladurie qui, avec force
précaution, cherche « une explication des comportements certes
critiquables d'un homme d'Etat par ailleurs génial et dont le bilan
d'ensemble est si suprêmement glorieux que telle ou telle attaque de
notre part n'enlève rien à la «vastitude» de son
personnage », avance malgré tout que « de Gaulle
n'aimait pas tellement les Algériens : ni les Arabes, bien
sûr, ni non plus les pieds-noirs (...). Parmi ces pieds-noirs, de Gaulle
n'appréciait qu'à moitié les juifs sépharades, en
ex-maurrassien qu'il était (...). Les Méditerranéens
musulmans, mais aussi chrétiens, italiens par exemple, n'étaient
pas davantage en odeur de sainteté au gré du châtelain de
Colombey. Quand on acceptera enfin de se débarrasser de la chape de
plomb hagiographique dont la gauche intellectuelle d'aujourd'hui a
enveloppé la mémoire du «grand Charles», on y verra
plus clair sur ces divers points »558(*). Dans la même édition du Figaro
littéraire, l'historien Benjamin Stora revient sur
« l'élaboration de cette mythologie libératrice de
l'homme du Sud » qui a été associée à la
mémoire de l'auteur du discours de Brazzaville et du discours de Phnom
Penh : « Dans le souvenir et la mémoire de nombreux
Français, l'image du général de Gaulle est celle d'un
décolonisateur, attentif au sort des populations du Sud, proches de
leurs aspirations et souhaits ». « Pourtant, ajoute-t-il,
c'est en «Nordiste« que le général de Gaulle regarde
les populations d'Algérie dans leurs diversités, sans voir leur
façon de pratiquer un art de vivre ensemble (...). De Gaulle se
méfie des mouvements de l'extérieur venant encombrer, perturber
cette conception d'une identité française,
judéo-chrétienne et européenne. Il craint, par la
perpétuation de l'histoire coloniale, une «invasion« de
l'islam en France. Les exemples de citations abondent où il exprime sa
peur d'une représentation musulmane à l'Assemblée
nationale française, ses réticences sur une mixité
possible par des mariages entre Européens et Algériens
musulmans »559(*).
Une conception de la Nation française et de ses
frontières que l'on retrouve à l'identique, aujourd'hui encore,
chez Pierre Messmer, qui fut ministre des Armées du
général de Gaulle. Répondant à une interview de la
feuille d'information virtuelle La Nouvelle Liberté
(www.nouvelleliberte.com), il estimait ainsi que « le
problème essentiel est celui de l'assimilation : on assimile
certains immigrés, pas d'autres. Les immigrés italiens,
espagnols, portugais sont parfaitement assimilés. Les immigrés du
Maghreb et d'Afrique noire sont, quant à eux, difficilement assimilables
(...). On dit que la France est un pays d'immigration. C'était vrai
lorsque les immigrants désiraient réellement s'assimiler, ce
qu'ils pouvaient facilement faire car ils étaient issus de la
civilisation judéo-chrétienne, catholique »560(*). Plus encore, Christian
Fouchet, haut commissaire de la République en Algérie
jusqu'à l'indépendance, décrit en ces termes - dans ses
mémoires intitulés Au service du Général de
Gaulle - ses adieux à son personnel : « Le lendemain
matin, je fis d'abord mes adieux à tout le personnel de ma villa. Ces
braves gens semblaient sincèrement désolés de mon
départ. Le vieux Nedjeb, qui avait servi tous les gouvernements
généraux depuis vingt-cinq ans, m'avait supplié de
l'emmener. Mais qu'eût-il fait en France avec ses huit ou dix
enfants ? »561(*). L'on peut aussi évoquer Claude Chayet,
diplomate et membre de l'équipe formée autour de Louis Joxe, dont
Jérôme Hélie dit qu' « il ne connaissait pas
l'Algérie, et n'y trouvait pas grand inconvénient ».
Selon Jérôme Hélie, « Claude Chayet ne croyait
pas à l'intégration de l'Algérie dans la France, et
évoque encore aujourd'hui comme absurde l'idée d'une
Assemblée nationale où siégeraient cent quatre-vingts
Algériens, en écrasante majorité
musulmans »562(*).
Ces propos, dans leur ensemble, éclairent d'un jour
particulier non seulement la décision prise, s'agissant des
Algériens de statut civil de droit local, de subordonner le
maintien - et non la déchéance - de la
nationalité française à une déclaration expresse
des intéressés, mais encore les autres éléments de
la politique de "mise à distance" des anciens supplétifs,
précédemment décrite : strict contingentement des
rapatriements visant à fixer les intéressés en
Algérie d'abord, politique délibérée de
"ghettoïsation/relégation géographique" de ceux qui, ayant
été pris en charge dans le cadre du "plan général
de rapatriement", ont été transférés vers la France
ensuite563(*). Mais ce
qui importe davantage, ici, pour comprendre ce que sera la construction
rétrospective d'une image officielle des harkis (ou, plutôt, ce
que sera son "élision"), c'est le décalage entre ces discours
d'officine (où l'on ne parle généralement pas pour ne rien
dire) et le discours des foules (où l'on "dit" parfois pour ne pas
parler). Ainsi, à mille lieues des confidences privées faites
à Alain Peyrefitte et des argumentaires développés dans le
secret des cabinets et des cénacles, les discours publics du chef de
l'Etat, plutôt que d'insister sur ce qui différenciait les
différentes composantes de la population algérienne (que l'on
pense à la métaphore de « l'huile » et
du « vinaigre » ; voir ci-dessus), avaient
exalté leur unité, et fait fond sur sa pérennité. A
Alger, bien sûr, le 4 juin 1958 : « A partir d'aujourd'hui
et dorénavant, la France considère que, dans toute
l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants : il
n'y a que des Français à part entière, avec les
mêmes droits et les mêmes devoirs »564(*) ; le 6, à
Mostaganem : « Il est parti de cette terre magnifique
d'Algérie un mouvement exemplaire de rénovation et de
fraternité. Il s'est levé de cette terre éprouvée
et meurtrie un souffle admirable qui, par-dessus la mer, est venu passer
sur la France entière pour lui rappeler quelle était sa
vocation (...). Mais, à ce que vous avez fait pour elle [la France],
elle doit répondre en faisant ici ce qui est son devoir,
c'est-à-dire considérer qu'elle n'a, d'un bout à
l'autre de l'Algérie, dans toutes les catégories, dans toutes les
communautés qui peuplent cette terre, qu'une seule espèce
d'enfants. Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom et je vous en
donne ma parole, que des Français à part entière, des
compatriotes, des frères qui marcheront désormais dans la vie en
se tenant par la main ! (...) L'Algérie est une terre
française, organiquement, et pour toujours. (...) Vive
Mostaganem ! Vive l'Algérie française ! Vive
la République ! Vive la France ! » ; Le 6
encore, à Oran : « Oui ! Oui ! Oui ! La France est ici
avec sa vocation. Elle est ici pour toujours ! Vive cette bonne
terre française ! » ; le 29 janvier 1960,
après la « semaine des barricades », à
Alger : « Comment pouvez-vous douter que si un jour les
Musulmans décidaient librement et formellement que l'Algérie de
demain doit être unie étroitement à la France rien ne
causerait plus de joie à la patrie et à De Gaulle que de les voir
choisir entre telle ou telle solution, celle qui serait la plus
française ? Comment pouvez-vous nier que toute l'action de
développement des populations musulmanes, entamée depuis 18 mois,
actuellement poursuivie et qui, après la pacification, devra
s'épanouir encore, tend précisément à créer
de multiples et nouveaux liens entre la France et les
Algériens ? ». Ce n'est que dans son allocution
radiodiffusée du 8 mai 1960 que, pour la première fois de
manière évidente, le chef de l'Etat opère une nette
distinction entre les « populations algériennes » et
« ses propres enfants » : la rupture est alors
consommée avec le discours du 6 juin 1958 à Mostaganem, dans
lequel le chef de l'Etat avait déclaré ne discerner en
Algérie qu' « une seule espèce
d'enfants ».
Pourtant, si l'on en croit certaines déclarations
rétrospectives de Pierre Messmer, dès 1958, « lors de
son retour au pouvoir », de Gaulle « savait que
l'indépendance était inéluctable et dans l'ordre des
choses »565(*). Avis étayé, semble-t-il, par la
lecture des mémoires du général de Gaulle puisque, dans
ceux-ci, l'intéressé affirme lui-même que dès son
retour au pouvoir « les grandes lignes [NDA : de sa politique]
étaient arrêtées dans mon esprit »,
ajoutant : « Si de but en blanc j'affichais mes intentions,
nul doute que sur l'océan des ignorances alarmées, des
étonnements scandalisés, des malveillances coalisées se
fût levée dans tous les milieux une vague de stupeurs et de
fureurs qui eût fait chavirer le navire. Sans jamais changer de cap, il
me faudrait donc manoeuvrer jusqu'au moment où décidément
le bon sens aurait percé les brumes »566(*). Tel n'est pas en effet,
comme nous venons de le voir, la teneur des messages qu'il délivre
initialement à l'opinion publique, à commencer par les
Algériens de toutes origines et de toutes confessions, à qui il
semble promettre la concorde dans un cadre français, notamment le 6 juin
à Mostaganem (devant un parterre majoritairement musulman) et à
Oran (devant un parterre majoritairement européen). C'est dans ce
décalage entre le discours des foules et les discours de cabinet que se
joue, d'une certaine façon, l'abandon à eux-mêmes des
musulmans engagés, à un titre ou à un autre, aux
côtés de la France. Car tant les confidences privées du
général de Gaulle à Alain Peyrefitte sur
l'intégration que ses écrits rétrospectifs (ainsi que les
révélations de ses proches collaborateurs) paraissent
témoigner de ce que les fausses assurances prodiguées à
« ceux des musulmans qui voudraient rester
français » sur la question de la nationalité, ou encore
le caractère minimaliste du "plan général de
rapatriement", doivent moins à des tâtonnements de circonstances,
imputables à la pression des événements, qu'à une
impréparation voulue visant à mettre les parties
concernées devant le fait accompli du retrait de la souveraineté
française et de la nécessité pour eux de s'en
accommoder.
Expression forte du décalage entre discours publics et
discours d'officine, en même temps qu'expression incisive des
réticences du chef de l'Etat à confondre en un même
sentiment fraternel Européens d'Algérie et musulmans
pro-français, le général de Gaulle n'hésita pas,
lorsque vint l'heure des périls, à opérer un distinguo
très net entre ce que serait l'attitude de la France à
l'égard des musulmans non inféodés au FLN et ce qu'elle
serait à l'égard des Européens d'Algérie :
« On ne peut accepter de replier tous les musulmans qui viendraient
à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur
gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique
évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir
que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en
France, comme tels, que s'ils couraient des
dangers ! »567(*). Au cours de ce même Conseil des ministres du
25 juillet 1962, Georges Pompidou, qui rappelait que des camps militaires
avaient été installés en métropole pour ceux des
supplétifs qui avaient bénéficié - au cours du mois
de juin - de la première vague de rapatriements officiels (initialement
conçue comme suffisante), et qui signalait que ces camps étaient
désormais « submergés », se lamentait de ce
que « ces gens ne veulent pas travailler. Ils se trouvent
très bien au Larzac sous leurs tentes et ils s'y installeraient
volontiers pour l'hiver et au-delà ». Réponse
agacée du général de Gaulle : « Il faut
les mettre en demeure ou de travailler, ou de repartir ». Alain
Peyrefitte de signaler qu'à ce moment « plusieurs
collègues baissent la tête »568(*).
Cependant, pour Pierre Messmer, qui s'exprime
rétrospectivement à ce sujet, l'attitude du chef de l'État
ne doit pas être interprétée comme une marque de
défiance à l'égard des musulmans en général,
et des supplétifs en particulier. Selon lui, le général de
Gaulle « croyait que l'avenir de ces hommes-là était en
Algérie, leur pays, et que les transporter en France serait à
l'origine de grands problèmes ». Il ajoute :
« Il [le général de Gaulle] ne pouvait imaginer que le
FLN se comporterait avec une telle sauvagerie »569(*). Au fond, pour l'ancien
ministre de la Défense, le chef de l'Etat n'aurait été
mû que par une vision pragmatique des choses - un « chacun chez
soi ! » qui, pour d'autres, s'apparente pourtant à une
forme de différentialisme - et, s'il a failli en la circonstance, ce
n'est que par excès d'angélisme.
La première assertion, nous l'avons vu, peut-être
sérieusement mise en doute au regard des considérations
privées du général. Du reste, qu'en est-il de la
frontière entre "pragmatisme" et "différentialisme" quand l'enjeu
immédiat n'est pas de considérer l'endroit où les anciens
supplétifs et leurs familles seront les plus à même de
s'adapter (y compris au risque de « grands
problèmes ») mais celui où ils pourront survivre, tout
simplement ? Quant à la seconde assertion, elle suppose un chef de
l'Etat coupé à ce point des réalités qu'il n'aurait
somme toute jamais pris conscience des voies et moyens du FLN dans et à
l'issue de la guerre570(*). Or, comme cela a déjà
été souligné, peu après son retour au pouvoir, et
alors qu'il n'envisageait pas encore publiquement de se résoudre
à la « sécession », le général
lui-même avait multiplié les déclarations sans
équivoques quant aux convulsions auxquelles serait promise une
Algérie livrée par exclusive au FLN. En outre, les instructions -
déjà citées - données par le général
de Gaulle dans le secret des débats du Conseil des Ministres du 25
juillet 1962, à la suite de la conclusion des accords d'Evian et au
lendemain immédiat de l'accession à l'indépendance de
l'Algérie, témoignent de ce que ce n'est pas
l'ingénuité de l'intéressé qui est en cause
(scénario de la « bonne foi
abusée ») mais la volonté clairement
affichée de ne pas dévier de la politique de
« dégagement » en général, de la
politique de mise à distance des musulmans non inféodés au
FLN en particulier.
À l'inverse, pourtant, Pierre Messmer n'hésite
pas à puiser dans les amertumes personnelles du général de
Gaulle pour expliquer son attitude distante à l'égard des
pieds-noirs. Ainsi, selon Messmer, de Gaulle leur aurait tenu grief d'avoir
été « globalement pétainistes » durant
la Seconde Guerre mondiale571(*). Faut-il conclure de ces approches si
différemment précautionneuses que, dans l'esprit de l'ancien
ministre des Armées, le sujet des harkis est décidément
trop sensible - et la destinée qui leur a été faite trop
difficile à assumer - pour laisser place, aujourd'hui encore, à
de franches explications ?
B. Chiffrer les maux
Au regard de notre problématique d'ensemble, la
question du nombre - nombre de réfugiés en France (les
Français musulmans rapatriés proprement dits) et nombre de
victimes en Algérie (massacres de l'après-indépendance) -
est centrale tant pour apprécier l'empreinte laissée (le
passé tel qu'il pèse, ou la stigmatisation telle qu'elle est
subie) que pour déconstruire les usages politiques faits de la
destinée dramatique des harkis au sein et autour de cette
communauté (le choix du passé, ou la stigmatisation telle qu'elle
est "agie" et "ré-agie"). L'abord de cette question participe ainsi de
l'objectivation du travail de l'écart entre ce qui a été
(l'advenu) et ce qui en a été dit ou donné à voir
(le représenté), notamment pour ce qui a trait aux enjeux de la
transmission (dimension intersubjective), de la reconnaissance (dimension
politique) et du pardon (dimension éthique). A ce stade, il importera
d'abord - tant les divergences et les imprécisions sont grandes en la
matière - de mettre en perspective puis de soumettre à examen
critique les évaluations disponibles. Sur ces bases, il nous sera
possible, par la suite (voir notamment les parties 2 et 4), de montrer comment
et d'expliquer pourquoi les "enjeux de chiffrage" sont, aujourd'hui encore, au
coeur des polémiques liées au ressouvenir de la destinée
des anciens harkis, qu'il s'agisse de dramatiser cet événement ou
de le scotomiser/euphémiser.
- 1. Sur le nombre de rapatriements
Combien de musulmans pro-français, quel que fût
leur statut d'affiliation au regard de la loi572(*) et quelles que fussent les modalités de leur
engagement aux côtés de la France573(*), parvinrent à gagner
la métropole au lendemain ou même au surlendemain de la conclusion
des accords d'Evian et de l'accession à l'indépendance de
l'Algérie ? Et quelle est, en fin de compte, la part des
rapatriements officiels ?
Il n'existe pas (hors les estimations des historiens ou des
polémistes) de données synthétiques sur la question, et
les seules données dont nous disposons pèchent soit par leur
incomplétude (les bilans officiels ignorent le flux des rapatriements
opérés selon des modalités échappant au
contrôle et dérogeant à la volonté des
autorités) soit par leur indifférenciation574(*). Ainsi, l'une -
l'incomplétude des données - comme l'autre - leur
indifférenciation et les effets de massification de
l'interprétation qui en sont la résultante - gênent une
lecture fine et circonstanciée de la destinée plurielle d'une
population plurielle. Il nous faudra, dès lors, procéder tant par
recoupement que par dégrossissement des données disponibles pour
gagner en lisibilité. De fait, dans ce qu'il est convenu d'appeler
l' « abandon des harkis », la lisibilité des
données surdétermine en grande partie la question de l'imputation
des responsabilités. Il nous faudra, par exemple, juger du volume des
rapatriements non planifiés - ce que nous appelons les rapatriements
d'initiative - par différence entre le volume global des
rapatriements575(*) et
le volume des rapatriements effectivement pris en charge par les
autorités civiles et militaires576(*). L'imprécision de tels recoupements ne fait
bien sûr qu'ajouter à l'imprécision de sources dont aucune
prise séparément n'est exempte de critique. Elle ne saurait
néanmoins invalider une démarche qui vise à établir
non des statistiques mais des ordres de grandeur.
Le recensement général de la population
française de 1968 dénombre 134.724
« Français-Musulmans », dont 87.816 sont
nés en Algérie - 56.000 hommes et 31.816 femmes - et 46.908
sont des enfants nés en France depuis 1962. Soit au total 24.320
familles.
En toute logique, le chiffre de la population des
« Français-Musulmans » nés en
Algérie recensés en 1968 (soit 87.816 personnes)
équivaut (ou devrait équivaloir) à celui de la
population des Français musulmans rapatriés proprement
dits, c'est-à-dire à la somme des rapatriements (planifiés
ou d'initiative) de musulmans pro-français et de leurs familles
contraints de fuir leur terre natale après la conclusion des accords
d'Evian et l'accession à l'indépendance de l'Algérie.
Il convient néanmoins de noter que les données
du recensement de 1968 ne tiennent pas compte de la région
Midi-Pyrénées - dont Michel Roux nous dit qu'elle a
été "oubliée" dans le dépouillement - et où
le nombre de « Français-Musulmans » est alors
estimé par Jean Servier à 5.500 personnes, y compris les enfants
nés en France depuis 1962577(*), soit - si l'on applique à cette
région les ratios qui prévalent à l'échelon
national - 3.575 « Français-Musulmans »
nés en Algérie et près de 1.000 familles.
En outre, le chiffre de la population des
« Français-Musulmans » nés en Algérie
tel qu'il ressort du recensement général de la population
française de 1968 tend à sous-évaluer le chiffre de la
population des musulmans pro-français rapatriés d'Algérie
à partir de 1962 pour au moins deux raisons : d'une part, ce
chiffre ne tient pas compte des
« Français-musulmans » décédés
entre la date de leur rapatriement et celle du recensement578(*) ; d'autre part,
à la suite de leur rapatriement, tous les musulmans pro-français
n'ont pu579(*)
ou voulu580(*)
se faire reconnaître la nationalité française. Or, ces
personnes étant réputées (aux termes de la loi) avoir
perdu la nationalité française le 1er janvier 1963
pour autant qu'elles n'eussent pas souscrit de déclaration recognitive
(ou que leur démarche fût vouée à l'échec)
avant le 21 mars 1967, elles n'ont donc pu être recensées au titre
de « Français-Musulmans » en 1968581(*).
Au final, en tenant compte des réserves
précédemment exprimées (lesquelles induisent, par rapport
aux résultats bruts du recensement, des variations non
négligeables), si l'on agrège les données résultant
du recensement général de la population française de 1968
et les données résultants de l'enquête menée par
Jean Servier en 1972, il est permis d'estimer que le volume global
des rapatriements (quelles qu'en fussent les modalités pratiques,
officielles ou non officielles) a concerné de l'ordre de 95.000
à 100.000 personnes entre 1962 et 1968582(*).
Cette estimation - qui repose principalement sur les
données du recensement de 1968 (le seul à faire ressortir en
propre la population des
« Français-Musulmans », à la distinguer du
reste de la population) - est confirmée dans ses grandes lignes par les
statistiques de déclaration de nationalité entre 1962 et 1968,
établies par la sous-direction des naturalisations du ministère
du Travail583(*). Ces
statistiques font état de 58.932 déclarations recognitives de
nationalité enregistrées entre 1962 et 1968584(*), chiffre auquel il faut
ajouter 25.118 enfants de moins de 18 ans nés en Algérie et
portés sur la déclaration du chef de famille, soit au total
84.050 personnes concernées585(*).
Pour autant, ce chiffre reste assez sensiblement
inférieur à notre estimation globale du nombre de rapatriements
(voir ci-dessus), ce pour au moins trois raisons.
En premier lieu, le chiffre des déclarations
recognitives de nationalité souscrites excède
significativement celui des déclarations effectivement
enregistrées par les autorités compétentes :
il y eut seulement 59.684 enregistrements pour 69.303 souscriptions entre 1962
et 1970, soit 9.619 refus586(*).
En second lieu, nous l'avons vu, outre les cas de refus
administratifs mentionnés ci-avant, toutes les personnes soumises
à un statut civil de droit local en Algérie ne purent (par manque
d'information) ou ne voulurent (par prostration ou, au contraire, par sentiment
de révolte ?) se faire reconnaître la nationalité
française une fois empruntés les chemins de l'exil587(*).
Enfin, tous les musulmans pro-français exilés
n'eurent pas à souscrire de déclaration recognitive de
nationalité : quelques milliers de musulmans relevant du statut
civil de droit commun en Algérie conservèrent de plein droit
la nationalité française à leur entrée en France,
à l'instar des « pieds-noirs ». A ce titre, ils
n'apparaissent pas dans les statistiques de la sous-direction des
naturalisations du ministère du Travail. Ils sont par contre
comptabilisés dans le recensement de 1968 où, confondus avec
l'ensemble des « Français-Musulmans »
(c'est-à-dire non distingués de ceux - l'immense majorité
- qui ont dû souscrire une déclaration d'option), ils
n'apparaissent pas en propre. Le nombre des rapatriements de musulmans de
statut civil de droit commun peut cependant être estimé
par différence : en retranchant du chiffre de la
population des « Français-Musulmans » nés en
Algérie recensés en 1968 (soit 87.816 personnes) celui de la
population effectivement concernée par les déclarations
recognitives de nationalité enregistrées à cette date
(soit 84.050 personnes), on obtient un ordre de grandeur de 3.500 à
4.000 musulmans de statut civil de droit commun rapatriés en France.
Somme toute, les statistiques de déclaration
recognitive, revues et corrigées dans le dessein d'apprécier le
chiffre d'ensemble de la population rapatriée (y compris,
donc, la dizaine de milliers de rapatriés musulmans qui n'ayant
pu se faire reconnaître la nationalité française
avant 1968, ont bénéficié après-coup -
entre 1968 et 1984 - de la procédure dite de
« réintégration par décret », ainsi
que les quelques milliers de Français musulmans rapatriés
relevant du statut civil de droit commun en Algérie, donc non
concernés par les procédures de réintégration),
induisent à leur tour une évaluation globale du nombre des
rapatriements de l'ordre de 95.000 à 100.000 musulmans
pro-français et membres de leurs familles.
Relativement à cet ordre de grandeur, quelle est la
part due aux rapatriements d'initiative, lesquels, nous l'avons vu, furent
constamment entravés par les pouvoirs publics ? Autrement dit, dans
quelle mesure l'évaluation globale du nombre des rapatriements
excède-t-elle le décompte officiel des seuls rapatriements
effectivement pris en charge par les pouvoirs publics en vertu du plan
général de rapatriement ? Cet écart est-il
significatif d'une forme d'impéritie des autorités
compétentes dans la prise en charge des populations
menacées ?
S'agissant du décompte (officiel) du nombre de
personnes (familles comprises) ayant bénéficié des
procédures de transfèrement vers la France mise en place par les
autorités, nous ne disposons que de bilans partiels, les seuls
décomptes globaux (mais non officiels) dont nous disposions (pour toute
la période considérée, qui s'étale depuis les
premiers rapatriements opérés à la fin du printemps 1962
jusqu'aux dernières libérations de prisonniers à l'automne
1969) émanant d'évaluations rétrospectives d'historiens,
d'acteurs (tel le général Buis) ou de témoins de
l'époque (tel le général François Meyer).
Pour la période s'étendant depuis la conclusion
des accords d'Evian et l'entrée en vigueur du cessez-le-feu
jusqu'à la fin de l'année 1962, un premier décompte des
rapatriements effectivement pris en charge par les autorités est
communiqué début 1963 à l'Assemblée nationale par
le secrétaire d'Etat en charge des Affaires algériennes
auprès du Premier ministre588(*) : les effectifs des musulmans rapatriés
- y compris les familles - dans le cadre du plan général au cours
de l'année 1962 s'élèveraient à 14.000 personnes
entre mars et septembre, et à 7.000 personnes pour la période qui
court d'octobre à décembre, soit 21.000 personnes au total.
Nous ne disposons, pour toute l'année 1963, d'aucun
décompte officiel. Néanmoins, l'estimation de 15.000
rapatriements (soit 1.250 rapatriements par mois en moyenne) avancée par
le général François Meyer (qui ne cite pas ses
sources)589(*) nous
semble relativement fiable en ce qu'elle traduit sans l'exagérer la
décroissance du rythme des opérations de
transfèrement : 21.000 rapatriements sur 9 mois pour l'année
1962 (soit 2.333 rapatriements par mois en moyenne), 15.000 rapatriements sur
12 mois en 1963 (soit 1.250 rapatriements par mois en moyenne). A quoi
s'ajoutent, selon un document émanant du ministère des
Rapatriés en date du 9 juin 1964590(*), 3.480 rapatriements au cours du premier semestre
1964 (soit 580 rapatriements par mois en moyenne).
Après le départ des derniers détachements
de l'armée française591(*) et l'interruption subséquente du plan
général de rapatriement, une nouvelle procédure de
rapatriements est mise en place conjointement par l'ambassade de France et la
Croix-Rouge. Cette procédure, dite des
« laissez-passer », est ouverte aux anciens détenus
du FLN ainsi qu'à leurs familles désireux de refaire leur vie en
France. Selon le colonel Schoen, il y eut 1.166 rapatriements
bénéficiant de cette procédure entre 1965 et
1970592(*).
Il convient enfin d'ajouter que 3.200 engagés593(*) furent
démobilisés au camp de Sissonne, soit environ 10.000 personnes
avec les familles (lesquelles furent progressivement mais non
immédiatement transférées vers la France).
Tout compte fait, on peut estimer (avec le
général François Meyer) à près de 50.000 les
effectifs de musulmans pro-français et membres de leurs familles (toutes
catégories confondues) ayant bénéficié des
opérations officielles de transfèrement vers la France. Cette
estimation est concordante avec celle avancée par Guy Pervillé et
faisant état - hors les effectifs des engagés
démobilisés et leurs familles, ainsi que les ex-détenus
rapatriés à partir de 1965 en vertu de la procédure dite
des « laissez-passer » - de « 42.000
réfugiés officiellement recueillis et transportés
en métropole par l'armée française de juin 1962 à
1965594(*) ; elle
est pareillement concordante avec l'estimation de Charles-Robert Ageron faisant
état de « 41.500 supplétifs rapatriés
passés par les centres de transit jusqu'en 1965 »595(*), à cette
réserve de formulation près que cette estimation doit être
entendue comme englobant 41.500 supplétifs et membres de leurs
familles (soit 15.000 supplétifs environ).
Si l'on retranche le chiffre de 50.000 rapatriements
officiellement pris en charge de celui qui résulte de notre estimation
globale du nombre de transfèrements opérés vers la France
(de l'ordre de 95.000 à 100.000), on obtient une estimation du nombre de
musulmans parvenus à trouver refuge en métropole en dehors
des voies officielles (et, ce, en dépit des mesures
d'interdiction édictées par les autorités à
l'encontre des initiatives privées) de l'ordre de 45.000 à
50.000, soit probablement près d'un musulman pro-français
rapatrié sur deux.
Il est à noter que notre évaluation tant du
chiffre que de la part des musulmans pro-français et
membres de leurs familles parvenus à gagner la métropole en
dehors des voies officielles est nettement inférieure à celle
avancée par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou qui, retranchant du
nombre des « Français-Musulmans » nés en
Algérie recensés en 1968 (soit près de 88.000 personnes)
l'estimation chiffrée avancée par le général Buis
de 25.000 musulmans pro-français et membres de leurs familles
rapatriés par l'armée (estimation avancée dans l'entretien
accordée par le général Buis à la revue
L'Histoire en 1991), font état de « 63.000
Français musulmans [qui] se sont «rapatriés» par leurs
propres moyens ou [qui] ont été «rapatriés» par
l'ensemble des associations et amicales », soit près des
trois-quarts des rapatriés musulmans596(*).
Cependant, cette évaluation, qui s'appuie sans distance
critique ni précautions méthodologiques sur des sources
hétérogènes et inégalement fiables, pèche
par son manque de rigueur : d'une part, Jean-Jacques Jordi et Mohand
Hamoumou font équivaloir le nombre total des musulmans
pro-français et membres de leurs familles parvenus à trouver
refuge en France (par quelque moyen que ce fût) à celui des
« Français-Musulmans » nés en Algérie
recensés sur le territoire métropolitain en 1968 ; or, nous
avons vu que ce dernier chiffre sous-estimait celui des rapatriements de
musulmans pro-français d'environ une dizaine de milliers (voir
détails ci-dessus) ; d'autre part, Jean-Jacques Jordi et Mohand
Hamoumou semblent tenir pour fiable l'estimation rétrospective faite par
le général Buis du nombre des musulmans pro-français et
membres de leurs familles rapatriés dans le cadre du plan
général, laquelle évaluation sous-estime pourtant
vraisemblablement d'au moins une vingtaine de milliers le nombre des personnes
réfugiées ayant bénéficié du concours des
autorités (et en particulier de l'armée). Compte tenu des
responsabilités éminentes qui ont échu au
général Buis - alors simple colonel - en tant que chef du cabinet
militaire du haut-commissaire en Algérie, de telles approximations
peuvent paraître étonnantes, même si, nous l'avons vu, le
souci premier des autorités était alors de limiter les prises en
charge, non de les faciliter. Car, même si elles ont été
revues constamment à la hausse et corrigées selon les
réalités (incontournables et pressantes) du terrain, les
prévisions officielles de transfèrements vers la métropole
ont eu dès l'origine tendance à sous-estimer (de propos
délibéré) l'ampleur des mesures de protection et de
sauvegarde rendues nécessaires par la situation de fait
créée dans les ex-départements français. A ce
propos, il est sans doute nécessaire de rappeler que le 30 mai 1962 le
secrétaire d'Etat aux Rapatriés Robert Boulin estimait le nombre
des personnes menacées, pour toute l'Algérie, à
environ 5.000 (y compris les familles), ordre de grandeur
confirmé quelques jours plus tard par un communiqué
émanant du ministère des Armées, lequel évaluait
à 4.930 le nombre des personnes susceptibles d'être prises en
charge par les autorités (là encore familles comprises).
Guy Pervillé, se fondant sur les notes prises en Conseil des ministres
par Alain Peyrefitte et reproduites dans le tome 1 de C'était de
Gaulle, rapporte - non sans malice - qu'à l'annonce des
prévisions de Robert Boulin le général de Gaulle se
serait écrié : « Ne calculez-vous pas un
peu juste ? »597(*). « Un peu juste », en effet, au
regard du rapport adressé à l'ONU par l'ex-contrôleur
général des Armées Christian de Saint-Salvy qui, peu avant
la conclusion des accords d'Evian, nous l'avons dit, avait estimé le
nombre des musulmans pro-français menacés par
d'éventuelles représailles à 250.000 (toutes
catégories confondues, civiles et militaires), soit environ un
million de personnes en incluant les membres de la (proche) famille.
- 2. Sur le nombre de musulmans pro-français
massacrés par le FLN
a) La succession des faits
Au cours de la période transitoire courant de la
conclusion des accords d'Évian jusqu'au référendum
d'autodétermination, l'attitude du FLN à l'égard des
anciens supplétifs musulmans de l'armée française
était apparue plus ou moins contenue suivant les régions. Certes,
de graves exactions furent immédiatement perpétrées
à l'encontre de supplétifs démobilisés, notamment
pour ce qui concerne certaines unités emblématiques, tel le
célèbre "commando Georges". Mais, dans un premier temps du moins,
ces exactions restèrent localisées. Le discours officiel du FLN,
conformément à la ligne de conduite tracée par les accords
d'Évian, se voulait magnanime. Il était cependant demandé
aux supplétifs démobilisés de racheter leur conduite - au
sens propre comme au sens figuré - en versant leur maigre pécule
de fin de service au FLN . Bien que contraire à l'esprit des
accords d'Évian, cette pratique fut tolérée - et parfois
encouragée - par les autorités françaises et
l'exécutif transitoire qui espéraient sans doute ainsi
accélérer la pacification des esprits. Mais ainsi que le souligne
Guy Pervillé, « cette mansuétude n'était qu'un
expédient temporaire »598(*). De fait, au même moment, et dans l'attente du
transfert définitif de souveraineté, certaines directives de
l'état-major de l'ALN « préconisaient de tenir à
jour des listes de traîtres, et de surveiller leurs
déplacements »599(*). Cette consigne n'était pas isolée,
comme en témoignent d'autres documents, précédemment
cités (voir supra), faisant état de la duplicité
du FLN à l'égard des ex-supplétifs pendant la courte
période transitoire séparant la conclusion du cessez-le feu (le
19 mars 1962) de l'accession à l'indépendance de l'Algérie
(le 3 juillet). Du reste, Guy Pervillé note que, dès janvier
1960, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA),
réuni à Tripoli, s'était prononcé - sans attendre
les termes d'une éventuelle négociation600(*) - pour que « le
sort définitif des «traîtres» [soit]
décidé souverainement par l'Assemblée nationale et par le
gouvernement de l'Algérie indépendante »601(*). Les représailles de
l'après-indépendance ne furent donc pas simplement le fruit d'une
éruption de colère spontanée, imputable à certains
éléments incontrôlés.
Cette détermination, forgée de longue date,
allait être redoublée dans la période de l'immédiat
après-indépendance par la propension des différentes
factions du FLN/ALN à céder à une forme de
surenchère nationaliste pour asseoir leur légitimité. De
fait, dès après l'accession à l'indépendance, la
question de la succession de l'Exécutif provisoire mit aux prises trois
mois durant deux coalitions. L'une, constituée autour d'Ahmed Ben Bella
et du colonel Boumediene, était composée de l'ALN
extérieure et des wilayas I, V et VI. L'autre, constituée autour
du GPRA, était constituée des wilayas II, III et IV, ainsi que
des Fédérations de France, de Tunisie et du Maroc. Les forces
mieux équipées et organisées de l'ALN extérieure
emportèrent la partie pour Ben Bella et Boumediene. Tout au long de cet
« affrontement au bord de la guerre civile »,
« l'absence d'une autorité reconnue et obéie plongea
l'Algérie dans une profonde anarchie »602(*). Dans ces conditions, ajoute
Guy Pervillé, « les garanties de sécurité des
personnes et des biens contenues dans les accords d'Évian devinrent plus
que jamais lettre morte »603(*). En outre, relève-t-il, « les
rivalités entre les chefs responsables de la Révolution
algérienne les entraînèrent dans une surenchère
nationaliste qui favorisa une chasse aux traîtres. Tous les concurrents
dans la course au pouvoir avaient intérêt à se montrer
implacables, ou tout au moins à ne pas protéger les
«traîtres», pour ne pas laisser leurs adversaires mettre en
cause leur patriotisme »604(*).
Dans ce contexte où justifications lointaines et
immédiates se renforçaient les unes les autres, la clause de
non-représailles contenue dans les accords d'Évian fut
précocement et systématiquement violée. Ainsi que le
souligne Guy Pervillé, aussitôt l'indépendance
proclamée, « les arrestations d'anciens harkis et autres
«collaborateurs» des Français se multiplièrent en
même temps dans toutes les régions, suivies souvent de
sévices, de tortures et de supplices effroyables »605(*). Voici le bilan que dressait
pour son arrondissement Jean-Marie Robert, ancien sous-préfet d'Akbou,
dans une note adressée en mai 1964 à l'attention d'Alexandre
Parodi, vice-président du Conseil d'Etat et secrétaire
général du Comité national pour les musulmans
français :
« Pendant quelques semaines, tous crurent au
miracle et au respect des accords d'Evian. Soudain, du 27 juillet au 15
septembre 1962 environ, la répression s'abattait sans aucune cause
locale particulière. Une cinquantaine d'ex-supplétifs ou de
civils furent tués par l'ALN dans les villages les plus
éloignés.
« Mais surtout 750 personnes environ furent
arrêtées et groupées dans trois «centres
d'interrogatoire» (...). Dans ces centres, d'où l'on entendait loin
à la ronde les hurlements des torturés, près de la
moitié des détenus fut exécutée à raison de
5 à 10 chaque soir. L'emplacement des charniers situés à
proximité des centres est connu (...). Ces centres contenaient environ
deux tiers d'ex-supplétifs et un tiers de civils (maires, conseillers
généraux, conseillers municipaux, chefs de village
désignés, généralement contre leur gré par
l'armée, anciens combattants et de plus ceux qui avaient
été dénoncés, à tort ou raison, librement ou
sous la torture, comme ayant travaillé pour la France). Un conseiller
général, qui avait par conviction toujours pris position pour la
France, a été arrêté le 1er août et
enterré vivant le 7 août la tête dépassant et
recouverte de miel en compagnie de plusieurs autres détenus dans le camp
d'Ain Soltan près de Bordj Bou Arreridj devant ses 350 codétenus.
Son agonie, le visage mangé par les abeilles et les mouches, dura cinq
heures.
« A noter que durant cette période la
population n'a participé aux supplices que de quelques dizaines de
harkis - promenés habillés en femmes, nez, oreilles et
lèvres coupés, émasculés - enterrés vivants
dans la chaux ou même le ciment - ou brûlés vifs à
l'essence. Cependant les supplices dans cette région n'atteignirent pas
la cruauté de ceux d'un arrondissement voisin à quelques quinze
kilomètres de là : harkis morts - crucifiés sur des
portes - nus sous le fouet en traînant des charrues - la musculature
arrachée avec des tenailles. De même dans cet arrondissement ne
furent pas signalés les massacres par l'ALN de femmes et d'enfants de
harkis, ce qui fut fréquent dans des arrondissements voisins où
des femmes furent aussi tuées pour le seul fait d'avoir reçu des
soins dans des infirmeries militaires.
« Cependant le 15 septembre le calme revenait et ne
devait pas se démentir jusqu'au 15 octobre. (...) Pourtant la
répression reprenait le 15 octobre 1962 à froid et sur la seule
initiative de l'ALN-ANP (l'ANP avait fait son entrée dans
l'arrondissement le 15 octobre) [NDA : l'Armée nationale populaire
avait pris la suite de l'Armée de libération nationale à
la suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie.
Elle était majoritairement constituée par les troupes de
l'ex-Armée des frontières, commandée par Houari
Boumediene]. L'on doit en effet noter que pas plus que la population, ni le FLN
proprement dit, ni le pouvoir local n'ont participé en rien à
cette nouvelle période de répression et qu'ils peuvent donc
légitimement non pas nier ou prétendre ignorer mais
désavouer et affirmer ne pas y avoir pris part. L'on ne peut cependant
penser qu'ils en aient été contristés.
« Les 15, 16 et 17 octobre, une cinquantaine
d'ex-harkis étaient massacrés par l'ALN. Les enfants comptaient
les cadavres en allant en classe. (...) D'autre part, de fin octobre à
début décembre, allait reprendre une nouvelle vague
d'arrestations de ceux qui avaient déjà été
détenus, puis libérés vers le 15 septembre. Il
n'était plus question de centres d'interrogatoire : l'ALN
exécutait sommairement, seules les personnalités avaient encore
l'honneur de supplices et de tortures.
« Dans chaque commune (groupant en moyenne 13
villages et 7.000 habitants) 30 à 50 personnes furent abattues - harkis
ou moghaznis, chefs de village ou conseillers municipaux et jusqu'à des
septuagénaires présidents de petites sections locales d'anciens
combattants. Dans certaines communes, la totalité des harkis a
été tuée ; dans d'autres, une vingtaine seulement.
(...) Enfin eurent lieu des massacres généraux dans des villages
qui avaient été les premiers à se rallier à la
France en 1957. Ainsi arrivaient fin novembre 1962 à Marseille,
convoyés par l'armée, 50 rescapés, femmes et enfants, d'un
village d'un arrondissement voisin où tous les hommes avaient
été tués. Dans l'arrondissement dont il s'agit ici, l'on a
seulement indiqué que dans un village profrançais tous les hommes
étaient soit morts, soient prisonniers (...).
« Cependant, si au cours de la première
vague de répression du mois d'août aucun des menacés
n'avait pu s'échapper, sans doute parce que la population suivait encore
aveuglément les ordres du FLN, plus de 200 personnes sont parvenues en
France de fin octobre à fin novembre 1962 échappant de justesse
à la mort. Elles ont souvent déclaré qu'elles avaient
été prévenues de leur arrestation par la population
quelques heures avant celle-ci et souvent nourries, cachées pendant 3
à 10 jours puis munies de viatiques pour pouvoir passer en France
(...).
« La répression massive se termina fin 1962,
début 1963. Cependant elle devait continuer de façon
épisodique, au gré sans doute des cadres locaux et, à
titre de diversion, à l'occasion des difficultés
locales »606(*).
A cet égard, les conséquences de la
non-intervention des troupes françaises encore présentes sur le
sol algérien (mais consignées dans leurs casernes avec l'ordre
exprès de ne pas intervenir) furent aggravées par le
caractère exagérément tardif des protestations
diplomatiques. Ce n'est que le 19 septembre - puis le 13 novembre 1962 (voir
supra) - que l'ambassadeur de France en Algérie, Jean-Marcel
Jeanneney, s'émut officiellement de la situation auprès des
autorités algériennes, et pointa la violation
caractérisée de la clause de non-représailles contenue
dans les accords d'Evian. Quelles furent les suites de ces protestations ?
Dans un rapport du 23 mai 1963 au Premier ministre, le général de
Brébisson, commandant supérieur en Algérie, souligne
certes que « le gouvernement algérien est intervenu (...) mais
[que] la plupart du temps il a encouragé ou laissé faire, tout en
semant le bruit que des dispositions seraient prises pour réimplanter
hors de leur zone d'origine les familles de harkis »607(*). De fait, les
réponses apportées par les autorités algériennes
aux protestations françaises furent à la fois tardives et
équivoques. Dans une lettre du 19 juin 1963, le ministre algérien
de la Justice, Amar Bentoumi, s'il reconnaissait la réalité des
exactions en cause (sans en préciser l'ampleur), en attribuait la
responsabilité directe à des individus isolés, et la
responsabilité indirecte aux accords d'Évian : il se serait
agi de « réactions spontanées de vengeance »,
avivées par la frustration de l'Algérie de n'avoir pu
« emprisonner et juger tous les collaborateurs, empêchée
[qu'elle en fut] par ses engagements aux accords
d'Évian »608(*). Et il ajoutait que, de ce fait, le gouvernement
algérien avait dû fermer les yeux sur ces
réactions609(*).
Cependant, dans cette même lettre, le ministre
algérien de la Justice reconnaissait indirectement que ces exactions ne
furent pas uniquement le fait de réactions spontanées de la
population puisque, soucieux de montrer la bonne volonté dont aurait
tout de même fait preuve le gouvernement algérien sur cette
question, il expliquait que « lorsque l'Armée nationale
populaire [anciennement Armée de libération nationale] intervint
avec des méthodes encore plus brutales, il fallut bien sévir
contre les coupables, lorsqu'ils étaient connus »610(*). Une sorte de confirmation
en creux du récit de l'ancien sous-préfet d'Akbou, Jean-Marie
Robert. À l'instar de ce dernier, qui distinguait plusieurs vagues de
répression contre les musulmans précédemment
engagés à un titre ou à un autre aux côtés de
la France, Amar Bentoumi fait état de plusieurs stades dans le
déroulement des épurations sauvages de
l'après-indépendance : les réactions
« spontanées » d'abord, l'intervention
« brutale » de l'ANP ensuite. Les autorités et les
forces de l'ordre ne furent donc pas étrangères aux exactions
perpétrées à l'encontre des anciens supplétifs et
autres catégories de musulmans pro-français, bien au contraire.
Du reste, contrairement à ce que laisse entendre Amar Bentoumi, la
clause d'amnistie contenue dans les accords d'Évian n'a en rien
dissuadé les autorités algériennes d'emprisonner nombre
d'anciens supplétifs ni d'organiser des procès de
« collaborateurs » (même si la plupart des musulmans
pro-français emprisonnés le furent sans procès). Selon
Jean Monneret et Guy Pervillé, des procès publics furent ainsi
organisés au mois d'août 1962 à Alger611(*). Dans sa lettre du 13
novembre 1962, l'ambassadeur de France Jean-Marcel Jeanneney évaluait
à 7.000 le nombre d'anciens supplétifs (et autres
catégories de musulmans pro-français) détenus en toute
illégalité dans les geôles algériennes.
Guy Pervillé précise à cet égard
que, au moment où les violences commencèrent à diminuer en
intensité, au printemps 1963, le gouvernement algérien autorisa
des visites régulières du Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) dans les prisons des grandes villes (visites
jusque-là autorisées de manière sporadique). En mai 1963,
le CICR y dénombra 2.400 anciens supplétifs
incarcérés. Cette organisation estima en outre à 7.000 le
nombre des supplétifs incarcérés dans les divers camps
d'internement et de travaux forcés qui lui étaient restés
inaccessibles, ou dont l'existence était niée par les
autorités algériennes612(*). En 1965, le CICR révisera son estimation
à la hausse, évaluant le chiffre des supplétifs
emprisonnés à 13.500613(*). Jamais, après-coup, les autorités
algériennes ne décideront d'une amnistie
générale pour ces "prisonniers de paix" dont le statut
était contraire à la clause d'amnistie contenue dans les accords
d'Évian. Amorcées seulement au compte-gouttes, les
libérations s'échelonnèrent jusqu'en 1969.
Néanmoins, un accord franco-algérien impliquant la
médiation du CICR permit à 1.333 anciens prisonniers d'être
"rapatriés" en métropole entre 1965 et 1970614(*).
Les témoignages recueillis par Stéphane Gladieu
et Dalila Kerchouche auprès de femmes de harkis disent bien à la
fois ce que furent les conditions de détention de leurs maris, et ce que
fut la vie quotidienne de femmes abandonnées à elles-mêmes
dans un environnement hostile. Témoignage de Mme Khelfoun, veuve de 68
ans vivant à Bias :
« [Après l'arrestation de mon mari], je suis
restée seule avec mes enfants, dans la misère, dans un pays qui
tuait les harkis. Quand ils ont emprisonné mon mari, ils m'ont
chassé de chez moi. Les femmes de harkis n'avaient pas droit aux
maisons. Je dormais dehors avec mes petits, dans la forêt, sous les
arbres, et je les couvrais de branchages pour les protéger du froid.
Dans la rue, je me faisais insulter : «Harkia !»,
criaient-ils. J'évitais le plus possible d'aller en ville. Mes enfants
ont été expulsés de l'école. Les Chaabs
(Algériens) refusaient que les fils de harkis étudient. Nous
étions la risée du village. Ils organisaient des soirées
sur les harkis, pendant lesquelles ils complotaient notre mort. Finalement, mon
cousin nous a recueillis chez lui. Sans nouvelles de mon mari pendant cinq ans,
je croyais qu'il était mort. Un jour, j'ai reçu une lettre de
lui : il était à la prison de Batna. Je suis allée le
voir, je l'ai trouvé maigre à pleurer. Il ne lui restait que la
peau sur les os. Il m'a raconté que leurs gardiens pissaient sur des
pastèques qu'ils leur mettaient sous le nez : «Mangez
klebs !», criaient-ils »615(*).
De même, Zahia Rahmani revient sur les cinq
années d'épreuves endurées par sa mère - et
d'autres comme elle - après que son père fut
arrêté :
« Elle me parle cette fois de sa guerre de femme.
Les cinq ans sans Moze. Elle me dit son ardeur, celle qui lui fut
nécessaire pour maintenir ses enfants en vie. Elle me dit sa joie. Celle
d'avoir surmonté des temps ombrageux. Elle me dit sa patience, son
assurance et sa ruse. Elle vivait maintenant dans une ville. A
l'intérieur d'une grande bâtisse qui appartenait à la
famille de son époux. Après l'arrestation de leurs hommes, les
femmes s'y étaient rassemblées avec leurs familles. Les murs de
la cour étaient hauts. Ils les protégeraient des assauts et des
insultes. L'école n'existait plus. Les enfants en revenaient trop
abîmés. Sur les toits, la nuit, des hommes, des amis proches, les
veillaient. Ils les ont veillées jusqu'à la dernière
nuit ». Plus loin, à propos de son grand frère :
« On t'a poignardé à treize ans. Tu as eu le ventre
ouvert parce que ton père était un traître. Mokrane
[NDA : un autre de ses frères] t'a donné trois litres de son
sang pour que tu vives... Tu as été sauvé. Cinq ans dans
ce pays. Cinq ans expropriés, misérables et pourchassés.
J'ai oublié pendant plus de trente ans ces années sordides et il
a fallu que sur ton corps de grand frère je revoie cette chair
boursouflée pour qu'à nouveau tous les cailloux nous tombent
dessus... »616(*).
Nous l'avons dit, les représailles dont furent victimes
les ex-supplétifs à l'été (1ère
grande vague de représailles) et à l'automne 1962
(2ème grande vague) furent davantage et autre chose que la
simple conjonction d'actes de vengeance isolés, supposément
imputables aux seuls combattants de la vingt-cinquième heure.
Perpétrées dans un climat de surenchère nationaliste (la
première vague de représailles est immédiatement
contemporaine des luttes de faction pour la prise de pouvoir au sein du
FLN-ALN), puis d'affirmation de la domination du clan vainqueur (la
deuxième vague de représailles, perpétrée par et
sous l'impulsion de l'ex-armée des frontières, suit de quelques
semaines la prise de contrôle du FLN-ALN par le binôme Ben
Bella-Boumediene), ces violences ne sont pas détachables, dans leur
signification, du contexte de fondation d'un régime militarisé de
parti unique dans l'Algérie post-coloniale. Guy Pervillé :
« Les arrestations suivies de tortures et de massacres qui
frappèrent alors de nombreux Algériens compromis avec la France
ont souvent été expliquées par des vengeances
spontanées de la population ou par le zèle des marsiens,
volontaires de la vingt-cinquième heure ayant besoin de prouver leur
vertu patriotique. Ces explications sont insuffisantes : l'existence
pendant plusieurs mois de camps de prisonniers oblige à mettre en cause
la responsabilité des commandements des wilayas, de l'Etat-major de
l'ALN et du gouvernement de la jeune République algérienne
formé le 26 septembre 1962 par Ahmed Ben Bella. Tous les concurrents
dans la course au pouvoir avaient besoin de montrer leur patriotisme en se
montrant impitoyables envers les harkis »617(*). Pour cette raison, sans
doute, ces actes de violence s'accompagnent, sinon systématiquement, du
moins très fréquemment de mises en scène macabres
destinées à marquer les esprits et, ce faisant, à asseoir
le pouvoir de ceux qui les commanditent. On pourrait ici multiplier les
témoignages faisant état de l'extrême cruauté des
supplices infligés aux ex-supplétifs et autres catégories
de musulmans pro-français618(*), apparentant la mise à mort à une
cérémonie du "dire" (à l'adresse des gens ordinaires)
autant que du "faire" (à l'encontre des ennemis désignés).
Un supplément au n°371 du 14 novembre 1962 de la Nation
française publie les premiers témoignages de harkis
rescapés. Récit du moghazni K. Amar de la S.A.S. de Lentia,
arrondissement de Mila (Constantinois) : « Voici ce qui s'est
passé en Algérie à Trolard Taza : le FLN a
reconstitué les deux petites unités de harkis qui avaient
mené le combat dans les rangs de l'armée française.
Devant un grand concours de population, il les a disposés face
à face dans une arène improvisée, et leur a imposé
une rencontre au poignard. Comme la combativité des malheureux, de
dépit de la promesse faite de laisser la vie sauve à
l'unité victorieuse, l'ALN, pour stimuler les énergies, a abattu
sur-le-champ quelques harkis. Le combat eut lieu, âpre, sauvage... Et les
survivants furent tous abattus par l'ALN et leurs corps abandonnés sans
sépulture pendant plusieurs semaines »619(*). Le caporal L. Brahim de la
SAS de Texenna, puis de Duquesnes, près de Djidjelli (Constantine),
témoigne pour sa part avoir été directement victime de ces
séances d'expiation collective : « (...) Puis un
jour les Fellagha ont réuni toute la population civile. Ils
nous ont à nouveau attachés les mains à tous les trois et
à un autre moghazni de la SAS de Tamentout. Alors, pendant trois jours,
les civils, conduits par les Fellagha, nous ont battus à coups
de bâton, de pierre. Nos femmes ont subi le même sort que nous.
Après ces trois jours, nous étions presque morts, nous quatre et
nos femmes, couverts de plaies, surtout à la
tête »620(*). Fatna Tabti se souvient avoir enduré une
séance de torture publique de son mari, ancien moghazni à la SAS
de Saint-Leu (près d'Oran), qui pensait avoir trouvé refuge
à Chanzy, chez son beau-frère. Il est pourtant
arrêté par l'ALN. Le surlendemain, « un camion parcourt
Chanzy invitant les habitants «à venir au camp assister
à des scènes de cinéma». Parmi les villageois
amusés, Fatna et ses enfants voient son mari parmi d'autres harkis.
«Tous en short, on les faisait escalader des rouleaux de
barbelés» »621(*).
Dans un entretien avec Benjamin Stora, pour Les
Années algériennes, l'ancien maire d'El-Affroun, Jack
Averseng, dira avoir été personnellement témoin de ces
massacres en place publique :
« Ce massacre des harkis, vous y avez
personnellement assisté ?
J.A. : Oui.
- A El-Affroun ?
J.A. : A El-Affroun. Mais, bien sûr !
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
J.A. : On leur faisait boire du pétrole, et on
leur mettait le feu.
- Vous l'avez vu, ça ?
J.A. : Mais oui ! Ça se passait sur la place
publique.
- Vous étiez encore maire ?
J.A. : Non. Ça s'est passé après
moi.
- Et vous n'avez pas pu vous opposer ?
J.A. : Mais l'armée n'a rien fait !
L'armée n'est pas sortie.
- Parce que l'armée française était
encore là ?
J.A. : L'armée française avait ordre de ne
pas bouger...
- Et on a laissé massacrer les
harkis ?
J.A. : Oui !... On n'a pas voulu les avoir en
France »622(*).
Encore une fois, ce déchaînement de violence et,
plus encore, la "spectacularisation" de la mise à mort des
« traîtres » dans un contexte où tout foyer de
résistance hérité de l'ère coloniale est pourtant
juridiquement et factuellement éteint ne sont pas dénués
de sens, bien au contraire. L'emploi de telles méthodes atteste que ces
violences participent non seulement d'un processus d'épuration, mais
aussi - mais surtout - d'un processus de fondation : elles visent autant
à édifier les gens ordinaires sur ce qu'il pourrait leur en
coûter de contester l'hégémonie naissante du FLN
qu'à éradiquer les « traîtres » en
raison de leurs agissements passés. On voit comment l'ALN s'attache
à impliquer les populations - ne serait-ce que passivement - dans
l'exécution des représailles, de la même manière
qu'elle s'était attachée à impliquer ces populations dans
la conduite de la guerre (voir le chapitre III de la Partie 1 ci-dessous).
Certes, aux dires de certains témoignages, les populations civiles ne
sont pas pour rien dans cette escalade de manifestations d'ardeur - et de
terreur - "patriotiques". Mais c'est bien dans un contexte de verrouillage
politique de la société algérienne, sans claire
distinction entre ce qui participe du domaine de la force et ce qui participe
du domaine de la loi, que doivent être compris les agissements de ceux
qu'il est convenu d'appeler les « marsiens ». Dans ce
contexte insécure, l'abandon à la violence peut être
vécue comme la condition même du dédouanement - les
tueries, et notamment les exécutions publiques et les lynchages,
revêtant alors comme une dimension cathartique. Témoignage de
Messaoud Kafi, ancien harki : « C'était l'hystérie
générale. Des foules immenses parcouraient la ville en hurlant.
Ceux qui n'avaient même pas été harkis mais qui, par peur,
s'enfuyaient étaient rattrapés puis lynchés par des hordes
de voyous qui faisaient la loi à coups de hache et de
gourdin »623(*).
De ce point de vue, le sort des prisonniers fut à
l'unisson de celui des autres suppliciés. Dans sa lettre du 13 novembre
1962, l'ambassadeur de France s'inquiétait des « traitements
particulièrement odieux » subis par les anciens
supplétifs. Pour qui est familier des précautions de langage
diplomatiques (même s'agissant d'une lettre de protestation), il est
permis de penser que les traitements infligés à ces
« victimes de la propagande colonialiste »624(*) furent en effet des plus
odieux.
Ainsi, contrairement à ce que déclarait Ahmed
Ben Bella le 3 juin 1963 en réaction aux protestations
françaises, l'Algérie n'a jamais
« pardonné » aux anciens harkis625(*). À l'inverse, tout
indique que les représailles exercées à leur encontre
n'ont été rendues possibles que grâce au concours et de par
l'initiative des forces armées et, comme le confirme à demi-mot
Amar Bentoumi, du fait de la complicité bienveillante - à tout le
moins - des autorités algériennes. Témoignent en ce sens
tant l'éventail des mauvais traitements infligés aux musulmans
pro-français - emprisonnement, travaux forcés, exécutions
sommaires précédées ou non de sévices,
exécutions publiques précédées ou non de
sévices - que le caractère cyclique des exactions. A cet
égard, l'ancien sous-préfet d'Akbou, M. Jean-Marie Robert,
pointant le caractère prémédité de ces massacres,
souligne que ceux-ci ont été perpétrés par vagues
successives, « s'abattant soudainement sans aucune cause locale
particulière », et lors même que les victimes des vagues
les plus tardives avaient jusque-là résidé dans leurs
villages « sans être nullement
inquiétées » : « Il n'était donc
plus question de vengeance à chaud, ni même de liquider ceux qui
s'étaient particulièrement engagés avec la France, ce qui
avait été fait largement lors de la première vague de
répression, mais de tuer ceux qui, ou bien n'avaient jamais caché
leurs sentiments profrançais, ou bien simplement avaient accepté,
sans que la population ne trouve rien à redire, de participer au
système administratif de l'époque, sans avoir jamais pris part ni
à la répression, ni à des prises de position politiques
caractérisées. Beaucoup avaient même été
inquiétés ou suspectés par l'armée à juste
titre »626(*).
De fait, l'éventail des personnes ciblées va
bien au-delà des seuls combattants musulmans de l'armée
française. Jean-Marie Robert rapporte ainsi que, dans sa
circonscription, les centres d'internement de l'ALN « contenaient
environ deux tiers d'ex-supplétifs et un tiers de civils (maires,
conseillers généraux, conseillers municipaux, chefs de village
désignés, généralement contre leur gré par
l'armée, anciens combattants et de plus ceux qui avaient
été dénoncés, à tort ou raison, librement ou
sous la torture, comme ayant travaillé pour la
France) »627(*). Il revient sur ce point plus avant :
« A noter également que l'on ne parle que de harkis alors que
la proportion non négligeable de civils est de l'ordre d'un tiers
constitué d'élus de tous rangs, de chefs de villages, d'anciens
combattants ou de simples civils. À titre d'exemple, sur six conseillers
généraux, deux ont été tués, deux ont pu se
réfugier en France, un est en prison depuis le 1er août
après d'atroces sévices et un autre a été
libéré après deux mois de détention et de tortures.
Sur onze maires : cinq tués, un en prison, deux évadés, un
détenu puis libéré, un libre »628(*).
Ceci atteste que le massacre des harkis n'était pas la
simple "rétribution" des exactions commises par certains anciens
supplétifs, qu'il n'était pas un simple accès de vengeance
des victimes de ces exactions, mais qu'il participait, de la part du FLN, d'une
entreprise calculée, dont la visée était clairement
hégémonique : il s'agissait bien, pour le futur parti-Etat,
de faire table rase - au sens propre comme au sens figuré - des cadres
d'allégeance liés de près ou de loin à la
période coloniale, ainsi que de leurs chevilles ouvrières,
civiles et militaires. Déjà, dans El Moudjahid du
1er novembre 1958, dans un style visiblement directement
inspiré par la pensée de Frantz Fanon (voir ci-dessous629(*)), Krim Belkacem
écrivait : « Notre révolution devient le creuset
où les hommes de toute conditions, paysans, artisans, ouvriers,
intellectuels, riches ou pauvres subissent un brassage tel qu'un type d'homme
nouveau naîtra de cette évolution »630(*). A cet égard, Omar
Carlier rappelle que « [les chefs de l'insurrection] se
considèrent comme l'avant-garde d'une Révolution, à la
fois nationale et internationale, nourrie en 1954 de références
à Valéra et Mao, ou encore à Giap et Nasser ».
Et il ajoute : « Révolution, tel est en effet, depuis
l'Etoile Nord-Africaine, et surtout depuis l'OS, le mot magnétique du
nationalisme radical. (...) Il s'agit également de fonder une
Algérie nouvelle débarrassée de ses féodaux et
de ses caïds »631(*). Plus encore que Krim Belkacem, l'auteur des
Damnés de la terre632(*) et rédacteur d'El Moudjahid,
Frantz Fanon était explicite sur le moyens requis pour atteindre
à ce « changement de panorama » :
« Dans décolonisation, il y a donc exigence d'une remise en
cause intégrale de la situation coloniale. Sa définition peut, si
on veut la décrire avec précision, tenir dans la phrase bien
connue : «Les derniers seront les premiers». La
décolonisation est la vérification de cette phrase ».
Et il précise : « Présentée dans sa
nudité, la décolonisation laisse deviner à travers tous
ses pores, des boulets rouges, des couteaux sanglants. Car si les derniers
doivent être les premiers, ce ne peut être qu'à la suite
d'un affrontement décisif et meurtrier des deux protagonistes. Cette
volonté affirmée de faire remonter les derniers en tête de
file, de les faire grimper à une cadence (trop rapide, disent certains)
les fameux échelons qui définissent une société
organisée, ne peut triompher que si on jette dans la balance tous les
moyens, y compris, bien sûr, la violence »633(*). Cela renvoie à une
question importante, soulevée par Mark Levene :
« Pourquoi des gens - que parfois même on n'aurait pas
distingués du reste de la population dominante - se retrouvent-ils
étiquetés, non seulement comme différents, mais d'une
façon telle que l'Etat, à un certain moment, décide que la
seule forme d'action possible est de les éliminer ? ».
« Il semble, poursuit-il, que cela soit intrinsèquement
lié aux efforts des Etats pour organiser socialement des groupes
indigènes ou traditionnels, souvent de manière très
rapide, voire par de grands bonds en avant de caractère
révolutionnaire, et concerne ce qui se passe lorsque, face à la
simple magnitude des tâches qu'ils s'assignent, ces Etats font
dramatiquement fausse route. Ce n'est donc pas un hasard si les victimes des
génocides sont ceux qui se trouvent en travers de la voie, qui
s'opposent activement, ou dont les systèmes culturels de croyances
remettent en question la plausibilité ou le sens de ces projets
eux-mêmes »634(*).
b) Le bilan
Les estimations du nombre de musulmans pro-français
massacrés après l'indépendance s'échelonnent entre
quelques milliers et cent cinquante mille. Alistair Horne a qualifié ces
variations d' « extravagantes »635(*) : en fait, elles sont
fonction, d'abord, de l'approche méthodologique de leurs auteurs mais
aussi, et parfois plus encore, de leurs engagements militants. Il est un fait,
cependant, qu'en raison du mode opératoire de ces massacres et de leurs
circonstances politiques, il n'existe sans doute, à ce jour, aucun
élément de comptage ou d'archivage véritablement fiable ou
exhaustif. Il est néanmoins possible d'invalider les évaluations
extrêmes - les plus basses comme les plus hautes - tant apparaissent
clairement les motifs de sous-évaluation ou de surévaluation dans
la démarche d'auteurs qui, en outre, varient parfois assez nettement
dans leurs propres estimations, sans justifier ces écarts ni rendre
compte de leur méthode d'évaluation.
Le bilan du massacre des harkis présente ainsi des
difficultés d'évaluation certaines, à la fois
méthodologiques, politiques et idéologiques :
- méthodologiques d'abord, du fait, notamment, de la
difficulté d'accès et de la parcimonie probable des archives
afférentes à ces massacres en Algérie ainsi que de la
difficulté, aujourd'hui encore, d'y recueillir des témoignages
fiables et non contraints ;
- politiques ensuite, puisque cette démarche, par sa
seule mécanique (et sans même préjuger de ses
résultats comptables), vient heurter les récits consacrés
des Etats algériens et français qui, chacun à leur
manière ("victoire" pour les uns, solution "pragmatique" pour les
autres), voient dans les accords d'Evian un épilogue signifiant et somme
toute définitif à la guerre d'Algérie (voir la Partie
4) : il n'est qu'à voir, par exemple, en Algérie, le
rôle joué par l'Organisation Nationale des Moudjahidin (ONM) dans
le "filtrage" de la production historique;
- idéologiques enfin, puisque ceux à qui incombe
professionnellement la charge d'opérer de telles évaluations,
à savoir les historiens, ne sont pas, des deux côtés de la
Méditerranée, sans investir dans leur démarche autre chose
qu'une simple expertise professionnelle : le massacre des harkis est de
ces épisodes de la guerre d'Algérie qui, pour des raisons qu'il
nous appartiendra de préciser plus avant, suscite dans cette
communauté de chercheurs des investissements d'ordre
"extra-épistémologique".
Dans quelle mesure les évaluations des historiens
ont-elles été affectées par ces difficultés ?
Et comment ceux qui ont objectivé leur méthode
d'évaluation ont-ils tenté de s'en affranchir ?
Un premier groupe d'historiens est constitué de ceux
qui, proposant systématiquement des évaluations a minima
du massacre des harkis, n'ont pour autant jamais objectivé leur
méthode d'évaluation (sans que l'on sache très bien, donc,
quelle est dans leur démarche la part de la prudence
méthodologique et la part des résistances
"extra-épistémologiques"). Parmi ceux-ci se trouve un
spécialiste reconnu et honoré de la guerre d'Algérie,
l'historien Charles-Robert Ageron, directeur du Groupe de recherche sur
l'histoire de la décolonisation à l'IHTP, qui, dans l'un de ses
articles, avait suscité la polémique en écrivant
l'expression « drame des harkis » entre guillemets et
assortie d'un point d'interrogation636(*). Dans un précédent article, en
1995637(*), celui-ci
estimait d'ailleurs à « plusieurs milliers »
seulement le nombre des supplétifs massacrés après le 19
mars 1962. Or, les estimations "planchers" les plus courantes font état
d'au moins 30.000 victimes. Et selon Alistair Horne638(*), Ahmed Ben Bella
lui-même, pourtant peu suspect de vouloir grossir les chiffres des
massacres de l'après-indépendance, avait estimé le nombre
des victimes à 15.000.
Nous verrons plus avant639(*) que les « engagements
progressistes » de Charles-Robert Ageron640(*), et son soutien
revendiqué à la politique de sortie de crise suivie par le
général de Gaulle en 1962, ne sont sans doute pas pour rien dans
sa volonté de minimiser l'ampleur des représailles
consécutives à la signature des accords d'Evian et à
l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Mais les
estimations de Charles-Robert Ageron pèchent d'abord et avant tout par
l'absence d'objectivation de sa méthode d'évaluation ; aussi
sont-elles sujettes à d'importantes variations - inexpliquées -
d'une publication l'autre : « plusieurs milliers » en
1980641(*),
« de 10.000 à 30.000 » en 1991642(*), à nouveau
« plusieurs milliers » en 1995643(*), et
« 10.000 » en 2000644(*).
A l'instar de Charles-Robert Ageron, l'historien Gilbert
Meynier645(*) a
également tendance à proposer des évaluations a
minima des massacres postérieurs à la signature des accords
d'Evian sans pour autant objectiver sa méthode d'évaluation.
Ainsi, dans un article commun avec Mohammed Harbi646(*), article qui se voulait une
réponse à la sortie du livre de Georges-Marc Benamou (Un
Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie),
ces auteurs écrivent que, « à titre
hypothétique, l'origine de ces dizaines de milliers de gens tués
comptabilisés comme harki(s) pourrait provenir d'un amalgame non
innocent avec les Algériens tués d'une manière ou d'une
autre par l'ALN-FLN de 1954 à 1962, et comprenant, outre les harki(s)
tués en 1962-63, les «traîtres» abattus et les victimes
des purges internes de l'ALN, total général que l'un de nous
(Gilbert Meynier) a proposé, au grand maximum, à une cinquantaine
de mille en chiffres ronds »647(*). Il se trouve que les deux derniers bilans
catégoriels - celui concernant les civils musulmans abattus par le
FLN/ALN entre 1954 et 1962 d'une part, celui concernant les purges internes au
FLN ou au mouvement nationaliste dans son ensemble (guerre FLN-MNA) d'autre
part - sont relativement bien connus et non sujets à des écarts
extravagants d'un historien l'autre. Il est donc possible, par
déduction, d'approcher le bilan du massacre des harkis tel que
l'estiment Mohammed Harbi et Gilbert Meynier. Le premier bilan
catégoriel (bilan des civils musulmans abattus par le FLN/ALN entre 1954
et 1962) a donné lieu à un décompte très officiel
de la part des autorités françaises peu après la signature
des accords d'Evian, bilan non contesté (mais très peu
cité) par les historiens : ce décompte officiel fait
état de 29.674 civils musulmans tués ou disparus entre le
1er novembre 1954 et le 19 mars 1962 en raison des agissements du
FLN (pour 3.163 victimes européennes, auxquels s'ajoutent 13.610 civils
musulmans blessés et 7.541 européens). Le deuxième bilan
catégoriel (bilan des purges internes au FLN et au mouvement
nationaliste dans son ensemble), qui n'a fait l'objet d'aucun décompte
officiel, donne lieu à des estimations qui s'échelonnent entre
10.000 (Guy Pervillé) et 14.000 victimes (Maurice Faivre). Il en
découle, par simple déduction, que Mohammed Harbi et Gilbert
Meynier estimeraient le nombre des musulmans pro-français tués
après la signature des accords d'Evian comme étant compris entre
6.000 et 10.000, soit un niveau comparable aux estimations les plus basses de
Charles-Robert Ageron.
Un deuxième groupe est constitué de ceux, parmi
les historiens, qui ont basé leurs évaluations sur une
méthode précise, objectivée et, à ce titre,
falsifiable (au sens de réfutable). Ainsi en va-t-il, en premier lieu,
du général Maurice Faivre, qui estime à environ 65.000 le
nombre des supplétifs massacrés après le 19 mars 1962,
avec une marge d'incertitude assez importante de 44%648(*). Auteur de plusieurs
ouvrages consacrés à l'histoire des combattants musulmans de
l'armée française, l'auteur - lui-même ancien chef de harka
- ne cache pas sa sympathie pour les intéressés. Mais il fonde
ses calculs sur une méthode - la méthode démographique -
dont il expose les tenants, et qu'il est loisible à tout un chacun de
critiquer dans ses aboutissants. Son point de départ, donc, est
l'estimation du nombre global de morts musulmans - toutes obédiences
politiques confondues - engendrés par la guerre d'Algérie. Cette
estimation, originellement due aux calculs de l'historien Xavier Yacono
(né à Alger en 1912)649(*), se fonde sur la comparaison de deux
évaluations théoriques de l'effectif de la population
algérienne musulmane en 1962 : « L'une, calculée
régressivement à partir des données de 1966, l'autre, en
progressant à partir de celles de 1954, en supposant dans les deux cas
un accroissement linéaire. La première étant
inférieure à la seconde, la différence correspond au
déficit démographique total causé par la
guerre »650(*). Cette méthode, ajoute Guy Pervillé,
« considère globalement les pertes de la population
recensée comme «française musulmane» en 1954 et comme
«algérienne» en 1966 »651(*), sans distinguer entre les
camps opposés, entre les civils et les combattants, entre les morts
accidentelles et les morts violentes. Elle englobe les pertes des militants et
combattants du FLN, les victimes des règlements de compte entre le FLN
et le MNA (Mouvement National Algérien, de Messali Hadj), les victimes
des purges internes au FLN, les victimes civiles musulmanes des
activités terroristes du FLN, les pertes des supplétifs musulmans
tués au combat, les victimes civiles musulmanes des opérations de
ratissage de l'armée française, les anciens supplétifs
victimes des représailles du FLN après la conclusion du
cessez-le-feu, mais aussi la part de surmortalité civile indirecte et le
déficit de naissances due à la dégradation des conditions
de vie. Au total, donc, Xavier Yacono estime vraisemblablement
inférieures à trois cent mille (300.000) les pertes de la
population musulmane entre 1954 et 1962. Partant de ces estimations globales et
des bilans catégoriels connus, Maurice Faivre s'est efforcé
d'approcher le nombre des musulmans assassinés après le 19 mars
1962. Il s'en explique :
« Les études démographiques
fondées sur les recensements de 1954 et 1966 concluent que les pertes de
la population algérienne dues à la guerre sont comprises entre
234.000 (estimation Ageron pour l'Algérie sans les
émigrés) et 290.000 (estimation maximale Yacono). Si l'on
retranche de ces chiffres :
- les combattants décédés : 158.000
(pertes ALN/FLN et purges internes) + 6.615 (supplétifs et soldats
réguliers musulmans de l'armée française) + 16.678 (civils
musulmans tués par le FLN) = 180.993
- les musulmans disparus : 13.296 civils + 1.500
supplétifs + 550 militaires = 15.326 + N
on obtient des valeurs comprises entre 37.680 et 93.680, soit
une moyenne de 65.000 (à 44% près), pouvant correspondre
aux harkis massacrés en 1962, et dont il faudrait retrancher N disparus
non signalés. Cette estimation est imprécise et ne peut
être vérifiée. Elle suppose que les recensements sont
exacts, et en particulier que le taux de croissance de la population musulmane
entre 1954 et 1966 est nettement supérieur à
3% »652(*).
Charles-Robert Ageron n'est d'ailleurs pas sans ignorer
l'approche de Xavier Yacono qu'il a reprise à son compte en 1992 pour
estimer les pertes globales au sein des populations musulmanes, les chiffrant
pour sa part à quelque 250.000653(*). Mais, curieusement, il n'y fait jamais
référence pour distinguer entre les différentes
catégories de victimes au sein de cet ensemble, et notamment pour fonder
ses estimations des massacres de l'après-indépendance, lesquelles
semblent devoir davantage à la volonté de ne pas exagérer
les chiffres - au risque de les minimiser - qu'à celle de les approcher
au plus près. Il est vrai que l'intérêt de la
méthode démographique réside moins dans ses apports en
termes de précision des bilans catégoriels que dans sa
capacité à invalider les bilans catégoriels fantaisistes
(notamment les surévaluations), justement parce qu'elle donne une
échelle de mesure globale. Ainsi les estimations globales de Yacono et
Ageron invalident-elles les "estimations-slogans" à usage de propagande,
telle celle du million et demi de martyrs algériens
accréditée par le FLN654(*), ou - pour ce qui nous concerne plus directement -
celle des cent cinquante mille (150.000) anciens harkis et membres de leurs
familles massacrés après l'indépendance, chère
à certaines associations de rapatriés655(*). Pour sa part, Guy
Pervillé souligne que cette dernière estimation, de par son
caractère outré, « nuit à la
crédibilité de ce que les intéressés affirment et,
à la limite, peut provoquer un réflexe de méfiance a
priori »656(*).
Un troisième groupe d'historiens propose des
évaluations "hautes" du massacre sans pour autant objectiver ses
méthodes de chiffrage. Ainsi en va-t-il par exemple de Mohand Hamoumou,
lui-même fils de harki, dont plusieurs contributions font état
d'un bilan tournant autour de 100.000 victimes, bilan qui, quoique assez
nettement inférieur à celui des 150.000 proposé par les
acteurs associatifs pré-mentionnés, est très certainement
surévalué.
Ainsi que le souligne Jacques Sémelin, « les
caractéristiques révoltantes des massacres ne doivent pourtant
pas empêcher de s'interroger sur la logique des acteurs et de leurs
intentions »657(*). Et l'auteur d'inviter l'analyste à saisir
« ce qui, dans le crime de masse, relève du froid calcul des
hommes »658(*). Dans le chapitre suivant, il nous faudra
précisément mettre au jour les visées politiques qui ont
présidé au ciblage systématique des civils musulmans non
inféodés au FLN pendant la guerre, puis à leur
éradication massive après la guerre. A cet égard, il est
essentiel de déconstruire l'habillage rhétorique des
massacres : comment les musulmans non inféodés au FLN (qu'il
s'agisse de musulmans dits « pro-français » ou de
nationalistes dissidents) ont-ils été figurés
politiquement par cette organisation ? Et qu'est-ce que ces figurations
nous disent de la rationalité stratégique du FLN dans et
par-delà la guerre ?
L'examen des conditions de fondation de l'Algérie
nouvelle et de la visée hégémonique qui la sous-tend
appelle donc une mise en perspective des pratiques de démonisation
(violence symbolique) et d'éradication (violence
révolutionnaire). Ou, pour le dire autrement, une mise en
évidence du mouvement itératif entre langage et violence,
à savoir : la question des fondements imaginaires de la violence
politique659(*) et,
symétriquement, celle de la rétroaction de la violence sur les
imaginaires politiques.
III. Une destinée
pré-tracée : le massacre des harkis par le FLN, un crime de
froide logique révolutionnaire
La figuration comme « traîtres » et
le ciblage systématique des musulmans non inféodés au FLN
pendant la guerre d'Algérie, puis le sort "exemplaire"
réservé à nombre d'entre eux après
l'indépendance, sont des composantes essentielles de
l'histogenèse du nouvel Etat algérien. Conformément
à la visée hégémonique du FLN dans la
société algérienne, la fondation du nouvel ordre politique
participe d'abord et avant tout d'une politique de la table rase",
entièrement tendue vers ce « monde tout artificiel,
placé en avant du présent » décrit par Georges
Sorel660(*), et qui
appelle l'élimination sur le territoire comme dans l'imaginaire de tout
ce qui ne trouve pas sa place dans le récit de la
"Révolution" : au mythe nationaliste d'une Algérie
exclusivement arabe et musulmane (« Nous sommes des Arabes, des
Arabes, des Arabes ! »661(*)) s'ajoute celui - césariste - de
l'unanimité des masses derrière le FLN (« Un seul
héros, le Peuple ! »). La recomposition par le vide de
l'Algérie nouvelle exigeait donc - outre le départ des
Européens et des autochtones de confession juive - que les musulmans
francophiles et les nationalistes dissidents soient assimilés non
à des opposants mais à des
« traîtres » ; non à une des multiples
facettes du « Nous » mais à "l'ennemi
intérieur" à la solde de l'étranger.
Compte tenu de cette visée hégémonique,
le massacre des harkis à l'issue de la guerre d'Algérie -
précédé du ciblage systématique des civils
musulmans non inféodés au FLN pendant la guerre (jusque et y
compris, donc, les nationalistes dissidents) - est un crime "logique". Loin
d'être un événement contingent ou irrationnel, le massacre
des harkis est consubstantiel de la stratégie du FLN dans et
par-delà la guerre : d'une logique de front unique à une
logique de parti unique, le FLN n'entendait pas simplement assumer un
rôle de « libérateur » mais aussi et surtout
un rôle de « guide » dans la société
algérienne, sur le modèle des partis-Etats alors en vogue dans
les régimes du tiers-monde. Déjà, la plate-forme de la
Soummam du 20 août 1956, qui dépeint le FLN « comme
guide unique de la Révolution Algérienne », exige que
le FLN soit reconnu « comme seule organisation représentant le
peuple algérien et seule habilitée en vue de toute
négociation », et stipule que « les conditions sur
le cessez-le-feu étant remplies, l'interlocuteur valable et exclusif
pour l'Algérie demeure[ra] le FLN »662(*). Cette même
plate-forme précise d'ailleurs que « toutes les questions
ayant trait à la représentativité du peuple
algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement,
élections, etc.) ». Dans ce droit fil, la Constitution du
10 septembre 1963 - la première de l'Algérie post-coloniale -
énonce que le FLN est le « parti unique d'avant-garde en
Algérie » (article 23) et qu'il :
« - Mobilise, encadre et éduque les masses
populaires pour la réalisation du socialisme ;
- Perçoit et reflète les aspirations des masses
par un contact permanent avec celles-ci ;
- Elabore, définit la politique de la nation et en
contrôle l'exécution;
- Est composé, animé et dirigé par les
éléments révolutionnaire les plus conscients et les plus
actifs ;
- Base son organisation et ses structures sur le principe du
centralisme démocratique. » (Préambule)663(*).
Qu'on ne s'y trompe pas : ni le principe de
l'unité d'action dans la guerre d'indépendance, ni
l'impératif de formation de l'esprit national (qui, l'un et l'autre,
peuvent revêtir des modalités multiples, plus ou moins
consensuelles) n'impliquent par essence qu'une fraction de la
société, se posant en dépositaire exclusif de l'esprit et
de la légitimité nationale, impose en retour son
hégémonie sur le reste de la société. Nulle
fatalité liée au processus de décolonisation donc, mais
une logique d'action particulière, visée et entreprise par une
organisation donnée, qu'il s'agit précisément de mettre au
jour pour comprendre ce en quoi et ce pourquoi la figuration politique du harki
comme « traître » est, par excellence, un artefact
politique. Un artefact dont les conséquences, bien réelles elles,
furent ce que l'on sait.
En ce sens, il nous faudra considérer le ciblage
systématique des populations civiles non inféodées au FLN
pendant la guerre, puis l'éradication des musulmans pro-français
après la guerre, comme liés non seulement à une certaine
manière de conduire la guerre et de la conclure, mais aussi - et surtout
- à « un processus de fabrique de
pouvoir »664(*). Jacques Sémelin, se référant
à Charles Tilly : « On a ici en tête la relation
entre war making et state making qui peut être
complétée par celle de crime
making »665(*). « Oser massacrer des civils, écrit
Jacques Sémelin, c'est recourir à une méthode de lutte
extrême, soit pour se saisir du pouvoir, soit pour le conserver. Tout se
passe comme si celui qui se montre le plus résolu à donner la
mort, y compris contre des civils, conquiert du même coup l'ascendant
nécessaire à exercer sa propre autorité sur les
survivants »666(*). Et l'auteur d'ajouter : « De ce
point de vue, l'action de massacrer n'est pas l'expression d'un pouvoir qui se
sent fort mais qui aspire à le devenir. Massacrer ne serait pas en ce
sens l'expression d'une position de force mais plutôt de faiblesse, qu'il
s'agit précisément de subsumer par le recours au
massacre »667(*).
Aussi, plutôt que de considérer le massacre des
harkis comme un moment d'hystérie collective ou un « trou
noir », au sens d'un événement vide de sens
échappant à toute rationalité668(*), il nous faudra montrer que,
loin de constituer une rupture de sens dans l'histoire de la guerre
d'Algérie et de l'accession à l'indépendance de ce pays,
il est au contraire paradigmatique des voies et moyens du FLN dans et
par-delà la guerre : moment fondateur de l'Etat-FLN, il est
« la voie par laquelle un pouvoir impose sa transcendance sur les
individus en s'arrogeant le droit de tuer en masse un segment de cette
société »669(*). Au fond, le massacre des harkis est à
l'articulation d'une certaine manière de conduire la guerre (via
notamment une stratégie d'implication forcée des populations
civiles et l'application corrélative d'une politique de terreur à
l'encontre des récalcitrants et des "tièdes") et d'une certaine
manière de concevoir le politique (visée
hégémonique dans la société algérienne,
d'une logique de front unique à une logique de parti unique) :
à la fois résultante et moment fondateur, donc. Aussi ne
s'agira-t-il pas de faire l'étude de ce massacre en tant
qu'évènement ponctuel mais, à la manière de Jacques
Sémelin, « de prendre en compte le phénomène
plus large qui le précède et l'accompagne »670(*), à savoir :
- « l'ensemble d'actes souvent d'une extrême
violence qui précèdent et/ou accompagnent les massacres
proprement dits »671(*) : en l'occurrence, la politique de terreur
pratiquée par le FLN à l'encontre des populations civiles
européennes et, surtout, musulmanes entre 1954 et 1962 ;
- « la formation d'un imaginaire de destruction
comme opérateur collectif du crime de masse » 672(*), dont participe notamment la
construction d'une figure de l'ennemi intérieur.
L'insurrection du 1er novembre 1954,
décidée par les membres les plus résolus de la branche
armée clandestine du Parti populaire algérien (PPA)/Mouvement
pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), était
moins le fruit d'une réflexion prospective sur les principes qui
devaient guider l'édification d'une Algérie nouvelle673(*), que l'expression de
l'impatience des éléments les plus radicaux à engager la
destruction de l'ordre établi : le vrai dénominateur commun
résidait donc dans la réfutation du réformisme et la
promotion de la lutte armée674(*). Mohamed Boudiaf, interrogé par Yves
Courrière quelques années après l'indépendance, ne
dit pas autre chose : « A la veille de l'insurrection, nous
n'avions pas une conception précise de ce que devrait être le
programme de la révolution algérienne. Le mot révolution
désignait surtout la façon dont nous entendions conquérir
l'indépendance contre l'appareil colonial, d'une part, par la violence,
contre les méthodes réformistes et bureaucratiques du mouvement
nationaliste, de l'autre, en faisant éclater les vieilles structures de
ce mouvement »675(*). Cet accord a minima sur l'emploi de la
violence, décidé par une faction minoritaire de la mouvance
nationaliste, n'est pas sans faire peser de lourdes hypothèques sur le
processus ainsi enclenché : sans claire vision de l'avenir,
l'entreprise insurrectionnelle n'encourrait-elle pas le risque d'être
prisonnière des moyens au détriment des fins ?
Ce risque - qui était en même temps une
opportunité pour les éléments les moins "politiques" du
PPA - a été semble-t-il parfaitement assumé, voire
revendiqué par ses promoteurs676(*). D'ailleurs, la proclamation du 1er
novembre 1954, outre l'objectif de l'indépendance (qui, à ce
stade, reste cependant une "coquille vide" en l'absence de programme de
gouvernement), fixe avant tout des objectifs négatifs aux
insurgés, à savoir : 1) « l'anéantissement
[au sein de la mouvance nationaliste] de tous les vestiges de corruption et
de réformisme cause de notre régression
actuelle » ; 2) « la liquidation du système
colonial »677(*).
Le premier objectif situe l'entreprise insurrectionnelle dans
une logique de front unique et affirme son caractère
hégémonique. L'emploi d'un vocabulaire hygiéniste - il est
notamment question d'« assainissement politique par la remise du
Mouvement National Révolutionnaire dans sa véritable
voie » - et la manipulation des catégories du "pur" et de
"l'impur" - il est encore question de
l'« anéantissement de tous les vestiges de corruption et
de réformisme » - signifient bien cette volonté de
plier la mouvance nationaliste, jusque là diverse dans ses
modalités d'expression et dans ses mots d'ordre, à une stricte
discipline révolutionnaire : ce n'est plus la chose politique qui
gouverne la destinée de la mouvance nationaliste, mais le fait accompli
de l'insurrection et de sa répression. « Notre désir,
peut-on lire en amorce de la proclamation, est de vous éviter la
confusion que pourraient entretenir l'impérialisme et ses agents :
administratifs et autres politicailleurs véreux »678(*). La chose politique, en tant
qu'elle n'est pas formatée par et pour l'insurrection, est
présentée comme une impureté, qui corrompt les esprits et
les volontés. Les instructions données - depuis Le Caire - par
Ben Bella en 1955 traduisent bien cette hantise d'une solution
négociée, qualifiée alors - non sans mépris - de
« bourguibiste » : « Les démocrates
français parlent beaucoup de la solution tunisienne en Algérie.
On avance même la question des interlocuteurs valables. On pense à
Abbas et surtout à Messali pour jouer le rôle de Bourguiba (...).
La vigilance des combattants tuera dans l'oeuf le bourguibisme en
Algérie »679(*). Dans ses mémoires inédits,
commentés par Gilbert Meynier680(*), Lakhdar Ben Tobbal (qui fut l'un des commanditaires
de l'assassinat d'Abane Ramdane) marque clairement cette primauté des
moyens, en même temps qu'un certain mépris pour la chose
politique :
« [La discipline] était de fer (...) car
nous avions devant nous une organisation solide, et puis, en plus,
c'était une guerre. En temps de guerre, il ne peut y avoir de place pour
la parlotte ou pour le blablabla » (Ben Tobbal, p.267)681(*).
Le Parti communiste algérien (PCA), qui proposa une
alliance politique au FLN peu après le déclenchement de
l'insurrection, ne put obtenir « la transformation du Front en un
rassemblement pluraliste associant plusieurs partis sur la base d'un programme
commun »682(*). Le FLN n'accepta d'intégrer des militants
communistes qu'à titre individuel et exigea du PCA qu'il
s'auto-dissolve. Mieux, les quelques maquis communistes qui refusèrent
de se fondre dans l'ALN furent combattus et détruits par cette
dernière683(*).
Le FLN intervint plus violemment encore contre le Mouvement national
algérien (MNA) de Messali Hadj, leader historique de la mouvance
nationaliste, qui avait refusé de prêter allégeance au FLN.
Les affrontements furent d'ailleurs comparativement plus violents (et continus)
en France métropolitaine, au sein de la communauté
immigrée, où Messali Hadj bénéficiait d'une forte
audience684(*). La
tragédie de Melouza, cependant, témoigne de ce que la lutte pour
la suprématie entreprise par le FLN fut également sans merci en
Algérie685(*).
Jusqu'au bout, le FLN refusera de donner suite aux appels à la
trêve lancés par le MNA, comme il refusera obstinément de
s'associer au projet de Conférence de la Table ronde « sans
préalable ni exclusive » prônée par Messali Hadj
pour trouver une « solution démocratique » au
conflit algérien686(*). De fait, donner suite à l'une ou l'autre de
ces propositions aurait impliqué pour le FLN de reconnaître le MNA
comme un interlocuteur légitime, ce qui allait à l'encontre de sa
prétention hégémonique. Guy Pervillé estime
à près de 10.000 tués et 23.000 blessés le bilan
total de la guerre intestine au sein de la mouvance nationaliste
algérienne entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962.
Maurice Faivre avance pour sa part le chiffre d'environ 14.000
tués687(*). En
outre, après que les autorités françaises, en mars 1962,
eurent accédé, de fait, à la prétention du FLN de
représenter par exclusive les intérêts du peuple
algérien (le MNA ayant été tenu à l'écart du
processus de négociation d'Evian), « le GPRA prit des mesures
immédiates visant à éradiquer le MNA : arrestation et
détention secrète de tous ses militants, à moins qu'ils
acceptent de renier leur parti et d'adhérer au FLN »688(*). Certes, à partir de
juin 1955, et non sans hésitation, d'autres leaders des anciennes
formations nationalistes - au premier rang desquels Ferhat Abbas et Benyoucef
Benkhedda - acceptèrent de rejoindre le Front et de dissoudre leurs
organisations, mais « [ils] restèrent
spécialisés dans des fonctions de représentation, de
propagande ou de gestion »689(*). Guy Pervillé d'ajouter : « Le
véritable pouvoir de décision et de contrainte appartint toujours
aux «activistes» issus du groupe des 22 fondateurs, chefs
politico-militaires du FLN-ALN ». Cette stratégie de front
unique (et hégémonique) n'était pas simplement
conjoncturelle. Plus qu'un principe de guerre, elle allait valoir principe de
gouvernement puisque, dès janvier 1960, et conformément à
la voie tracée par la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956
(voir ci-dessus), les statuts du FLN adoptés par le Conseil national de
la révolution algérienne (CNRA) stipulèrent que
l'organisation était appelée à « poursuivre
après l'indépendance du pays sa mission historique de guide et
d'organisateur de la Nation algérienne »690(*). Il était même
fait explicitement référence au modèle léniniste du
« centralisme démocratique » dans l'article 7 des
statuts691(*).
Le second objectif consigné dans la proclamation du
1er novembre 1954 - à savoir « la liquidation du
système colonial » - témoigne de la primauté de
la geste insurrectionnelle sur toutes les justifications qui pourraient
l'encadrer. Conquérir l'indépendance, c'est d'abord et avant tout
faire table rase du passé : « La doctrine est simple. Le
but à atteindre c'est l'indépendance nationale. Le moyen, c'est
la révolution par la destruction du régime
colonialiste »692(*). Guy Pervillé note ainsi que le mot
« révolution », plutôt que de définir
un contenu programmatique précis, « qualifiait des principes
et des pratiques faisant de l'efficacité le seul critère du choix
des moyens, à l'opposé du réformisme et du
légalisme »693(*). Dans ses mémoires inédits, Lakhdar
Ben Tobbal précise : « Si vous êtes prêts
à tuer et à sacrifier votre vie, le programme existe »
(Ben Tobbal, p.30)694(*). La logique de front unique avaient vocation
à assurer cette unité d'action qui, dès l'entame de
l'insurrection, conférera au FLN une redoutable efficacité
opérationnelle, d'abord sur le plan "militaire" puis, par la force des
choses, sur le plan diplomatique. Par contraste avec cette unité
d'action, les principes programmatiques, insuffisamment élaborés
et étroitement subordonnés à l'impératif
d'efficacité opérationnelle, apparaissaient
écartelés entre un discours "progressiste" (i.e. socialiste) et
un discours "identitaire" (i.e. islamo-nationaliste) : le discours de la
révolution sociale, conforme à l'air du temps, le disputait
à celui de la restauration des principes islamiques, dans un
confusionnisme qui ira grandissant à mesure que l'on approchera du
dénouement du conflit695(*). Ainsi, pour Guy Pervillé, « le
programme du FLN apparaissait au départ comme un compromis
éclectique entre les «principes islamiques» mal définis
hérités de la tradition précoloniale, et les idéaux
révolutionnaires, démocratiques et laïques, empruntés
à l'enseignement républicain français et au mouvement
communiste international »696(*). De même, Mohammed Harbi, qui fut un acteur de
cette période (avec des sympathies marxistes affichées),
reconnaît rétrospectivement que « le courant populiste
amalgamait des systèmes symboliques et des langages idéologiques
hétéroclites sans se soucier de leurs contradictions ».
Et il ajoute : « Le populisme, hégémonique au sein
du FLN, lorsque celui-ci accéda au pouvoir en 1962, fut marqué
d'une faiblesse congénitale résultant de la combinaison, en son
sein, d'un projet volontariste d'administration autoritaire du pays et, sous le
mythe d'une «authenticité» à retrouver, d'un projet de
restauration culturelle »697(*). Ahmed Ben Bella, premier président de la
république algérienne, lui-même écartelé
entre le dogme de la restauration du caractère arabo-islamique de
l'Algérie698(*)
et la mystique de l'autogestion socialiste, symbolisera à lui seul ce
confusionnisme programmatique. Cependant, pour hétérogènes
qu'ils soient au niveau idéologique, ces discours avaient en commun
d'être en pratique des discours de l'exclusive, promouvant l'usage de la
violence à des fins messianiques : messianisme
révolutionnaire et messianisme religieux ont en commun d'être
pareillement rétifs à toute forme de compromis avec l'adversaire,
que celui-ci fût combattu comme « oppresseur » ou
comme « infidèle »699(*). Sur le court terme, donc, ce confusionnisme
idéologique servait la poursuite des objectifs dits "négatifs"
(ou "destructeurs" de l'ordre établi) précédemment
évoqués ainsi que l'usage des moyens les plus radicaux pour ce
faire.
A. L'invocation autoritaire de l'Un ou la
prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la
représentation des aspirations de la population algérienne
Nous l'avons vu, le FLN revendiquait non seulement des
pouvoirs fondateurs (la fondation d'un Etat-nation indépendant en
rupture complète avec le passé colonial), mais aussi des pouvoirs
hégémoniques (l'établissement d'un régime de parti
unique fondé sur le principe du centralisme démocratique). Cette
visée hégémonique de l'entreprise frontiste impliquait la
« reconnaissance du FLN comme seule organisation représentant
le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute
négociation »700(*). Et donc l'obligation pour les anciennes formations
nationalistes de s'auto-dissoudre sous peine d'être
éliminées par la force. Cette prétention au monopole de la
représentation du peuple algérien était redoublée,
sur le plan rhétorique, par le postulat de l'unanimité des masses
musulmanes derrière le FLN. Lequel - corrélativement - impliquait
que les musulmans non inféodés au FLN - et
particulièrement les harkis - fussent désignés non comme
des opposants mais comme des « traîtres », non comme
une autre facette du « Nous » mais comme une figure de
l'ennemi intérieur.
Ainsi, dans le contexte de la décolonisation et de
l'instauration d'un régime de parti unique, les liens entre fiction et
fondation apparaissent clairement : l'élaboration imaginaire de
l'Un ne va pas sans la désignation fantasmatique de l'Autre,
radicalement "extériorisable" donc "tuable". A cet égard, donc,
la figuration du harki comme "traître" est le symétrique - et le
complément indispensable - du mythe du
« Peuple-Un », unanime et unanimement groupé
derrière le FLN. Or, ainsi que le signale Jacques Sémelin, de
telles représentations anthropomorphiques du politique agissent
potentiellement comme opérateurs de crime collectif « en ce
sens qu'elles réifient, nivellent les caractéristiques
personnelles des individus visés au profit d'un seul trait de nature
politique, raciale, ethnique, etc. » : perçus à
travers un ensemble compact, ceux-ci sont littéralement
"massifiés", pour ne plus constituer qu'une seule et même cible.
C'est précisément de cette figuration/essentialisation du harki
comme ennemi intérieur qu'il nous faut maintenant traiter.
- 1. Le « traître
imaginé » ou l'effacement de la frontière entre
opposition et subversion
Le FLN se définissait non comme une entreprise
politique soucieuse de concourir avec d'autres pour recueillir des suffrages,
mais bien comme le « guide de la Nation » dans son
entier701(*) : un
parti plébiscitaire, en somme. Dans cette logique, l'obligation faite
aux formations nationalistes rivales de s'auto-dissoudre était
redoublée par l'obligation faite aux masses musulmanes d'apporter leur
concours à la « Révolution » ou, tout au
moins, de se conformer à ses mots d'ordre : « Le Front de
Libération Nationale est ton Front, sa victoire est la tienne (...). Ton
devoir impérieux est de soutenir tes frères combattants par tous
les moyens (...). Donc, sans perdre une minute, organise ton action aux
côtés des forces de libération à qui tu dois porter
aide, secours et protection en tous lieux et en tous moments. En les servant tu
sers la cause. Se désintéresser de la lutte est un
crime. Contrecarrer l'action est une trahison »702(*). Ainsi l'organisation
alla-t-elle jusqu'à criminaliser l'attentisme ou la neutralité
affichée des populations civiles musulmanes. Et a fortiori
s'agissant de l'engagement dans les rangs adverses, engagement qualifié
sans surprise de « trahison » puisque le FLN se voulait le
dépositaire exclusif des aspirations des populations musulmanes.
À cet égard, le journaliste Jean Daniel, pourtant convaincu de la
nécessité de l'accession à l'indépendance de
l'Algérie (fût-ce au prix d'une domination du FLN), n'en dressa
pas moins un constat sévère : « Les premiers
maquisards de novembre 1954 ont fait ce rêve insensé de livrer
d'abord une guerre civile, pour transformer tous les Algériens en
étrangers à l'intérieur d'un territoire francisé.
Cela ne pouvait se faire que dans le sang, par la terreur, le sectarisme,
l'intimidation religieuse. Il fallait transformer en traîtres tous ceux
qui n'étaient pas pour l'indépendance ou qui n'y songeaient pas
(...). Il fallait inventer le concept de trahison et faire de tous les
incertains et de tous les tièdes, comme de tous les passifs, des
renégats, des apostats et des collaborateurs » (20 novembre
1962)703(*). De fait,
l'engagement des populations civiles musulmanes aux côtés du FLN
n'était pas simplement optatif mais impératif. Aussi
n'était-ce pas à l'organisation de convaincre les populations du
bien-fondé de son entreprise, mais aux populations de convaincre le FLN
de l'effectivité de leur contribution à l'insurrection. La
culpabilité, voire la « dette », étaient
a priori du côté des populations :
« Algériens ! venez en masse renforcer les rangs du
«FLN». Sortez de votre réserve et de votre silence (...).
Ainsi, vous vous acquitterez envers votre conscience et votre pays d'une lourde
dette »704(*).
Fort du postulat de la coïncidence des vues entre les visées de
l'organisation et l'intérêt national, le Front, inversant la
source de la légitimité, avait aussi renversé la charge de
la preuve. Et Guy Pervillé d'écrire : « Les
libérateurs se préparaient à juger chacun des membres du
peuple algérien au lieu de se laisser juger par
lui »705(*).
A cet égard, Sylvie Thénault souligne que,
pendant la guerre, « l'appareil judiciaire est conçu au sein
du FLN comme le moyen de propager la Révolution et de sanctionner ceux
qui n'y prêteraient pas main forte ». « Cette
logique, ajoute-t-elle, implique d'ailleurs la mise sous tutelle politique des
structures judiciaires créées ». Et de citer des
procès-verbaux de tribunaux de la wilaya III prononçant des
peines de mort contre des civils qui disent - dans leur diversité et
leur "extensivité" mêmes - ce que fut le contrôle implacable
du FLN sur la composante musulmane de la population algérienne, aux fins
de prévenir tout "déviationnisme". L'aperçu non exhaustif
des motifs invoqués pour motiver la condamnation à mort est
édifiant à cet égard : « a pris les armes
contre l'ALN et accusé d'avoir collecté des
impôts », « dénonciation »,
« engagé au MNA », mais encore « a
payé ses impôts », « a assassiné sa
femme sans motif » (sic) ou « elle a participer (sic) au
viol volontaire (sic) avec le djoundi ». Sylvie Thénault
précise à cet égard que « les relations
sexuelles hors mariage sont qualifiées de viols avec consentement ou
volontaire » et que « les affaires de ce type sont
relativement nombreuses »706(*). Ceci pose d'ailleurs la question du statut des
femmes dans la « Révolution » algérienne, et
souligne un décalage manifeste avec une vision progressiste de
l'insurrection, vision artificiellement projetée de l'extérieur
par certains soutiens français au FLN.
Cependant, en dépit des menaces, des millions de
musulmans demeurèrent prudemment attentistes, donnant des gages à
chacune des deux parties (et ce au moins jusqu'à ce que, au cours de
l'année 1960, l'inflexion de la politique du général de
Gaulle devienne évidente707(*)), tandis que des centaines de milliers d'autres
prenaient une part active à l'administration ou à la
défense de l'Algérie française. Bien que niée par
les autorités algériennes depuis 1962, cette
réalité ambivalente fut pourtant largement anticipée et
constatée par les stratèges du FLN qui, dès l'entame de
l'insurrection, ciblèrent systématiquement ceux - musulmans
pro-français et nationalistes "dissidents" - qui refusaient de sacrifier
à l'autorité exclusive de cette organisation708(*). L'objectif était
d'édifier les populations civiles musulmanes sur ce qu'il leur en
coûterait de déroger à l'autorité exclusive du FLN
et, plus encore, de se "compromettre" avec les autorités en place.
Littéralement : une politique de la terreur. « En
principe, écrit Mohammed Harbi, la terreur est un instrument de
défense révolutionnaire contre les collaborateurs, pour raffermir
la discipline nationale. En fait, elle touche indistinctement tous les
milieux »709(*). Du reste, le ton tout à la fois paternaliste
(« Le Front de Libération Nationale est ton Front »)
et menaçant (« Se désintéresser de la lutte est
un crime ») des deux premiers appels du FLN atteste, par son
ambivalence, du décalage entre la rhétorique unanimiste du Front
et la réalité autrement plus labile des aspirations des
populations civiles musulmanes. « Le fait est, écrit Guy
Pervillé, que le FLN dut mener une guerre sur deux fronts : contre
la France pour lui imposer le droit de l'Algérie à
l'indépendance, et contre plusieurs catégories d'Algériens
qui refusaient d'admettre sa légitimité »710(*). Le bilan des victimes
civiles du terrorisme du FLN - ventilé par communauté de
rattachement - témoigne de cette réalité ambivalente.
Ainsi, le décompte officiel établi à la suite de la
conclusion des accords d'Évian fait état de 29.674 civils
musulmans tués ou disparus entre le 1er novembre 1954 et le
19 mars 1962 en raison des agissements du FLN, pour 3.163 européens
(auxquels s'ajoutent 13.610 civils musulmans blessés et 7.541
européens). Le ratio des tués et disparus - 1 civil
européen pour 9 civils musulmans - équivaut donc très
exactement à l'importance démographique relative des deux
communautés dans la population algérienne. Encore ce bilan est-il
exclusif des dizaines de milliers de musulmans victimes des représailles
de l'après-19 mars 1962711(*). Guy Pervillé : « Le FLN a
tué beaucoup plus d'Algériens «traîtres» à
sa cause que d'ennemis «colonialistes» étrangers ; et les
cruelles représailles qui se sont déchaînées
après l'indépendance n'ont fait que rendre le constat plus
éclatant. Ce bilan de guerre civile - inavouée comme telle -
interdit de parler d'un soulèvement national
unanime »712(*).
Cette politique de la terreur fut fondée sur
l'effacement de la frontière entre "opposition" et "subversion" :
dès l'origine, toute marque d'opposition au FLN fut conçue comme
un indice de subversion puisque le FLN se voulait l'émanation exclusive
du "Peuple". Cette fiction de l'identité, de l'unanimité du
"Peuple" derrière le FLN n'était pas seulement due aux
circonstances de la guerre. Son inspiration devait au moins autant à la
volonté de préempter l'après-guerre qu'à la
nécessité de mobiliser les populations en temps de guerre.
L'instauration du parti unique après-guerre avait d'ailleurs
été décidée pendant la guerre, témoignant de
ce que l'entreprise de « libération » du Peuple
algérien était conçue, simultanément, comme une
entreprise hégémonique au profit de son
« avant-garde ». Omar Carlier souligne à cet
égard que « le point commun entre tous ces hommes
résidait dans l'accord sur la nécessité de l'action
armée, pour en finir avec le colonialisme et construire une
Algérie nouvelle. La majorité adhérait à
l'idée en marche de tiers-mondisme et de non-alignement. Certains,
toutefois, étaient déjà sensibles à des influences
de droite, voire d'extrême droite ». Et il ajoute :
« En 1954, beaucoup sont fascinés par les grands leaders du
Tiers-monde, mais aussi par les modèles autoritaires, et les personnages
d'hommes forts ou de dictateurs, sans se réclamer pour autant d'une
idéologie précise, phalangiste, national-socialiste, ou
marxiste-léniniste. Ils ne croient pas, pour certains ils ne croient
plus, au modèle démocratique, en tout cas pour l'Algérie,
et voient volontiers leur pays sous la férule d'un despote
éclairé »713(*). Et, conformément à une logique
centripète d'exercice de la terreur inhérente à toute
force politique se posant comme hégémonique, ladite terreur fut
exercée tant à l'encontre des éléments
« traîtres » extérieurs à la mouvance
nationaliste qu'au sein même de cette mouvance.
- Au sein de la mouvance
nationaliste
Historiquement, la mouvance nationaliste s'est affirmée
dans la pluralité : pluralité des opinions exprimées,
pluralité des suffrages recueillis714(*). Outre les partisans sincères de
l'intégration dans un cadre français et ceux, plus
intéressés, qui usaient de leur strapontin comme d'une
prébende (les fameux "béni-oui-oui"), le mouvement nationaliste
lui-même était partagé entre plusieurs courants et familles
de pensée, depuis l'UDMA (Union démocratique du Manifeste
algérien) de Ferhat Abbas, « parti appelant les deux
populations de l'Algérie à collaborer dans une République
algérienne fédérée à la République
française »715(*), jusqu'au PPA-MTLD de Messali Hadj (Parti du peuple
algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques)716(*). Le PPA-MTLD était lui-même une
mouvance composite, depuis les « centralistes », partisans
d'une position légaliste (certains étaient même de proches
collaborateurs du maire libéral d'Alger, Jacques Chevalier), jusqu'aux
activistes de l'OS (Organisation spéciale, l'aile armée
clandestine du PPA-MTLD, dirigée notamment par Hocine Aït Ahmed, et
qui servira de vivier au Comité révolutionnaire d'unité et
d'action/Front de libération nationale), en passant par les
« messalistes » proprement dits (dans une perspective plus
populiste, axée sur la figure charismatique de Messali). Sans oublier
l'Association des Oulémas (« qui visait à
défendre la personnalité algérienne contre l'assimilation,
suivant le slogan : «L'Islam est ma religion, l'arabe est ma langue,
l'Algérie est ma patrie» »717(*), sans pour autant
prôner la lutte armée) ou le Parti communiste algérien
(PCA) qui, en 1954, « comptait une majorité de membres
musulmans »718(*). A l'inverse, à compter du 1er
novembre 1954, le FLN, dans sa quête totalisante et violente, se posera
en apôtre unique du sentiment national (notamment contre le MNA), en
promoteur unique de la justice sociale (notamment contre le PCA) et en garant
unique de l'orthodoxie confessionnelle (notamment contre les ulémas).
Toute dissension sera assimilée à une trahison et combattue comme
telle. François Gèze souligne à cet égard
« le rôle majeur qu'a joué très tôt au
coeur même du combat de libération la culture paranoïaque des
services de renseignement et de contre-espionnage du FLN (le MALG,
ministère de l'Armement et des Liaisons
générales), établi à Tripoli en
Libye » sous l'autorité d'Abdelhafid Boussouf (principal
commanditaire de l'assassinat d'Abane Ramdane), et « dont les actions
étaient bien sûr dirigées contre l'armée
française, mais qui assurait aussi une fonction de contrôle et de
vigilance intérieure contre les combattants algériens
eux-mêmes ». « Les hommes de Boussouf, ajoute
François Gèze, avaient été formés par le KGB
à Moscou, au sein de la fameuse promotion «Tapis
rouge» »719(*). Selon Ould Kablia, président de
l'Association des anciens du MALG, « le MALG disposait de 1.400
agents, 1.500 collaborateurs avec un budget équivalent au quart du
budget du GPRA »720(*).
- Au sein de la composante musulmane dans son
ensemble
Nous l'avons vu, la simple indécision est
assimilée à une trahison par le FLN, qui proclame dès
novembre 1954 que « se désintéresser de la lutte est un
crime ». A fortiori, la démarche qui consiste à
s'affranchir ouvertement des cadres de la communauté politique
imaginée par le FLN - surtout s'il s'agit de la combattre par les armes
comme l'ont fait les harkis - représente un point d'extrême
hostilité. Krim Belkacem assigne les « traîtres
notoires » comme objectif prioritaire aux commandos qui lancent
l'insurrection le 1er novembre 1954721(*). Le commando Chihani (du nom
d'un des premiers dirigeants de la Wilaya I, dans les Aurès, qui sera
par la suite victime d'une purge interne) reçoit comme consigne de
« tuer les musulmans dont on connaît les sympathies
pro-françaises après les avoir sondés sur leurs
opinions »722(*). « Chaque patriote se fera un devoir
d'abattre son traître », proclamait en décembre 1955 un
tract du chef politique d'Alger Abane Ramdane723(*). Parvenue à ce point, souligne John Crowley,
« la guerre contre l'ennemi intérieur se nie comme telle, pour
se penser comme opération d'extermination
«hygiénique» »724(*). Ainsi en sera-t-il, également,
après-guerre, au moment d' « épurer »
l'Algérie de ceux que les nouveaux maîtres de ce pays ont pu
considéré être des "scories" de l'ancien
régime725(*).
- 2. La réduction de
l' « Un » au « Même », ou
l'exclusive d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed
Benrabah)
Cette conception unanimiste des aspirations du peuple
algérien se devait de puiser dans un imaginaire national
recomposé et ajusté à la politique de la table rase promue
par le FLN. Il fallut, non sans difficultés et contradictions internes,
réinventer une algérianité qui fasse "bloc", qui s'ajuste
aux orientations programmatiques du FLN (pourtant elles-mêmes
écartelées entre socialisme et "identitarisme"/nationalisme) et,
surtout, à sa volonté de constituer, sur le mode du centralisme
démocratique, un front puis un parti unique plutôt qu'une
société politique ouverte. Cette difficulté à
façonner un imaginaire national "monobloc", exclusif de ceux - nombreux
et divers - qui ne partageraient pas une conception étroite de
l'algérianité ou de la destinée nationale
(Européens, Juifs et Kabyles notamment), explique les tâtonnements
qui marquent la construction de cet imaginaire entre 1954 et 1962.
Néanmoins, l'évolution est claire, qui tend à repousser
l'orientation plutôt laïcisante, plurielle et neutraliste (au plan
international) de la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 pour
l'orientation plus explicitement exclusive et sectaire (islamisante, arabisante
et clairement anti-occidentaliste, pan-arabiste et anti-sioniste) du
Congrès de Tripoli de juin 1962 puis, surtout, de la Constitution du 10
septembre 1963 (la première de l'Algérie indépendante).
Cependant, cette évolution fut en réalité
bien moins longue et difficile à se dessiner que ne le laissent
paraître les textes. Il est nécessaire, à cet égard,
de distinguer entre les grands textes programmatiques (essentiellement à
usage de propagande extérieure et dont il faut se garder, pour cette
raison même, d'exagérer l'influence au sein de l'organisation) et
les directives de terrain qui, les uns et les autres, tablent sur des univers
argumentatifs relativement hétérogènes726(*). Il est de fait
incontestable qu'à des degrés divers de la hiérarchie
(quoique plus précautionneusement s'agissant des chefs historiques ou
des "vitrines" politiques de l'organisation) les cadres du FLN et, surtout, de
l'ALN ont abondamment joué, par exemple, de la manipulation des symboles
et mots d'ordre religieux (le djihâd, notamment) ou du
panarabisme pour nourrir la révolte auprès des masses. Ainsi,
pour l'anthropologue du sacré Abderrahmane Moussaoui, « il
n'est pas superflu de rappeler qu'en Algérie le djihâd fut le mot
d'ordre le plus mobilisateur durant la guerre de libération »
et que, dès avant, « pendant toute l'histoire du mouvement
national, cette catégorie a structuré les discours et
informé les consciences »727(*). Symétriquement, il est nécessaire de
relativiser, au sein même des instances dirigeantes du FLN, l'influence
réelle de la tendance laïcisante et le poids des orientations
contenues dans la plate-forme de la Soummam. Ce dont témoigne d'ailleurs
l'assassinat d'Abane Ramdane, cheville ouvrière de cette plate-forme,
aussi bien que chef de file de la tendance laïcisante et partisan d'une
« primauté du politique sur le militaire » qui
n'aura jamais d'autre existence que fictionnelle728(*).
Les lignes-forces de ce « discours de
l'enfermement » (Mohamed Benrabah729(*)) qui, peu à peu, dessine les contours d'un
imaginaire national sur-mesure pour les visées
hégémoniques du FLN se déclinent comme suit :
- au nom du panarabisme, le mythe des origines
véhiculé par le FLN survalorisait les origines arabes des
populations algériennes, au détriment de leurs racines
berbères, sans même parler des influences juives et
européennes ;
- corrélativement, l'invocation - certes non univoque
puisque s'y mêle une rhétorique anti-impérialiste
d'inspiration socialiste - du djihad (les combattants sont appelés
moudjahidin, les combattants morts au champ d'honneur des
chouhada, l'organe du FLN est intitulé El Moudjahid,
etc.), redoublée par une stricte enclosure du champ religieux
(condamnation du mysticisme religieux, et notamment des marabouts) et une forme
de surenchère dans les manifestations de puritanisme religieux
(prohibition de la consommation d'alcool et de tabac sous peine de mutilations
faciales, par exemple), appelait à une forme d'exclusivisme
vis-à-vis des autres religions, y compris "autochtones" comme la
religion juive ;
- enfin, l'invention d'une ambition nationale plus soucieuse
d'intégralisme que de syncrétisme, et dont les postulats
anti-impérialistes confinaient parfois à l'anti-occidentalisme,
devait sceller le sort des populations d'origine européenne.
Par-delà la lettre de ce « discours de
l'enfermement » , et ce qu'il est censé nous dire de ce
que sont et de ce que veulent les Algériens, ce qui importe ici, ce sont
les usages politiques de d'un tel discours, à savoir : ce qu'il
nous dit du FLN et de ce que sont ses visions et principes de division du monde
social et politique.
a) L'exclusivisme identitaire ou la primauté
d'un « discours de l'enfermement » (Mohamed Benrabah)
Au plan identitaire, la tentation exclusiviste se fit jour au
sein de la mouvance nationaliste avant même le déclenchement de la
« Révolution » à travers, avons-nous dit, la
survalorisation des origines arabes des populations algériennes, au
détriment de leurs racines berbères, sans même parler des
influences juives et européennes. Les Oulémas, sous
l'égide d'Abdelhamid Ben Badis, joueront un rôle central en
Algérie dans la promotion d'un enseignement en langue arabe et dans la
réactualisation des valeurs arabo-islamiques symbolisées par la
formule : « Un pays, l'Algérie ; une religion,
l'Islam ; une langue, l'arabe »730(*). L'Etoile Nord-Africaine,
d'abord simple structure satellite du Komintern, s'en détache rapidement
pour s'inscrire, notamment après l'arrivée de Messali Hadj, dans
une optique plus classiquement nationaliste, articulée autour de
l'affirmation de la personnalité arabo-musulmane du peuple
algérien731(*).
Guy Pervillé rappelle d'ailleurs que dès 1949, Messali Hadj,
alors figure de proue du PPA-MTLD (avant de se faire déborder, une fois
l'insurrection lancée, par son aile activiste armée732(*)), « fit condamner
les «berbéristes» qui proposaient une définition
pluraliste de la nation algérienne »733(*). À cet égard,
le modus vivendi des années de lutte n'offrira qu'un semblant
de répit : nous l'avons dit, Ahmed Ben Bella, qui rejetait la
lettre des accords d'Évian et la perspective d'une Algérie
multiethnique et multiconfessionnelle, devait marteler à titre
d'avertissement quelques semaines avant l'accession à
l'indépendance (et alors qu'il faisait escale à Tunis en
provenance du Caire) : « Nous sommes des Arabes, des Arabes, des
Arabes ! », ajoutant que le FLN allait envoyer cent mille
Algériens en Palestine pour combattre Israël734(*). Cet avertissement
concernait aussi bien la communauté autochtone de confession juive (qui
suivra massivement la communauté européenne dans l'exode) que les
Berbères (et particulièrement les Kabyles) qui, en dépit
d'un engagement plus que significatif dans la lutte armée, se voyaient
ainsi clairement signifier une fin de non-recevoir quant à la
reconnaissance de leurs spécificités par le futur Etat
algérien.
Au même moment, le « Projet de programme pour
la réalisation de la révolution démocratique
populaire » (adopté à l'unanimité par le Conseil
National de la Révolution Algérienne, C.N.R.A., au Congrès
de Tripoli de juin 1962), considérant que « les valeurs
nationales [ont été] élaborées dans la cadre de la
civilisation arabo-musulmane », assignait au futur gouvernement
algérien la tâche prioritaire de « rendre à la
langue arabe, expression même des valeurs culturelles de notre pays, sa
dignité et son efficacité en tant que langue de
civilisation », et l'invitait à « combattre le
cosmopolitisme culturel et l'imprégnation occidentale qui ont
contribué à inculquer à beaucoup d'Algériens le
mépris de leurs valeurs nationales »735(*). Ce mythe de la permanence
ou, tout au moins, de la préexistence de la nation algérienne
à la présence française repose sur une vision à la
fois essentialiste, exclusiviste et figée de l'appartenance ou du
sentiment d'appartenance à ladite nation, lors même qu'un Maurice
Thorez, par exemple, certes à bien des égards étranger
à l'univers mental des nationalistes algériens mais peu suspect
de sympathies colonialistes, décrivait l'Algérie comme une
« nation en formation ». Du reste, l'affirmation selon
laquelle une nation algérienne, cimentée de longue date par le
sentiment d'une commune arabité et islamité, aurait
préexisté à l'ère coloniale est longtemps apparue
fragile aux yeux mêmes d'un nationaliste modéré comme
Ferhat Abbas, souvent cité à cet égard, qui a
« participé activement au mouvement Jeune Algérien, qui
réclamait, jusqu'en 1936, l'égalité des droits dans le
cadre de la souveraineté française »736(*) : « Si
j'avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste et
je n'en rougirais pas comme d'un crime. Les hommes morts pour l'idéal
patriotique sont journellement honorés et respectés. Ma vie ne
vaut pas plus que la leur. Et cependant je ne mourrai pas pour la patrie
algérienne parce que cette patrie n'existe pas. Je ne l'ai pas
découverte. J'ai interrogé l'histoire, j'ai interrogé les
vivants et les morts ; j'ai visité les cimetières. Personne
ne m'en a parlé. Nous avons écarté une fois pour toutes
les nuées et les chimères pour lier définitivement notre
avenir à celui de l'oeuvre française dans ce
pays »737(*).
Cependant, telle n'est pas, déjà, à
l'époque, la tonalité des discours des militants du PPA-MTLD qui,
à la différence de Ferhat Abbas, « opèrent sous
la bannière de la rupture radicale avec le présent colonial et
font du religieux une arme de défi politique »738(*). Telle n'est plus, a
fortiori, la tonalité du programme de Tripoli, véritable "charte
de gouvernement" avant l'heure. Le peuplement européen, en dépit
d'un enracinement séculaire, y est dépeint comme étant
« étranger » à la nation
algérienne739(*)
et, plus encore, sa présence y est décrite comme étant par
essence (et dans son entier740(*)) délétère pour cette
dernière : « Tout cela consacre I'échec de la
double entreprise contre-nature du colonialisme français qui
tendait à détruire radicalement notre société pour
la remplacer par un peuplement étranger intensif et à la
maintenir, par la contrainte, dans la stagnation et I'obscurantisme (...). En
effet, les envahisseurs français avaient tenté, en plein
XIXème siècle, de rééditer contre les
Algériens, l'entreprise d'anéantissement dont fut victime la
société indienne d'Amérique à partir de la fin du
XVème siècle ». Il s'ensuit que
« la Révolution a pour tâches de consolider la nation
devenue indépendante en lui restituant toutes ses valeurs
frustrées ou détruites par le
colonialisme »741(*).
Plus encore, la Charte d'Alger, adoptée à
l'issue du 1er Congrès post-indépendance du FLN (du 16
au 21 avril 1964), proposera aux militants de base comme aux observateurs
étrangers un "roman des origines" fabriqué sur mesure pour
réfuter « la tendance erronée à subordonner
l'existence d'une nation algérienne à l'intégration d'une
minorité étrangère qui (malgré certaines
exceptions) se comportait comme occupant le pays » et, ce faisant,
justifier la politique de la table rase voulue par le FLN à l'encontre
des composantes juives et européennes de la population
algérienne. Dans le passage à suivre, cité in
extenso, invasions romaines, vandales et byzantines sont placées
sur un même plan et présentées comme uniment
« oppressives » (entendre : à l'instar de la
colonisation française) ; à l'inverse, les invasions arabes
sont saluées pour leur caractère
« libérateur » et semblent n'avoir jamais
soulevé aucune résistance. L'explication en est simple :
tandis que celles-là s'apparentaient sans équivoque possible
à une « domination étrangère »,
celles-ci s'accordaient spontanément avec les dispositions fondamentales
du peuple algérien :
« Le peuple algérien est un peuple
arabo-musulman. En effet, à partir du VIIIème
siècle, l'islamisation et l'arabisation ont donné à notre
pays le visage qu'il a sauvegardé jusqu'à présent. Du
IIème siècle avant J.C. au VIIIème
siècle après J.C., ce furent essentiellement des luttes contre la
domination étrangère romaine, vandale et byzantine. A cette
résistance populaire acharnée s'attachent des noms tels que celui
du véritable héros que fut Jugurtha. L'opposition à
l'oppression se traduisit, sur le plan idéologique, par le boycottage
systématique de la religion des oppresseurs. Au VIIème
siècle, la rapidité et la profondeur du processus d'islamisation
et d'arabisation qui commence ne peut s'expliquer que par le rôle
libérateur de cette religion et de cette civilisation nouvelle qu'un
peuple aussi combatif n'aurait pas acceptées si elles ne lui
apportaient libération, promotion sociales, enrichissement culturel,
prospérité et tolérance. Le caractère
arabo-musulman demeure ainsi, le fondement de la personnalité
algérienne »742(*).
Il s'ensuit, pour les rédacteurs, que « la
division du monde arabe en unités géographiques ou
économiques individualisées n'a pu reléguer à
l'arrière-plan les facteurs d'unité forgés par l'histoire,
la culture islamique et une langue commune » et que
« l'essence arabo-musulmane de la nation algérienne a
constitué un rempart solide contre sa destruction par le
colonialisme »743(*).
Cet exclusivisme identitaire demeurera l'une des marques de
fabrique de l'État-FLN. Ainsi, au cours du Printemps kabyle, en 1980, le
président Chadli confirmera sans ambages cette pétition de
principe : « Nous sommes arabes que nous le voulions ou
non. Nous appartenons à la civilisation arabo-islamique et
l'Algérien n'a point d'autre identité que
celle-ci »744(*). Il faudra une deuxième fronde populaire, au
printemps 2001, pour que le berbère soit reconnu non pas langue
officielle au même titre que l'arabe mais, du moins, « langue
nationale »745(*).
b) L'exclusivisme religieux, entre condamnation du
maraboutisme et condamnation de l'oecuménisme
L'imaginaire de guerre du FLN, ferment de l'imaginaire
national de l'Algérie post-coloniale (voir la Partie 2), emprunte
abondamment au pouvoir mobilisateur et sectateur des mots d'ordre religieux.
Certes, initialement, les grands textes programmatiques de l'organisation
balançaient semble-t-il plus volontiers vers la mystique tiers-mondiste
(ou socialiste) des combats de libération nationale que vers la mystique
religieuse du djihâd.
Cependant, il est nécessaire, à cet
égard, de distinguer entre les grands textes programmatiques
(essentiellement à usage de propagande extérieure et dont il faut
se garder, pour cette raison même, d'exagérer l'influence au sein
de l'organisation) et les directives de terrain. Ainsi en va-t-il, par exemple,
du décalage flagrant entre les mots d'ordre des émeutes du
Nord-Constantinois du 20 août 1955, sous l'égide de Zighout
Youcef, et les déclarations d'intention contenues dans la plate-forme de
la Soummam du 20 août 1956 qui, les uns et les autres, empruntent
à des univers de justification à bien des égards
symétriques. S'agissant des émeutes du Nord-Constantinois,
marquée par l'exposition délibérée par le FLN de
civils algériens lancés sommairement armés à
l'assaut des villes et des bourgades, Charles-Robert Ageron rapporte
qu' « à Robertville un homme en uniforme appela à
la guerre sainte à midi du haut de la
mosquée »746(*), et indique que « selon les témoins
français des chants patriotiques ou des slogans mensongers soutenaient
leur courage : «l'armée égyptienne
débarque», «des avions bombardent Constantine»,
«l'Amérique est avec nous» »747(*). Dans le même temps,
la plate-forme de la Soummam stigmatisait le colonialisme qui, « pour
atteindre son but, organisa la panique, accusant le gouvernement d'abandonner
la minorité ethnique non-musulmane à la «barbarie
arabe», à la «guerre sainte», à une
Saint-Barthélemy plus immonde ». Ce credo en forme de
dénégation revenait plusieurs fois dans le corps du texte :
« Combien apparaît dégradante la
malhonnêteté des Bidault, Lacoste, Soustelle et du Cardinal Feltin
lorsqu'ils tentent de tromper l'opinion publique française et
étrangère en définissant la Résistance
Algérienne comme un mouvement religieux fanatique au service du
panislamisme (...). La ligne de démarcation de la Révolution ne
passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent
l'Algérie, mais entre d'une part, les partisans de la liberté, de
la justice, de la dignité humaine et d'autre part, les colonialistes et
leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition
sociale » (...). La Révolution Algérienne n'est
inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni
à Washington (...). La Révolution Algérienne n'est pas une
guerre civile, ni une guerre de religion », etc.
Il y a ainsi un décalage évident entre les
grands discours programmatiques (à usage essentiellement externe), et
les discours mobilisateurs sur le terrain, qui privilégient le registre
identitaire au sens large. Guy Pervillé rapporte que dans son
récit La conjuration au pouvoir, publié chez
Arcantère en 1988, « l'ancien moudjahid kabyle Mohammed
Benyahia raconte qu'il prêchait aux paysans l'avènement d'une
Algérie «claire et limpide comme de l'eau de roche, qui n'aurait
pas d'autre constitution que l'Islam et d'autre leader que le
prophète» »748(*). De même, Mohammedi Saïd, ancien membre
des services secrets allemands pendant la seconde guerre mondiale, qui fut l'un
des principaux responsables de la wilaya 3 et le grand ordonnateur du massacre
de Melouza, faisait de sa religiosité le moteur principal de son
engagement749(*). Plus
généralement, relève Charles-Robert Ageron,
« les responsables politico-militaires et ceux du service des biens
«habous» particulièrement les mourchid(s) avaient
ordre de veiller simultanément à l'éducation religieuse
des djounoud et des civils » ; le colonel Mohand Ou El
Hadj rappelait lui-même que « la Révolution
algérienne est fondée et bâtie sur le respect des principes
de l'Islam et c'est à ce titre qu'elle a été
acceptée et encouragée par le peuple algérien. Si les
Algériens ont consenti le sacrifice suprême, ajoutait-il, c'est
pour que vive l'Algérie libre dans l'ombre de
l'Islam »750(*).
Cette surenchère dans les manifestations de
fondamentalisme et de puritanisme religieux participaient, dans la logique de
la guerre révolutionnaire, des techniques de contrôle des
populations civiles musulmanes. Se posant en garant de l'orthodoxie religieuse
pour asseoir son pouvoir sur les masses (en même temps que pour se
défaire de l'image de « bandits » qui leur
était accolée par les autorités), le FLN avait ainsi
interdit aux hommes de fumer, boire ou jouer sous peine de mutilation des
lèvres ou du nez751(*). Pour Amar Ouzegane, qui fut un dirigeant communiste
avant d'intégrer le FLN, les prétentions du FLN, loin
d'être exorbitantes, s'inscrivaient dans la norme d'une
société islamique et apparaissaient rien moins que
légitimes aux yeux des populations civiles, voire salutaires :
« Non, le FLN n'a jamais été isolé du peuple
algérien. Par exemple, le boycottage du tabac était
recommandé d'une façon autoritaire. L'amende de cinq mille francs
était suivie d'une sanction excessive à l'encontre des fumeurs
impénitents dont la désobéissance publique prenait le
caractère d'un défi provocateur. La provisoire mutilation des
azlams, fautifs au nez coupé, n'a jamais soulevé une condamnation
plus grande que la lapidation des ivrognes et des wakkline ramdhne,
les mangeurs de carême rossés par les bandes d'enfants,
défenseurs fanatiques de la tempérance, de la diète et de
la moralité publique »752(*). De la même manière, la condamnation de
l'indigénisme, et notamment de certaines formes dites
"altérées" ou syncrétiques de l'Islam, tel le
maraboutisme, participe également des techniques de contrôle des
populations. De fait, les marabouts, en tant que détenteurs d'un pouvoir
coutumier d'ordre politico-religieux qui n'avait que peu ou pas
été remis en cause par la colonisation, sont apparus
menaçants aux yeux du FLN, car susceptibles de relativiser son
influence, voire de se constituer en contre-pouvoir, notamment dans les douars
les plus reculés753(*).
L'ambivalence de la place faite à l'islam dans le
combat libérateur transparaît déjà dans l'appel du
1er novembre, texte au statut mal assuré, quelque part entre
l'imprécation guerrière et la visée programmatique. Cet
appel consiste en fait en un double appel : du FLN et de
l'ALN. L'appel du FLN, s'il s'assigne pour but l'indépendance nationale,
l'envisage à la fois par : 1) « La restauration de
l'État algérien souverain, démocratique et social dans
le cadre des principes islamiques » ; et 2) « Le
respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction
de race ni de confession ». L'appel de l'ALN s'articule lui
plus directement autour de la confusion entre « devoir
religieux » et « devoir national » :
« Prends garde aux faux communiqués, aux mensonges, à
la corruption, aux promesses dont le but est de te détourner de la voie
que nous ont dicté notre religion et notre devoir national (...). DIEU
est avec les combattants des justes causes et nulle force ne peut les
arrêter désormais hormis la mort glorieuse ou la Libération
Nationale ».
Par surcroît, il est nécessaire de relativiser,
au sein même des hautes instances dirigeantes du FLN, l'influence
réelle de la tendance laïcisante et le poids des orientations
contenues dans la plate-forme de la Soummam, dont le principal maître
d'oeuvre fut le très contesté (et bientôt
éliminé) Abane Ramdane. Dans une communication intitulée
« L'Islam et la Révolution algérienne »,
présentée lors de la Conférence du Conseil islamique tenue
à Genève les 10 et 11 mars 1985, Ahmed Ben Bella, s'attachant
à décrire « le rapport de l'Islam avec la
révolution du 1er novembre », affirme que
« la révolution du 1er novembre ne se
différencia de ses précédentes que parce qu'elle fut
victorieuse, (...) avec une invariance : l'Islam »754(*). Et il ajoute :
« Répondant à un appel lancinant,
parfois ténu, surgi du plus profond de lui-même, le peuple
algérien fit face à son destin (...). Un facteur irrigua en
permanence ce comportement, impulsa ces ressorts mentaux : l'Islam. Dans
ce terreau fécond s'ancrent nos motivations profondes, nos latences.
C'est notre sanctuaire. Quand il nous faut accomplir un geste capital, un
effort suprême, quand le mur de nos certitudes s'effondre, que les coups
pleuvent sur nous et que notre être profond est menacé, c'est vers
ce sanctuaire que nous nous tournons, que nous cherchons refuge, pour reprendre
notre souffle, pour puiser la force de poursuivre le
combat (...). C'est là une réalité qui a fait,
qui fait, la texture même de notre vie. Si la colonisation a finalement
échoué, cela est dû à un fait
irréfragable : l'Islam. Qui n'a pas compris cela, n'a rien
compris à la révolution algérienne, n'a pas saisi
l'intelligence profonde des événements qui se sont
déroulés sur notre terrain (...). Cette lutte
impitoyable, épuisante, le peuple algérien la mènera en
s'arc-boutant sur ses ancrages arabo-islamiques. Chaque fait, chaque
circonstance est interprétée par référence à
ce patrimoine. Le soldat pour la liberté s'appelle
moudjahid c'est d'ailleurs le nom donné à l'organe de
presse officiel de la Révolution algérienne : El
Moudjahid qui se perpétue de nos jours encore ; le mort pour
la patrie s'appelle chahid et les combats s'engagent au cri de
Allah Akbar fusant tel un trait de feu lancé à la face
de la barbarie et de la tyrannie. L'actualité est ainsi soumise à
une lecture coranique permanente (...). Le rapport de l'Islam avec la
Révolution algérienne est là, en contrepoint,
irréfragable. Il est dans cette mouvance ininterrompue entre le Maghreb
et le Machreq. Il est dans les yeux rivés sur la Kaâba et
un tombeau à Médine. (...) Il est encore, telle une estampille
indélébile sur toutes les chartes, toutes les constitutions, tous
les textes fondamentaux de l'après-indépendance (...). Qui peut
dire l'influence qu'a pu produire sur Messali le fait qu'il ait appartenu dans
sa jeunesse à la confrérie des Derkaouas ? Sur Aït
Ahmed, qui lui-même a vécu dans la maison de ses parents, la vie
d'une confrérie kabyle ? Ou sur moi-même, le fait que mon
père ait été Mokkadem de la confrérie des
Mouqahliya (fusiliers) ? (...) Mais tout le monde aura compris
que pour Moufdi Zakaria et ces étudiants musulmans nord-africains de
1935, comme pour nous-mêmes et ceux qui viendront après nous,
qu'il n'y a eu, qu'il n'y a et qu'il n'y aura pour l'éternité
qu'une seule et véritable patrie : l'Islam ».
Et le premier président de la République
algérienne de conclure par une prise de position qui, établissant
une claire filiation entre les idéaux "trahis" de la Révolution
de Novembre et la structuration souterraine de l'islamisme politique en
Algérie au milieu des années 1980, semble lui apporter une pleine
caution : « Même lorsque nous paraissons nous en [l'Islam]
éloigner le plus, lorsque par exemple, le développement se
confond avec son contraire et que l'agression culturelle, sous couvert de
modernité, se fait triomphante, c'est justement à ce moment
là que se produit la récurrence. A ce moment là, notre
jeunesse dans une vague irrésistible atteignant toute la terre d'Islam,
construit et emplit les mosquées. Alors. à nouveau, notre
passé, intensément, resurgit et revit en nous, emplissant notre
espace et fondant notre imaginaire redevenu créatif et
s'élève, fuse dans l'arc en ciel de ce mot magique: Allah
Akbar ». Ces paroles, prononcées en 1985, attestent s'il
en était besoin de ce que l'islamisme politique et ses multiples
expressions (y compris les plus radicales) sont au moins autant un
héritage qu'une remise en cause des valeurs de Novembre755(*).
Quant à Benyoucef Ben Khedda, dernier président
du GPRA, il se félicite rétrospectivement que « le
courant islamique, absent de la scène politique en 1962, prendra le
relais, trente ans après, en réhabilitant les valeurs de novembre
1954 qui prônaient les principes islamiques »756(*).
c) L'exclusivisme programmatique, entre
anti-impérialisme et anti-cosmopolitisme
L'exclusivisme arabo-musulman a nourri la rhétorique
et, plus encore, motivé le combat et les politiques d'un FLN qui,
à l'indépendance, s'autoproclamera Parti unique, fera de l'Islam
La religion d'État (au détriment du judaïsme et du
christianisme) et de l'arabe La langue officielle (au détriment
du français et du berbère). Le préambule de la
Constitution de 1963 proclame ainsi que « l'Islam et la langue
arabe ont été des forces de résistance efficaces contre la
tentative de dépersonnalisation des Algériens menée par le
régime colonial » et qu'en
conséquence « l'Algérie se doit d'affirmer que la
langue arabe est la langue nationale et officielle et qu'elle tient sa force
spirituelle essentielle de l'Islam, religion de l'Etat », ajoutant
toutefois - fragile concession - que « la République garantit
à chacun le respect de ses opinions, de ses croyances et le libre
exercice des cultes » (article 4). A tous égards, les
conceptions de la nation algérienne du FLN plaidaient pour un exode
massif des Européens et des Juifs, autrement dit : une
indépendance par le vide.
Dès avant cela, pendant la guerre même, l'action
psychologique du FLN - telle que véhiculée par les tracts
notamment, à l'attention tant des musulmans engagés dans ou aux
côtés de l'armée française que des populations
civiles - jouaient d'arguments identitaires au sens le plus étroit et le
plus exclusif du terme. Ainsi, les tracts à l'adresse des soldats
musulmans les avertissaient que « c'est le moment ou jamais pour vous
de comprendre que vous être des musulmans et des Algériens, d'une
race supérieure et pure » (tract de 1956), menaçant les
récalcitrants d'être à tout jamais exclus de la famille
musulmane (« Ils ne pourront aller au pèlerinage et leurs
prières seront sans effet » (tract de 1959, diffusé par
l'Etat-major ouest de l'armée des frontières)757(*). Sur certains cadavres de
"traîtres" exécutés pour l'exemple « on trouvait
des pancartes rédigées en arabe :
«Français ! Ce traître vous ressemble, cet homme impur
est à votre image» »758(*). Charles-Robert Ageron souligne également le
rôle de la propagande orale et des « causeries
éducatives » dispensées par les officiers politiques
chargés de donner une éducation
« révolutionnaire » à des populations
faiblement alphabétisées. Un des thèmes constants, selon
l'auteur, visait à célébrer
« l'unité » de la composante musulmane de la
population algérienne, mais dans une acception somme toute exclusive des
autres composantes : « Les Algériens appartiennent
à la même race arabo-berbère restée pure parce
qu'elle a refusé de se mélanger aux envahisseurs romains,
byzantins, français. C'est pour cela qu'ils ont gardé les
caractères purs de leurs ancêtres, guerriers loyaux, courageux et
dignes »759(*). Peu après mai 1958 et les scènes de
"fraternisation" d'Alger, l'ALN multiplia les tracts très courts
invitant la population à se conformer à la visée
unanimiste du FLN : « Halte à
l'intégration », « Voter c'est trahir la patrie
algérienne, la race arabe et la religion musulmane »,
« Ne votez pas ! Si vous votez pour la France, vous deviendrez
français alors que vous ne l'êtes pas », etc. En dehors
de ces slogans à fort contenu "patriotique", « la
Révolution algérienne restera toujours un slogan mobilisateur,
non une doctrine ou un programme qu'on aurait expliqué à la
population des douars »760(*). En outre, « en direction des
Européens, (...) la propagande fut molle, menée sans conviction,
ni imagination et ne toucha qu'une poignée de chrétiens et de
communistes. (...) Mais la propagande fut d'autant plus inefficace que la
presse française d'Algérie révélait à
l'occasion certaines directives totalement différentes. Ainsi la wilaya
II ordonnait-elle en octobre 1960 «d'abattre les Européens sans
distinction, de déposer des bombes dans les salles de cinéma, les
bals, les cafés et les bâtiments
publics» »761(*).
Quoique dans un registre plus "jargonneux" que les tracts
précédemment cités, les visées programmatiques
proprement dites du FLN, articulées, en interne, autour de
l'impératif d' « édification
révolutionnaire de l'Etat et de la société » et
de « réalisation du socialisme »762(*), et orientées, en
externe, vers la « lutte anti-impérialiste dans le
monde », puisaient également dans une rhétorique
clairement exclusiviste. De fait, de telles visées, dirigées
aussi bien contre la propriété privée et le droit
d'expression des minorités en interne que contre l'Occident et
Israël en externe, étaient clairement et
délibérément incompatibles avec le maintien en
Algérie des communautés juive et européenne.
Rétrospectivement, le premier président de
l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, campant sur ses
positions exclusivistes d'alors, réaffirmera d'ailleurs que le maintien
des Européens dans l'Algérie nouvelle - possibilité
censément garantie par les accords d'Évian - était
incompatible avec son programme de gouvernement : « On ne
pouvait pas concevoir une Algérie avec un million cinq cent mille
pieds-noirs. Mais c'est pas un acte de rejet, je vous assure. Les pieds-noirs,
moi, je pense qu'ils sont des victimes. J'ai des amis pieds-noirs. Mais,
lucidement, je ne voyais pas le projet de l'Algérie que je portais en
moi, une Algérie qui allait vers les options socialistes, une
Algérie qui allait combattre l'impérialisme, qui se serait
engagée totalement dans le combat anti-impérialiste non seulement
pour l'Algérie mais aussi pour les autres pays. Nous avons fait
ça. L'Algérie ne pouvait pas faire ça avec un
système de Rhodésie »763(*).
Le programme de Tripoli est, à ce sujet, on ne peut
plus clair :
« [La Révolution] combattra le
cosmopolitisme culturel et l'imprégnation occidentale qui ont
contribué à inculquer à beaucoup d'algériens le
mépris de leurs valeurs nationales »764(*).
Plus loin, des paragraphes entiers sont consacrés
à ce qui est désigné comme le « problème
posé à la Révolution par la présence du peuplement
français d'Algérie », laquelle peut être
considérée comme « l'expression la plus typique de la
politique néo-colonialiste de la France » :
« La coopération, telle qu'elle ressort des
accords, implique le maintien de liens de dépendance dans les domaines
économique et culturel. Elle donne aussi, entre autres, des garanties
précises aux Français d'Algérie pour lesquels elle
ménage une place avantageuse dans notre pays. Il est évident que
le concept de coopération, ainsi établi, constitue l'expression
la plus typique de la politique néo-colonialiste de la France. Il
relève, en effet, du phénomène de reconversion par lequel
le néo-colonialisme tente de se substituer au colonialisme
classique. (...) D'ailleurs, cette coopération, produit d'une
reconversion factice, se révélera difficile étant
donné le comportement des Français d'Algérie qui prennent,
dans leur immense majorité, fait et cause pour I'OAS. Agents actifs
de I'impérialisme colonial dans le passé et instruments
conscients dans la guerre de répression qui prend fin, les
Français d'Algérie sont inaptes à tenir le rôle de
support principal et de garant de la politique de coopération que
la France leur a assigné dans son plan néo-colonialiste. (...)
Abstraction faite de toute qualification technique, l'écrasante
majorité des Français d'Algérie, en raison même de
leur mentalité colonialiste et de leur racisme, ne seront pas en mesure
de se mettre utilement au service de l'Etat algérien. (...) La
liquidation de I'OAS, qui est une nécessité immédiate,
laisse entier le problème posé à la Révolution
par la présence du peuplement français
d'Algérie »765(*).
Ce rejet du « cosmopolitisme culturel et
[de] l'imprégnation occidentale » et, par-là, de
« la présence du peuplement français
d'Algérie », rejet que motive une fragile théorie du
complot (le « plan néo-colonialiste » de la France),
s'articule, au plan programmatique et institutionnel, autour de trois
orientations majeures qu'illustrent partiellement les propos
pré-cités d'Ahmed Ben Bella :
- i. La « planification de
l'économie » dans un cadre collectiviste, ce qui implique,
d'une part, de « [liquider] les bases économiques de la
colonisation agraire et [de limiter] la propriété foncière
en général [pour rendre] disponibles les superficies
nécessaires à une réforme agraire radicale » et,
d'autre part, de « nationaliser en priorité les branches
essentielles du commerce extérieur et du commerce de gros et [de]
créer des sociétés d'Etat par produit ou groupe de
produits »766(*) ;
- ii. L'asservissement des libertés individuelles et
politiques à la visée d'« édification
révolutionnaire de l'Etat et de la
société » : « Le sort de l'individu
étant lié à celui de la société tout
entière, la démocratie, pour nous, ne doit pas être
seulement l'épanouissement des libertés individuelles, elle est
surtout l'expression collective de la responsabilité
populaire »767(*). Il en ressort, aux termes mêmes du
préambule de la Constitution de 1963, que « la
nécessité d'un parti d'avant-garde et son rôle
prédominant dans l'élaboration et le contrôle de la
politique de la nation sont les principes fondamentaux qui ont
déterminé le choix des solutions apportées aux
différents problèmes constitutionnels qui se posent à
l'Etat algérien ». De fait, le FLN, qui « base son
organisation et ses structures sur le principe du centralisme
démocratique » (préambule), est « le parti
unique d'avant-garde en Algérie » (article 23) ; aux
termes de l'article 24 de la Constitution de 1963, il
« définit la politique de la nation, inspire l'action de
l'Etat et contrôle l'action de l'Assemblée nationale et du
Gouvernement »768(*) ;
- iii. Une politique extérieure guidée par un
« neutralisme » et un
« anti-impérialisme » qui, à bien des
égards, sont synonymes d'anti-occidentalisme : « La
politique extérieure de I'Algérie indépendante doit
demeurer fortement guidée par les principes d'une lutte
conséquente contre le colonialisme et l'impérialisme, le soutien
des mouvements à l'unité au Maghreb, dans le monde arabe et en
Afrique, l'appui au mouvement de libération et la lutte pour la
paix. (...) Le soutien des pays socialistes qui, sous des formes diverses,
se sont rangés à nos côté durant la guerre et avec
lesquels nous devons renforcer les liens déjà existants,
crée des possibilités réelles de dégagement
à l'égard de l'impérialisme »769(*).
Les orientations programmatiques contenues dans le programme
de Tripoli (juin 1962) aussi bien que l'édifice institutionnel
bâti sur ces bases un an plus tard (Constitution du 10 septembre 1963)
étaient donc parfaitement antinomiques avec les engagements pris par les
plénipotentiaires du FLN au cours des négociations d'Evian,
à l'hiver 1962. De fait, à rebours du texte des accords, qui
énonce que le futur État algérien garantira aux
Européens et aux Juifs d'Algérie tant « le respect de
leurs droits de propriété » qu'« une juste et
authentique participation aux affaires publiques », le Conseil
National de la Révolution Algérienne (C.N.R.A.), en opposition
ouverte avec le Gouvernement Provisoire de la République
Algérienne (G.P.R.A.), s'en démarquera très nettement deux
mois plus tard (avant même l'accession à l'indépendance) au
cours du Congrès de Tripoli. Considérant que « les
garanties données [au peuplement français d'Algérie] par
les accords d'Evian imposent son maintien dans notre pays en tant que
minorité de privilégiés », et que « la
prépondérance des Français d'Algérie demeure
écrasante dans les domaines économique, administratif et culturel
et va à l'encontre des perspectives fondamentales de la
Révolution », le programme de Tripoli énonce que,
« dans le cadre de sa souveraineté interne, I'Etat
algérien sera en mesure de l'enrayer en décidant des
réformes de structure applicables à tous les citoyens sans
distinction d'origine ». A la coopération, « produit
d'une reconversion factice [du colonialisme] », l'Algérie
nouvelle préférera donc la politique de la "table rase" :
« Une solution correcte du problème de la minorité
française passe obligatoirement par une politique conséquente sur
le plan anti-impérialiste »770(*).
Nous l'avons dit, l'insurrection du 1er novembre
1954 est, à l'origine, le fait d'une fraction minoritaire de la mouvance
nationaliste : le Comité Révolutionnaire d'Unité et
d'Action (CRUA), composé de membres de l'ex-Organisation Spéciale
(OS), la branche armée du PPA-MTLD. Cette fraction, composée
d'hommes d'action profondément hostiles au réformisme comme
à toute forme de compromis avec la puissance coloniale, est avant tout
soucieuse d'engager la lutte armée. Tant par souci d'efficacité
opérationnelle qu'au nom d'une certaine vision du politique (qui fait de
l'efficacité le seul critère de choix des moyens), elle entend
subordonner la libre expression des tendances et le libre choix des populations
au double principe de l'unité d'action et de l'unicité des
revendications. D'où la prétention du FLN, dès l'entame de
l'insurrection, à assurer l'exclusivité de la
représentation des aspirations de la population algérienne.
Cette visée hégémonique, nous l'avons vu,
s'étayait, au plan discursif/représentationnel, sur la
construction d'un imaginaire national "monobloc" qui, d'une part, participait
de l'effacement de la frontière entre opposition et subversion au sein
de la composante musulmane (tout opposant ou simple réfractaire au FLN -
au sein ou en dehors de la mouvance nationaliste - était un
« traître » à l'Algérie) et qui,
d'autre part, était exclusif - à différents titres - des
composantes non musulmanes de la population algérienne.
Corrélativement, cette visée hégémonique appelait
l'élimination de tout ce qui, dans les imaginaires comme sur le
territoire, s'inscrivait en faux contre le mythe de l'unanimité des
masses derrière le FLN. D'où la figuration politique des harkis -
et, plus largement, des musulmans non inféodés au FLN - comme
« traîtres », car le traître, à la
différence de l'opposant, est radicalement "extériorisable", donc
"tuable" : il n'est pas considéré comme une autre facette du
« Nous », mais comme un intrus, un "chancre". Jacques
Sémelin : « Pour qu'un massacre puisse prendre corps, il
faut très probablement que la société vive
déjà dans un certain climat d'anxiété et/ou de
récrimination à l'encontre de telle ou telle catégorie de
population »771(*). Et il ajoute : « Le poids de la peur
et de l'imaginaire semblent toujours là - avant le massacre - pour
impulser son passage à l'acte : on tue à l'avance avec les
mots »772(*).
Le langage fait le lit de la violence non seulement en disqualifiant l'autre
jusqu'à le déshumaniser, mais aussi - et surtout - en
« [polarisant] des groupes sur une base dichotomique amis/ennemis,
"nous" contre "eux" ». Et « de cette polarisation
identitaire paranoïaque jaillit le projet du massacre ».
Cependant, ajoute Jacques Sémelin, « le massacre, une fois
accompli, va lui-même renforcer cette polarisation »773(*). « En somme,
conclut-il, le massacre est à la fois le produit et le vecteur des ces
mobilisations identitaires destructrices »774(*).
Nous verrons ainsi comment la stigmatisation des musulmans non
inféodés au FLN a conditionné et, symétriquement,
est sortie renforcée de l'exercice par cette organisation (à
l'issue mais, déjà, pendant la guerre d'Algérie) d'une
politique de la terreur à leur encontre : ciblage
systématique des musulmans pro-français et des nationalistes
"dissidents", et implication forcée des populations civiles musulmanes
dans la lutte, jusque et y compris la "politique du pire", c'est-à-dire
l'exposition délibérée des populations aux
représailles de l'armée française.
B. L'exercice stratégique de la terreur ou la
« conscientisation » à marche forcée des
populations
Guerre complexe, multiple, la guerre d'Algérie fut
à la fois une guerre de décolonisation tournée contre la
puissance "occupante" et une guerre révolutionnaire tournée
contre les réfractaires au nouvel ordre social voulu par le FLN. Certes,
compte tenu de la disproportion des forces en présence, l'entreprise du
FLN n'avait de chance de réussir que si, d'une manière ou d'une
autre, elle s'assurait le concours - au moins passif - des populations civiles.
Mais plutôt que de simplement organiser la participation des franges les
plus désireuses de s'associer à l'insurrection, le FLN, qui se
voulait politiquement hégémonique, entreprit non seulement de
réduire la capacité de nuisance des franges les plus
réfractaires, mais encore d'impliquer - par la force si
nécessaire - les franges les plus indifférentes à son
entreprise. Dans sa proclamation du 1er novembre 1954, le FLN avait
d'ailleurs clairement annoncé sa volonté de s'autoriser de
principes - les « principes révolutionnaires » - qui
l'amèneraient à employer « tous les moyens »
pour arriver à ses fins : « Conformément aux
principes révolutionnaires et compte tenu des situations
intérieure et extérieure, [nous en appelons à] la
continuation de la lutte par tous les moyens jusqu'à la
réalisation de notre but »775(*). Comme le souligne Guy Pervillé,
« cette formule d'un pragmatisme absolu impliquait la subordination
de la morale à l'efficacité »776(*) en ce qu'elle
« impliquait notamment toute forme d'action violente visant des
civils sans armes et non des combattants armés capables de riposter, et
destinée à terroriser les survivants »777(*). Autrement dit, la
visée hégémonique du FLN était
nécessairement coextensive de l'application d'une politique et du
recours à des moyens - les attentats aveugles ou ciblés - qui
font de l'indétermination du champ de bataille (le maquis et la
rue) et de l'ennemi (l'homme en uniforme et le civil) l'essence
même de la lutte.
De fait, l'implication forcée des populations civiles
est une visée stratégique de toute guerre révolutionnaire,
en ce qu'elle est un moyen d'étendre le champ des violences et des
contre-violences à l'ensemble de la société et, ce
faisant, de décourager la recherche du compromis et l'expression de
positions tierces778(*).
Luis Martinez souligne ainsi, à propos de la "deuxième" guerre
d'Algérie, que « des pratiques de terreur sont
utilisées par les protagonistes : elles engendrent un sentiment
d'insécurité qui vise à un découpage de la
population au sens politique, entre "amis" et "ennemis". Cela est perceptible
parmi les individus qui ne se définissent ni comme des sympathisants du
régime, ni comme des islamistes, ce qui accroît leur crainte
d'être des cibles flottantes »779(*). De même, Philippe
Braud montre que la « stratégie de terrorisation cherche
à briser progressivement le sentiment de sécurité en
écartant toutes les barrières qui sembleraient mettre à
l'abri telle ou telle catégorie de population »780(*). La politique de la terreur
vise ainsi, dans une perspective hégémonique, à polariser
les populations entre "pro" et "anti", sans médiations possibles. Il n'y
a plus ni terrain neutre (ou société civile), ni tiers
parti : « Vous êtes avec nous ou contre nous ».
Au cours de la guerre d'Algérie, ce moyen a pu être
justifié par certains soutiens au FLN, au nom de la disproportion des
forces en présence781(*). Mais est-ce simplement cela qui est en jeu pour
ceux qui y ont recours ? Ce viol des lois de la guerre est-il simplement
un pis-aller ou vaut-il, par-delà, principe de gouvernement ? Le
fait est que la quasi-totalité des mouvements de
« libération nationale » qui ont oeuvré dans
le tiers-monde au cours des années 1950 et 1960 se sont
"civilisés" - une fois la partie gagnée - sous la forme de partis
uniques se réclamant, à l'instar du FLN, du
« centralisme démocratique ». Michael Walzer, qui
s'est intéressé de longue date à ces questions, y est
revenu peu après le 11 septembre 2001 : « [A familiar
argument to justify terrorism] is that terrorists are weak and can't do
anything else. But two different kinds of weakness are commonly confused here:
the weakness of the terrorist organization vis-à-vis its enemy and its
weakness vis-à-vis its own people. It is the second type - the inability
of the organization to mobilize its own people - that makes terrorism the
option and effectively rules out all the others: political action, non-violent
resistance, general strikes, mass demonstrations. The terrorists are weak not
because they represent the weak but precisely because they don't - because they
have been unable to draw the weak into a sustained oppositional politics. They
act without the organized political support of their own people. They may
express the anger and resentment of some of those people, even a lot of them.
But they have not been authorized to do that, and they have made no attempt to
win any such authorization. They act tyrannically and, if they win, will rule
in the same way »782(*). Michael Walzer montre aussi combien cette
stratégie d'implication forcée des populations civiles - cette
politique de la "terreur" - peut produire des effets infiniment plus rapides et
spectaculaires que le harcèlement direct des forces de l'ordre :
« Terrorists are like killers on a rampage, except that their rampage
is purposeful and programmatic. It aims at a general vulnerability. Kill these
people in order to terrify those. A relatively small number of dead victims
makes for a very large number of living and frightened
hostages »783(*).
Il est véritablement symptomatique, à cet
égard, nous l'avons dit, qu'au cours des six premiers mois de
l'insurrection algérienne les victimes civiles des actes terroristes du
FLN aient été quasi-exclusivement des victimes musulmanes.
Dès ses débuts, l'insurrection conduite sous l'égide du
FLN affirmait son caractère hégémonique, ciblant par
privilège ceux-là mêmes dont elle prétendait porter
les aspirations. Un bilan officiel des victimes civiles du terrorisme du FLN
établi et arrêté en juin 1957, un peu plus de 30 mois
après le déclenchement de l'insurrection, faisait état de
1.152 Européens tués ou disparus pour 8.497 musulmans784(*). Benjamin Stora, qui
rapporte également ces chiffres (en précisant que ce bilan
partiel se décomposait en « 16.382 attentats contre des
civils, et seulement 9.134 contre les forces de l'ordre
françaises »), estime que « la logique d'une
révolte d'un peuple unanime contre un occupant étranger donnerait
d'autres chiffres, une proportion inverse ». Et il ajoute :
« Force est de constater que ces données statistiques donnent
à voir une violence délibérée, en vue de faire
accepter son point de vue »785(*).
- 1. Le ciblage systématique des musulmans
pro-français et des nationalistes dissidents
Et, de fait, tout au long de la guerre (et, plus encore,
au-delà, comme en témoignent les assassinats et détentions
arbitraires d'anciens harkis et assimilés dans les mois et les
années qui suivent l'accession à l'indépendance de
l'Algérie), les insurgés ciblèrent systématiquement
les franges de la population civile qui n'étaient pas
inféodées au FLN, soit que les intéressés fussent
ouvertement "pro-français", ou présumés tels par leurs
fonctions (gardes forestiers, gardes champêtres, caïds, élus
ou candidats786(*),
fonctionnaires, professions libérales, anciens combattants,
etc.787(*)), soit qu'ils
se reconnussent dans d'autres formations nationalistes, à commencer par
le Mouvement National Algérien (MNA), jusque et y compris des
catégories aussi arbitraires que les « bourgeois »
ou les « filles du 13 mai »788(*).
Une logique redondante en Algérie. A propos de la
"seconde guerre d'Algérie", Luis Martinez montre ainsi que, dans le cas
d'espèce des « guérillas
révolutionnaires », et des actes de guérilla
orchestrés par le Mouvement pour l'Etat islamique (MEI) et son leader,
Saïd Makhloufi, en particulier, « le recours à la
violence n'est pas orienté vers les seules forces de
sécurité, mais prend pour cible, parmi le «peuple», des
civils réactionnaires : «Un peuple qui soutient, par peur ou
par ambition, un régime qui le tyrannise et l'oppresse, en devient
l'allié. De fait, la lutte devient non seulement un devoir, mais cesser
de collaborer avec le régime en place et les oppresseurs corrompus
devient un impératif» (Saïd Makhloufi, Traité de
désobéissance civile, 1991) »789(*). Luis Martinez ajoute :
« Le choix stratégique du MEI, qui se porte davantage sur le
« peuple » que sur les forces de sécurité, a
sans doute grandement contribué à celui du GIA. (...) Le GIA,
séduit par l'analyse de Saïd Makhloufi sur l'importance de
l'attitude du « peuple » dans la lutte armée, classe
tous les individus en « ennemis de l'islam » et
« partisans du djihâd ». Les civils se retrouvent
dès lors sommés de choisir leur camp sous peine de mourir. (...)
Ainsi, loin de se limiter aux forces de sécurité, le GIA entre en
guerre contre l'ensemble des groupes sociaux qui, involontairement ou
délibérément, assurent la pérennité du
régime »790(*).
Ainsi, en situation de guerre révolutionnaire, la
conscientisation à marche forcée des populations passe par la
mise à mort (ou la menace de mise à mort) des "traîtres".
Et il importe, à cet effet, que l'éventail des personnes
ciblées soit aussi large que possible afin que nul ne se sente soustrait
à la menace, donc à l'obligation de prouver son "patriotisme".
Ainsi en fut-il, dès avant l'exemple bien connu de Melouza (dans la nuit
du 28 au 29 mai 1957), de la « Nuit rouge de la
Soummam » : dirigée - dans la nuit du 13 au 14 avril 1956
- contre un gros village, Ioun Dagen, qui avait été
constitué en autodéfense par un notable de grande tente.
D'après Yves Courrière, Amirouche « avait
déclaré tout le village traître et l'avait rayé de
la carte. Le village avait été encerclé de nuit, investi
par surprise et Amirouche avait donné l'ordre de tuer tout le monde.
«Hommes, femmes et enfants, avait-il crié, et que ce
châtiment soit exemplaire !». Ce fut un carnage
épouvantable. On murmura qu'il y avait eu entre 1.000 et 1.100
morts »791(*).
Quelques mois plus tard, au cours d'une conférence de
presse à New-York, le 17 novembre 1956, Mohamed Yazid déclarait
que « pour faire l'unité algérienne, il ne [fallait]
pas hésiter à tuer et à écraser toute
opposition »792(*). Puis, au printemps 1957, le CCE donnait l'ordre
écrit aux responsables des wilayas «de brûler tous les
villages qui ont demandé la protection de la France, et d'abattre tous
les hommes âgés de plus de vingt ans qui y
habitent» »793(*). Du reste, d'après Charles-Robert Ageron,
même lorsqu'elles étaient spécifiquement dirigées
contre des membres des forces armées (militaires d'active,
supplétifs, policiers, etc.) ou des élus et membres de
l'administration coloniale (caïds, gardes forestiers, etc.), ces menaces
« visaient les familles aussi bien que les individus
coupables »794(*). Selon l'auteur, des lettres en français
parvenaient aux intéressés, les sommant en ces termes de
démissionner : « Notre armée avertit tous les
goumiers qu'ils mourront comme des salauds (...). Toutes vos familles seront
massacrées »795(*).
Cette même logique valait aussi en métropole,
où la Fédération de France du FLN faisait régner un
climat de terreur, à l'encontre des messalistes ou, plus simplement, des
"mauvais payeurs", comme en témoigne Mohammed : « Il y
avait une discipline de fer, imposant par exemple l'interdiction de boire, pour
éviter les bavardages. Etre dénoncé pour un Ricard
coûtait 50 F d'amende. La cotisation annuelle valait 35 F, je faisais la
collecte avec un jeune type, très dynamique. Un jour, un restaurateur
rechignait à sortir l'argent. Le jeune lui a dit : «Paye ou je
te liquide». Il a tiré. A la fin de chaque mois, on envoyait des
rapports en 17 points, très détaillés. Pour moi, le
travail était dur mais exaltant. C'était comme
un bouton électrique, tu appuies dessus, on t'obéit à la
minute »796(*).
- La mise à mort des
« traîtres » comme étai de la conscience
révolutionnaire, ou la règle de l'attentat
préalable
Outil de "conscientisation" à marche forcée des
populations civiles, la mise à mort des "traîtres" fut
symétriquement utilisée au titre d'épreuve "initiatique"
ou probatoire pour les candidats au maquis : ordre était
donné aux néophytes d'abattre un "traître", ce qui avait le
double avantage de s'assurer de la "sincérité" de leur engagement
et de les placer dans une situation sans retour, préalable commode
à leur radicalisation. Voici ce que déclarait Krim Belkacem
à l'automne 1960 : « Le troisième problème
est celui de l'attentat ; pour être admis dans les rangs de l'ALN,
il faut abattre un colonialiste ou un traître notoire. L'attentat est le
stage accompli par tout candidat à l'ALN797(*).
Saïd Ferdi, qui fut forcé de s'engager dans
l'armée française à l'âge de 14 ans, a
raconté quelles furent les conséquences de cette règle
dans son village : « Les révolutionnaires appliquaient
une discipline très sévère à l'intérieur
même du réseau. Pour être admis parmi eux, il fallait (...)
commettre un attentat. On désignait à l'intéressé
une victime, on lui indiquait le lieu, la date et l'heure de l'assassinat, et
il devait exécuter strictement les ordres. La moindre erreur
était punie de mort. Cela se produisit trois fois dans mon village. La
première, l'homme tira sur le gendarme qu'il devait tuer, mais,
affolé, le rata. A son retour, les maquisards le fusillèrent. Le
second n'avait pas respecté l'heure indiquée (...). Le
troisième avait parlé à des amis de son projet avant de
l'exécuter. Les révolutionnaires appliquaient ces méthodes
pour deux raisons : l'une était d'empêcher chaque nouveau
maquisard de revenir en arrière en le compromettant
définitivement aux yeux de l'administration française, l'autre
d'imposer une discipline rigoureuse pour que les hommes appliquent strictement
les ordres et qu'ainsi tout fonctionne au mieux »798(*).
Dans une interview parue dans une édition saisie de
L'Express, puis publiée par Témoignages et
Documents de mars 1959, Si Azzedine, qui fut commandant de la wilaya IV,
raconte comment il a lui-même été amené à
commettre son premier attentat le jour où il a été admis
comme moussebiline du FLN, le 31 juillet 1955 :
« J'avais appris que le gardien de nuit musulman [NDA : de
l'usine de Maison-Carrée où travaillait Si Azzedine] nous
dénonçait. J'en ai rendu compte aux frères et l'on m'a
chargé de supprimer le gardien. C'est la première fois que je
devais tuer un homme. Comme j'étais sportif et que l'on savait que
j'avais de la poigne, on m'a chargé de faire cela à la dure,
c'est-à-dire par strangulation. Nous ne voulions pas alerter la police
en nous servant d'armes à feu. C'était ma première
épreuve, et je l'ai à moitié ratée. J'ai bien
étranglé le gardien, mais l'alerte avait été
donnée, une patrouille a tiré sur moi, j'étais
blessé au mollet. Je me suis d'abord caché et j'ai réussi
à m'enfuir. Aussitôt, j'ai été envoyé dans le
maquis de Palestro »799(*).
Dans son ouvrage, La guerre civile en Algérie,
Luis Martinez signale d'ailleurs que cette pratique s'est
perpétuée d'une guerre d'Algérie l'autre :
« [L'assassinat d'inspecteurs, de policiers ou de secrétaires
dans un commissariat] constitue un rite d'initiation : l'assassinat
à visage découvert entraîne inéluctablement ses
exécutants à rejoindre les rangs de la guérilla, à
l'abri des maquis. Par ce type de cible et de méthode, les instructeurs
de la guérilla, en conseillant aux « émirs »
de s'en prendre d'abord aux policiers locaux, ont pu bénéficier
de l'arrivée régulière de nouvelles recrues. (...) [Tout
en constituant une garantie de l'authenticité de l'entrée en
dissidence des nouveaux convertis au djihâd,] ce
procédé leur ôte surtout la possibilité d'un retour
à la vie civile à l'instar des combattants de la Renamo au
Mozambique »800(*).
- 2. La « politique du pire » ou
l'exposition délibérée des civils musulmans aux
représailles de l'armée française
Outre le ciblage systématique des musulmans non
inféodés au FLN (ou "politique de la terreur"), et dans une
même logique de subordination des fins aux moyens, le FLN eut
fréquemment recours à la politique dite du pire, en exposant
délibérément les populations civiles musulmanes aux
représailles de l'armée française. Des "coups"
étaient montés par le FLN à proximité des villages
ou impliquant directement les populations civiles, laissant accroire à
l'appui spontané desdites populations, aux seules fins de susciter en
retour des représailles aveugles de la part de l'armée
française. Cette stratégie visait, par la violence de la
répression, à accentuer le sentiment de césure entre les
populations et l'armée d'une part, entre les communautés
musulmane et européenne d'autre part. D'après Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi, la violence est ici « stratégie
délibérée visant à creuser un fossé entre
les communautés, à supprimer tous les hésitants, tous les
hommes de dialogue, tous ceux qui rêvaient d'une indépendance avec
la France et non contre elle ». « Dans ces conditions,
ajoutent-ils, entre l'armée et les moudjahidin, il n'y avait
guère de place pour la neutralité, il n'y avait pas de
troisième voie, il ne restait qu'un chemin pour la survie, étroit
comme une meurtrière »801(*).
A cet égard, il faut à nouveau mentionner
l'exemple paradigmatique des émeutes du 20 août 1955, dans le
Nord-Constantinois, où hommes, femmes et enfants furent
"mobilisés" par l'organisation et lancés - le plus souvent
désarmés ou sommairement armés d'outils
agricoles802(*) -
à l'assaut des bourgades et des villes contre d'autres populations
civiles. Dans un premier temps, l'effet de surprise joue à plein en
faveur des insurgés qui, fanatisés par les slogans
mensongers des quelques djounouds qui les encadrent (voir
supra), se livrent au massacre de quiconque se trouve sur leur
chemin803(*) ; dans
un second temps, conformément aux attentes des chefs locaux de
l'insurrection (et de Zighout Youcef en particulier) qui ont tout fait pour la
susciter, la répression - brutale, collective, aveugle - s'organise et
broie les émeutiers désarmés, dépourvus de toute
science de la guerre et livrés à leur sort par les maquisards
qui, plutôt que de les protéger ou faire face aux troupes
d'intervention, se sont repliés sur leurs positions804(*).
D'après Charles-Robert Ageron, qui cite une de ses
directives, Zighout Youcef, considérant que « la
Révolution n'est pas suffisamment aidée par la
population », était fermement décidé à
« déclencher une série d'opérations où il
engagerait [celle-ci] », afin que cesse toute
« ambiguïté » au sujet de « la
fraternisation entre les populations algérienne et
française ». Et, ce, quel qu'en fût le prix :
« Il y aura des pertes très fortes, mais même si la
moitié de la population est décimée, la Révolution
y gagnera car l'Algérie bougera »805(*).
Quelque temps auparavant, déjà, Zighout Youcef,
« visant le PC du colonel Ducournau à El-Arrouch, entreprit de
mêler la population civile à ses soldats. Ceux-ci avaient ouvert
le feu, puis s'étaient aussitôt retirés quand les
parachutistes français intervinrent. Face à une foule en furie,
le colonel Ducournau interdit à ses hommes de tirer sur des villageois
sans armes déjouant ainsi le piège de
Zighout »806(*). Il n'en fut rien, on le sait, à la suite des
émeutes du 20 août qui, il est vrai, avaient visé des
civils. En dépit - ou, plutôt, grâce - aux milliers
de victimes probables de la répression parmi la population civile,
Charles-Robert Ageron peut certes écrire que « la
stratégie de Zighout, qui visait essentiellement à creuser le
fossé entre les populations européenne et algérienne et
à obliger les hésitants à se rallier au FLN, fut
politiquement payante »807(*).
Au-delà de cet épisode marquant, les exemples
abondent pour témoigner de ce que la politique du pire fut un moyen
communément utilisé par le FLN pour impliquer les populations
civiles dans la guerre et aviver le sentiment de césure entre les
communautés. Mouloud Feraoun, en mars 1956 : « Ces gens
là qui tuent froidement des innocents sont-ils des
libérateurs ? Si oui, songent-ils une seconde que leur violence
appellera l'autre "violence", la légitimera, hâtera sa terrible
manifestation. Ils savent les populations désarmées,
tassées dans leurs villages, excessivement vulnérables.
Préparent-ils sciemment le massacre de "leurs frères" ? En
admettant même qu'ils soient des brutes sanguinaires - ce qui d'ailleurs
ne les excuse pas mais au contraire plaide contre eux, contre nous, contre
l'idéal qu'ils prétendent défendre - ils doivent songer
à nous épargner, donc à ne pas provoquer la
répression »808(*).
L'emploi de ces deux stratégies complémentaires
- l'une dirigée contre les "traîtres" (politique de la terreur),
l'autre contre les "attentistes" (politique du pire) - est la
conséquence logique de l'effacement de la frontière entre
"opposition" et "subversion" et de la subordination des fins aux moyens. L'une
et l'autre de ces stratégies procédaient d'une "conscientisation"
à marche forcée des populations civiles musulmanes, dont
témoignaient initialement les menaces proférées dans la
proclamation du 1er novembre 1954 à l'adresse de ceux qui
« contrecarreraient » la lutte ou qui, simplement, s'en
« désintéresseraient » (voir supra).
La première par l'exercice direct de la violence à l'encontre de
ceux qui réprouvaient et/ou combattaient l'entreprise du FLN. La seconde
par la provocation délibérée de représailles
aveugles, disproportionnées de la part d'un adversaire qui, dans les
faits, s'avérait lui-même souvent peu soucieux (principe de la
responsabilité collective) de faire la différence entre les
populations civiles et les combattants de l'ALN.
Entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962,
moins d'une victime civile sur 9 des actes de terrorisme du FLN fut d'origine
européenne809(*).
Ce bilan brouille le tableau idéel d'une guerre de
« libération » tournée prioritairement contre
l' « occupant » et mobilisant spontanément et
uniment les masses musulmanes aux côtés du FLN. Guy
Pervillé : « La lutte contre les
«traîtres» et les réfractaires prit les proportions
d'une guerre civile qui démentit l'unanimité nationale
présumée »810(*). A cet égard, le vernis de la propagande
unanimiste achève de s'écailler après le 19 mars 1962.
À compter de cette date, mais plus encore à partir de l'accession
à l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962, et lors
même que l'objectif de « libération
nationale » serait formellement atteint, les exactions à
l'encontre des civils musulmans et des civils européens encore
présents en Algérie non seulement se poursuivent, mais
redoublent. Dans un climat d'impunité totale, bientôt
aggravé par les luttes de factions entre l'armée des
frontières et les maquis de l'intérieur, des dizaines de milliers
d'anciens supplétifs rendus à la vie civile - ainsi que d'autres
catégories de musulmans pro-français - seront en proie à
des représailles vengeresses, tandis qu'au même moment des
milliers de civils européens seront tués ou enlevés sans
que des mesures énergiques fussent prises par les autorités
françaises pour leur porter secours et faire appliquer la clause de
non-représailles contenue dans les accords d'Evian. Au 30 avril 1963, le
« Bilan des exactions contre les personnes civiles »
dressé par l'ambassade de France en Algérie faisait état
de 3.098 civils européens enlevés après le 19 mars 1962,
parmi lesquels 969 avaient été retrouvés vivants, 306
retrouvés morts, et 1.818 restaient disparus811(*). Pour sa part, l'Association
de solidarité des familles et enfants de disparus (ASFED) dit tenir
à jour un fichier de 2.500 noms et évalue le nombre des victimes
à plus de 6.000812(*).
Quoiqu'il en soit, si l'on s'en tient au seul bilan officiel,
on constate que le nombre des victimes européennes tuées ou
disparues au 30 avril 1963 (soit 2.124 personnes sur une période de 13
mois) est égal aux deux tiers du nombre des civils européens
tués et disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars
1962 (soit 3.163 personnes sur une période de près de 89 mois).
D'autre part, le nombre des civils musulmans tués ou disparus dans
l'année qui suit le 19 mars 1962 (de 30.000 à plus de 90.000
personnes selon les estimations, voir supra) est au minimum
égal - et au maximum le triple - de celui des civils musulmans
tués ou disparus entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars
1962 (soit 29.674 personnes). Ceci témoigne - sans équivoque
possible - de ce que la guerre d'Algérie ne s'est pas terminée au
soir de la conclusion des accords d'Évian, ni même au soir de
l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Ceci
témoigne surtout de ce que la lutte pour l'indépendance ne
pouvait être détachée, dans l'esprit de ses promoteurs,
d'une lutte implacable pour l'hégémonie politique : une
politique de la table rase, en somme.
Les convulsions liées à la prise de pouvoir du
FLN et à la fondation d'un Etat à sa mesure furent symptomatiques
d'une ère de « massification » et de
« brutalisation » des moeurs politiques (via le
réinvestissement par le Sud de l'antienne révolutionnaire). Entre
messianisme et populisme, de la déification du Peuple (« Un
seul héros, le Peuple ») à sa réification (le
Parti unique ou Parti-Etat), la subjugation des populations civiles, on l'a vu,
passait par l'effacement de la frontière entre opposition et subversion,
et l'invocation autoritaire de l'Un.
D'une réification l'autre, en France aussi - où
ce sont non les conditions de fondation mais de stabilisation de l'ordre
politique qui étaient en jeu - l'on choisit de taire le différend
plutôt que de vivre avec. A leur arrivée en métropole, les
ex-supplétifs, témoins gênants d'une décolonisation
ratée, furent rendus à leur condition d'indigènes :
population administrée, ségrégée, réduite au
silence. Ainsi, la logique d'exclusion d'Evian et les événements
associés s'est prolongée, sur l'autre rive de la
Méditerranée, dans les dispositifs d'accueil et de
(non-)intégration auxquels furent assujettis les rescapés.
IV. Du regroupement à la
relégation : la politique d' « accueil »
des Français musulmans rapatriés
Il nous a été donné de voir, dans le
chapitre II, quelles étaient - au moment de "planifier" ou,
plutôt, de contingenter leur rapatriement - les interrogations et,
surtout, les préventions des autorités quant aux capacités
d'adaptation en métropole des anciens supplétifs et de leurs
familles. S'ajoutant à la volonté expresse du chef de l'Etat de
taire les conséquences dramatiques de la politique de dégagement
telle que visée et entreprise, ainsi qu'aux soupçons du ministre
de l'Intérieur et du ministre d'Etat en charge des Affaires
algériennes quant à une possible collusion "harkis-OAS", ces
interrogations (et ces préventions) motivèrent d'abord largement
- quoique secrètement - le caractère minimaliste du
« plan général de rapatriement ». Puis, dans
la foulée, ces mêmes interrogations et préventions
motivèrent la mise en place d'une politique spécifique dite de
« reclassement collectif » à l'adresse de ceux qui,
au fil du temps, purent quand même gagner la métropole. Cette
politique, plutôt que de faciliter l'adaptation donc l'intégration
des Français musulmans rapatriés, signera pour nombre d'entre eux
(et pour longtemps) à la fois leur mise sous tutelle administrative et
leur enclosure géographique. Mais garantira, par-là même,
et pour plus d'une décennie, leur mise sous l'éteignoir.
Conçue dès l'origine comme « une vaste
entreprise de moralisation »813(*), cette politique visait à prévenir
autant que possible le reclassement individuel des familles, les
autorités craignant - ou feignant de craindre - qu'elles ne
« s'embourgeoisent trop rapidement » au prix d'une
« rupture brutale avec leur standing courant et les
réalités vitales de l'existence »814(*). Faute de pouvoir s'appuyer
- dans une large proportion - sur des réseaux de solidarité
privés, les Français musulmans rapatriés ont donc
vécu à leur arrivée en métropole une situation de
« quasi-internement administratif »815(*). Jugés
« socialement inadaptés à notre mode de
vie », ils sont d'emblée soumis à un
« système d'accueil et de reclassement »
particulier, qui les voue d'abord à ces « espaces
d'invisibilité » que sont les camps militaires. Ceux-ci,
fonctionnant comme des « centres de transit et de
reclassement », ont pour vocation d'héberger temporairement et
de trier les familles en instance d'acheminement vers d'autres sites
réservés : hameaux forestiers et cités
périurbaines qui ont pour caractéristiques communes d'être
« gérés par l'administration et placés sous
contrôle d'un personnel d'encadrement
spécialisé »816(*). Ces sites - plus d'une centaine - sont
configurés de manière à « concilier les
intérêts et les préoccupations des administrations [ou des
entreprises] concernées et des communes
d'implantation » : construits à même le bassin
d'emploi (chantiers de forestage, mines, industries...), ils sont
généralement situés à bonne distance des villages.
Paradoxalement, nous l'avons vu, c'est précisément cette
situation d' "exo-territorialité" qui, aux yeux de
l'administration, est censée garantir la
« normalisation » progressive des Français
musulmans rapatriés. Mais pour certains, jugés inaptes au travail
- infirmes, malades mentaux, traumatisés de guerre, parents
âgés, femmes seules chargées de famille, etc. - , les
perspectives d'intégration ou de « normalisation »
s'arrêtent à la porte des camps militaires. Et ceux-ci,
originellement conçus par l'administration pour remplir une mission
transitoire, sont dès lors « appelés à
être peuplés pendant plusieurs
décennies »817(*).
Ces structures qui, plutôt que de simplement offrir une
solution d'hébergement aux intéressés tendent à
régir leur existence dans son entier818(*), s'apparentent à bien des égards aux
« institutions totalitaires » décrites par Erving
Goffman dans Asiles, études sur la condition sociale des malades
mentaux. On y retrouve les dimensions d'invisibilité, de
sérialité et de promiscuité, tout autant que les aspects
disciplinaires, qui font l'ordinaire de ce genre d'établissements.
Erving Goffman :
« C'est une caractéristique fondamentale des
sociétés modernes que l'individu dorme, se distraie et travaille
en des endroits différents, avec des partenaires
différents, sous des autorités différentes, sans que cette
diversité d'appartenance relève d'un plan d'ensemble. Les
institutions totalitaires, au contraire, brisent les frontières qui
séparent ordinairement ces trois champs d'activité ; c'est
même là une de leurs caractéristiques essentielles. En
premier lieu, placés sous une seule et même
autorité, tous les aspects de l'existence s'inscrivent dans le
même cadre ; ensuite, chaque phase de l'activité
quotidienne se déroule, pour chaque participant, en relation de
promiscuité totale avec un grand nombre d'autres personnes,
soumises aux mêmes traitements et aux mêmes
obligations ; troisièmement, (...) toute tâche
s'enchaîne avec la suivante conformément à un
système explicite de règlements dont l'application est
assurée par une équipe administrative. Les
différentes activités ainsi imposées sont enfin
regroupées selon un plan unique et rationnel, consciemment
conçu pour répondre au but officiel de
l'institution »819(*). Il ajoute : « L'institution
totalitaire est un mixte social, à la fois communauté
résidentielle et organisation
réglementée »820(*), dont la visée première est
d'instaurer « un mode particulier de tension entre l'univers
domestique et l'univers de l'institution »821(*). Jouant de cette tension
comme d' « un levier utile pour le maniement des
hommes »822(*), ces établissements s'imposent de fait comme
« des foyers de coercition destinés à modifier la
personnalité : chacun d'eux réalise l'expérience
naturelle des possibilités d'une action sur le moi »823(*).
De fait, coupés de leurs droits, coupés du monde
du travail et coupés de l'école, les Français musulmans
rapatriés et leurs enfants ont, d'une certaine manière, fait
l'expérience de cette vie en coupe réglée qui
caractérise les institutions totalitaires. Il faudra attendre 1975 - et
les premières révoltes des populations assignées à
cette vie en "réserves" (selon les propres termes de l'ancien
secrétaire d'Etat socialiste aux rapatriés, Maurice Benassayag) -
pour que soient définitivement résorbés ces
« centres de transit et de reclassement » devenus, du fait
de l'impéritie des pouvoirs publics, espaces de relégation
permanente.
A- « Une politique de reclassement
collectif » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)
- 1. Des quais aux camps ou les prémisses d'une vie
en coupe réglée
Aussitôt débarqués en métropole,
les anciens harkis et leurs familles sont coupés du monde ou,
plutôt de leur "nouveau monde" : aux premières heures, la
prise en charge par les autorités de tutelle (armée et
préfecture) est clairement marquée par le primat de
l'invisibilité et de la sérialité.
L'invisibilité est la résultante d'une
stratégie de rétention de l'information autour des
arrivées qui vise à l'évitement de tout contact avec les
populations civiles : les anciens supplétifs et leurs familles sont
débarqués à l'écart du trafic de voyageurs et des
plates-formes de transit "grand public", puis convoyés sous "protection"
de l'armée jusqu'aux camps de transit, dans des convois spéciaux.
Cette prise en charge standardisée des nouveaux arrivants
(sérialité) ne laisse aucune part à l'initiative
individuelle et/ou à l'activation de réseaux de solidarité
privés. Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi :
« Il faut dire que les conditions entourant le
«grand voyage» imposent un véritable rite auquel nul ne peut
déroger : l'armée doit veiller à ce que ces
arrivées s'effectuent à une heure tardive de la nuit, regrouper
les harkis et leurs familles dans un hangar prévu à cet effet au
cap Janet [Marseille], embarquer tout le monde aux premières lueurs du
jour dans un train spécial venant chercher les harkis sur le port
même pour les emmener au camp du Larzac »824(*).
Mohamed, un ancien harki rencontré lors de notre
séjour à Largentière, se souvient très bien de ces
conditions "d'accueil" particulières :
« Nous, quand on est rentrés en France en
1962, c'était le 9 juin exactement qu'on a quitté
Mers-el-Kébir, le 11 juin on était à Marseille, vers 5
heures de l'après-midi, il faisait encore jour. L'accueil qu'on a
eu : interdit de quitter le bateau le soir ; bon, on est
restés dans le bateau, on a couché là. On était
dans le port de marchandises, c'est pas le port où y'a les bateaux, non,
non, non, c'était là où le train il faut qu'il arrive
jusqu'au bateau. On avait les CRS qui étaient là... mais il n'y
avait aucun officiel pour nous accueillir : le maire, Gaston Defferre, le
Conseil général, le préfet : aucun !
Aucun ! Pas du tout. Ni des journaux, des journalistes, y'en a pas aussi,
ni des "parlés", ni des "écrits", y'a personne ; ni la
première chaîne, ni la radio. On a passé la nuit dans le
bateau. Le lendemain matin, le train est venu jusqu'à côté
de notre bateau - là où ils descendent les marchandises, quoi -
tu descends du bateau, tu rentres dans le train. On a été
à Béziers, à Béziers y'avait des soeurs, y'avait la
Croix-Rouge, et là elles servaient du café, les gens [NDA :
les officiels] n'étaient toujours pas là, nous on avait de la
haine... incroyable. Et de là on est partis à Millau. A Millau,
on est descendus du train, y'avait la gare, y'avait des tables, y'avait le
préfet ou le sous-préfet, je me rappelle pas bien, et il y avait
un général, là-bas, qui commandait le Larzac, un
général biffin ; bon, on avait les cafés au lait, ils
ont donné du lait aux enfants, et là y'avait des Simca qui nous
attendaient : on a monté au Larzac le 12 juin »825(*).
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou rapportent le
témoignage de L.M., dont la teneur révèle un même
souci de "discrétion" de la part des autorités :
« En fait, [à la suite du
débarquement à Marseille et du convoyage en train] nous ne sommes
pas arrivés en gare de Millau. Dans le train, il n'y avait que des
harkis et des moghaznis mais plus de femmes et d'enfants que d'hommes. On s'est
arrêtés en pleine campagne, on ne voyait pas de gare. On nous a
fait descendre, femmes, enfants, tout le monde quoi, et on est montés
sur des camions de l'armée qui n'avait pas de bâches. Maintenant
que j'y pense, on aurait dit comme dans les films de cow-boys ou les
reportages, il y a quelques années, sur les troupeaux américains
où on voit les vaches descendre des wagons sur une planche et qu'on fait
monter dans des camions. Nous, c'était pareil, car il y avait un camion
par wagon et il fallait qu'on monte dans le camion qui était en face. On
ne pouvait pas prendre un autre camion »826(*).
Le "primo-accueil" incombe ainsi prioritairement à
l'autorité militaire, et secondairement aux services civils.
Placée sous le sceau du provisoire et de la précarité, la
vie dans les camps militaires - qui font office de camps de "triage" ou de
"transit" dans l'attente d'une affectation dans un hameau forestier ou une
cité périurbaine proche d'un bassin d'emploi - perpétue la
rigueur et l'inconfort de la vie militaire, mais étendus cette fois
aux familles dans leur entier. Abdelkrim Klech, enfant de harki né en
Algérie, a connu ces camps : « Dans les campements de
tentes du Gard, il faisait très froid, les femmes accouchaient dans les
tentes, on pataugeait dans la boue »827(*).
Le décongestionnement des camps se heurtent aussi
parfois à la mauvaise volonté des édiles locaux, qui
refusent que soient construites des cités périurbaines sur le
territoire de leur commune. Mohamed :
« [On est restés au Larzac du 12 juin
jusqu'au mois de juillet 1962.] S'il y avait pas la Marine qui ont
emmené... à Paris, ils ont ramassé de l'argent, ils ont
commencé à chercher un peu partout, aucun maire il voulait des
harkis sur sa commune.
- Personne ne voulait les accueillir ?
- Non, non, personne. La Marine elle est venue ici [à
Largentière], elle a acheté des terrains là-haut, à
Volpilliaire [NDA : à 3 kilomètres du bourg, de l'autre
côté du versant de la colline, près des mines
argentifères], et comme elle était propriétaire, elle a
amené ses harkis ici, à Largentière. Voilà pourquoi
on est venus à Largentière. Mais en tout cas, si elle avait pas
acheté ce terrain, moi je serais pas là. (...) Au mois de juillet
on a pris le train le soir, et à 7 heures du matin on était
à Montélimar, et à Montélimar on a pris des Simca.
A 9 heures, 9 heures et quart, on était ici : pas de maire, y'avait
personne, y'a que nous et l'officier qui était avec nous. Bon, on a
monté de là... pourtant à Largentière, y'avait des
salles de sport... pourquoi il met pas des enfants... des femmes et des enfants
dedans, et bon, nous on va monter les tentes. Bah non, les femmes
étaient avec nous, elles étaient dans le camion, et nous on
montait notre tente, là-haut... le village [NDA : le lotissement]
existait pas encore, la route... c'était tout cassé, c'est nous
qu'on l'a fabriquée aussi. Y'avait rien du tout.
- Vous n'avez pas été
aidés ?
- Par qui ? Non, y'a que les chefs de la Marine, c'est
tout, et... c'est normal, ils ont demandé le courant, ils ont
branché le courant dans les tentes, ils ont mis pour tous les quartiers
dehors. Et en 1962, pendant l'été, il faisait trente, quarante,
ici, et l'hiver c'était au moins... il a neigé ici en
Ardèche, eh ! bien un hiver incroyable - faut demander même
aux Ardéchois si je dis des bêtises - il faisait trop froid. Et
nous on était dans les tentes. On a passé comme ça, ben...
y'a aucun Européen qui est venu tendre la main, y'en a
aucun »828(*).
Pour autant, les solutions de reclassement visées par
les pouvoirs publics sont quasi-systématiquement
collectives : il apparaît ainsi très vite que, faute
d'une politique volontariste visant au reclassement individuel des
anciens harkis et de leurs familles, nombre d'entre eux n'auront d'autre choix,
au fil des années, que de rester confinés dans un faisceau de
structures - camps de "transit" détournés de leur vocation
initiale, hameaux forestiers enclavés et cités
périurbaines réservées - qui ont toutes en commun
d'astreindre les intéressés à une forme de mise sous
tutelle légale qui régente jusqu'aux aspects les plus routiniers
de l'existence.
- 2. De la vie en "réserves" aux emplois
réservés : « un destin
préfabriqué »
a) Coupés de leurs droits : la mise sous tutelle
légale
Astreints à être l'objet d'une politique de
reclassement collectif, les Français musulmans rapatriés sont
également voués à « un statut
juridico-administratif spécifique », dont les deux dimensions
principales sont :
- le détournement des prestations
légales ;
- la rétention des documents administratifs par le
personnel d'encadrement.
S'agissant du détournement des prestations
légales, Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas
soulignent que « grâce aux révisions de certains textes
législatifs et de règlements administratifs, les
Français-musulmans sont exclus du bénéfice des
dispositions adoptées en faveur des rapatriés européens
(dont l'importante réservation prioritaire de 30% de logements HLM en
faveur des rapatriés) et cantonnés à une juridiction
d'exception ». Ils précisent : « Une commission
interministérielle convoquée le 13 juillet 1962 au
Ministère des Rapatriés, réunissant aussi des
représentants des Ministères du Travail et de la Santé,
convient en effet d'attribuer la tutelle légale de tous les
rapatriés musulmans stationnés dans les camps au ministère
des Rapatriés, «personne morale assurant la charge permanente des
familles». Du même coup, la population musulmane arrivée en
France totalement démunie, se voit définitivement privée
de toute ressource susceptible de lui garantir une quelconque autonomie et
indépendance par rapport à l'administration qui la prend en
charge »829(*). La justification donnée à cet
état de fait par le chef du Service des Français d'Indochine et
Musulmans (SFIM) dans une lettre à la Cour des Comptes est la
suivante : « L'Etat français prenant totalement en charge
ces musulmans et leurs familles (logement, nourriture, soins, etc.), il ne
paraissait pas nécessaire ni opportun de leur verser les sommes
relativement importantes que, dans leur imprévoyance bien connue, ils
auraient risqué de gaspiller inutilement »830(*). Les sommes ainsi
"thésaurisées"/détournées permettront de
budgéter, selon des modalités opportunément indolores pour
les finances publiques, d'une part, les rémunérations des
monitrices de promotion sociale chargées de « hâter
l'assimilation » des ex-supplétifs et membres de leurs
familles hébergés dans les camps, et, d'autre part, de financer
la mise en place de logements en dur dans les hameaux forestiers831(*). Commentaire
rétrospectif de Dalila Kerchouche, fille de harki et journaliste
à L'Express :
« Mes parents ont donc été
spoliés. Leur argent a servi à financer un système
d'exclusion. Ils ont payé leur propre prison ! (...) En coupant les
vivres aux familles, les gouvernants de l'époque leur ôtaient
toute chance de sortir du camp. Elles n'avaient donc pas le choix. (...) Je
suis scandalisée »832(*).
S'agissant de la rétention des documents administratifs
par le personnel d'encadrement, Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas signalent qu'il s'agit là d'un
« moyen de prévenir les départs intempestifs, et non
des moindres quand, parmi ces papiers, figurent ceux qui attestent la
nationalité française des rapatriés »833(*).
Objets d'une mise sous tutelle légale, les anciens
harkis sont ainsi traités comme des mineurs, qu'il faut à la fois
accompagner et "protéger" contre eux-mêmes. Mais confinement et
"dressage" visent aussi - et peut-être d'abord - à
"protéger" les populations autochtones de la présence non
désirée de cette étrange communauté,
considérée et traitée à la façon des
« classes dangereuses »834(*). Il n'est pas jusqu'au système du "livret
ouvrier"835(*) qui ne
soit réinstauré à leur attention. Ainsi, « le
système de "reclassement collectif" interdit tout départ
volontaire d'un chef de famille qui ne satisfait pas à la double
présentation d'un certificat d'embauche et d'hébergement dans la
commune de destination »836(*).
b) Coupés du monde du travail
Pour la plupart illettrés et souvent
dénués de toute qualification professionnelle, les
Français musulmans rapatriés constituent à leur
arrivée en France une main d'oeuvre bon marché et d'autant plus
malléable qu'elle est soumise à un système de reclassement
collectif et un statut juridico-administratif spécifique. Une situation
dont certains employeurs (y compris publics) - en plein accord avec les
autorités (et dans l'indifférence des organisations syndicales,
qui sont souvent hostiles par principe aux anciens harkis ; voir
ci-dessous) - ne se priveront pas d'user et parfois d'abuser, en "offrant" aux
intéressés des conditions de travail "ajustées", a
priori peu compatibles avec une période de croissance et de plein
emploi. Ainsi, les chefs de famille employés par l'O.N.F. sur les
chantiers forestiers ne relèvent pas de la législation du
travail : journaliers, leur rémunération ne constitue pas un
salaire. Le préfet de l'Aveyron, loin de s'en émouvoir, se
félicite - dans une lettre au SFIM du 29 septembre 1962 - de ce que
« le salaire journalier est de nature à encourager le travail
et l'amélioration du rendement. Il est, ajoute-t-il, plus en rapport
avec la mentalité des intéressés »837(*). Les salaires journaliers
s'échelonnent entre 14 et 20 francs, l'O.N.F. décidant librement
des salaires dans chaque département, et les jours chômés
pour causes d'intempéries ne sont pas rémunérés.
« Nous sommes restés des ouvriers journaliers jusqu'en
1976, explique un chef de famille. Pendant toute cette période, la
première chose à faire quand on se réveillait le matin,
c'était de regarder le ciel pour savoir si on allait être
payé »838(*).
S'ajoute à cela, il est vrai, les pressions
exercées par certains syndicats et par la Fédération de
France du FLN pour interdire l'accès des usines aux Français
musulmans rapatriés. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou notent ainsi
que les Français musulmans rapatriés « sont en butte
avec une grande partie du monde ouvrier qui leur refuse aussi la
possibilité de travailler. Le Parti communiste et la CGT informent le
préfet IGAME des Bouches-du-Rhône qu'ils établissent une
différence très nette entre les salariés d'une part et les
capitalistes, colonialistes ainsi que les harkis d'autre part qui ne peuvent ni
les uns, ni les autres être considérés comme des
travailleurs »839(*). Même constat chez Fatima
Besnaci-Lancou : « Régulièrement, des familles
partaient [NDA : du camp de Rivesaltes] lorsqu'elles avaient obtenu un
travail. Personne ne pouvait quitter définitivement les lieux sans
promesse écrite d'hébergement et de travail. (...) Nous
attendions patiemment notre tour. Le camp ressemblait à une immense
salle d'attente. D'après les nouvelles de ceux qui étaient
partis, il était difficile aux harkis de se faire accepter dans
certaines grandes usines. Un syndicat majoritaire dans beaucoup d'entreprises
faisait tout pour contrer leur embauche. J'étais trop jeune pour me
souvenir du nom du syndicat. Beaucoup plus tard, j'ai compris qu'il s'agissait
de la CGT. Proche du parti communiste qui avait soutenu la lutte pour
l'indépendance, la CGT contribua ainsi fortement à nous maintenir
dans le ghetto »840(*).
Et, de fait, un rapport du Conseil économique et social
du 14 mars 1963, appelant les pouvoirs publics à réagir
d'urgence, relevait que « le secteur industriel (celui où les
salaires sont le plus élevés) [était] encore la chasse
gardée du FLN »841(*).
c) Coupés de l'école
A l'instar de leurs parents qui, nous l'avons vu, sont soumis
à des emplois et des conditions de travail "ajustés", les enfants
de harkis sont, au cours des premières années, regroupés
dans des classes élémentaires spéciales, composées
uniquement de fils et filles de Français musulmans rapatriés, et
implantées à même les camps, hameaux forestiers et
cités périurbaines : l'exact symétrique de
l'intégration par l'école, en somme. Selon Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, cet état de fait est pour
partie lié à la "frilosité" des communes
environnantes : « Les enfants qu'on a prévu de
«mêler le plus possible à la vie et aux moeurs des
métropolitains, de manière à devenir des
Français», seront scolarisés dans des écoles
spéciales en préfabriqué à l'intérieur des
camps et hameaux forestiers, du fait du refus des communes environnantes de
recevoir un grand nombre d'enfants musulmans842(*). Dalila Kerchouche signale que les enfants des
personnels administratifs attachés à la gestion du camp
n'était eux pas touchés par ce régime
ségrégatif, et admis sans problème dans les écoles
communales environnantes : « Les séquelles de cette
ghettoïsation sont terribles. Au fil des années, les enfants
accumulent un retard scolaire de trois ou quatre ans en moyenne. (...) Les
enfants de harkis s'inventent un sabir « francarabe »
incompréhensible pour les autres. La progéniture du personnel
administratif, qui vit pourtant dans le camp, ne fréquente pas la
même école, mais celle du village de Bias. Ma mère,
intriguée par cette différence (...) se rend alors à
l'école communale de Bias mais le directeur refuse d'inscrire ses
enfants : «Ils doivent rester dans le camp, c'est obligatoire».
Ma mère encaisse sans rien dire »843(*).
Ce régime ségrégatif est camouflé
sous le vocable d' "écoles de rattrapage" : il ne s'agirait
pas de couper par principe les enfants de harkis de l'école communale,
mais de tenir compte de leurs conditions d'arrivée et de vie objectives,
qui ne leur permettraient pas de suivre - du moins d'emblée - un cursus
normal. Pourtant, de rattrapage il n'y aura point puisque, à l'inverse,
dans ces conditions, c'est avec un retard scolaire accentué que les
enfants intègreront le collège dans des villes et au milieu de
camarades métropolitains qu'ils découvriront parfois à
cette occasion. Interrogé par Le Monde, Hocine se souvient
« [avoir] été scolarisé à
l'intérieur du camp de la maternelle au CM2, par des instituteurs
spéciaux, très durs, qui pratiquaient un emploi du temps bien
particulier : classe le matin, bricolage et sport
l'après-midi »844(*). Pour sa part, Abdelkrim Klech, qui s'est
imposé depuis comme une "figure" de la mouvance associative harkie, se
souvient avoir fréquenté un internat spécial
créé par le ministère des rapatriés où les
cours étaient assurés par des hommes du contingent, internat
qu'il compare aujourd'hui à un « camp de redressement
paramilitaire », avec lever de drapeau, cours de
"savoir-vivre" et châtiments corporels845(*).
À cela s'ajoutait - et c'est un problème
structurel qui demeure, aujourd'hui encore, pour les sites les plus
enclavés - les difficultés dues à l'éloignement de
nombreux hameaux et cités par rapport aux principales villes et voies de
communication, donc le problème du transport scolaire pour ceux qui,
d'emblée ou après quelques années de scolarité dans
des classes spéciales à même le camp, furent
dispersés dans les écoles, collèges et lycées des
localités environnantes (sans même parler des universités,
à la fois lointaines et inaccessibles). Selon Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, ces difficultés
étaient « à peu près
générales », « certains élèves
devant ainsi faire plusieurs kilomètres pour rejoindre la ligne du car
qui les emmènera à destination »846(*). Jean-Claude,
secrétaire de l'association des harkis et de leurs enfants à
Largentière (en Ardèche), s'est heurté à de telles
difficultés :
« Ici, au niveau géographique, et au niveau
logistique, on est très excentrés, donc on a des problèmes
pour aller sur les grandes études, pour avoir des compléments
d'information, etc. Moi, imaginons, si je veux faire une formation en fac, il
me faut trois heures de route pour aller à la fac la plus proche. Donc,
même en cours du soir, ou quoi que ce soit, c'est pas imaginable. Si tu
veux faire des études, tu es obligé de partir à Valence ou
à Grenoble, et encore Valence, il y a quelques années, il n'y
avait absolument rien... donc, pour aller en fac : Montpellier, Lyon,
Grenoble. Ça engage des frais, de transport, de logement, bon, que tout
le monde a, je ne dis pas que c'est spécifique aux harkis, mais nous nos
parents, pour la plupart, sont... comment on appelle ça, des smicards,
avec de très faibles revenus. Ils peuvent même pas nous permettre
de nous aider dans nos études. J'te prends comme exemple ma propre
soeur, qui a dû abandonner ses études de médecine par
manque financier. En tout cas, moi je sais que mes parents pouvaient pas lui
payer une chambre et les frais, c'était pas possible. (...) Et puis, en
amont, tu as le problème des enfants, des jeunes, au niveau scolaire...
bon, maintenant ça c'est quand même arrangé, après
tout ce qu'on a pu faire au niveau de l'association, mais jusque... par
exemple, moi, lorsque j'étais au primaire, je faisais encore douze... la
cité, donc le camp de harkis, l'école, ce qui faisait à
peu près une demi-heure de route, trois-quarts d'heure à pied,
par tous les temps, quatre fois par jour. Donc, on sortait [de l'école]
à onze heures et demie, on rentrait à une heure et demie
l'après-midi, on arrivait à la maison à midi, il fallait
qu'on mange et qu'on reparte à midi et demi pour arriver à
l'école : qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente. Dans ces
conditions là, il fallait après qu'on rentre à la maison
étudier avec des parents qui sont illettrés, (...) dans des
appartements qui étaient insalubres, avec aucun confort, l'isolement, et
on était qu'entre nous : y'avait que des harkis d'origine, donc...
comment pouvoir s'intégrer ? Comment pouvoir évoluer ?
Comment pouvoir donner la base intellectuelle pour accéder à
l'éducation ? »847(*).
B. « Des espaces de contrôle
totalitaire » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)
Dans leur fonctionnement quotidien, les structures d'accueil
réservées aux Français musulmans rapatriés sont
conçues comme des univers sinon militarisés, du moins
disciplinaires. Et ceci non seulement pour ce qui a trait aux camps de transit
(qui sont des camps militaires proprement dits), que pour ce qui concerne les
cités périurbaines et les hameaux forestiers où,
significativement, « la totalité des emplois de chefs de
hameau sont occupés par d'anciens officiers des Affaires musulmanes ou
sahariennes »848(*). Plus significativement encore, les services de la
préfecture décident au printemps 1963 que « la
cité du Logis d'Anne [alors en cours d'aménagement] sera
considérée un peu comme un camp » et qu'à ce
titre « le personnel d'encadrement sera logé sur
place »849(*).
H., qui avait 30 ans lorsque Michel Roux l'a interrogé,
et qui a grandi au camp de Bias, témoignait du fonctionnement machinique
du lieu : « Je me souviens d'avoir fait mes devoirs à la
lueur des bougies. Le couvre-feu était à dix heures : le
gardien coupait alors l'électricité. Sauf, bien entendu, sur les
bâtiments des Européens. Walou pour les frigos, walou pour la
télé. De toute façon, ceux qui en avaient une n'avaient
pas le droit de poser l'antenne sur le toit. Il n'y avait pas d'eau chaude dans
les baraques, les toilettes étaient à l'extérieur, quant
aux douches - douze pour le camp entier - leur utilisation était
réglementée quasi-militairement : les hommes se lavaient le
samedi, les femmes le dimanche »850(*).
Ce régime disciplinaire spécifique est
multidimensionnel : il repose à la fois sur l'isolement
géographique, la dispersion des groupes d'affinités,
l'infantilisation des chefs de famille et la violation de l'intimité.
- 1. Des espaces enclavés
Le contrôle des Français musulmans
rapatriés passe par leur enclavement : c'est donc dans des camps
militaires mis à disposition par l'armée, dans des hameaux
forestiers reculés ou dans des cités bâties plusieurs
kilomètres à l'écart des bourgs que sont regroupées
les intéressés. Ainsi que le soulignent Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, « il n'est pas un seul des
quelques 75 hameaux forestiers installés entre 1962 et 1974, qui ne
fasse exception à la règle de l'isolement
géographique »851(*). Selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, sur
ces 75 hameaux, « seul le hameau du lieu-dit Les Peyrouas est proche
de sa petite ville, Saint-Maximin, à environ un kilomètre et
demi ! »852(*). Ce qui vaut pour les hameaux forestiers vaut pour
les cités semi-rurales ou périurbaines. Selon Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, la cité du Logis d'Anne, dans
les Bouches-du-Rhône, est située à douze kilomètres
de Jouques et à dix kilomètres de Peyrolles (six et huit selon
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou). Enfin, « l'éclosion
d'une quarantaine de cités urbaines s'est faite encore et toujours en
périphérie des villes »853(*). Il est même des cas -
s'agissant plus particulièrement des camps militaires reconvertis en
cités - où l'isolement géographique se double d'un
isolement physique, matérialisé par des murs ou grillages
d'enceinte : ainsi en va-t-il du camp de Bias, où le portail est
verrouillé chaque soir à 19 heures par le responsable du camp, et
où « nuit et jour un gardien armé vérifie les
allées et venues »854(*).
Certes, grâce à l'action conjuguée
d'officiers européens et de familles de notables musulmans, des
implantations non (ou moins) directement sériées par la politique
de reclassement collectif ont pu s'opérer dans des espaces
théoriquement non ségrégés, c'est-à-dire
mixtes et relativement ouverts sur l'extérieur. Mais ces exemples
n'offrent parfois eux-mêmes qu'un semblant d'exception. Ainsi en est-il,
avons-nous dit, de la cité dite « Neuilly-Nemours »
(ou Volpilliaire) à Largentière (Ardèche), bâtie en
1962 grâce à l'initiative conjointe d'une association d'officiers
de Marine et de la ville de Neuilly, qui est située sur les hauteurs du
village, sur un versant et à une distance telle qu'elle est invisible
depuis le centre du bourg : c'était là une exigence sine
qua non de la municipalité alors en place pour accorder le permis
de construire. Elle a d'ailleurs, par la suite, été
« gérée et encadrée par
l'administration »855(*), à l'instar des autres sites de reclassement
collectif856(*).
- 2. De la sériation à la
sérialité, ou « la dispersion
délibérée des groupes d'affinités » (M.
Abi Samra, F.-J. Finas)
A leur arrivée dans les camps de transit, les
populations rapatriées sont l'objet d'opérations de "tri", de
"classement" et de "dispersion". Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas évoquent ainsi les
opérations de « dispersion des groupes
d'affinité » et de « laminage des réseaux
familiaux »857(*)
auxquelles se livrent les autorités afin : (1)
d' « éviter que ne se constituent [dans les camps] des
îlots d'irrédentisme » ; et (2) de ne pas
surcharger les hameaux forestiers et les cités périurbaines ou
semi-rurales qui sont réservés aux ménages dits
"productifs", à l'exclusion donc des inaptes au travail et autres
« déchets et déshérités de la population
musulmane rapatriée d'Algérie » - selon
l' "élégante" formule du ministre de l'Intérieur de
l'époque858(*) - qui tous
sont internés dans le camp de Bias, spécifiquement
dédié à leur "accueil".
Le statut ou le grade des chefs de famille jouent aussi
dans ces opérations de sélection. La mère de Dalila
Kerchouche, mariée à un simple supplétif, est ainsi
séparée de sa famille (promise, grâce au passé
d'anciens militaires de son père et de ses oncles, à un camp
« plus petit et plus humain » situé près de
Poitiers) et dirigée vers les grandes concentrations du sud de la
France859(*).
- 3. De l'infantilisation à la
déresponsabilisation des Français musulmans rapatriés
Nous l'avons dit, la politique de reclassement collectif
astreint non seulement les Français musulmans rapatriés à
un système d'accueil marqué par l'isolement géographique
et la dispersion des groupes d'affinité, mais encore à une mise
sous tutelle légale qui les prive de tout rapport direct avec les
services sociaux et administratifs autres que l'autorité du camp :
« Le personnel d'encadrement monopolise les rapports avec toutes les
instances administratives et institutionnelles, qui ne peuvent s'adresser aux
Français-musulmans qu'à travers leurs
"chefs" »860(*). Or, Patrick Jammes, qui fut nommé
médecin au dispensaire du camp de Bias au début des années
1970 signale que « le guichetier qui remplissait les papiers
administratifs des harkis leur demandait 20 à 30 francs par
dossier »861(*). Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas ajoutent qu'en sus de monnayer les
démarches dont il est officiellement chargé, l'encadrement
« peut se réserver la possibilité de ne rien faire s'il
vaut sanctionner une famille »862(*).
Infantilisés, les chefs de famille sont aussi
déresponsabilisés puisque ceux qui ont la chance de ne pas vivre
désoeuvrés dans les camps sont assignés à des
emplois réservés non qualifiants (travaux forestiers, extractions
minières, etc.) qui les placent dans une situation de dépendance
totale vis-à-vis de leur employeur et de leur autorité de
tutelle.
- 4. La violation de l'intimité, de la vie
privée et des libertés individuelles
Par-delà cette mise sous tutelle légale
infantilisante des Français musulmans rapatriés, qui les prive en
tout ou partie d'un rapport direct avec les administrations et les services
sociaux, et une politique de reclassement collectif déresponsabilisante
qui assigne les éléments "productifs" à des emplois
réservés, le dispositif d'encadrement à l'intérieur
des camps est conçu de manière à discipliner l'ensemble
des aspects de la vie privée : hygiène, correspondance,
déplacements, "moralité" (tempérance, parcimonie,
épargne, violences conjugales et familiales mais aussi choix
éducatifs, etc.). Hocine, lui-même fils de harki, a vécu au
camp de Bias. Il évoque « un monde de terreur » et
« la répression quotidienne par une administration
constituée essentiellement de Pieds-noirs, qui régentait tous les
aspects de notre vie » : « Ils décidaient de
tout pour nous, au point que l'autorité du chef de camp
remplaçait celle de nos pères. L'administration attribuait un
tour de douche hebdomadaire à chaque famille. Elle interdisait à
nos mères de porter le foulard. Elle distribuait des tranquillisants aux
nombreux vieux qui perdaient les pédales. Elle ouvrait notre courrier,
gérait la boulangerie et l'épicerie du camp, nous faisait
accompagner chez le médecin à l'extérieur, nous
interdisait de fréquenter l'école du village
voisin »863(*).
Rien ou presque n'est laissé à la libre
initiative des individus, et c'est le soupçon qui,
systématiquement, inspire les procédures et actes routiniers du
personnel d'encadrement, aussi bien que les consignes des administrations qui
les chapeautent :
- L'inspection journalière des
baraquements
Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas
pointent « la violation constante des intimités par les
inspections journalières qui s'assurent du bon ordre et de la
propreté »864(*).
- L' « ouverture, le filtrage, la censure
et [parfois] le négoce du courrier » (Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas)
Dalila Kerchouche signale qu'à Bias « les
lettres et les colis sont ouverts, lus, parfois détournés ou
jetés à la poubelle par mesure de
rétorsion »865(*). Plus généralement, dans l'ensemble
des camps et hameaux, « l'envoi ou la distribution du courrier
constitue - d'après Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas - le terrain d'élection de
pratiques discrétionnaires du personnel S.F.M.. Gardien de portail, le
chef du hameau remplit aussi des fonctions analogues à celles du "gate
keeper" qui, dans les journaux anglo-saxons contrôle les articles, fait
le tri entre ceux qui seront publiés et ceux qui ne le seront
pas ». Et ils ajoutent : « Le contrôle du
courrier permet ainsi de repérer ceux qui, à l'intérieur
du hameau, prennent contact avec diverses autorités ou associations sans
en référer à l'encadrement qui, nous l'avons vu, dissuade
toute tentative de ce genre. Un sort tout particulier est fait à ceux
qui s'adressent directement au ministère de tutelle pour se plaindre des
pratiques des chefs de hameaux ou des inspecteurs. (...) Ces plaintes - le plus
souvent anonymes - sont immédiatement répercutées par la
hiérarchie à ceux-là même qu'elles mettent en cause,
à charge pour eux de mener enquête, d'identifier leurs auteurs qui
sont immédiatement renvoyés vers les cités
d'hébergement ou mutés vers d'autres
chantiers »866(*). Dans un précédent rapport, Marwan Abi
Samra et François-Jérôme Finas avaient reproduit un tel
courrier, qui vaudra à son auteur, identifié après
enquête (conformément à ses craintes), d'être
renvoyé du hameau de Pujol-de-Bosc vers un camp. En voici quelques
extraits :
« Monsieur le Secrétaire d'Etat,
(...)
Depuis que nous sommes commandés par des
sous-officiers, nous sommes en pleine misère, car si on ne leur donne
pas à manger, des bouteilles ou quelque chose, ils se fâchent.
Voilà pour la Croix-Rouge : elle donne des vêtements, mais
notre chef de village les distribue à celui qui lui donne des poulets ou
des bouteilles de champagne à minuit. Est-ce que c'est du bon
travail ?
Nous travaillons à la forêt et nous touchons 15
francs par jour et il veut qu'on lui donne à manger, alors que j'ai neuf
enfants. Ce qu'on vous demande de bien, c'est de changer de chef et de nous en
envoyer un plus raisonnable. Tous ceux qui nous commandent font pareil.
(...)
Monsieur, on peut pas mettre notre nom parce que si la lettre
revient, il va nous faire quelque chose ou faire un rapport pour nous envoyer
ailleurs ou en Algérie. Tous les hommes veulent signer mais ils ont
peur. Si vous n'y croyez pas, envoyez quelqu'un faire une visite.
(...)
Nous voulons un vrai Français honnête. Pour
l'instant, c'est tout ce qu'on vous demande.
Veuillez agréer, Monsieur, mes respectueuses
salutations et mes meilleurs remerciements »867(*).
- Le contrôle des entrées et des sorties
(autorisations de sorties/laissez-passer)
A Saint-Maurice-l'Ardoise, « les
hébergés sont interdits de sortie du camp sans autorisation
préalable. Ils doivent présenter aux sentinelles qui gardent
l'entrée un laissez-passer qui est aussi susceptible d'être
demandé par la gendarmerie dans les localités
voisines »868(*). Selon Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, ce contrôle des entrées
et des sorties s'étend aux hameaux forestiers : « Souvent
une clôture oblige ceux qui veulent le quitter à passer devant les
bureaux de l'administration qui sont situés vers l'entrée ?
Alors, ils doivent décliner le lieu où ils désirent se
rendre, les motifs de sortie, etc. Il en va de même pour tous ceux qui
désirent rentrer au hameau, et que l'encadrement a toute latitude
d'interdire »869(*). C'est d'ailleurs le sens du rapport du chef du
hameau de Truscas au contrôleur des contributions urbaines en
1964 : « Si la condition de citoyens français
métropolitains acquise par les ex-harkis leur donne le droit d'aller
librement où ils le désirent, il est quand même
préférable en certains cas de pouvoir les surveiller et les
conseiller »870(*).
Plus encore, au-delà des procédures
routinières qui s'imposent à tous les individus et visent
à en contrôler les flux, un "compte-rendu moral" individualise le
soupçon, marquant littéralement à la trace chacun d'entre
eux : « Comme la fiche de renseignements accolée à
un objet tout au long d'une chaîne de fabrication, un bulletin est
réservé à chaque individu dès son arrivée
dans le camp, où le personnel d'encadrement inscrit les détails
de ce que l'on sait de lui, de ce qu'il fait et du traitement dont il a
été l'objet. Ce ne sont pas seulement des faits et des
comportements qui sont enregistrés, mais aussi des attitudes, des
intentions et des soupçons justifiant une surveillance plus ou moins
particulière et suivie »871(*). Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou citent
quelques unes de ces fiches de renseignements, en l'occurrence celles tenues
par le chef de la cité du Logis d'Anne, dans les
Bouches-du-Rhône : « A.M. vit de son salaire et
économise régulièrement de petites sommes. Il ne s'adonne
pas à la boisson et sa réputation comme celle de son
épouse sont excellentes... Y.N. est très sobre, un des meilleurs
éléments de la cité et sa moralité comme sa
réputation sont excellentes... M.R. est un très bon
élément, bon père de famille et travailleur intelligent.
Serait beaucoup plus à l'aise en milieu européen qu'avec une
communauté musulmane qui envie sa facilité d'adaptation à
la vie métropolitaine »872(*).
Il n'est pas jusqu'à la manière d'habiller les
enfants et le choix des prénoms qui ne soient l'objet d'un
contrôle, étonnamment impulsé par le ministre en personne.
Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas rapportent ainsi
qu'« en 1962, le ministre des Rapatriés [NDA : sans doute
Alain Peyrefitte, ministre des Rapatriés de septembre à
décembre 1962, ou son successeur, François Missoffe] conseille
à ses services de faire en sorte que les enfants soient vêtus
à l'européenne [et] que les nouveaux-nés portent des
prénoms français ».
Les habitudes vestimentaires des femmes de harkis, ainsi que
leurs attributs de féminité, sont également l'objet d'une
étroite attention, ainsi qu'en témoigne Khatidja (Mouans-Sartoux,
Alpes-Maritimes) : « Au camp, j'aimais mettre du henné
sur mes mains et mes cheveux. La femme du chef de camp m'a
demandé : «Pourquoi vous mettez du henné ?
Ça fait sale». Je lui ai répondu : «Et vous,
pourquoi vous vous maquillez ? Le henné, c'est notre maquillage
à nous». (...) Un jour, elle est entrée chez moi, je servais
des frites à mes petits. Elle s'est glissée derrière moi,
m'a passé la main sur la tête sans que je m'en aperçoive et
m'a arraché mon foulard. Elle le tenait fièrement dans sa main,
comme un trophée. Je lui ai dit : «Pourquoi vous me prenez mon
foulard ?» - «Ne t'inquiète pas, je te le rends
demain». Elle ne me l'a jamais rendu »873(*).
Ainsi, à bien des égards, le système
d'accueil et de reclassement s'apparente à une vaste entreprise de
moralisation et de dépersonnalisation, fondée sur le postulat
d'une "arriération" qu'il convient à la fois de corriger et,
surtout, de "neutraliser". En ce sens, l'enclavement géographique des
sites réservés agit comme un "corridor sanitaire",
"protégeant" les populations locales d'un contact non
désiré et d'autant plus craint que les occasions de contacts
mixtes sont rares et systématiquement découragées par le
personnel d'encadrement.
Le prédicat du soupçon et la visée de
"moralisation" qui inspirent cet encadrement totalisant (ou
« totalitaire », au sens qu'en donne Erving Goffman)
appellent - souvent plus que de raison - l'exercice de la sanction, voire de la
sujétion pure et simple : ainsi en va-t-il de l'exercice de
l'autorité dans le camp de Saint-Maurice l'Ardoise, où le
personnel d'encadrement dispose de cellules privatives « qui ne
cesseront pas d'être utilisées »874(*). Un fils de harki,
interrogé par Marwan Abi Samra et François-Jérôme
Finas, en témoigne : « La prison du camp, on aurait pu
s'en servir pour mettre quelques familles ! Mais il fallait bien une
prison pour ceux qui n'obéissaient pas aux militaires. Ils pouvaient
faire comme ils voulaient ; certains ont passé deux semaines dans
cette prison. Pour un oui ou pour un non, quelqu'un qui élève la
voix, «allez hop, à la prison» »875(*).
Une autre technique de sujétion communément
employée à l'égard des récalcitrants - et l'on
rejoint, plus encore ici, l'univers et les pratiques décrits par Erving
Goffman - est l'internement d'office en hôpital psychiatrique. Le docteur
Patrick Jammes, médecin au dispensaire de Bias, en
témoigne : « Quand je suis arrivé à Bias,
le chef de camp devait faire régner l'ordre. La sanction, la punition,
c'était l'internement en hôpital psychiatrique. C. D. avait le
pouvoir d'embastiller les harkis comme il voulait. Il internait un mari qui se
disputait avec sa femme, un harki qui lui avait mal répondu ou qui
buvait trop, un autre qui refusait de lui payer un bakchich. C'était un
moyen de répression. Quand je suis arrivé, j'ai mis un terme
à ces pratiques abusives »876(*). A cet égard, il est significatif, nous
l'avons vu en introduction, que les premières thèses
consacrées à la communauté harkie dans les années
1970 le furent par des étudiants en médecine. Certes, les
traumatismes de la guerre ne sont pas étrangers à cette
surreprésentation des anciens harkis dans les hôpitaux
psychiatriques du Sud de la France. Mais la fréquence des pratiques
disciplinaires sous forme d'internements abusifs y est aussi sans doute pour
beaucoup.
L'exclusion quasi-totale du milieu ambiant et l'administration
en "vase clos" auxquelles furent sujets les ex-supplétifs et leurs
familles ont créé une situation de "hors" ou
d' "exo-territorialité" au sens large (jusque et y compris
l'exclusion du droit commun) qui, si elle signifiait bien la volonté
initiale de "mise au pas" puis de "mise sous l'éteignoir" de cette
population, ne pouvait que déboucher, à plus long terme, sur une
impasse totale en termes d'insertion et, plus encore, d'intégration dans
la société française.
C. « La rupture de 1975 et la politique de
déconcentration » (M. Abi Samra, F.-J. Finas)
Jusqu'au milieu des années 1970, ce système
d'accueil et de reclassement suit un cours que rien ne semble devoir
ébranler : il subit certes, ici et là, des inflexions, mais
ces réformes ne sont qu'incrémentales. L'esprit et le
mécanisme originels demeurent, fondés sur une prise en charge
collective et disciplinaire en lisière du droit commun. Ce n'est qu'en
1975, à la suite des premières révoltes de la
génération des enfants, que les pouvoirs publics vont
reconsidérer en profondeur le dispositif ségrégatif mis en
place jusqu'alors. De fait, treize ans après l'arrivée des
premières familles, des révoltes éclatent à
Saint-Maurice l'Ardoise, au Logis d'Anne, et sur d'autres sites
réservés. Les fils de harkis, à rebours de l'attitude
souvent résignée des chefs de famille (fruit du traumatisme de
l'exil et de l'attitude du personnel d'encadrement, qui s'échine
à les infantiliser et les déresponsabiliser), expriment leur
volonté de sortir d' « un environnement
préfabriqué » où les perspectives d'avenir se
résument à la « pérennisation du
provisoire », à savoir : ces camps de transit devenus
cités de relégation permanente au gré d'une
sujétion statutaire et d' « un dispositif de
rétention méticuleux et inquiet »877(*).
Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas
dressent la liste des revendications des émeutiers du Logis d'Anne, dans
les Bouches-du-Rhône878(*), mais ces revendications valent pour l'ensemble des
camps, hameaux et cités maintenus dans une logique comparable :
- la démolition des baraquements insalubres et non
réparables, conçus initialement pour être provisoires, et
leur remplacement par des logements en dur ;
- la suppression de l'encadrement militaire et du statut
d'exterritorialité de la cité / du camp / du hameau ;
- la mise en place de liaisons de transport plus
fréquentes entre la cité / le camp / le hameau et les
localités environnantes, toujours délibérément
situées à bonne distance ;
- l'amélioration du cadre de vie : ouverture de
commerces, installation de cabines téléphoniques,
équipements divers ;
- l'aménagement de carrés musulmans.
Page : 238 Ces révoltes ont
marqué un premier tournant dans l'histoire de cette communauté
et, surtout, dans la manière dont elle a été prise en
charge par les autorités puisque, dans la plupart des sites
concernés, ces revendications minimales ont été
satisfaites, avec plus ou moins de célérité. Pour autant,
en dépit du démantèlement du système d'accueil et
de reclassement collectif qui maintenait sous tutelle un certain nombre de
Français musulmans rapatriés (encore un millier de familles en
1975), la récurrence des révoltes et des mouvements revendicatifs
(en 1991 et en 1997-1998 notamment) témoigne de ce que : (1) le
démantèlement du système à un instant "x" ne peut
empêcher à lui seul que ne pèsent et se pérennisent
à moyen et long terme les handicaps accumulés au cours de sa mise
en oeuvre : ainsi en va-t-il notamment des retards scolaires et du
déficit de formation des enfants socialisés dans de telles
conditions ; et (2) la suppression de la tutelle et d'un encadrement
administratifs liberticides ne suffisent pas à corriger, pour ceux qui
choisissent de demeurer sur place (et ils sont nombreux parmi les plus
démunis), certains handicaps structurels, tel l'isolement
géographique et la pauvreté ou la vétusté des
équipements.
Le tableau que l'on peut dresser, a posteriori, de la
situation socio-éducative et socio-économique des
Français-musulmans rapatriés et de leurs enfants permet de
mesurer l'impact sur le moyen et le long terme des conditions d'accueil
initiales.
Pour ce qui a trait à la situation
socio-éducative des enfants de harkis, André Wormser rapporte
qu' « en 1972, dans l'enseignement primaire [et s'agissant
spécifiquement des populations regroupées au sein du
système d'accueil et de reclassement, donc dans les camps / hameaux /
cités périurbaines], « la moitié des enfants
avait un retard scolaire d'un ou deux ans dès le cours
préparatoire, qui croissait régulièrement jusqu'au CM2
atteignant jusqu'à trois ans et 83,30% de l'effectif. Ensuite 45% se
retrouvaient en classes pratiques ou de transition, voie sans issue, ne donnant
aucune formation, même professionnelle ; 27% étaient
versés dans l'enseignement pré-professionnel. Dans le secondaire,
75% suivaient le cycle court - celui de l'échec - 25% seulement
étaient susceptibles de s'engager dans le cycle long, menant à la
terminale et au baccalauréat. Il était alors impossible d'en dire
plus, car les plus âgés, en très petit nombre, atteignaient
à peine la Seconde ». « Mais, ajoute-t-il, en 1982,
la situation ne s'est pas améliorée. Le retard scolaire du
départ s'est atténué, il est le même que pour
tous les enfants de milieu identique - quartiers populaires, travailleurs
émigrés - etc. Mais 80% ne vont pas au-delà du
primaire, et à 16 ans ont tout au plus un CAP ou un BEP. 20% seulement
accèdent à l'enseignement secondaire, 0,8% obtiennent le
baccalauréat - 0,5% (moins d'un enfant sur 200, et
généralement une fille) franchit le seuil de l'enseignement
supérieur »879(*). Quelques années plus tard, en 1990,
Catherine Wihtol de Wenden constate que « la situation scolaire des
enfants de harkis se caractérise par des retards et plus globalement,
par un fort échec scolaire, en particulier chez les enfants
arrivés très jeunes en France ou qui y sont nés entre 1962
et 1972 [et qui, pour beaucoup, ont été socialisés dans le
cadre du système d'accueil et de reclassement géré par
l'administration] »880(*). A la même époque, Mohand Hamoumou,
rapportant les termes d'une étude du secrétariat aux
Rapatriés (mais sans en préciser les bases
méthodologiques, s'agissant notamment de l'échantillonnage),
estimait que 40% des enfants de harkis en fin de cycle n'avaient aucun
diplôme, et 15% seulement atteignaient un niveau supérieur ou
égal au BEPC881(*). Cependant, au même moment, les recherches
conduites par A. Souida sur les villes de Roubaix et de Tourcoing font
apparaître - dans la lancée du phénomène de
"rattrapage" constaté par André Wormser au début des
années 1980 (à la suite du démantèlement du
système d'accueil et de reclassement) - que « de manière
générale et contrairement aux affirmations habituelles, ces
populations (surtout les plus jeunes) connaissent des réussites
scolaires très significatives comparées à la population
globale de ces deux villes où "l'échec scolaire" et le niveau
d'instruction sont parfois des enjeux municipaux tant la situation est
préoccupante »882(*). Ce phénomène de "rattrapage" reste
cependant somme toute relatif puisque, s'il invite à la mesure quant
à la description de la situation scolaire des enfants et petits-enfants
de harkis par rapport à celle d'autres populations "allogènes",
cela ne suffit pas - loin de là - à combler l'écart
persistant avec la majorité de leurs compatriotes. Ainsi, plus
récemment, Halima Belhandouz et Claude Carpentier, qui ont mené
une étude sur vingt jeunes scolarisés dans les collèges du
quartier nord d'Amiens (huit garçons, douze filles : certains sont
des enfants d'anciens harkis, d'autres appartiennent à la
troisième génération)883(*), donc dans un environnement a priori
comparable avec l'agglomération de Roubaix et certainement moins
défavorable que certains isolats géographiques (anciens camps ou
hameaux forestiers), relèvent « des performances scolaires
dans l'ensemble assez faibles », avec des différences
garçons/filles assez marquées en faveur de ces dernières
(comme cela a pu être constaté par ailleurs). Des observations
somme toute assez similaires à celles faites vingt auparavant
déjà par Saliha Abdellatif dans le même quartier de la
Briqueterie, à Amiens, dans le cadre d'une thèse intitulée
Enquête sur la condition familiale des Français musulmans en
Picardie884(*). La
scolarisation des enfants de harkis y était décrite comme
étant marquée par des rapports conflictuels, par
l'agressivité et l'inattention, autant de difficultés imputables,
selon elle, à la violence d'un milieu scolaire indifférent
à leurs différences. Le double constat d'un rattrapage progressif
par rapport aux populations issues de l'immigration mais aussi de
difficultés persistantes n'est d'ailleurs pas sans incidence sur la
manière dont les autorités gèrent ces
difficultés : partagées entre la volonté de
réintégrer les anciens harkis et leurs enfants dans le droit
commun (volonté sans cesse proclamée depuis le
démantèlement du système d'accueil et de reclassement) et
celle de mettre en place des dispositifs spécifiques pour pallier les
handicaps spécifiques inhérents aux conditions d'accueil et
d'installation de cette population, les autorités centrales sont parfois
amenées à prendre des mesures qui apparaissent être en
décalage avec les réalités du terrain aux yeux des
services déconcentrés et des agents de l'Etat. Halima Belhandouz
et Claude Carpentier notent ainsi qu' « entre 1994 et 1997,
l'administration, soucieuse de mettre à la disposition des
établissements de jeunes conscrits afin d'assurer le soutien scolaire
des jeunes «Français musulmans», demanda de procéder au
recensement systématique de ces derniers. Hostiles à ce projet de
discrimination positive en faveur des seuls enfants de harkis, les responsables
pédagogiques affectèrent les conscrits au soutien scolaire de
tous ceux qui devaient en faire l'objet. Pour des raisons qu'il ne nous
appartient pas de juger, la spécificité «harkie» se
trouvait ainsi récusée par les
pédagogues »885(*). Plus fondamentalement, il apparaît que la
réussite scolaire des enfants de harkis est généralement
fonction du mode d'implantation des familles et varie significativement selon
que les populations concernées ont été regroupées
ou dispersées sur le territoire : « L'échec scolaire
est moindre lorsque la population a été dispersée en
milieu ouvert, au centre des villes, ou a bénéficié de la
solidarité familiale de parents immigrés déjà
présents sur le territoire sans avoir à dépendre de
l'assistance administrative. Le témoignage du commandant Rivière
à propos d'une population des Aurès originaire des mêmes
villages le montre assez bien : «Pour des familles qui sont les
mêmes, les études scolaires ont été meilleures en
Indre-et-Loire (Château-Renault) qu'à Rouen. [De fait, alors
qu'à Rouen les familles ont été regroupées dans une
cité réservée périurbaine, à l'écart
du reste de la population], à Château-Renault, les familles ont
été disséminées parmi les Français, [et] il
n'y a pas eu de ségrégation par l'habitat» »886(*).
S'agissant de la situation socio-économique des
intéressés, le constat général est logiquement
similaire : compte tenu des conditions d'accueil initiales offertes aux
anciens harkis et leurs familles, la sectorisation est une donnée
essentielle pour qui prétend évaluer le degré d'immersion
des intéressés dans le tissu socio-économique de la
nation. Et, de fait, les difficultés sont d'autant plus grandes que le
mode d'implantation et de socialisation des familles a été
marqué par l'enclavement géographique et relationnel. Les sites
enclavés, généralement aménagés à la
va-vite dans les années 1960 à proximité d'industries
vieillissantes ou de chantiers de forestage susceptibles d'employer une
main-d'oeuvre peu ou pas qualifiée, n'offrent aucun avenir aux nouvelles
générations. Ainsi en va-t-il du lotissement de Volpilliaire,
à Largentière, en Ardèche, où la mine qui employait
les pères a fermé au début des années 1980. De ce
point de vue, même s'ils sont eux aussi touchés par la
précarité, les « disséminés »
(les enfants de harkis résidant en région parisienne, par
exemple) se voient offrir plus d'opportunités que les
« assignés ». En outre, les aides spécifiques
offertes aux anciens harkis en matière d'accession à la
propriété ont eu pour effet pervers de fixer ces populations dans
ces enclaves. A contrario, l'instauration d'une aide à la
mobilité professionnelle avait pour objectif d'inciter les jeunes
à s'émanciper du carcan communautaire dans lequel les avait
enfermés la politique initiale de reclassement collectif.
Des chiffres circulent sur la situation d'emploi des fils et
filles de harkis, mais ils sont généralement soit le reflet d'une
situation locale difficilement extrapolable, soit des statistiques nationales
établies par la Délégation puis la Mission
interministérielle aux Rapatriés, mais qui, par
définition, ne rendent compte que de la situation de ceux parmi les
enfants de harkis qui se sont fait connaître auprès des services
préfectoraux pour bénéficier d'un accompagnement à
l'emploi ou à la formation (donc censément les plus
fragilisés). Il n'existe pas de statistiques exhaustives en la
matière, pour cette raison évidente que les enfants de harkis -
Français par filiation - n'apparaissent pas en tant que tels dans les
statistiques de l'INSEE (à l'exception, avons-nous dit, du recensement
de 1968 qui n'est, en la matière, d'aucune utilité).
Néanmoins, l'ensemble des estimations ou études faites, de
quelque source qu'elles proviennent, s'accordent à aligner la situation
d'emploi des intéressés sur celles des couches les plus
fragilisées de la population française. Dans un communiqué
de presse publié en janvier 1999, le Ministère de l'Emploi et de
la Solidarité indiquait que « 70% environ des harkis ont
aujourd'hui un revenu au maximum égal au minimum vieillesse, soit 3.550
francs pour une personne seule ». Il était par ailleurs
indiqué que « le taux de chômage de leurs enfants
oscille autour de 30% ». Répétons-nous : ces
chiffres sont des estimations puisque les membres de la communauté
harkie ne constituent pas une catégorie à part dans les
statistiques publiques. Ces chiffres, et notamment le deuxième, sont
d'ailleurs contestés par certaines associations, qui considèrent
qu'ils procèdent d'une sous-évaluation des difficultés
auxquelles sont confrontées les générations suivantes. Il
est vrai - pour les raisons précédemment exposées - que
ces estimations nationales peuvent être largement en deçà
de ce qui peut être constaté localement.
Jacques Chirac, s'exprimant à l'Élysée
devant les présidents d'associations à l'occasion de la
première Journée d'hommage national aux harkis, le 25 septembre
2001, s'était lui-même essayé à dresser un bilan de
la situation socio-éducative et socio-économique des
Français musulmans rapatriés et de leurs enfants, ainsi que des
politiques qui leur furent consacrées. Je le cite :
« Malgré l'intervention de l'État,
des collectivités locales et l'action généreuse de
nombreuses associations, les difficultés de l'accueil initial,
marqué par le confinement dans des camps ou le regroupement dans des
quartiers isolés, ont conduit à des situations de
précarité et parfois d'extrême détresse. Les
conséquences en sont encore visibles aujourd'hui.
« Sans doute une France profondément
marquée et divisée par le conflit algérien
n'était-elle pas préparée à l'accueil des
rapatriés. Mais il faut aujourd'hui réparer les erreurs qui ont
été commises. Alors que tout dans notre tradition
républicaine refuse le système des communautés, on a fait
à l'époque, dans l'urgence, le choix de la séparation et
de l'isolement.
« Les jeunes ont également souffert,
victimes de l'installation trop précaire de leurs parents. Leur
scolarité, leur formation se sont déroulées dans des
conditions particulièrement difficiles, qui sont encore à
l'origine de handicaps importants.
« Pour eux comme pour la France, tout cela
représente une perte de chances intolérable »887(*).
Au terme de cette première partie, et avant d'en venir
à l'examen du "jeu" entre le passé et le présent (donc
à l'examen des logiques rétrospectives - sociales et politiques -
de la stigmatisation autour de la communauté harkie depuis la fin de la
guerre d'Algérie), il nous faut brièvement revenir au contexte
originel et insister sur certains points essentiels pour juger du "travail de
l'écart" entre ce qu'a été - et ce qu'a signifié -
pour les supplétifs eux-mêmes leur engagement aux
côtés de l'armée française d'une part, et la
manière dont cet engagement - ou, plutôt, ces engagements
- nous ont été présentés sur le moment par d'autres
acteurs interdépendants d'autre part. Nous avons vu que la guerre
d'Algérie, loin de se laisser enfermer dans une définition
univoque, a été un conflit "multifacettes", à bien des
égards "indécidable". Les différents protagonistes se sont
bien évidemment attachés à "travailler" (au sens de
schématiser) cette complexité à leur avantage
immédiat (et au regard de l'Histoire), ciselant un imaginaire
de guerre sur mesure, aux fins tant de mobiliser - au sens propre et au sens
figuré - les populations civiles, que de coaliser au service de la
"Cause" un maximum de relais d'opinion. A cet égard,
Valérie-Barbara Rosoux souligne très justement que
« les faits n'ont pas de taille absolue et que la dignité des
moments susceptibles de susciter l'attention dépend de l'intrigue
choisie »888(*). La mise en évidence de ces
« stratégies d'appropriation de l'imaginaire »
(Béatrice Pouligny) nous autorise à juger pour ce qu'elles sont
les "étiquettes" - négatives mais aussi positives -
accolées aux harkis en raison de leur engagement aux cotés de la
France, à savoir : des constructions qui opèrent par
sélection de traits et d'événements (l'illusion "pars pro
toto" décrite par Norbert Elias), à savoir la
schématisation des « bonnes raisons » des
intéressés889(*).
A cet égard, il nous faut particulièrement
mettre en exergue la dimension de guerre civile du conflit algérien, qui
éclaire d'un jour particulier l'accusation de "trahison"
véhiculée sur le moment par le FLN à l'encontre des
supplétifs musulmans de l'armée française. Témoigne
tout d'abord de cette dimension de guerre civile la masse des engagements de
civils musulmans au sein des troupes supplétives de l'armée
française, mais encore l'engagement continu - certes moins massif mais
tout aussi risqué, sinon plus - de civils musulmans dans les structures
administratives et/ou électives. Certes, ces engagements n'ont sans
doute été que très marginalement motivés par la
volonté des intéressés de voir se maintenir à
l'identique la présence française en Algérie.
Cependant, outre le fait que telle n'était pas non plus la
volonté exprimée par nombre de partisans de
l' « Algérie française », cet engagement
massif témoigne a minima de ce que nombre de musulmans ne se
reconnaissaient pas dans la prétention hégémonique et/ou
dans l'exclusivisme "socioculturel" ou "socio-confessionnel" du FLN, qui
prétendait réduire les contours du "peuple algérien"
à ceux de sa seule composante musulmane, arabe en particulier.
Dimension de guerre civile dont témoignent
également, par l'absurde, à la fois la définition
extensive que donne le FLN de la qualité de "traître" (depuis les
élus jusqu'aux simples gardes champêtres, en passant par les
supplétifs de l'armée française, les anciens combattants
ou les nationalistes "dissidents") et, corrélativement, l'exercice
massif de la terreur à l'encontre des segments de la population civile
musulmane qui ne lui étaient pas inféodés. Dans les faits,
le FLN se reconnaissait ainsi force "ennemis" au sein même de populations
dont il assurait pourtant, dans ses discours, recueillir l'assentiment
unanime.
Une réalité mouvante dont François Meyer,
ancien lieutenant chef de harka, se fait l'écho :
« Lieutenant en Algérie, j'ai servi pendant quatre
années au 23ème régiment de spahis en Oranie,
de 1958 à 1962, dans une unité où le concours des
Algériens musulmans était considérable, et j'ai
commandé successivement deux harkas, en tant que chef de commando du
Secteur opérationnel à Géryville, puis à Bou Alam,
toujours en Sud-Oranais. Je crois avoir connu une guerre dont la
réalité a échappé à de nombreux
Français, la guerre civile entre les Algériens au moment de la
décolonisation »890(*). De même, pour l'historien Jean Monneret,
« l'engagement massif de plusieurs centaines de milliers de
Musulmans, échelonné sur plusieurs années, rend
incontestable le terme de guerre civile entre
Algériens »891(*). Il ajoute : « Comment ne pas voir
que l'Algérie se distingue alors par une exceptionnelle intensité
de cette guerre civile entre autochtones, par une exceptionnelle mobilisation
musulmane aux côtés de l'Armée française, et par une
exceptionnelle violence des représailles contre les
vaincus »892(*). Et l'historien Guy Pervillé d'estimer
à son tour que « la guerre d'Algérie a
été, autant qu'une guerre entre deux peuples étrangers,
une double guerre civile [entre Algériens et entre
Français] »893(*).
En fait, nous l'avons vu, au regard de la visée
hégémonique du FLN sur la société algérienne
(d'une logique de front unique à une logique de parti unique),
l'invention de la figure du harki comme "traître" va au-delà des
nécessités tactiques ou conjoncturelles de la guerre
d'indépendance. Ce dont témoigne d'ailleurs - nous allons le voir
- la perpétuation "ex-post" de cette figure. L'invention puis la
perpétuation de la figure du harki comme "traître" (et, plus
généralement, la désignation de tous les musulmans non
inféodés au FLN comme "ennemis intérieurs") est bien
plutôt une nécessité structurelle pour une organisation
qui, dès l'origine, s'est affirmée envers et contre l'idée
d'une libre expression des tendances au sein de la mouvance nationaliste, puis,
dans cette lignée, a instauré un régime de parti unique
une fois l'indépendance acquise.
D'où la nécessité après-coup, dans
l'Algérie post-coloniale, de faire de la figure du harki à la
fois une figure taboue - car malvenue au regard du mythe de l'unanimité
des masses derrière le FLN - et une figure totem - une figure
d'excommunication générique qui porte l'opprobre sur ceux qui, de
propos délibéré ou non, s'opposent aux acteurs de la
Révolution. Cet entre-deux est malaisé, qui voudrait à la
fois minimiser l'importance de l'écho rencontré par le "parti de
la France" pendant la guerre, tout en exagérant son influence -
supposément occulte - sur la marche des choses en Algérie
après la guerre. Les usages politiques de la figure du harki trouvent
d'ailleurs comme un second souffle dans un contexte de guerre civile qui n'en
finit pas d'ébranler l'assise politique du régime.
Symétriquement, en France, le rappel de cette dimension
de guerre civile comme dimension constitutive de la guerre d'Algérie
gêne les autorités, car il implique de faire retour sur un triple
renoncement : i) la non-association des musulmans pro-français aux
négociations d'Évian ; ii) leur non-rapatriement (ou, tout
au moins, la volonté de le limiter au strict minimum) ; et iii)
leur non-accueil (au sens de "non-intégration"). Devant la
difficulté à justifier ouvertement le prix payé par ces
populations, soudainement devenues quantité négligeable, nous
verrons que les autorités ont jugé préférable,
après-coup, de scotomiser leur existence en perpétuant la vision
- à bien des égards réductrice, nous l'avons dit - d'une
guerre de décolonisation mettant implicitement aux prises deux mondes
homogènes et inconciliables : les colonisés et les
colonisateurs.
Ainsi, la place faite à la figure du harki pendant puis
après la guerre est symptomatique des conditions de fondation puis de
stabilisation de l'ordre politique dans chacun des contextes visés.
L'imposition de schèmes de lecture de la guerre d'Algérie qui en
gomment la dimension de guerre civile - et donc l'implication massive de
tierces parties : musulmans pro-français, nationalistes dissidents,
OAS - est un enjeu majeur des pratiques mémorielles algériennes
et françaises : les unes pour ne pas entamer le mythe de
l'unanimité des masses derrière le FLN, les autres pour taire
autant que faire se peut les conséquences humaines de la politique de
« dégagement » visée et entreprise par les
autorités françaises d'alors. Ainsi, la caractérisation de
l'épreuve endurée par les musulmans pro-français en
conséquence directe de leur engagement ne s'arrête pas à
l'énumération des supplices et des vexations qui leur furent
infligés à l'heure des règlements de compte. Les violences
symboliques ont perduré bien après que les violences expiatoires
exercées par les armes dans l'immédiat après-guerre
eussent cessé, et visent aujourd'hui encore à avilir ou à
mortifier ceux qui ont survécu, ainsi que leur descendance, en les
confinant dans une sorte de "no man's land" identitaire. C'est
précisément à l'abord des gestes rétrospectives
qui, depuis la fin de la guerre d'Algérie, sur l'une et l'autre rive de
la Méditerranée, régissent la mise au ban et/ou la mise
sous l'éteignoir des anciens harkis (au sens large) que sera
consacrée la deuxième partie. Au fil de cet examen, je
distinguerai principalement trois formes d'atteintes symboliques qui, chacune
à sa manière, contribuent à outrager, à
schématiser, voire purement et simplement à occulter le sens
ainsi que les causes et les conséquences de l'engagement des anciens
harkis aux côtés de la France :
- le regard "adversatif" de la geste officielle
algérienne ;
- le regard "réductionniste" des intellectuels
français en guerre d'Algérie ;
- le "non-regard" de l'historiographie officielle
française.
Nous verrons que, sous l'effet de cette triple conjonction,
les anciens supplétifs de l'armée française sont,
jusqu'à ce jour, l'objet d'avanies ou de censures certes
différenciées, mais convergentes : convergentes en ce
qu'elles participent, chacune à sa manière, de la formation d'une
imagerie globale, et globalement négative des
intéressés.
PARTIE 2
Ce que parler des harkis veut dire
Partie 2
Ce que parler des harkis veut dire
Cette deuxième partie vise à objectiver non plus
les logiques qui, au moment de la guerre d'Algérie, du côté
français comme du côté du FLN, ont présidé
à l'invention de la figure (et de la destinée) du harki,
mais à objectiver les logiques qui, depuis lors, ont
présidé à sa perpétuation, à
l'identique ou sous une forme évolutive : comment et à
quelles fins les intéressés ont-ils été
figurés politiquement et intellectuellement depuis 1962, en France et en
Algérie ? Selon quelles récurrences et lignes
d'inflexion ? Autour de quels leitmotivs et interdits ? Pour quels
usages et avec quel impact ?
Ce qui est en jeu, ici, c'est l'évolution des
représentations collectives : non pas l'histoire de la
destinée des harkis mais l'histoire de la mémoire de cette
destinée, et les formes d'appropriation concurrentes qui cherchent
à en arrêter le sens en fonction d'intérêts
présents. Pourquoi se remémore-t-on et/ou commémore-t-on
cette destinée ? Et pourquoi d'une façon plutôt que
d'une autre ? Répondre à de telles interrogations
nécessite, ainsi que le souligne Henry Rousso894(*), de connaître à
la fois l'histoire elle-même (voir la Partie 1) et le contexte
d'énonciation des discours rétrospectifs sur cette
destinée : c'est précisément à objectiver
comment des Etats ou des collectifs se remémorent le passé et
l'inscrivent dans le - dans "leur" - présent qu'est dédiée
cette deuxième partie.
Ainsi, l'exploration de la postérité symbolique
de la figure du harki, autrement dit, des jeux (usages) et enjeux (impact) de
mémoire autour de cette figure en France et en Algérie passe par
une étude du discours public autour de la destinée des
intéressés, donc par un travail sur les constructions
intellectuelles et politiques de la figure du harki, en France et en
Algérie, de 1962 à nos jours : qu'en est-il, d'une rive
à l'autre de la Méditerranée, dans les discours
politiques, des logiques de capitalisation ou, à l'inverse, de
forclusion de cette figure ? Et quelle est, à cet égard, la
place assignée aux massacres de
l'après-indépendance ?
« De part et d'autre de la
Méditerranée, écrivait Mohand Hamoumou en 1990, les harkis
sont et restent le tabou des tabous » 895(*). Il ajoutait :
« Les silences ou les oublis d'une société ne sont
jamais le simple effet de l'érosion du temps ou de l'ignorance. Ainsi,
les Algériens refusent l'histoire des Français musulmans pour
préserver le mythe d'un peuple uni, acquis tout entier et
spontanément au FLN. Nier les Français musulmans rapatriés
permet aussi d'éviter d'analyser leurs engagements et d'exposer les
erreurs et règlements de compte du FLN ainsi que reconnaître le
génocide commis après l'indépendance, au mépris des
accords d'Evian. Ces massacres, qui firent plus de cent mille victimes,
gênent également la population française. Car si les
Algériens les ont commis, la France, par sa passivité, les a
permis : son armée présente en Algérie jusqu'en 1964
avait reçu l'ordre de ne pas intervenir ». Ainsi,
poursuivait-il, « [aux] silences de l'histoire dont le but est de
légitimer le pouvoir en place, s'ajoutent ceux qui répondent aux
besoins de la société de refouler des événements
traumatisants »896(*).
Cette visée de déconstruction du ou des discours
publics (de ce qu'ils disent et de ce qu'ils passent sous silence) nous
conduira, en Algérie, à objectiver les formes et usages
attentatoires de la figure du harki sur la scène politique depuis 1962
(section I.A.1). Ces usages, nourris par une confusion
délibérée entre l'idée d' "opposition" et
celle de "trahison", sont d'ailleurs réversibles et mutuellement
contradictoires puisque, depuis l'interruption du processus électoral en
1992, ils sont aussi bien l'apanage des tenants du pouvoirs que de leurs
adversaires islamistes (section I.A.2). Il s'agira, ce faisant, de rendre
compte du "travail de l'écart" entrepris par ceux qui, ayant la
capacité de "faire voix" en Algérie depuis l'indépendance,
se sont appliqués à hypostasier un faisceau de trajectoires
biographiques - à savoir, ce que furent, dans leur diversité et
leur complexité, les engagements des diverses catégories de
musulmans pro-français aux côtés de la France - en un
"épouvantail politique", mieux, une figure d'excommunication
générique, transposée et transposable à une large
palette de situations. Nous verrons cependant que, par-delà - ou en
deçà - de ces formes et usages consacrés de la figure du
harki, subsistent et se font jour des visions anticonformistes, en rupture avec
les figurations manichéennes et attentatoires (section I.B).
Par ailleurs, en France, nous verrons, à la suite de
Jacques Sémelin (qui souligne à juste titre combien
« la passivité de l'environnement international constitue un
facteur favorable au développement d'une situation de
massacres »897(*)), qu'en raison même de ce qu'a
été l'attitude de la France à l'égard de la
situation dramatique dans laquelle furent placés, à
l'été et à l'automne 1962, ses anciens ressortissants et
serviteurs d'armes, la figure du harki a été peu ou prou mise
sous l'éteignoir, au mieux "folklorisée", au pire totalement
évacuée des récits officiels. A la passivité, sur
le moment, des pouvoirs publics succédera donc l'indifférence au
long cours des relais institutionnels de la mémoire, mais encore - sur
le plan de l'entretien du souvenir - des formations politiques en tant que
telles (section II.A). Or, nous verrons que cet écho officiel
(très) assourdi de la destinée des anciens supplétifs (qui
n'a été que faiblement "parasité" par les récits
laudatifs - mais inaudibles - des « soldats perdus » de
l'Algérie française), a pu faire le lit de certains usages
détournés (banalisation des acceptions
outrancières du terme "harki" dans le vocable politique) ou
intéressés (clientélisme électoral) de la
figure du harki (section II.B).
Nous verrons enfin que cette indifférence des relais
institutionnels de la mémoire en France - indifférence dont Jean
Baudrillard nous dit qu'elle est « une agression invisible,
intangible, inavouable »898(*) - a été confortée par l'image
pour le moins "flottante" que s'en sont formés ceux qui font profession
de rendre le monde intelligible, à commencer par ceux qui, au cours de
la guerre d'Algérie, se firent les protagonistes de la
« bataille de l'écrit »899(*). Il nous faudra ainsi rendre
compte des constructions intellectuelles ou, plus exactement,
"intellectualistes" de la figure du harki, c'est-à-dire non pas tant les
approches analytiques (historiennes en particulier) de cette figure (dont il a
été fait état dans la Partie 1) que les prises de position
idéologiques de ceux, intellectuels de profession (universitaires,
journalistes, écrivains, éditeurs, etc.), qui, en France, usant
de leur magistère moral comme d'un strapontin, ont
véhiculé sur le moment et/ou véhiculent depuis lors un
discours public "engagé" sur la guerre d'Algérie en
général, et sur les harkis en particulier900(*) (chapitre III).
I. La figure du harki dans les gestes algériennes de
la guerre d'Algérie
Il s'agira ici de procéder à l'examen du "jeu"
entre le passé et le présent en Algérie, et de mettre en
évidence les stratégies de capitalisation rétrospective
d'un imaginaire de guerre qui, dans un contexte de perpétuation des
violences politiques, tend à pérenniser ou à reconfigurer
les usages de la figure du harki sur la scène politique, ainsi que la
mise en évidence des effets produits par ces actes de
(mé)connaissance sur la société algérienne dans son
ensemble. Il nous faudra rendre compte non seulement des opérations
figuratives (et autres formes d'appropriation de l'imaginaire) en tant que
telles (à savoir comment les choses sont-elles
représentées / narrées / mises en récit), mais
aussi de la "rationalité stratégique" qui les sous-tend (à
savoir pourquoi les choses sont-elles ainsi représentées
/ narrées / mises en récit) : comment et à quelles
fins perpétue-t-on de tels usages ? Avec quels effets ?
(section A.)
Il nous faudra cependant relativiser l'impact de telles
figurations car, en dépit du poids écrasant de la geste
officielle de la guerre d'Algérie et des mythes et figurations qui lui
sont associés, il existe - de manière plus ou moins souterraine
et informelle - des visions "non-conformistes" des harkis. Il sera donc fait
état ici à la fois des pratiques mémorielles
institutionnelles (mémoire officielle) et des "chemins de
traverse" de la mémoire collective. (section B.)
A. Le harki réifié ou la
mémoire comme réalité instrumentale
La perpétuation "ex-post" de la figuration politique du
harki comme « traître » en Algérie participe
de ce que Béatrice Pouligny appelle les « techniques
d'instrumentalisation de l'histoire et de redéfinition permanente du
"nous" comme du "eux" »901(*) qui, jouant sur une mise en récit
orientée de l'identité collective, servent une visée de
légitimation du pouvoir. Il s'agit, pour le pouvoir en place, de
prolonger à son avantage exclusif la « dialectique du dedans
et du dehors »902(*) propre à l'invention d'un imaginaire de
guerre : en instaurant la désignation de l'ennemi intérieur
comme mode pérenne de régulation sociale et politique, ce sont
les conditions de prise de pouvoir initiales - et l'hégémonie de
fait qu'appelle l'exercice de la violence fondatrice - que l'on cherche
à perpétuer ; car s'arroger le pouvoir de dire qui est
l' "ennemi", c'est aussi, par contraste, s'arroger le pouvoir de
s'autodésigner "ami" et, par-là, "émanation" ou
"représentant" légitime du peuple. L'objectivation des logiques
politiques de désignation de l'ennemi intérieur contribue ainsi
à mettre à nu le socle de légitimation du personnel
politique en Algérie et invite à s'interroger sur la manipulation
de la mémoire comme outil de légitimation politique903(*). Nous verrons ainsi que,
dans un contexte de verrouillage idéologique de l'Algérie
post-coloniale, la perpétuation des usages de la figure du harki (mais,
plus généralement, la perpétuation d'une "culture de
guerre") a servi d'outil de "conformisation" politique pour les élites
issus de la guerre dite de libération, qui se sont servis de cette
figure-repoussoir pour décourager toute velléité ou
décrédibiliser toute forme d'opposition (section A.1). Puis, plus
récemment, dans cette Algérie des années 1990 (puis 2000)
ouvertement gangrenée par la violence politique, l'instrumentation tous
azimuts de la figure du harki a servi de procédé commode pour
justifier l'éradication de l'adversaire plutôt que son inclusion
dans un système de dissensus démocratique (section A.2).
- 1. Entre totem et tabou : une figure
recomposée (1962-1988)
Déjà, au cours de la guerre
d'indépendance, nous l'avons vu, tout l'objet de la propagande du FLN
était de faire accroire, d'une part, à l'unicité des
aspirations de la composante musulmane de la population algérienne et,
d'autre part, à leur coïncidence parfaite avec les visées de
l'organisation. « L'engagement du côté de la France,
souligne Benjamin Stora, est nécessairement le fruit d'un mal
exogène : dans le corps "sain" de la société nouvelle
qui s'affirme par la guerre, il ne peut y avoir de place pour
l'hésitation, l'erreur, qui se convertissent en fautes, puis en crimes.
(...) Le mot "harki" apparaît dans le vocabulaire politique (et...
quotidien) pour désigner les "complots" dirigés contre la
difficile marche de la révolution. Et la violence du verdict contre ce
"harki" s'exacerbe encore par les luttes de faction pour le contrôle du
pouvoir, la recherche d'une légitimité
nationaliste »904(*). La geste révolutionnaire du FLN participait
alors d'une figuration manichéenne du conflit algérien,
assimilant à une forme d'"apostasie ou d'"abjuration" - donc à
une dissension d'ordre patriotique et, d'une certaine manière,
religieuse compte tenu de l'indétermination relative des
frontières entre djîhad et guerre d'indépendance -
l'engagement d'une part non négligeable de la population musulmane en
faveur de solutions favorables (« intégration ») ou
non expressément défavorables à la présence
française en Algérie (solution de la « table
ronde » prônée par le MNA, par exemple). Pour le FLN,
à l'inverse, la seule sortie envisageable hors de la situation coloniale
consistait en une politique de la "table rase", en un choc frontal des
communautés.
A l'indépendance, dans le droit fil de cette optique
exclusiviste, la perpétuation d'une culture de guerre tendant à
identifier toute forme d'opposition à une forme de trahison - d'une
logique de "front unique" à une logique de "parti unique" - a
contribué à délinéer, jusque et y compris dans le
fonctionnement des institutions (au moins jusqu'aux émeutes d'octobre
1988 et l'institution du multipartisme), les contours officiels de l'espace
politique de l'Algérie post-coloniale, comme circonscrit par
l'opposition manichéenne entre le "peuple" - présenté
comme "Un", unanime et uniment lié à l'Etat-FLN - et une
"cinquième colonne" nécessairement liée au "parti de la
France" (hizb frança). En somme, l'inverse d'un espace public
de type habermasien, qui donne prise au dissensus démocratique et
médiatise les relations entre l'Etat et la
société905(*). De Ben Bella à Chadli, et plus encore sous
l'ère Boumediene, l'Etat-FLN ne souffre pas de publicité critique
sur son fonctionnement, ne tolère pas de contre-pouvoirs, et moins
encore d'opposants : la discorde c'est la trahison. A cet égard,
Ahmed Rouadjia compare l'Etat algérien à « une sorte de
«machine jacobine» destinée à traquer des ennemis et
des antirévolutionnaires, le plus souvent fictifs ». Et il
ajoute : « Ainsi, la confusion entre l'Etat en tant que sujet et
normes juridiques transcendantes et l'Etat en tant que force brute absolue
est-elle totale dans la représentation politique algérienne. Si
l'on sort du discours de jurisprudence, qui est une pâle copie du droit
français, le discours politique sur l'Etat se ramène donc
à une exaltation implicite des vertus physiques et coercitives de ce
dernier. L'Etat doit être «fort», autoritaire, faute de quoi il
ne saurait se faire respecter. Il doit sévir contre les
«déviants», se montrer impitoyable envers ses ennemis, qui
peuvent être des opposants (du temps où ceux-ci étaient
bannis) ou des dénigreurs des «acquis» de la
Révolution. Ceux qui pouvaient afficher des sympathies envers la France
et sa culture étaient considérés également comme
ennemis potentiels qu'il fallait stigmatiser. Pour surveiller tout ce monde de
nuisance et l'empêcher de réaliser des noirs desseins, il faut une
armée et une police, fortes et vigilantes. Cette approche
mécanique de l'Etat est la matrice du
totalitarisme »906(*).
Dans ce contexte hégémonique, la
perpétuation de la figuration politique du harki comme
« traître » et, plus généralement,
l'instrumentation de « récits [de guerre] sursaturés
d'intention à des fins de légitimation »907(*) avaient donc pour but (et
ont pour conséquence, aujourd'hui encore, quoique dans un autre contexte
et dans une autre mesure ; voir ci-dessous la section A.2) d'emprisonner
le langage politique dans des limites très étroites : elle
signifie comment sont considérés les opposants au régime
et ce qu'il en coûte d'en être puisque, avec elle, subsistent en
filigrane à la fois le souvenir du sort réservé aux harkis
et la possibilité de sa répétition (résurgence du
vocable de l'"éradication" au cours de la "deuxième" guerre
d'Algérie). Ainsi, pour Lahouari Addi, la culture politique
algérienne est fondé sur « le présupposé
qu'entre Algériens il n'y a pas de conflits politiques. Il y a des
conflits politiques entre Algériens et étrangers, ou entre
Algériens patriotes et Algériens traîtres. Ce type de
conflit n'a pas à être institutionnalisé, car les
traîtres sont à exterminer physiquement, à
«éradiquer», d'où le caractère sanglant de la
crise actuelle, qui oppose, pour les uns, les traîtres à la
nation, et pour les autres, les traîtres à l'Islam, qui
définit la nation »908(*).
Les usages rétrospectifs de la figure du harki
témoignent ainsi de la prégnance du champ lexical de la
"trahison" ainsi que d'un principe de division du champ politique
articulé autour de l'opposition "amis"/"ennemis". Pour cette raison,
comme déjà dit en introduction, nous partirons du postulat - non
exclusif mais fécond - qu'en Algérie, jusqu'à aujourd'hui,
c'est du côté du rapport belliqueux, du côté du
modèle de la guerre que l'on peut trouver un principe
d'intelligibilité et d'analyse du pouvoir politique909(*). Plus que tout autre mode
d'expression et d'objectivation du politique, la (sur)valorisation de
l'identité, ainsi que l'usage - ou la menace de recours à -
la violence (qui sont les corollaires obligés de la
célébration obsessionnelle de l'Un), sont en Algérie des
sources tautologiques de légitimation qui prévalent sur le libre
débat d'idées et les modes démocratiques d'élection
du personnel politique. Selon Mohamed Benrabah, « le régime
n'a jamais cessé de violenter la société algérienne
en lui imposant l'enfermement contre sa nature plurielle. (...) En
renforçant les seuls caractères arabe et islamique de
l'identité nationale, on nie les racines
berbéro-latino-judéo-hispano-turco-franco-algériennes.
(...) Pour faire "plus Arabe que les Arabes", on inculque le mépris des
ancêtres berbères et on oblige les enfants à passer le plus
clair de leur temps à faire l'histoire des autres : celle du
Moyen-Orient. [Par surcroît], on leur transmet une histoire glorifiant la
violence »910(*). Pour Guy Pervillé, « l'exaltation
de la violence fondatrice de l'État algérien est
inséparable de la culture politique algérienne, culture de guerre
et de guerre civile. Le système politique élaboré par le
FLN de 1954 à 1962, et institué de 1962 à 1989 sous la
forme du parti unique, postulait l'unanimité nationale et l'imposait par
la force. Toute divergence politique à l'intérieur du peuple
algérien était niée en tant que telle et qualifiée
de trahison au profit de l'ennemi extérieur, ce qui empêchait
toute démocratie et livrait le pouvoir aux détenteurs de la force
prêts à s'en servir. (...) Tel est le véritable lien qui
rattache la récente surenchère de la violence aux massacres de
1962. Ainsi, l'amnistie bafouée d'Évian a été pour
l'Algérie une occasion perdue de faire l'apprentissage de la
tolérance, vertu fondamentale de la
démocratie »911(*). De même, pour Luis Martinez, qui en fait
« une des hypothèses de [son] livre »,
« la violence a valeur de vertu dans l'imaginaire de ce
pays »912(*).
Abderrahmane Moussaoui souligne également que « tout le
discours politique de légitimation du pouvoir est fondé sur la
guerre de libération », si bien que « l'entreprise
politique prend des allures et des consonances bellicistes » :
« L'effort de développement devient une bataille, et le
dévouement dans l'accomplissement d'une tâche, un
sacrifice ». Et il ajoute, soulignant combien cette culture de guerre
imprègne en profondeur les visions et principes de division du monde
social et politique en Algérie : « Au delà de
l'Algérie, toute l'histoire de l'islam est une histoire de guerres,
l'école se chargera de la faire découvrir. Sommée de
(ré)apprendre son patrimoine culturel, pour parfaire son
indépendance politique, la jeunesse algérienne découvrira
un patrimoine arabe où la guerre figure en bonne place. Elle a ses
règles et même son esthétique. Hassan Al Banna, le
fondateur (en Égypte) et le guide suprême des Frères
musulmans, en bon théoricien de la guerre sainte, n'a pas manqué
de nous léguer sa conception en la matière dans deux
écrits, aux titres éminemment évocateurs:
«sinâ'at al mawt» (l'industrie de la mort) et «fann al
mawt» (l'art de la mort) »913(*). Aussi Benjamin Stora estimait-il qu'il n'y avait
pas lieu de s'étonner que « la perpétuation de la
culture de guerre [ait] fini par générer des automatismes
redoutables auprès d'une partie de la jeune génération. On
ne peut pas impunément enseigner que le principe de la lutte
armée est central de l'édification de la nation, et
s'étonner ensuite de sa reprise dans la
réalité »914(*). A cet égard, Gilbert Grandguillaume estimait
en 1997 que « le massacre de 30.000 à 60.000 harkis, pendant
l'été 1962, après l'indépendance, fournit
certainement un arrière-plan à beaucoup de cruautés
d'aujourd'hui. Reste dans tous les cas un manque de respect pour la vie assez
stupéfiant. (...) La violence existe en Algérie à tous les
échelons de la vie [et] (...) il n'y a pas de lieu de médiation
qui puisse régler un conflit. (...) La violence apparaît souvent
comme le seul recours ». « Cette violence, ajoute-t-il,
pose la question de l'identité algérienne. (...)
L'identité naissante a été forgée dans une optique
de guerre, de manipulation à des fins de résistance. La mafia
politico-militaire qui a pris le pouvoir en 1962 a ensuite recouru à
l'Islam et à la langue arabe. Mais il n'y avait rien de
spécifiquement algérien dans ces deux cadres de
référence. Et ils ont encore une fois été
utilisés en négatif, contre l'héritage français et
finalement contre le peuple qui portait un héritage
métissé »915(*).
Aussi, pour Fouad Soufi, si « certains traits,
devenus symptômes, sont propres à l'espace algérien et
à son impasse [symbolique] actuelle », nul doute que le
caractère obsessionnel de l'instrumentation à des fins
polémiques d'irrévérences telles que « parti de
la France » ou « nouveaux harkis » ne trahisse le
rôle outré imparti à la manipulation de la mémoire,
à la fois « instrument et objectif de
puissance »916(*). « Depuis 1962, souligne Guy
Pervillé, et surtout depuis le début des années 1970, les
autorités algériennes ont organisé et encouragé une
commémoration systématique et obsessionnelle de la Guerre de
libération (...). Elles ont ainsi perpétué une culture de
guerre exaltant la rupture violente avec la France, qui faisait douter que la
guerre d'Algérie était finie, et qui donnait l'impression d'un
double langage contradictoire, entre un discours à usage externe
prônant la coopération avec le partenaire français, et un
discours interne dénonçant l'ennemi séculaire du peuple
algérien et ses partisans »917(*). A cet égard, la mise en cause progressive du
principe du parti unique au fil des années 1980 (« Printemps
berbère », premiers maquis islamistes, émeutes
d'octobre 1988) puis son abandon définitif en 1989 - corrélatif
de l'épuisement du cadre référentiel d'inspiration
socialiste/tiers-mondiste qui lui était associé - ne changera pas
la donne918(*) : la
composante proprement nationaliste et chauvine du populisme algérien en
sort même renforcée.
En témoigne la réactualisation progressive par
les élites et leaders d'opinion algériens - à compter des
années 1990 - d'équations langagières illocutoires
à fort accent "patriotique" (voir ci-dessous la section A.2), sur le
modèle de la double équation langagière en cours pendant
la (première) guerre d'Algérie et sous-tendant l'amalgame avec la
période de l'Occupation en France : « moudjahidin =
résistants » versus « harkis =
collaborateurs »919(*). Dans une période où le rôle de
« guide idéologique » originellement
dévolu à l'ex-parti unique n'est plus constitutionnellement
reconnu, cet amalgame est d'abord un moyen de pression et de conformation
internes qui vise à couvrir d'indignité ceux qui n'ont pas pris
part à l'insurrection, donc de verrouiller l'accès aux
responsabilités politiques et aux ressources
économiques921(*). Exemple éclairant : il existe en
Algérie, depuis la réforme constitutionnelle de 1996, des
dispositions (article 73) visant à rendre inéligibles : 1)
les candidats nés avant juillet 1942 qui ne sont pas en mesure de
« justifier de leur participation à la révolution du
1er novembre 1954 » ; 2) les candidats nés après
juillet 1942 qui ne sont pas en mesure de « justifier de la non
implication de leurs parents dans des actes hostiles à la
révolution du 1er novembre 1954 ». Par ailleurs, un
avant-projet de loi élaboré par le ministère de
l'Agriculture en 2002 visait à réserver l'attribution des
exploitations appartenant à l'État (sous forme d'un droit de
concession renouvelable d'une durée de 90 années) aux seules
« personnes physiques de nationalité algérienne n'ayant
pas adopté une attitude indigne pendant la
Révolution »922(*).
L'amalgame avec la période de l'Occupation en France
est aussi un moyen de pression/culpabilisation à usage externe dont ne
se privent pas d'user les dirigeants algériens à l'égard
de l'ancien colonisateur. Les déclarations, déjà
citées, d'Abdelaziz Bouteflika lors de sa visite d'Etat en France en
juin 2000 l'illustrent parfaitement. Déjà, dans son
édition du 31 octobre 1993, le journal indépendant El
Watan, répercutant "l'information" faisant état de la
présence d'enfants de harkis dans les groupes islamistes armés
(voir la section A.2 ci-dessous), et ayant établi des listes de
« traîtres » présumés ayant partie
liée avec les GIA, concluait : « Au moment où les
traîtres sont jugés un peu partout dans le monde pour leur
collaboration avec l'ennemi - le cas de Thouvet (sic) en France par
exemple - l'Algérie se retrouve déchirée par
ceux-là mêmes qu'elle a amnistiés au lendemain de son
indépendance malgré leur forfaiture et leur lâcheté
durant la guerre de libération »923(*).
Dans ce contexte, la figure du harki n'a jamais
été un objet de remembrance comme les autres en
Algérie : elle n'a eu d'usage qu'instrumental, que
totémique. L'efficace émotionnelle de telles mises en perspective
semble devoir décourager à l'avance toute approche fine et
heuristique des stratégies d'acteurs. Au fond, le harki figure en
Algérie cet « ennemi intérieur » que nul ne
connaît vraiment mais que tous haïssent d'évidence, et dont
John Crowley nous dit que « loin de préexister à sa
désignation, [il] est engendré en étant
nommé »924(*). Ici comme ailleurs, donc, « la
désignation de l'ennemi intérieur met en scène sa
reconnaissance tout en l'interdisant »925(*). Car cette "reconnaissance"
là s'oppose point par point à une reconnaissance intime ou
socio-biographique susceptible de véhiculer des éléments
de compréhension ou d'offrir prise à l'identification : il
n'est ici nullement question d'un examen critique de la trajectoire des anciens
harkis et de leurs familles ; et moins encore d'un examen des limites
intrinsèques ou des résistances auxquelles s'est heurtée
le FLN dans sa lutte de « libération nationale ». La
diversité des positionnements au cours de la guerre d'Algérie est
réduite à une opposition manichéenne entre une masse
héroïque et unanime (« Un seul héros, le
Peuple ») et ces exceptions haïssables que sont les harkis. Deux
visions mensongères et interdépendantes dans le mensonge.
A l'articulation des conditions historiques et des ressorts
normatifs de fondation puis de perpétuation du nouvel ordre politique
algérien, les usages de la figure du harki naviguent ainsi, en
Algérie, entre les écueils normativement contradictoires de
l'évocation et de la symbolisation, témoignant de l'importance de
la dimension narrative de l'identité collective. À la fois
"figure-totem", emblématique de cette forme insidieuse de
l'altérité qu'est la « trahison » et dont
l'omniprésence calculée rappelle la menace qui pèse sur
l'unité nationale (et la nécessité corrélative d'un
pouvoir fort), et "figure taboue" dont il s'agit de faire oublier qu'elle fut
l'une des composantes majeures du "Nous" (et de nier l'historicité dans
une Algérie nouvelle que l'on eût voulue pareille à une
table rase), la figure du harki dessine une geste foncièrement
ambivalente, susceptible tant de servir que de desservir les desseins de
l'imagerie officielle. D'où l'entre-deux paradoxal d'une propagande
d'État sommée de faire en sorte que la figure du harki ne soit
pas considérée comme étant « des
nôtres » (comme étant une autre figure du "Nous") tout
en accréditant l'idée qu'elle « nous » menace
spécifiquement. Dans cette optique, tout l'effort de la propagande
d'État doit tendre à rendre la figure du harki à la fois
méconnaissable (sociologiquement altère) et reconnaissable
(idéologiquement familière). La figure incarnée du harki
est ignorée pour être hypostasiée en une
représentation socialement générique de l'ennemi
intérieur926(*).
Les trajectoires vécues des supplétifs de l'armée
française sont bannies hors du cadre d'appréhension et de
compréhension de l'Algérie nouvelle, pour être uniment
réduites à quelque résidu, à quelque aberration
redevables du glacis colonial, parenthèse dont on s'interdit par
principe d'apprécier la résonance (pour ne pas dire les apports).
La figure du harki ne doit en aucune façon être une figure
d'évocation dont la trame servirait l'analyse de la complexité
algérienne : elle est La figure d'excommunication par
excellence. Ce dont témoigne, par exemple, cet extrait du manuel de
9ème (l'équivalent de la 3ème en
France) : « Des groupes de personnes ont
préféré se vendre à l'ennemi et combattre leurs
propres frères, déjà lors des premières
révoltes au XIXème siècle, en échange
d'argent, de biens, de titres. Ces groupes de harkas ont été
responsables des pires répressions contre les civils algériens,
ce sont eux qui ont été chargés de brûler les
villages, des interrogatoires, de la torture et des assassinats, soit de la
sale besogne de l'armée française »927(*). Mais plus encore cet
échange entre Benjamin Stora et Mohammedi Saïd, ancien membre de
l'Abwehr et responsable direct du massacre de Melouza, dans un entretien pour
Les années algériennes au début des
années 1990 :
« Mohammedi Saïd
- Le harki, c'est l'homme indigne de vivre, d'exister. (...) Ce sont
des traîtres qui massacraient tous les jours des dizaines et des dizaines
(...).
Vous n'avez jamais pensé que les harkis aussi
étaient des victimes de l'armée française ?
(sic)
Mohammedi Saïd - Tant pis pour eux, ils
l'ont voulu, ils l'ont voulu. Ils l'ont voulu... Qu'est-ce qui les a
poussés à aller dans l'armée française ?...
Qui ? Qui les a obligés à aller dans l'armée
française ? Pourquoi aller dans l'armée
française ? L'armée française vous demande de
rentrer... bon... Je n'y vais pas tuer, moi. Je meurs. Je préfère
mourir que d'aller faire la basse besogne !... Des massacreurs de civils,
de femmes, d'enfants, de vieillards !... De viols !... Ils
méritent la mort. Aujourd'hui, ils méritent la
mort »928(*).
En fait, ainsi que le souligne Mohand Hamoumou, « ce
que l'Algérie officielle ne veut surtout pas reconnaître
c'est pourquoi des musulmans sont devenus harkis »929(*). Du reste, la discipline
historique n'a jamais bénéficié que d'une autonomie
relative en Algérie, où elle fait l'objet d'une étroite
surveillance. Selon Hassan Remaoun, de l'Université d'Oran, la mise sur
pied au début de la décennie 1970 par les autorités
politiques d'un dispositif institutionnel orienté vers la recherche
historique ne visait en fait qu'à mettre « l'histoire sous
surveillance » et « a eu pour effet une
instrumentalisation-marginalisation de la pratique historiographique
académique »930(*). Et il ajoute : « Avec le parti FLN,
l'Organisation des moudjahidines avait [au moins jusqu'en octobre 1988] un
véritable droit de regard sur tout ce qui concerne de près ou de
loin la Guerre de libération nationale ». En
conséquence, poursuit-il, « les approches dominantes de la
production historiographique sont trop marquées par la tentation
apologétique et les corollaires implicites que sont l'occultation et la
déformation ». « En réalité,
conclut-il, le rôle éminemment fondateur assigné à
cette guerre quant à l'émergence de l'Etat national n'est pas
fait pour affranchir le travail historique des enjeux institutionnels du
présent »931(*).
Benjamin Stora, soucieux de sérier la place et les
limites du savoir académique dans l'Algérie post-coloniale,
distingue à cet égard trois grandes périodes,
marquées par une autonomisation progressive quoique relative de cette
sphère932(*).
Durant les années 1960, « l'urgence n'est pas à la
production d'un savoir académique ou de récits
d'histoire ». Les quelques rares ouvrages historiques sont
« marqués de surcroît par une forte idéologie
tiers-mondiste » : ainsi en va-t-il de Mohammed Cherif Salhi
(Décoloniser l'histoire, 1965), dont la prose est avant tout
une virulente dénonciation de la «science coloniale» »,
ou encore de Mostefa Lacheraf (Algérie. Nation et
société, 1965), qui « se désigne comme
appartenant à une nation dont le système colonial a voulu nier
l'existence » et qui « entend accéder à
l'objectivité par le biais de l'engagement ». Les
années 1970, sous l'ère Boumediene, ne se distinguent en rien de
la décennie précédente, si ce n'est par la publication -
en France933(*) - des
premiers travaux de Mohammed Harbi, qui « prend le contre-pied des
récits unanimistes ou épiques » et « inaugure
une autre conception de l'écriture nationaliste de
l'histoire ». Les années 1990, enfin, sont marquées par
un "dégel" relatif, avec l'apparition de nouvelles questions (la
mythologie nationale, la circulation des mémoires et la fabrication de
l'histoire officielle à travers les manuels scolaires) et de nouveaux
historiens (Benjamin Stora cite notamment Daho Djerbal de l'université
d'Alger, et Hassan Remaoun de l'université d'Oran). Cependant, et ce
constat est central dans l'optique qui est la nôtre, Benjamin Stora
souligne qu' « il reste force tabous sur cette guerre du
côté algérien, et parmi eux, majeure, la question de la
figure de l'Autre : l'Européen d'Algérie, le Pied-noir, le
Juif d'Algérie, mais également les Harkis ». Constat
plus pessimiste encore du côté de Mohammed Harbi, dans un
entretien au journal El Watan, en mai 2001 : « Est-ce
un problème d'absence de volonté politique ? De
désintérêt des historiens algériens ? Il n'y a
pas de champ intellectuel en Algérie. L'existence d'un tel champ suppose
une totale liberté d'expression, un climat propice à
l'échange et au débat en dehors de toute intervention de
l'État. Il y a quand même une nouvelle génération
d'historiens et de chercheurs. Je ne la connais pas bien. Ce que je sais des
sujets de mémoire et de thèse déposés en histoire
n'incite pas beaucoup à l'optimisme. Les Algériens sont
passionnés par l'histoire mais leur demande est essentiellement prise en
charge par les journalistes »934(*). Cependant, pour critique que soit le regard
porté par Mohammed Harbi sur l'historiographie algérienne, sa
manière de faire n'en demeure pas moins, à certains égards
(et comme l'a souligné Benjamin Stora), « une autre conception
de l'écriture nationaliste de l'histoire »935(*). A cet égard, il
n'est pas inutile de rappeler qu'outre ses responsabilités successives
au sein de la Fédération de France du FLN puis du GPRA, Mohammed
Harbi a été l'un des rédacteurs du Programme de Tripoli.
Cela transparaît notamment s'agissant des limites qu'il pose à
« la réévaluation de la question des
harkis » : « Nous devons procéder à la
réévaluation de la question des harkis. C'est une question
complexe. Nous avons intérêt à examiner de plus près
les motifs de l'engagement dans le camp français. Nous n'avons aucune
raison de traiter ceux qui se sont comportés en mercenaires de la
même manière que ceux qui ont été victimes de la
conjoncture. Il y a de vrais criminels de guerre parmi les harkis, à
l'instar de ceux du commando George. Le fait que des membres de
l'armée de libération se soit mal comportés ne justifie
pas l'appui au camp adverse. Il y avait une cause nationale à
défendre »936(*).
Par ailleurs, Benjamin Stora souligne combien, à
côté du travail des historiens proprement dits, « les
écrivains algériens ont contribué par leurs écrits
à la constitution d'un imaginaire, d'une connaissance et d'un savoir. Et
les historiens auraient bien tort de se désintéresser de cette
production littéraire, car elle est un outil particulièrement
précieux pour pénétrer au coeur de la
société algérienne et tenter d'en saisir les mythologies,
les mentalités et les représentations »937(*). Dans l'ensemble, la
production littéraire a joué un rôle de
confortation/conformation des représentations consacrées
plutôt qu'elle n'a contribué à "dépayser" le regard
porté sur les harkis. Bouba Mohammedi Tabti en donne un bon
aperçu dans sa thèse intitulée Espace algérien
et réalisme romanesque des années 80, soutenue en
2001938(*). Dans La
Mue, roman publié en 1985, Khélifa Benamara oppose
les motivations du harki à celles du djoundi, et « le
combat - souligne Bouba Mohammedi Tabti - prend l'allure épique du Bien
et du mal ». Le narrateur évoque « les hordes de
harkas (...) qui connaissaient aussi bien que les maquisards les sentiers de
montagne », mais - note Bouba Mohammedi Tabti - « ils n'ont
que ce point de commun avec les maquisards dont les distinguent leurs
qualifications toutes négatives »939(*). S'agissant des romans de
Chabane Ouahioune, Bouba Mohammedi Tabti relève que « selon le
côté où ils se situent, ceux qui se battent ne sont pas
désignés de la même façon : «djoundi»
n'est pas seulement la traduction du français «soldat» ;
il s'ajoute au terme des connotations valorisantes : au sème
«combattant» se superpose l'idée de la justesse de la cause
(quand le terme «harki» comprend toujours le sème trahison,
«soldat» étant de valeur variable) »940(*). Enfin, dans
Tombéza (Paris, Laffont, 1984), Rachid Mimouni, s'attachant
à décrire le microcosme d'un village de regroupement pendant la
guerre d'Algérie, joue du contraste entre les villageois, chez qui
« le désir de vivre l'emporte sur toutes les
humiliations » (Mimouni, p.133), et la brigade de harkis,
dépeinte par lui comme une « concentration de
dépravés, de sadiques, de vicieux, de pervers, de tarés,
de névrosés, de vrais dingues, de brutes à l'état
pur » (Mimouni, p.135). Cependant, Bouba Mohammedi Tabti souligne que
Mimouni n'établit pas de hiérarchie entre « les
"exploits" des harkis en amont et la revanche de leurs victimes en
aval », entre avant et après le cessez-le-feu, puisque
« aux brimades, aux tortures, aux viols, ont succédé
les mêmes tortures, les castrations »941(*).
Via l'incrimination récurrente de la figure du harki,
c'est à la vertu "intégrative" des conflits ou des menaces
imaginaires, telle que décrite par Norbert Elias et John L.
Scotson942(*), que l'on
en appelle. De fait, de même que, dans une certaine mesure,
« l'ennemi intérieur est engendré en étant
nommé »943(*), symétriquement,
l' « unicité » et la
« cohérence » d'un corps social donné
n'apparaissent comme des évidences que par contraste avec
l' « extériorité absolue de l'ennemi
intérieur »944(*). En somme, le registre de la
« naturalité » sur lequel se décline la
thématique de l'ennemi intérieur vaut également, quoique
sur la base d'une valorisation symétrique, pour l'appréhension du
corps social dans son entier : la désignation d'un ennemi
intérieur « naturel » est aussi, et surtout,
réaffirmation par contraste d'une communauté d'appartenance
« naturelle ». Les deux désignations sont donc
interdépendantes. Il appartient dès lors à l'observateur
extérieur de déconstruire ces idéologies et de montrer en
quoi cette « naturalité » est, selon les cas, en
tout ou partie « imaginée »945(*),
« manipulée »,
« hypostasiée ».
Ainsi, le mythe de l'unanimité des masses
derrière le FLN depuis le 1er novembre 1954 jusqu'à
l'indépendance, soit le mythe d'une nation
« conscientisée » dans et par la praxis
révolutionnaire, est le dernier des grands mythes fondateurs à
même de justifier la prédominance du militaire sur le politique en
Algérie. La visée en est clairement "anthropomorphiste" puisqu'il
s'agit - autant que possible - de faire réagir la société
comme un seul homme. C'est pourquoi il importe aux autorités
algériennes d'occulter l'historicité réelle du rapport des
forces au sein de la composante musulmane de la population algérienne,
composante dont le FLN revendiquait l'exclusivité de la
représentation.
Mais la subjugation des foules n'est pas un processus
univoque, purement instrumental. Ces mythes font l'objet d'une
réappropriation par les gens ordinaires qui, sans être
nécessairement dupes des fabulations proposées, peuvent
aisément mesurer l'avantage qu'il y a à participer de la
grâce collective dont le mythe revêt la communauté dans son
ensemble. Ainsi en va-t-il, par exemple, du mythe
« résistancialiste » en France946(*). Mais,
symétriquement, et tout aussi aisément, les individus peuvent
mesurer ce qu'il leur en coûterait de faire valoir leur
singularité, particulièrement dans le cadre d'une
société fermée - et l'Algérie des années
1960-1970 est incontestablement une société fermée, au
sens où l'entend Karl Popper947(*) - où toute voix contraire est
assimilée à une forme de dissidence. De ce point de vue,
l'adhésion des gens ordinaires à une logique paranoïde de
désignation de l'ennemi intérieur aux lendemains immédiats
de la guerre d'Algérie, aussi bien que leur implication à quelque
degré dans les violences politiques corrélatives (à
commencer par les représailles massives à l'encontre des anciens
harkis, dont on a pu dire qu'elles étaient pour partie - mais pour
partie seulement - le fait des "combattants de la 25ème
heure"), doivent aussi être interprétées comme étant
la marque d'une réaction à caractère
"défensif" : le rôle de la peur - la peur d'être
à son tour désigné comme bouc émissaire - ne peut
être négligé pour expliquer le comportement des individus.
Au sortir de la guerre d'Algérie, dans un contexte "fluide" où,
en l'absence d'Etat de droit solidement établi, nulle médiation
ne venait s'opposer à l'arbitraire des détenteurs de la force,
les Algériens ont pu être amenés à adhérer -
en apparence du moins948(*) - à une idéologie qui désignait
comme "amis" ceux qui y souscrivaient et comme "ennemis" ceux qui s'en
défiaient ou restaient indifférents.
Ainsi, dans le contexte de l'Algérie post-coloniale,
l'instrumentation de la notion de "trahison" par le parti-Etat FLN - dont la
vocation est clairement hégémonique949(*) - vise moins à
frapper d'anathème le comportement des anciens harkis eux-mêmes
qu'à frapper d'interdit toute velléité d'opposition ou
d'adversité, autrement dit, à édifier les observateurs
sociaux sur ce qu'il pourrait leur en coûter de ne pas souscrire au mythe
unanimiste. Les figures d'excommunication - telle la figure du harki en
Algérie - sont donc des "catalyseurs à l'envers" qui jouent sur
la fonction cohésive des peurs (l'image du traître est par
définition plus détestable que celle de l'opposant, et le sort
qui lui est promis plus effroyable), donc sur la volonté des gens
ordinaires de se dédouaner d'une menace dont chacun pressent qu'elle
peut se retourner contre soi.
Mais, parce qu'elle joue sur les vertus cohésives de la
peur, cette rhétorique obsidionale est aussi un vecteur de
fragilité à plus long terme. Car, comme le souligne Omar
Carlier950(*), si la
violence - comme stratégie de rupture avec l'ordre colonial et
comme stratégie d'accès au pouvoir d'une minorité
agissante - a été "fondatrice", accompagnant l'essor de la
révolution, puis la construction d'un Etat militaro-populiste, à
plus long terme cependant, cette forme de socialisation politique unanimiste et
martiale - en instaurant la désignation de "l'ennemi intérieur"
comme contrechamp de l'harmonie sociale, donc en ramenant l'idée
d'opposition à celle de sédition - condamne le corps social
à user par privilège de la violence comme mode de
règlement des conflits, qu'il s'agisse d'exercer l'autorité
(puisqu'on ne transige pas avec les « traîtres ») ou
de la contester (puisqu'il n'y a d'autre alternative, dans un contexte
artificiellement unanimiste, que de se soumettre ou de se rebeller).
D'après Luis Martinez, l'idée que la guerre est un moyen
légitime de sélection du personnel politique avait quasiment
valeur de sens commun en 1997 en Algérie, imprégnant les
représentations des gens ordinaires, quel que soit le bord où ils
se situaient. Il écrit ainsi, à propos des électeurs
islamistes en milieu rural : « Les efforts de
différenciation idéologique menés par les protagonistes
ont peu d'effets. Le «choc culturel» entre islamistes et
nationalistes est ramené à une lutte banale pour le pouvoir.
Cette perception du conflit se fonde sur celle d'une profonde proximité
des adversaires en présence ; c'est parce qu'ils aspirent aux
mêmes fonctions et ont des désirs communs qu'ils
s'entretuent : moudjahidin et militaires sont perçus comme
appartenant à une même catégorie, ils font partie de ces
hommes qui ont de la «virilité» et de
«l'appétit». Ils forment les
prétendants naturels à la direction du pouvoir, la guerre ne sert
qu'à les sélectionner. Il n'y a aucune contestation
possible : le pouvoir se prend par les armes »951(*). Même constat
s'agissant des « patriotes » et des membres des
« Groupes de légitime défense », ces civils
armés par le pouvoir pour combattre les groupes islamistes, pour qui la
légitimité sort moins des urnes qu'elle ne se gagne au bout du
fusil. Ainsi en va-t-il de Meziane, ancien combattant (petit village,
1994-1995) : « Les islamistes, comme ils disent, ce sont des
enfants abandonnés, ils ne savent pas ce que c'est la terre, ils
ignorent comment leurs ancêtres l'ont perdue et comment nous, on la leur
a rendue. C'est nous les chefs de l'Algérie. Avant nous, les gens
vivaient dans les gourbis avec les animaux, mouraient de faim. Mais les jeunes,
ils ne savent rien et ils veulent tout, tout de suite, et nous qu'est-ce qu'on
devient ? Ils veulent nous jeter comme si on n'était rien :
pour eux, on n'est pas des moudjahidin. C'est nous qui avons fait le vrai
djihâd et c'est eux qui s'appellent
« moudjahid » ! Mais s'ils n'attendent pas leur tour,
ils n'auront rien. Ils veulent ce que l'on a, mais il faut le gagner. Eux,
parce qu'ils ont voté, ils croient qu'ils peuvent tout nous
prendre ! Pour ça il faudra qu'ils nous tuent tous, sinon jamais
ils pourront nous commander »952(*).
De fait, ce qui est remarquable aujourd'hui, dans un contexte
de violences politiques persistantes, c'est non pas tant la rémanence
que la réversibilité de cette culture de guerre, qui a
essaimé précisément jusque dans les discours et les
pratiques des adversaires déclarés au régime : c'est
ainsi que les groupes islamistes armés les plus radicaux
réclament moins l'instauration d'un espace public démocratique
où ils aient toute leur part que de pouvoir, à leur tour, imposer
leur hégémonie sur la scène politique et le corps social
algérien. Ainsi, Luis Martinez, nous l'avons dit, a pour
« hypothèse centrale » qu' « un
imaginaire de la guerre est commun aux protagonistes en Algérie et qu'il
contribue à faire de la violence un mode d'accumulation de richesses et
de prestige »953(*). Plus loin, encore : « Loin de
constituer une rupture, voire une révolution en Algérie,
l'émergence des émirs dans la guerre civile actuelle participe de
cette image de la guerre comme mode par excellence de l'accès à
la richesse et au prestige »954(*). Et la plupart des groupes islamistes armés
recourent, pour ce faire, aux meurtres de civils, et parfois aux massacres de
masse, comme l'avait fait avant eux le FLN pour asseoir sa domination pendant
la guerre dite de libération puis aux lendemains de
l'indépendance. Symétriquement, l'Armée nationale
populaire (ANP), héritière directe de l'Armée de
libération nationale (ALN), après avoir interrompu les
élections législatives et dissous le FIS en 1992, refuse depuis
lors de réintégrer ses adversaires islamistes dans le jeu
démocratique (exception faite de formations présentées
comme modérées, tel le MSP - ex-Hamas), ne leur laissant le choix
qu'entre la soumission955(*) ou l'éradication. Les civils
soupçonnés de complaisance à l'égard des groupes
islamistes armés n'ont pas non plus été
épargnés par la répression : l'on dénombre
ainsi officiellement au moins 7.000 disparus956(*). En outre, selon des témoignages
contestés par les autorités, certains massacres collectifs
auraient été perpétrés par l'armée et
indûment attribués aux islamistes957(*). Quoiqu'il en soit, il est
un fait, désormais, que la figure du harki sert aussi bien
d'épouvantail aux groupes islamistes armés pour disqualifier les
élites en place que d'échappatoire commode à la caste
militaire au pouvoir pour expliquer le délitement progressif de
l'Algérie post-coloniale : plus que jamais, c'est la figure de
l'ennemi intérieur, et non celle de l'opposant, qui régit la
dynamique du dissensus en Algérie.
- 2. Entre Charybde et Scylla : une figure
décomposée (depuis 1988)
Nous l'avons dit, dans un pays où prévalent les
modes démagogiques d'objectivation du politique (notamment ceux
fondés sur la violence ou le chantage à la violence), la figure
du harki a fait office - et continue de faire office - de bouc émissaire
"commode" pour tous les maux qui touchent l'Algérie indépendante.
Et Mohamed Benrabah de dénoncer « une classe [politique] qui
fait dans le nationalisme de bas étage, dont l'essence même est de
voir le complot partout et d'exclure l'Autre. Désormais, il n'y a plus
qu'Eux, les véritables «Algériens», et les Autres,
moins ou pas algériens du tout, voire des traîtres à la
nation »958(*). S'interrogeant sur les origines de cette vision
obsidionale du politique, Mohammed Harbi, s'il dit se méfier
d' « une vision déterministe qui consisterait à
dire : ce qui se passe aujourd'hui, c'est ce qui est arrivé
hier », vision qui « évacuerait totalement le
rôle et la responsabilité des acteurs », admet cependant
qu'« on ne peut pas ne pas s'interroger sur le rapport entre les
méthodes employées pendant la guerre de libération et
celles qu'utilisent aujourd'hui les islamistes ou
l'armée »959(*). Et il ajoute : « Les gens sont
conscients que la gestation du pouvoir algérien et de ses pratiques
s'est faite au cours de la révolution même. Et que, pour n'avoir
pas suffisamment réfléchi sur ce qui est arrivé à
l'époque, les mêmes faits ont fini par se reproduire ».
Benjamin Stora, s'il rejette lui aussi une notion de
« récidive » qui laisserait accroire à une
sorte de « malédiction » ou de
« fatalité » de la violence en
Algérie960(*)
(tout en reconnaissant cependant qu'il existe « des tendance lourdes
qui se retrouvent d'un conflit à l'autre »961(*), s'agissant notamment de
l' « extraordinaire déferlement de violence »
dont sont victimes les civils962(*)), note que « les acteurs eux-mêmes
vivent dans la répétition » et « ont
véhiculé cette idée de la répétition du
conflit »963(*). Ce qui témoigne, nous semble-t-il, des
effets à long terme sur les imaginaires politiques de la "fabrique"
d'une culture de la violence pendant la guerre d'indépendance. Pour sa
part, Guy Pervillé préfère d'ailleurs « insister
davantage sur les ressemblances que sur les différences »
entre les deux guerres d'Algérie, « parce que, dit-il, les
premières ne sont pas de simples faux semblants : elles traduisent
une réelle continuité, un véritable rapport de cause
à effet entre la violence de la «guerre de libération»
et celle de la récente guerre civile (ou «guerre contre les
civils») » et, en particulier, un « rapport de cause
à effet entre le système politique algérien
instauré par le FLN et la perpétuation de la violence comme moyen
privilégié de traiter les conflits
politiques »964(*). Guy Pervillé de préciser :
« On peut soutenir (et je ne suis pas le seul à le faire) que
l'extrême violence de ce nouveau conflit est explicable par la culture
politique algérienne issue de la guerre de libération nationale,
et en particulier par la vision de l'histoire nationale et de la guerre de
libération qui a été inculquée aux jeunes
algériens par l'enseignement public et par la commémoration
officielle »965(*). Un constat qu'établissait déjà
Mohammed Harbi en 1993, à l'entame de la seconde guerre
d'Algérie : « L'idéalisation de la violence
requiert un travail de démystification. Parce que ce travail a
été frappé d'interdit, que le culte de la violence en soi
a été entretenu dans le cadre d'un régime arbitraire,
l'Algérie voit resurgir avec l'islamisme les fantômes du
passé »966(*).
Et c'est ainsi que l'interruption du processus
électoral en décembre 1991, puis le déclenchement de la
guerre civile en janvier 1992, n'ont eu pour résultat que d'intensifier
et de diversifier les usages politiques de la figure du harki.
Déjà les prémices de vacillement de l'État-FLN,
à la suite des émeutes d'octobre 1988, avaient revivifié
les usages attentatoires de la figure de l' "ennemi intérieur",
comme en témoigne la lecture des événements
opérée sur le moment par le colonel Amar Benaouda, l'un des 22
chefs historiques de la Révolution : « Durant les
événements, certains éléments traîtres,
nostalgiques de la période coloniale, se sont glissés dans les
rangs des manifestants pour crier le slogan « Vive la
France » et brûler les drapeaux algériens. (...) Ils ont
tenté d'inciter à la guerre civile sur ordre de la France, qui a
cru que c'était une occasion pour revenir »967(*). Depuis lors, l'arène
politique, partagée entre "éradicateurs" et
"prédicateurs", n'est plus qu'un vaste champ de manoeuvres
attentatoires, où la dénonciation des
« traîtres » et des
« renégats » sert de langage commun d'expression du
dissensus. « Paradoxalement, constate Benjamin Stora, c'est au moment
où s'épuisent les légitimations du pouvoir algérien
par recours à la guerre d'indépendance que s'affirme la
nécessité de s'adosser à la tradition du fondement
guerrier de la nation. Dans le «camp islamiste» comme dans le
«camp démocrate», la volonté de répéter
la séquence belliqueuse s'exprime dans le
vocabulaire »968(*). Luis Martinez relève ainsi que
« sur le plan symbolique, les «émirs» essaient de
s'approprier le prestige des figures historiques qui jalonnent l'histoire
sociale de l'Algérie : raïs, insurgé, seigneur
rural, moudjahid ». Et il ajoute : « Ils
puisent dans ces références leur modèle de combattant
façonné par la violence et revendiquent la primauté des
qualités guerrières sur les compétences religieuses ou
politiques. Chérif Gousmi, responsable du GIA en 1994, président
de la «commission politique et de la législation religieuse»,
mentionne dans une interview à la presse les critères du choix
des «personnalités dirigeantes» : «Outre certaines
qualités de commandement, il faut que la personnalité en question
ait pris part au djihâd à travers des opérations militaires
et qu'elle ait également tué un nombre suffisant d'ennemis de
Dieu» [El Wasat, 29 janvier 1994]. (...) L'institutionnalisation
de la violence comme mode d'accès à la direction politique incite
par conséquent au crime »969(*). De même, Guy Pervillé observe-t-il
qu' « aucune force politique organisée ne peut ni ne veut
prendre le risque d'abandonner le patrimoine moral des combattants de la guerre
de libération, arme idéologique décisive, à ses
concurrents et adversaires »970(*). Dans cette arène, la figure du harki occupe
"naturellement" une place de choix, comme le constatait Hocine Aït-Ahmed
au cours de la campagne présidentielle de 1999 (avant de choisir de se
retirer de la course - selon lui jouée d'avance - à
l'investiture) : « Quelle amélioration espérer
quand ceux qui prétendent nous gouverner s'acharnent à dresser
les Algériens les uns contre les autres alors qu'il est plus que temps
de panser nos blessures ? Depuis 7 ans, on a distillé la haine en
traitant les uns ou les autres de harkis »971(*).
Ainsi, dans ce pays, la rhétorique de l'ennemi
intérieur est à la fois un ferment inépuisable de haine et
une ressource opportunément utilisée par les acteurs
engagés dans la course au pouvoir pour décrédibiliser
leur(s) adversaire(s). Une ressource dont l'usage est réversible et
mutuellement contradictoire : à l'assertion grossière
formulée par certains hiérarques, selon laquelle les islamistes
armés seraient pour beaucoup des enfants de harkis, répond la
stigmatisation par la mouvance islamiste et/ou arabisante972(*) de la qualité
d'anciens déserteurs de l'armée française
(« D.A.F. ») de certains généraux au
pouvoir ; chacune des parties étant pour l'autre l'expression de
cette "cinquième colonne" qui, au service de l'ex-colonisateur depuis
toujours, ne s'est jamais complètement résolue à se
défaire de l'uniforme français. Guy Pervillé, qui, dans un
ouvrage collectif publié en 1997, avait déjà écrit
un chapitre consacré à « la manipulation des mythes du
«parti de la France» et des «anciens et nouveaux harkis»
comme armes de propagande et de guerre civile »973(*), réaffirme dans un
ouvrage publié en 2002 que, par mimétisme avec la première
guerre d'Algérie, « chacun des deux protagonistes de la
deuxième guerre d'Algérie, prétend se réserver le
beau rôle du moudjahid et imposer à son ennemi celui du
traître à la patrie ou à l'islam »974(*). Et dans une communication
récente, il précise : « Les islamistes
armés (...) identifiaient leurs adversaires (partisans de l'interruption
des élections par le coup de force civil et militaire de janvier 1992)
au «parti de la France» (Hizb França), à des
«nouveaux pieds-noirs» ou à des
«généraux harkis» (ayant déserté
l'armée française avant 1962 pour noyauter l'armée
algérienne). [De leur côté,] les adversaires des islamistes
(...) dénonçaient les terroristes islamistes comme d'anciens
«harkis» ou des fils de harkis désireux de venger leurs
pères massacrés en 1962. Accusation formulée notamment par
le ministre de l'Intérieur Abderrahmane Méziane le 1er
novembre 1994 («des fils de harkis que l'histoire a jugés et
condamnés à jamais») »975(*).
Ainsi, d'un côté, les hiérarques du
régime et autres partisans du statu quo ont-ils, dès les
premiers mois du conflit (et sous l'impulsion notable dudit ministre de
l'Intérieur, Abderrahmane Méziane-Chérif),
identifié les islamistes armés à « des forces
rétrogrades inféodées aux harkis »976(*). La presse, semble-t-il,
s'est fait complaisamment l'écho de ces rumeurs, jusque et y compris la
presse réputée "indépendante". On peut lire dans
l'édition du 31 octobre 1993 du journal El Watan que
« c'est dans certaines mosquées de la capitale
française et dans d'autres situées dans les concentrations de
harkis du sud de la France (Aix-en-Provence par exemple) que le
prosélytisme de l'ex-FIS agit le plus »977(*). Puis à la une de
l'édition du 6 janvier 1994 : « Assassinat des
Croates : encore des harkis ! »978(*). A nouveau, dans son
édition du 1er mars 1994, ce même journal
présente Djaffar el Afghani, émir du GIA de septembre 1993
à février 1994, comme un fils de harki qui aurait vécu
à Nice jusqu'en 1977, de même que l'émir de l'Ouest, Kada
Benchiha979(*). Le 28
août 1994, un nouvel article publié dans El Watan donne
une liste de personnes interpellées et précise que l'une d'entre
elles, « ayant demeuré à Laghouat, fils
d'Harki, est toujours recherchée »980(*). Dans une interview
donnée - sous couvert d'anonymat - à la revue Politique
internationale au printemps 1998, un officier algérien de haut rang
(le « général X ») assimilait formellement
les membres des Groupes islamistes armés (GIA) à « des
enfants de harkis [qui] viennent de France pour tuer des moudjahidin au nom du
GIA et [qui] cherchent à venger leurs traîtres de
pères »981(*). Et il ajoute : « Ce qui est
intéressant, c'est que bien souvent les villages qui soutiennent les GIA
sont ceux où habitent encore des harkis, qui ont trahi l'Algérie
au profit de la France. Il arrive même que des enfants de harkis tuent
d'anciens moudjahidin de la guerre de libération par pure
vengeance ». Plus loin, à nouveau : « Nous
avons identifié des éléments égyptiens, soudanais,
tunisiens, libyens et marocains. Mais la plupart des terroristes
étrangers viennent de France. Il s'agit de beurs et d'enfants de harkis
devenus citoyens français ». Déjà, au cours de
la campagne électorale précédant les élections
présidentielles du 16 novembre 1995, le général-candidat
Liamine Zéroual, faisant référence aux violences qui
meurtrissent encore aujourd'hui l'Algérie (mais sans étayer le
moins du monde ses allégations), avait déclaré que
« la plupart des criminels et des mercenaires sont des harkis ou des
fils de harkis, soutenus et financés par des puissances
étrangères, et qui ont choisi la destruction de leur
pays »982(*).
Pour Guy Pervillé, « la présence de
harkis ou de fils de harkis parmi les islamistes peut être admise
provisoirement en tant qu'hypothèse, sous réserve de
procéder à un inventaire minutieux des cas individuels et de leur
représentativité ; mais elle ne saurait fournir une
explication globale de l'apparition de l'islamisme et du terrorisme islamiste
en Algérie ». Et il ajoute, prenant à revers la lecture
des cartes faites par le « général X » :
« D'ailleurs, le premier groupe islamiste armé a
été fondé en 1982 par un ancien maquisard de la wilaya IV,
Mustapha Bouyali. Les cartes de l'implantation des GIA, héritiers de
Bouyali, recouvrement exactement l'ancien territoire de cette wilaya. Ainsi,
l'identification des terroristes islamistes aux harkis et fils de harkis
détourne l'attention des véritables
responsabilités »983(*).
D'un autre côté, la mouvance islamiste radicale
accuse les élites en place d'être « des fourbes ou des
harkis qui raffolent du pain trempé dans l'humiliation imposée
par certains cercles français »984(*). Benjamin Stora note que
« les islamistes «rejouent» eux aussi la guerre ancienne en
voulant capter son héritage de mémoires. L'éditorial
d'El Mounqid, le journal du FIS, en avril 1994, insiste sur la
continuité entre les deux séquences (guerre
d'indépendance, et période ouverte par l'interruption du
processus électoral en janvier 1992) »985(*). Dans une lettre de l'AIS
aux «anciens moudjahidin», cette organisation affirme aux
intéressés : « Nous ne sommes pas contre vous
comme veulent vous faire croire les médias, à la solde du
pouvoir, qui sont mus et animés par les communistes, les fils de harkis
et caïds. (...) Notre devoir islamique de conseil nous impose de vous
ouvrir les yeux sur l'énorme complot qui se trame contre vous, parce que
vous êtes le symbole d'une révolution bénie qui
représente toujours un exemple aux révoltés contre
l'oppression et l'orgueil... Notre djihâd est la suite logique du
vôtre. Notre sang qui coule est la continuation du
vôtre »986(*). Ainsi, comme le souligne Luis Martinez,
« la stratégie de mobilisation du GIA tient aussi à
l'utilisation remarquable du sentiment, très vivace en
Algérie, d'être persécuté par la communauté
internationale. Loin d'enfermer son combat dans le cadre du territoire, il
élabore une construction de l'ennemi éminemment efficace :
la France, le «juif», l' «apostat» constituent les
principaux responsables des malheurs de
l'Algérie »987(*). En 1995, l'instance exécutive du FIS
à l'étranger n'hésitait d'ailleurs pas à
présenter les islamistes armés comme les nouveaux hérauts
du tiers-mondisme : « Nous avertissons toutes les associations
et personnes qui ont choisi de s'opposer au peuple dans son djihâd
contre les forces de spoliation et d'occidentalisation mues par une bande de
militaires francomanes. Sachez qu'ils ont misé sur un cheval
boiteux car le mouvement de l'histoire est toujours en phase avec les peuples
opprimés »988(*).
De même, les tenants de la mouvance arabisante, mouvance
conservatrice qui se situe en lisière de la mouvance islamiste radicale,
attribuent-ils - tel Si Othmane989(*) - l'origine de la crise en Algérie aux
« déserteurs de l'armée française qui gouvernent
[ce pays] depuis 1962 », mais encore à « la
troisième force «gaullienne» qui gouverne l'Algérie
depuis 1962 et [à] son corollaire, la langue
française »990(*). Il désigne nommément « les
généraux Lamari, Touati et Nezzar »,
« «collaborateurs» algériens de la France
formés dans les écoles de Lacoste et de Gaulle, les
SFJA991(*) et
l'armée française »992(*). Et il ajoute, à propos de son ouvrage
intitulé L'Algérie, l'origine de la crise, publié
en 1996 : « Ce livre tente de montrer comment la France a,
durant la première guerre d'Algérie (1954/1962),
préparé cette masse de collaborateurs de plus de 300.000 hommes
afin qu'ils servent, dans l'Algérie indépendante, ses
intérêts et maintiennent une présence permanente de la
France en Algérie et toute l'Afrique francophone »993(*).
Il n'est pas jusqu'à Benyoucef Ben Khedda, dernier
président en exercice du Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA), et figure de la mouvance
« arabo-islamisante » modérée (il a
créé en 1989 un éphémère parti
intitulé El Oumma), de reprocher à ses successeurs
d'avoir favorisé l'emprise des Algériens francophones sur
l'appareil d'État algérien. Et l'intéressé
d'assimiler ceux qui ont soutenu le coup de force de janvier 1992 à des
« ennemis de la culture arabo-islamique »994(*). Et il ajoute :
« des Algériens francophones, et surtout francophiles,
occupent des postes-clefs dans les secteurs stratégiques de
l'État. C'est une minorité qui cherche à défendre
ses privilèges face au courant islamique majoritaire, à l'image
des Pieds-noirs sous la colonisation française »995(*).
Quant à l'esprit de fronde dont se réclament les
officiers dissidents du M.A.O.L.
(Mouvement
Algérien des Officiers Libres), il semble peu à même
d'inaugurer une ère de plus grande transparence qui verrait, en
même temps que la redéfinition des rapports entre l'institution
militaire et les instances politiques, une interrogation lucide du
passé. En effet, pour virulents que soient les termes de la
polémique, ils participent d'une homologie structurale flagrante (et non
d'une rupture épistémologique) avec les canons de la propagande
d'État. Ainsi, quoiqu'il préconise « la convocation
d'une conférence nationale pour la vérité et la
réconciliation [sur le modèle sud-africain ?] » et
qu'il considère que « la crise [ouverte en 1992] ne peut
trouver une solution par des "semblants" d'accords mais par la recherche de
compromis »996(*), le M.A.O.L. n'use, pour fustiger les caciques de
l'A.N.P., d'autre registre polémique que celui de la thématique
« harkie » : les principaux chefs de l'A.N.P. seraient
des « nouveaux harkis » dont l'avènement
« reconduit [l'Algérie] à l'heure de
l'occupation »997(*), des « généraux
harkis » ou des « traîtres harkis » qui ne
représentent que « le retour rampant au colonisateur
d'hier »998(*)
et que l' « on n'ose même pas associer à la race
humaine »999(*), ou encore « des harkis algériens
[qui] ont utilisé la solution finale contre de braves Algériens,
hommes et femmes »1000(*). Usant des mêmes schèmes attentatoires
que les caciques de l'A.N.P. (« parti de la France »,
« anciens et nouveaux harkis », etc.), mais aux
dépends de ces derniers, les officiers du M.A.O.L. considèrent
qu'il n'est besoin, pour discerner l'origine des maux dont souffre actuellement
l'Algérie, que de scruter l'horizon outre-Méditerranée
tout en jetant un oeil dans le "rétroviseur" :
« Actuellement, à tous les niveaux sensibles du commandement
de l'armée nationale populaire, on retrouve obligatoirement un ou
plusieurs militaires français qui dirigent et guident les
généraux sur le sentier de la trahison, comme le faisaient
d'ailleurs leurs pères trente-cinq ans auparavant »1001(*).
De même, quoiqu'en des termes moins virulents, l'auteur
de La sale guerre Habib Souaïdia - pourtant réfugié
en France - pointe lui aussi la main de l'étranger (et de la France en
particulier) dans les malheurs actuels de l'Algérie. L'ancien officier
des forces spéciales de l'ANP croit savoir pourquoi les élites
militaires de son pays s'y comportent en « assassins » et
en « mafieux » : « Les responsables [du
drame de l'Algérie], ce sont les généraux à la
tête de notre Armée nationale populaire, qui ont toujours
violé sa devise : «La nation : devoir et sacrifice».
Plusieurs d'entre eux sont des ex-officiers de l'armée française,
qui n'ont déserté que dans les derniers mois de la guerre de
libération et qui n'ont apporté à l'armée et
à l'Algérie que la destruction et le
malheur »1002(*). Et il ajoute : « La France les a
toujours aidés discrètement, en leur vendant des armes, en
formant des éléments du DRS, sans parler du blanchiment des
centaines de millions de dollars détournés par les
généraux avec la complicité de banques françaises
(mais aussi suisses et autres). Il faut dire que les liens avec la France des
généraux criminels sont nombreux et anciens. Certains d'entre
eux, comme Mohamed Lamari et Fodhil Chérif, ont fait l'école de
guerre à Paris. Il n'est pas surprenant qu'ils utilisent les mêmes
sales méthodes (tortures, massacres, napalm, manipulations et
intoxications en tout genre...) que celle de l'armée française
contre le peuple algérien pendant la guerre de
libération »1003(*). Il est noter que la publication de ce livre avait
amené le général Nezzar à porter plainte en
diffamation, en France, contre Habib Souaïdia et son éditeur,
démarche dont il avait été débouté au
début de l'automne 2002. Dans son livre-plaidoyer, Un procès
pour la vérité, l'armée algérienne face à la
désinformation (Éditions ANEP, Alger, 2002), Khaled Nezzar
justifia sa démarche par son refus de « continuer à
subir les accusations et les anathèmes à partir du territoire
français sans oser apparaître là-bas pour aller une bonne
fois pour toutes au fond des choses », tout en regrettant de ne
pouvoir « tenir un procès en Algérie contre
Souaïdia pour éviter de prêter le flanc aux gardiens
vigilants du dogme, ces faux dévots de la révolution pure et dure
qui, quarante ans après, débusquent le harki derrière
chaque buisson ». Du reste, le "contre-feu" véhiculé
par certains médias algériens consistera simplement - sous
caution "d'expertise" clinique - à renverser les termes de l'accusation
en assimilant à son tour Habib Souaïdia à un
« fils de harki ». Une dépêche
d'Algérie Presse Service en date du 25 février 2002 rapporte
ainsi que « le journal Horizons [qui entend
« s'inscrire résolument dans une ligne qui oeuvre à la
pérennité de la République et de l'Etat
algérien »1004(*)] est allé interroger un psychologue qui
déclare que Habib Souaïdia a une personnalité
«tourmentée» et souffre d'un «trouble de la
généalogie», car paraît-il fils de harki,
héritant de la "tare du père», c'est-à-dire de
«la transgression des règles tacites de la communauté
d'appartenance» et donc de «la culpabilité qui en
découle» »1005(*).
Dans tous les cas, la clé de voûte de ces
« étiquettes infamantes, employées comme des armes
polémiques et sans souci de la vérité
historique »1006(*), est la dénonciation du « parti de
la France » (Hizb França). Autrement dit, cette
idée déjà évoquée, et si largement
ancrée et partagée, que les ruptures politiques en Algérie
ne peuvent être le fruit de contradictions internes à la
société algérienne, mais nécessairement la
résultante d'un complot ourdi de l'extérieur : (1) cette
idée, donc, s'agissant des cercles dirigeants en Algérie, que
toute remise en cause fondamentale du système politique tel qu'il a
été configuré en 1962 et qui ne serait pas la
résultante d'une réforme impulsée par le pouvoir
lui-même1007(*)
doit être "naturellement" considérée non comme le fruit du
jeu normal des institutions démocratiques mais comme un acte de guerre.
Et traitée en conséquence1008(*) ; et (2) s'agissant de la mouvance islamiste,
qui entend non pas se poser contre mais mener à son terme la guerre de
"libération" entreprise en 1954 (les intéressés se
décrivent d'ailleurs comme les « nouveaux
moudjahidin »), cette idée que les impasses du
système politique en place ne peuvent être des impasses proprement
algériennes, liées notamment à la politique de "table
rase" opérée par rapport à la période coloniale,
mais, à l'inverse, l'indice de ce que les élites en place
seraient encore profondément inféodées à la culture
occidentale et au « parti de la France ». Ali Benhadj,
ancien leader du FIS et lui-même fils de moudjahid (aujourd'hui
libéré mais sous le coup d'une interdiction d'exercer toute
activité politique) : « Si mon père et ses
frères ont expulsé physiquement la France oppressive de
l'Algérie, moi, je me consacre avec mes frères, avec les armes de
la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement, et
à en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait
vénéneux »1009(*).
Ainsi, comme le souligne Henry Rousso, « la position
que l'on a par rapport à la France est l'un des éléments
cruciaux du débat politique en Algérie »1010(*). Nous l'avons vu, ces
cadres de pensée, qui découlent du dogme de l'Unité, donc
de l'exclusivisme politique, identitaire et confessionnel du FLN/ALN pendant la
guerre de « libération », ne sont ni nouveaux ni
spécifiques de l'affrontement entre le pouvoir et les islamistes
armés puisque ces mêmes qualificatifs avaient
précédemment servi - en dépit de
l'incommensurabilité relative des enjeux - de clefs de lecture des
événements survenus en 1980 au cours du « Printemps
kabyle ». A cette occasion, en effet, le ministre de l'enseignement
supérieur alors en place, Abdelhak Brerhi, dénonça
« les harkis qui ont brûlé le drapeau national à
Oued Amizour »1011(*). De même, quelques années plus tard,
à la suite de la création de la Ligue algérienne des
droits de l'homme par des militants du mouvement culturel berbère, en
juin 1985, le président Chadli déclara que « le recours
à la tromperie sous le couvert des droits de l'homme n'est en fait qu'un
prétexte pour la création d'un parti politique servant les
intérêts des ennemis de l'Algérie »1012(*). Il ajouta :
« D'autres groupes se font les champions du berbérisme et
là, je me demande qui est berbère et qui ne l'est pas dans ce
pays. Nous rejetons catégoriquement ce terme qui nous a
été accolé autrefois. Cette rengaine procède en
réalité de mentalités rétrogrades,
exacerbées par le colonialisme, au moyen de la politique du
«diviser pour régner». L'Algérie est une, et il m'a
déjà été donné de dire que je suis un
Algérien que l'islam a arabisé. J'y crois et j'en suis fier.
(...) L'objectif recherché est donc de tenter de diviser la
Nation »1013(*). Signe tangible du caractère structurant de
l'antienne de la trahison dans le débat politique algérien, les
mêmes schèmes de lecture et d'accusation seront mobilisés
par le pouvoir pour rendre compte du Printemps noir (2001), vingt et un ans
après le Printemps berbère. D'un président (Chadli
Bendjedid) l'autre (Abdelaziz Bouteflika), l'on continue à
dénoncer « un complot extérieur et intérieur
visant à diviser le peuple algérien » (Abdelaziz
Bouteflika, cité par El Moudjahid du 20 juin 2001). C'est
également ainsi que sont interprétés les
événements aux échelons subalternes puisque, selon
l'édition du quotidien Liberté du même jour,
« les gendarmes ont même insulté en termes très
vulgaires (sic) les citoyens de Tizi-Ouzou : «Ouled
França, ouled el harka, makache el amazighia» (fils de la France,
fils de harkis, pas de Tamazight) ».
Sans surprise, ces anathèmes participent
également des luttes d'influence au sein même du
système. Ainsi en va-t-il des accusations lancées par Ali
Kafi, qui avait été désigné président du
Haut Comité d'État (HCE), conseil exécutif ad hoc
mis en place après l'interruption du processus électoral en 1992,
à l'encontre du général Khaled Nezzar, aujourd'hui en
retraite et alors principal orchestrateur de ladite interruption. Ali Kafi -
dont Mohammed Harbi dit qu'il est de « formation
arabophone » et qu'il considère l'Algérie comme
étant « de formation arabe et musulmane »1014(*) - avait accusé le
général Nezzar de conduire un double jeu depuis qu'il avait
déserté l'armée française au moment de la guerre
d'indépendance : selon Ali Kafi, Nezzar aurait en fait servi
à infiltrer l'ALN puis l'ANP pour le compte de la France. Ce genre
d'anathèmes, qui visent à expliquer les difficultés
actuelles de l'Algérie par la qualité d'anciens déserteurs
de l'armée française (« D.A.F. ») d'une
grande partie des élites militaires actuelles (dont le chef
d'État-major, Mohamed Lamari), ont valeur de sens commun - nous l'avons
vu - au sein de la mouvance arabisante/islamisante. Tout aussi
intéressante, en l'occurrence, fut la réaction du
général Nezzar, au cours d'une conférence de presse
expressément convoquée en réponse à ces attaques.
De fait, plutôt que d'en souligner le caractère
démagogique, Khaled Nezzar s'est ému qu'on ait pu l'assimiler
à un « harki », ce qu'il considère être
« une grave accusation et une insulte » :
« Il [Ali Kafi] a touché à ma dignité en tant
que responsable politique et en tant que citoyen. Ali Kafi a voulu dire au
peuple algérien qu'un de ses dirigeants était un harki. Ce qui
est une grave manipulation » 1015(*). En somme, loin de remettre en cause l'existence
d'une "cinquième colonne" pro-française, khaled Nezzar,
cautionnant l'idée, se défend simplement d'y être
lié.
Plus loin dans le temps, Ahmed Rouadjia rappelle que
« le président Houari Boumediene n'hésitait pas
à dresser les anciens moudjahidin contre les officiers
démissionnaires de l'armée française qui pouvaient se
montrer irrévérencieux ou récalcitrants, ou à
exhumer lui-même leur passé de
«collaborateurs» »1016(*). De même, Guy Pervillé rapporte qu'en
mars 1988, à l'occasion du 4ème séminaire des
Anciens moudjahidin sur l'écriture de l'histoire, trois anciens
officiers de l'ALN - dont le colonel Amar Benaouda, déjà
cité, qui a notamment pris part aux négociations d'Evian, puis a
présidé la commission chargée d'instruire les accusations
de prévarication portées à l'encontre d'Abdelaziz
Bouteflika au moment où débutait sa courte période de
disgrâce (1981-1987) - « ont appelé les «anciens
moudjahidin» à se mobiliser contre «l'ennemi
séculaire de notre peuple qui, vingt-cinq ans après
l'indépendance, n'a pas encore abandonné l'espoir de nous
soumettre à nouveau par Algériens interposés»,
«la France qui ne renoncera jamais à regagner une guerre qu'elle
n'a perdu que militairement» (sic), «par
l'intermédiaire d'anciens ou de nouveaux harkis, présents dans
les rangs de l'Etat», car il existerait encore des Algériens
«profondément français dans leur
tête» »1017(*).
Plus récemment, au cours de la campagne
présidentielle de 2004, le député FLN pro-Bouteflika,
Abdelwahid Bouabdallah, soucieux de décrédibiliser Ali Benflis,
secrétaire général de ce même parti et "concurrent"
d'Abdelaziz Bouteflika dans la course à l'investiture suprême,
avait affirmé au journal El Youm avoir identifié au
comité central du FLN, du fait de la gestion d'Ali Benflis, des
« fils de harki et de caïd ». Quant au chef du petit
parti ultranationaliste "Ahd-54", Ali Fawzi Rebaïne, membre
Fondateur de l'Association des fils et fille de Chahid de la wilaya
d'Alger, il prônait, durant cette même campagne, le
« retour aux sources » de la guerre d'Algérie et la
chasse aux « traîtres » et aux
« corrompus », appelant à « sanctionner
les harkis ou fils de harkis ayant accédé au pouvoir depuis
1962 », mais encore à « débusquer et chasser
les harkis «squattant» des postes de responsabilité au sein
des institutions », martelant qu' « aucun harki ou
fils de harki ne peut en aucun cas avoir droit à des postes de
responsabilité sensibles au niveau de
l'État »1018(*).
A ces intrigues touchant les élites politiques
nationales, il faut ajouter les luttes d'influences locales, à des
niveaux parfois très subalternes du système
politico-administratif. Le cas d'espèce rapporté ci-dessous est
illustratif de cette imprégnation des jeux d'influence, à quelque
niveau que ce soit, par les usages de la figure de l'ennemi intérieur,
mais encore du rôle de "caisse de résonance" joué par la
grand presse, y compris celle qui se définit - et est
généralement considérée - comme
"indépendante" en Algérie. Ainsi, le quotidien El Watan,
dans son édition du 9 janvier 2006, se fait le relais d'une campagne de
dénigrement prenant des allures de "chasse aux sorcières"
à l'encontre de l'un des candidats à la chambre de commerce
Seybouse-Annaba. Le ton est inquisiteur et sans appel, comme en témoigne
ce long extrait :
« Dans le lot des candidats de la CCI
Seybouse-Annaba figure l'ancien président Zekri Brahim. Il avait
été limogé de ce poste à la suite de nombreux
scandales dont celui de l'établissement de visas au profit de faux
commerçants moyennant contrepartie financière. Egalement parce
qu'il a été prouvé qu'il s'agit d'un ancien
supplétif de l'armée française : Service d'action
sociale (SAS) [NDA : entendre "sections administratives
spécialisées"] durant la guerre de libération et agent des
services de renseignements français en Algérie. Ce qu'indique du
reste l'attestation de travail établie et signée le 23 août
1960 par le sinistre lieutenant colonel Gabriel Bigeard (sic). Durant
la guerre de libération, Bigeart (sic) était un
tortionnaire auteur de nombreux assassinats de moudjahidin dont celui
du martyr de la révolution Larbi Ben M'hidi. Ayant qualité
d'attaché médico-social, Zekri Brahim assistait les tortionnaires
de l'armée française d'occupation (il l'avait lui-même
reconnu devant les magistrats lors d'une audience du tribunal correctionnel de
Annaba où il s'était présenté en victime de
diffamation contre un journaliste). Au lendemain de l'indépendance, il
avait réussi à tromper ou à corrompre les
différents services chargés des enquêtes d'habilitation.
Elu président de l'union des commerçants de Annaba, ce harki
noyauta les organisations et associations civiles. Ce qui lui avait permis de
côtoyer les responsables locaux et nationaux dont des walis et des
ministres. Ce dont il profita pour se faire désigner membre de la
direction exécutive de wilaya. Cette situation donna un plus à
son arrogance en tout lieu et à tout moment, y compris devant de hautes
personnalités de l'Etat lors des visites officielles.
« Considérez Monsieur l'ambassadeur que vous avez en moi,
président de la CCI Seybouse, un compatriote », avait-il
affirmé publiquement, toute honte bue, à un ancien ambassadeur de
France en Algérie lors d'une réunion de travail tenue au
siège de la CCI Seybouse. La longue investigation du
journaliste qu'il avait poursuivi en justice mettra fin à ses
agissements. La mission réelle en Algérie de ce triste sire
fut ainsi dévoilée à l'opinion publique lors du
procès. (...) La présentation par le journaliste au magistrat de
la carte d'assurance sociale précisant sa fonction de supplétif
SAS durant la guerre de libération, son attestation de travail
signée par le Lt colonel Gabriel Bigeard (sic) et la liste des
collaborateurs de l'armée française établie par le
ministère algérien de la Justice soulignant que Zekri Brahim et
son frère Abdallah avaient porté atteinte à la lutte de
Libération nationale mirent fin à ses gesticulations. Le
journaliste exhiba également deux lettres adressées en 1996 par
Mustafa Benmansour (wali de Annaba à l'époque) au ministre de la
Défense nationale et au ministère de l'Intérieur. Dans ces
deux correspondances, le wali signalait que Zekri Brahim membre de la DEW avait
volé des documents confidentiels du cabinet de la wilaya pour les
remettre aux services de renseignements d'une puissance
étrangère. Entre autres preuves accablantes quant
à la collaboration de Zekri Brahim avec l'armée coloniale, le
même journaliste présenta la décision du ministère
algérien et une correspondance des services de l'APC datée du 13
octobre 2002 de Annaba soulignant toutes deux que Zekri Brahim et son
frère Abdallah sont déchus de leurs droits
civiques »1019(*).
Ainsi, en Algérie, la figure du harki est une figure de
rhétorique dont l'usage - on ne peut plus commun et diffus - revêt
à la fois une vertu dilatoire - reliant à des
ramifications extérieures les difficultés qui trouvent leur
source en interne - et attentatoire, visant à assimiler toute
opposition, d'où qu'elle vienne, à une trahison (l'adversaire
comme "cinquième colonne"). Cette rémanence et cette
réversibilité des usages de la figure du harki montrent combien,
dans ce pays, le politique se nourrit, encore et toujours, de
« l'illusion de rejouer la guerre de
libération »1020(*). Pour autant, nous verrons que s'expriment - par
différents canaux - des gestes anticonformistes en Algérie,
à la fois s'agissant de la «morale» à tirer de
l'histoire de la guerre d'indépendance en général, et des
jugements à porter sur les supplétifs musulmans de l'armée
française en particulier.
B. Le harki retrouvé ? Les chemins de
traverse de la mémoire collective
En dépit de l'instauration - à bien des
égards formelle - du multipartisme en 1989, la geste officielle de la
guerre de "libération" n'a subi que peu d'inflexions ces
dernières années. Et, ainsi que le souligne Guy Pervillé,
« le véritable «parti de la France» qui s'exprime de
plus en plus ouvertement en présence des journalistes étrangers,
n'a pas le droit de s'exprimer légalement. En effet, la Constitution du
23 février 1989, qui a libéralisé le régime
politique algérien en reconnaissant les libertés publiques et le
droit des citoyens à choisir leurs représentants entre les
candidats de plusieurs partis, a interdit par plusieurs de ses articles toute
remise en cause des «valeurs de novembre» aussi bien que de l'islam.
Et aucune force politique organisée ne peut ni ne veut prendre le risque
d'abandonner le patrimoine moral des combattants de la guerre de
libération, arme idéologique décisive, à ses
concurrents et adversaires. Bien au contraire, elles rivalisent dans une
surenchère patriotique de revendications de repentance adressées
à la France pour tous les crimes qu'elle a commis en Algérie de
1830 à 1962 »1021(*). De fait, la vision consacrée de la guerre
d'indépendance, héritée du parti-Etat FLN, est aussi,
d'une certaine manière, une vision "obligée" : il est en
effet difficile d'y manquer sans s'exposer aux foudres de la Loi. Ainsi, la
Constitution de 1996 (modifiant celle de 1989), actuellement en vigueur en
Algérie, énonce toute une série de dispositions visant
à sanctionner « les pratiques contraires à la morale
islamique et aux valeurs de la Révolution de Novembre »
(article 9). Le droit de créer des partis « ne peut être
invoqué pour attenter aux valeurs et aux composantes fondamentales de
l'identité nationale », et « toute obédience
des partis politiques, sous quelle que forme que ce soit, à des
intérêts ou parties étrangers, est proscrite »
(article 42). L'article 61 énonce que « la trahison,
l'espionnage, le passage à l'ennemi (...) sont réprimés
avec toute la rigueur de la loi », tandis que l'article 62
« garantit le respect des symboles de la Révolution, la
mémoire des chouhada et la dignité de leurs ayants
droits et des moudjahidine ». Enfin, et cela a
déjà été dit, l'accès à la fonction
présidentielle est étroitement verrouillé par l'article 73
qui énonce entre autres conditions que le candidat doit
« jouir uniquement de la nationalité algérienne
d'origine », « être de confession
musulmane », « attester de la nationalité
algérienne du conjoint », « justifier de la
participation à la Révolution du 1er Novembre 1954
pour les candidats nés avant juillet 1942 » et
« justifier de la non implication des parents du candidat né
après juillet 1942, dans des actes hostiles à la
Révolution du 1er Novembre 1954 »1022(*).
Ce n'est donc pas sans audace que Maître Ali Yahia
Abdenour, président d'honneur de la Ligue algérienne des droits
de l'homme, déclarait en 2000 dans un article publié par le
Jeune Indépendant, en pleine résurgence du débat
sur la torture en France, que « la révolution
algérienne a également eu sa part d'exactions »,
précisant que « près de trois mille cadres de l'ALN ont
été torturés, puis exécutés dans les maquis
dans l'affaire de la «bleuite» [NDA : opération
d'intoxication des services spéciaux français] »,
tandis que « les assassinats de dizaines de milliers de harkis ont eu
lieu parce que l'ALN était assurée d'une parfaite
impunité »1023(*). Un discours, il faut le noter, qui,
désignant explicitement l'ALN, rompt sensiblement avec l'incrimination
générique des "marsiens" officiellement en cours en
Algérie à cet égard (voir la Partie 1 et la Partie 4).
Cependant, quelques années plus tard, et comme s'il était
impératif d'atténuer d'une manière ou d'une autre la
portée de telles dénonciations, il se défiera publiquement
de vouloir établir quelque parallèle que ce soit avec les
violences perpétrées par la partie française :
« Il est vrai que le FLN a les mains tachées de sang, que des
victimes innocentes ont été immolées, mais dans une
proportion minime par rapport aux massacres opérés par
l'armée française, les milices des colons, l'OAS et les harkis,
contre le peuple algérien »1024(*).
Cependant, dans un contexte où la parole publique est
en tout ou partie muselée, et s'agissant d'une thématique dont
l'abord n'est ni anecdotique ni anodin en Algérie1025(*), l'efficace sociale d'une
représentation ne se mesure pas seulement à l'aune de sa
propension à être reprise, diffusée et commentée
publiquement, mais aussi de sa propension à faire sens pour tout un
chacun, intimement. Car la vision officielle, même (apparemment)
hégémonique dans l'espace public, ne saurait à elle seule
traduire la diversité des représentations
véhiculées, de manière plus ou moins souterraine, par les
différents segments de l'opinion algérienne à propos de la
guerre d'indépendance en général, des anciens harkis en
particulier. Valérie-Barbara Rosoux souligne que
« l'hégémonie de l'acteur politique qui dépeint
l'historiquement correct n'est jamais totale », « la mise
en scène officielle du passé ne [pouvant] complètement
venir à bout de la transmission discrète mais efficace d'une
«mémoire souterraine» »1026(*). « Cette
résistance, ajoute-t-elle, varie essentiellement en fonction de trois
facteurs, non exclusifs l'un de l'autre : la plus ou moins grande
fidélité de l'interprétation officielle de la
réalité du passé (1) ; le niveau de correspondance
avec les attentes de la population (2) et le degré de
légitimité du commémorateur (3) ».
A cet égard (le rapport à
l'hégémonie), Jean Leca disait percevoir - dans une intervention
faite le 18 mars 2002 dans le cadre d'un colloque organisé par la
Fondation pour la Recherche Stratégique - une évolution sensible
des formes d'articulation du discours politique ainsi que des registres
d'imputabilité, tendant à une autonomisation des
sociétés civiles dans les pays du Maghreb, en Algérie en
particulier : « Sur le rapport à
l'hégémonie, ce qui m'a frappé c'est l'émergence
d'une société civile dans les pays du Maghreb au cours des dix
dernières années. Dans une certaine mesure, ces
sociétés civiles qui adressent à l'État un discours
très critique - et c'est d'autant plus vrai en
Algérie -, ont pour effet justement d'atténuer ce discours
du rapport à l'hégémonie : l'explication
française des maux en Algérie commence à s'atténuer
par rapport à l'explication interne. Cela construit un discours
politique beaucoup plus crédible que celui qu'on avait sur les vingt
années qui ont suivi l'indépendance. On retrouve certes les
relents «il y a toujours un harki quelque part», «il y a
toujours le parti de la France», mais il reste que dans cette
société civile d'aujourd'hui, la responsabilité
première de la crise est d'abord et avant tout mise sur les
élites qui ont géré le pays depuis vingt ans. Donc le
rapport à cette hégémonie fantomatique française a
tendance à se résorber »1027(*).
En octobre 2004, un sondage CSA-RTL-Le Monde
réalisé en Algérie et en France par Hervé Gattegno
et Philippe Le Coeur, témoignait semble-t-il d'un tel
frémissement de l'opinion algérienne. D'après les
résultats de ce sondage, 31% des Algériens (contre 57%)
estimaient que « la France a beaucoup apporté à
l'Algérie », et 29% (contre 44%) qu' « [elle]
s'est mal comportée à l'égard des harkis ».
Cependant, ce sondage ne disait rien de ce que les Algériens pensaient
de la manière dont l'Algérie s'était
comportée à l'égard des harkis. La question -
était-ce le fruit du hasard ? - n'avait pas été
posée1028(*).
À défaut d'avoir pu mener directement sur place
des enquêtes fines, localisées et individualisées (via des
entretiens semi-directifs, par exemple), il m'a fallu entreprendre d'approcher
ces expressions tierces par une voie indirecte. Outre des obstacles
matériels difficilement surmontables pour moi (l'inconnue
sécuritaire étant redoublée par l'absence de relais
familiaux ou amicaux), on peut légitimement se demander, dans le
contexte qui est présentement celui de l'Algérie, si mon statut
de
"jeune-chercheur-français-venant-enquêter-sur-la-question-des-harkis"
n'eût pas été producteur de biais importants. À tout
le moins, cela eût certainement contribué à ce que je sois
en butte à de fortes résistances de la part de mes
interlocuteurs, autant sans doute en raison de la pression du milieu social que
de ma propre personne. Le facteur personnel n'en reste pas moins
potentiellement important puisque le fait d'être jeune, d'être
chercheur et d'être français sont autant d'obstacles potentiels
à l'établissement d'une communication directe
véritablement libre et sereine sur ces questions. Seule une
enquête au long cours sur place eût sans doute permis de vaincre
progressivement ces résistances. Ce qui, sans l'appui (et la protection)
d'un réseau de connaissances personnelles, n'est pas chose aisée
dans l'Algérie des années 1990 et 2000.
Dès lors, à quelles sources s'en remettre pour
capter les expressions anticonformistes et/ou souterraines à propos de
la guerre d'indépendance (et notamment des harkis) si, par
définition, elles sont rétives à s'exprimer
publiquement ? Outre certains ouvrages et articles savants, qui peuvent
effleurer la question sans en faire leur objet premier, ont été
sollicités :
- les forums de discussion qui garantissent l'anonymat (y
compris l'invisibilité) de ceux qui s'y expriment, tels les forums qui
se sont multipliés ces dernières années sur Internet.
Certes, ces forums, s'ils ont l'avantage de libérer la parole des
intervenants (de tous les intervenants), sont aussi potentiellement des lieux
de manipulation et de provocation. En outre, du fait de la
spécificité (et de la relative rareté en Algérie)
du média utilisé, à savoir Internet, certains avis ont
certainement tendance à être surreprésentés.
Dès lors, ce n'est ni la représentativité statistique ni
l'exhaustivité qu'il faut ici viser, mais plus modestement l'expression
d'une certaine diversité, d'une certaine
« altérité » au regard des expressions
conformistes ;
- des monographies qui appréhendent l'opinion
algérienne - ou, plutôt, les opinions algériennes - de
manière très localisée, via des études de terrain
au long cours tablant prioritairement sur le recueil de récits de vie.
Ces travaux dits qualitatifs, parfois conduits par des familiers des
enquêtés, ou qui prennent le temps de le devenir, évitent
généralement les biais inhérents aux interviews conduites
"en coup de vent" par des intervenants totalement extérieurs (et qui le
resteront), à savoir l'expression d'une parole convenue (et ce d'autant
plus si le sujet abordé revêt une charge dramatique et/ou
polémique) ;
- certaines chroniques journalistiques (de type
"contre-enquêtes") qui, bien qu'elles soient elles aussi
concernées par les écueils méthodologiques
précédemment mentionnés, peuvent, sous certaines
conditions (et sous couvert d'anonymat pour les sources),
délibérément viser à susciter/relayer les
expressions tierces.
? La ventilation des opinions dans quelques
forums de discussion
Un débat lancé en mars 2002 sur le
« forum du souk » (www.medito.com), dont l'accroche
était « Pour ou contre le retour des harkis au
bled ? », a suscité de nombreuses réactions,
échelonnées sur près d'une année et
réparties entre 70 intervenants (Algériens d'Algérie,
Algériens de France et Français originaires d'Algérie,
enfants d'immigrés ou de harkis). On peut classer ces réactions
en trois catégories : 1) ceux qui, dans la droite ligne de la
représentation officielle du passé (et en des termes parfois
beaucoup plus virulents), se refusent absolument à envisager que les
anciens harkis puissent de nouveau fouler le sol algérien ; 2) ceux
qui souhaitent tourner la page et seraient prêts à accueillir les
anciens harkis sans pour autant cautionner leur engagement ; 3) ceux qui
estiment que l'on n'a pas à juger du choix des harkis, choix respectable
et, à certains égards, compréhensible. Sans surprise, la
première catégorie est la mieux représentée (33
intervenants, soit 47,14% de l'ensemble). La deuxième catégorie,
en rupture relative avec la ligne officielle, rassemble près d'un tiers
des intervenants (22 personnes, soit 31,43% des intervenants) et la
troisième, en rupture totale, un cinquième (15 personnes, soit
21,43% des intervenants). Cet échantillon, certes non
représentatif, est donc singulièrement plus contrasté que
ce que donne à voir et à entendre l'Algérie officielle.
J'ai extrait, catégorie par catégorie, quelques argumentaires
types à même d'illustrer la tonalité générale
de chacune d'elles.
La catégorie 1, qui rassemblait près de la
moitié des avis exprimés sur ce forum de discussion, est
totalement en phase avec la geste officielle algérienne. Ce commentaire
de "Cherbi", qui compte néanmoins parmi les messages les plus
"modérés" (ou les moins injurieux), en rend parfaitement
compte : « Quand on a trahi son pays, il faut assumer. Ils ont
fait leur choix, alors qu'ils restent «chez eux» entourés de
barbelés ».
S'agissant de la catégorie 2, le témoignage de
"Makhlouf" illustre cette volonté propre à un certain nombre
d'Algériens (ou d'enfants d'immigrés d'Algériens, ce qui
est le cas de l'intéressé) de tourner la page du contentieux
historique sans pour autant cautionner l'engagement des anciens harkis.
Ceux-là rejettent la rhétorique "revancharde", parfois haineuse,
ressassée par les autorités. Bien plus, "Makhlouf",
conceptualisant ce que d'autres disent parfois de manière plus
désordonnée, dépeint les outrances des autorités
algériennes à l'égard des anciens harkis comme un exemple
archétypique de manipulation de la figure de l' « ennemi
intérieur ». Je le cite : « Personnellement,
quoique ma famille ait payé un lourd tribut pour l'indépendance
de l'Algérie (7 membres de la famille sont morts au djebel), je suis
d'avis à ce que la page soit définitivement tournée. La
France, la première concernée par le drame algérien, nous
lui ouvrons les bras, tous les pays qui étaient en guerre se sont
réconciliés une fois la paix retrouvée, pourquoi est-ce
que l'Algérie n'oublierait pas l'errement d'une partie de ses fils qui,
soit dit en passant, n'ont pas toujours choisi leur camp. Ma famille
était FLN, je le répète, mais j'ai aussi fini par
apprendre qu'une bonne majorité de harkis a été
poussée dans les bras de l'armée française... je passe les
détails, mais je ne justifie pas non plus tous les harkis, même
si, pour moi, la page doit être tournée pour tous. Nos
gouvernements respectifs, depuis 1962, ont tellement diabolisé les
autres, nous ont tellement ressassé la haine de l'autre que nous, ses
enfants, avons grandi avec cette haine. Nous haïssons tout le monde :
harkis, juifs, l'occident entier, mais nous bradons nos richesses à ces
mêmes "rejetés". Finalement, il n'y a que le peuple, dupe à
merci, qui tombe dans le panneau de nos gouvernants qui nous créent des
ennemis... Maintenant que les Français ne sont plus chez nous, on nous
crée un "ennemi intérieur". Cette même politique est
menée chez nous depuis l'indépendance... Je dirais même
avant, car qu'est-ce qui avait poussé la majeure partie des messalistes
à devenir des harkis ? Cela n'engage que ma personne, mais j'y
crois. Je préfère la réconciliation à la haine, car
nos enfants pourraient cultiver cette même haine et la transmettre, comme
nos parents nous ont transmis la leur. Vous n'avez qu'à voir le rejet
réciproque existant actuellement entre les fils de ceux qu'on appelle
les "harkis" et les enfants des autres Algériens, ici en France. Quant
à l'Algérie, des policiers de la PAF se comportent très
négativement devant les fils de harkis qui viennent visiter le pays de
leurs parents (le leur en fait), si bien qu'ils pensent ne plus remettre les
pieds dans ce bled ». Et il ajoute, dans un autre message :
« Notre génération doit pouvoir tourner la page... Je
suis vraiment sincère, je tiens ce langage à tous les niveaux,
même si, en passant, je déclenche la foudre des miens... qui
parfois me traitent de harki ».
Enfin, le message de "Mylord" traduit ce que peut être
l'attitude neutraliste de ceux (catégorie 3), certes largement
minoritaires mais représentant tout de même 1 avis exprimé
sur 5, qui se refusent à incriminer le choix des anciens harkis et
dénient aux autorités algériennes actuelles toute
légitimité pour entraver la liberté de circulation des
intéressés. Je cite ce message : « Bouteflika n'a
rien à dire, ils ont choisi de rester français, ça les
regarde. Il ont le droit de se rendre en Algérie ».
Un autre débat, hébergé par Oragora
(www.oragora.com), et qui a rassemblé 15 intervenants au cours du
mois d'avril 2001, a confirmé cette ventilation des opinions sur la
question parmi les Algériens ou Français issus de l'immigration
algérienne. Ceux des intervenants - un peu plus de la moitié du
total - que l'on peut ranger dans la catégorie 1 ont rejeté toute
idée de pardon à l'égard des anciens harkis, voire de
leurs enfants, arguant que les intéressés étaient
« indignes d'appartenir à la race humaine » car
porteurs du « gêne de la trahison », le seul droit
pouvant leur être concédé étant « celui de
se taire » ("Tarek Ibnouziane"). Toute idée de retour est
également rejetée au prétexte que
« l'Algérie n'est pas un dépotoir »
("Fierté harrachi"). Ceux des intervenants que l'on peut classer dans la
catégorie 2, quoiqu'ils condamnent eux aussi l'attitude des anciens
harkis (tout en établissant une distinction entre ceux qui se seraient
"mal conduits" et les autres), refusent que cette condamnation englobe leurs
enfants et dénoncent les usages politiques de la figure du harki :
« On nous endort avec des boucs émissaires, en l'occurrence
les harkis » ; « le débat sur les harkis est un
faux débat qui veut faire oublier les véritables traîtres
d'aujourd'hui qui par leur irresponsabilité et leur avidité ont
conduit l'un des pays les plus riches d'Afrique au rang de république
bananière, ou plutôt "dattière" » ("D.G.") ;
« Je crois qu'il faut arrêter de mettre ce qui se passe en
Algérie sur le dos des autres : un jour c'est la faute des harkis,
un autre des Kabyles et l'autre de la France... STOP !!! »
("Lilu"). Enfin, une troisième catégorie d'intervenants - le
cinquième du panel - se refusent à juger le "choix" des anciens
harkis et souhaiteraient que leur soit accordée la possibilité de
circuler vers l'Algérie. L'intervention de "Louize" est significative de
cet état d'esprit : « Combien de fois ais-je entendu des
Tiziens dire que l'Algérie aurait dû rester
française ? Revoyez un peu vos discours, sachant qu'aujourd'hui en
Algérie, après la concorde civile, certains tueurs ont
été "graciés" (je n'appelle pas cela autrement !),
ils ont le droit de se promener, de respirer l'air que bon nombre
d'Algériens souffrants respirent, de se refaire une vie, et pourtant ils
ont tué ! J'aimerais comprendre aussi d'où vient cette haine
vis-à-vis des harkis. Je connais des Kabyles qui vivent à
Tizi-Ouzou et qui, grâce à leurs cartes d'anciens combattants,
vont au Consulat de France demander la nationalité française tout
en vivant en Algérie. Et ceci en 2001, alors que les harkis ne vivent
plus là-bas depuis des années, ils ne sont pas responsables de la
situation actuelle en Algérie (du fait de leur exil, ils n'ont
contribué à rien depuis 1962), alors foutez-leur la paix, gardez
votre haine, ou remballez là en réfléchissant bien sur qui
est votre véritable ennemi aujourd'hui. Et sachez que "Dieu" est plus
compatissant vis-à-vis des harkis que vis-à-vis des gens comme
certains remplis de haine ».
? Le rapport au passé des gens
ordinaires : les sources indirectes (monographies, chroniques
journalistiques, essais)
Une étude de Nacéra Aggoun intitulée
« L'opinion publique algérienne du Chélif
algérois à la veille de l'insurrection de 1954 par les sources
orales, ou la version des colonisés »1029(*), étude nourrie par
sa thèse alors en cours sur « La résistance
algérienne dans le Chélif algérien
1945/1962 » (soutenue en 1996 sous la direction de René
Gallissot), confirme l'ambivalence du ressouvenir de la période
coloniale en général, des harkis en particulier. L'auteure
rapporte ainsi que, dans l'esprit des gens ordinaires, « la
colonisation est ambivalente, [à la fois] négative dans la
lignée du discours de l'État, ou âge d'or que l'historien
peut interpréter comme une nostalgie de la jeunesse à
l'échelle de l'individu ». Selon la même étude,
l'ambivalence concerne aussi l'image du harki,
« traître-collaborateur » ou
« victime ». De même, l'historien Guy
Pervillé1030(*)
- qui était membre du jury lors de la soutenance de thèse de
Nacéra Aggoun - rapporte toute une série de témoignages
faisant état du décalage entre les représentations des
gens ordinaires et la doctrine officielle en Algérie, dont celui de
l'ancien maquisard Ali Zamoum qui s'étonne, « plus de trente
ans plus tard », d' « [éprouver] la
nécessité d'avoir à plaider pour défendre cette
cause sacrée pour laquelle des milliers d'hommes et de femmes se sont
sacrifiés » à force d'entendre certains de ses
congénères dire que « nous aurions été
mieux si la France était restée. Actuellement les
émigrés sont mieux que nous... »1031(*) ;
ainsi en va-t-il également du témoignage d'un ancien policier
algérien réfugié en France, Djilali Manigue, dont les
propos ont été recueillis par Hacène Belmessous :
« Je me dis que si les combattants pour l'indépendance avaient
imaginé que l'Algérie basculerait dans le chaos aussi vite, ils
n'auraient pas versé leur sang durant toutes ces années de
guerre. Je pense que l'Algérie aurait dû rester française.
Beaucoup de gens pensent que cela aurait été
préférable »1032(*).
Le journaliste Bernard Guetta, à la faveur d'une
série de reportages réalisés au moment du
référendum sur la Loi de concorde civile, en septembre 1999,
avait été témoin du décalage manifeste existant
entre le discours officiel (sur la France et le passé colonial) et les
expressions "spontanées" glanées ici et là auprès
des gens ordinaires : « Tout, désormais, peut se dire,
même cette inavouable passion pour la France. Un jeune flic :
«Vous aimez Alger ? C'est bien. C'est les Français qui ont
tout fait. La France, ce n'était pas l'Angleterre : elle exploitait
ses colonies, mais elle les a aussi développées» (...). Et
puis cette jeune femme, la trentaine, rencontrée dans une
pizzeria : «Quand j'étais petite, mon père m'a
emmenée voir l'immeuble où il travaillait du temps de la France.
Il m'a dit : «Regarde, c'était propre, l'ascenseur marchait.
Tu comprendras un jour» »1033(*). La seule présence du journaliste
français suffit à déclencher de petits mouvements de
foule : « Une voix : «Quel est le fou qui nous a
donné l'indépendance ? ». Ça devient houleux.
Une autre voix : «Il a raison. Si les Français étaient
encore ici, ce serait mieux» »1034(*).
De même, dans Le Figaro du 13 juin
20061035(*), le grand
reporter Irina de Chikoff relevait que « quand on interroge les gens
de tous les jours, à Alger, Oran ou Constantine, le décalage
entre le discours officiel, victimiste ou accusateur, et les sentiments
manifestés par la population, saute aux yeux ». Ainsi,
à propos du parallèle établi par Abdelaziz Bouteflika, qui
a parlé de « génocide » et comparé le
comportement de la France pendant la guerre d'Algérie à celui des
nazis durant la Seconde Guerre mondiale, « Hocine, 30 ans, fait un
geste significatif de la main : «Quand je vois comment mes
compatriotes reçoivent les pieds-noirs, comment ils pleurent ensemble,
dit-il, je suis obligé de me poser des questions sur cette histoire de
génocide. On n'accueille pas à bras ouverts quelqu'un qui a
tenté de vous éliminer. Ma génération ne sait pas
grand-chose sur les temps où l'Algérie était
française. On nous a surtout enseigné la guerre de
libération, le sacrifice des martyrs, la victoire du vaillant peuple
algérien. Des thèmes intouchables. Sacrés. Si on cherche
à sortir des stéréotypes, on est immédiatement
assimilé au hizb frança, le parti de la France, qui ne
songerait qu'à refranciser l'Algérie» ». Les
réactions engendrées par la visite de Jacques Chirac, en 2003,
ont décontenancé le journaliste d'El Watan, Boukhalfa
Amazit, qui fut de la « génération des
utopies » : « Pour beaucoup d'Algériens, ceux qui
vivent toujours dans le mythe de la révolution, ce fut un choc de voir
les gamins faire une véritable ovation à la France.
Moi-même, j'avais du mal à y croire. Est-ce à dire que la
colonisation a eu du bon ? Même si tout ne fut pas négatif,
je revendique le droit d'affirmer que je n'ai jamais demandé qu'on me
fasse du bien ! ».
De même, Lahouari Addi constatait lui aussi en 1997
« un fait qui heurte le sentiment patriotique. Des centaines de
milliers de jeunes nés après l'indépendance, dont certains
sont des enfants et des petits enfants de martyrs, sont en admiration de la
France, des centaines de milliers de jeunes souhaitent partir en France pour y
vivre et y acquérir la nationalité française, cette
même nationalité que leurs parents ont refusée dans les
années cinquante pour arracher un Etat indépendant. Force est de
constater - et il est inutile de ne pas regarder la réalité en
face - que la guerre livrée en 1954 par l'ALN à la France
coloniale a été perdue trente ans
après ! »1036(*).
Autre indice, plus éloquent encore, le chiffre
étonnamment élevé des demandes de
« réintégration dans la nationalité
française » tel que rapporté par Le Figaro du
29 juin 2006, sur la foi des informations communiquées par le consul
général de France à Alger : selon ce dernier, pas
moins de 100.000 demandes auraient été enregistrées en
2005, les candidats n'hésitant pas, pour étayer leurs dossiers,
« à évoquer un aïeul, soldat dans l'armée
française durant l'une des deux guerres mondiales », voire
même « à réhabiliter un vieil oncle harki,
rejeté jusque-là comme la honte de la
famille »1037(*).
Ancien haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie
algérien, Boualem Sansal est représentatif de cette
génération désenchantée qui, née pendant la
colonisation, ne se reconnaît pas dans le discours de l'exclusive et de
la page blanche véhiculé jusqu'à l'obsession par les
autorités algériennes depuis l'indépendance. Les propos de
l'auteur du Serment des Barbares1038(*) affleurent même parfois la nostalgie, une
chose inenvisageable au regard de la geste officielle de la guerre
d'Algérie. Ainsi, évoquant Rouiba - où se situe l'intrigue
de ce roman - dans une interview à Algérie Interface, en
mars 2000 : « Les terres les plus fertiles ont été
sacrifiées. On y a construit. Fini les fermettes. Comme s'il fallait
effacer toutes traces de l'occupant. Tout cela est parti d'un esprit revanchard
et vengeur. Qu'est-il advenu du domaine Borgeaud d'antan, un véritable
paradis sur terre ? Que reste-t-il de Rouiba ? Il faut comprendre que
je ne suis pas né en 62. J'ai Connu Rouiba quand elle avait cinq
librairies. L'épicier et le boucher étaient des pieds-noirs, pas
des colons. Ce qui est différent. Le contact était
différent. Ils avaient des petits commerces et un esprit
différent. C'est une autre forme d'occupation nullement comparable
à celle qui se base sur la propriété foncière.
L'Algérie est leur pays. (...) Le cas est identique [avec les harkis] et
de plus soulève le problème de la génération des
enfants de harkis. L'Algérie doit faire le deuil de son histoire et se
réconcilier avec son passé ». La quatrième de
couverture de son dernier roman, Poste restante : Alger1039(*), est à
l'unisson de ce qui précède :
« En France, où vivent beaucoup de nos
compatriotes, les uns physiquement, les autres par le truchement de la
parabole, rien ne va et tout le monde le crie à longueur de
journée, à la face du monde, à commencer par la
télé. Dieu, quelle misère ! Les banlieues
retournées, les bagnoles incendiées, le chômage
endémique, le racisme comme au bon vieux temps, le froid
sibérien, les sans-abri, l'ETA, le FLNC, les islamistes, les
inondations, l'article 4 et ses dégâts collatéraux, les
réseaux pédophiles, le gouffre de la sécurité
sociale, la dette publique, les délocalisations, les grèves
à répétition, le tsunami des clandestins... Mon Dieu, mais
dans quel pays vivent-ils, ces pauvres Français ? Un pays en guerre
civile, une dictature obscure, une République bananière ou
préislamique ? A leur place, j'émigrerais en Algérie,
il y fait chaud, on rase gratis et on a des lunettes pour
non-voyants ».
II. La figure du harki dans les gestes
françaises de la guerre d'Algérie
Et qu'en est-il de ce "jeu" entre le passé et le
présent sur l'autre rive de la Méditerranée ?
Continuant de coller à l'optique générale qui est la
nôtre dans la Partie 2 (à savoir : faire état du
"travail de l'écart" entre ce qui a été et la
manière dont il en est rendu compte a posteriori), il nous faut
maintenant objectiver la manière dont l'Etat français, en tant
qu'appareil de pouvoir et de savoir, s'exprimant à travers ces
relais institutionnels de la mémoire que sont l'Exécutif
politique, le Parlement et l'école, a mis en récit, depuis 1962,
les tenants et les aboutissants de la guerre d'Algérie. Ce faisant, il
nous faudra montrer dans quelle mesure - et de quelle manière - cette
"geste officielle" de la guerre d'Algérie a influé sur la
postérité symbolique des anciens supplétifs musulmans de
l'armée française et ouvert - ou non - la voie à des
interprétations et usages "concurrents", dont il faudra préciser
la nature et l'impact.
Aux fins de prévenir d'emblée tout glissement
sémantique et interprétatif, et nous appuyant pour cela sur une
mise au point d'Henry Rousso1040(*), il nous faut ici préciser qu'à la
différence de ce qui a pu être observé (en Union
soviétique par exemple) ou continue de l'être dans certains Etats
totalitaires (en Chine notamment), et à la différence de ce qui
peut être observé dans un Etat protéiforme à forte
composante militaro-populiste comme l'Algérie, ce que nous appelons en
France "geste officielle" ou "mémoire officielle" ne vaut pas "histoire
officielle", au sens d'une subordination de la discipline historique, de la
presse ou des arts au pouvoir politique. En France, ce que nous appelons
"mémoire officielle" n'est qu'une vision parmi d'autres visions
existantes et librement publicisées du conflit algérien ; ce
dont témoigne « la persistance depuis 1962 d'une production
historiographique surabondante (et très difficile à recenser
exhaustivement) : entre 10 et 20 titres nouveaux par an au bas mot, sans
compter les oeuvres littéraires (romans, nouvelles, poésie,
théâtre) ou audio-visuelles »1041(*). Une vision parmi
d'autres, donc, mais une vision importante compte tenu du rôle essentiel
joué par l'Etat dans "l'invention" (pendant la guerre d'Algérie)
puis la "réinvention" de la destinée des anciens harkis et de
leurs familles, à la suite de leur "rapatriement" puis de leur "mise
sous tutelle" dans le cadre du système d'accueil et de reclassement
(voir la Partie 1). Cette "geste officielle" s'exprime essentiellement à
travers ces relais institutionnels de la mémoire que sont l'Executif
politique (actes de gouvernement, déclarations publiques, pratiques
cérémonielles), le Parlement (rapports et débats
parlementaires, vote des lois) et l'école (programmes scolaires du
premier et du second cycle, à savoir : l'histoire telle qu'on la
raconte aux enfants et aux adolescents).
En outre, il est bon de préciser, à ce stade,
que c'est à l'image des harkis telle qu'elle se dégage, en clair
ou en creux, de la représentation officielle plus générale
de la guerre d'Algérie qu'est consacré ce chapitre, et non pas
tant à cette dimension particulière de la mémoire
officielle qu'est la geste dite commémorative - ici comprise au sens de
politiques de reconnaissance spécifiquement dédiés aux
anciens harkis et à leurs enfants - qui sera plus
systématiquement abordée dans la Partie 4.
Selon Benjamin Stora, le désir de taire un passé
peu glorieux a conduit à passer sous silence l'histoire des
Français musulmans rapatriés : « En France,
admettre l'existence de ces acteurs d'un drame désormais retiré
de l'affiche, ce serait mettre en accusation le gouvernement du
général de Gaulle qui n'a jamais voulu planifier leur
départ. Les harkis deviennent ainsi les témoins gênants de
la guerre d'Algérie. L'absence d'intervention des troupes
françaises entre mars et décembre 1962, on l'a vu, amène
la "disparition" de dizaines de milliers d'Algériens
musulmans »1042(*). « La société, écrit
Marc Ferro, impose souvent des silences à l'histoire, et ces silences
sont autant l'histoire que l'histoire »1043(*).
De manière plus générale, la guerre
d'Algérie n'est, dans ses tenants comme dans ses aboutissants,
« ni un facteur de cohésion nationale, ni une source de
légitimité pour les dirigeants de la Vème
République »1044(*). Par-delà le traumatisme des exactions
perpétrées par l'armée française dans ses
opérations de maintien de l'ordre, c'est semble-t-il la phase finale de
la guerre d'Algérie qui pèse d'un poids inassumable dans les
consciences françaises : aux contrecoups d'une politique de
« pacification » souvent mal maîtrisée
s'ajoute le traumatisme d'une politique de
« dégagement » précipitée, dont le
coût humain (voir la Partie 1) ressortit des "zones d'ombre" de la
mémoire officielle. Il en a résulté, à droite comme
à gauche de l'échiquier politique (pour des raisons diverses mais
convergentes), une "fabrique" a minima du souvenir de la guerre
d'Algérie par l'Etat. Cette mise en récit
éthérée et l'entente tacite pour ce faire des diverses
formations politiques (qui, héritières plus ou moins directes de
celles qui avaient "fait" et "défait" à leur manière la
guerre d'Algérie, se sont succédées depuis lors au
pouvoir), ont signé comme l'élision de ceux qui en furent -
côté français - les principales victimes : anciens harkis
et pieds-noirs (section A).
Cette quasi-absence de prise de position officielle et, plus
encore, d'exaltation du souvenir de la figure du harki jusqu'à la fin
des années 1990 (que ne compense que très marginalement le
légendaire construit autour de cette figure par les « soldats
perdus » de l'Algérie française, qui en font comme
l'étendard d'une « espérance trahie ») a
ouvert la voie à des interprétations et usages
"détournés" de cette figure : le harki comme injure de sens
commun dans l'ordinaire des prises de position et des joutes politiciennes
(détournement de vocable), et le harki comme masse de manoeuvre
électoraliste (section B).
A. Les habits officiels du souvenir : un
récit éthéré (le harki sous l'éteignoir)
Pendant longtemps, en France, la guerre d'Algérie n'a
été ni reconnue comme telle1045(*) ni commémorée1046(*). La geste officielle
française n'a eu de cesse, depuis l'indépendance, de
véhiculer une vision éthérée de cette guerre,
à la fois anecdotique (une suite d'événements) et
générique (la dernière étape du processus de
décolonisation). Plus encore, ses principaux protagonistes ou victimes
français (pieds-noirs, Français musulmans rapatriés,
militaires de carrière et, de manière plus contrastée,
appelés) ont été comme évacués des
récits officiels.
Cette ataraxie relative des relais institutionnels de la
mémoire fut d'abord celle du Parlement puis de l'école. Le
législateur comme l'Exécutif, de droite comme de gauche,
signifièrent dès la signature des accords d'Evian, et bien
après encore en dépit des alternances politiques, « une
volonté officielle d'oubli, traduite par une série de lois
d'amnistie échelonnée de 1962 à 1982 et par l'absence de
toute commémoration consensuelle »1047(*). L'école -
l'école obligatoire mais aussi, quoique pour d'autres raisons,
l'université1048(*) - ne fut bien entendu pas exempte des pressions,
plus ou moins informelles, de la tutelle politique. D'après une
enquête faite en 1992 auprès des jeunes Français
âgés de 17 à 30 ans nés après la guerre
d'Algérie, « la plupart d'entre eux (80,5% contre 18%)
estim[ai]ent que l'école ne leur en a[vait] pas suffisamment
parlé »1049(*). En outre, en conséquence de la
différence de traitement longtemps opérée par les relais
institutionnels de la mémoire, les jeunes générations
« connaissent beaucoup mieux la Deuxième guerre mondiale que
la guerre d'Algérie, et tendent à se représenter celle-ci
d'après le modèle de celle-là »1050(*), conformément
à ce que fut la propagande du FLN aussi bien que la geste des
intellectuels français engagés à ses côtés
pendant la guerre d'Algérie (voir le chapitre III de la Partie 2
ci-dessous). Cette situation, déplore Guy Pervillé,
« valorise les ressemblances au détriment des
différences », et fait fond à l'amalgame. Ainsi, un
sondage Ligue de l'enseignement/IMA1051(*), paru dans Le Monde du 27 février
1992, montrait que la lutte du FLN pendant la guerre d'Algérie
était assimilée à celle de la Résistance sous
l'Occupation par une écrasante majorité de jeunes
Français. De manière implicite, une telle mise en perspective
véhicule une représentation stigmatisante des anciens harkis en
ce qu'elle légitime et consacre les qualificatifs de collaborationnistes
et de traîtres qui, aujourd'hui encore, leur sont accolés en
Algérie. De telles assimilations, pour abusives qu'elles soient,
ressortissent ainsi du sens commun, de la mémoire diffuse de la guerre
d'Algérie et semblent, à ce titre, témoigner de la
vulgarisation d'une lecture prosélyte des événements.
Pourtant, note Guy Pervillé, « chaque fois
qu'il y a trouvé un intérêt politique et civique, l'Etat a
favorisé sans délai l'étude des grands conflits.
Aussitôt après la Grande Guerre, les pouvoirs publics ont
aidé à fonder la Société et la Revue d'histoire de
la Guerre. A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, ils ont créé
deux commissions qui ont fusionné en 1951 pour former le Comité
d'histoire de cette guerre, publiant sa revue, dont l'oeuvre historique fut
considérable ». « Rien de tel, ajoute-t-il,
après la guerre d'Algérie »1052(*). Aussi, lorsqu'il entend
caractériser « la manière dont l'Etat s'est
emparé de cette période et a tenté de la mettre sur la
place publique », Henry Rousso indique qu'à la
« phase de liquidation des séquelles »
marquée par les premières amnisties a succédé une
longue « phase de refoulement »1053(*) : la guerre
d'Algérie et ses zones d'ombre sont peu ou prou évacuées
de l'espace public ou, tout au moins, de l'espace politique jusqu'à la
fin des années 1980. Jusqu'alors, si l'historiographie est relativement
abondante, elle est très majoritairement composée de
« témoignages plus ou moins engagés d'acteurs ou de
spectateurs, importants ou modestes », ainsi que, dans une moindre
mesure, d' « enquêtes et de récits de
journalistes » (ainsi en va-t-il du récit en 4 tomes d'Yves
Courrière ou des livres de Jean-Raymond Tournoux) : « Les
ouvrages d'historiens professionnels sont beaucoup plus rares, et plus
tardifs »1054(*). Et ni les uns ni les autres ne provoquent de
débats tels qu'ils viennent contrarier significativement ou durablement
cette « volonté politique de tourner la page »
évoquée par Henry Rousso.
Il en ressort, dans ce contexte, une caractérisation
désincarnée des événements d'Algérie,
à la fois "stato-administrative" (les événements
d'Algérie comme « opérations de maintien de
l'ordre ») et "historiciste" (les événements
d'Algérie comme soubresauts inéluctables d'un procès de
décolonisation commencé en d'autres lieux et en d'autres temps).
Des opérations et un processus rendus certes plus délicats
qu'ailleurs en raison de l'ancienneté de la présence
française, mais finalement gérés au mieux des
intérêts de chacune des parties en présence (soit les
« Algériens » d'un côté, les
« Français » de l'autre) via l'épilogue
officiel des accords d'Évian, présenté comme ouvrant la
voie à une coopération raisonnée des deux entités.
Comme si la France, loin de s'être entre-déchirée,
s'était résolue de bonne grâce à
l' « inéluctable ». Comme si l'Algérie
et le FLN ne faisaient - "naturellement" - qu'un. Comme si les Français
d'Algérie et les Français musulmans rapatriés n'avaient
finalement pas été contraints à l'exil. Comme si, au fond,
la reconnaissance par la France de l'indépendance "en l'état" de
l'Algérie, loin de signer de quelque manière un échec
(quant à l'évolution démocratique de l'Algérie) ou
un déchirement (quant aux conséquences pour ses ressortissants et
"amis" de la reconnaissance du FLN comme interlocuteur
hégémonique), marquait bien plutôt une étape
décisive dans l'adaptation de notre pays aux réalités
économiques (entre "cartiérisme" et "aronisme") et
géopolitiques du monde contemporain (la politique arabe du
général de Gaulle). Tant et si bien que, si l'on s'en tenait
à la geste officielle de cette période (et à l'histoire
telle qu'on la raconte aux enfants), « l'on pouvait encore se
demander si la guerre d'Algérie faisait partie de l'histoire de France,
ou même si elle avait jamais eu lieu »1055(*).
De fait, la mise en intrigue générique de la
guerre d'Algérie proposée par l'école élude les
questions qui, d'une certaine manière, "rendent" leur
spécificité à ce conflit. Michel Hagnerelle, inspecteur
général de l'Éducation nationale, et Michel Lambin,
professeur de classes préparatoires aux grandes écoles au
lycée Watteau de Valenciennes, soulignent ainsi que l'approche de la
guerre d'Algérie dans les manuels de terminale pose de sérieuses
questions : « Alors que le programme de troisième
mentionne ouvertement la «guerre d'Algérie», dans ceux de la
classe de terminale la guerre ne figure pas toujours de façon explicite
et, du reste, la seconde partie du programme a préféré
parler de «l'émancipation des peuples dépendants et de
l'émergence du Tiers-Monde». La guerre est donc présente
dans des chapitres différents et dispersés suivant les manuels.
On la retrouve au titre des relations est-ouest, de la décolonisation,
de la France depuis 1945 ou encore, parfois, sous la forme d'un sujet
corrigé ou d'un dossier, ce qui permet d'éluder certaines
questions et laisse insatisfaits élèves et
professeurs »1056(*). Ce constat d'une couverture à la fois
insuffisante et élusive de la guerre est partagé tant par ceux
des experts qui furent autrefois des acteurs engagés dans la lutte
anticolonialiste que par ceux qui étaient trop jeunes pour y avoir pris
part et/ou ne se revendiquent d'aucune filiation militante. Maurice T.
Maschino, qui appartient à la première catégorie
d'experts, déplorait en 2001 la « façon
quasi-clandestine dont la guerre d'Algérie s'insère dans le
programme »1057(*). Il constatait notamment que « la guerre
d'Algérie n'est pas expressément mentionnée dans le
programme de 3ème, ou dans cette partie du programme,
elle-même réduite à la portion congrue, qui permet de
l'aborder : «De la guerre froide au monde d'aujourd'hui (relations
Est-Ouest, décolonisation, éclatement du monde
communiste)» ». Et il ajoutait : « De la
même manière qu'en 3ème, la guerre
d'Algérie n'est pas l'objet d'un chapitre particulier en terminale. Elle
n'est même mentionnée, comme telle, dans aucune des sections du
programme - le monde de 1939 à nos jours ». Mais plus encore
que cette place ténue dans les manuels, c'est la construction
d' « un discours le plus consensuel possible [qui] propose aux
élèves une lecture sans relief des
événements » que pointe Maurice T.
Maschino1058(*). Un
constat partagé, nous l'avons dit, par Guy Pervillé (voir
ci-dessus1059(*)), qui
appartient à la deuxième catégorie d'experts1060(*).
Des divergences d'interprétation apparaissent cependant
quant à la place relative dévolue à chacun des traits
marquants de cette guerre dans les programmes scolaires. Si Maurice T. Maschino
constate, d'une part, que les manuels « citent la démission du
général de Bollardière, publient le «Manifeste des
121», et signalent La Question, d'Henri
Alleg »1061(*), et, d'autre part, qu' « aucun ne
prête attention aux conséquences politiques, en France comme en
Algérie, de la guerre : à la trappe les harkis et les
pieds-noirs », il ne s'interroge pas plus avant sur ce traitement
différentiel, regrettant surtout que l'on ne s'attache pas davantage
à déconstruire « la mise en place du système
impérialiste » et « le scandale d'une
république qui foule aux pieds ses valeurs ». Ce n'est pas le
cas de Paul Thibaud, pourtant lui aussi engagé "contre" la guerre
d'Algérie, qui constatait - et regrettait - en janvier 20011062(*) que les demi-silences des
programmes scolaires affectent davantage la compréhension des
conséquences de la politique de
« dégagement » conduite à l'issue de la
guerre que de la politique de « pacification » conduite
pendant la guerre. Il s'étonnait ainsi de ce que les signataires de
l'Appel des douze sollicitent la repentance de l'Etat français
« à propos de faits [NDA : la torture] qui sont dans les
manuels scolaires », et veuillent ainsi « consacrer
plutôt que redresser la mémoire officielle et
scolaire ». Il ajoutait : « Au risque de choquer
certains de mes amis, je crois qu'il ne faut pas consacrer l'équation
guerre d'Algérie = torture, formule dont la prévalence (ancienne,
quoi qu'on en dise) dans l'opinion n'a pas eu que de bons effets. Il y a en
effet, à côté de la bataille d'Alger, un autre moment
essentiel pour comprendre la guerre d'Algérie, c'est l'échec des
accords d'Evian dans une conjonction d'événements
sinistres : OAS, harkis, exode des pieds-noirs, mise en place par la force
d'un pouvoir algérien militaro-populiste »1063(*). Faut-il voir dans ce
traitement différentiel l'influence des manières de voir propres
à une majorité d'enseignants, eux-mêmes longtemps parties
prenantes d'un certain climat intellectuel et politique ? Dominique Borne,
inspecteur général de l'Éducation nationale, explique que
« l'accueil critique des mémoires dans l'enseignement de
l'histoire est aujourd'hui plus facile qu'il y a quelques
années ». Il ajoute : « Quand la très
grande majorité du corps enseignant partageait l'espoir d'un
progrès continu de l'humanité et que les professeurs
étaient donc portés par un «sens» de l'histoire, il n'y
avait guère alors de place pour les vaincus. Les temps ont
changé, les professeurs ont réappris le singulier et la
contingence. Ils sont dorénavant prêts à faire place aux
différentes mémoires. Si le savoir enseigné est
partagé par tous, les identités peuvent trouver des
repères dans la culture commune. Pour paraphraser Paul Ricoeur,
l'histoire peut alors soigner les mémoires
blessées »1064(*). A cet égard, la place plus que ténue
faite, trois décennies durant (au minimum), à la destinée
des harkis dans les manuels scolaires témoigne non seulement de cette
volonté des autorités de "lisser" la trame du récit
officiel pour faire de la guerre d'Algérie un épisode (presque)
comme les autres, mais encore - peut-être - d'un assez large
désintérêt du corps enseignant pour cette figure.
Quoi qu'il en soit, il est un fait que la vision
éthérée des tenants et, plus encore, des aboutissants de
la guerre d'Algérie telle que véhiculée par les relais
institutionnels de la mémoire avait pour visée première -
et a eu longtemps pour principal résultat - d'euphémiser
l'expression des conflits de mémoire qui, dans les faits (quoique de
manière confidentielle), n'avaient jamais cessé
d'imprégner le ressouvenir de la guerre d'Algérie en
général, de son épilogue dramatique en particulier. Et
notamment s'agissant de ceux - pieds-noirs, Français musulmans
rapatriés, militaires de carrière, appelés - qui n'ont pu
reconnaître dans cette geste officielle, comme expurgée de toute
dimension affective et de tout ressort dramatique, l'expression de leurs
souffrances ou de leurs déchirures.
Regard générique, regard euphémique, la
geste officielle française de la guerre d'Algérie participe ainsi
de l'expurgation embarrassée de toute résonance affective et,
pour tout dire, de la censure d'un sentiment d'incomplétude
hérité d'un conflit qui « n'est tout simplement pas
mémorable, [qui] ne figure pas, après l'affaire Dreyfus et la
Résistance, parmi les épopées du sens, les
émergences de la justice à quoi les Français aiment
à se référer »1065(*). Prévaut en effet
« un sentiment général de mauvaise
conscience »1066(*) : « Si la mémoire [de la
guerre d'Algérie] est en effet difficile, ajoute Paul Thibaud, c'est
parce qu'il n'y a pas de lieu où elle pourrait s'ancrer, qu'il manque au
drame une issue vraiment acceptable et vraiment
compréhensible »1067(*). De fait, à la « honte d'avoir
fait cette guerre, et de l'avoir presque gagnée par des moyens plus ou
moins avouables », s'ajoute la « honte de l'abandon final
qui l'a rendue vaine et injustifiable »1068(*). Car, ainsi que le
souligne Paul Thibaud, par-delà le caractère difficilement
assumable, pour les pouvoirs publics, de la fréquence voire de la
quasi-systématicité, en certains endroits et à certaines
périodes, des faits de torture pendant la guerre
d'Algérie1069(*), un autre moment essentiel pour comprendre la
guerre d'Algérie et les silences qui entourent son évocation est
« l'échec d'Évian, moment où se concentrent,
où explosent tous les éléments du problème
algérien. Or, l'une des causes de cette mauvaise fin fut la
méconnaissance, y compris de la part des négociateurs
français, de la vraie nature dictatoriale et antipluraliste du
FLN »1070(*). Le récit de "l'entrée dans la
modernité" - cette sorte de "morale officielle" de l'histoire de la
guerre d'Algérie - trouve de fait ses limites dans la nature du
système politique engendré en Algérie par la politique de
« dégagement » visée et entreprise par les
autorités françaises, nature dont témoignera
précocement et dramatiquement l'exil forcé de centaines
de milliers de personnes, puis l'assassinat de dizaines de milliers
d'autres, dès après l'accession à l'indépendance de
l'Algérie. Ce dénouement qui n'en était pas un, cette
issue « sans signification positive, susceptible de rassembler la
collectivité nationale dans une mémoire commune, comme la Grande
Guerre ou la Résistance »1071(*), a été et reste un facteur d'embarras
à droite et à gauche de l'échiquier politique :
à droite, difficulté à assumer le coût humain de la
politique de « dégagement » voulue par le
général de Gaulle (voir la Partie 1) ; à gauche
(où l'on revendique aujourd'hui plus volontiers l'héritage du PSU
et de la "deuxième gauche", ou encore du PCF, que celui de la SFIO
"mollétiste"), difficulté à justifier ouvertement les
raisons pour lesquelles les Français d'Algérie et les musulmans
pro-français ont été tenus pour quantité
négligeable dans le combat pour la décolonisation. Une gêne
différenciée quant à ses motivations mais convergente
quant à ses aboutissants : la marginalisation de ceux qui
n'entraient ni dans les schémas liés à « la
réorientation de la politique de grandeur de la France », ni
dans ceux épousant « la marche inéluctable de
l'Histoire ».
Ainsi, paradoxalement, l'édification puis la
consolidation en France - jusqu'à ces dernières années -
d'une vision éthérée de la guerre d'Algérie est le
fruit de la conjonction des intérêts de familles politiques
concurrentes, à savoir gaullistes puis néo-gaullistes d'une part,
socialistes et communistes d'autre part. Ces familles politiques, dont
l'étendue recouvre très largement ce que l'on subsume
habituellement sous les vocables de "droite de gouvernement" et de "gauche de
gouvernement", ont en commun de ne pas souhaiter donner un tour officiel
à l'examen de leurs responsabilités respectives quant au sort
finalement réservé aux pieds-noirs et aux musulmans
pro-français. Du point de vue de ceux qui, dans le sillage de l'UDR puis
du RPR, se posèrent en gardiens ou en héritiers de la
mémoire gaullienne (et qui furent aussi, au moins jusqu'en 1974 et, dans
une moindre mesure, jusqu'en 1981, les gardiens de la mémoire
officielle), l'édification d'une geste hermétique à
l'expression des mémoires victimaires françaises (portées
par ceux qui, dans leur diversité, avaient directement souffert des
conséquences de la politique de
« dégagement ») , se devait de préserver
la fiction d'une "sortie dans l'honneur", donc de taire l'incomplétude
d'une "sortie de crise" qui, pour bien des pieds-noirs et musulmans non
inféodés au FLN, n'en avait pas été une. Du point
de vue des héritiers de la gauche dite
« progressiste » (en position d'influence à partir
de 1981, en dépit de la position personnelle inconfortable de
François Mitterrand sur ces questions), la consolidation de cette geste
officielle indifférente aux mémoires victimaires
françaises se devait de préserver le sentiment de bonne
conscience d'une mouvance qui, au nom de l'anticolonialisme, avait sinon fait
fi du moins tenu pour un "mal nécessaire", d'une certaine
manière, les souffrances de centaines de milliers de compatriotes. Et
qui, au nom de la « Révolution » et/ou
d'idéaux tiers-mondistes avait investi en Algérie bien d'autres
illusions que celles de la paix et de la concorde retrouvées. Ainsi que
le soulignait récemment Henry Rousso, « une partie de la
classe politique qui est au pouvoir aujourd'hui [NDA : en 2002] a fait ses
classes dans la lutte contre la guerre d'Algérie » et,
à ce titre, « a contribué à porter une
représentation de la guerre d'Algérie »1072(*).
C'est précisément pour ne pas avoir à
faire face à ces bouffées de mémoire embarrassantes que
gardiens de l' « orthodoxie gaulliste » et gardiens de
l' « héritage progressiste » se sont
attachés à pérenniser une vision "stato-administrative" et
comme désincarnée de la guerre d'Algérie. Il en a
résulté une stricte enclosure de l'espace commémoratif. De
fait, constatait Guy Pervillé en 2002, « la mémoire des
victimes françaises de la guerre d'Algérie n'intéresse
guère plus que leurs parents, leurs amis, et leurs sympathisants
idéologiques ; et les médias ne leur accordent que peu
d'attention »1073(*). Une attention moindre, du moins, qu'aux victimes
algériennes (ou françaises) des exactions
perpétrées par l'armée française dans le cadre des
opérations de maintien de l'ordre. Une situation qui n'est pas faite
pour embarrasser les autorités, bien au contraire. Car là est le
paradoxe : la réorchestration médiatique récente des
débats autour de l'emploi de la torture (voir ci-dessous), les actions
judiciaires intentées à l'encontre de certains officiers (le
général Aussaresses et le général Schmitt
notamment) ou encore la mise en cause de certains hauts fonctionnaires
français (Maurice Papon) sont au fond infiniment moins
dérangeantes, pour les garants de la geste officielle française,
que ne le sont les campagnes d'informations sur le bilan humain de
l'après 19 mars 1962, ainsi que les actions en justice intentées
pour « complicité de crimes contre
l'humanité » ou « apologie de crimes de
guerre » par des représentants des communautés harkie
et pied-noire à l'encontre de responsables militaires (le
général Katz) et politiques (Pierre Messmer). Tandis que les
premières initiatives ne font que renforcer, d'une certaine
manière, le bien-fondé des gestes gaullienne
(nécessité de la politique de
« dégagement ») et progressiste
(nécessité de la dénonciation du colonialisme), à
l'inverse, les autres initiatives heurtent frontalement les récits de
l'entrée dans la modernité gaulliens et progressistes, les uns et
les autres très largement oublieux des Français de toutes
origines victimes d'une solution de "sortie de crise" au bilan pour le moins
contrasté1074(*). Et il est remarquable que les premières
initiatives aient fait infiniment plus de bruit que les secondes, moins encore
du reste au regard de l'écho médiatique qui en a
été donné (et qui déborde, de toute manière,
le champ d'expression de la mémoire officielle) qu'au regard des
réactions suscitées parmi les responsables politiques (voir la
Partie 4).
Cependant, l'on assiste, depuis quelques années,
à ce que Henry Rousso appelle « le retour du
refoulé »1075(*). De fait, bien loin de cicatriser les conflits, la
« cure de silence et d'oubli » prônée par les
dirigeants de la Vème République n'a fait que figer
des antagonismes qui resurgissent - et des blessures qui se libèrent -
aujourd'hui avec d'autant plus de vigueur que leur expression et leur prise en
charge ont été abandonnées de longue date à des
initiatives individuelles s'ignorant - et, souvent, se méprisant - les
unes les autres. Daniel Rivet relève ainsi que « des
mémoires collectives antagonistes se sont constituées et
maintenues en s'affrontant d'une manière récurrente, et
rivalisent pour s'imposer comme mémoire officielle ou pour
empêcher l'officialisation des mémoires concurrentes »,
nourrissant ce que l'auteur appelle « la dialectique de la
célébration et de l'exécration du fait
colonial »1076(*). « De plus, ajoute Guy Pervillé,
la contradiction entre le devoir de mémoire de plus en plus exigeant
invoqué pour les victimes de la Seconde guerre mondiale, et le devoir
d'oubli longtemps prôné pour celles de la guerre d'Algérie,
devient de plus en plus insupportable »1077(*) (voir aussi la Partie 4 de
ce mémoire).
La guerre d'Algérie n'est ni une suite
d'événements ordinairement cadencée par un début,
un milieu et une fin, ni un épisode comme un autre du processus de
décolonisation : ce qui s'y est joué (et perdu) continue de
faire effet et de faire débat, aujourd'hui encore, en France et en
Algérie. Ce « retour du refoulé », progressif
à compter du début des années 1990, prendra un tour
décisif (et spectaculaire) au tournant du siècle, à la
faveur de la visite d'Etat en France du président de la
République algérienne, Abdelaziz Bouteflika.
Quasi-simultanément, au printemps et à l'été 2000,
Le Monde, L'Humanité et, à un degré
moindre, Libération ouvrent - sur plusieurs semaines - une
« fenêtre d'opportunité » médiatique
autour des faits de torture pendant la guerre d'Algérie, donnant un
écho sans précédent à des témoignages
d'officiers (Jacques Massu, Paul Aussaresses, Marcel Bigeard ou Maurice
Schmitt), de personnes torturées (Louisette Ighilahriz) ou nées
de viols commis par des militaires français (Mohamed Garne), ainsi
qu'à des revendications déjà anciennes, tel l'appel
unilatéral à la repentance adressé à l'Etat
français par des intellectuels engagés de longue date "contre" la
guerre d'Algérie (l' « Appel des douze »).
C'est dans ce contexte médiatiquement "porteur", quoique plus favorable
aux groupes de pression qui ont lutté "contre" la guerre
d'Algérie et/ou soutenu la lutte du FLN, que les collectifs de harkis et
leurs amis interpellent à leur tour les autorités, leur
reprochant notamment leur absence de réaction aux propos outrageants
proférés à leur encontre sur le sol français par
Abdelaziz Bouteflika (propos cités en introduction et repris dans la
Partie 4), et réclamant eux aussi un geste de repentance de l'Etat
français pour les massacres de l'été et de l'automne 1962
(et n'hésitant pas, pour ce faire, à ester en justice ; voir
la Partie 4).
Il s'ensuivra, l'année suivante, l'instauration par le
président de la République française, Jacques Chirac,
d'une Journée d'hommage national aux harkis (voir les détails
dans la Partie 4). Ceci pourrait, en première analyse, constituer le
point d'orgue d'une phase d'anamnèse qui confinerait, selon Henry
Rousso, à l' « hypermnésie ». Mais cela
en démontre aussi les limites. De fait, le choix de l'instauration de
cette Journée, qui n'est rien d'autre que la déclinaison à
grande échelle d'une traditionnelle cérémonie de remise de
médailles, n'innove que par l'ampleur donnée à
l'événement, et ne répond qu'à la plus minime des
exigences en termes de "devoir de mémoire" : rappeler que les
harkis existent et qu'ils ont combattu aux côtés de la France.
Rien ne change, par contre, dans ce qui est donné à voir de la
destinée des intéressés comme dans ce qui est tu : on
célèbre le harki « soldat de la France » mais
rien n'est dit du harki « victime de la raison d'Etat ». On
exalte sa « fidélité » et son
« courage », mais on ne dit rien de ce que fut l'apathie
volontaire des autorités françaises au moment de les soustraire
aux représailles du FLN. La question des responsabilités
françaises dans le massacre des harkis ne sera donc pas
posée1078(*).
B. L'ordinaire des prises de position
Par-delà les habits officiels du souvenir, la figure du
harki est invoquée ou évoquée de manière plus
ordinaire et à différentes fins, manières et fins qui
participent au moins autant de la construction d'une image diffuse des harkis
que ce qu'en donnent à voir les relais institutionnels de la
mémoire. Ces représentations et usages non officiels de la figure
du harki peuvent s'inscrire dans une vision du monde (la
« nostalgérie ») ou servir des intérêts
plus prosaïques (clientélisme électoral) ; ils peuvent
être laudateurs ou injurieux ; informés ou
pré-formatés : nous les détaillerons chacun pour leur
part mais, ce qui importe, c'est qu'ils sont tous dotés d'une certaine
efficace sociale, soit parce qu'ils font sens auprès de couches plus ou
moins élargies de la population et participent de l'ancrage d'une imago
collective concurrente de celle véhiculée par la geste officielle
(et, ce, d'autant plus, nous l'avons vu, que cette dernière se signale
avant tout par sa discrétion), soit qu'ils nous informent de ce que
peut-être la fonction de cette figure pour certains groupes
intéressés à son exploitation.
Nous examinerons successivement :
- la banalisation des acceptions outrancières du mot
« harki », employé à tout sujet et par toutes
sortes d'acteurs comme synonyme de
« traître » ;
- les usages et images de la figure du harki dans le paysage
politique français (jusque et y compris les formes d'instrumentation
électorale de cette figure) ;
- enfin, la place singulière tenue par la figure du
harki dans la geste amère des « soldats perdus » de
l'Algérie française, qui en font comme l'étendard de leurs
« espérances trahies ».
- 1. Le détournement de vocable ou la banalisation
des acceptions outrancières du terme « harki » (le
harki comme référence injurieuse)
À l'instar de ce qui a cours en Algérie, quoique
dans une proportion éminemment moindre, le terme "harki" fait l'objet
d'usages dérivés en France et s'emploie fréquemment comme
synonyme de « traître » pour qualifier des individus
ou des groupes sans rapport avec ceux que ce terme désignait
originellement. Cette banalisation de l'usage des acceptions
outrancières du terme "harki" n'est pas seulement le fait de
catégories de population mal informées et peu à même
de faire la part des choses entre le sens premier du mot et son sens
dérivé. Elle est aussi le fait de personnes qui, sachant
pertinemment ce qu'elles font, ne se préoccupent guère d'entacher
la réputation des anciens harkis et de leurs familles. Ainsi, dans
l'optique de faire ce que l'on appelle habituellement un "bon mot", ou plus
simplement de qualifier dépréciativement l'attitude ou le
positionnement politique d'un adversaire, certains de nos représentants
politiques et autres leaders d'opinion en viennent paradoxalement à
consacrer une manière de dire qui, en Algérie, participe
aujourd'hui encore d'une rhétorique politique "anti-française"
(puisque l'emploi du terme "harki" y est fréquemment associé, sur
un mode dépréciatif, à celui de l'expression
« parti de la France »). Cette banalisation des acceptions
outrancières du terme "harki" dans l'ordinaires des prises de position a
pu être encouragée (en même temps qu'elle a
confortée) l'élision - jusque très récemment encore
- de cette figure dans la geste officielle française de la guerre
d'Algérie.
L'exemple de l'ancien Premier ministre français Raymond
Barre (mais encore du député et futur ministre de la Culture
Renaud Donnedieu de Vabres), exposé en introduction, témoigne du
reste de ce que cette banalisation des acceptions outrancières du terme
"harki" est au moins en partie - et peut-être d'abord - la
résultante de la faible considération portée à
cette figure par les pouvoirs publics1079(*). Dans le livre qu'elle dédie à son
père, un ex-supplétif qui a décidé - voici une
quinzaine d'années - de mettre fin à ses jours
immédiatement après avoir assisté à une
cérémonie du 11-novembre, Zahia Rahmani, dans un style
"âcre", incisif, interpelle les personnalités
précitées (et d'autres) pour leur faire savoir ce qu'il lui en
coûte d'entendre et de voir se banaliser de tels usages :
« On dit que tous les harkis et leurs descendants
sont des lâches, des traîtres et des pleureurs. Toutes les
insultes, tous les mépris, sont autorisés à leur sujet. Et
nos députés ne sont pas en reste. Rappelez-vous ces phrases
d'André Santini et de Renaud Donnedieu de Vabres que la presse a eu la
bienveillance de rapporter il y a quelque temps. Le premier expliquant pourquoi
il ne voterait pas le quinquennat par cette question, Serons-nous les harkis de
la droite française ? Qu'est-ce qu'on doit comprendre de la part
d'un homme [NDA : ancien secrétaire d'Etat aux Rapatriés en
1986-1987] qui appartient à un clan politique qui, depuis quarante ans,
j'en suis le témoin, exploite à des fins électorales
uniquement ces harkis de malheur ? Ces perdants qui n'ont plus aucune
voix ! Moi j'entends que ce bonhomme nourri de cigares dit que lui ne
trahira pas son clan. Mais il dit par la même occasion que le harki est
un traître, que mon père est un fumier, un fumier qui a trahi sa
communauté en soutenant l'Etat français. C'est peut-être
vrai, mais lui, il n'a surtout pas le droit de le dire. Au même pupitre,
son voisin à particule a couiné, Je ne serai pas le harki de J...
Qu'importe, il peut choisir. Qu'est-ce qu'il est grand, combatif, cet
aristocrate si bien converti aux bonnes moeurs de la République.
Qu'est-ce qui autorise un élu, un parlementaire, à moquer ma
douleur avec un tel cynisme, un tel mépris de la
responsabilité ? Je ne serais donc que de la merde ? Et moi,
à quelle saloperie du genre humain ai-je
affaire ? »1080(*).
Ceux qui sont à l'origine de tels détournements
de vocable en viennent d'ailleurs parfois à "surmarquer" l'acception
dépréciative du terme "harki" en l'accolant à celui de
"supplétif". C'est ainsi qu'un « proche de François
Léotard », interviewé en juin 1997 par les
Dernières Nouvelles d'Alsace, faisait part en ces termes - mais
sous couvert d'anonymat - de la volonté de ses camarades de l'UDF de ne
pas suivre l'appel de Patrick Devedjian à revoir l'organisation
politique de la droite dans le cadre d'une formation unique :
« Nous avons été les harkis de Balladur en 1995, ceux
d'Alain Juppé en 1997. On ne va pas devenir les harkis de quelque
supplétif maintenant »1081(*). Une (double) antienne qui a fait son chemin
à l'UDF puisque l'année suivante, au moment du conseil national
de ce parti, le président du Parti radical Thierry Cornillet, rejetait
la perspective d'une liste unique de l'opposition aux élections
européennes au cas où elle serait confiée à
Philippe Séguin, avec cet argument semble-t-il imparable (et fruit d'une
stratégie de communication au sein de l'UDF ?) :
« Nous ne serons ni le supplétif, ni le harki de
personne »1082(*).
Aux frontières de la dérision, le
détournement de vocable peut aussi parfois revêtir les atours
d'une improbable identification de sa destinée (politique) personnelle
au martyre enduré par les harkis. C'est en des termes savamment
pesés que l'ancien directeur général de la MNEF, Olivier
Spithakis, se posait en victime expiatoire de Lionel Jospin lors du
procès des emplois fictifs de la MNEF : « On a
été les harkis de la présidentielle de 2002. On a
décidé de nous sacrifier, de couper la branche. Nous sommes la
génération trahie par l'histoire alors que nous pensions que nous
étions soutenus au plus haut niveau de l'Etat et du parti. La
duplicité, ça suffit. Moi, je ne dis pas que je suis un saint,
mais il ne faudrait pas que d'autres s'attribuent l'image de la
morale »1083(*).
S'agirait-il encore, pour la mouvance nationaliste catholique,
de tirer les leçons de la « crise des caricatures »,
et Thierry Boudreaux, du mouvement identitaire Le Renouveau Français,
considérant que « sous prétexte de refuser, à
juste titre, que l'Islam fasse sa loi en Europe, on ne doit pas en venir
à défendre l'abjecte pseudo-civilisation moderne qui
défigure l'Occident jadis chrétien », lance un mot
d'ordre qu'il veut être sans ambiguïté : « Ne
soyons les harkis de personne ». Et il précise :
« Nous ne devons pas nous retrouver à défendre leur
fausse liberté, leur droit à ne rien respecter, leur droit absolu
à toutes les provocations : que l'on trouve regrettable (et
inutile) ou pas la publication des caricatures anti-Mahomet, nous ne
tolérerons en tout cas jamais que ce genre de dessins ou railleries se
fassent contre la religion catholique »1084(*).
Il n'est pas jusqu'au secrétaire général
du Syndicat national des vétérinaires français (SNVF), le
docteur Claude Andrillon, pour opérer de tels détournements de
vocables. Soucieux de dénoncer le traitement dont étaient l'objet
les quelque 5.000 vétérinaires regroupés sous son
égide, réquisitionnés en 2001 par l'Administration pour
venir en aide à leurs confrères du service public dans le cadre
de la lutte contre la fièvre aphteuse et la maladie de la vache folle,
Claude Andrillon avait averti les pouvoirs publics que « les
vétérinaires en ont assez d'être les harkis de
l'administration », ajoutant : « Ce n'est pas facile.
On est corvéable à merci »1085(*).
Quant au responsable Internet de la Fédération
Des Astrologues Francophones (FDAF), Louis Saint Martin, il
appelait les membres de la Fédération à s'interroger
sur « le creux de la vague en astrologie »,
déplorant notamment « l'assujettissement (voire
l'aliénation) de l'astrologie au langage de la psychanalyse. Pour
beaucoup d'astrologues, ajoutait-il, l'astrologie est devenue le harki de la
psychanalyse »1086(*).
Ces acceptions dépréciatives sont même,
semble-t-il, devenus l'un des attributs de la francophonie puisque l'on trouve
trace d'usages détournés de ce vocable au-delà même
de nos frontières. C'est ainsi qu'un rapport parlementaire belge sur les
Eléments constitutifs du contrat de gestion 2006-2011 de la
RTBF pointait des « difficultés persistantes en ce qui
concerne la différence de statut des personnels », soulignant
que « les télévisions locales ne sont pas des harkis
à qui on peut faire n'importe quelles missions. Il se pose la question
de savoir quel est l'avenir des commissions régionales de la RTBF
? »1087(*).
Plus loin, encore : « Il est clair que les
télévisions locales ne peuvent être les harkis de la RTBF,
le bagage et le travail des rédactions des télévisions
locales s'est considérablement amélioré. L'information
régionale doit se faire dans le journal télévisé,
peut-être sous forme de micro-décrochage »1088(*).
De même (quoique dans un autre registre), Philippe
Chevalier, du Groupe pour une Suisse sans armée (GssA),
dénonçant les faux-semblants du « droit »
voire du « devoir d'ingérence », s'inquiétait
de ce que les soldats suisses soient amenés à s'inscrire dans le
sillage « des puissances impériales (Etats-Unis,
Grande-Bretagne, France, etc.) [qui], sous couvert de solidarité,
continuent de mener leurs politiques hégémoniques », et
se retrouvent ainsi en position de « devenir les harkis de
l`OTAN »1089(*).
Aussi, et quoique ces "acrobaties de langage" ne soient pas,
à proprement parler, des attaques dirigées contre la
communauté en tant que telle, un certain nombre d'associations de harkis
-inquiètes de leurs retombées indirectes en terme d'image et
soucieuses qu'elles ne fassent pas école - ont décidé, ces
dernières années, d'y répondre systématiquement par
la voie judiciaire. A l'exemple de l'association Génération
Mémoire Harkis (GMH), présidée par Smaïl Boufhal, qui
est à l'initiative d'une plainte en diffamation visant l'ancien Premier
ministre Raymond Barre (pour les propos cités en Introduction), estimant
que celui-ci « avait publiquement porté atteinte à
notre personnalité et à notre identité ». La
sollicitation tous azimuts de l'institution judiciaire participe d'ailleurs,
depuis quelques années, du renouvellement des formes de mobilisation
collective au sein de la communauté. Nous y reviendrons en détail
dans la Partie 4.
- 2. Entre positionnement politique et geste
politicienne : images et usages des harkis dans le paysage politique
français
Nous avons exploré, dans une section
précédente, la manière dont, au nom de l'Etat
français, il fut globalement rendu compte de la destinée de la
communauté harkie par les différentes majorités de droite
et de gauche qui, depuis 1962, au gré des alternances, ont assumé
l'exercice du pouvoir. Il convient de compléter cette perspective
institutionnelle par l'exploration des prises de position qui,
expressément relatives à la destinée des harkis (il ne
s'agit pas ici de détournement de vocable), sont professées dans
le cadre non de l'exercice du pouvoir proprement dit mais de la
compétition électorale : ce sont les images
véhiculées par les organisations partisanes en tant que telles -
c'est-à-dire en tant qu'elles sont engagées dans la
compétition électorale pour y représenter un courant
d'opinion, que ce courant soit ou non majoritaire - qui nous intéressent
ici.
a) Entre geste gaullienne et gêne
néo-gaulliste : de la difficulté d'un droit d'inventaire sur
la personne du général de Gaulle au sein de la droite
chiraquienne
Au fil de la première partie, il nous a
été donné de voir ce que la politique algérienne du
général de Gaulle, en particulier certains aspects liés au
coût humain de la politique dite de
« dégagement », avait de contestable. Cette
réalité contrastée, plutôt que d'être
ouvertement assumée, était, jusqu'à une date
récente, peu ou prou évacuée par ceux qui se posaient en
héritiers politiques et/ou en gardiens de la mémoire
gaullienne ; ceux-ci insistant généralement plus volontiers,
au prix de quelques omissions, sur le « pragmatisme » et
les qualités de « visionnaire » du chef de
l'État en cette circonstance. Ainsi, en 1992, Nicolas Sarkozy, alors
secrétaire général adjoint du RPR, considérait que
la décolonisation « n'était pas un sujet de
débat » et que l'indépendance de l'Algérie avait
été « une étape rapidement
digérée », qui n'avait pas eu de caractère
« structurant » dans la vie politique française,
comparable à celui de l'Affaire Dreyfus ou de l'Occupation1090(*). Né le 28 janvier
1955, Nicolas Sarkozy est, il est vrai, de la "génération
d'après", celle qui n'a pas à proprement parler "vécu"
(politiquement s'entend) la guerre. Eric Raoult, né la même
année que Nicolas Sarkozy, s'il tient lui aussi pour évident
qu' « il fallait partir, bien sûr », admet
cependant qu' « on l'a fait avec beaucoup de
dégâts » : « Le 19 mars 1962, ce ne fut
pas la paix. Les rapatriés et les harkis sont nos boat people. Nous
avons géré cela moins bien que les Etats-Unis leur départ
du Vietnam. On y a laissé un peu de l'honneur de notre
pays »1091(*).
D'autres, anciens partisans ou sympathisants de
l'Algérie française, notamment au sein de l'UDF, ont eux-aussi
préféré garder le silence, quoique pour d'autres raisons.
François Bayrou : « Ils avaient ramené de Gaulle
au pouvoir et ils ont été trahis. Cela leur a laissé un
rapport très étrange avec la parole politique, une suspicion
durable à son endroit ». Et d'ajouter : « Il en
reste une souffrance dans l'inconscient collectif de l'UDF »
1092(*).
La difficulté d'un droit d'inventaire sur la personne
du général de Gaulle n'a certes pas empêché le RPR
puis l'UMP de consacrer une « attention soutenue et
régulière » (Stéphanie Abrial1093(*)) aux harkis, depuis la loi
Santini de 1987 jusqu'à la loi du 23 févier 2005, en passant par
la loi Romano de 1994 (et avec pour point d'orgue symbolique l'institution en
2001 par Jacques Chirac - puis la pérennisation - d'une Journée
d'hommage national aux harkis). Cependant, cela ne va pas sans une lecture
avantageusement simplificatrice du passé, comme en témoigne une
affiche électorale, préparée spécialement pour la
campagne présidentielle de 1988 et largement distribuée dans les
hameaux et cités de harkis. Cette affiche représentait un
Français-musulman en habit traditionnel, monté à cheval et
armé d'un fusil, où l'on pouvait lire : « Nos
pères ont choisi la France. Nous choisissons Jacques
Chirac »1094(*). Or, en insistant sur le "choix" des pères,
comme s'il se suffisait à lui-même pour expliquer la
destinée des Français musulmans rapatriés, c'est ce qu'en
ont fait leurs autorités de tutelle de l'époque qu'on
élude ainsi opportunément. Ce qui, compte tenu de la filiation
politique revendiquée par Jacques Chirac, ne doit bien sûr rien au
hasard.
A cet égard, il n'est pas sans intérêt de
noter que la décision d'instaurer une Journée d'hommage national
aux harkis, prise au début de l'année 2001, a été
précédée - et comme impulsée - par une action de
lobbying d'Alain Madelin1095(*) lequel, précisément, se veut libre de
toute attache à l'endroit de la personne du général de
Gaulle, dont il avait combattu la politique algérienne alors qu'il
était encore lycéen. Voici comment l'intéressé se
remémore cette période : « Je me suis jeté
[dans la vie politique] avec passion quand je n'avais pas seize ans.
C'était au temps où l'histoire brûlait une partie de la
jeunesse, la fin de la guerre d'Algérie, avec pour moi l'image
insupportable de ceux qui avaient porté l'uniforme français, les
harkis, qu'on avait alors abandonnés et laissés massacrer avec
leurs familles ». Et il ajoute : « Aujourd'hui, dans
les mêmes circonstances, les responsables de cet abandon seraient
traduits devant un tribunal international »1096(*).
A l'inverse, André Santini, quoique parfaitement
conscient de ce que furent les responsabilités françaises de
l'époque dans la destinée tragique des harkis (ce qui ne l'a pas
empêché par la suite, nous l'avons vu, de jouer du terme "harki"
pour disqualifier les comportements de certains de ses
congénères, au grand dam de Zahia Rahmani), s'était fondu
- lorsqu'il exerçât les responsabilités de
secrétaire d'Etat aux Rapatriés dans le gouvernement de Jacques
Chirac en 1986-1987 - dans la geste atonale (et acritique) des gouvernements
successifs depuis 1962, prodigue de subsides plutôt que de paroles. Il
s'en était rétrospectivement expliqué lorsque je l'avais
rencontré dans sa mairie d'Issy-les-Moulineaux, en 1999 :
« Question -
J'ai l'impression que, en dépit de l'accroissement
substantiel des sommes que vous avez allouées à l'indemnisation
des harkis et de leurs familles, en dépit de certaines
déclarations tendant à réhabiliter la figure du harki dans
l'imaginaire collectif, et en dépit de la relative popularité que
vous a valu votre action à l'endroit de la communauté harkie en
son sein, [j'ai l'impression, disais-je] que vous n'avez, à l'instar de
vos prédécesseurs et de vos successeurs, pu (ou voulu, ce sera
à vous de me le préciser) vous affranchir de certaines
timidités quant à l'imputation des responsabilités dans le
massacre des harkis (j'entends par là la part propre des
autorités françaises de l'époque, jusque et y compris les
plus hauts échelons de la magistrature politique). Ma question
serait : est-ce parce que, à titre personnel ou eu égard
à vos fonctions, vous vous refusiez (et vous refusez toujours ?)
à qualifier d' «abandon» le sort réservé
aux musulmans pro-français par les autorités françaises de
l'époque, ou est-ce parce que, étant sous l'autorité
directe d'un Premier ministre qui se réclamait (et se réclame
toujours) de l'héritage gaullien en politique, de telles
déclarations vous auraient mis en porte-à-faux
politiquement ?
André Santini - Je trouve que
votre question est... remarquable d'intelligence et... et d'acuité...
euh... parce qu'elle relève de la psychanalyse, et en
politique... c'est très simple : la psychanalyse, on la
fait "off" ; et dès que l'on est devant un micro ou autre, y
compris moi-même qui ne suis pas réputé pour ma langue de
bois, eh ! bien vous vous trouvez solidaire d'un gouvernement ;
essayez de... de comprendre : nous étions tous pour
l'Algérie française, nous avons été
élevés dans cette tradition. (...) Et puis, un beau jour, on nous
fait comprendre que ce n'est plus possible ; on essaye de comprendre,
et... tous ces pauvres Algériens qui nous avaient fait confiance, qui
s'étaient engagés, un ordre du jour commande qu'on ne les
rapatrie pas, qu'ils restent là-bas, et puis, incontestablement, il y a
eu les massacres des harkis...
- ... vous faites référence à la
directive Joxe ?
- Oui, c'est ça, et puis... bien sûr... et il y
a les instructions... militaires, aussi, je crois que c'était
Ailleret... de ne pas embarquer de harkis. Certains l'ont fait, vous le savez,
la preuve, un certain nombre ont été ramenés en France.
(...) Alors, est-ce qu'il fallait... est-ce qu'il fallait... reconnaître
cela ? Qu'est-ce que cela aurait apporté de le
reconnaître ?
- C'est ce que je vous demande, justement...
- ... voilà... qu'est-ce que ça aurait
apporté ? Moi je suis un pragmatique : je ne sais pas
très bien quelle reconnaissance aurait été
diffusée... et au profit de qui... à partir de là,
cependant, et dans les arbitrages budgétaires, je ne me gênais pas
pour dire... comme Clemenceau le disait pour les anciens de 14-18 :
« Ils ont des dettes sur nous »...
- ... « Ils ont des droits sur
nous »...
- ... « Ils ont des droits sur nous ».
Et donc on a donné... mais c'est qu'au fond, on ne posait
jamais le problème : mais qu'est-ce que ça aurait
changé, d'un point de vue
efficacité ? »1097(*).
b) Entre défiance et indifférence :
la figure du harki dans les gestes communiste et socialiste de la guerre
d'Algérie
Nous l'avons dit, à gauche, on revendique aujourd'hui
plus volontiers l'héritage du PSU et de la "deuxième gauche",
ainsi que de certains milieux intellectuels et étudiants sans
étiquettes autres qu'un idéal révolutionnaire
protéiforme, voire - non sans réserves - du PCF1098(*), que celui de la SFIO
« mollétiste ». Le qualificatif de
« mollétiste » est même devenu une
étiquette dépréciative de ce côté-ci de
l'échiquier politique, qualificatif accolé à quiconque est
soupçonné de "trahir" les idéaux
« progressistes » en raison de pressions exercées
par les establishments politiques, économiques, militaires, etc.
Ainsi la gauche, qui « a vécu
l'Algérie et sa guerre sur le mode de la culpabilisation »,
a-t-elle longtemps entretenu un rapport particulier à ce
pays : « [L'Algérie], écrivait Benjamin Stora
en 1992, est présentée comme un bloc indifférencié,
peuple et gouvernement mêlés, presque située hors du temps.
Décolonisée, l'Algérie n'a plus d'histoire
antérieure. Pays de l'Est sous le soleil, on perçoit en quelque
sorte une société «froide», répétitive,
statique, ce qui permet une mise en musée. Cette attitude entrave toute
approche critique de l'histoire algérienne, passée ou
présente ». Et il ajoutait : « Cette
homogénéité postulée de l'Algérie explique
les relations d'Etat à Etat et le refus d'examen d'autres forces,
d'autres mouvements sociaux ou politiques »1099(*). De même, Bernard
Ravenel, qui fut en charge des relations internationales au sein du PSU entre
1974 et 1984, et dit avoir entamé après les émeutes
d'octobre 1988 à Alger « une autocritique de fond de ce qui
aura été le tiers-mondisme acritique du PSU »,
soulignait en 1998 que « dans la décennie 1971-1981, la gauche
française tout entière a donné son soutien acritique au
système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a
attribué un surcroît de légitimité. Avec ce
comportement suiviste, la gauche s'est auto-interdite de discuter publiquement
les carences de ce régime, confortant la vision dominante d'un FLN
toujours porteur d'un possible processus de libération ». Et
il ajoutait : « En se limitant pour l'essentiel au niveau de la
relation acritique d'Etat à Etat, la gauche française, avec des
nuances mais globalement au moins jusqu'en 1988, a légitimé le
système de pouvoir algérien »1100(*). A son tour, en 1991,
Lionel Jospin, qui fut chargé des relations avec le tiers-monde au sein
du PS, amorcera une première démarche
autocritique : « Je me souviens encore de l'époque
où, renouant les relations entre le PS français et le FLN
algérien, nous taisions les observations critiques que nous aurions pu
faire sur le «socialisme algérien». Le FLN était si
jaloux de son indépendance et si assuré de ses choix qu'il ne
nous était guère loisible d'engager de véritables
débats sur les chances et les risques du modèle algérien.
(...) C'est de cette autocensure que nous devons progressivement
sortir »1101(*).
C'est dans ce contexte que doit être analysée la
(non-)place faite à la figure du harki dans les gestes socialiste et
communiste de la guerre d'Algérie. A cet égard, le fait que les
harkas ont été officialisées sous le gouvernement Guy
Mollet, le 8 février 1956 précisément, ajoute sans doute
aux raisons qui ont conduit à ce que, après la guerre, le harki
ait fait au mieux figure d'impensé, au pire figure de bouc
émissaire : cette occultation ou ce rejet étaient d'autant
plus forts, donc, qu'ils valaient aussi rejet des circonstances et
configurations politiques ayant présidé à "l'invention" de
la destinée des harkis.
- La figure du harki dans la geste
communiste
A leur arrivée en France, nous l'avons vu1102(*), les Français
musulmans rapatriés sont - selon Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou -
« en butte avec une grande partie du monde ouvrier qui leur refuse la
possibilité de travailler »1103(*). Ainsi, par exemple, nous
l'avons vu, le parti communiste et la CGT adressent de concert cet
avertissement au préfet IGAME des Bouches-du-Rhône :
« [Nous établissons] [parmi les rapatriés
d'Algérie] une différence très nette entre les
salariés d'une part et les capitalistes, colonialistes ainsi que les
harkis d'autre part qui ne peuvent ni les uns, ni les autres être
considérés comme des travailleurs »1104(*). De même, Philippe
Bouba, dans le mémoire qu'il a consacré à l'arrivée
et à l'adaptation des pieds-noirs en Roussillon, rapporte ce que fut
l'accueil de la section communiste locale. Dans un article du Travailleur
Catalan en date du 2 juin 1962, les douleurs suscitées et la
réalité même de l'exode des pieds-noirs sont mises en
doute, les rédacteurs insinuant que « les appels
pathétiques de dame radio, du conseil municipal de Perpignan, de
Monseigneur l'Evêque, de la Chambre de Commerce et les écrits
larmoyants de l'Indépendant » ne sont pas fondés, ajoutant
que « le port présentait un spectacle de quai de gare, la
veille de départ en vacances »1105(*). Dalila Kerchouche
rapporte par ailleurs que ce même journal - à une date non
précisée par l'auteur - s'est aussi "intéressé"
à l'arrivée des anciens harkis. Elle cite un paragraphe qui,
dit-elle, la « révulse
littéralement » :
« Nous avions prévu, il y a quelques mois,
que notre camp Joffre servirait de refuge à tous ces harkis et autres
épaves dont ne voudrait pas l'Algérie nouvelle,
indépendante et libre. C'est à plusieurs milliers qu'ils sont
logés dans ce vaste emplacement, et on en attend d'autres, ils arrivent
par trains entiers. Certains, trompés par de mauvais bergers, d'autres
ayant des faits sur leur conscience à se reprocher, vis-à-vis de
leur patrie. Et nous nous demandons si, devant cet afflux
d'indésirables, nous ne devrons pas redoubler de vigilance pour
éviter les provocations comme celles qui ont eu lieu en divers endroits
de France et dont les harkis seuls ont à supporter la pleine
responsabilité. Pour beaucoup d'entre eux, hommes à tout faire,
ils doivent une dette aux colonialistes, qui les ont bien payés pour
trahir leur pays, leurs frères. Et aujourd'hui, si nous nous
réjouissons de la naissance d'une République algérienne,
démocratique et populaire, où nous reconnaissons beaucoup de nos
véritables amis, nous regrettons que le camp situé à 3
kilomètres de notre agglomération serve de dépotoir
à ceux qui n'ont même pas le moindre scrupule de
conscience »1106(*).
Les quelques enfants de harkis qui, pour quelque raison,
s'engagent dans le militantisme politique au sein de ce parti ne tardent pas
à prendre conscience et à sentir le poids de la situation
contradictoire dans laquelle, de ce fait, ils se trouvent placés. Ainsi
en va-t-il de Lucien Rafa, qui, en dépit des difficultés
rencontrées, n'a pas abdiqué son engagement :
« Communiste, encore, enfant de harki, à jamais, je ne
parviens pas à assumer ce lourd dilemme : militant dès mon
plus jeune âge au sein du Syndicat du Livre et ensuite au PCF, je me suis
battu pour le droit des peuples à disposer de leur indépendance
et j'ai quitté le Parti lors de la guerre en Afghanistan, pour le
retrouver plus tard. Moi, fils de harki, c'est-à-dire la
progéniture d'un «collaborateur et traître» à son
peuple, pour ne pas dire «race», je m'engageais dans un parti
révolutionnaire et, qui plus est, un parti qui avait soutenu le
FLN ! (...) J'avoue avoir longtemps refoulé, nié ou tu ma
«condition» de fils de harki - j'en ai eu honte quelquefois. Le
regard, les réflexions, les interrogations des camarades, le
mépris de certains... ont ajouté à ce sentiment de
culpabilité »1107(*).
Pour sa part, Brahim Sadouni, un ancien harki, coupera court
à son expérience de militant au sein du PCF dès qu'il se
heurtera à l'hostilité ouverte de ses camarades de parti :
« Peu après mon arrivée à Rouen, en 1973, j'ai
fait la connaissance de Gérard, un syndicaliste de la CGT. Il est
tuyauteur et comme je suis soudeur nous travaillons ensemble à l'atelier
ou sur les chantiers. (...) Au bout de quelques mois, il me propose d'entrer au
Parti. (...) A l'époque, je ne connais pas très bien la
différence entre les diverses tendances politiques, mais je suis
vraiment touché par la gentillesse de Gérard et par celle de ses
camarades. (...) C'est ainsi que j'intègre la cellule du Parti, à
Grand-Couronne, dont le maire est communiste. (...) Un soir, en 1973,
Jean-Pierre Le Borgne, l'un des dirigeants de notre cellule, évoque la
situation au Portugal. (...) A ce moment, je prends la parole. Les
«camarades» sont tellement gentils avec moi qu'ils auront aussi un
peu de compassion pour mes frères harkis.
- Vous nous parlez du Portugal. C'est très bien que la
démocratie soit revenue là-bas. Mais c'est un pays qui est loin.
Pendant ce temps il y a un problème grave à résoudre en
France. C'est celui des harkis.
Je veux lancer un débat sur cette question.
Silence de mort dans la salle... mes paroles jettent un froid
inattendu. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde se tait. Jean-Pierre Le
Borgne me regarde, puis il prend la parole.
- Nous ne pouvons pas parler des harkis, Brahim.
- Pourquoi ?
- Parce que les harkis sont des traîtres.
Je me lève, choqué.
- Ah ! bon. Je suis un traître ?
J'enfile ma veste et ma casquette, puis je sors ma carte du
Parti et la déchire devant tout le monde. (...) Des camarades essayent
de me retenir :
- Toi, ce n'est pas pareil, me disent-ils. A l'époque
tu étais trop jeune pour comprendre... »1108(*).
Il est un fait que, dans les premières années,
la figure du harki a été tenue pour quantité
négligeable voire, à des degrés divers, pour
quantité méprisable à gauche. Au fil des années,
cependant, avec l'évidence de la faillite du modèle socialiste
algérien d'abord, l'accession aux responsabilités des socialistes
et des communistes français ensuite, ceux-ci ont très
progressivement été amenés sinon à
réhabiliter du moins à composer avec cette figure,
littéralement : à la re-considérer.
Aujourd'hui, une plus grande prudence est de mise au sein du
PCF, où l'on admet volontiers que les Français musulmans
rapatriés, à l'instar de tout groupe humain, est divers dans ses
composantes. Charles Silvestre, éditorialiste à
L'Humanité : « Que les harkis, qui n'ont pas
tous la même histoire - beaucoup ont été embarqués
par la puissance coloniale, d'autres se sont livrés sciemment dans le
djebel ou à Paris même, sous les ordres de Papon, à des
actes terribles -, soient eux aussi des victimes, que les pieds-noirs aient
vécu un drame même s'il n'a rien à voir avec cette
«Saint-Barthélemy» dont parle de façon ridicule
l'hebdomadaire Le Point, [cela] n'est pas
contestable »1109(*). Ainsi, l'image de « nervi du
colonialisme », voire la caricature du
« tortionnaire impavide et cupide », sans avoir
complètement disparu des esprits, ne sont plus conçues comme
hégémoniques. En fait, à l'instar de l'évolution
constatée au sein du collège des intellectuels en guerre
d'Algérie (voir ci-dessous le chapitre III de la Partie 2), l'image du
harki est passée globalement de celle de « collabo »
à celle de « malgré-nous » dans l'imaginaire
du PCF. Ce qui, somme toute, n'est guère plus flatteur pour les
intéressés, qui se voient ainsi ravalés du rang d'"esprits
rudes" à celui d'"esprits simples". Comme en témoigne, avec une
certaine véhémence, cet extrait d'un article de Jacques Cros,
publié par Initiative Communiste, bulletin électronique
du Pôle de Renaissance Communiste en France (PCRF), qui s'est
constitué en 2004 autour de membres actuels et d'ex-membres du PCF, et
qui appelle à « la renaissance d'un vrai parti communiste en
France » : « A propos des harkis, il faudra bien un
jour leur dire qu'à un certain moment ils n'ont pas fait le bon choix.
On s'est servi d'eux, sans résultat au demeurant quant à l'issue
de la guerre. Pour ceux qui les ont engagés contre leur peuple il
n'était pas question d'autre chose que de les utiliser et le racisme
allait de soi à leur encontre comme à l'encontre des
Algériens qui avaient choisi le chemin de la dignité et de
l'indépendance. Ce n'est pas impunément qu'on fait de la
collaboration (de classe ou autre) »1110(*).
- La figure du harki dans la geste
socialiste
Au moment des premières arrivées massives de
rapatriés d'Algérie, en juillet 1962, Gaston Defferre, maire
socialiste de Marseille (principale porte d'entrée sur la France des
nouveaux arrivants), avait multiplié, à leur encontre, les
déclarations inamicales. Le 22 juillet, à
Paris-Presse : « Marseille a 150.000 habitants de trop.
Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs ! ». Il
récidive, quelques jours plus tard (le 26 juillet), dans une interview
donnée au Figaro, témoignant de ce que ses
déclarations ne sont pas le fruit d'un emportement mais d'une
hostilité de principe :
Question : « Voyez-vous une solution au
problème des rapatriés de Marseille ? ».
Réponse : « Oui ! Qu'ils quittent
Marseille en vitesse »1111(*).
Cependant, quoique tapageuses, ces déclarations sont
globalement trompeuses car c'est l'indifférence, plutôt qu'une
hostilité affichée, qui, des années durant, prévaut
au sein de la mouvance socialiste : le programme commun de la gauche
en 1972 ne comporte ainsi aucune référence ou allusion aux suites
de la guerre d'Algérie1112(*). Certes, par deux fois, dans un souci de
rassemblement national (et peut-être aussi par souci d'attirer à
lui les adversaires de la politique algérienne du général
de Gaulle), François Mitterrand a signé sa volonté
d'aborder de front les séquelles de la décolonisation en poussant
plus avant la logique des lois d'amnistie : déjà, en 1966,
il dépose un projet de loi - co-signé par Guy Mollet et Gaston
Defferre (lequel doit désormais, contre sa volonté initiale,
compter avec le poids électoral des rapatriés à Marseille)
- proposant le rétablissement dans leurs grades et leurs fonctions des
condamnés civils et militaires de l'OAS ; puis, le 3
décembre 1982, dans cette droite ligne (« Il appartient
à la nation de pardonner »), il fait adopter par sa
majorité - non sans remous internes - la dernière loi d'amnistie
qui, de fait, réintègre dans l'armée les officiers
généraux putschistes et leur octroie les
« révisions de carrière » nécessaires
à la perception de l'intégralité de leurs retraites. Mais,
ce faisant, nous l'avons dit, il se heurte à de fortes oppositions
internes car cette initiative bouscule et, d'une certaine manière, prend
à revers la trame du ressouvenir de la guerre d'Algérie au sein
de la mouvance socialiste.
Du reste, ces brusques bouffées de mémoire ne
concernent que très indirectement - pour ne pas dire aucunement - les
anciens harkis. Certes, à partir de 1981, la majorité de gauche
pérennise et, dans une certaine mesure, améliore le dispositif
d'accompagnement des familles de harkis mis en place à la suite du
démembrement du système d'accueil et de reclassement (voir la
Partie 1). Mais ces actions restent discrètes et ne s'accompagnent
d'aucune prise de position publique ni d'aucun débat interne
significatifs. Ainsi que le signale Stéphanie Abrial, « il est
difficile de trouver une logique de positionnement politique sur la question
des rapatriés » au sein du Parti socialiste. La responsable du
service de documentation, contactée par l'auteure, signale d'ailleurs
qu'à sa connaissance, « il n'y avait jamais eu de vrai débat
sur la question des Français musulmans rapatriés et jamais de
prise de position effective du Parti en tant que tel »1113(*).
Certes, peu avant les élections législatives de
2002, le Parti socialiste a élaboré un « Contrat de
législature » spécifique en faveur de la
communauté harkie. Mais ce texte, sur lequel est apposée la
signature de Marie Richard, alors Secrétaire nationale à la
Citoyenneté au Parti Socialiste, tient en fait sur trois pages et n'a
donné prise à aucune discussion d'envergure au sein du
Parti1114(*).
L'explication en est d'ailleurs contenue dans le document lui-même qui
explique que « le regard défiant que leur portent encore
aujourd'hui des hommes de bonne volonté, progressistes, mais pour
lesquels seuls les tenants de l'indépendance de l'Algérie ont
droit de cité, empêchent [les anciens harkis] d'assumer au grand
jour leur histoire et de la transmettre à leurs enfants et
petits-enfants ».
La figure du harki n'est pourtant pas totalement absente des
cadres du Parti, mais sa prise en charge est abandonnée à des
initiatives individuelles, que celles-ci soient motivées par les
trajectoires biographiques des intéressés1115(*) ou, plus
prosaïquement, guidées par leurs intérêts
électoraux. Car les quelques rares députés ou
personnalités politiques socialistes de premier plan à avoir fait
valoir leur singularité sur ces questions sont tous des élus de
circonscriptions marquées par une forte implantation de populations
rapatriées d'Algérie : outre le député de
l'Hérault Kléber Mesquida, lui-même né en
Algérie et auteur d'une proposition de résolution (n°1637)
tendant à la création d'une « commission
d'enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses
victimes civiles, rapatriées et harkis après la date officielle
du cessez-le-feu de la guerre en Algérie », il en est ainsi
des trois députés socialistes de l'Aude (Jean-Claude Perez,
Jacques Bascou et Jean-Paul Dupré), de Gérard Bapt,
député de Haute-Garonne, de Jean-Pierre Bacquet,
député du Puy-de-Dôme, ou encore du président du
Conseil régional de Languedoc-Roussillon et ancien maire de Montpellier,
Georges Frêche.
Ce dernier, ancien militant maoïste (il adhère
à 25 ans à la Fédération des cercles
marxistes-léninistes, FCML, directement subventionnée par la
valise diplomatique chinoise1116(*)), puis député socialiste de
l'Hérault, a toujours joué d'une position affichée de
"franc-tireur" au sein du Parti socialiste eu égard aux
rapatriés ; allant même, pour ce faire, jusqu'à
traiter publiquement les parlementaires qui avaient demandé l'abrogation
de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 (énonçant le
« rôle positif de la colonisation ») de
« gugusses du PS qui font une opération
politicienne », puis à entonner le « chant des
Africains » en plein Conseil régional. Ce même jour, au
déjeuner, Georges Frêche, s'adressant au porte-parole du
groupe communiste, expliquait : « Moi, tu comprends, je ne suis
pas à Nantes, où il n'y a pas l'ombre d'un rapatrié. Ici,
à Montpellier, c'est eux qui font les
élections »1117(*). Une stratégie électoraliste
adoptée de longue date1118(*) et continûment payante puisque Georges
Frêche sera régulièrement soutenu par les associations de
rapatriés : en 1993, il est le seul candidat socialiste soutenu par
le Recours ; en 2002, le Recours à nouveau, ainsi que l'Anfanoma,
l'Association nationale des Français disparus en Algérie,
l'Association des rapatriés anciens combattants d'Afrique du Nord, le
Comité de défense des rapatriés et quelques autres
amicales de pieds-noirs lui apportent leur soutien au motif que Georges
Frêche a démontré son « attachement »
et sa « fidélité » à la
communauté, et qu' « il a refusé de voter la date
souvenir du 19 mars »1119(*).
C'est dans ce contexte très particulier qu'a pris corps
l'incident survenu le 11 février 2006 à Montpellier lors d'une
cérémonie d'hommage à Jacques Roseau, ancien
président de l'association de rapatriés le Recours (mort
assassiné en 1993), cérémonie organisée par Georges
Frêche en présence de Jack Lang. Pris à partie au cours de
cette cérémonie par des fils de harkis membres de l'Association
Justice Information Réparation (AJIR), qui souhaitaient lui faire part
de leur mécontentement quant aux solutions de relogement
proposées par la municipalité (la nouvelle mairie de Montpellier
devant être édifiée sur le site d'une ancienne cité
de transit, où vivent encore 106 personnes rassemblées dans 26
logements), Georges Frêche, apprenant par ailleurs que ces mêmes
personnes avaient assisté le matin même à une manifestation
organisée par des députés UMP hostiles à
l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005, n'avait pas
supporté que ceux qu'il estimait être de plein droit "ses"
électeurs lui manquent ainsi ostensiblement. Sa réplique, qui fit
scandale, fut cinglante : « Ils [les gaullistes] ont
massacré les vôtres en Algérie et vous allez encore leur
lécher les bottes ! Mais vous n'avez rien du tout, vous êtes
des sous-hommes, vous n'avez aucun honneur ! ». Et
d'insister : « Vous faites partie des harkis qui ont vocation
à être cocus toute leur vie ! Allez donc rejoindre vos
frères les gaullistes qui ont laissé massacrer les vôtres,
qui ont été égorgés comme des porcs. Allez leur
lécher les bottes ! ». Deux jours plus tard, Georges
Frêche convoquait la presse pour s'excuser publiquement d'avoir
prononcé les mots « sous-hommes », expliquant s'en
être pris à une personne en particulier et non à la
communauté harkie dans son ensemble, et réaffirma
« [avoir] toujours soutenu et aimé les
harkis »1120(*). Il s'en expliquera à nouveau, le lendemain,
dans le Midi Libre : « Je ne me suis jamais
adressé aux harkis dans leur ensemble. J'ai eu une
«engueulade» avec un harki et puis j'ai pensé que le mot
employé était blessant pour lui. Je l'ai retiré. (...) Je
défends les harkis depuis trente ans. Je les ai trouvés ici dans
la boue. Au milieu des rats. (...) Les gaullistes et la droite les avaient
laissés pourrir dans des conditions innommables ».
Mais plus encore que la sortie de Georges Frêche, c'est
la (non-)réaction du Parti socialiste qui est ici d'intérêt
pour nous. Interrogé par Libération à l'issue de
la cérémonie sur les propos tenus en sa présence par
Georges Frêche, Jack Lang assurait n'avoir rien entendu. Dans un point
presse tenu deux jours plus tard (avant les excuses publiques de Georges
Frêche), Bruno Le Roux déclarait - au nom des instances nationales
- que « les propos de Georges Frêche, si je les ai bien
entendus, me semblent à remettre dans un contexte local »,
ajoutant que « [c'était] à lui d'en préciser le
sens et d'expliquer ses propos ». Sans menace de sanction, donc. Le
lendemain, Georges Frêche, fort de son leadership sur une
fédération rassemblant à elle seule 5.000 membres,
était d'ailleurs l'invité de Dominique Strauss-Kahn, en recherche
d'appuis pour sa campagne. Au même moment, Robert Navarro, premier
secrétaire de la fédération de l'Hérault restait
« injoignable », tandis que la militante de permanence
s'étonnait de ce que le journal Libération cherche
à recueillir des réactions : « Qu'est-ce que cela
a à voir avec le PS ? »1121(*).
Plus significative encore fut la réaction des militants
du siège parisien du PS après que des fils de harkis eurent
installé un campement et entamé une grève de la faim rue
de Solferino. Voici ce qu'en disent les intéressés
eux-mêmes dans un communiqué diffusé à la
presse : « Le collectif Justice pour les Harkis, l'association
Harkis et Droits de l'Homme, ainsi que l'association UNIR sont
scandalisées par l'attaque perpétrée par des gros bras du
PS à l'endroit des grévistes de la faim qui s'étaient
pacifiquement installés devant le siège du PS sis 10, rue de
Solferino 75006 à Paris. En effet, profitant de l'éloignement de
ces derniers, plusieurs personnes sorties du siège du PS ont sauvagement
détruit leur campement, en confisquant la bâche qui les
protégeait de la pluie, en volant leurs panneaux d'affichages, laissant
ainsi sous la pluie leurs couvertures ainsi que leurs effets personnels dont le
sac contenant les médicaments du gréviste de la faim Abdelkrim
Klech, atteint par ailleurs de diabète. Ce dernier consterné par
ces méthodes a interpellé François Hollande qui traversait
la cour du siège à ce moment là et qui, pour toute
réponse, s'est mis à lui rire au nez. Sur cet affront, le
chauffeur de François Hollande lui-même insulta les
grévistes de «collabos». L'association Harkis et Droits de
l'Homme s'indigne de ces méthodes fascisantes commanditées par le
siège du Parti Socialiste et destinées à empêcher la
liberté d'expression, fondement même de notre
démocratie ». Gilles Manceron, vice-président de la
Ligue des Droits de l'Homme, interrogé le 13 février sur les
raisons profondes d'un tel dérapage, soulignait que « cette
idée que les harkis sont des traîtres est largement
répandue en Algérie, en France et même à
gauche »1122(*).
Le 18 février, après les excuses publiques de
Georges Frêche, et face aux interrogations soulevées par le
flottement des instances dirigeantes sur la question des sanctions, le PS
diffusait un nouveau communiqué, soulignant que le Parti « a
condamné et condamne des propos inacceptables qui exigeaient des excuses
publiques », ajoutant : « Ces excuses ont
été faites, ce qui n'est pas si fréquent en
politique ». Cependant, le 28 février, François
Hollande annoncera la suspension de l'intéressé des instances
nationales du PS, décision jugée insuffisante par les
associations de harkis comme par certaines voix internes au PS, venant
notamment des fabiusiens et de l'ex-NPS (sans qu'il soit possible, ici, de
faire la part des réactions sincères et des tentatives de
déstabilisation)1123(*). Finalement, l'une des réactions les plus
nettes viendra paradoxalement de Jean-Paul Bacquet, député PS du
Puy-de-Dôme, dont nous avons dit qu'il s'était singularisé
de longue date au sein de son parti sur la question des rapatriés et du
rapport de la France à son passé colonial, adoptant des positions
jusque-là très proches de celles de Georges Frêche :
« Au moment où la conscience nationale semblerait trouver
l'unanimité pour reconnaître les faits de guerre en Algérie
et ceux qui ont combattu pour elle, ces propos sont inacceptables, je suis
indigné, écoeuré. Ceux qui n'ont pas le courage de
dénoncer les propos de Georges Frêche ont tort. Certes, il
représente un certain nombre de voix au PS mais il vaut mieux perdre les
voix d'une fédération que son âme et son honneur !
Quant à moi, je n'attends rien de Frêche. Ce que je ne peux
accepter, c'est le mutisme des gens de son parti ! »1124(*).
c) Le Front national, entre "nostalgérie" et
islamophobie
Au regard du souvenir de la guerre d'Algérie, et de la
figure du harki en particulier, le Front National joue, d'une certaine
manière, un rôle symétrique de celui du Parti
communiste : quand ce dernier met en valeur la constance de ses
engagements anticolonialistes (au prix de certaines omissions : on met en
exergue Charonne plutôt que le vote des pleins pouvoirs à Guy
Mollet) et loue le combat "libérateur" des Algériens (sans
réel égard pour ceux des musulmans qui se sont opposés
à l'hégémonie naissante du FLN), le Front national
magnifie l' « oeuvre française outre-mer » et
cristallise à son avantage, relaie et amplifie les frustrations de
certains rapatriés, dont il a fait de longue date une clientèle
électorale. Ainsi, à la différence du Parti communiste,
qui considérait les Algériens d'Algérie "en bloc" (les
« colonisés »), et qui, de nos jours en France, ne
veut pas davantage établir de différence entre les "beurs" et les
"enfants de harkis" (« qui ont les mêmes
problèmes »), le Front national articule tout son discours
autour de l'opposition - posée comme paradigmatique - entre la figure du
harki, figure de l'allogène "méritant" car devenu Français
« par le sang versé », et l'immigré
naturalisé ou le fils d'immigré né en France,
considérés comme des « Français de
papier » suspects a priori de n'avoir pas « émis le
désir ou prouvé leur assimilation à notre
civilisation »1125(*). Ainsi Jean-Marie Le Pen s'indignait-il, en 1997,
de ce que les « 110.000 immigrés clandestins ou plus - les
soi-disant «sans-papiers» - vont être régularisés
par les services du ministère de l'Intérieur, alors que dans le
même temps, 35 ans après la fin de la guerre d'Algérie, nos
compatriotes fils de harkis, sont encore obligés de faire la
grève de la faim et que les pieds-noirs n'ont toujours pas
été dignement indemnisés »1126(*). Cette "valorisation" de
la figure du harki par contraste avec celle de l'immigré puise à
la fois (i) dans la "morale" que le Front national tire de l'histoire de la
guerre d'Algérie, et (ii) dans la conception qui est la sienne des
conditions devant présider à l'acquisition de la
nationalité française :
(i) Le Front national, organiquement créé en
1972, se présente comme le point de convergence de forces qui, tout au
long de la seconde moitié du XXème siècle,
n'auraient eu de cesse, à travers le monde, de combattre le
« communisme » et
« l'islamisme » : « Nous étions avec
les peuples d'Indochine agressés par un marxisme à
prétention puritaine qui causa le naufrage de cette civilisation en
trente ans de guerre avant d'établir, ici, le génocide et le
lao-gaï, là, misère et corruption la plus honteuse. Nous
étions auprès de nos compatriotes d'Algérie,
européens ou non, qui refusaient la dictature FLN,
derrière laquelle se profilait déjà le fanatisme
islamique, les égorgeurs d'hier fournissant les égorgés de
demain »1127(*). A ce titre, le Front national, soucieux
d'« intégrer la mémoire d'outre-mer dans la
mémoire nationale » et de « rappeler ce que fut
l'oeuvre de la France au profit de ces peuples dont elle rendit possible le
développement moral, intellectuel et matériel », entend
établir une claire ligne de partage entre ceux - les
"harkis-français par le sang versé" - dont l'engagement est
interprété comme un témoignage de
« fidélité » à la France (et de
gratitude à l'égard de son « oeuvre
civilisatrice »), et ceux - les "immigrés-profiteurs" - dont
la trajectoire est lue comme un témoignage répété
d' « ingratitude ». Aussi le Front national, s'il
accède aux responsabilités, « procédera[-t-il]
à une renégociation globale des relations
franco-algériennes sur la base de la stricte réciprocité.
(...) La France conditionnera notamment l'accès limité des
Algériens à son territoire à la libre circulation des
harkis entre la France et leur terre natale, possibilité qui leur est
actuellement refusée par l'Algérie »1128(*);
(ii) Pour le Front national, la nationalité
française « s'hérite ou se
mérite »1129(*) : dans cette logique, les harkis -
français « par le sang versé » - figurent
l'expression "la plus haute" d'une acquisition « au
mérite » de la nationalité française ; par
contraste, les naturalisés, les binationaux et les enfants nés en
France de parents étrangers sont suspects de ne pas « [avoir]
émis le désir ou prouvé leur assimilation à notre
civilisation » : en somme, suspects d'être des
« immigrés définitifs », institués en
« colonies de peuplement » par le regroupement familial, et
au sujet desquels se pose "naturellement" « la question du
loyalisme »1130(*). Ainsi Jean-Marie Le Pen dépeint-il, dans le
message qu'il adresse aux électeurs à l'occasion des
élections européennes de 1999, « une immigration
déferlante, bien différente de l'ancienne immigration des
honnêtes gens européens ou harkis intégrés à
la Patrie ». De même, Frédéric Butez, conseiller
municipal Front national de Roubaix, réagissait-il en ces termes
à la profanation d'une stèle érigée en hommage aux
harkis : « En s'attaquant à cette stèle, les
auteurs de ce méfait ont voulu salir la mémoire de ces
combattants volontaires qui ont choisis la France au péril de leur vie.
(...) A l'heure ou le débat sur la colonisation fait rage, il semble
important et nécessaire au Front National de rendre hommage aux harkis.
C'est notre devoir de mémoire. Ils ont choisi la France par amour,
et non pas pour bénéficier de prestations
sociales »1131(*).
Mais cette instrumentation du "harki" comme figure de
l'exceptionnalité, ou de l'allogène exceptionnellement
"méritant" par opposition à la masse des immigrés, se
heurte fréquemment aux réponses d'ordre essentialiste (et,
à ce titre, négatives) apportées à la question de
la "solubilité" de l'Islam dans l'imaginaire et le corps de la Nation.
Ainsi l'Université d'été du Front national fut-elle
marquée, en 1999, par un important débat interne sur cette
question après que Samuel Maréchal, directeur de la Communication
du Front national, eut considéré qu'il était vain de nier
la réalité d'une société multiconfessionnelle en
France. Le délégué général Carl Lang et le
maire d'Orange Jacques Bompard s'étaient immédiatement
élevés contre une telle affirmation, de même que Bernard
Antony, organisateur de l'Université d'été et chef de file
de la branche catholique traditionaliste du Front national, pour qui l'Islam
« n'est pas soluble dans la société
française »1132(*). De telles déclarations brouillent et
contredisent le schéma en apparence "limpide" de l'acquisition
« au mérite » de la nationalité
française, témoignant de la sorte de la fragilité du
"piédestal" offert à la figure du harki dans l'imaginaire
politique frontiste. Il n'est pas certain, à cet égard, que
l'intervention de Jean-Marie Le Pen au cours de cette même
Université d'été, affirmant pour sa part que la
présence de musulmans en France est un problème
« politique » et pas « religieux », ait
suffi à lever toutes les équivoques au sein de son parti.
Du reste, les tentatives de récupération de
l'électorat "rapatrié" poussent parfois jusqu'aux limites du
compréhensible pour les militants, comme lors des élections
européennes de 1999 où Jean-Marie Le Pen s'était
affiché auprès de Charles de Gaulle (le petit-fils du
général) à la tête d'une liste dite de
« réconciliation nationale », où figuraient
également Sid Ahmed Yahiaoui, fils d'un ancien sénateur
Français-musulman assassiné par le FLN en 19621133(*), et de Farid Smahi, fils
d'un Touareg algérien ayant servi dans l'armée française
durant la Seconde guerre mondiale. Le choc fut tel pour certains que l'on
s'enquit immédiatement d'obtenir la caution d'anciens membres de l'OAS,
devenus militants du FN :
« L'heure est grave et cette élection doit
marquer le début de la résistance du peuple français
à l'oppression. Les adversaires d'hier décident de mener le
combat pour la France à nos côtés. De ce point de vue, le
ralliement à la cause que nous défendons du petit-fils du
général de Gaulle est significatif et encourageant. Nous ne
sommes pas des attardés de l'histoire accrochés à des
combats perdus, nous sommes porteurs d'avenir, et l'avenir sera ce que les
hommes d'honneur, de fidélité et de patriotisme en feront. Ce qui
compte aujourd'hui, c'est de savoir qui veut résister ou qui veut
devenir esclave des mondialistes. Alors nous disons, nous, défenseurs de
l'Algérie française, bienvenue dans nos rangs à Charles de
Gaulle, bienvenue à tous ceux qui voudront suivre son
exemple » (Jean-Baptiste Biaggi, président d'honneur du Cercle
National des Résistances, ancien député ; Pierre
Descaves, ancien député, conseiller régional ; Roger
Holeindre, président du Cercle National des Combattants ; Albert
Peyron, président du Cercle National des Rapatriés, ancien
député ; Jean-René Souêtre, secrétaire
général du Cercle national des Résistances ;
Jean-Jacques Susini, conseiller régional)1134(*).
Plus significatif encore de l'ambivalence du statut de la
figure du harki dans l'imaginaire frontiste, les glissements sémantiques
auxquels donne lieu l'emploi du terme "harki" dans certains discours de
Jean-Marie Le Pen qui, s'il n'est pas employé comme synonyme de
"traître" dans l'extrait qui suit, l'est assurément de
façon dépréciative, exprimant l'idée d'une
servitude de nos armées : « Notre armée d'active,
soulignait-il, ne s'est jamais - paradoxalement - trouvée engagée
autant que depuis un quart de siècle dans des opérations
belliqueuses (Tchad, Zaïre, Liban, Mauritanie, Centre Afrique, Irak,
Somalie, Rwanda, Balkans), mais hélas, pour le compte d'une autre
politique nationale que la nôtre dans des emplois de
supplétifs, de harkis de l'ONU et de l'OTAN »1135(*).
Mais, par-delà les banalisations
dépréciatives ou les usages intéressés de la figure
du harki, il est une geste collégiale - celle des « soldats
perdus » de l'Algérie française - qui, quoique
très largement inaudible (tant en raison de la faiblesse des effectifs
de ceux qui la portent qu'en raison de son opposition idéologique et, en
grande partie, sociologique aux relais institutionnels de la mémoire),
accorde à cette figure une place exceptionnellement centrale et
laudative.
- 3. Les évocations inaudibles ou la geste
amère des « soldats perdus » de l'Algérie
française (le harki comme étendard d'une
« espérance trahie »)
Dans le Dictionnaire de la contestation au
XXème siècle, Laurent Beccaria, qui a par
ailleurs consacré une biographie à Hélie de Saint Marc,
puis l'a aidé à rédiger ses souvenirs, dépeint les
« soldats perdus » comme « une cohorte
clairsemée - tout au plus quelques milliers - que la blessure
algérienne a jetée dans l'illégalité entre 1960 et
1963 ». Et il ajoute :
« L'Indochine sert de creuset à ces hommes
venus d'horizons opposés. Mais déjà, la métropole
les ignore. Invités en 1948 par un sondage à classer les
problèmes les plus graves de l'époque, les Français
placent l'Indochine au dernier rang de leurs préoccupations. La
même année, les citations décernées aux soldats
français disparaissent du Journal officiel. (...) Il se développe
parmi eux un climat en marge, voire en révolte, contre le modèle
républicain de la IVème République, dont les
jeunes officiers ne voient que la caricature des ministères qui se
succèdent. Ce refus s'amplifie encore après les accords de
Genève, quand reviennent les rescapés des camps Viêt-minh.
Les deux tiers des prisonniers de Diên Biên Phu meurent en trois
mois - entre juin et août 1954 -, durant une captivité
d'épouvante. (...) Mais personne ne les écoute. Pire : la
raison d'Etat exige que ces témoins gênants soient
écartés pour ne pas entacher la signature encore fraîche
des accords de Genève. L'absence de reconnaissance de leur
épreuve les marque jusqu'au sang. En outre, le conflit colonial s'est
doublé d'une guerre civile. Des centaines de milliers de Vietnamiens se
sont engagés aux côtés de l'armée française.
Il a fallu aider, parler, s'engager auprès des populations. Et puis, un
jour, laisser tomber ses promesses et ses alliés. Ainsi, en une
décennie, une génération militaire se détache
de facto du reste de la nation. (...) Pourtant en Algérie, les
capitaines croient trouver un aboutissement et une reconnaissance. Enfin une
guerre en phase avec la métropole : L'Algérie c'est la
France est le dogme absolu de tous les gouvernements jusqu'en 1959. (...)
Logiquement, ces réfractaires appuient les émeutes du 13 mai et
jouent un rôle clef dans les fraternisations de
1958 »1136(*).
Ainsi, tant en raison du précédent indochinois
que des paramètres politiques propres au conflit algérien, la
figure du harki joue sur le moment - y compris à titre
générique (les musulmans pro-français comme acteurs et
facteurs d'influence politique lors des journées du 13 mai) - un
rôle pivot dans les choix de ces hommes (dont beaucoup ont par
surcroît été chefs de harkas), et occupe-t-elle
rétrospectivement une place singulière dans le récit
qu'ils en font. A la lecture de leurs témoignages, la destinée
des supplétifs - depuis l'engagement aux côtés de
l'armée française jusqu'à la mort ou l'exil - symbolise
mieux et plus que d'autres figures, semble-t-il, les
« espérances trahies » de ceux qui corps et
âmes ont voulu conserver l'Algérie à la France, ou du moins
la soustraire à l'influence exclusive du FLN. Ces officiers,
généralement originaires de métropole (à
l'exception notable du général Jouhaud, lui-même
pied-noir), bien qu'attachés aux Français d'Algérie et
plus ou moins étroitement mêlés à leurs combats,
avaient "leur" vision de l'Algérie française : ils croyaient
à la nécessité et entendaient promouvoir la
« promotion musulmane » dans le bled (exemple des Sections
administratives spécialisées) comme à plus grande
échelle : il n'est qu'à se rappeler, à cet
égard, la tentative déçue d'un Challe, qui voit dans la
création d'une Fédération des unités territoriales
et des autodéfenses (voir la Partie 1) un formidable outil de
cristallisation des "volontés" exprimées au cours des
scènes de fraternisation de mai 1958 (qui doivent beaucoup, là
encore, à l'initiative des militaires). La trace laissée par ces
instants inédits - mais tardifs - dans l'histoire de l'Algérie
française, qui précédèrent de peu et
précipitèrent l'arrivée au pouvoir du
général de Gaulle, et qui s'ajoutèrent aux sentiments
nés de la fraternité d'armes avec les unités
supplétives, a été profonde, accouchant du sentiment
corrélatif chez bien des officiers français d'être
redevables des populations musulmanes non inféodées au FLN,
d'être investis d'une mission particulière à leur
égard. Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc évoque
dans ses mémoires ce que furent pour lui ces instants :
« J'ai vraiment pleuré, je n'ai pas honte de le dire, en
voyant ces hommes déferler sur la place dans le soleil de la fin
d'après-midi, à l'endroit même où, quelques mois
auparavant, l'armée avait été obligée d'intervenir
pour éviter des ratonnades. Pour un officier français, ces
scènes de fraternisation étaient vraiment extraordinaires. Je
crois que ces heures-là ont été déterminantes pour
ce qui a été ensuite nos engagements et notre rébellion.
Quand on a vu cela, il était impossible de
l'oublier »1137(*). Dans un autre ouvrage : « En rangs
serrés, les musulmans débouchèrent sur le rectangle
colonial, éblouissant de blancheur, dans un délire de drapeaux.
Sans un mot, je contemplais la houle humaine. Je découvrais que l'on
pouvait pleurer de bonheur »1138(*).
Les espérances soulevées par ces scènes,
et les premières déclarations apparemment concordantes du
général de Gaulle, ne feront qu'aviver le sentiment d'amertume de
ces officiers quand viendra l'heure de la politique de
« dégagement ». Telle est la tonalité de
la déposition du commandant Hélie Denoix de Saint Marc, le 5 juin
1961 devant le haut tribunal militaire, alors qu'il est jugé pour sa
participation au "putsch" d'Alger :
« Ce que j'ai à dire sera simple et sera
court. Depuis mon âge d'homme, Monsieur le président, j'ai
vécu pas mal d'épreuves : la résistance, la Gestapo,
Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d'Algérie,
Suez, et puis encore la guerre d'Algérie. En Algérie,
après bien des équivoques, après bien des
tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre
l'adversaire, maintenir l'intégrité du patrimoine national, y
promouvoir la justice raciale, l'égalité politique. (...) Des
milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des
dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades
de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes.
Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le
lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
(...) Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu'il fallait apprendre
à envisager l'abandon possible de l'Algérie, de cette terre si
passionnément aimée, et cela d'un coeur léger ? (...)
Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre
d'Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes,
à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et
qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant
une mort affreuse. (...) Nous pensions à notre honneur perdu. Alors le
général Challe est arrivé. (...) Il m'a dit que nous
devions rester fidèles aux combattants, aux populations
européennes et musulmanes qui s'étaient engagés à
nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur. Alors j'ai suivi
le général Challe. (...) Monsieur le président, on peut
demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c'est son
métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se
contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer
(...) »1139(*).
Déjà, quelques jours auparavant, le 29 mai 1961,
dans sa déposition devant le même haut tribunal militaire (et pour
les mêmes chefs d'inculpation), Maurice Challe concluait son intervention
en des termes qui recoupaient effectivement les motifs invoqués par
Hélie de Saint Marc pour justifier de sa déclaration
d'allégeance à l'intéressé :
« Ces hommes, ceux qui nous ont suivis, ceux qui ne
nous ont pas suivis, depuis des années ont dans les yeux et dans les
oreilles les regards et les cris de tous ceux qu'aux quatre coins du monde nous
avons abandonnés : les catholiques du Tonkin, les Thaïs, les
Méos, un nombre énorme de Vietnamiens, les Berbères du
Maroc, les Arabes en très grand nombre, les Tunisiens, aujourd'hui les
Algériens. Ces gens-là étaient venus voir des milliers
d'officiers et de sous-officiers ; ils leur avaient dit : «Nous
aimons la France, nous voulons rester à ses côtés ;
nous nous ferons tuer pour elle, mais protégez-nous ; jurez-nous
que vous allez rester avec nous, que vous ne nous abandonnerez pas, ni nous ni
nos familles». Et nos officiers, et nos sous-officiers ont juré...
Et puis, après, ils ont amené leur drapeau. Depuis des
années cela se passe ainsi ; ils ont amené leur drapeau et
ils sont partis avec, dans les yeux, les regards de douleur et de mépris
de ceux que nous abandonnions. Alors on nous dit :
«Obéissance... Discipline... Devoir...». Et nous
répondons : «Oui, obéissance ; oui,
discipline ; oui, devoir, jusqu'à la mort, jusqu'à la mort
inclusivement, mais pas jusqu'au parjure dix fois, cent fois
répété, parce que, tout de même, nous ne sommes pas
des animaux domestiques mais des êtres humains et qu'il n'y a pas de
raison d'Etat, il n'y a pas de loi au monde qui puisse obliger un homme
à faire du parjure son pain quotidien» »1140(*).
A la différence de Saint Marc ou de Challe, le
général Raoul Salan, s'il parle aussi en soldat
« meurtri » à son procès un an plus tard (du
15 au 23 mai 1962), parle surtout en chef de l'OAS. Son discours, plus
directement « politique » (au sens d'un plaidoyer
pro-domo), n'en conserve pas moins certaines lignes argumentatives communes
avec celles de ses camarades de révolte :
« J'ai été le témoin, en 1954,
de l'horrible exode de plusieurs millions d'hommes. Ils s'accrochaient
désespérément à nos camions. Ils tentaient de nous
suivre en charrette ou d'embarquer sur nos bateaux. Ne leur avions-nous pas
promis que jamais notre drapeau ne serait amené sur cette terre
d'Indochine ? Ne nous avaient-ils pas crus ? (...) D'un tel
désastre naît une résolution dans le coeur de ceux qui ont
été les acteurs indignés et meurtris ». Puis,
plus avant : « Le chef de l'état n'avait-il pas
proclamé que « toutes les tendances, toutes »
seraient consultées ? En privant les Français
chrétiens et musulmans de toute possibilité légale
d'expression, il semble que le général de Gaulle n'entendait
reconnaître une tendance que si elle s'exprimait dans
l'illégalité et par la violence. (...) Anciens combattants,
militaires, supplétifs qui se donnèrent à plein pour cette
pacification qui faisait notre fierté, après les avoir convaincus
de notre résolution de rester, après les avoir compromis, ils
sont bassement abandonnés. C'est une honte pour le pouvoir, mais c'est
l'honneur de l'O.A.S. de leur avoir montré la fidélité de
la France »1141(*).
Quelques mois plus tôt, en février 1962, Edmond
Jouhaud, alors chef de l'OAS à Oran, utilise des arguments analogues
dans une lettre qu'il adresse au préfet d'Oran :
« Permettez-moi de vous demander de croire à ma
sincérité. Je suis, au premier chef, inquiet pour les Musulmans.
Nous avons tous, vous et moi, fait aux Musulmans des promesses. On les a
assurés que la France ne les abandonnerait pas. On les a incités
à accepter des postes d'autorité ; on a nommé des
Musulmans préfets, sous-préfets, chefs de service. On a
élevés au grade de général ou de colonel des
Musulmans. Que deviendront-ils dans le nouvel Etat algérien qui sera,
personne n'en doute, une République populaire ? J'ai
commandé en Indochine. J'ai assisté à l'exode du Tonkin.
Je sais le sort qui fut réservé à nos amis d'Hanoi. Nos
musulmans, trompés, bernés, trahis, seront les victimes de notre
lâcheté et ils nous maudiront »1142(*). A l'été
1961, déjà, dans une lettre circulaire adressée à
un maximum d'officiers en Algérie et en métropole (aux fins de
les convaincre de joindre leurs forces à celles de l'OAS), le
général Jouhaud n'hésitait pas à jouer du sort
prévisible réservé aux musulmans non
inféodés au FLN en cas d'indépendance comme d'une
« poire d'angoisse » (l'expression est du
général de Gaulle) : « Leur devoir [à ces
officiers] est, bien sûr, d'obéir sans hésitation aux
ordres du gouvernement légal. Mais leur conscience leur dicte de ne
pouvoir exécuter les directives qui tendent à amputer le pays
d'une province. Leur conscience leur interdit d'abandonner des musulmans qui
ont cru à la parole de la France et au serment des
officiers »1143(*).
En 1957 déjà, Jean-Yves Alquier, qui fut neuf
mois durant chef de Section administrative spécialisée, et dont
la vocation, ès qualités, était d'être au contact
des populations dans des régions jusque-là
sous-administrées, exprimera, à son retour1144(*), ce qui n'était
alors qu'une hantise :
« De mon dernier séjour à Tazalt, ce
sont surtout les moments passés en tête-à-tête avec
Si Abdelkader que je n'oublierai pas. La veille, nous nous étions dit
adieu chez lui à Feddalha. Et pourtant, ce matin-là, dès
le jour levé, il était à ma porte : «Mon
lieutenant, je veux te parler, seul, une dernière fois avant que tu nous
quittes. Il s'agit des jeunes de la Mechta dont je suis le chef. C'est moi qui
les ai fait revenir d'Alger à ta demande pour travailler avec toi et le
capitaine. Tant que vous étiez là, on avait confiance en la
France. Mais maintenant, j'ai peur qu'elle nous abandonne. (...) Tu sais que si
on donne l'indépendance à l'Algérie, tous ceux qui auront
travaillé avec la France seront massacrés. Alors, voilà ce
que je te demande ; ou bien tu me jures, à moi qui suis ton ami et
ai confiance en toi, que jamais vous ne nous abandonnerez ; ou bien, avant
de partir, autorise ces jeunes à partir travailler à Alger ou en
France». (...) Et pendant que le vieux chef attend ma décision, je
pense à tous ceux qui en Indochine ont été
massacrés pour avoir cru que la France, après les avoir
engagés à ses côtés, ne les abandonnerait pas...
à ceux de Tunisie, fidèles jusqu'au bout, disparus sans laisser
de trace depuis notre départ... à ceux du Maroc... Et une fois de
plus, je me demande si, un jour, avec mes camarades, nous n'aurons pas sur la
conscience la mort de ceux que nous avons ralliés, compromis pour
toujours avec nous. (...) Devant Si Abdelkader qui m'interroge de son regard
anxieux et embué de larmes, il ne s'agit pas d'un discours tels qu'on
peut les faire à la tribune d'un parlement. Il s'agit de la vie d'hommes
qui sont nos amis. Et, tout en évoquant le sang déjà
versé, je signe les laissez-passer qui vont éloigner de leur
Mechta ces jeunes hommes, mais aussi réserver leur avenir, quel qu'il
soit »1145(*).
Et de fait, longtemps après qu'ils eussent
été amnistiés, l'évocation du sentiment de
« déshonneur » lié à la
« parole donnée et reprise », ainsi que du
traumatisme lié à l' « abandon des populations
fidèles », résonnera comme un leitmotiv chez nombre de
« soldats perdus » de l'Algérie française en
même temps qu'elle servira de justification cardinale à leurs
"plaidoyers" rétrospectifs. Edmond Jouhaud : « A qui
revient le soin de rassurer [la population], de s'engager au nom de la nation,
dans les villages du bled en particulier, sinon à l'armée ?
Il ne saurait en être autrement. L'officier, dès lors, met en jeu
son honneur. Cette parole donnée le conduit à suivre
attentivement l'évolution de la politique. Il ne peut donner des
assurances démenties le lendemain par le pouvoir, sans perdre son
crédit et sa dignité. Selon un mot célèbre :
«On ne peut demander à un soldat de faire du parjure son pain
quotidien». C'est ce qu'auraient dû comprendre ceux qui avaient la
charge de gouverner le pays, en ordonnant aux officiers de le pacifier, de
rétablir la confiance et, pour ce faire, de s'engager personnellement
auprès des populations indigènes. Le jour où ces officiers
se rendront compte qu'ils ont été abusés, ils se
révolteront »1146(*). De même, Pierre Sergent :
« Les questions que se posaient les cadres du 1er REP
étaient toujours les mêmes : le drapeau du FLN va-t-il
flotter sur les départements français d'Algérie ?
Après avoir été vaincu sur le terrain, le FLN entrera-t-il
en vainqueur dans Alger ? Que vont devenir les populations de souche
européenne ? Et les populations de souche musulmane qui avaient cru
aux promesses de l'armée ? L'armée sera-t-elle donc
éternellement vaincue, éternellement
parjure ? »1147(*).
L'amertume que ces officiers n'ont depuis lors cessé de
nourrir à l'égard de la tutelle politique est redoublée
par le sentiment de ne pas avoir été compris (pour reprendre le
titre du livre d'Edmond Jouhaud) ou jugés par l'opinion sur leurs
véritables ambitions et déchirements. Hélie Denoix de
Saint Marc, lui encore, y est revenu plusieurs dizaines d'années
après, dans une série d'ouvrages écrits en collaboration
avec Laurent Beccaria1148(*) :
« En 1962, l'opinion a accepté la fin de la
guerre avec un certain soulagement, sans toujours en mesurer le prix à
payer. Ce prix a été très élevé. L'affaire
s'est soldée par la tragédie des harkis, le massacre de centaines
de Français d'Algérie à Oran, le drame des disparus, le
déracinement collectif et brutal d'un million de pieds-noirs - ce qui
revenait à nier le droit du sol et à opérer une
purification ethnique - et enfin par la livraison de l'Algérie et de ses
habitants au seul FLN, en écartant toutes les autres tendances des
populations algériennes. On peut dire : ça, c'est le
passé, regardons l'avenir. Je veux bien, mais la connaissance exacte du
passé me paraît nécessaire pour construire
l'avenir »1149(*). Il ajoute : « C'était une
guerre civile. Il fallait sortir de structures coloniales devenues
obsolètes. Le FLN a voulu en sortir contre la France ; d'autres
auraient souhaité en sortir avec la France et avec les pieds-noirs, pour
bâtir un pays où la Bible, le Talmud et le Coran pussent vivre en
paix. Ceux-ci étaient nos alliés et on ne les a pas
défendus. Il est terrible de penser qu'une armée victorieuse sur
le terrain n'ait pas défendu ceux qui avaient participé à
cette victoire et les ait laissé massacrer. C'est une non-assistance
à personnes en danger de mort »1150(*). Et de conclure :
« «C'est inéluctable...» Combien de fois ais-je
dû supporter ce mot monstrueux ! Je n'ai jamais accepté ceux
qui passent par pertes et profits des communautés entières au nom
d'une justice supérieure. Je crois à la paix des contraires. Des
frères ennemis pouvaient renoncer à leur lutte sanglante et
décider de vivre ensemble sur la même terre. A l'époque, je
voulais bien mourir s'il le fallait pour le prouver. Nous avons dû
attendre trois décennies pour que les accords De Klerk-Mandela,
Arafat-Rabin, voire Lafleur-Tjibaou, apportent le gage que notre rêve
n'était pas fou. Mais les élites françaises vivaient dans
l'ivresse du sens de l'Histoire. Elles avaient rejeté Albert
Camus, parce qu'il avait osé dire qu'entre la Justice et sa mère,
il choisissait sa mère. (...) [Pour ma part], je savais que rien dans la
vie n'est inéluctable - et jamais le massacre et l'abandon de ceux qui
vous ont fait confiance »1151(*).
On retrouve, curieusement, des réflexions analogues,
une même critique de la solution
« intégraliste » en Algérie chez un Paul
Thibaud, que tout sépare pourtant - a priori - de l'engament d'un Saint
Marc. Paul Thibaud : « Les intellectuels ne pouvaient se
contenter de dénoncer l'inacceptable, d'abord la torture, ils voulaient
aussi proposer une solution parce qu'en marxistes (ou en
hégéliens) qu'ils étaient, ils
présupposaient son existence, et aussi parce qu'ils voulaient
être des politiques efficaces : peut-on vraiment lutter pour une
solution que l'on croit profondément insatisfaisante ? (...) En ce
sens, le refus camusien de choisir la justice aux dépens de sa
mère a une réelle validité. Mais le devoir d'engagement
nous empêchait sur le moment de reconnaître cela (...) ».
Et il ajoute : « L'issue la plus humaine aurait
été le compromis entre les droits (primordiaux) des
Algériens et ceux (réels) des pieds-noirs (...) sans qu'existent
(...) les appuis nécessaires (...) chez les intellectuels de gauche
fascinés par la solution intégrale. Les temps ont changé
puisqu'en Afrique du Sud comme en Nouvelle-Calédonie, la politique du
compromis a aujourd'hui ses chances. Elle les a parce qu'est reconnu ce que
personne n'a vu pour l'Algérie sur le moment : le compromis avec
les autres qui permet à un groupe national d'être
démocratique pour ceux qui le composent »1152(*).
Des « soldats perdus » aux
« soldats de l'écrit », de cette
collégialité qui a sombré dans les derniers soubresauts
sanglants de l'épopée coloniale à celle qui s'est
formée politiquement "contre" la guerre d'Algérie et/ou pour le
FLN, il y a un gouffre qui - en dépit de l'exemple
précité1153(*) - ne s'est depuis jamais vraiment
colmaté : « Que peuvent en effet se dire les officiers
d'Indochine et les compagnons de route du PCF anticolonialistes, ou les
étudiants idolâtres de Sartre ? Le même âge, et
déjà incompréhensions et
anathèmes »1154(*). Il n'y avait guère de points communs entre
ceux qui, « depuis leur entrée dans la Résistance ont
accumulé autant de combats que les soldats
napoléoniens », mais plus encore de défaites et de
renoncements (militaires et politiques1155(*)), et ceux pour qui, nous dit Michel Crouzet,
« la guerre d'Algérie fut une bataille de
«l'écrit», qui fut menée dès le début et
gagnée »1156(*) ? Le statut, les formes, les significations et
les usages de la figure du harki ne pouvaient être les mêmes selon
que l'on tourne le regard vers les premiers (dont Laurent Beccaria nous dit
qu'ils sont comme une « carotte géologique » des
déchirures liées à l'effondrement de la mystique
nationale), ou vers les seconds (qui, entre apprentissage intellectuel et
"happening politique", ont hâté cet effondrement). Ceux-ci,
à la différence de ceux-là, ont
bénéficié de la reconnaissance qu'offrent non seulement la
maîtrise des outils de production et de diffusion du savoir (due
notamment à leur positionnement socioprofessionnel d'ensemble), mais
encore le sentiment d'avoir "bataillé" dans le « sens de
l'histoire » (sans que cela heurte outre mesure la geste gaullienne
de la guerre d'Algérie, qui s'est fort bien accommodée d'un
certain discours historiciste). Cette postérité à
géométrie variable, sans commune mesure avec l'intensité
et l'impact réels de l'engagement "dans" ou "en" guerre d'Algérie
des uns et des autres, ne pouvait être sans conséquence sur la
formation puis la sédimentation rétrospectives d'une certaine
image des anciens harkis.
III. La figure du harki dans la geste intellectualiste
de la guerre d'Algérie
L'objet de chapitre n'est pas de faire état de la
manière dont les travaux historiques en tant que tels contribuent
à informer et contextualiser la trajectoire des anciens harkis et de
leurs familles (voir à cet égard la Partie 1), ni même
d'objectiver ce en quoi les frontières parfois perméables entre
"histoire" et "mémoire" sont susceptibles, dans les discours savants
eux-mêmes, de faire obstacle à la réminiscence du massacre
des harkis et à la reconnaissance des responsabilités qui y sont
afférentes (voir à cet égard la section II.B.2.b de la
Partie 4 intitulée « Obstructions savantes »). Ce
chapitre vise à rendre compte de la manière dont un certain
nombre d'intellectuels de profession (mais aussi des cohortes grandissantes
d'étudiants), engagés "contre" la guerre d'Algérie (ou
plutôt contre sa répression) et généralement
situés à gauche ou à l'extrême-gauche de
l'échiquier politique (voir ci-dessous pour une cartographie plus
précise de la mouvance anticolonialiste), ont donné à voir
- via une lecture prosélyte des événements - l'engagement
des harkis et contribué, ce faisant, à brosser - directement ou
"en creux" - une certaine image des intéressés. Cet examen se
justifie d'autant plus que la position relative de ces intellectuels dans les
sphères universitaire, éditoriale et journalistique leur a
donné sur le moment - et leur donne a posteriori - une
capacité à "faire voix" naturellement plus importante que celle
de groupes dont la légitimité à dire ou la capacité
à diffuser et transmettre leurs points de vue n'est pas reconnue ou
établie professionnellement. De fait, ainsi que nous l'avons
suggéré à la fin du chapitre précédent, la
postérité de la geste intellectualiste de la guerre
d'Algérie est sans commune mesure avec son impact politique réel
sur le moment (impact certes en partie grevé, alors, par l'obstacle de
la censure).
Il était donc particulièrement
intéressant d'étudier comment le collège des intellectuels
progressistes et anticolonialistes qui, pour certains au moins, avaient
ambitionné de se poser en une sorte de "contre-pouvoir" au moment de la
guerre d'Algérie (allant jusqu'à plaider la
désobéissance civile ; cf. le « Manifeste des
121 »), avaient rendu compte (ou éludé) la trajectoire,
la place et le rôle de ceux des musulmans algériens qui
n'étaient pas inféodés au FLN : quelle image s'en
étaient-ils formés, avec quel impact sur l'opinion publique, sur
le moment et a posteriori ?
Mais de qui parle-t-on exactement ? Cette mouvance
faisait-elle "bloc" ? Puisait-elle dans des référentiels
communs ? Visait-elle simplement à la défense de principes
éthiques ou visait-elle au renversement de l'ordre établi non
seulement en Algérie (ordre "colonial") mais encore, par contrecoup, en
métropole (ordre "bourgeois") ? En d'autres termes, cette geste
était-elle simplement protestataire (refus des exactions
perpétrées par les forces de l'ordre, en particulier la torture)
ou participait-elle d'un projet politique plus englobant (i.e.
"révolutionnaire") ? Les réponses à ces questions
intéressent directement notre propos en ce sens qu'elles ont
conditionné, dans une assez large mesure, la mise en récit et la
figuration politique des harkis au sein d'une mouvance dont nous allons
maintenant objectiver les contours.
Le premier constat est celui de la diversité des
motivations et des visées des intellectuels français en guerre
d'Algérie.
À titre rétrospectif, Pierre Vidal-Naquet, qui
s'était lui-même engagé « contre » la
guerre d'Algérie (ou plus exactement contre sa
répression)1157(*), a distingué trois grands types
idéaux d'intellectuels anti-colonialistes en guerre
d'Algérie1158(*) :
- les « dreyfusards », au nombre desquels
il se compte, qui s'élevaient au nom des principes des Lumières
contre l'emploi de méthodes de répression immorales et pour le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes1159(*) ;
- les « bolcheviks », qui s'alignaient sur
les positions anti-impérialistes de l'internationale communiste. Selon
Pierre Vidal-Naquet, « [ils] se voulaient les héritiers du
parti de la Révolution d'octobre et de ses espérances radicales
et trahies, anti-staliniens mais fidèles au
léninisme »1160(*) ;
- les « tiers-mondistes », qui voyaient
dans les « luttes de libération nationale » du
tiers-monde comme le signe avant-coureur de l'effondrement prochain du
capitalisme. Selon Pierre Vidal-Naquet, ceux-ci, qu'ils fussent laïques ou
chrétiens, se distinguaient des précédents par
« leur humilité d'occidentaux par rapport au tiers monde
souffrant et révolté »1161(*). Les
« bolcheviks » et les
« tiers-mondistes » servirent volontiers de
« porteurs de valises » au FLN.
Cependant, selon nous, cette classification est peu à
même de sérier une réalité beaucoup plus fluide et
"labile". En fait, ainsi que le souligne Guy Pervillé, « la
ligne de démarcation entre l'opposition à la guerre et le soutien
inconditionnel au FLN était particulièrement floue en
métropole »1162(*). D'ailleurs, Pierre Vidal-Naquet
lui-même reconnaît qu'il s'agit de « trois types
idéaux », entre lesquels il n'est pas facile de situer chacun
sous une seule étiquette : des motivations multiples étaient
possibles1163(*). Pour
cette raison, il apparaît utile d'établir une "cartographie" des
intellectuels en guerre d'Algérie qui, quoique s'étayant sur les
catégorisations établies par Pierre Vidal-Naquet, les
"décristallise" et les complète en introduisant d'autres facteurs
de caractérisation/comparaison, à savoir : le positionnement
socioprofessionnel, le rapport à la légalité
républicaine (en rupture ou non), le degré d'adhésion aux
revendications portées par la SFIO, la « deuxième
gauche » ou l'extrême-gauche française (et notamment
à la visée révolutionnaire) et le degré
d'adhésion à la cause politique et/ou organique du FLN.
(i) La protestation morale au sens large :
Posture à la fois "dreyfusarde" et
anticolonialiste : la dénonciation de la torture se double du
soutien apporté à la réalisation du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes
Soutien critique à la SFIO ou au général
de Gaulle pour les uns, mendésisme puis basculement politique vers la
« deuxième gauche » pour les autres ;
Soutien moral à la cause indépendantiste, en
particulier mais non exclusivement et inconditionnellement au FLN.
? Position strictement légaliste :
Parmi ceux - la grande majorité - qui adoptent une
position strictement légaliste, on peut citer l'intellectuel catholique
Pierre-Henri Simon, universitaire et membre de la revue Esprit, les
signataires de l' « Appel à l'opinion pour une paix
négociée en Algérie » (à ne pas confondre
avec le « Manifeste des 121 »), lancé par la FEN
à l'automne 1960 (dont Vladimir Jankélévitch, Jacques Le
Goff et Paul Ricoeur parmi les universitaires, ou encore Daniel Mayer,
président de la Ligue des Droits de l'Homme), ainsi que de grandes
plumes de la littérature (Jules Roy) et du journalisme, officiant
notamment à Esprit (Jean-Marie Domenach), à
France-Observateur (Claude Bourdet, Gilles Martinet), à
L'Express (Jean Daniel, François Mauriac), au Monde
(Hubert Beuve-Méry, Henri Marrou) et à Témoignage
Chrétien (Jacques Duquesne)1164(*).
? Position à la frontière de la
légalité et de l'illégalité :
D'autres - minoritaires au sein de cette mouvance - en
viennent occasionnellement à franchir le seuil de la
légalité, tel Paul Thibaud qui, tout en collaborant à
Esprit, diffuse, par principe, des textes censurés dans la
revue clandestine Vérité-Liberté, qu'il
dirige.
(ii) Les "passeurs" entre protestation morale et
activisme politique :
Dans cette mouvance la posture "dreyfusarde" et
anticolonialiste se double d'une forme d'activisme politique : la
guerre d'Algérie est clairement conçue comme un viatique pour une
redistribution des cartes à gauche, voire par-delà, ce dont
témoigne par exemple le « Manifeste des
121 »1165(*), dont Pascal Ory et Jean-François Sirinelli
disent qu' « [il] peut être légitimement
considéré comme le symbole de la renaissance de
l'extrême-gauche »1166(*) ;
Mendésisme puis basculement politique vers la
« deuxième gauche » pour les uns, soutien au PCF
et/ou sympathies tiers-mondistes pour les autres ;
Soutien moral à la cause indépendantiste,
essentiellement confondue avec les intérêts organiques du
FLN ;
Position à la frontière de la
légalité et de l'illégalité.
Cette mouvance compte des universitaires (Pierre Vidal-Naquet,
co-fondateur du Comité Maurice-Audin et collaborateur de la revue
Témoignages et Documents auprès de Maurice Pagat et de
Vérité-Liberté auprès de Paul Thibaud),
des intellectuels communistes souhaitant aller au-delà de la ligne
politique du Parti sans pour autant s'en détacher organiquement (Henri
Alleg bien sûr, l'auteur de La question, Madeleine
Rebérioux, membre active du « Comité pour la
défense des libertés et de la paix en Algérie »
et collaboratrice de Vérité-Liberté, ou Laurent
Schwartz, universitaire et secrétaire du Comité Maurice-Audin
entre 1959 et 1962.
(iii) Les « porteurs de
valises » :
Dans cette mouvance, la protestation morale le cède au
mysticisme révolutionnaire, qu'il soit d'inspiration tiers-mondiste
et/ou qu'il concerne des « bolcheviks » en rupture de ban
avec le PCF : l'Algérie est conçue comme un laboratoire
politique et idéologique ;
Soutien moral et matériel, exclusif et inconditionnel,
au FLN ;
Position en rupture ouverte avec la
légalité.
Cette mouvance composite, située à la gauche de
la gauche, comprend à la fois :
- les membres français du FLN (Frantz Fanon, l'auteur
des Damnés de la terre, ou Daniel Timsit, issu d'une famille
juive d'Algérie, communiste rallié au FLN, qui fut l'un des
membres actifs d'un réseau de fabrication d'explosifs pour la Zone
autonome d'Alger, et qui assumera plusieurs responsabilités
dans le gouvernement d'Ahmed Ben Bella) ;
- les membres des réseaux de soutien au FLN (les
« porteurs de valise » proprement dits) constitués
autour de Francis Jeanson (philosophe, gérant des Temps
Modernes et du bulletin clandestin Vérités Pour),
puis du communiste Henri Curiel (le « Mouvement anticolonialiste
français », MAF) : on peut citer, par exemple, Jacques
Charby (pour le réseau Jeanson) et Georges Mattéi (pour le
réseau Curiel) ;
- des insoumis et des déserteurs (ainsi en va-t-il, par
exemple, de Maurice Tarek Maschino, qui obtint la nationalité
algérienne en 1963 et fut professeur à Alger jusqu'en 1971, puis
journaliste au Monde diplomatique depuis 1973, mais encore de
Jean-Louis Hurst et Alain Krivine, fondateurs du réseau
« Jeune Résistance ») ;
- le collectif d'avocats constitué autour de Jacques
Vergès, Gisèle Halimi et Roland Dumas notamment ;
- l'équipe des Temps Modernes
constituée autour de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Claude
Lanzmann, Marcel et Paulette Péju, ou encore le dessinateur
Siné ; une équipe dont Bernard Droz dit
qu' « [elle] intégrait le martyre du peuple
algérien dans la cause exaltante du tiers-mondisme
révolutionnaire et rédempteur »1167(*) ;
- des éditeurs, dont les plus impliqués furent
François Maspero et Jérôme Lindon (Editions de
Minuit) ;
- les intellectuels communistes en rupture de ban avec le PCF,
tel Robert Bonnaud, qui a quitté le Parti en 1956, après le vote
des pouvoirs spéciaux et son rappel dans l'armée, ou Vercors
(alias Jean Bruller, co-fondateur des Editions de Minuit), qui rompt avec le
PCF en 1956 suite à l'intervention soviétique en Hongrie :
il publie fin 1961 la revue Partisans, dont le premier numéro
proclame - sous sa plume : « Nous avons opté pour une
aide inconditionnelle à tout un peuple, comme à toute nation, en
lutte pour son indépendance »1168(*) ;
- des universitaires, dont André Mandouze, professeur
à l'Université d'Alger et cofondateur de la revue Consciences
Maghrébines ;
- des chrétiens progressistes, tel Robert Barrat,
journaliste à Témoignage Chrétien et
secrétaire général du Centre catholique des intellectuels,
ou Hervé Bourges, journaliste à Témoigne
Chrétien de 1955 à 1959, puis chargé de mission
auprès du garde des Sceaux Edmond Michelet ; il entretint à
l'initiative de son ministre de nombreux contacts avec les dirigeants
emprisonnés du FLN (dont Ahmed Ben Bella). Passé à
l'opposition, il appuiera les membres du réseau Jeanson, et fera la
liaison entre les détenus algériens et les dirigeants de la
Fédération de France du FLN. Rédacteur en chef de
Témoignage chrétien de 1961 à 1962, il optera
pour la nationalité algérienne en 1963 pour devenir conseiller
personnel du président Ben Bella comme directeur de la Jeunesse et de
l'Éducation populaire, conseiller du ministre de la Justice puis,
à la suite du coup d'Etat du 19 juin 1965, conseiller du ministre de
l'information (non sans avoir été lui-même
préalablement torturé par la Sécurité
militaire)1169(*).
Par-delà les grandes figures, il est nécessaire
de souligner les mutations qui affectent le monde étudiant à
l'occasion de la guerre d'Algérie. Mutations sociologiques, d'abord,
marquées par un quasi-doublement des effectifs étudiants (de
150.000 à 300.000 environ), et une croissance importante du poste
« professeurs, professions littéraires et
scientifiques » (qui passe de 80.000 à 125.000 entre 1954 et
1962)1170(*). Ces
évolutions inspirent d'ailleurs à Maurice Nadeau la notion de
« nouveau parti intellectuel »1171(*). Mutations
idéologiques, ensuite, marquées par la politisation de l'UNEF, le
syndicat majoritaire, jusqu'alors apolitique : « En 1956,
rappellent Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, les minos
l'emportèrent au sein de l'UNEF et la nouvelle équipe qui
présida désormais aux destinées de l'organisation
étudiante prit position contre la politique menée en
Algérie »1172(*). De même, Michel Winock, qui fut un acteur de
ces bouleversements : « L'impasse de la politique
algérienne allait profondément remuer le monde étudiant.
On ne saurait trop insister à ce sujet sur l'importance du
50ème Congrès de l'UNEF (...). Une partie des
étudiants avait toujours été politisée (camelots du
roi d'avant la guerre, étudiants communistes...) ; la
nouveauté était que pour la première fois une puissante
organisation de type syndical allait entrer progressivement dans la lutte
politique, au point de devenir bientôt une des forces les plus
indiscutables opposées à la guerre d'Algérie,
réussissant - comme on devait le voir en octobre 1960 - à
organiser les premières manifestations de masse, malgré l'absence
et l'hostilité du parti communiste »1173(*). Et il ajoute :
« De l'automne 1956 à décembre 1957, notre section
Nouvelle Gauche de la Sorbonne devint la force la plus importante et la plus
active après l'Union des étudiants communistes. Nous
étions un pôle de convergence où se retrouvaient des
anciens communistes, des trotskistes, des marxistes sans obédience, de
nombreux chrétiens ou anciens chrétiens, des idéalistes de
tout poil, des abonnés de France-Observateur désireux de
lutter contre la guerre d'Algérie »1174(*). Pascal Ory et
Jean-François Sirinelli d'ajouter : « Sans compter que,
rétrospectivement, cette strate - en croissance numérique -
apparaît bien comme une génération autonome,
cimentée non seulement par les circonstances de son éveil
politique mais aussi par la place qu'elle occupa, la trentaine venue, dans les
milieux intellectuels - édition, journalisme, Université - des
années soixante et soixante-dix, et par son rôle de
«pépinière politique» (Alain Monchablon) pour la gauche
non communiste renaissante après le Congrès d'Epinay de
1971 »1175(*). Bernard Ravenel, « militant PSU de la
première heure » (1960), puis chargé des relations
internationales au sein de ce parti entre 1974 et 1984, rappelait ainsi
que « toute une génération - la mienne -
s'était épanouie sur l'Algérie, sur Cuba, avant de fleurir
sur le Viêt-nam et sur 68. (...) Cette génération politique
née de la guerre d'Algérie, comme le PCF était né
de la révolution prolétarienne, a fait de l'Algérie son
pays de référence, son modèle dans le cadre d'un rapport
Nord-Sud à transformer à l'échelle
mondiale »1176(*).
Si l'on considère par ailleurs l'évolution au
fur et à mesure de l'avancement du conflit des ressorts et formes
d'engagements, le constat de la "labilité" ou de la
perméabilité des frontières entre catégories en
appelle un autre, à savoir celui de la radicalisation progressive -
quoiqu'à différents degrés - des positionnements autour et
au sein de la mouvance tiers-mondiste (i.e. révolutionnaire), qui devint
un courant "porteur", notamment au cours des trois dernières
années du conflit (1960-62). Radicalisation marquée à la
fois par « le regain de l'influence sartrienne, l'apparition d'une
«nouvelle gauche» et la renaissance d'une extrême gauche sur
les flancs du Parti communiste »1177(*). Paul Thibaud note ainsi
qu'« après plusieurs cohortes militantes (le réformisme
plus ou moins mendésiste de 1956, le radicalisme plus ou moins marxiste
de 1958-1960) que la guerre d'Algérie a
désarçonnés, déstabilisés dans leurs
convictions, viendra en effet la génération candidement
tiers-mondiste de 1961-1962, qui croira épouser
l'événement, pour qui octobre 1961 et février 1962
sembleront fonder un antifascisme international où l'OAS
représente l'Occident et où les ex-colonisés
revêtent la figure éthico-mythique du Peuple
éternel ». « Le parcours de cette
génération, ajoute-t-il, la porte à valoriser ce qui est
le plus irréductible aux discours humanistes »1178(*).
De fait, pour toute une génération
d'intellectuels se revendiquant comme « progressistes »,
les luttes dites de « libération » qui se
développent dans le tiers-monde au cours des années 1950 et 1960,
et tout particulièrement celle qui se développe sous
l'égide du Front de Libération nationale en Algérie entre
1954 et 1962 :
(i) ouvrent une "fenêtre d'opportunité"
politique, sont un moment fondateur de prise de conscience collective et
d'activation du rôle des intellectuels dans la cité : l'acte
de naissance d'une génération d'intellectuels
"engagés" ;
(ii) sont corrélativement, pour certains d'entre eux
(notamment ceux qui ne sont pas organiquement liés au PCF), le
théâtre d'un réinvestissement et d'une refonte des
schèmes d'analyse marxistes-léninistes.
Le tiers-mondisme naissant signe ainsi, dans le double
contexte de la décolonisation et de la bipolarisation du monde, la
transposition de la « lutte des classes » (et de la
« dialectique du maître et de l'esclave ») sur le
plan géopolitique. Ceux que Frantz Fanon appelle Les damnés
de la terre1179(*) sont, pour cet auteur comme pour un nombre
grandissant d'intellectuels ou d'étudiants qui se reconnaissent dans sa
pensée1180(*),
à l'avant-garde d'une révolution dont beaucoup doutent
désormais qu'elle puisse être impulsée par un
prolétariat occidental qu'on estime être démobilisé
par les fruits de la croissance. Par contraste, l'inexorable montée en
puissance des mouvements de libération nationale dans le tiers-monde
serait, pour toute une frange de la gauche intellectuelle, comme le signe
avant-coureur de la fin de l'Histoire, l'indice le plus sûr de
l'effondrement prochain du capitalisme mondial. Raoul Girardet relève
ainsi que le messianisme révolutionnaire, à la recherche d'une
nouvelle terre d'élection, a opéré comme un
« transfert de l'espérance révolutionnaire de la classe
ouvrière des pays industrialisés aux peuples colonisés
luttant pour leur indépendance »1181(*).
« Simultanément, note Raoul Girardet, c'est la puissance
d'attraction de l'Union soviétique et de la troisième
Internationale qui chancelle. Conséquence de la déstalinisation
et de ses avatars, conséquence aussi de la répression de la
révolte hongroise, la grande lueur qui s'était levée
à l'Est ne brille plus aussi intensément devant les imaginations
et les coeurs ; la fascination qu'elle avait si longtemps exercée
s'estompe ou s'éloigne ». « L'anticolonialisme
[d'aspiration révolutionnaire], ajoute-t-il, a très probablement
bénéficié de cette mise en disponibilité de
certains élans et de certaines aspirations »1182(*). Robert Bonnaud :
« Il y a un lien entre mon tiers-mondisme (je l'ai été,
je le suis toujours) et l'idée que la masse principale de révolte
potentielle, ce sont les pays du Sud, même avec le déclin actuel,
la drogue, le banditisme ». Et il ajoute, à propos de
l'Algérie : « J'étais très tiers-mondiste,
j'avais une vision quelque peu planétaire »1183(*). Régis
Debray : « Le tiers-mondisme ? J'y vois plutôt un
transfert de messianisme du prolétariat industriel, peu
coopératif, vers la paysannerie du tiers-monde, pour la construction de
l'homme nouveau. Pour moi le tiers-mondisme fut une expérience de
religiosité. (...) En rejoignant l'Amérique latine en 1963, j'ai
peut-être cédé au principe de plaisir et quitté la
réalité française à la recherche d'une terre de
mission »1184(*).
Quoiqu'à des degrés divers selon les individus
ou sous-catégories d'acteurs (voir ci-dessus), cette "sur-indexation"
des principes éthiques par les fins politiques1185(*) a profondément
marqué - et parfois brouillé - les ressorts et formes de
l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie, comme en
témoigne Paul Thibaud :
« Je me souviens d'avoir assisté en juin
1962, je crois, à une réunion publique réunissant sous la
présidence de Sartre, pour constituer un front antifasciste, une bonne
partie de la corporation des intellectuels, où le thème de
l'alliance du peuple français et du FLN brillait d'un éclat et
d'une autorité messianiques ». Et il
ajoute : « La génération de 1960-1962 s'est
identifiée à l'idéologie révolutionnaire
antifasciste : elle a requinqué la vieille forme idéologique
en invoquant une lutte que cette idéologie avait échoué
à comprendre. Trop tard venue pour apprécier les
ambiguïtés du problèmes, (...) cette
génération tirera une leçon de révolutionnarisme
abstrait d'une affaire qu'elle a vécue d'une manière adolescente
tirant de cette histoire illisible moins des leçons qu'une impulsion
(pour ne pas dire une prétention) et surtout le sentiment que les
générations précédentes et les politiciens
institutionnels s'y sont déshonorés »1186(*).
Il ressort de cet alignement progressif de la geste
protestataire sur des positions de plus en plus marquées politiquement
(et idéologiquement) une certaine inattention aux dimensions locales,
discriminantes du conflit algérien. Or, c'est dans cette
"sur-indexation" des enjeux propres au conflit algérien par d'autres
enjeux qui les dépassent et, d'une certaine manière, les
"écrasent", ainsi que dans la contradiction entre les principes
éthiques opposés à tout ou partie des manifestations de la
domination coloniale (en particulier la torture) et le soutien organique plus
ou moins exclusif et inconditionnel apporté à une organisation -
le FLN - qui avait fait, nous l'avons vu, de l'exercice de la violence à
l'encontre des franges non inféodées de la population
algérienne un principe moteur de la "Révolution", que se
jouent :
- d'abord, la "non-appétence" des intellectuels en
guerre d'Algérie pour la figure du harki, figure "non avenue", voire
incongrue au regard de certains "métarécits" historicistes
tendant à présenter l'évolution de la situation coloniale
(et de la guerre d'Algérie en particulier) sous un jour
manichéen. Dans un conflit que nombre d'intellectuels anticolonialistes
(et pas seulement les intellectuels « tiers-mondistes » ou
« bolcheviks ») disaient mu par la « dialectique
du maître et de l'esclave », la figure du harki
dérangeait car elle témoignait, par son existence même, de
la fragilité d'une mise en récit tendant à réduire
les ressorts de la guerre d'Algérie au schème d'opposition
binaire « opprimés » versus
« oppresseurs » / « colonisés »
versus « colonisateurs ». De fait, comment parler du peuple
algérien comme d'un bloc infissurable tout entier et spontanément
acquis au FLN lors même, nous l'avons vu, que des centaines de milliers
de musulmans auraient continûment pris part à la défense ou
à l'administration de l'Algérie française ? Il y
avait comme une impossibilité à penser et dire les harkis,
à en proposer une vision congruente avec la mystique de la
« Libération »/« Révolution ».
Dès lors, plutôt que de s'interroger sur le comment et le pourquoi
de cet engagement massif aux côtés de la France, la
littérature anticolonialiste va le plus souvent purement et simplement
scotomiser la figure du harki. (section A.1) ;
- ensuite, les rares allusions faites ici et là le
seront sur un mode adversatif, relayant pour l'essentiel la propagande du FLN.
Ceci vaut d'ailleurs aussi pour certaines catégories d'intellectuels
qui, bien qu'a priori étrangers à la mystique
révolutionnaire des « porteurs de valise », n'en
partagent pas moins certains schèmes de pensée. Encore une fois,
dans le feu des événements, les frontières
catégorielles tendent à s'estomper, de même que les
frontières entre l'intellection et l'intervention, au profit des
schèmes de pensée les plus "efficaces" et les plus
fédérateurs (à défaut d'être les plus
nuancés) (section A.2).
Et qu'en a-t-il été a posteriori ?
L'effondrement de la mystique tiers-mondiste, dont Robert Bonnaud dit qu'elle
« frappe de dérision certaines de nos idées de
l'époque »1187(*) a-t-il conduit la gauche intellectuelle à
faire retour sur la figure du harki ? Le premier constat est celui de la
persistance d'une non appétence des intellectuels pour cette
figure1188(*). Pour
autant, dans le peu qui s'exprime, un autre constat - tendanciel
celui-là - s'impose : celui du passage d'une vision
systématiquement dépréciative de la destinée des
harkis à une vision globalement "déplorative". Autrefois
assimilés à des « collabos » ou des
« valets du colonialisme », les anciens harkis sont
aujourd'hui préférentiellement dépeints comme de
« pauvres hères »1189(*), plutôt "victimes"
que "coupables" : des « malgré-nous », en somme
(Gilles Manceron ; voir infra). Une telle évolution est
solidaire de la relecture de la geste protestataire opérée depuis
quelques années par ses principaux protagonistes. Relecture
opérée à mesure - et à la mesure - de la
délégitimation des messianismes laïcs. De fait, l'on insiste
aujourd'hui plus volontiers sur la lutte contre la torture (en dépit du
caractère généralement unilatéral de cette
protestation) plutôt que sur le soutien délibéré
à l'entreprise hégémonique du FLN, hier encore
pensée comme nécessaire et porteuse d'espoir (tout au moins pour
ceux que Pierre Vidal-Naquet dépeints comme des
« tiers-mondistes » ou des
« bolcheviks »). Cet écrasement rétrospectif
des ressorts idéologiques de l'engagement des intellectuels en guerre
d'Algérie, au profit des seuls ressorts éthiques, s'accompagne
d'une opération de "lissage" de certains schèmes de lecture ou
catégories discursives. Et il est un fait, pour ce qui nous
intéresse, que ce travail de réajustement de la geste
protestataire commande également de reconsidérer - ou de
déconsidérer autrement - la destinée des anciens
harkis (section B).
A. Les ressorts immédiats de la
stigmatisation : une vision clairement adversative (1954-1962)
De toute évidence, l'« affaire
algérienne » - dont Paul Thibaud nous dit qu'elle fut
constitutive d'une mémoire collégiale « dessinant une
geste [des intellectuels en guerre d'Algérie] », et qu'elle
fut à ce titre une « expérience significative ou
identitaire »1190(*) - fut - au moins autant dans sa dimension
posturale que dans sa dimension idéologique - le lieu
de cristallisation d'un certain état du rapport des forces
intellectuelles aussi bien que le lieu de conformation d'une certaine
conception du rôle de l'intellectuel dans la cité. Autrement dit,
le lieu de conformation d'une certaine configuration de l'articulation entre
l'intellection et l'intervention ; configuration ou
posture très largement influencée par la théorie
« marxo-existentialiste » de l'engagement, et
marquée corrélativement par la prééminence de la
dialectique (en tant que méthode) sur l'éthique, et du
« radicalisme » sartrien (en tant que forme de
l'engagement) sur la « pensée de midi » camusienne.
A cet égard, la postérité abrasive du
« Manifeste des 121 »1191(*), érodant le souvenir et jusqu'au ressouvenir
de l' « Appel pour une trêve civile » de
Camus1192(*), signe,
dans la geste intellectuelle de la guerre d'Algérie, la
préséance symbolique de la figure de l'intellectuel
engagé sur celle du moraliste1193(*).
Nous verrons ainsi que le prisme passionnel de la
littérature tiers-mondiste (à laquelle l'attelage Sartre-Fanon
sert de figure de proue en même temps que de vivier théorique
selon Annie Cohen-Solal1194(*)) a contribué à vulgariser une lecture
réductionniste des événements d'Algérie, lecture
dont la visée première était d'ordre
prosélyte1195(*). Il s'ensuit une acception performative du
rôle de l'intellectuel, sommé non seulement de
réfléchir sur les événements mais d'en
infléchir le cours, acception symptomatique d'un climat
intellectuel où l'éthique de responsabilité le sacrifie
non pas seulement circonstanciellement mais nécessairement à
l'éthique de conviction. Cet "activisme" intellectuel est symptomatique,
selon Michael Walzer, du conformisme révolté de
l'après-guerre, à savoir l' « héroïsme
existentiel », cette « conception courante du critique
social comme étant quelqu'un qui se libère de ses loyautés
particulières et regarde sa propre société de
l'extérieur »1196(*). Et l'auteur d'ajouter : « Il est
semblable à un juge, un juge activiste, peut-être, dont les
décisions sont résolument impersonnelles. (...) Radicalement
désocialisé, il est un bon candidat pour la discipline
idéologique »1197(*).
Ainsi, à cette époque (quoique dès
après la Libération), Sartre, abandonnant ostensiblement la
notion de contingence1198(*) pour celle de totalisation1199(*), réintroduit la
nécessité au coeur de l'être :
« Les hommes de mon âge le savent bien : plus
encore que les deux guerres mondiales, la grande affaire de leur vie fut un
affrontement perpétuel avec la classe ouvrière et son
idéologie qui leur offrait une vision irrécusable du monde et
d'eux-mêmes. Pour nous le marxisme n'est pas seulement une
philosophie : c'est le climat de nos idées, le milieu où elles
s'alimentent ; c'est le mouvement vrai de ce que Hegel appelle
l'Esprit objectif »1200(*).
Cette évolution marque, selon Camus, une soumission au
« conformisme révolté du XXème
siècle », à savoir : « cette croyance
à la finalité de l'histoire qui trahit la vie et la nature, qui
substitue des fins idéales aux fins réelles, et contribue
à énerver les volontés et les
imaginations »1201(*). « L'histoire, ajoute Camus, seule raison
et seule règle [est] alors divinisée, et c'est l'abdication de la
révolte devant ceux qui prétendent être les prêtres
et l'Eglise de ce dieu »1202(*).
Ce à quoi fait rétrospectivement écho
Paul Thibaud, déjà cité : « Les
intellectuels ne pouvaient se contenter de dénoncer l'inacceptable,
d'abord la torture, ils voulaient aussi proposer une solution parce qu'en
marxistes (ou en hégéliens) qu'ils étaient, ils
présupposaient son existence, et aussi parce qu'ils voulaient
être des politiques efficaces : peut-on vraiment lutter pour une
solution que l'on croit profondément insatisfaisante ? (...) En ce
sens, le refus camusien de choisir la justice aux dépens de sa
mère a une réelle validité. Mais le devoir d'engagement
nous empêchait sur le moment de reconnaître cela
(...) »1203(*).
L'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie a
donc été autre chose et davantage qu'une pure protestation
morale. « L'un des effets de la lutte contre la guerre
d'Algérie, note Claude Liauzu, a été la constitution d'un
parti intellectuel autonome, prenant ses distances envers le pouvoir et se
posant en critique de la civilisation occidentale »1204(*). La "sur-indexation" des
principes éthiques par des revendications politiques plus ou moins
hostiles à l'ordre établi en Algérie et en
métropole, en d'autres termes, la radicalisation progressive des prises
de position et leur alignement - plus ou moins poussé mais tendanciel au
fil du conflit - sur l'analyse de la situation et les mots d'ordre
tiers-mondistes et/ou révolutionnaires ont contribué à
délinéer les contours d'une mouvance protestataire aux
frontières certes labiles mais presque toujours
délibérément en marge de la gauche institutionnelle.
Jean-Paul Sartre, dans la lettre qu'il adresse depuis le Brésil au
président du tribunal en charge de conduire le procès des membres
du réseau Jeanson (lettre en fait rédigée par Claude
Lanzmann et Marcel Péju, avec une signature apocryphe de Siné),
est explicite sur le fait que l'engagement des intellectuels en guerre
d'Algérie est aussi et surtout une forme de positionnement politique
interne, visant à redessiner les contours du paysage politique
français en général, à redistribuer les cartes
à gauche en particulier : « Devant une évolution
[NDA : de la situation politique en France] que l'on peut sans
exagération qualifier de fasciste, la gauche est impuissante, et elle le
restera si elle n'accepte pas d'unir ses efforts à la seule force qui
lutte aujourd'hui réellement contre l'ennemi commun des libertés
algériennes et des libertés françaises. Et cette force,
c'est le FLN. (...) Les Français qui aident le FLN ne sont pas seulement
poussés par des sentiments généreux à
l'égard d'un peuple opprimé (...), ils travaillent pour
eux-mêmes, pour leur liberté et pour leur avenir. (...) Ils ont
été à l'avant-garde d'un mouvement qui aura
peut-être réveillé la gauche, enlisée dans une
misérable prudence. Elle aura mieux préparé à
l'inévitable épreuve de force avec l'armée,
ajournée depuis mai 1958 »1205(*). Du reste, le discours de la mouvance
anticolonialiste était à la fois en rupture de ban avec celui de
la SFIO (émergence de la « Nouvelle Gauche ») et
avec celui du Parti communiste français. Un discours à la fois
plus radical et plus "romantique", au sens d'un romantisme
révolutionnaire. C'est cette mouvance
tiers-mondiste/révolutionnaire qui, dans une assez large mesure, a
catalysé - notamment dans les dernières années -
l'opposition à la guerre d'Algérie dans le champ intellectuel.
De fait, ainsi que le reconnaît rétrospectivement
Paul Thibaud, la préséance symbolique de la figure de
« l'intellectuel engagé » sur celle du
« moraliste » signe, au moment de la guerre
d'Algérie, « la priorité du geste de rupture sur toutes
les justifications dont on peut l'encadrer »1206(*). Conformément au
mythe sartrien de la "rupture épistémologique", nombre
d'intellectuels engagés ont pensé et réagi à ce
conflit en marge de leurs attaches sociales, morales et nationales. Les propos
de Simone de Beauvoir, rendant compte des sentiments qui furent les siens
après le retour au pouvoir du général de Gaulle, sont
symptomatiques de cette posture : « On m'avait traitée,
parmi quelques autres, d'antifrançaise : je le devins. Je ne
tolérais plus mes concitoyens (...). Je ne pouvais plus m'asseoir
à côté d'eux (...). Je me sentais aussi
dépossédée qu'aux premiers temps de l'Occupation.
C'était même pire parce que, ces gens que je ne supportais plus de
coudoyer, je me trouvais, bon gré mal gré, leur
complice ». Ou encore : « Je ne supportais plus ce
pays. Ces gens dans les rues (...), c'était des bourreaux
d'Arabes : tous coupables. Et Moi aussi. «Je suis
française». Ces mots m'écorchaient la gorge comme l'aveu
d'une tare. (...) Les uniformes français aujourd'hui me donnaient le
même frisson qu'autrefois les croix gammées »1207(*).
A l'instar de Paul Thibaud, Jean-Claude Guillebaud,
journaliste et éditeur qui se dit appartenir à cette
génération, s'interroge lui aussi après-coup sur la
prééminence de cette posture fondée sur la
« haine de soi », posture qu'il qualifie
rétrospectivement de « démagogique » :
« Nous sommes arrivés à l'âge
adulte à la fin de la guerre d'Algérie ; nous sortions des
guerres coloniales avec sur nos épaules le remords occidental ; nous
étions écrasés par ce que Pascal Bruckner a appelé
«le sanglot de l'homme blanc». Jusqu'à la fin des
années 70, nous avons donc été assez réceptifs
à la mise en critique acerbe de l'héritage occidental, cette
honte de soi ou cette haine de soi, qui s'accompagnait d'une ouverture à
l'autre allant jusqu'à la démagogie. C'est au nom de ce deuil
occidental et de ce postulat selon lequel nous n'avons pas, nous Occidentaux,
à donner de leçons au reste du monde, que toute une
génération a pu consentir, approuver ou se compromettre avec les
totalitarismes. Et c'est ainsi qu'on a versé dans un tiers-mondisme
complaisant »1208(*).
À cette aune, donc, les gestes de rupture priment les
paroles de temporisation, assimilées à des paroles de
compromission (avec l'Occident, le colonialisme, la bourgeoisie, etc.).
« Cela débouche, écrit Paul Thibaud, sur une opposition
(aux dépends du second) de l'action et du discours », dont
témoigne « la dérive fanono-sartrienne vers le
tiers-mondisme radical ». Et il ajoute : « La violence
sans langage, qui ne s'autorise moralement que des injustices et violences
précédemment subies, suscité une dérive du langage
révolutionnaire qui durera plus de dix ans »1209(*).
Une telle perspective, où l'intervention prévaut
sur l'intellection, ne pouvait que décourager une vision fine et
heuristique de ce que signifiait l'engagement de centaines de milliers de
musulmans aux côtés de l'armée française. Aussi les
harkis et autres catégories de musulmans non-inféodés au
FLN ont-ils été tenus pour quantité négligeable
dans la « bataille de l'écrit ».
1. « Chose colonisée » et
« spectateur écrasé d'inessentialité »
(Frantz Fanon) : le harki, une figure non avenue
Nous l'avons dit, la transposition de schèmes d'analyse
marxistes-léninistes dans le champ des « luttes de
libération nationale » marque l'âge d'or d'une
génération acquise à l'idée de révolution,
et soucieuse de trouver un dérivatif à une lutte des classes que
l'on juge être « chloroformée » par la
croissance à l'Ouest, et dénaturée par la terreur
stalinienne puis l'hégémonisme soviétique à l'Est
(Budapest). De fait, le moment où finit de se disloquer l'empire
colonial français semble augurer, pour une large frange de la gauche
intellectuelle, l'avènement d'une nouvelle ère dont on
espère qu'elle ébranlera par contrecoup l'édifice
« bourgeois » occidental dans son entier, et non seulement
le système colonial. À cet égard, l'éveil du
tiers-monde semble signer en plein l'accomplissement de la prophétie
léninienne : « L'impérialisme, stade suprême
du capitalisme ». Ainsi, dans la droite ligne d'une vision
hégéliano-marxiste de l'Histoire, mais avec pour agent historique
le colonisé plutôt que le prolétaire, la lecture
intellectuelle - sinon intellectualiste - de la guerre d'Algérie
sacrifie-t-elle aux artifices de prises de position très largement
empreintes d'historicisme.
Dans son acception épistémologique,
c'est-à-dire du point de vue de la théorie de la connaissance,
l'historicisme participe d'une conceptualisation formelle (c'est-à-dire
purement logique) et globalisante du devenir humain (c'est-à-dire non
attachée à telle ou telle signification particulière, mais
à ce mouvement d'ensemble qu'est le mouvement de l'Histoire). Autrement
dit, l'historicisme est une tentative de « totalisation logique de
l'histoire », ou encore, « [une] correction de l'historique
par le logique »1210(*), « [un concept générique]
porteur d'un développement propre étranger aux hommes »
et qui vise, selon Karl Popper, « à découvrir les lois
naturelles [c'est-à-dire inexorables] auxquelles obéit le
développement des sociétés »1211(*) . Ce versant axiomatique
de l'historicisme en tant qu'épistémè, c'est-à-dire
en tant que configuration du savoir, ne va pas sans l'autre versant -
axiologique, celui-là - de l'historicisme en tant que
« mysticisme », ce que Popper appelle l'
« historicisme moral » et qu'il dépeint comme un
« futurisme moral » à l'aune duquel est moral ce qui
est prédictible1212(*) ; en d'autres termes,
l' « historicisme moral », c'est cette idée que
non seulement l'Histoire est une totalité en cours d'accomplissement,
mais aussi - et surtout - une Vérité en cours
d'accomplissement1213(*), soit l'affirmation de la rationalité
absolue de l'histoire1214(*). Mais dès lors que celui qui s'attelle
à découvrir les lois inexorables du développement des
sociétés fait en même temps oeuvre de
prophète1215(*), l'historicisme, dans sa dimension instrumentale la
plus prosaïque, n'est rien moins qu'une rationalisation doctrinale
d'évolutions passées ou en cours, et non le reflet d'une
quelconque nécessité objective, comme inscrite dans le cours des
choses. A cette aune, donc, l'historicisme n'est que pure spéculation
partisane et repose sur la fixation arbitraire - comme nécessaire -
d'une configuration contingente de rapports de forces historiques, autrement
dit, sur la "naturalisation" d'un rapport de domination. Le devenir historique
est réduit à une alternative politique manichéenne, dont
l'un des termes est posé comme nécessaire - c'est-à-dire
inéluctable. Ainsi en va-t-il du schème d'interprétation
proposé par Simone de Beauvoir dans La force des choses, qui
pose et suppose qu' « en Algérie, il n'y avait qu'une
alternative, le fascisme ou le F.L.N. »1216(*) .
Un contexte intellectuel :
l'Algérie au prisme de la littérature
tiers-mondiste
Plus que d'autres, comme en témoignent ses
succès d'édition, Frantz Fanon1217(*) a symbolisé ce
réinvestissement de l'espérance révolutionnaire, et
contribué à la refonte des schèmes d'analyse
marxiste-léniniste dans le contexte des luttes de libération
nationale. La postérité de son oeuvre, oeuvre lyrique,
enragée, plaie ouverte sur le monde colonial - qui signe, en pleine
guerre d'Algérie, la renaissance du nihilisme
révolutionnaire1218(*) - est symptomatique, dans l'intellectualisation de
cette période, de la prégnance de cette attitude qui vise
à faire de l'histoire un absolu, à lui imprimer un sens (entendu
à la fois comme "direction" et comme "signification"), attitude qui a -
et a eu - pour corollaire une inattention systématique aux dimensions
locales, discriminantes du conflit algérien. Dans Les damnés
de la terre, publié pour la première fois chez Maspero en
1961 avec une préface de Jean-Paul Sartre (sur laquelle nous
reviendrons), Frantz Fanon écrit :
« La décolonisation, on le sait, est un
processus historique : c'est-à-dire qu'elle ne peut être comprise,
qu'elle ne trouve son intelligibilité, ne devient translucide à
elle-même que dans l'exacte mesure où l'on discerne le mouvement
historicisant qui lui donne forme et contenu »1219(*).
Simone de Beauvoir, aussi peu soucieuse que Fanon de
considérer la crise algérienne dans sa singularité,
écrit pour sa part :
« Quand la révolte a éclaté
dans les Aurès, j'ai pensé que, du moins en Afrique du Nord, le
colonialisme n'en avait plus pour longtemps. (...) L'insurrection qui venait de
se déclencher était irréversible, j'en
étais certaine, à cause du précédent
indochinois, et de la marche du monde en général ; la
conférence de Bandoeng confirma cette conviction ; elle annonçait
l'imminente décolonisation de toute la
planète »1220(*).
La littérature tiers-mondiste revêt ainsi une
dimension messianique, millénariste même, qui traduit cette
attente dans et par l'Histoire d'une rédemption collective qui se
voudrait à la fois « programme de désordre
absolu »1221(*), concourant à « cette sorte de
table rase qui définit au départ toute
décolonisation »1222(*), en même temps que procès de
« création d'un homme nouveau » :
« La décolonisation,
écrit Frantz Fanon, est très simplement le remplacement d'une
"espèce" d'hommes par une autre "espèce" d'hommes. Sans
transition, il y a substitution totale, complète, absolue. (...) A vrai
dire, la preuve du succès réside dans un panorama social
changé de fond en comble »1223(*).
A l'instar du manichéisme et de la définition
qu'en donne Henri-Charles Puech, « [l'historicisme] est une gnose, et
comme toute gnose, il est essentiellement fondé sur une
"connaissance" qui apporte avec elle-même le salut,
sauve par elle-même, (...) elle rend l'homme conscient de ce
qu'il est en sa réalité propre, lui explique sa condition
présente et comment s'en libérer, tout aussi bien qu'elle
l'assure de ce qu'il sera, de ce qu'il est appelé à
être »1224(*) :
« La décolonisation, écrit Frantz
Fanon, est la rencontre de deux forces congénitalement
antagonistes qui tirent précisément leur originalité
de cette sorte de substantification que sécrète et
qu'alimente la situation coloniale. (...) L'importance extraordinaire de ce
changement est qu'il est voulu, réclamé, exigé. La
nécessité de ce changement existe à l'état brut,
impétueux et contraignant, dans la conscience et dans la vie des
colonisés »1225(*).
Plus loin, il ajoute :
« La décolonisation (...) porte sur
l'être, elle modifie fondamentalement l'être (...). Elle introduit
dans l'être un rythme propre, apporté par les nouveaux hommes, un
nouveau langage, une nouvelle humanité. La décolonisation est
véritablement création d'hommes nouveaux »1226(*).
Raoul Girardet note ainsi que « toute une mythologie
affective tend à se construire autour de l'image
privilégiée du héros des guerres de
«libération populaire», du guérillero vietnamien ou du
maquisard algérien ». « Le prolétaire des
sociétés néo-capitalistes, ajoute-t-il, a cessé
d'apparaître comme l'instrument privilégié de la
transformation révolutionnaire du monde [au profit de] la
paysannerie des pays sous-développés, seule classe
véritablement «radicale», dans la marche vers la
révolution socialiste »1227(*). La réduction, la schématisation du
sens de l'engagement de notables et supplétifs musulmans aux
côtés de la France procèdent d'une telle logique
prédicative1228(*) puisque, par contraste avec ces
« nouveaux hommes », « [saisis] de
façon quasi-grandiose par le faisceau de l'histoire », le
harki est condamné à rester ce que Frantz Fanon appelle une
« chose » colonisée, « un spectateur
écrasé d'inessentialité (...) plongé dans la
répétition sans histoire d'une existence
immobile »1229(*); se "distinguant", selon l'auteur, par leur
« faiblesse idéologique » et leur
« instabilité spirituelle », les harkis, parce
qu'ils ne participent pas de cette « praxis violente et
totalisante » qui définit « le processus même
par lequel [le colonisé] se libère », sont pour Frantz
Fanon d' « authentiques otages » des forces
colonialistes :
« L'oppresseur, qui ne perd jamais une occasion de
faire se bouffer les nègres entre eux, utilisera avec un rare bonheur
l'inconscience et l'ignorance qui sont les tares du
lumpen-prolétariat. Cette réserve humaine disponible, si
elle n'est pas immédiatement organisée par l'insurrection, se
retrouvera comme mercenaires aux côtés des troupes
colonialistes. En Algérie, c'est le lumpen-prolétariat qui a
fourni les harkis et les messalistes »1230(*).
On notera que le choix des qualificatifs aussi bien que celui
des verbes tendent uniment à dépeindre sur le mode passif du
façonnement, du conditionnement, de l'(auto)intoxication (ou de la
« fausse conscience »), la manière dont les
populations musulmanes « non immédiatement organisées
par l'insurrection » (c'est-à-dire non
« conscientisées », non soumises à ce que la
vulgate révolutionnaire désigne sous le terme de
« (ré)éducation politique ») se meuvent et
s'émeuvent, pensent et agissent dans leur environnement social. Ainsi,
une des constantes de la profession de foi historiciste est de dénier
à l'adversaire - réduit au statut moralement invalidant
d' « agent » des forces obscurantistes - la
qualité de sujet (de sujet socio-historique s'entend), en tant -
précisément - qu'il n'a pas été saisi par
« le faisceau grandiose de l'Histoire ». Un tel syllogisme
conduit à ne pas rendre leur part aux raisons de l'adversaire, à
lui refuser le sens et jusqu'au sentiment de sa responsabilité propre,
à lui donner le caractère d'une chose, d'un instrument. Au fond,
au travers du prisme historiciste, la figure du harki ne dessine rien moins
qu'un être politiquement fruste.
L'inattention systématique portée
aux dimensions locales, discriminantes du conflit
algérien
Figure par trop "couleur locale", par trop circonstancielle au
regard d'un discours globalisant et définitif sur l'histoire, la figure
du harki ne pouvait être représentée sous d'autres traits
que ceux de la contingence, sinon de l'aberrance. Comme si les musulmans
pro-français (ou non inféodés au FLN) n'étaient que
les "ombres portées" du colonialisme1231(*). Dans sa préface aux Damnés de la
terre, Sartre, quoique visant non pas les supplétifs de
l'armée française (les harkis proprement dits) mais les notables
musulmans participant de l'administration de l'Algérie coloniale (qu'il
qualifie de « roitelets vendus, [de] féodaux, [de] fausse
bourgeoisie forgée de toutes pièces »), stigmatise sur
ce même mode de l'aliénation les élites musulmanes non
acquises au FLN :
« L'élite européenne entreprit de
fabriquer un indigénat d'élite ; on
sélectionnait des adolescents, on leur marquait sur le
front, au fer rouge, les principes de la culture occidentale, on leur
fourrait dans la bouche des baillons sonores, grands mots pâteux
qui collaient aux dents ; après un bref séjour en
métropole, on les renvoyait chez eux, truqués.
Ces mensonges vivants n'avaient plus rien à dire à leurs
frères »1232(*).
De la même manière, Jacques Vergès
perpétuait trente ans après l'idée d'une coupure radicale
entre les « Algériens » d'un côté, la
« coalition des pieds-noirs et des harkis » de l'autre, ces
derniers (les harkis) étant ainsi commodément isolés du
reste de la population musulmane et assimilés à un "réduit
collaborationniste" en dépit de la masse et de la continuité des
engagements (qu'écrasent délibérément les effets de
réécriture, accolant et liant les harkis aux pieds-noirs comme
l'esclave à son maître) :
« C'est par centaines que des Algériens
moururent alors dans les supplices, sans que les pouvoirs publics, pourtant
informés, s'en émeuvent. Les musulmans - comme on les appelait
à l'époque - ne représentaient-ils pas, pour les
laïco-socialistes, le retour au passé, et la coalition des
pieds-noirs et des harkis la modernité ? »1233(*).
« Que Les damnés de la terre aient
été publiés précédés d'une longue
introduction de Jean-Paul Sartre, le fait n'est, en lui-même, nullement
négligeable », note Raoul Girardet : « L'oeuvre
de Frantz Fanon se trouve par-là même intégrée
à tout un vaste mouvement de renouvellement de la pensée
révolutionnaire »1234(*). A la limite, pour cette fraction qui se voulait
radicale de l'intelligentsia de gauche (par opposition à cette
« gauche respectueuse » que raillent Marcel Péju et
Jean-Paul Sartre), le drame algérien devient l'objet d'une
« passion française », une ligne de fracture
intellectuelle et politique, moins en vertu de ses dimensions locales,
discriminantes - toujours plus insaisissables, irréductibles - que parce
qu'effectivement il se présente à elle comme la nouvelle terre
d'élection du messianisme révolutionnaire. Ce dont
témoigne, par excellence, l'extrait précédemment
cité de la lettre adressée par Jean-Paul Sartre au tribunal
militaire à l'occasion du procès intenté aux principaux
animateurs du réseau Jeanson (voir supra). De la même
manière, Simone de Beauvoir assure dans La force des choses que
« la gauche française ne pouvait reprendre ses positions
révolutionnaires qu'avec le FLN »1235(*). Plus avant, elle
s'interroge : « Mais leur victoire déboucherait-elle sur
le socialisme ? » ; ce à quoi elle s'empresse de
répondre par l'affirmative, précisant même :
« avec l'aide des Chinois si c'était
nécessaire »1236(*).
Ce primat des enjeux scolastiques et idéologiques ne
pouvait que décourager une analyse fine et circonstanciée -
à tout le moins nuancée - des
« événements » d'Algérie. Aussi la
figure du harki - élément pivot de la complexité
algérienne - n'a-t-elle eu que très rarement droit de cité
dans la geste des intellectuels français en guerre d'Algérie.
Plus généralement, l'inattention
systématique portée aux dimensions locales, discriminantes du
conflit puise dans la critique radicale - consubstantielle de
l'idéologie dite de la « libération » - de
toutes les formes de particularisme local ou religieux :
régionalisme, maraboutisme, traditionalisme ou
néo-traditionalisme. Ces particularismes sont assimilés à
des vestiges de féodalité et, à ce titre, dépeints
par Edward Saïd1237(*) - lisant Fanon - comme des vecteurs
d'euphémisation, voire d'ignorance volontaire des
inégalités de classe et des rapports de pouvoir dans la situation
coloniale. Aussi Edward Saïd différencie-t-il
« l'expérience éclairante du parti de la
libération » d'une part,
l' « indigénisme et l'idéologie assez
naïve du «retour aux sources» qui le
fonde »1238(*) d'autre part : « Il faut outrepasser
les identifications fondées sur la conscience identitaire »,
écrit-il1239(*). Et il ajoute : « [Le message de
Fanon], c'est que nous devons tous réécrire à neuf nos
histoires et nos cultures comme autant de palimpsestes »1240(*).
On est là en plein dans la dimension
millénariste de l'idéologie de la libération, ce
jacobinisme révolutionnaire qui, fondé sur la mystique
téléologique de la table rase, se veut une force
anti-identitaire, « un type particulier d'énergie nomade,
migratoire et antinarrative »1241(*), en rupture avec
l' « indigénisme »,
l' « essentialisme », le « dogme de la
mimésis » et les « passions
identitaires ». Sa visée n'est pas la cohabitation
négociée de la diversité des composantes de la population
algérienne mais l'élévation des masses colonisées
du stade de la « conscience identitaire » au stade de la
« conscientisation ». Cela implique de compter au rang des
éléments « contre-révolutionnaires »
non seulement les harkis, élus, fonctionnaires ou anciens combattants
musulmans (qui n'ont pas même atteint le stade de la
« conscience identitaire »), mais encore ceux qui,
appartenant à la composante « féodale »
(chefs traditionalistes, marabouts, tribalistes et régionalistes),
cultivent un discours qui fait obstacle à cette élévation.
Frantz Fanon décrit sans détour les tenants et les aboutissants
de ce jacobinisme révolutionnaire :
« La lutte armée mobilise le peuple,
c'est-à-dire qu'elle le jette dans une seule direction, à
sens unique. (...) La violence du colonisé, avons-nous dit, unifie
le peuple. De par sa structure en effet, le colonialisme est séparatiste
et régionaliste. Le colonialisme ne se contente pas de constater
l'existence de tribus, il les renforce, les différencie. Le
système colonial alimente les chefferies et réactive les vieilles
confréries maraboutiques. La violence dans sa pratique est
totalisante, nationale. De ce fait, elle comporte dans son
intimité la liquidation du régionalisme et du tribalisme.
Aussi les partis nationalistes se montrent-ils particulièrement
impitoyables avec les caïds et les chefs coutumiers. La liquidation
des caïds et des chefs est un préalable à l'unification du
peuple »1242(*).
Plus loin, il précise :
« Le colonialisme emploiera pour réaliser ses
objectifs (...) les traditionnels collaborateurs, chefs, caïds, sorciers.
Les masses paysannes plongées, nous l'avons vu, dans la
répétition sans histoire d'une existence immobile continuent
à vénérer les chefs religieux, les descendants des
vieilles familles. La tribu, comme un seul homme, s'engage dans la voie qui lui
est désignée par le chef traditionnel. A coups de
prébendes, à prix d'or, le colonialisme s'attachera les services
de ces hommes de confiance »1243(*).
Puis - usant d'un discours "hygiéniste" - il
conclut :
« Ce peuple déshérité,
habitué à vivre dans le cercle étroit des luttes et des
rivalités, va procéder dans une atmosphère solennelle
à la toilette et à la purification du visage local de la nation.
(...) L'unité nationale est d'abord l'unité du groupe, la
disparition des vieilles querelles et la liquidation définitive des
réticences. Dans le même temps, la purification englobera les
quelques autochtones qui, par leurs activités, par leur
complicité avec l'occupant ont déshonoré le pays. Par
contre les traîtres et les vendus seront jugés et
châtiés »1244(*).
« La libération nationale n'est pas - et n'a
jamais été - en continuité culturelle avec
l'indépendance nationale », écrit Edward
Saïd1245(*). Pour
Edward Saïd, la doxa « indigéniste » n'est que
l'image renversée de la doxa impérialiste, en proie aux
mêmes écueils, au même « potentiel de paralysie
culturelle » (p.383). « La libération, ajoute-t-il,
est un processus, non un but automatiquement atteint avec l'indépendance
des nouvelles nations ». Et l'auteur d'imputer les impasses
politiques de l'anti-impérialisme (en Algérie notamment) au
rôle délétère des « nationalistes
bourgeois », de « simples correspondances indigènes
de leurs maîtres impériaux » (p.379), coupables d'avoir
écrit « une histoire simplement nationale »,
d'être « [entrés] dans le modèle narratif des
Européens » et d'« [avoir]
répété l'impérialisme », aux
dépends des « tendances libérationnistes » du
FLN1246(*). Or, cette
explication en forme de clivage entre « nationalisme
orthodoxe » et « parti de la libération »
évacue opportunément, semble-t-il, les impasses liées non
à la prévalence de l'un ou de l'autre mais bien plutôt
à leur conjonction confuse - entre djihad et révolution,
fondamentalisme et avant-gardisme - dans les voies et moyens du FLN pendant la
guerre (voir la Partie 1). De fait, et les djihadistes et les
idéologues de la libération ont fait de la violence vertu au
cours de ce conflit, et sacrifié au mythe de la table rase, qu'il se
soit agi de promouvoir le retour aux sources (et de porter le regard loin en
arrière) ou de promouvoir l'avènement d'un homme nouveau (et de
porter le regard loin en avant).
Ainsi, les intellectuels tiers-mondistes ont-ils pu concevoir
le théâtre d'opérations algérien comme un terrain
d'expérimentation idéologique qui, par-delà la
révolte, ses causes et ses solutions potentiellement locales, pouvait et
devait servir l'idée générique de révolution,
conçue comme un schème transposé et transposable :
« L'Algérie, souligne Jean-Robert Henry, a fonctionné
un peu comme un laboratoire des aspirations et des mythes politiques (...) de
la gauche française »1247(*). Pour cette raison, sans doute, bien des
intellectuels, voulant « projeter à tort leurs idéaux
sur un réel qui les ignore »1248(*), ont méconnu
l'importance du facteur religieux (ou identitaire, au sens large) dans le
combat "libérateur". Tel fut par exemple le cas de Pierre Vidal-Naquet
(voir la Partie 1), mais encore de Laurent Schwartz, qui reconnaît
rétrospectivement en avoir sous-évalué la
prégnance : « J'ai espéré qu'ils ne
seraient pas musulmans à ce point-là, qu'ils garderaient les
Français en Algérie, mais sans privilèges. Nous avons
sous-estimé les questions nationales, les crimes commis par les
Algériens sur les Français »1249(*).
« L'impression qui m'est restée de cette
époque, écrivait Paul Thibaud en 1991, est un sentiment
d'illisibilité. Nous étions dans une période de visions
politiques qui se voulaient exhaustives ; il était entendu qu'une
idéologie digne de ce nom devait être capable de discriminer entre
le bien et le mal pour l'humanité entière et dans toute
situation : tous les combats politiques devaient pouvoir être
reliés substantiellement, on devait pouvoir dire si et comment ils
participaient à la cause du progrès de l'humanité. Est-ce
ou non progressiste ? La réponse à cette question devait
être univoque, il était impensable qu'un progrès dans un
domaine fût payé par une régression dans un autre domaine.
Il en devait pas y avoir d'ambiguïté, le sens de
l'événement devait pouvoir être énoncé sans
hésitation et sans remords »1250(*).
A cette aune, relève Michael Walzer, les harkis et
autres catégories de musulmans non-inféodés au FLN
décrivaient comme « des obstacles de terrain que le plan du
bien et du mal ne représente que de manière
inadéquate »1251(*). Des indicibles du « mouvement de
l'Histoire », en somme.
- 2. « Ces hommes en bleu payés pour
trahir leurs frères » (Simone de Beauvoir) : le harki,
une figure malvenue
Figure accessoire au regard d'un système de
pensée messianiste (voire millénariste, à travers
l'avènement proclamé d'un « homme nouveau »),
figure littéralement non avenue donc, le harki dessine également
une figure malvenue - notamment pour ceux des intellectuels qui lient leur
engagement aux intérêts organiques du FLN, mais pas seulement -,
figure dont l'apostolat pèche non seulement par son étroitesse
mais encore par sa vilenie : ne pointe-t-on pas, par privilège, la
brutalité et la vénalité de ce mercenaire payé 8,25
francs par jour ? Lorsque Simone de Beauvoir se propose de définir
- ou, plus exactement, de qualifier - l'engagement des harkis, c'est
effectivement pour leur opposer un déni de conscience morale et
politique, la « trahison » trouvant son pendant et sa
raison d'être dans la
« vénalité » : « Ces hommes en
bleu payés pour trahir leurs frères »1252(*), écrit-elle
à propos des quelque quatre à cinq cent harkis de la Force de
police auxiliaire de Paris (FPA). De même, Jean-Paul Sartre, dans sa
préface aux Damnés de la terre, confond-il dans un
même rejet les « comptoirs européens » et les
« mercenaires qui les défendent »1253(*).
Le romancier algérien Mehdi Charef, qui n'avait que dix
ans en 1962, et vivait déjà en métropole, suggère
pour sa part que si la solde journalière qui était offerte aux
harkis constituait bien un des motifs premiers de leur engagement, elle ne
pouvait, en raison même de sa modestie, présumer d'une quelconque
forme de vénalité (c'est-à-dire d'amoralité) mais
bien plutôt de précarité (c'est-à-dire de
dénuement), ce qui va à l'encontre du qualificatif
dégradant de mercenaire auquel a été par trop
complaisamment associée la figure du harki. Dans Le harki de
Meriem, publié aux Editions Mercure de France, Mehdi Charef
écrit :
« En cette fin des années cinquante, les
mots "guerre" et "indépendance" n'existaient pas dans cette campagne. Il
était loin d'Alger et des Aurès, et puis il s'en fichait Azzedine
de savoir s'il y aurait guerre ou indépendance, donc s'il finirait
gradé ou les couilles dans la bouche. Il ne s'engagea pas contre
quelqu'un, il s'engagea contre la terre, le ventre aride de sa terre, une terre
où il n'y avait plus qu'à crever. Et comme il ne lui restait plus
que sa vie, il l'avait donnée pour les siens »1254(*).
De la divinisation de l'histoire à la
fétichisation de la violence (la praxéologie de la
« table rase »)
Le déni de conscience morale et politique opposé
aux harkis par certains intellectuels engagés en guerre d'Algérie
décrit aussi - et surtout - un rapport à la violence proprement
antinomique de celui que subsume la croyance en les qualités dites
« propédeutiques », voire
« prophylactiques », de la praxis
révolutionnaire : tandis que « dans la violence,
l'opprimé puise son humanité », que les moyens
extrêmes dont use le « révolutionnaire
algérien » sont subsumés dans la finalité
historiciste qui en est comme la réparation anticipée, à
l'inverse, la violence non pas révolutionnaire, non pas
« libératrice », mais policière, coercitive
des harkis - violence délictueuse quoiqu'elle vise l'ordre, violence
délictueuse parce qu'elle vise l'ordre - astreint ses auteurs à
la déréliction. En témoignent les indignations
sélectives de Simone de Beauvoir, qui, dans La force des
choses, voit dans l'assassinat en plein Paris d'Ali Chekkal, ancien
vice-président de l'Assemblée algérienne - qu'elle
dépeint comme « le plus important des collabos
musulmans » - « un acte analogue à ceux que, pendant
la résistance, on appelait héroïques »1255(*) ; Simone de Beauvoir,
encore, qui ne paraît point s'émouvoir de ce que dans la nuit du
14 juillet 1958, et toujours en plein Paris, « onze personnes
[eussent été] descendues par les Algériens, dont six
musulmans collabos »1256(*) ; Simone de Beauvoir, toujours, qui,
évoquant la rencontre entre Sartre et Fanon, rapporte que ce dernier -
psychiatre de formation - « apprit [aux révolutionnaires
algériens] à contrôler leurs réactions au moment de
déposer une bombe ou de lancer une grenade »1257(*) ; Simone de Beauvoir,
pourtant, de faire soudainement montre d'un sentiment de révolte face
aux manifestations de violence - ou, plutôt, face à
certaines manifestations de violence - et de stigmatiser
« les traitements infligés par les harkis [à] des
hommes en sang [qu'ils] traînent d'une maison à une
autre »1258(*). Michael Walzer : « On trouve
peu de signes chez Simone de Beauvoir d'un grand attachement à la vie de
qui que ce soit. Les attentats terroristes contre des civils français la
laissaient indifférente ; et les morts du côté
algérien ne l'outragent que lorsque les Français en ont
été la cause (...). Elle est au fait de la brutalité des
guerres intestines du FLN, mais elle choisit de ne pas en parler dans ses
écrits : elle semble n'avoir jamais songé au destin probable
de la communauté pied-noir [NDA : et, a fortiori, à celui
des musulmans pro-français] dans l'éventualité d'une
victoire du FLN »1259(*).
De la même manière (quoique dans un registre
moins directement adversatif), dans un article qu'il avait consacré
à « La guerre révolutionnaire et la tragédie des
harkis » (voir l'analyse détaillée de cet article
infra), article originellement paru dans Le Monde des 11 et
12 novembre 1962, Pierre Vidal-Naquet - étayant sa démonstration
sur des impressions visuelles et sur la généralisation
d'éléments de preuve localisés - avait lui aussi
contribué à véhiculer une image brutalisante des harkis,
les dépeignant comme des hommes sans idéal péchant par
défaut de conscientisation, que seule la perspective d'assouvir leurs
penchants les plus vils avait pu convaincre de rester fidèles à
l'armée française : « Que les harkis aient
régné par la terreur, trop de témoignages le prouvent.
Ceux qui ont pu voir Octobre à Paris se souviendront toujours
du visage des témoins algériens quand ils prononcent ce nom
détesté. Que cette terreur ait été un instrument de
guerre qui seul pouvait à son tour maintenir les harkis dans
l'obéissance à leurs chefs, il n'est pas permis non plus d'en
douter. Dans un rapport officiel rédigé à la fin de mai
1961, un lieutenant chef de harka exposait que ses hommes «avaient
été dès le début habitués à avoir
toute liberté d'action après les accrochages» ; il
expliquait aussi qu'au lendemain de l'interruption des opérations
offensives (20 mai 1961) il ne put empêcher ses harkis de gagner le
djebel qu'en les autorisant à exécuter six
prisonniers »1260(*). De même, Jules Roy, dans la "réponse"
qu'il adresse en 1972 à l'ouvrage du général Massu, La
vraie bataille d'Alger, brosse une image vile des harkis, entre
servilité et brutalité : « Ah ! si vous
étiez né youpin ou raton, mon général... Si vous
aviez vu les vôtres arrêtés, poussés à coups
de crosse dans les camions et les clôtures de barbelés,
réduits à laper leur soupe dans la gamelle comme des bêtes,
et, en vrais chiens, humiliés, je vous le demande encore, quel parti
auriez-vous choisi : celui des harkis de l'Algérie des
maîtres, ou l'autre ? »1261(*).
Ainsi doit-on distinguer entre la violence servile des harkis,
cerbères aliénés d'un ordre périmé, usant
d'une violence sans langage, d'une violence qui est à elle seule sa
propre fin -car sans autre objet que le maintien d'un ordre illégitime
-, et cette violence "nécessaire" portée par ces "acteurs
d'historicité" que sont les révolutionnaires algériens,
violence propédeutique dont Frantz Fanon nous dit
qu' « [elle] revêt des caractères positifs,
formateurs »1262(*), qu' « [elle] [illumine] la
conscience du peuple » et qu' « [elle] confère
aux masses un goût vorace du concret »1263(*) ; violence
nécessaire, violence propédeutique, mais par-dessus tout langage
(ou registre de langage) propre à la raison historique, non pas moyen
mais praxis, poursuite valorisée et valorisante d'une
Vérité en devenir.
De fait, nous l'avons dit, pour ceux qui s'inscrivent dans le
sillage de Sartre et Fanon, la révolution algérienne est
censée accoucher d'un « homme nouveau »,
« purifié » ; sans qu'au départ cette
notion de « pureté » ne soit définie par
d'autres accents que ceux de la virilité. Ainsi, Sartre qui, tout en
mettant en exergue une certaine surdétermination socio-historique de
l'action humaine, s'était élevé dans Critique de la
raison dialectique (1960) contre le caractère supposément
mécaniste d'une telle surdétermination, et s'était
ému de ce qu'en pareil cas ce concept ne réduisît l'homme
à « un produit passif, une somme de réflexes
conditionnés [dont l'action est gouvernée] par le principe
d'inertie »1264(*), prend pourtant des accents messianistes dans sa
préface aux Damnés de la terre (1961) pour se
féliciter de ce que « Fanon [soit] le premier depuis Engels
à remettre en lumière l'accoucheuse de l'histoire ».
Dans cette « incandescente préface - presque
fascisante », estime Olivier Todd1265(*), au brûlot
tiers-mondiste de Frantz Fanon, Sartre se fait l'apôtre d'une violence
« nouvelle » et
« irrépressible » dans et par laquelle, selon lui,
le colonisé trouve et prouve son humanité en tuant le
colonisateur :
« Quand les paysans touchent des fusils, les vieux
mythes pâlissent, les interdits sont un à un renversés :
l'arme d'un combattant, c'est son humanité. Car, en ce premier temps de
la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une
pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un
opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour
la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. Dans
cet instant, la nation ne s'éloigne pas de lui : on la trouve où
il va, où il est, jamais plus loin, elle se confond avec sa
liberté »1266(*).
C'est dans et par la violence que le colonisé, à
la fois porté par l'Histoire et acteur de son propre destin, se
révèle et se réalise aux yeux de l'humanité tout
entière. Ainsi, contre ce que Frantz Fanon appelle « les
formes esthétiques du respect de l'ordre établi [qui]
créent autour de l'exploité une atmosphère de soumission
et d'inhibition », contre ce que Jean-Paul Sartre (dans sa
préface aux Damnés de la terre) qualifie
d' « exquise justificatrice » du « pillage
systématique » et des « massacres »
perpétrés par l'Occident dans les pays colonisés, se
développe autour du tiers-mondisme un fort courant anti-humaniste, qui -
exact contrepoint théorique de cette idéologie supposément
« menteuse » et « hypocrite » qu'est
« l'humanisme bourgeois » - en appelle à la
libération de la violence et récuse la perspective
d' « une entente à l'amiable »1267(*). Fanon, mariant les
registres idéologiques et psychiatriques, se montre d'ailleurs convaincu
des vertus sublimatoires et « désintoxiquantes » de
la violence révolutionnaire :
« Au niveau des individus, la violence
désintoxique. Elle débarrasse le colonisé de son complexe
d'infériorité, de ses attitudes contemplatives ou
désespérées. Elle le rend intrépide, le
réhabilite à ses propres yeux »1268(*).
« Cette violence irrépressible, commente
Sartre, ce n'est pas une absurde tempête, ni la résurrection
d'instincts sauvages, ni même un ressentiment, c'est l'homme
lui-même se recomposant (...). Nous étions homme à ses
dépens, il se fait homme aux nôtres. Un autre homme de meilleure
qualité »1269(*).
Aussi, pour Sartre, la vigilance anxieuse dont fait montre
Albert Camus pour contenir les termes du conflit dans des limites qui
n'attentent pas au principe de l'équivalence des vies, et à celui
- corrélatif - de la prééminence des règles du jeu
de la sociabilité sur les enjeux politiques de la lutte, est
symptomatique de l'esprit de compromission qui anime ce qu'il appelle - avec
Marcel Péju1270(*) - la « gauche respectueuse »,
à savoir « une gauche qui respecte les valeurs de
droite même si elle est consciente de ne pas les
partager »1271(*). Ainsi, l' « Appel pour une
trêve civile » est une « prise de position
pseudo-universaliste »1272(*) qui, condamnant au même titre les attentats
terroristes algériens et la répression française,
« prétend interdire aux forces réelles des
opprimés de les transformer en revendications appuyées par les
armes »1273(*). Pour Sartre, à l'inverse, « il
faut que [l'intellectuel] examine [les moyens] en fonction du principe que tous
les moyens sont bons quand ils sont efficaces sauf ceux qui
altèrent la fin poursuivie »1274(*). Pour cette raison,
ajoute-t-il, « il fallait comprendre que l'insurrection de
l'Algérie, insurrection de pauvres, sans armes, traqués par un
régime policier, ne pouvait ne pas choisir les maquis et la
bombe »1275(*).
De même, Albert Memmi, dont Camus avait
préfacé le premier ouvrage La statue de sel, largement
autobiographique, en 1953 (donc avant le déclenchement de
l'insurrection), s'en détachera rapidement une fois celle-ci
lancée, témoignant de la soudaine radicalisation des positions.
En 1957, par deux fois, il brosse un portrait sans appel de Camus, où
pointe l'ironie. D'abord dans son Portrait du colonisé (et du
colonisateur), publié en avril 1957 et préfacé cette fois
par Jean-Paul Sartre :
« En bref, l'homme de gauche ne retrouve dans la
lutte du colonisé, qu'il soutient a priori, ni les moyens traditionnels
ni les buts derniers de cette gauche dont il fait partie [cette
« gauche respectueuse » raillée par Jean-Paul
Sartre]. Et bien entendu, cette inquiétude, ce dépaysement sont
singulièrement aggravés chez le colonisateur de gauche,
c'est-à-dire l'homme de gauche qui vit en colonie et fait ménage
quotidien avec ce nationalisme. Prenons un exemple parmi les moyens
utilisés dans cette lutte : le terrorisme. Le colonisateur de
gauche avait beau faire des efforts, certains actes lui parurent
incompréhensibles, scandaleux et politiquement absurdes ; par
exemple la mort d'enfants ou d'étrangers à la lutte, ou
même de colonisés qui, sans s'opposer au fond,
désapprouvaient tel détail de l'entreprise. Au début,
il fut tellement troublé qu'il ne trouvait pas mieux que de nier de tels
actes ; ils ne pouvaient trouver aucune place, en effet, dans sa
perspective du problème. Que ce soit la cruauté de l'oppression
qui explique l'aveuglement de la réaction lui parut à peine un
argument : il ne peut approuver chez le colonisé ce qu'il combat
dans la colonisation, ce pourquoi précisément il condamne la
colonisation. Puis, après avoir soupçonné à chaque
fois la nouvelle d'être fausse, il dit, en désespoir de cause, que
de tels agissements sont des erreurs, c'est-à-dire qu'ils ne devraient
pas faire partie de l'essence du mouvement. Les chefs certainement les
désapprouvent, affirme-t-il courageusement. Un journaliste qui a
toujours soutenu la cause des colonisés, las d'attendre des
condamnations qui ne venaient pas, finit un jour par mettre publiquement en
demeure certains chefs de prendre position contre les attentats. Bien entendu,
il ne reçut aucune réponse ; il n'eut pas la
naïveté supplémentaire d'insister »1276(*).
De même, dans La force des choses, Simone de
Beauvoir assure que « jamais Camus ne prononça de phrases plus
creuses que lorsqu'il demanda : pitié pour les civils ».
Puis, quelques pages plus loin : « Maintenant, le pied-noir
l'emportait sur l'humaniste »1277(*). Déjà, dans sa préface aux
Damnés de la terre, Sartre s'en était pris - dans une
allusion non dissimulée à l'auteur de Ni victimes ni
bourreaux - au promoteur de l' « Appel pour une trêve
civile » : « Ils ont bonne mine les
non-violents : ni victimes ni bourreau ! Allons ! Si vous
n'êtes pas victimes, quand le gouvernement que vous avez
plébiscité, quand l'armée où vos jeunes
frères ont servi, sans hésitation ni remords, ont entrepris un
«génocide», vous êtes indubitablement des
bourreaux »1278(*).
Michael Walzer : « Dans le schéma
marxiste [et/ou tiers-mondiste], un intellectuel pied-noir était
exactement semblable à un intellectuel
bourgeois »1279(*). A l'instar de ce dernier, l'intellectuel pied-noir
appartient à « une minorité qui a historiquement
tort » (Albert Memmi1280(*)). Dès lors, « la thèse
courante à gauche est simple et directe : il faut répudier ce
genre d'appartenance. (...) Sur cette base, la critique sociale de
l'intérieur est littéralement impossible : l'intellectuel
pied-noir doit se transformer, d'abord, en observateur détaché,
puis en défenseur de la libération
algérienne»1281(*). A cet égard, Michael Walzer, qui avait
déjà critiqué les formes de l'engagement sartrien dans
La critique sociale au XXème siècle (ouvrage
publié pour la première fois en 1988), est revenu, après
les attentats du 11 septembre 2001, sur les justifications idéologiques
que certains intellectuels trouvent au terrorisme, à commencer par la
notion de "culpabilité objective" :
«Terrorism is the work of visible hands - an
organizational project, a strategic choice, a conspiracy to murder and
intimidate. No wonder the conspirators have difficulty justifying in public the
strategy that they have chosen. But when moral justification is ruled out, the
way is opened for ideological apology. In parts of the European and American
left, there has long existed a political culture of excuses focused defensively
on one or another of the older terrorist organizations: the IRA, FLN, PLO, and
so on (...)». Il ajoute: «[A common] excuse plays on the notion of
innocence. Of course, it is wrong to kill the innocent, but these victims
aren't entirely innocent. They are the beneficiaries of
oppression; they enjoy its tainted fruits. And so, while their murder
isn't justifiable, it is ... understandable. What else could they
expect?»1282(*).
De la notion de « fausse
conscience » à celle de « culpabilité
objective »
Pour Albert Memmi, la situation coloniale n'est pas
réformable : elle ne peut être que
« brisée ». Cela justifie que les civils d'origine
européenne soient subsumés, en dépit de leur
diversité, sous le vocable de « colonisateurs » et
dépeints, à ce titre, comme des
« privilégiés non légitimes, c'est-à-dire
[des] usurpateurs »1283(*). Il s'ensuit que le colon - quoi qu'il en ait, et
« par une sorte de fatalité intérieure » -
est "par essence" un « oppresseur ». Pour lui, la
quête de l'innocence est sans fin et la vie un dédouanement
permanent. A cet égard, ni la frontière entre "civils" et
"combattants", ni une neutralité affichée ne sauraient faire
office de garantie puisque l'on ne peut pas - par nature - être
neutre dans une telle situation. Albert Memmi :
« S'acceptant comme colonisateur, le colonialiste
accepte en même temps, même s'il a décidé de passer
outre, ce que ce rôle implique de blâme, aux yeux des autres et aux
siens propres. Cette décision ne lui rapporte nullement une bienheureuse
et définitive tranquillité d'âme. Au contraire, l'effort
qu'il fera pour surmonter cette ambiguïté nous donnera une des
clefs de sa compréhension. Et les relations humaines en colonie auraient
peut-être été meilleures, moins accablantes pour le
colonisé, si le colonialiste avait été convaincu de sa
légitimité. En somme, le problème posé au
colonisateur qui se refuse est le même que pour celui qui s'accepte.
Seules leurs solutions diffèrent : celle du colonisateur qui
s'accepte le transforme immanquablement en colonialiste »1284(*).
Sur cet arrière-fond spéculatif, l'expiation -
et peut-être même le meurtre1285(*) - devient en quelque sorte
"nécessaire" :
« La révolte est la seule issue à la
situation coloniale qui ne soit pas un trompe-l'oeil, et le colonisé le
découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame
une solution absolue, une rupture et non un compromis. Il a été
arraché de son passé et stoppé dans son avenir, ses
traditions agonisent et il perd l'espoir d'acquérir une nouvelle
culture, il n'a ni langue, ni drapeau, ni technique, ni existence nationale ni
internationale, ni droits, ni devoirs : il ne possède rien, n'est
plus rien et n'espère plus rien. De plus, la solution est tous les jours
plus urgente, tous les jours nécessairement plus radicale. Le
mécanisme de néantisation du colonisé, mis en marche par
le colonisateur, ne peut que s'aggraver tous les jours. Plus l'oppression
augmente, plus le colonisateur a besoin de justification, plus il doit avilir
le colonisé, plus il se sent coupable, plus il doit se justifier, etc.
Comment en sortir sinon par la rupture, l'éclatement, tous les jours
plus explosif, de ce cercle infernal ? La situation coloniale, par sa
propre fatalité intérieure, appelle la révolte.
Car la condition coloniale ne peut être aménagée ; tel
un carcan, elle ne peut qu'être brisée »1286(*).
Simone de Beauvoir est plus explicite encore :
« Les ennemis des colonisés, c'était d'abord les
colons, accessoirement l'armée qui les
défendait »1287(*).
Albert Camus n'avait certes pas attendu d'en être
directement la cible pour dénoncer les artifices de la notion de
« culpabilité objective », qu'il sentait poindre
dans « une équivoque conception du monde qui remet à la
seule histoire le soin de produire les valeurs et la
vérité ». Déjà dans L'Homme
révolté, en 1950, il écrivait :
« [Sans cette foi active dans les représentants de la
vérité], [le sujet] risque toujours, sans l'avoir voulu et avec
les meilleures intentions du monde, de devenir un criminel
objectif »1288(*). En outre, rien n'était plus étranger
à Albert Camus que cette idée d'une « expiation
nécessaire » des Français d'Algérie, idée
connexe de celle de « culpabilité objective »,
symptomatique pour lui de la « frivolité » et du
« pharisaïsme » de ceux qui, parmi les partisans
français du FLN, « n'ont jamais placé que leur fauteuil
dans le sens de l'histoire »1289(*) : « Si certains Français
considèrent que, par ses entreprises coloniales, la France est en
état de péché historique, ils n'ont pas à
désigner les Français d'Algérie comme victimes expiatoires
(«Crevez, nous l'avons bien mérité !»), ils doivent
s'offrir eux-mêmes à l'expiation. En ce qui me concerne, il me
paraît dégoûtant de battre sa coulpe, comme nos
juges-pénitents, sur la poitrine d'autrui »1290(*).
Or, ce qui - dans l'esprit des soutiens français au FLN
- vaut pour les civils européens vaut a fortiori pour les
civils musulmans réputés leur être inféodés,
lesquels, en plus d'avoir objectivement tort, sont subjectivement
méprisables (car marqués du sceau de la
« trahison »).
Le refus de la symétrie entre les
exactions commises par le « colonisé » et celles
commises par - ou au nom du -
« colonisateur »
Certes, la fétichisation "fanono-sartrienne" de la
violence du colonisé, elle-même sous-tendue par la notion de
"culpabilité objective", fut loin d'être un trait commun à
tous les intellectuels français engagés contre la guerre
d'Algérie1291(*). Par contre, le refus de la symétrie entre
les exactions commises par le « colonisé » et celles
commises par - ou au nom du - « colonisateur » traversa lui
l'ensemble des strates de la gauche intellectuelle anticolonialiste. Ainsi,
dans une critique collective faite en 1992 du film de Benjamin Stora1292(*), Les années
algériennes, Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, Madeleine
Rebérioux, Annie Rey-Goldzeiguer et Pierre Vidal-Naquet estimaient que
« le défaut majeur du film est de faire croire qu'on peut
renvoyer dos à dos les partenaires affrontés en parlant de
violence des deux côtés, finalement en donnant quitus au
colonialisme innommé par la tentative d'égalisation des deux
plateaux de la balance, quand ces plateaux ne pourront jamais, sous peine de
graves falsifications, devenir égaux »1293(*).
Quelques années plus tard, Pierre Vidal-Naquet,
à nouveau : « Entre Boussouf et Aussaresses, il y a
malheureusement quelque chose de commun [à propos de l'assassinat de
Abane Ramdane], ce qui ne veut pas dire, évidemment, qu'il y
avait symétrie entre le colonisateur et le
colonisé »1294(*). De même, Gilles Manceron :
« Quand on parle de la Seconde guerre mondiale, on présente
bien le nazisme comme une horreur, et la Résistance comme
légitime. Pour l'Algérie, on se contente de dire qu'il y a eu
des horreurs dans les deux camps, sans dire que celles qui ont
été commises par la France relèvent d'un combat
illégitime et qu'elles ont été assumées par une
République, ce qui est scandaleux »1295(*).
Ce refus quasi-général de la symétrie
entre les exactions liées à l'insurrection et celles liées
à sa répression explique en grande partie la "timidité",
sinon l'absence de réactions de la mouvance anticolonialiste (toutes
tendances confondues) au moment et à la suite du massacre des harkis.
Cela explique aussi pourquoi les quelques rares personnalités de gauche
qui ont élevé la voix à ce sujet se sont attachées
à en imputer la responsabilité première non au FLN mais au
« système colonial » ou, tout au moins, à ses
contrecoups.
L'article publié par Pierre Vidal-Naquet dans
l'édition du Monde du 16 novembre 1962, article intitulé
« La guerre révolutionnaire et la tragédie des
harkis »1296(*), est exemplaire à cet égard. Aux
dires de certains auteurs1297(*), et de Pierre Vidal-Naquet lui-même, cet
article aurait fait notablement exception dans le "désert" des
réactions progressistes. Or, cette "sollicitude" se heurte, dans le fil
dudit article, à des limites importantes et clairement exposées
qui en relativisent le caractère exceptionnel ou
hétérodoxe eu égard à la tonalité
générale de la geste intellectuelle. De fait, Pierre
Vidal-Naquet, quoiqu'il fasse état des massacres dont sont victimes en
Algérie les anciens supplétifs de l'armée
française, et qu'il dise s'en émouvoir, va s'attacher à
relativiser ce drame (et les responsabilités algériennes qui y
sont attenantes) en introduisant dans la dénonciation du crime les
éléments de sa propre atténuation. Pierre Vidal-Naquet
laisse d'abord entendre que la situation chaotique dans le bled est d'abord et
avant tout la résultante obligée des destructions
opérées par la répression, qui, en éradiquant les
cadres du FLN, a laissé libre cours à des vengeances
incontrôlables. En somme, pour l'auteur, ce n'est pas la situation
hégémonique du FLN, et le climat d'impunité totale dans
lequel évolue les cadres de cette organisation depuis l'accession
à l'indépendance de l'Algérie qui sont en cause, mais
l'insuffisance de leurs moyens et de leurs effectifs :
« Des haines se sont accumulées dont il
eût été naïf de ne pas prévoir l'explosion et
que les accords d'Evian, malgré l'amnistie qu'ils comportaient,
pouvaient d'autant moins endiguer, que, dans le bled, l'O.P.A.
[c'est-à-dire l'Organisation politico-administrative du FLN], qui seule
aurait pu assurer une transition relativement calme entre l'ancien et le
nouveau régime, avait été précisément
détruite, les cadres du peuple algérien exterminés et que
l'OAS régnait dans les grandes villes. Une révolution
victorieuse, du reste, ne change pas dans ses débuts la nature des
rapports sociaux, elle les inverse : la terreur de 1793 fut une forme
d'absolutisme. Dans les excès de l'insurrection algérienne, il
n'est que trop facile de reconnaître le négatif de la
colonisation ; de même, dans la tragédie que vivent
actuellement les anciens harkis, il est aisé de retrouver le visage
hideux de ce que fut la pacification »1298(*). Et il ajoute :
« Dans le bled, sans que le gouvernement puisse exercer de
contrôle - on sait d'ailleurs à travers quelles crises il
s'est installé au pouvoir -, des camps sommaires ont
été créés - non sans doute partout, car il est des
régions d'Algérie qui semblent avoir échappé
à la répression - d'où des hommes ont été
extraits pour être conduits à la torture et à une mort
abjecte »1299(*).
Cette analyse appelle plusieurs commentaires. D'une part,
l'idée que seule l'O.P.A. du FLN aurait pu assurer une transition
relativement calme est une affirmation gratuite, qui fait fi - à
l'inverse de ce qu'avance Pierre Vidal-Naquet - du contrôle étroit
exercé par les autorités algériennes sur les camps
d'internement et de travaux forcés répartis sur l'ensemble du
territoire algérien (voir la Partie 1), et dont on ne peut
raisonnablement accuser les « combattants de la
25ème heure » (ou « marsiens »)
d'être les initiateurs, d'autant que la plupart de ces camps sont encore
au place au moment où Pierre Vidal-Naquet écrit ces lignes ;
à cet égard, nous l'avons vu, la survenue de vengeances
"spontanées" ne saurait à elle seule justifier de l'assassinat de
plusieurs dizaines de milliers d'hommes et de femmes, qui plus est lorsque ces
massacres s'étalent sur plusieurs mois. D'autre part, l'incrimination
réflexe de l'OAS apparaît ici proprement dilatoire puisque, lors
même que l'OAS aurait mis fin à toute activité criminelle
sur le sol algérien depuis la fin juin 1962 (soit dès avant
l'indépendance de l'Algérie), les massacres de harkis se
poursuivent au moment où l'auteur écrit ces lignes - nous sommes
en novembre 1962, quatre mois ont passé depuis l'accession à
l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962. Ainsi, usant d'une
dialectique globalisante (en quoi le parallèle avec la période de
la Terreur nous éclaire-t-elle sur les circonstances singulières
et nous informe-t-elle des responsabilités particulières qui ont
présidé au massacre des harkis ?), celui qui,
dénonçant l'usage de la torture au sein du Comité
Maurice-Audin, s'était fait depuis 1957 une profession de foi de
rappeler les autorités françaises à leurs
responsabilités, en vient paradoxalement - au moment de rendre compte du
massacre des harkis - à minorer la responsabilité des
autorités algériennes, c'est-à-dire à souligner
l'incapacité relative du - ou des - politique(s) à avoir toujours
et partout prise sur le cours des choses. Il est d'ailleurs symptomatique qu'au
titre d'agent d'historicité il invoque des concepts "fourre-tout" :
la révolution, la colonisation et la
pacification qui, à force de vouloir tout expliquer en
général, n'expliquent rien en particulier. Ce faisant, l'auteur
satisfait, me semble-t-il, à une double exigence : d'une part, il
relativise la portée du crime, le "naturalise" en quelque sorte :
rien qui ne soit conforme à la nature des choses, semble-t-il
signifier ; d'autre part, mais cette seconde exigence est une
conséquence logique de la première, il tend à rendre le
crime impersonnel, anonyme, comme s'il n'était de criminels et de
victimes que génériques : invoquant ces "monstres froids"
que sont les concepts clefs précités, il tend à
diluer/enchevêtrer les responsabilités du crime jusqu'à les
rendre proprement inassignables.
Le massacre des harkis serait ainsi un crime sans
responsables, ou plutôt une tragédie dont les
responsabilités immédiates ne seraient que "superstructurelles",
le geste de l'assassin n'étant motivé et ne pouvant être
expliqué - en dernière instance - que par le crime plus grand
dont il fut lui-même victime ; or, de ce que « les harkis
aient régné par la terreur, trop de témoignages le
prouvent », souligne Pierre Vidal-Naquet :
« [N'étaient-ils pas], sur le plan général, un
des éléments de l'appareil de répression semi-clandestin
qui s'est peu à peu créé en Algérie »,
ajoute-t-il1300(*) ? Dès lors, projetant sur la guerre
d'Algérie un vocable tiré d'une autre guerre, l'auteur estime que
« les résistants algériens [de même que
« les villageois trop longtemps terrorisés »] ont
sans doute le droit de mépriser les harkis, et de les tenir pour des
traîtres »1301(*). L'auteur d'insister :
« Souvenons-nous de ce que fut la Libération pour les
miliciens précisément, dans certains villages du midi de la
France »1302(*).
Cette assimilation des harkis aux collaborationnistes,
c'est-à-dire à ceux qui, en France, furent partisans d'une
politique de collaboration avec l'Allemagne nazie, découlait plus
globalement de la propension à établir un parallèle entre
la situation de la France sous l'Occupation et celle de l'Algérie en
guerre. Pierre Vidal-Naquet lui-même inclinera, après bien
d'autres1303(*),
à opérer de tels rapprochements : « Je n'emploie
donc pas le terme de génocide même si certaines
comparaisons viennent à l'esprit. Ainsi, dans l'affaire des cuves
à vin, début 1957, où plusieurs dizaines
d'Algériens sont morts d'avoir inhalé des émanations
toxiques, il était difficile de ne pas penser aux chambres à gaz,
même s'il n'y avait pas d'intention criminelle. À
condition de ne pas confondre génocide et crime contre
l'humanité, la comparaison (de la guerre d'Algérie) avec la
période de l'Occupation est donc
justifiée »1304(*). En 1961, Paulette Péju, journaliste
à Libération (et qui était l'épouse de
Marcel Péju, collaborateur des Temps modernes), osera elle
aussi des parallèles qui ne laissaient guère de doute sur ce que
lui inspiraient les supplétifs musulmans de l'armée
française : « En opposant des Algériens à
des Algériens, l'oppresseur garde les mains propres et tente de
déchirer, contre elle-même, la communauté opprimée.
Ainsi les Allemands, dans les camps de concentration, dressaient-ils les
«droit commun» contre les déportés politiques, ou
confiaient-ils à une police juive le soin de désigner les Juifs
pour l'abattoir »1305(*).
Bien plus, dans le mouvement même où Pierre
Vidal-Naquet adjure les autorités françaises de faire tout ce qui
est en leur pouvoir pour assurer la protection des anciens harkis et de leurs
familles (« plus lourdes encore, écrit-il, sont les
responsabilités qui pèsent sur le gouvernement
français », comme s'il fallait, ce disant, qu'il se
soulageât en partie du cas de conscience de rappeler les autorités
algériennes à leurs engagements de non-représailles),
l'auteur préconise que ceux des rescapés qui parviendraient
à trouver refuge en France fussent
« rééduqués » (ce sont ses propres
termes) par les militants de la Fédération de France du FLN.
L'auteur, faisant écho aux rumeurs gouvernementales d'une possible
collusion harkis-OAS (voir la Partie 1), semble tenir pour évident que
cette « rééducation » (politique ?) est
nécessaire :
« C'est en France que les anciens harkis et leur
famille peuvent être sauvés, c'est en France que pourront se
trouver les militants algériens, moins marqués par la
répression qu'en Algérie, malgré ce qu'ils ont subi eux
aussi, capables d'entreprendre la rééducation
nécessaire. On a pu concevoir que les harkis risquaient de devenir
une masse de manoeuvre entre les mains d'officiers OAS ; cette crainte n'a
plus guère de sens aujourd'hui. D'ailleurs, il appartient aux
Français et aux Algériens de France, et notamment aux militants
ouvriers, de faire en sorte que cette crainte soit vaine »1306(*).
Il faut pourtant rappeler, à titre de
contre-élairage factuel, que les méthodes de la
Fédération de France du FLN - dont les attentats ont causé
la mort de plus de 4.000 personnes et en ont blessé près de 9.000
autres en métropole entre 1956 et 1962 (en quasi-totalité des
civils musulmans1307(*)) - ne se distinguèrent en rien de celles de
leurs camarades demeurés en Algérie (ce que semble ignorer
Pierre Vidal-Naquet). Voici d'ailleurs ce qu'il en fût, dans un premier
temps, des rapports entre « militants ouvriers » de la
Fédération de France du FLN et anciens harkis
réfugiés en France : « Nombreux sont les cas, de
1962 à 1966, de supplétifs interpellés et pris à
parti par des Algériens mais aussi des Français. En
décembre 1962, trois familles de harkis fuient Condé-sur-Escaut
dans le Nord pour Mige dans l'Yonne. Les trois chefs de famille,
employés aux mines, n'en pouvaient plus des brimades et des pressions
des Algériens. Ils étaient de plus durement imposés par
les responsables locaux du FLN. Des incidents éclatent un peu partout en
France mais on ne fait pas alors la différence : «FLN, harkis,
moghaznis, des bagarres d'Arabes» ! (...) Quatre harkis sont
assassinés en une semaine, en juillet 1963, dans la région
lilloise. La pression ne s'atténuera que
lentement »1308(*).
Mais par-delà même le fait que le terme de
« rééducation », lorsqu'il se veut synonyme
de « conscientisation politique », soit porteur de
sinistres consonances (la plus patente ayant précisément trait
aux méthodes dites du « bourrage de crâne »,
à entendre au sens propre comme au sens figuré), il est frappant
de noter qu'en arrière-fond, en sous-oeuvre d'un tel discours se
dégage l'idée que puisque les harkis sont à
« rééduquer », et puisque ce sont leurs
adversaires les plus irascibles qui sont, selon Pierre Vidal-Naquet, les mieux
à même et les plus indiqués pour opérer ce travail
de « rééducation », dès lors, ce ne
sont pas les "massacreurs" mais bien les "massacrés" qui sont porteurs
d'une tare morale ; comme si tant l'engagement des harkis aux
côtés de la France que les prolongements tragiques de cet
engagement (soit le supplice qui est le leur) étaient la
résultante d'une pathologie (faut-il la qualifier de "politique" ?)
qui les affecte et qui, menaçant d'affecter l'ensemble de la population
algérienne, suscite, par contrecoup, la réaction "immunitaire"
des organes de résistance algériens : de la violence
politique aux mesures prophylactiques, il n'y a parfois qu'un pas (voir
supra), même si Pierre Vidal-Naquet témoigne
manifestement d'une plus grande inclination pour les médecines "douces"
(la « rééducation ») que pour les
thérapies de choc, lesquelles provoquent son effroi.
Aussi, l'auteur, sous prétexte de magnanimité et
d'appel à la clémence dans un climat de représailles
exacerbées, en vient par des voies rhétoriques subtiles (sans
jamais que cela n'apparaisse autrement que par implicite), sinon à faire
porter aux victimes elles-mêmes la responsabilité de leur sort, du
moins à relativiser leur statut de victimes (« Les
résistants algériens ont sans doute le droit de mépriser
les harkis, et de les tenir pour des traîtres »1309(*)) et, par là
même, à relativiser la responsabilité des assassins
(« Responsable des tortures et des assassinats dont ils [les harkis]
ont été coupables, il [le gouvernement français] est aussi
responsable des tortures et des assassinats dont ils sont les
victimes », et n'a à ce titre « aucun droit de
protester »1310(*)). Invoquant les causes exogènes,
"infrastructurelles" des massacres (« Il est trop évident que
ces hommes, même ceux qui ont commis, sur ordre, des crimes, sont des
victimes autant que des coupables, des victimes de l'ordre
colonial »1311(*)), l'auteur évacue tout questionnement sur
les voies et moyens propres aux « révolutionnaires »
algériens, qu'il s'agisse de la fétichisation de la violence et
de la prévalence corrélative des moyens sur les fins
(affirmée dès la Proclamation du 1er novembre), ou
bien encore de l'exclusivisme d'un projet politique axé autour du refus
radical d'une Algérie plurielle, tant sur les plans socioculturel,
politique, qu'ethnique (Programme de Tripoli). D'ailleurs, c'est à
peine si Pierre Vidal-Naquet ne s'excuse pas auprès des autorités
algériennes de relater les faits dont il se fait le témoin :
« Un Français ne s'adressera pas sans hésitation et
difficulté aux autorités algériennes »,
écrit-il, ajoutant qu' « il n'est que trop aisé de
retrouver le visage hideux de ce que fut la pacification dans la
tragédie que vivent actuellement les anciens
harkis »1312(*). Dans un billet rétrospectif, publié
dans l'édition du Monde du 10 novembre 1999, Pierre
Vidal-Naquet reconnaîtra certes « ne pas [avoir] peint en rose
ce qui avait été l'activité des harkis » mais
estimera pourtant, en réponse à Dominique Schnapper1313(*), que
l' « on ne peut dire que cet article manifestait une sympathie
seulement verbale ».
Cette application à éluder la question des voies
et moyens du FLN, et l'insistance corrélative à relativiser tant
la responsabilité des assassins que le statut même de victimes des
anciens harkis, sont symptomatiques, me semble-t-il, des frontières de
l'indignation qui circonscrivent tant le champ que les termes de l'intervention
des intellectuels français en guerre d'Algérie. Alfred Grosser,
dans un livre intitulé Le crime et la mémoire, livre
consacré à la façon dont « de multiples crimes
commis dans de multiples pays à des époques diverses (...) sont
présents ou absents dans de multiples
mémoires »1314(*), note que « le plus souvent, un groupe
(...) cherchera à faire le silence sur des crimes ou des
complicités dont l'évocation affaiblirait la bonne conscience qui
soutient sa mémoire collective »1315(*). Tout au moins,
ajouterais-je, cherchera-t-il à faire oeuvre de "contre-feu"
rhétorique en introduisant dans la dénonciation du crime les
éléments de sa propre atténuation, à l'instar de
Pierre Vidal-Naquet dans son article « La guerre
révolutionnaire et la tragédie des harkis ». Alfred
Grosser d'ajouter : « L'accès à la mémoire
du crime passe sans doute par une libération intérieure, donc par
un refus de l'endoctrinement ou de l'auto-endoctrinement. En Union
soviétique, mais pas seulement là : en Chine, aussi, et dans
tout pays dont l'idéologie se réclamait de la
vérité tout en faisant fi de la vérité, demandait
que le crime fût soit caché soit magnifié comme exploit,
permettant ainsi à nombre d'intellectuels occidentaux, notamment
français, d'admirer en toute certitude, en toute quiétude, quitte
à gommer quelque peu les faits qui eussent pu les
ébranler »1316(*).
Les schèmes d'analyse qui, au moment de la guerre
d'Algérie, partageaient le monde colonial entre
« opprimés » et
« oppresseurs »1317(*) ont tenu pour contingente la destinée de ces
acteurs "limites", "entre-deux", qu'étaient les supplétifs
musulmans de l'armée française. Le massacre des
intéressés, qui n'a soulevé que de très
exceptionnelles et ambivalentes protestations, est lui-même apparu, dans
une certaine mesure, comme un crime "non avenu". Ainsi expulsée hors du
champ de l'analyse et de la compassion, la figure du harki n'a de fait
été abordée que très épisodiquement et sous
le seul sceau de la polémique, les intellectuels se faisant, en
l'espèce, simple courroie de transmission de la propagande du
FLN.
Et, de fait, les quelques (rares) allusions faites à la
situation des musulmans pro-français dans les prises de position
publiques des intellectuels français en guerre d'Algérie le
furent généralement sur un mode directement adversatif, voire
injurieux, tendant à vulgariser dans l'opinion le parallèle
réductionniste assimilant les harkis aux collaborationnistes,
c'est-à-dire à ceux qui, en France, furent partisans d'une
politique de collaboration avec l'Allemagne nazie durant la période de
l'Occupation.
Ainsi en fut-il, nous l'avons vu, de Simone de Beauvoir (voir
supra). Ainsi en fut-il, également, de Pierre Vidal-Naquet, qui
trouvait à la fois sensée et justifiée la comparaison avec
les « miliciens ». Il n'avait semble-t-il guère
changé d'avis en novembre 2000 puisque, à l'occasion d'une
conférence organisée à la librairie des Presses
Universitaires de France (autour de la réédition du livre de
Paulette Péju : Les harkis à Paris), il
répétera qu' « on n'est pas loin de la
vérité » lorsque l'on compare les anciens harkis
à des collaborateurs. A cet égard, et bien que non contemporaine
de la guerre d'Algérie, une tribune libre du dessinateur Siné,
publiée dans l'édition en date du 8 octobre 1997 de
l'hebdomadaire Charlie Hebdo, participe très exactement des
schèmes d'identification de la figure du harki tels que
véhiculés par la mouvance anticolonialiste (notamment
tiers-mondiste) au moment de la guerre d'Algérie. Siné, qui,
à l'occasion du procès du réseau Jeanson en 1960, imita la
signature de Jean-Paul Sartre en bas de la lettre apocryphe adressée au
président du tribunal militaire, établit dans cette tribune libre
un parallèle iconographique entre un supplétif bardé de
médailles au garde-à-vous et un Maurice Papon hilare arborant une
hypothétique croix de fer. Ces dessins sont assortis des commentaires
suivants, qui valent - pour notre propos - d'être cités in
extenso :
« Bien que je sois tout à fait d'accord avec
les harkis qui font la grève de la faim pour obtenir, enfin, la
reconnaissance que la France leur doit, je ne peux m'empêcher d'avoir
envie de leur cracher à la gueule ! Le fait que la France se soit
toujours conduite avec eux comme la reine des ordures ne peut faire oublier
leur engagement à ses côtés quand celle-ci nettoyait
ethniquement leur pays. Traîtres à leur patrie, ils ne
méritent que le mépris, mais loyaux serviteurs de la puissance
coloniale, collabos zélés, ils ont le droit à la gratitude
et aux félicitations de leurs maîtres. Mais une fois la guerre
perdue, ces derniers, après leur avoir fait faire les plus sales boulots
et fait prendre les plus gros risques - infiltrer les réseaux
clandestins, dénoncer leurs frères résistants - ils les
ont parqués dans des camps et traités comme de la merde ! On
ne sait plus, du coup, quels sont les plus exécrables, les plus
pourris ? J'ai du mal, quand je vois à la téloche ces
"Français musulmans" arborer ostensiblement leurs médailles de la
honte, à ne pas imaginer Papon, à son procès, exhibant
fièrement la croix de fer ! Quant aux enfants de ces harkis, les
pauvres, ils n'ont guère le choix ! Soit (1) ils en sont fiers ou
(2) ils en ont honte. Dans le premier cas, qu'ils crèvent ! Dans le
second, qu'ils patientent jusqu'à ce qu'ils deviennent
orphelins ! »1318(*).
Ces considérations - nous y reviendrons
ultérieurement - vaudront une condamnation pénale à leur
auteur ainsi qu'au directeur de la publication (voir la Partie 4)1319(*).
Tour à tour « objectivement
coupable » et « subjectivement
méprisable », sans que l'on sache très bien s'il est le
jouet d'une "servitude réflexe" ou s'il se dédie tout entier
à la servitude volontaire, le harki est, d'une certaine manière,
le pont aux ânes de la geste progressiste ; figure "hors
l'histoire", précisément, qui ne s'inscrivait pas dans le
schéma binaire de la dialectique du maître et de l'esclave, et qui
en montrait comme l'inanité. Car sous quel aspect figurer le
harki ? Sous l'aspect du maître, lors même que Frantz Fanon,
nous l'avons vu, qualifierait cet être politiquement fruste
(c'est-à-dire « non conscientisé »)
d' « authentique otage des forces
colonialistes » ? Ou sous l'aspect de l'esclave, lors même
que nombre d'intellectuels (notamment parmi ceux qui se firent les inspirateurs
et/ou les courroies de transmission de la propagande du FLN), usant de ce que
Camus appelle « la technique policière de
l'amalgame », n'auraient eu de cesse de le ravilir au rang de
« collaborateur » ou de
« traître » ? L'aporie d'une telle dialectique
transparaît au travers de la sibylline tentative de
caractérisation de la destinée des anciens harkis à
laquelle s'essaye Francis Jeanson, philosophe s'inscrivant dans la mouvance
sartrienne des Temps modernes et principal animateur - avec Henri
Curiel - des réseaux de soutien au FLN (les fameux « porteurs
de valise »1320(*)) : « Les harkis, écrit-il,
[sont des] forces supplétives d'Algériens ayant opté pour
la répression »1321(*), comme si, d'une part, tout idéal leur
était interdit (ou que la question ne se posait pas), et sans que l'on
sache très bien, par surcroît, si l'auteur entend désigner
par l'expression « opter pour la répression » le
simple fait de s'aliéner statutairement à une entité
répressive (les forces de l'ordre), ou s'il entend envisager l'acte du
point de vue de sa valeur morale et stigmatiser une tare, une perversion (faire
le choix de la répression pour la répression) à mi-chemin
entre l'opportunisme et le sadisme. Une nouvelle fois, on navigue entre la
notion de "traîtrise" - qui sous-tend l'idée d'une intention
maligne, d'une servitude volontaire - et celle de "culpabilité
objective" qui, à l'inverse, ne sous-tend aucune intention maligne mais
bien plutôt la "non conscientisation", la "fausse conscience",
"l'aliénation".
Comment cette image trouble, fuyante, entre l'injure et
l'impensé, a-t-elle été affectée par le mouvement
de bascule idéologique qui, depuis 1962 (mais plus encore depuis la fin
des années 1970), a profondément bouleversé les
équilibres géopolitiques ainsi que la structuration des champs
politique et intellectuel dans le monde occidental, au point de donner corps et
écho à des théories annonçant la « fin
des idéologies »1322(*) puis la « fin de
l'Histoire »1323(*). Nous verrons que ce mouvement de bascule
idéologique a significativement influé - quoique avec certaines
limites dont il nous faudra ici rendre compte - sur l'image
rétrospective que se forment de leur engagement ceux qui, sur le moment,
contribuèrent à informer et nourrir les débats relatifs
à la guerre d'Algérie. Paul Thibaud, ancien directeur du bulletin
clandestin Vérité-Liberté :
« N'annonçant nulle parousie du tiers-monde, manifestant
plutôt l'impossibilité de s'assumer [du] peuple [algérien],
démentant les prétentions morales de la gauche française
et l'idéalisme des intellectuels, la guerre d'Algérie est un
événement tragiquement négatif, encore plus qu'on ne le
pensait à l'époque. Et c'est parce qu'elle l'était que
beaucoup de gens se sont racontés des histoires à
l'époque »1324(*). Selon Guy Pervillé, ce jugement
rétrospectif sur ce que furent les illusions révolutionnaires des
intellectuels « tiers-mondistes » ou
« bolcheviks » en guerre d'Algérie
« suscite de fortes résistances parmi les anciens militants de
la cause anticoloniale »1325(*). Cependant, dans un contexte idéologique
mouvant, indubitablement marqué par le désenchantement - au moins
relatif - des messianismes laïcs, ce travail de révision a bel et
bien eu lieu. Or, ce travail de l'écart, particulièrement
délicat s'agissant d'une expérience qui a fait office de marqueur
identitaire pour toute une génération d'intellectuels, n'est pas
sans influer, nous le verrons, sur la manière dont les
intéressés se "re-figurent", voire "re-considèrent"
rétrospectivement ce que fut la destinée des anciens
supplétifs musulmans de l'armée française pendant et
à l'issue de la guerre d'Algérie.
B. Les ressorts rétrospectifs de la
stigmatisation : une vision déplorative ? (depuis 1962)
Quelles furent les conséquences du mouvement de bascule
idéologique observé au cours des vingt à trente
dernières années sur la manière dont les intellectuels
autrefois engagés en guerre d'Algérie (ou ceux qui s'en disent
les héritiers) rendent compte a posteriori de leur engagement
propre ? Et dans quelle mesure cette nouvelle donne idéologique
a-t-elle influé sur l'image que les militants de la cause anticoloniale
(et ceux qui se réclament de leur héritage) se forment
rétrospectivement des harkis ?
Pour ce qui a trait à la geste des intellectuels en
guerre d'Algérie, la première conséquence de ce changement
de paradigme a été l'écrasement rétrospectif des
ressorts idéologiques de l'intervention de ceux qui s'étaient
fait les hérauts de la cause "anti-impérialiste" sous une posture
(presque) uniment éthique - ou « dreyfusarde ».
Autrement dit, lors même que, sur le moment, les attendus de l'engagement
des intellectuels en guerre d'Algérie, marqués par une forme de
"sinistrisme" idéologique, eurent tendance à s'aligner, au fur et
à mesure de l'avancement du conflit, sur les positions les plus
"radicales" (ou, tout au moins, les plus marquées politiquement à
gauche), à l'inverse, depuis lors (et plus encore depuis une vingtaine
d'années), les retours qui s'opèrent sur cette période se
caractérisent par l'euphémisation relative de cette dimension
plus strictement idéologique et militante. D'une certaine
manière, donc, les jeux de miroir (marqueurs identitaires) et enjeux de
mémoire (marqueurs idéologiques) propres à cette mouvance
font écran quant à la nature véritable des
prédicats qui, sur le moment, étaient corrélatifs de
l'intervention des intellectuels en guerre d'Algérie, et faussent ou
fragilisent son interrogation critique.
En insistant sur la seule dimension éthique, notamment
à l'occasion de la réactivation des débats entourant les
faits de torture durant la guerre d'Algérie, c'est une vision
"éthérée" de la geste protestataire que nous donnent
à voir les principaux médias et leaders d'opinion. Une vision
comme "expurgée" de résonances idéologiques jugées
désormais obsolètes, donc à même de brouiller
l'image, sinon de jeter le discrédit sur ceux qui s'en firent les
porte-voix. La manière dont Gilles Manceron portraiture quarante ans
après Marcel Péju, ancien collaborateur de Jean-Paul Sartre aux
Temps modernes, le présentant comme un défenseur des
libertés publiques en France et du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes plutôt que comme un militant de la cause
révolutionnaire (via le soutien apporté aux luttes de
« libération »), est à cet égard
hautement symptomatique. Gilles Manceron : « Marcel Péju
a été de ceux qui ont combattu la guerre coloniale en
Algérie et souligné ses effets déplorables sur les
libertés publiques en France »1326(*). De la même
manière, dans un article intitulé « Ces
«traîtres» qui sauvèrent l'honneur de la
France »1327(*), Dominique Vidal, journaliste au Monde
diplomatique, présente l'engagement des « porteurs de
valises » sous l'angle des seuls principes éthiques, à
l'exclusion de toute inféodation partisane ou idéologique. Ils
sont « ces hommes et ces femmes qui eurent le courage de dire
non », non à la guerre d'Algérie « contre
laquelle ils s'engagèrent »1328(*). Le
« refus », l'« honneur », la
« France » : tels sont les totems pour le moins
inattendus que met désormais en exergue une génération (et
ceux qui s'en réclament) désireuse de survivre aux mythes qui
l'avaient fait naître à la politique. Comme un ultime paradoxe,
donc, c'est à la solennité de la geste gaullienne que l'on en
appelle pour accréditer la légende dorée de ceux qui, en
ces années, considéraient pourtant avec défiance le retour
au pouvoir du général de Gaulle1329(*). Et de faire leurs des
valeurs hier encore décriées (car amalgamées sous
l'étiquette-repoussoir de l'« humanisme
bourgeois »), chères à cette « gauche
respectueuse » si longtemps vilipendée.
Or, cette recomposition de la geste anticolonialiste sous des
atours plus consensuels n'est pas sans implications sur les ressorts
rétrospectifs de la figuration des anciens harkis : c'est de fait
tout un registre de désignation de l'adversaire qu'il faut recomposer,
sans haine ni sectarisme apparents. L'occultation de la dimension doctrinale de
l'engagement des intellectuels en guerre d'Algérie passe en effet
nécessairement par une révision des formes d'assignation
statutaire des autres parties prenantes du conflit. Ainsi est-on passé,
s'agissant des harkis, outre une indifférence ou une
"inappétence" persistantes pour cette figure, d'une vision directement
"adversative" à une vision globalement "déplorative". Dans le
contexte de la guerre d'Algérie, nous l'avons vu, les harkis
étaient volontiers dépeints comme des
« traîtres » ou des « collabos ».
Désormais, ils sont plutôt dépeints comme des
« malgré-nous ». Hier ouvertement flétris,
les anciens harkis sont aujourd'hui déconsidérés "par
implicite". De fait, continuer à dépeindre les harkis comme des
adversaires conscients de la politique hégémonique du FLN,
eût obligé les intellectuels
« tiers-mondistes » et « bolcheviks »
qui se firent les promoteurs de cette politique à expliquer pourquoi
elle était souhaitable et en quoi s'y opposer rendait les harkis
« haïssables ». Soit l'effet inverse de celui
recherché par ceux qui, désormais, dans un tout autre contexte
idéologique, souhaitent majoritairement "lisser" ou éluder les
ressorts doctrinaux qui furent à la base de leur engagement.
Le réajustement progressif de la figure du harki est
donc directement fonction de ces enjeux d'image évolutifs. Hier encore
dépeints comme des profiteurs du système colonial, les harkis
sont désormais décrits, au mieux, comme des faire-valoir candides
du « mythe colonial », des esprits simples abusés
par la propagande cynique des autorités ; au pire, comme des
esprits serviles corrompus par la misère et portés à
assouvir sous l'uniforme français leurs penchants les plus vils, sans
autre vision d'avenir clairement définie. Dans le premier cas, le harki
est portraituré comme l'exact symétrique du maquisard du
FLN : non un acteur porté par quelque idéal ou mu par une
conscience politique, mais le produit passif de l'aliénation coloniale
(section 1). Dans le second cas, l'accent est mis sur la
« minorité des pires », conformément au
mécanisme générateur de ce que Norbert Elias et John L.
Scotson appellent « l'illusion pars pro
toto »1330(*) : la figure du harki est ramenée tout
entière aux agissements de certaines de ses composantes, les plus en
pointe dans la répression policière. Ainsi en va-t-il, par
exemple, de la mise en exergue fréquente des agissements de la Force de
police auxiliaire de Paris (FPA)1331(*), et en particulier de leur rôle dans la
répression des manifestations du 17 octobre 1961 (section 2).
- 1. Un esprit simple : le harki, produit passif de
l'aliénation coloniale
Figure indicible, littéralement inassignable
dans les schèmes d'interprétation axés autour de la
dialectique du maître et de l'esclave, la figure du harki est
également donnée à voir comme inaudible, tant il
apparaît incongru que les anciens supplétifs musulmans de
l'armée française puissent avoir quelque chose à dire ou
à faire valoir. Pour Pierre Vidal-Naquet, nous l'avons vu, les harkis
apparaissent ainsi rétrospectivement moins comme des acteurs autonomes,
à même - au moins dans une certaine mesure - d'opérer des
choix (quelles qu'en fussent les motivations immédiates), que comme de
« pauvres hères attirés par un salaire fixe dans un
pays misérable »1332(*). De même, selon Mohammed Harbi1333(*), « une bonne
majorité allait aux harkas comme on va à l'usine »
1334(*). « Dans leur
majorité, ajoute-t-il, les harkis n'étaient pas motivés
politiquement. Ils ne constituaient pas une alternative
politique »1335(*). Du
reste, François Gèze ne s'explique-t-il le
"phénomène harki" qu'au prisme - et comme étant le fruit
d'une longue tradition de manipulation coloniale : « Pendant
plus d'un siècle, la France a monté les Algériens les uns
contre les autres, elle a instrumentalisé la violence d'une
manière qui ne souffre pas la comparaison avec ce qui eut lieu lors des
colonisations françaises en Indochine ou britanniques en Afrique et en
Inde. Cette façon d'utiliser les gens les uns contre les autres, comme
l'ont fait encore les Français avec les harkis pendant la guerre
d'indépendance, vient de très loin »1336(*). Et Gilles Manceron, historien
et vice-président de la Ligue des droits de l'homme, de railler le
président de la République lorsque ce dernier, à titre
d'hommage, entend lier l'engagement de certains harkis non pas même
à quelque forme d'adhésion à la doxa coloniale ou à
quelque sentiment patriotique mais à un simple sentiment de
révolte ou d'injustice face aux exactions du FLN. Gilles Manceron :
« Dire, comme l'a fait le président Chirac, que les harkis
«ont pris les armes pour défendre leur terre et protéger
leur famille» relève de la perpétuation d'une légende
coloniale et non de la vérité historique ». Et il
ajoute : « À quoi sert de laisser entendre que leur choix
était volontaire et que l'Histoire leur a donné raison, quand
leur sort fut bien souvent subi et qu'ils ont été conduits
à épouser la cause du colonisateur de leur pays »1337(*).
À en croire Gilles Manceron, rien dans le
contexte de la guerre d'Algérie ne pouvait justifier que des musulmans
puissent souhaiter prendre les armes aux côtés de l'armée
française. Ne serait-ce pas là, selon lui, souscrire à la
« légende coloniale »1338(*) ? Et il ajoute : « Le recrutement de
ces auxiliaires par l'armée coloniale était celui de ruraux peu
éduqués, qui passèrent parfois d'un camp à
l'autre »1339(*). Des
esprits simples, donc. En fait, pour Gilles Manceron, il semble aller de soi
que, dans la plupart des cas, l'engagement dans les harkas était la
résultante de la pression des autorités, non une démarche
volontaire et réfléchie. Il en ressort un portrait
"quasi-végétatif" des anciens supplétifs musulmans de
l'armée française qui, par implicite, fait contraste avec celui
des djounouds de l'ALN, dont la capacité à rationaliser
politiquement leur engagement n'est que rarement interrogée en France
(et moins encore en Algérie), car posée comme allant de soi.
L'historien Gilbert Meynier, qui dit avoir été
« politiquement construit dans le militantisme
anticolonial »1340(*), dépeint lui aussi les anciens harkis sur le
mode passif du façonnement : « [Les harkis] furent des
intermédiaires ballottés et manipulés qui ne comprirent
massivement pas vraiment le sens de leurs engagements. Ils ne furent que des
épiphénomènes d'une histoire qui les
dépassait : non le principe structurant de l'histoire qui se
faisait ». Et d'ajouter : « Il est donc difficile de
les assimiler, ainsi qu'on l'a parfois pu faire en Algérie, à des
«collaborateurs», du moins conscients et responsables, par une
analogie trompeuse avec les collaborateurs français de l'ordre vichyste
et nazi de 1940-45 »1341(*). Des « malgré-nous »
plutôt que des « collabos », donc.
De telles positions de principe sont-elles totalement
hermétiques aux données factuelles, éléments de
contexte et témoignages ? Il semble que non puisque, en l'espace de
deux ans, la position de Gilles Manceron, par exemple, va subir une inflexion
somme toute notable. La cause en est, semble-t-il, la lecture du récit
à portée autobiographique de Fatima Besnaci-Lancou, paru en
20031342(*). Gilles
Manceron, qui s'est fait le rapporteur de ce livre pour l'association
« Coup de soleil »1343(*), va en effet passer d'une vision de l'engagement
des harkis fondée semble-t-il sur des a priori négatifs
à une vision autrement plus nuancée. L'auteur commence par
signaler que « le mérite de Fatima Besnaci-Lancou est de
rapporter des histoires qui nous renseignent qualitativement sur les victimes
[les musulmans pro-français massacrés après
l'indépendance] et leurs bourreaux ». Apparemment
ébranlé dans ses certitudes par ces informations de
première main1344(*), Gilles Manceron reconnaît ensuite que
« le contexte troublé de guerre nationale a pris par endroits
et par moments des aspects de guerre civile » et que, de fait,
« parmi les engagements divers des Algériens pendant les huit
années de la guerre de libération, il n'est pas facile de faire
la part des hasards, des solidarités et rivalités claniques ou
familiales, et des réactions de survie devant la misère ou face
aux formes de violence aveugle développées par les deux
camps ». Et il ajoute : « Beaucoup songeaient surtout
à sauver leur peau ou leur famille ». Des propos
étonnamment proches de ceux de Jacques Chirac (voir ci-dessus),
précédemment tournés en dérision. Mieux, l'auteur,
qui s'insurgeait de ce qu' « on laisse entendre que le choix
[des harkis] était volontaire et que l'Histoire leur a donné
raison », invitait ses lecteurs à « ne pas oublier
que plusieurs générations d'hommes algériens avaient
construit des fidélités mentales avec l'univers de l'armée
française, qui entraient en contradiction avec un sentiment national
algérien naissant - ou renaissant - dans la
société ». Il en concluait que « sauf pour
une petite minorité, le choix de servir les Français n'a presque
jamais été une opposition délibérée à
l'idée d'une Algérie indépendante ». Une
manière indirecte de reconnaître que les harkis ont pu être
porteurs d'une autre vision de l'Algérie indépendante que celle,
hégémonique et violente, du FLN. Donc que leur engagement pouvait
être lui aussi volontaire, réfléchi et, pourquoi pas,
idéaliste.
Selon nous, cette évolution témoigne de ce que
l'idée que les choix ou options antagonistes opérés au
moment de la guerre d'Algérie s'expliqueraient par une maturation ou une
conscientisation politiques inégale des intéressés -
idée couramment véhiculée au sein de la mouvance
anticolonialiste - est en réalité bien fragile au regard des
trajectoires vécues des acteurs de cette guerre.
- 2. Un esprit rude : le harki, exécuteur des
basses besognes de la répression
Une autre vision réifiante des harkis,
complémentaire de la précédente en ce qu'elle ajoute la
brutalité à la débilité (au sens
d'immaturité politique), est celle d' « hommes de
main », de « nervis » stipendiés ou
contraints par les autorités à se faire les exécuteurs des
basses besognes de la répression : torture et exécutions
sommaires. Là encore, à cette aune, les harkis ne sauraient
apparaître comme des êtres
« conscientisés », porteurs d'un idéal ou
d'un sentiment de révolte, mais comme des êtres
« aliénés », sortes de "rebuts" du
système colonial. A cet égard, les quelques centaines de
supplétifs de la Force de police auxiliaire de Paris (FPA) ont servi sur
le moment et servent encore aujourd'hui de "totem négatif" à
l'ensemble hétéroclite des centaines de milliers de musulmans
s'étant engagés à un titre ou à un autre aux
côtés de la France.
On pouvait lire, sur un tract en date du 17 octobre 1997
distribué par le collectif SCALP (Section Carrément Anti Le
Pen)-REFLEX (Réseau d'Étude, de Formation et de Lutte
contre l'Extrême droite et la Xénophobie), évoquant
les événements survenus 36 ans auparavant dans Paris :
« Sous l'autorité d'officiers français, le capitaine
Montaner et le lieutenant Desrogeot, les harkis [NDA : de la Force de
police auxiliaire, FPA] arrêtent, torturent et exécutent, sous la
protection bienveillante de la République ». De même,
Charlotte Nordmann, co-auteur du livre intitulé Le 17 octobre 1961,
un crime d'Etat à Paris1345(*), brossait, dans un article publié sur le
site de l'association « 17 octobre 1961 : contre
l'oubli », un tableau uniment brutalisant des harkis agissant sous
l'égide de la FPA :
« Les violences à l'encontre de la
population nord-africaine de Paris s'institutionnalisent : le
préfet de police crée la Force de police auxiliaire,
constituée de harkis, qui pratique la torture ; il fait ouvrir
le Centre d'Identification de Vincennes, où peuvent être
internés, sur simple décision administrative, sans jugement, les
Nord-Africains «suspects». Maurice Papon va jusqu'à instaurer,
le 1er septembre 1958, un couvre-feu pour les Nord-africains.
Boycotté par le F.L.N., il tombe peu à peu en
désuétude. Au cours des opérations de police, des
internements, des rafles et des "contrôles" par les harkis, des hommes
disparaissent. De nombreuses plaintes sont déposées, pour
torture, pour meurtre ; malgré l'accumulation de témoignages
accablants, malgré les constatations de sévices par des
médecins, malgré le nombre de disparitions, aucune plainte
n'aboutira. Toute la population nord-africaine de la région
parisienne souffre de ces rafles systématiques et de la violence des
harkis qui patrouillent dans les quartiers qu'elle habite, par exemple dans le
18ème ou le 13ème arrondissement »1346(*).
Il faut de nouveau souligner, à cet égard, la
dissymétrie, voire la dimension unilatérale de telles
dénonciations : au sein de la mouvance anticolonialiste, les
anciens moudjahidin, à la différence des anciens harkis,
ne sont généralement pas prioritairement dépeints à
l'aune des méthodes employées mais bien davantage en fonction des
visées qu'ils s'étaient assignées.
Sur le souvenir de la répression de la
manifestation du 17 octobre 1961 et la manière dont il participe de la
stigmatisation des anciens harkis dans la geste intellectuelle de la guerre
d'Algérie
Henry Rousso : « A en croire certains
débats, on a parfois l'impression que la guerre d'Algérie s'est
résumée à ce massacre [du 17 octobre 1961], incontestable,
et à propos duquel les historiens ne sont pas d'accord sur le nombre de
morts. (...) C'est très bien que cet évènement soit connu,
analysé voire même reconnu par des plaques ; mais n'ayons pas
d'angélisme : si le 17 octobre est inscrit aujourd'hui dans notre
conscience de meilleure manière que par le passé, c'est parce
qu'il y a des groupes porteurs qui ont agi comme ils ont agi - on peut
être d'accord ou ne pas être d'accord - et parce qu'il y a eu
écho du point de vue de l'Etat. Mais ça pose quand même
à chaque fois une série de problèmes, parce qu'on parle du
17 octobre, on a commémoré le 17 octobre, on a mis des
plaques : [mais quid de] la rue d'Isly, [des] massacres d'Oran,
etc. ? »1347(*).
De fait, par contraste avec l'isolement relatif des
associations de harkis, dont les revendications liées à la
reconnaissance des responsabilités afférentes au massacre des
harkis trouvent un écho généralement mesuré ou
éphémère (voir la Partie 4), l'exemple "foisonnant" du
17-octobre-1961 témoigne de ce que d'autres épisodes dramatiques
ayant jalonné le cours de la guerre d'Algérie ont, à
l'inverse, eu l'heur tant de susciter l'intérêt scientifique de
l'analyste que de conduire des leaders d'opinion influents à se
mobiliser. Ainsi, l'association « 17 octobre 1961 : contre
l'oubli » a été créée par - et a su
mobiliser autour d'elle de nombreux intellectuels, toutes
générations confondues. Le comité d'honneur de cette
association (présidée par Olivier Lecour Grandmaison) regroupe
ainsi Pierre Vidal-Naquet, Francis Jeanson ou Madeleine Rebérioux, mais
encore Lucie et Raymond Aubrac, Jean-Luc Einaudi, Olivier Revault d'Allonnes ou
Claude Liauzu (qui est à l'origine de la pétition des historiens
contre l'article 4 de la loi du 23 février 2005). L'association
bénéficie aussi - entre autres - du soutien d'Alain Brossat, Nils
Andersson ou Sidi Mohammed Barkat.
Ce contraste est significatif à la fois de
l'intérêt et de la compassion sélectifs des intellectuels
de profession - et notamment des universitaires - pour les crimes et victimes
de la guerre d'Algérie. Or, la focalisation sur le 17 octobre 1961 et
les répercussions parisiennes de la guerre d'Algérie n'a pas
été sans conséquences, ces dernières années,
sur la "re-composition" d'une image des harkis. Dans un article
intitulé « Les Français devant la guerre civile
algérienne » [à propos des affrontements FLN-MNA en
métropole], Charles-Robert Ageron relevait que « quelques
militants ou intellectuels engagés aux côtés du FLN et
quelques journaux dénoncèrent systématiquement l'action de
la police, «la chasse au faciès», «les sévices et
tortures», et fustigèrent particulièrement l'action des
harkis à Paris »1348(*). Ainsi, peu après que ce journal ait
publié l' « Appel des Douze » (le 31 octobre
2000 précisément), L'Humanité du 18 novembre 2000
ré-exhumait sans autre commentaire « une enquête
censurée du 7 mars 1961 », signée par Madeleine
Riffaud, et intitulée « Au dossier de «l'affaire des
harkis» ». On y lit : « La guerre continue
à tuer, à salir, et parfois c'est à votre
porte ». Madeleine Riffaud ajoutait : « De nombreux
témoignages, transmis à la presse par plusieurs avocats, des
lettres d'Algériens jugés innocents et relâchés sans
inculpation, la visite spontanée de plusieurs d'entre eux, confirment
que nous avions eu raison d'alerter l'opinion sur ce qui est en train de
devenir le «scandale des caves qui chantent» ou «l'affaire des
harkis» » (suivent deux témoignages à charge,
cités in extenso)1349(*).
De fait, le souvenir des agissements de la Force de police
auxiliaire de Paris (FPA) en général, du rôle de ses
membres dans la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 en
particulier, a joué et joue encore aujourd'hui un rôle premier
dans la manière dont sont portraiturés les harkis dans la geste
progressiste. Sur le moment déjà, nous l'avons vu, Simone de
Beauvoir flétrissait « ces hommes en bleu payés pour
trahir leurs frères »1350(*). Plus encore, dans Les harkis à
Paris (brochure initialement publiée dans les Cahiers
libres, chez Maspero, et récemment rééditée
aux éditions La Découverte1351(*)), qui consiste en un recueil commenté de
témoignages de victimes des exactions de la FPA (témoignages
fournis et réécrits par le collectif des avocats du FLN conduit
par Jacques Vergès), Paulette Péju choisissait de faire des
membres de la FPA les parangons de la violence du colonisateur :
« Les harkis, eux, n'ont rien à
ménager, rien à perdre que leur uniforme de mercenaire et le
salaire de la trahison. Ils ont même tout à redouter d'une
solution pacifique de la guerre d'Algérie, puisque sans la guerre et
la répression ils ne sont plus rien : ni algériens, ni
français. Méprisés par ceux qui les utilisent,
rejetés de la communauté algérienne, ils s'acharnent avec
d'autant plus de violences sur leurs compatriotes qu'ils assassinent en eux
leur propre image perdue ; ils tentent d'effacer ce qu'ils ne peuvent plus
être, ils fuient désespérément ce qu'ils sont
devenus : les faux frères... »1352(*).
En 2001, Marcel Péju, son époux -
interrogé par Gilles Manceron pour le revue Hommes et
libertés - reviendra sur le rôle joué par ces
auxiliaires musulmans « aux ordres de Maurice Papon » dans
la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. Un rôle qui,
selon lui, ne doit pas être oublié quand on examine plus
globalement la question des harkis. L'auteur part d'une définition
strictement négative et brutalisante des missions imparties aux
supplétifs de la FPA : « La Force de police auxiliaire,
installée par Maurice Papon à partir du printemps 1960 dans trois
arrondissements parisiens, était composée de harkis
chargés de commettre des agressions et assassinats ». Il
ajoute : « Ils [les harkis] ont été
utilisés par Papon dans les aspects les plus violents de la
répression qui a suivi la manifestation du 17 octobre ». Sur
cette base, Marcel Péju en vient à donner une définition
générique du rôle imparti aux supplétifs musulmans
de l'armée française au cours de la guerre
d'Algérie : « Les harkis sont des Algériens qui
décidèrent, pour des raisons diverses, de collaborer avec
l'armée et la police françaises dans leur répression du
mouvement de libération nationale algérien. Ce fut le cas des
harkis de M. Papon comme des Algériens qui étaient
employés en Algérie aux plus sales besognes, en particulier au
sein des centres de torture ». Ainsi Marcel Péju
n'hésite-t-il pas à faire de la description des pires agissements
de la FPA une sorte de matrice de ce que furent et de ce que firent en tous
lieux et de tous temps les harkis1353(*). Du reste, quoique l'ancien secrétaire de
Jean-Paul Sartre admette rétrospectivement que « nous
[NDA : l'équipe des Temps Modernes] avons surestimé
le caractère révolutionnaire du FLN »1354(*), il réaffirme sans
ambages ses vues sur la question des harkis : « Soyons clairs.
Pour moi, les harkis sont des collabos, c'est-à-dire des gens qui se
sont faits les supplétifs de l'armée française et de la
répression en Algérie. Ils ont participé à tous les
crimes et en ont remis à l'occasion »1355(*).
Nous l'avons dit, cette image vile et réductionniste
des supplétifs musulmans de l'armée française,
réduite à ce qu'il y avait de pire dans les agissements de la
FPA, participe de ce que Norbert Elias et John L. Scotson appellent l'illusion
« pars pro toto »1356(*). Elle témoigne aussi peut-être d'une
certaine "illusion d'optique" propre à l'engagement d'un certain nombre
d'intellectuels en guerre d'Algérie. Guy Pervillé :
« Notre connaissance des faits privilégie les grands
événements qui ont retenu l'attention, en particulier celle des
journalistes, parce qu'ils se déroulent le plus souvent à Alger
ou à Paris, mais laissent dans l'ombre et le flou de larges intervalles
chronologiques et de vastes espaces géographiques »1357(*). Les protagonistes de la
« bataille de l'écrit » - dont l'épicentre
parisien était très éloigné du champ de bataille
proprement dit - furent ainsi nombreux à ramener la diversité des
comportements et des rôles impartis aux supplétifs musulmans de
l'armée française à ce qu'en donnait à voir - ou
semblait donner à voir, car cette vision était elle-même
sujette à interprétation - la seule FPA. Marcel Péju, en
introduction de la réédition du livre autrefois
rédigé par son épouse, Paulette Péju :
« Habitant un quartier où vivait, à
l'époque, une forte population algérienne, il nous suffisait,
en cette année 1960, d'approcher des fenêtres de notre
cinquième étage pour voir leurs patrouilles, en file
indienne, glisser lentement sur le trottoir d'en face, le long du jardin, comme
aux aguets - bien qu'aucun fell ne se fût jamais dissimulé dans
les bosquets -, la mitraillette à la main : les mêmes, ou
leurs pareils, qui, sans doute, quelques heures plus tard, lanceraient des
raids contre des cafés algériens, brutalisant et arrêtant
les consommateurs, avant de les torturer dans les caves des hôtels que
leur avait réquisitionnés la Préfecture de
police »1358(*).
De même, Pierre Vidal-Naquet, évoquant ce que
furent pour lui les faits marquants de ce conflit, donne une illustration
saisissante de cet "effet grossissant" lié à la proximité
géographique des lieux de production du savoir :
« Dans cette guerre d'Algérie, le souvenir
qui, pour moi, reste le plus dramatique n'est pas Charonne, le 8 février
1962, dont on a beaucoup parlé, et dont on parle encore de temps en
temps, mais le 17 octobre 1961. (...) Que s'était-il passé ?
Il y avait eu des actes terroristes de part et d'autre à Paris.
C'est-à-dire que, d'une part, les harkis et les policiers
français rossaient, éventuellement tuaient, jetaient à la
Seine un certain nombre d'Algériens, et d'autre part, les
Algériens abattaient, tuaient un certain nombre de policiers. Le
préfet Papon veut trouver une solution en imposant un couvre-feu aux
Algériens, couvre-feu qui ne pouvait pas ne pas apparaître comme
une mesure purement et simplement raciste. Les Algériens, à
l'époque, ils étaient citoyens français. C'était
donc une sorte de chasse au faciès qui s'organisait. Pour protester, les
Algériens organisent le 17 octobre une énorme manifestation
silencieuse, sans armes. Ils ne trouvaient aucune arme. Les gens étaient
fouillés avant d'aller sur le lieu de la manifestation par les
responsables du FLN. Et ils y allaient : les hommes, les femmes, les
enfants, et on ne leur permettait pas d'avoir le moindre canif sur eux. Et puis
là, ils ont été accueillis d'une façon inimaginable
par des coups de feu, par des projections dans la Seine, et l'affaire a
été tellement dramatique qu'il y a eu quand même plusieurs
centaines de morts. (...) Voilà ce que fut ce 17 octobre, un des
épisodes les plus brutaux et les plus oubliés de la guerre
d'Algérie. Et je vous mets au défi d'interroger cinquante
personnes et d'en trouver plus d'une ou deux qui saura ce que fut le 17 octobre
1961. Un des jours de honte de notre histoire »1359(*).
Ainsi, Pierre Vidal-Naquet conserve-t-il comme une
« image rétinienne » (Jean-François
Sirinelli1360(*)) de
la guerre d'Algérie, ses souvenirs les plus marquants étant deux
événements métropolitains qui, de fait, sont
paradigmatiques de la geste progressiste en ce qu'ils donnent à voir
et le FLN et la gauche française parés d'un
même "habit victimaire" (s'agissant respectivement du 17 octobre 1961 et
de Charonne). À l'inverse, c'est sous les traits impavides du bourreau
qu'est figuré le harki, lequel « rosse, éventuellement
tue et jette à la Seine un certain nombre
d'Algériens ». Certes, Pierre Vidal-Naquet souligne bien
qu' « il y a eu des actes terroristes de part et d'autre
à Paris ». Mais le choix des termes pour décrire les
exactions des uns et des autres témoigne à nouveau clairement du
refus de considérer sur un même plan les exactions imputables au
FLN et celles imputables aux forces de l'ordre : d'un côté,
les harkis se livrent à des exactions sur des
« Algériens », dont il ne nous est pas
précisé s'ils sont ou non membres du FLN, ce qui laisse à
penser qu'ils pourraient très bien n'être que des civils
persécutés au faciès ; de l'autre coté, le
FLN, qui s'en prend à des « policiers », donc des
hommes en uniforme, armés et à même de se défendre.
Or, le FLN ne s'est pas contenté de tuer des policiers en
métropole mais aussi - et surtout - des civils, et notamment ces
« Algériens » dont Pierre Vidal-Naquet laisse
à penser que seuls les harkis et les policiers les
brutalisaient1361(*).
Ainsi Jean-Luc Einaudi, qui n'est pas universitaire mais dont les travaux sur
le 17 octobre 1961 font autorité, rejette-t-il catégoriquement
l'affirmation selon laquelle les méthodes de la Fédération
de France du FLN - dont il rend partiellement compte dans ses ouvrages - aient
pu en quelque manière expliquer (et moins encore justifier) l'emploi des
supplétifs de la FPA, dont il apparente la mission à celle d'un
"escadron de la mort" : « C'est absolument faux. Il n'y a jamais
eu de menace sur la population, affirme-t-il, pas de bombes dans les
cafés... Les FPA étaient là pour terroriser la
population algérienne »1362(*).
Cependant, Pierre Vidal-Naquet, dans sa préface
à la réédition du livre de Paulette Péju, Les
harkis à Paris, s'il met en avant les comportements brutaux des
membres de la FPA, prend soin, à l'inverse de Marcel Péju par
exemple, de distinguer le rôle imparti à cette unité
urbaine de celui imparti à l'ensemble des supplétifs de
l'armée française qui, évoluant dans d'autres contextes,
sont employés à d'autres tâches. Pierre Vidal-Naquet :
« Les harkis dont il est question dans le livre de Paulette
Péju, Les harkis à Paris, sont une force de
police auxiliaire installée par Maurice Papon dans la capitale, qui a
torturé et massacré des militants du FLN et des membres de
l'immigration algérienne supposés lui être favorables. Il
faut les distinguer de l'ensemble des Algériens ayant collaboré
avec l'armée française en Algérie, qui sont loin d'avoir
tous été assignés aux mêmes tâches, même
s'il ne faut pas les présenter, comme le fait Dominique Schnapper dans
sa préface au livre de Mohand Hamoumou, comme des gens ralliés
volontairement aux valeurs éternelles de la France
républicaine »1363(*).
Une personnalisation opportune ? La
focalisation sur les « harkis de M. Papon »
(Marcel Péju)
Dans son introduction à la réédition - en
2000 - du livre de Paulette Péju (1961), qui fut son épouse,
Marcel Péju s'émeut de « l'épouvantable
changement de climat que [l']irruption barbare des harkis, organisée par
le triste Maurice Papon - déjà coupable, contre les Juifs, de
crime contre l'humanité, comme cela sera reconnu bien plus tard -, avait
créé dans plusieurs quartiers de Paris »1364(*).
Déjà, dans article intitulé
« Un purieux Capon » publié dans l'édition du
18 avril 1961 du quotidien Libération (article reproduit dans
Libération du 1er avril 1998, le jour de la
délibération du procès Papon), Emmanuel d'Astier, qui
était alors le directeur de ce journal, brossait des harkis un portrait
qui se confondait étroitement avec celui, pour le moins trouble, du
préfet de police de Paris : « On ne peut que plaindre les
fonctionnaires d'autorité qui ont été conduits à
faire carrière de 1940 à 1960 et à exprimer
successivement l'autorité du maréchal Pétain, celle (pour
autant qu'il y en ait eu une) de la IVème République,
et celle de la monarchie De Gaulle. Cette épreuve difficile, avec son
double jeu nécessaire et inévitable, a fini par donner à
certains d'entre eux des moeurs assez spéciales. (...) Notre capon a
aujourd'hui deux soucis majeurs : les plastiqueurs [de l'OAS] et les
harkis. (...) Sans doute ne s'étonne-t-il pas des performances des
harkis. Après les opérations de la Goutte d'Or, personne ne peut
contester que ces messieurs, sous la tutelle de M. Papon, sont devenus
aujourd'hui un sujet de préoccupation pour les Parisiens et même
pour le gouvernement ».
Ainsi, la focalisation sur les membres de la FPA, et la
construction corrélative d'une image d'ensemble des harkis fondée
sur ce qu'il y a eu de pire dans les agissements de cette unité, a
été renforcée ces dernières années par la
mise en cause personnelle de Maurice Papon, alors préfet de police de
Paris, dans la répression des manifestations du 17 octobre 1961, mise en
cause dont les effets propres sont aggravés par son inculpation puis sa
condamnation pour complicité de crimes contre l'humanité en
raison de ses agissements comme secrétaire général de la
préfecture de Bordeaux sous l'Occupation. Or, il est frappant de
constater combien les auteurs qui sont revenus sur les agissements de la FPA
ont joué - souvent par implicite, parfois plus explicitement - de cet
entrechoc des périodes et des anathèmes, présentant la FPA
comme la "chose" de Maurice Papon, insistant sur le lien de subordination et,
plus encore, sur le lien de "filiation" de cette unité avec la
personne et "l'oeuvre" même de Maurice Papon. Pierre Vidal-Naquet :
« Dans son livre, Paulette Péju parle des quelque 200 harkis
installés par Maurice Papon en 1961 dans un certain nombre
d'hôtels ou autres lieux des XIIIème et
XVIIIème arrondissements de Paris. Il leur avait
assigné le même rôle que celui qu'il avait confié en
mars 1956, soit un an avant la «Bataille d'Alger», dans le
Constantinois dont il était superpréfet, aux premières
unités «spécialisées» dans la pratique de la
torture, comme nous l'apprend le livre récent de Raphaëlle
Branche »1365(*).
Cette personnalisation à outrance de l'emploi des
harkis de la FPA autour de la figure de Maurice Papon n'est pas fortuite :
elle prend source dans la pratique - habituelle au moment de la guerre
d'Algérie - consistant à calquer sur ce conflit et ses acteurs
des schèmes d'interprétation et lignes de fracture
hérités de la Seconde guerre mondiale. Henry Rousso note ainsi
que le procès Papon a été, pour un certain nombre
d'acteurs, l'occasion de rejouer et de « surjouer » du
registre des "similitudes" supposées entre les enjeux posés par
la ressouvenance de la période de la Seconde guerre mondiale et celle de
la guerre d'Algérie1366(*). Cette confusion rétrospective des
anathèmes n'est pas non plus sans conséquences puisque, par
contrecoup, elle ne fait que renforcer - et contribue à
pérenniser - l'image de « collabos » accolée
aux harkis.
Mais dans tous les cas, qu'ils soient rétrospectivement
dépeints comme des "esprits vils" ou comme des "esprits simples", les
ressorts individuels de l'engagement des supplétifs sont le plus souvent
éludés pour se focaliser, à l'inverse, sur l'emploi - au
sens le plus prosaïque du terme - qui aurait été fait de ces
hommes, à savoir : un emploi strictement policier,
répressif. Et s'il se trouve un nombre croissant d'acteurs, au sein de
la mouvance anticolonialiste, pour considérer que la malignité
est sans doute pour peu dans l'engagement des supplétifs (à la
différence des « collabos »), tous cependant restent
hermétiques à l'idée que les intéressés
aient pu concevoir leur engagement sinon comme un choix toujours et
systématiquement éclairé (politiquement s'entend) au moins
le plus souvent comme une option volontaire. Gilles Manceron le dit bien, qui
emprunte cependant pour ce faire à un vocable d'une autre guerre, comme
s'il était décidément difficile de se faire une opinion
circonstanciée, discriminante sur la destinée des anciens
harkis : « Tous les harkis n'ont pas joué un rôle
dans les aspects les plus brutaux de la répression et beaucoup,
enrôlés au prix de fortes pressions, pourraient être
comparés, plus qu'à des «collabos», à des
«malgré nous» »1367(*).
Ce passage de l'image directement adversative de
« collabo » à celle - globalement
"déplorative" - de « malgré nous » est plus
généralement symptomatique est plus généralement
symptomatique d'un glissement de référentiel dans la
manière dont la mouvance anticolonialiste donne rétrospectivement
à voir son engagement (notamment s'agissant de ses franges les plus
marquées politiquement). Ainsi, d'une période
l'autre, d'un contexte idéologique l'autre, la stigmatisation des harkis
change de nature, se fait moins virulente, moins directement conflictuelle. En
un mot, elle tend à la ratiocination. De fait, tandis que la
première période est marquée par le surinvestissement
doctrinal par la gauche intellectuelle des luttes de
« libération » dans le tiers-monde, la seconde se
caractérise par l'effondrement des messianismes laïcs et,
corrélativement, par l'escamotage progressif du lien doctrinal qui,
originellement, unissait la mouvance dite progressiste et le FLN. Une constante
cependant : le refus de principe de considérer les musulmans non
inféodés au FLN comme des acteurs autonomes et, à plus
forte raison, comme des acteurs engagés dans un conflit
d'interprétation. Au fond, ce réajustement de la figure du harki
n'est pas sans perpétuer une lecture réductionniste, somme toute
binaire de la guerre d'Algérie. Une lecture qui, fondée sur un
schéma d'opposition manichéen entre
« opprimés » et « oppresseurs »,
ne laisse aucune part significative à un quelconque « tiers
parti ». De fait, à l'aune de cette vision
déplorative, les centaines de milliers de musulmans qui ont pris part
à la défense ou à l'administration de l'Algérie
française entre 1954 et 1962 paraissent n'avoir été que
des figurants ou des pantins dans cette guerre : de « pauvres
hères » (Pierre Vidal-Naquet), en somme, aussi victimes que
coupables, parangons malheureux de cette éternelle masse de manoeuvre
puisée dans la "lumpen-paysannerie" algérienne. Une
telle vision, en plus de laisser subodorer - au moins par implicite - que
l'idéal était dans un camp et un seul, témoigne, à
n'en pas douter, d'une "sous-interprétation" des oppositions
suscitées par la visée hégémonique du FLN et les
pratiques de terreur qui lui furent corrélatives.
Au final, l'exploration - opérée au fil de cette
partie - des jeux et enjeux de mémoire autour de la figure du harki
témoigne de la place à la fois ténue et outrée
qu'elle y occupe en France et en Algérie.
En France, la connivence tacite des gestes gaullienne et
progressiste (socialiste et communiste) sur la phase finale de la guerre
d'Algérie n'offre rétrospectivement qu'un espace restreint
à la mise en exergue et à l'interrogation critique de la
destinée des harkis1368(*). Il n'est pas besoin de faire appel à la
théorie du "complot" pour le comprendre : les harkis gênent
à droite et à gauche de l'échiquier politique,
mais pour des raisons différentes. À droite, parce que
la destinée tragique des harkis (au sens large) témoigne de ce
que la politique de « dégagement » voulue par le
général de Gaulle a été conçue sans
égards pour ceux des musulmans qui s'étaient attachés,
à titre civil ou militaire, à combattre l'emprise naissante du
FLN. À gauche, parce que la tournure totalitaire du FLN et le silence
fait autour des massacres de l'après-indépendance brouillent la
bonne conscience anticolonialiste.
Or, les effets de cette forclusion de la figure du harki au
sein des relais institutionnels de la mémoire comme sur la scène
politique ont été redoublés, au sein des sphères de
production et de diffusion du savoir, par ce que Jean-François Sirinelli
a dépeint comme une « hémiplégie du
souvenir »1369(*). L'historien Guy Pervillé, pointant la
dissymétrie de l'écho médiatique donné aux actions
de commémoration du souvenir des victimes du 17 octobre 1961 ou de
Charonne d'une part, à la commémoration du souvenir des victimes
du 26 mars 1962 ou du 5 juillet 1962 d'autre part, souligne que « la
mémoire des victimes françaises de la guerre d'Algérie
n'intéresse guère plus que leurs parents, leurs amis et leurs
sympathisants idéologiques »1370(*). Une
hémiplégie du souvenir qui, nous l'avons vu, est justifiée
à demi-mot par le refus de condamner avec la même vigueur les
exactions perpétrées par les deux camps. Ce dont rend
parfaitement compte Jean-Claude Guillebaud, journaliste, essayiste et
éditeur né à Alger en 1944, qui dit avoir appartenu
à « cette génération qui, arrivée
à l'âge adulte à la fin de la guerre
d'Algérie, a versé dans le tiers-mondisme complaisant et la
haine de soi »1371(*), mais qui, désormais, doute
« qu'on fasse preuve de discernement lorsque, pressé de
dénoncer, à juste titre, la torture «française»,
on oublie systématiquement d'évoquer l'extraordinaire sauvagerie
de l'autre camp (...), un délire meurtrier qui alla bien au-delà
de ce qu'implique une lutte de libération nationale (...), une violence
qui réapparaît significativement dans l'Algérie
d'aujourd'hui »1372(*). De même, Paul Thibaud souligne que
« l'insurrection algérienne ne s'est jamais départie
d'un intégralisme «sauvage», qui la rendait incapable de toute
négociation comme on l'a vu encore en 1962, quand le fait d'assumer les
accords d'Evian s'est révélé un handicap politique
décisif »1373(*). « Pour la classe intellectuelle et
politique française, poursuit-il, la guerre d'Algérie a
été non pas un conflit sur la manière de réaliser
à l'extérieur les valeurs libérales, mais la rencontre
d'une révolte extérieure à son système de valeurs
(...), une manière absolue de croire à sa cause et de l'imposer
par tous les moyens. Cet intégralisme (...) a déconcerté
et mis en crise toute la pensée politique du pays de
décolonisation »1374(*). Et Paul Thibaud de conclure que
« l'antihumanisme », « la dérive
fanono-sartrienne vers le tiers-mondisme radical » furent la
contrepartie de « cet échec à comprendre »,
« de ce désarroi intellectuel et militant quand s'est
brisé le patriotisme de gauche de la
Libération »1375(*). Mais c'est précisément parce que de
tels retours sur soi sont l'exception plutôt que la règle, au sein
de la classe politique comme au sein de la gauche intellectuelle, que des pans
entiers de la guerre d'Algérie (épisodes et acteurs) continuent
de faire figures d'impensés.
Cette inappétence médiatique, ajoutée au
silence relatif des relais institutionnels de la mémoire, ont
favorisé la persistance voire la banalisation de visions
prosélytes - glorifiantes ou infamantes - des anciens harkis, qu'ils
fussent considérés comme les "porte-étendards" des
espérances déçues des « soldats
perdus » de l'Algérie française (lors même que
les "espérances" portées par les supplétifs musulmans de
l'armée française étaient loin d'être
automatiquement réductibles à celles de ces derniers, et que les
fidélités nouées à l'endroit de tel ou tel officier
n'étaient que rarement du ressort de l'obédience
idéologique), ou bien qu'ils fussent considérés par
certains protagonistes de la « bataille de l'écrit »
- « tiers-mondistes » et « bolcheviks »
notamment - au pire comme des « collabos » (les combattants
du « mauvais choix »), au mieux comme des
« malgré-nous » (les combattants d'un
« non-choix »), toujours comme une figure dérisoire
(dans tous les sens du terme).
En outre, en Algérie, les usages de la figure du harki
témoignent, à l'articulation des conditions historiques et des
ressorts normatifs de fondation puis de perpétuation de l'Etat-FLN, de
l'importance de la dimension narrative de l'identité collective et de
ses possibles manipulations : figure à la fois sociologiquement
altère, dont il s'agit de faire oublier qu'elle fut l'une des
composantes majeures du "Nous", et idéologiquement familière,
dont l'omniprésence calculée (sous une forme figurée)
rappelle la menace qui pèse sur l'unité nationale (et la
nécessité corrélative d'un pouvoir fort). Cela est
d'autant plus vrai depuis le début des années 1990, dans un
contexte de guerre civile renaissante en Algérie : la figure du
harki, son instrumentation tous azimuts pour qualifier l'adversaire (qu'il soit
pro-système ou islamiste), n'y ont jamais été autant
prégnantes depuis l'indépendance. Il en va d'ailleurs de
même de la menace - et jusqu'au simulacre - de la réédition
du massacre des harkis : que l'on pense au leitmotiv de
"l'éradication", forme de vertu cardinale de la politique
sécuritaire des autorités algériennes (au moins)
jusqu'à la fin des années 1990, ou aux massacres à grande
échelle perpétrés contre des civils par certains groupes
islamistes armés. Cependant, nous l'avons vu (à travers
l'étude des « chemins de traverse » de la
mémoire collective en Algérie), cette vision du harki comme
figure de l'ennemi intérieur, pour être assez profondément
ancrée, n'est pas hégémonique au sein de la
société civile.
Cet héritage très inconfortable de la figure du
harki dans les gestes algériennes et françaises éclaire
d'un jour particulier la dynamique des générations et le
processus de construction identitaire au sein de la communauté harkie.
Nous verrons ainsi, au fil de la Partie 3, que le sentiment de
culpabilité des pères, dépassés par les
conséquences d'un choix qui leur vaut d'être mis à l'index
sur l'une et l'autre rive de la Méditerranée, leur commande le
plus souvent de faire silence sur cet épisode décisif du roman
familial que fut leur engagement aux cotés de l'armée
française : de fait, comment, face à de tels amalgames, face
à de telles schématisations, la parole du père qui tente
de faire comprendre à ses enfants que ses choix et ses actes ne
correspondent pas aux stigmatisations dont il est l'objet, peut-elle être
assez forte pour lutter, neutraliser ou trouver des compromis pour être
un bon objet d'identification filiale ? Il s'ensuit un défaut de
transmission de ce que Erving Goffman appelle des « symboles de
statut » (ou « symboles de prestige »1376(*)), qui précarise
l'ancrage identitaire des enfants de harkis et les surexposent aux
identités assignées par autrui.
C'est précisément ainsi que la psychanalyste
Simone Molina, elle-même originaire d'Algérie1377(*), pose le problème
de la transmission au sein de la communauté
harkie : « La question se pose de savoir comment un homme
peut devenir père et tenir, pour son enfant, cette place de père,
lorsqu'il a été lui-même confronté à la
négation de son existence en tant qu'être humain (...) ou à
l'exclusion de fait, mais déniée dans le discours social :
tel est le cas des harkis arrivés en France en 1962 ». Et elle
ajoute : « Comment leurs descendants peuvent-ils "faire
histoire" d'un événement dont la transmission, dans le discours
familial et social, a été plus ou moins
muette ? »1378(*). Quelques mois auparavant, déjà, dans
un autre colloque : « La clinique en pédopsychiatrie
montre combien ces histoires non formulées sont un terrible poids pour
les enfants. Peut-on, par exemple aujourd'hui, se rendre compte de ce que
signifie un exil sans retour possible ? Les harkis, en tant que
"traîtres" à la cause algérienne ne pouvant pas
espérer un jour faire ce voyage, que pouvaient-ils transmettre de cette
histoire sans retour imaginable ? (...) A cela s'est ajouté ce
second abandon : la ghettoïsation des familles de harkis, corollaire
du mutisme de l'Etat français qui, de ce fait, maintenait dans la
méconnaissance d'une partie non négligeable de l'histoire
contemporaine, une population qui n'aspirait qu'à
oublier »1379(*).
Ainsi, après avoir considéré les tenants
des phénomènes de stigmatisation, à savoir les processus
institutionnels par lesquels ont été produites et
perpétuées les images stigmatisantes des anciens harkis et de
leurs enfants en France et en Algérie (niveau macro-politique), il nous
faudra par suite considérer leurs aboutissants, et rendre compte du
système d'action dans et par lequel ces images sont
routinièrement relayées et subies ; en somme, il nous faudra
rendre compte - ici et maintenant, en France - de la manière dont
s'opère la transmission de la mémoire et se définit le
rapport à l'identité des fils et filles de harkis dans
l'ordinaire des relations sociales et familiales (niveau infra ou
micro-politique).
PARTIE 3
Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des
relations sociales et familiales
Partie 3
Ce que veut dire être harki dans l'ordinaire des
relations sociales et familiales
Les enfants de harkis sont le produit d'une histoire qui, de
nos jours en France, dans l'ordinaire des relations sociales, les place
à divers titres en porte-à-faux vis-à-vis de la
société d'accueil. Et ce d'abord vis-à-vis du groupe dit
"majoritaire" qui, plutôt que de faire droit à la
singularité de la trajectoire des enfants de harkis, les
considère de prime abord sur la base de leur faciès et des
préjugés qui y sont associés. Mais ce également
vis-à-vis des populations issues de l'immigration maghrébine (et
de l'immigration algérienne en particulier), lesquelles, à
l'inverse, ne manquent pas - lorsque cette singularité est connue - de
marquer l'"étrangeté" de l'exil politique des anciens harkis et
de leurs familles : un exil assimilé à un acte de
« trahison » (ou, plutôt, à sa
conséquence ultime), par contraste avec la migration des travailleurs
algériens, conçue comme résultant non d'un choix politique
mais d'une nécessité économique. Ceci n'est pas sans
conséquences sur - et appelle l'étude des sentiments de filiation
et d'identité de la deuxième génération,
socialisée dans un environnement a priori - quoique diversement -
stigmatisant, avec lequel elle doit apprendre à composer.
Précisément, il nous faudra examiner, à
travers la dynamique des générations qui les sous-tend, les
rapports problématiques entre "mémoire" et "identité" au
sein de la communauté harkie. Comment "l'indexation" globalement
négative de l'image des pères dans l'espace social et politique
(voir la Partie 2) pèse-t-elle sur la transmission de la mémoire
familiale et, par suite, sur la définition (ou l'indéfinition) de
l'identité sociale des fils et filles de harkis1380(*) ? Notre
hypothèse, à cet égard, est que la dynamique des
générations au sein de la communauté harkie est
marquée sinon par une "éclipse" du moins par une
"friabilité" de la transmission de la mémoire communautaire. De
cette cassure de la dynamique des générations résulte une
crise des identités qui spécifie (en même temps qu'elle les
trouble) les contours de la deuxième génération de
harkis ; crise des identités marquée par une
fragilité, une instabilité des critères d'identification
et des identifications elles-mêmes, donc, corrélativement, par une
perméabilité des catégories servant à se
définir (tant individuellement que collectivement), c'est-à-dire
une particulière sensibilité, sinon une grande
vulnérabilité, aux identités assignées par autrui.
Précisément, ce qui pose problème dans le cas des fils et
filles de harkis c'est, alors même qu'ils ont hérité de la
génération des pères de plus de questions que de
réponses à propos de leur identité, de se situer soi par
rapport aux autres et de situer les autres par rapport à soi quand les
autres renvoient de soi, outre une indifférence persistante, des images
antagonistes, voire paradoxales. Ceci - les rejaillissements
intergénérationnels de la destinée matérielle et
symbolique des parents - témoigne de relations tout à fait
spécifiques entre mémoire, identité et dynamique des
générations.
Pourquoi ce filtre heuristique du "ressenti" et de
"l'intersubjectif", cette focalisation sur la manière dont les gens se
définissent, définissent les autres et sont définis par
autrui ? D'abord parce que notre ambition, dans cette partie, est de
rendre compte du vécu des intéressés, de leur rapport
intime aux phénomènes sociaux (choses et êtres). A rebours
d'une explication globalisante et extérieure, se déprenant par
principe du sens commun, notre intention n'est pas d'expliquer les êtres
malgré eux, même si c'est là un risque inhérent
à toute étude sociologique. Nous avons longuement
développé ces points en introduction. Il suffit donc de rappeler
que notre démarche est d'essence compréhensive : c'est le
monde vécu de la stigmatisation, ou la stigmatisation telle qu'elle est
routinièrement "agie" et subie, qui nous intéresse ici. Sur des
bases analogues à celles d'un Vincent de Gaulejac1381(*), par exemple, il s'agira
d'explorer la dynamique de construction du sujet, face à son histoire,
à ses liens de filiation et au poids des assignations statutaires, et,
par-là, de montrer comment les phénomènes sociaux et
psychiques s'amplifient et s'influencent réciproquement, en particulier
autour du sentiment de honte1382(*).
Au plan cognitif, les sentiments sont des médiateurs
à travers lesquels l'individu éprouve concrètement -
"métabolise" en quelque sorte - des phénomènes sociaux
abstraits (telle la sociodynamique de la stigmatisation) qui, par leur ampleur
et la complexité de leurs ramifications, échappent ordinairement
à son champ d'appréhension intellectuelle (en même temps
qu'à son champ d'action et de responsabilité). Autrement dit,
lorsqu'un individu membre d'un groupe donné rend compte de la
manière dont il est affecté au jour le jour par les
exo-définitions de soi assignées par d'autres groupes
interdépendants, c'est d'abord des sentiments "bruts" (la honte, la
colère, l'embarras, etc.) et non un discours fini (des
élaborations conceptuelles) qu'il exprime. De même lorsqu'il
entreprend d'y réagir : c'est d'abord sur la base de ses affects
qu'il règle sa ligne de conduite immédiate. Ainsi, les sentiments
sont les catalyseurs des charges et réactions émotionnelles qui
régissent la « ronde journalière » de
l'individu1383(*). Et
« les sentiments de honte, d'humiliation ou de révolte, jouent
un rôle important dans la mise en oeuvre de stratégies sociales
répondant à une situation d'exclusion »1384(*). Or, nous verrons que,
dans l'entre-deux symbolique malaisé où se trouvent placés
les fils et les filles de harkis, c'est la honte qui, plus souvent sans doute
qu'à l'ordinaire de leurs concitoyens, régit leur
définition des situations d'interaction et commande, en réaction,
leurs stratégies de présentation de soi.
Mais qu'est-ce que la "honte", au juste ? À la
suite de Vincent de Gaulejac, la honte peut être définie comme un
« méta-sentiment », « un
conglomérat de charges et de réactions émotionnelles, de
sensations, d'affects où se mêlent des aspects psychoaffectifs et
psychosociaux »1385(*). Un état générique, donc,
d'essence à la fois affective et sociale qui, dans le cas
d'espèce qui nous intéresse, renvoie au moins à deux
ordres de ressentis :
- d'une part le sentiment de culpabilité des
pères, dont les "choix", nous l'avons vu, se sont
révélés lourds de conséquences, à la fois
sur un plan matériel et sur un plan symbolique ;
Ici, le sentiment de culpabilité sanctionne la
reviviscence d'un état de fait ou d'une succession de faits et de choix
dont l'individu se sait être (ou se sent, au moins en partie) moralement
comptable, et qu'il peine à assumer tant en raison de l'image
négative renvoyée par autrui qu'en raison de l'ambivalence de ses
sentiments propres sur la question. Le sentiment de culpabilité est
associé à l'inhibition, et libère une agressivité
plutôt tournée vers soi (ou les siens) : vis-à-vis de
l'extérieur, l'individu ne sait plus quoi faire, ou n'ose plus
agir ; il se mure dans le silence, s'abandonne parfois à l'alcool
et/ou à la violence conjugale ou familiale, s'égare dans le
délire, voire met fin à ses jours1386(*). Les exemples de cet ordre
abondent dans la littérature consacrée aux Français
musulmans rapatriés, qu'il s'agisse des études cliniques de tous
ordres qui furent consacrées aux anciens harkis durant les années
1970, ou des récits autobiographiques publiés par leurs enfants
au cours des années 1990 et 20001387(*).
- d'autre part, le sentiment d'humiliation des
enfants qui, confrontés à un environnement stigmatisant, ne
peuvent puiser dans la mémoire douloureuse de leurs parents les
référents nécessaires à l'édification de
contre-modèles valorisants.
Ici, le sentiment d'humiliation puise dans les
conséquences d'un choix qui n'est pas directement le fait de l'individu
mais auquel son image est invariablement associée. Le sentiment
d'humiliation vient ainsi de ce que l'individu est publiquement
désigné comme légataire d'une marque d'infamie :
« fils de traître ! »1388(*), lors même qu'il
n'aurait aucune prise sur la situation en cause : « l'individu se
sent objet impuissant d'un rapport de forces inégal, mais pas
responsable de la situation »1389(*). L'humiliation est associée au sentiment de
révolte et libère une agressivité plutôt
tournée vers autrui.
Au fil de cette partie, nous aborderons la sociodynamique de
la stigmatisation au sein (la stigmatisation telle qu'elle est subie)
et autour de la communauté harkie (la stigmatisation telle
qu'elle est agie) mais, à la différence de la
précédente partie, davantage en tant qu'aspect d'une relation
« installés-marginaux » (perspective
routinière)1390(*) qu'en tant qu'aspect d'une relation
« ami-ennemi » (perspective institutionnelle)1391(*). Autrement dit, il s'agira
moins, ici, de nous centrer sur les relations de pouvoir instituées
(mémoires officielles) ou les stratégies d'influence d'acteurs
constitués en communautés d'esprit ou d'adhésion
(mémoire collégiale des intellectuels en guerre d'Algérie,
par exemple) que sur l'ordinaire des relations sociales, ordinaire
habituellement réglé par des rites d'interaction et des
stratégies de présentation de soi et de désignation
d'autrui qui relèvent d'un ordre essentiellement extra-juridique et
extrapolitique1392(*).
Dans cette optique, la sociodynamique de la stigmatisation sera
envisagée comme le produit de la configuration formée par trois
groupes interdépendants, à savoir : le groupe dit
"majoritaire", les populations issues de l'immigration maghrébine et la
communauté harkie, engagés à des degrés et pour des
motifs divers dans ce que Isabelle Taboada Léonetti et Vincent de
Gaulejac appellent une « lutte des places »1393(*).
Communauté de destin, la communauté harkie est
le produit d'une histoire difficile à transmettre pour les pères
aussi bien que difficile à recevoir pour leurs enfants. Cette histoire
est d'autant plus difficile à transmettre pour les pères que,
d'une part, elle les renvoie - outre les traumatismes liés aux
événements proprement dits, depuis l'engagement aux
côtés de l'armée française jusqu'à l'exil -
à leur propre impuissance (au sens d'une incapacité à se
faire maîtres de leur destin) et que, d'autre part, elle les expose
potentiellement au désaveu de leurs enfants, socialisés dans un
environnement qui ne les prépare pas à valoriser ce choix.
D'autant que, même si les raisons de justifier ce choix ne manquent pas,
l'appareillage critique et la maîtrise de la langue font trop souvent
défaut aux pères (illettrés pour beaucoup) pour ce faire
ou, plus exactement, pour faire en sorte que ces arguments soient jugés
recevables non seulement par leurs enfants mais aussi par ceux-là
même qui, spontanément, n'éprouvent aucune sympathie
à leur endroit. En outre, cette histoire est difficile à recevoir
pour leurs enfants, et ce d'autant plus qu'elle les oblige - pour "être"
et "se connaître" - à transgresser l'interdit paternel et,
par-là, à encourir le risque du conflit. Une histoire qui, par
surcroît, nous l'avons dit, les place en porte-à-faux - et ce
à divers titre - vis-à-vis de la société d'accueil.
Il résulte de cette difficulté à dire et à recevoir
une situation de relative déshérence identitaire qui se manifeste
d'abord - au sortir de l'adolescence (et parfois bien plus tard) - par un
« brouillage des catégories servant à se définir
et à définir les autres »1394(*) (Chapitre I).
Cette situation induit corrélativement une grande
vulnérabilité aux catégorisations formulées par
autrui. Ceci est d'autant plus dommageable que, précisément, dans
l'ordinaire des relations sociales, les enfants de harkis sont exposés
à des flux d'informations contradictoires quant à la
manière dont les autres les (dé)considèrent. De fait, les
enfants de harkis se doivent de composer, d'une part, avec les
flétrissures liées à leurs attributs phénotypiques
et confessionnels, ou « stigmate tribal »1395(*) (flétrissures
générées à divers degrés par les
Français dits "de souche" ou qui se considèrent comme tels) et,
d'autre part, avec les flétrissures liées à la (mauvaise)
réputation des pères, ou « stigmate
d'infamie »1396(*), flétrissures principalement
générées - là encore à divers degrés
- par les populations issues de l'immigration maghrébine,
algérienne en particulier (chapitre II).
Les enfants de harkis se trouvent donc placés dans une
sorte d'entre-deux phénoménologique qui s'ajoute et recoupe en
partie l'"entre-deux feux" des atteintes symboliques - entre adversité
et indifférence - étudié dans la Partie 2. À
l'arrivée, le « brassage du vécu et du
transmis » - autrement dit, le rapport aux origines et à la
mémoire familiale, et la façon dont il peut produire la honte
dans l'ordinaire des relations sociales - peut engendrer une situation de
« déchirement » (Vincent de Gaulejac) ou
d'écartèlement des identifications (pour soi et par autrui) en
face de quoi les fils et filles de harkis sont en peine de trouver des
médiations ou des compromis satisfaisants. Cette situation décrit
ce que j'appelle un "triangle de stigmatisation". Ce triangle de stigmatisation
est une représentation modélisée du « cycle des
événements ordinaires »1397(*) qui font obstacle à
une pleine acceptation des enfants de harkis dans leur environnement social
(chapitre III).
I. De la confusion à la forclusion : le
rapport à la mémoire familiale et la façon dont il peut
(ou non) produire la honte chez l'enfant
Cette problématique de recherche invite à
appréhender le concept d'identité dans une visée dynamique
et interactive, autour du couplage transmission/appropriation ; notre
approche doit donc être distinguée d'une conception primordialiste
de l'identité. Jean-Charles Pochard :
« Le caractère permanent et fondamental de
l'identité d'un groupe ne peut constituer qu'une vue de l'esprit ;
l'identité du groupe est une construction mentale forcément
réductrice puisque le résultat d'une sélection de
traits »1398(*).
En pratique, dans la réalité sociale,
l'identité se joue dans la relation et dans la variation. Elle n'est pas
un état contenu dans un être, qui résulterait de la nature
même de cet être ; les identités ne sont ni immanentes
ni immuables, elles sont des constructions sociales dont les fondations et les
superstructures sont déterminées par les situations sociales dans
lesquelles elles sont érigées. Autrement dit, les
identités supposent l'Autre pour exister (puisqu'elles ne sont pas
immanentes) et se développer (puisqu'elles ne sont pas immuables) :
« L'identité (...) est un construit évolutif qui vient
donner du sens et de la valeur (positive ou négative) à une
relation ou à un ensemble de relations »1399(*). De même, pour
Claude Lévi-Strauss, « (...) l'identité est une sorte
de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer
pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu'il ait jamais
d'existence réelle »1400(*) ; « [L'identité], ajoute
Denis-Constant Martin, peut parler du temps, de l'espace et de l'individu dans
son rapport aux groupes. Elle peut évoquer l'incertitude et l'angoisse
en formulant un désir de liens, de sens et de valeurs
partagés »1401(*). Si elle est mythe, l'identité plus
largement est discours, et doit être analysée en tant que tel.
Denis-Constant Martin :
« Pour la psychologie, l'identité n'est pas
un état ou un avoir. Elle ne se maintient que par la prise de position
ou de parole. (...) Les psychologues de l'identité parlent
d'"identisation" pour exprimer le caractère à la fois actif et
réactif du processus identitaire, envisagé comme
construction/attestation, jamais achevé par hypothèse (...).
Cette définition offre un bon garde-fou contre l'objectivation de
l'identité »1402(*).
Précisément, au sein même de la
communauté harkie, la difficulté des pères à
s'assumer et à léguer « une indicible
histoire »1403(*), en tant qu'elle entrave le processus identitaire
envisagé comme récit - « le récit identitaire
articule le temps et donne un sens au présent »1404(*) - et, par là, rompt
la dynamique des générations, invite à considérer
la parole, le dit et le non-dit, comme un espace transitionnel entre la
mémoire (qui est transmission d'un passé vécu) et
l'identité (qui est ré-appropriation de ce passé par la
génération suivante dans une visée de
dépassement : il s'agit d'invoquer l'essence pour gérer le
changement). C'est ce que Paul Ricoeur a systématiquement exploré
dans Soi-même comme un autre à travers la théorie
de l'identité narrative :
« La compréhension de soi est une
interprétation ; l'interprétation de soi, à son tour,
trouve dans le récit, parmi d'autres signes et symboles, une
médiation privilégiée ; cette dernière
emprunte à l'histoire autant qu'à la fiction, faisant de
l'histoire d'une vie une histoire fictive, ou si l'on préfère,
une fiction historique, entrecroisant le style biographique des biographies au
style romanesque des biographies imaginaires »1405(*).
Pour Ricoeur, l'identité narrative, soit d'une
personne, soit d'une communauté, est le lieu recherché d'un
"chiasme" entre histoire et fiction, ce qui, selon nous, peut aussi
définir la mémoire, à condition de considérer que
celle-ci n'est pas mémoire du réel (le passé en soi) mais
travail sur le réel ; la mémoire est une
interprétation du passé en cohérence avec le
présent, qui médiatise, à travers la parole (le
récit), l'interprétation de soi (identité). La narration
historique permet de « refigurer le réel », de le
« redéployer »1406(*), c'est-à-dire de replacer les rapports
humains dans le temps et de gérer les changements qui pourraient
apparaître comme discordants lors de l'affirmation d'une identité.
Denis-Constant Martin :
« L'identité narrative fait de l'histoire
individuelle une "fiction historique" où l'identité peut
être conçue comme dynamique parce qu'elle réalise une
médiation entre concordance (l'exigence de persistance) et discordance
(qui résulte des changements) : le personnage s'y met
lui-même en intrigue et peut ainsi réorganiser ses
évolutions tout en proclamant sa permanence, voire ses
filiations »1407(*).
C'est précisément sur la faculté de
réaliser cette mise en intrigue de soi (tant individuellement que
collectivement1408(*)), à s'inscrire dans une dynamique
identitaire qui s'étaye sur les liens de filiation, que butent les fils
et les filles de harkis confrontés à la
« mémoire honteuse » (Mohand Hamoumou1409(*)) de leurs pères.
Nous partirons ici d'une double prémisse :
- d'une part, la transmission de la mémoire
communautaire et, corrélativement, le sentiment d'appartenance
communautaire ont pour premier vecteur (et premier filtre) la transmission de
la mémoire familiale et le sentiment d'appartenance à une
"lignée" ;
- d'autre part, la transmission de la mémoire
familiale participe intimement des manières d'exercer et d'exprimer les
rôles parentaux, paternel et maternel.
En l'espèce, la figure du père revêt
naturellement une importance particulière puisque, plus encore
qu'à l'ordinaire, il est, par son "choix" de devenir harki, au fondement
de la destinée familiale et, par la capacité remarquable qu'a
cette étiquette de "harki" non seulement de perdurer mais par
surcroît de servir de stigmate, au fondement de la (mauvaise)
réputation familiale. Un tel état de fait ne pouvait pas
être sans conséquence sur les manières d'exercer et
d'exprimer le rôle paternel, en particulier sur la manière
d'exercer son rôle de tiers symbolique, à la fois "passeur" et
"censeur". La figure du père est, de fait, une constellation
où se mêlent les dimensions historique, psychologique et sociale.
Jacqueline Palmade, invoquant le concept lacanien de
« Nom-du-Père », en fait même la
« métaphore vive de la vérité, symbole de la
lignée »1410(*). « Métaphore vive de la
vérité » car la paternité, à la
différence de la maternité, n'est jamais qu'une conjecture,
basée sur des déductions et des hypothèses. C'est
l'émergence du « père symbolique », cette
fonction de tiers prescripteur de la loi, qui le fonde dans son rôle de
père. Autrement dit, le père est une sorte
d' « articulation signifiante » qui condense en elle
la loi et la filiation, la filiation parce que la loi.
Ainsi, c'est par la transmission de la loi, donc par la
parole, que le père atteste de sa paternité, et c'est par la
réappropriation de la loi (donc de la parole) paternelle(s) que ses
enfants s'inscrivent dans un rapport de filiation. Le père
apparaît dans l'histoire de l'enfant comme un "référent",
à la fois hors de l'histoire de l'enfant et à l'origine de
celle-ci. Sa qualité de tiers symbolique lui confère un
rôle fondamentalement structurant pour le développement psychique
de l'enfant et sa propension future à dire « Je ».
Or, si le père est lui-même soumis à une loi
supérieure, qui l'"écrase" et le réduit au silence y
compris à l'égard de ses propres enfants, il lui devient
difficile d'exercer sa fonction de tiers signifiant : le père, en
tant que tiers signifiant, est "manquant". Ce « manque du père
de l'avoir introduit au monde » (Jacqueline Palmade) n'est pas sans
conséquence sur les processus d'identification puis d'individuation de
l'enfant.
Il ne s'agit pas, pour autant, de minorer le rôle des
mères dans la dimension symbolique. Certes, en l'espèce,
être désigné ou se dire "fils" ou "fille de harki", c'est
être identifié ou s'identifier au nom du père. Cela ne veut
pas dire, pour autant, que la parole des mères ne soit pas structurante
ou, à l'inverse, que l'effacement des mères soit sans
conséquence pour les enfants. Cela ne veut pas dire, non plus, que les
mères n'ont rien à dire sur - ou qu'elles ne sont pour rien dans
la destinée familiale. Bien au contraire, les entretiens conduits au
cours de nos travaux auprès des enfants, comme les témoignages
recueillis par Dalila Kerchouche et Stéphane Gladieu auprès des
mères1411(*),
soulignent l'importance de leur obstination (dans leur rôle de
mère) voire de leur affirmation (dans la dimension symbolique) face
à des pères parfois résignés ; la
difficulté et le courage que cela réclame, aussi.
Car c'est la résignation, le silence, qui
prédominent ordinairement chez les parents : en somme, c'est la
honte, au moins autant que la fierté, qui scelle les modalités de
transmission de la mémoire familiale. Cette résignation apparente
est source d'ambivalence affective chez les enfants en ce qu'elle les conduit
à « vivre dans la recherche de médiations entre le
désir de se distancier du milieu d'origine et celui de
manifester une solidarité vis-à-vis de ce
milieu »1412(*). Elle est à ce titre une entrave au
processus d'autonomisation. Car si, comme le souligne A. Mucchielli,
« l'acte autonome de l'identité est débarrassé
des motivations liées au lien de
dépendance »1413(*), à l'inverse, le silence de la
mémoire familiale, en ce qu'il frustre les enfants du sentiment premier
de s'inscrire dans une filiation (au besoin pour s'en défaire), les
assujettit davantage encore à ce qui, dans le roman familial,
pèse sans pouvoir être élaboré.
A. « Une indicible histoire »
(Mohand Hamoumou) ou l'histoire d'une honte "partagée"
Selon Pierre Nora, parce qu'elle est transmission d'un
passé vécu, la transmission de la mémoire est
« ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie,
inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à
toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de
soudaines revitalisations » ; « parce qu'elle est
affective et magique, ajoute-t-il, la mémoire installe le souvenir dans
le sacré et le tabou » : « La mémoire
est la vie, toujours portée par des groupes vivants, et, à ce
titre, (...) [elle] ne s'accommode que des détails qui la
confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous,
téléscopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques,
sensible à tous les transferts, écrans, censure ou
projections »1414(*).
Si, le plus souvent, « la mémoire sourd d'un
groupe qu'elle soude »1415(*), ce qui revient à dire, comme Halbwachs l'a
fait, qu'elle est, par nature, multiple et démultipliée,
collective, plurielle et individualisée, « parfois c'est une
mémoire collective insupportable quand après une humiliation
collective, elle ne peut plus assurer une identité valorisée, une
mémoire qui soit amour de soi, du groupe »1416(*). Individuellement en proie
au traumatisme d'une guerre qui longtemps cacha son nom et fluctua dans sa
raison d'être, collectivement meurtris par le martyre de leurs camarades
sacrifiés (par dizaines de milliers) à la raison d'Etat (voir
Partie 1), déchirés par un exil qu'ils savent sans retour,
culpabilisés, enfin, par ceux qui (des deux côtés de la
Méditerranée) n'ont de cesse de vouloir en faire les "combattants
du mauvais choix", les Français musulmans rapatriés ont
très massivement choisi d'opposer le silence au déni :
« Des silences s'instituent devant l'horreur, la
conscience impossible, inassumable, silence des bourreaux, de leurs complices,
mais aussi parfois des victimes qui doivent survivre ; secrets,
dénégations, falsifications, autant de déformations que
dicte le présent avec ses nouvelles alliances, ses raisons d'Etat, ses
deuils impossibles »1417(*).
Mohamed, lui-même ancien harki et président de
l'association des anciens harkis et de leurs enfants sise à
Largentière (Ardèche), dont nous avons déjà
cité certains propos dans le fil de la Partie 11418(*), traduit parfaitement le
sentiment de ses congénères, à leur arrivée en
France, d'être la mauvaise conscience en même temps que les
laissés-pour-compte de la métropole :
« On savait pas pourquoi la France était
contre nous, parce que déjà... les regards de travers, on nous
reçoit pas bien... on n'a pas compris du tout. Voyez, on a
défendu une cause, on a défendu la France, quoi, on
défendait notre patrie... bon, nous sommes venus en France, mais
là on a pas eu un bon accueil ; pas avec les armes, mais... un
autre truc. Alors, donc... y'a aucun... j'sais pas moi, y'en a aucun qui est
venu nous voir, nous parler... du mal qu'on a eu, ou... les souffrances qu'on a
eu... personne. Alors, si on entend parler, c'est uniquement du mal de nous.
Mais pourtant, nous, on fait quel mal à la France ? Comment vous
comprenez ça ? On a pas compris du tout ».
Réaction de Jean-Claude, fils de harki
et secrétaire de l'association présidée par Mohamed,
présent au moment de l'entretien :
« Et tout ça, j'veux dire, en remettant...
à la limite quand on se dit qu'on a été envahis par un
pays, ou qu'on est perdants, ou qu'on a fait des fautes, tout ça, on
peut se dire, on peut arriver... pas à comprendre, mais en tout cas
à l'entendre. Alors que là, eux avaient fait, pour eux, leur
devoir et même plus que leur devoir. Et voilà comme ils
étaient remerciés. Comment se repositionner, comment se
positionner par rapport à ce qu'ils avaient fait, ils remettaient tout
en... question : pourquoi ils avaient réagi comme ça ?
Est-ce qu'il ne valait pas mieux, en fin de compte, la mort ? (...) J'veux
dire, ils avaient vraiment... honnêtement, on se demande à quoi
ils ont pu se rattacher »1419(*).
En contrepoint de cette mémoire collective
"insupportable", le silence, le repli apparaissent aux yeux des pères
désarmés par l'amertume et la culpabilité (ainsi que par
une capacité limitée à "faire voix"), comme les plus
sûrs remparts contre le brouhaha d'une Histoire qui avance malgré
eux. Gérard Noiriel :
« Ceux qui ont été confrontés
au traumatisme de la guerre ou de la persécution ne désirent
souvent qu'une chose : oublier. Il y a des familles dans lesquelles jamais
les parents n'ont évoqué devant leurs enfants leur vie d'avant,
exacerbant par-là même le désir de savoir chez ces
derniers »1420(*).
La mère de Boussad Azni, président du
Comité national de liaison (qui regroupe une cinquantaine d'associations
de harkis), ne parle pas français. Mais à l'évocation du
mot harki, elle sait se faire comprendre : « Elle se passe la
main sur le cou, comme un couteau qui égorge ». Quant à
son père, il est mort sans jamais avoir raconté son histoire.
Commentaire amer du fils : « Nos parents votaient à
droite, ils croyaient que de Gaulle les avait sauvés. C'est la
génération perdue, ils mourront sans
comprendre »1421(*).
Inévitablement, le silence d'une mémoire
laissée en déshérence crée un « malaise
dans la filiation »1422(*), tant il est vrai que le
« ré-enracinement, la construction d'une nouvelle
lignée qui commence avec celui qui est parti nécessitent, sinon
une "mythologie", du moins un "roman des origines"
familiales »1423(*). C'est ce "roman" qui, dans le cas d'espèce
des enfants de harkis, confrontés au sentiment d'hébétude
et d'horreur mêlées des pères (condamnés,
exilés, parqués), fait souvent défaut.
- 1. La difficulté d'en parler (du
côté des pères)
Dès lors qu'il s'agit de parler de soi, la parole, loin
de laisser spontanément "transparaître", de mettre en relation
l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le social, se heurte
à un flot de résistances ; enjointe ou conviée
à exprimer l'essence d'un être, la parole est rendue plus fragile,
elle se crispe, se rétracte ou s'éteint. Edmond-Marc
Lipiansky :
« De même qu'on peut distinguer une
identité sociale et une identité intime à la fois
séparées et reliées, on peut différencier une
parole sociale, en relation avec les rôles et les rituels d'interaction,
et une parole intime exprimant l'authenticité d'un vécu
personnel »1424(*).
Cette parole intime ne va pas de soi. Très souvent
l'interdit frappe, à des degrés divers certes, les souvenirs, les
pensées, les sentiments, les émotions qui ressortissent à
l'expérience vécue. C'est ce que Erving Goffman désigne
sous le vocable de « réserves du moi » et que
Edmond-Marc Lipiansky définit de la manière suivante :
« La barrière entre l'intérieur et
l'extérieur, l'intime et le social, se projette et se retrouve dans la
coupure entre le dit et le non-dit. Cette coupure s'inscrit dans le sentiment
qu'éprouve le sujet que, de son vécu intérieur, certains
éléments sont dicibles, qu'ils peuvent être transmis aux
autres sans trop de retenue, de gêne ou de malaise ; et que d'autres
éléments, pour de multiples raisons ayant trait à
l'interdit, doivent rester non-dits »1425(*).
L'expérience vécue en Algérie par les
Français musulmans rapatriés est une expérience qui,
précisément, touche aux « réserves du
moi », parce qu'elle renvoie - dans ses tenants comme dans ses
aboutissants - à une situation "extra-ordinaire", qui à la fois
affecte profondément l'idée que les intéressés se
font d'eux-mêmes et engage leur réputation aux yeux d'autrui. Il
est difficile, dans ces conditions, de rendre cette expérience sans
crainte de la trahir ou de se meurtrir. Le père
d'Hassina1426(*) lui a parlé très tardivement, ainsi
qu'à ses frères et soeurs, de son expérience vécue
pendant la guerre d'Algérie : « En fait, au début,
il ne savait pas comment appréhender la chose, il était
très distant vis-à-vis de ses enfants » ; à
l'instar du père de Dalila1427(*) (23
ans1428(*)),
« [qui] vit avec ses souvenirs cachés de
là-bas », « beaucoup de harkis de la première
génération se sont murés dans le silence, ont très
peu parlé à leurs enfants de ce qui pour eux a été
un véritable choc », ajoute
François1429(*). C'est le cas du père de
Jacqueline1430(*), qui peine à extérioriser une
souffrance malgré tout perceptible : « Mon père...
déjà, dans son caractère, c'est pas quelqu'un d'expressif,
c'est quelqu'un d'un peu renfermé, il parle pas beaucoup, et, en plus de
cela, je pense qu'il voulait oublier et ne pas en parler parce que
peut-être ça lui faisait mal, je sais pas, mais en tout cas il en
parlait pas beaucoup ».
Dans cette distance se joue l'évanescence voulue mais
impossible d'un passé que les pères voudraient voir
forclos1431(*),
troublant par-là même leur image auprès de leurs propres
enfants : « J'ai eu aucune transmission, aucune
expérience, mon père nous a jamais parlé de la guerre
d'Algérie. (...) Disons que le problème c'est : j'ai jamais
su cerner mon père, à travers ce problème, à
travers cette catastrophe » (Karim1432(*)) ; « On
avait pas de dialogue. (...) on m'a jamais répondu. Je savais qu'il
était militaire puisqu'il était en tenue, mais le mot "harki"...
on l'appelait "le harki". "Le harki", "le harki", qu'est-ce que ça veut
dire ? Aucune réponse. Aucune réponse, et je
grandissais... » (Dalila, 37
ans1433(*)) ; « Et c'est vrai, y'en a qui
sont un peu déchirés parce que c'est leurs parents qui leur
parlent pas ou qui leur cachent la vérité. J'en ai parlé
avec quelqu'un qui m'a dit que, à l'époque, elle venait juste
d'apprendre que son père était harki (...) ; et son
père (...) il a jamais dit à ses enfants qu'il était
harki. C'est dernièrement, grâce aux subventions que l'Etat donne,
ils sont obligés de se justifier auprès de leurs enfants. Parce
que, bon, quand ils reçoivent du courrier du ministère des
rapatriés, les gosses ils demandent d'où ça vient.
Voilà, c'est triste mais ça existe »
(Jacqueline).
Le cas de figure ne se pose pas tout à fait de la
même manière dans les sites "ségrégés"
où, d'une certaine manière, l'on "naît" harki, ne serait-ce
que parce qu'on s'auto-désigne et qu'on est désigné comme
tel par les autres. Mais si l'étiquette en soi n'est pas une surprise,
son "décodage" peut s'avérer tout aussi difficile et la parole
des pères tout aussi parcellaire que dans les sites "mixtes" (ou,
plutôt, anonymes) comme la région parisienne. Ahmed
en conçoit une certaine amertume
vis-à-vis de la société d'accueil, pressentant que le
silence de son père lui a été imposé par
l'enchaînement contraire des événements et l'attitude des
autorités françaises : « Moi, mon père, il
m'en a jamais vraiment parlé, on en a jamais vraiment discuté...
ça fait pas partie des choses dont on parle à table, tu vois...
et c'est peut-être ce qui fait qu'aujourd'hui, non pas que je suis
extrémiste, loin de là, la France elle est ce qu'elle est, on
peut pas juger un pays comme ça... ceux qui ont pris la décision,
c'était une minorité... mais, quand même, le fait d'avoir
été abandonnés, comme ça, et le fait que mon
père il ne m'en parle pas vraiment, j'en garde des traces, et même
de l'amertume »1434(*). Sujet tabou, également, pour le père
de Mohamed1435(*) (35 ans), lequel prend soin de ne
pas heurter cette réserve : « Pour mon père, c'est
un sujet tabou, hein. (...) On aborde très rarement ce genre de sujet
qui est quasiment tabou pour nous. Tabou, parce que, bon, y'a même plus
à en discuter, mais au départ c'était... nous, on parle
beaucoup avec... l'expression des yeux ». Pour sa part,
Rachid1436(*) vit douloureusement le fait de n'avoir pu
interroger son père avant sa mort, lui qui, enfant né sur le
tard, n'avait osé - adolescent - aller au-devant d'un père
déjà vieillissant et malade :
« Moi, souvent, je me dis :
«Merde ! J'aurais...», bien sûr que j'aurais aimé
poser la question à mon père : «Bon, qu'est-ce qui t'a
poussé à... à opter pour... pour... enfin... pour
être français, quoi, pour la France ?». Bon, ben,
qu'est-ce que tu veux, j'ai pas eu... j'ai pas eu la chance... ben, je l'ai
perdu, j'avais seize ans, j'te disais, mais, bon, jusqu'à l'âge de
seize ans...
- ...c'est difficile de parler avec son
père ?...
...ouais, ouais, puis mon père, déjà, mon
père, il m'a fait... mes vieux, on va dire, ils m'ont fait quand... ils
étaient déjà assez âgés, eux, hein, mon
père il avait... mon père, ils mettent qu'il est né vers
1917, tu vois, ils savent même pas trop... quand sur le livret de
famille, ils mettent 1917, ils mettent : «AbdelKader, né vers
1917» ; et puis ma mère elle est née en... 1920. Ma
mère, par contre, elle a une date, mais, donc, ce que je veux dire,
c'est que mon père et ma mère avaient quarante-sept et
quarante-quatre ans quand ils m'ont eu, donc, tu vois, quand j'avais seize...
quand je suis arrivé à l'âge de l'adolescence, bon, quand
on a envie de poser des questions, on va dire, sur ce genre de choses, mon
père avait déjà... il était malade, mon père
est mort sur un lit d'hôpital, il était malade. Et... donc, c'est
vrai que j'ai jamais eu... ».
Dans l'un et l'autre contexte (sites
"ségrégés" ou sites "intégrés"), même
lorsque la parole se fait plus libre, le père a tendance à se
focaliser sur les aspects les plus formels de son engagement. Ainsi, c'est
davantage sur un mode "fictionnel/anecdotique" que le père de
François évoque son passé ; il
élude les traumatismes (l'équivoque ou la difficulté du
choix, l'exil) pour ne donner à voir et à entendre de son
engagement que les motifs de fierté, à commencer par le
récit (circonstancié mais formel) des opérations
militaires. Comme le père de Dalila (23
ans), qui ne s'est jamais découvert, qui ne s'est jamais
expliqué spontanément sur les raisons profondes de son
engagement, le père de Régika1437(*) n'a laissé
transparaître que les à-côtés d'une période
qui allait pourtant bouleverser sa vie en le contraignant, lui et sa famille,
à l'exil : « La guerre... dire : «La guerre,
j'ai tué», on peut pas, c'est pas un truc qu'on dit de toute
façon à ses enfants (...). La guerre c'était la guerre,
quoi, c'était... il a choisi, il a choisi, quoi. L'expliquer... c'est
difficile pour un père de l'expliquer à un enfant (...). Non, il
nous parlait de la caserne, sans plus, quoi ». De même
s'agissant du père de Rachid, qui rendait plus
volontiers compte des épisodes préalables à son engagement
aux côtés de l'armée française :
« Non, non. Non. Il me racontait plutôt, on va dire, à
l'époque qu'il était pêcheur et docker, en Algérie,
ça oui, il m'en a beaucoup parlé de ça ».
Avec l'exil et la succession des générations,
c'est la possibilité même de "re-traduire" cette expérience
à l'attention de leurs enfants qui semble s'être évanouie.
Ainsi, le père d'Hassina a longtemps
considéré que cette expérience ne pouvait être
partagée qu'avec un groupe de pairs, de contemporains,
c'est-à-dire avec ceux qui, tels ses amis harkis, avaient vécu
les mêmes événements : « Il n'en parlait pas
avec ses enfants de la manière dont il en parlait avec ses amis harkis
(...). C'est quelque chose qu'il ne reprenait jamais avec nous ».
Ce mutisme, ce silence distant ou ces paroles convenues, en
somme ces comportements de repli des pères s'ancrent également
dans la stigmatisation, le rejet dont ils sont l'objet en France et en
Algérie ; amers, ils portent leur passé comme un
fardeau ; culpabilisés, ils vivent son rappel comme une
dégradation. Selon Hassina, son père assume
difficilement son engagement passé : « En fait, il aurait
voulu ne pas avoir à porter cette partie de l'histoire (...). Il
essayait de donner une image qui correspondait peut-être à
l'Algérien type, à ce qu'il aurait peut-être voulu
être ». Aussi Hassina analyse-t-elle le
silence de son père comme la résultante d'une
« projection de l'attitude de certaines personnes à son
encontre sur ses propres enfants ». Soucieux de protéger ses
enfants contre les attitudes de rejet et de stigmatisation que lui a valu son
engagement auprès de la France pendant la guerre d'Algérie, le
père d'Hassina a entouré ses enfants d'un "halo"
de silence.
Les propos de Karim participent d'une
même analyse : « [Mon père] a honte de raconter
à ses enfants qu'il a trahi son pays, ouais... ouais, on peut
l'expliquer comme ça sur le plan psychologique. Il a honte de nous
raconter pourquoi il a choisi, pourquoi il a combattu (...). Pour moi, on
pourrait dire : c'est la honte de dire à ses enfants :
«J'ai trahi mon pays» ». Dalila
(23 ans) conçoit également qu'un des fondements
du silence de son père puisse être une part de honte. Mais, selon
elle, il s'y ajoute le poids de l'incrédulité devant la tournure
des événements - d'une incrédulité faite
amertume : « Il n'imaginait que la France perdrait, il me
disait : «C'était des chars, des avions contre des
hommes». En fait, il ne se rendait pas compte ». A cet
égard, quoique dans une optique quelque peu différente, les
propos de Mohamed, lui-même ancien harki et président de
l'association des anciens harkis et de leurs enfants sise à
Largentière (voir ci-dessus et la partie 1), traduisent parfaitement le
sentiment d'abandon sinon de "trahison" des intéressés face
à ce que fut l'attitude de leurs autorités de tutelle à
leur arrivée en métropole :
« Pourquoi les journalistes ils viennent pas
[à notre arrivée en métropole] ? Pourquoi les
journalistes ils demandent pas ? Pourquoi maintenant y'a quelque chose les
journalistes ils vont partout à la télé ? Parce
qu'à l'époque y'en avait pas ? Si, il y en avait des
journalistes, mais c'était interdit par le ministre. Y'a des bateaux et
des bateaux qui ont débarqués à Marseille : est-ce
qu'il y a une fois un journaliste qui est venu ? Ça fait trente-six
ans que je suis là, jamais un journaliste est venu me demander quoi que
ce soit. Des fois ils passent l'émission à la
télé... ils passent une émission [NDA : une
émission sur les « porteurs de valise diffusée à
l'automne 1998 sur Arte] qui est étranger à notre cause,
là... c'était pas ça. Y'a beaucoup d'émissions je
suis pas d'accord avec elles. Y'a des choses bizarres... en Algérie, des
ministres, eh ! ben, ils viennent nous voir là-bas. Et puis quand
on est ici, à côté, il n'y a aucun de ces ministres qui
vient nous voir. C'est pourtant des rapatriés, là. Bah, aucun.
Messmer, quand il était ministre des Armées, Michel Debré,
quand il était Premier ministre, ils sont venus plusieurs fois, ils ont
salué les harkis, ils ont salué même leurs familles, et
là, depuis 1962 qu'on est rentrés ici, il n'y en a aucun qui
s'est déplacé, qui est venu nous voir... jamais. Y'en a qui sont
vivants et y'en a qui sont morts ».
Par surcroît, mais pour ce qui a trait
spécifiquement à la situation des familles
"disséminées" (par opposition aux familles regroupées dans
des cités périurbaines, notamment dans le sud de la France) le
manque de "liant" communautaire surexpose le père au regard d'autrui et
accentue potentiellement les effets du stigmate d'infamie, donc le repli sur
soi. L'isolement de la famille d'Hassina, le manque de "liant"
communautaire, est ainsi une des raisons du mutisme de son père :
« On vit dans une ville où il y a très peu de harkis,
contrairement à d'autres familles qui étaient parfois
regroupées (...) et c'est vrai que ça a
généré des réactions assez néfastes (...).
[On lui faisait sentir] qu'il était traître de
l'Algérie ». Hassina souligne l'importance de
l'encadrement ou, symétriquement, de l'absence d'encadrement
communautaire dans la manière dont les harkis vivent leur
"déchirure" : « C'est quand même lourd à
porter, hein, d'avoir combattu contre son pays, et c'est bien ou bien, ou mal
vécu, tout dépend de la manière dont la personne est
entourée, encadrée, je crois que c'est très important
parce que... le cas des harkis qui vivent dans le sud, qui sont très
nombreux, qui vivent pratiquement en communauté, est assez
différent de celui de mon père qui a vécu assez peu
entouré de harkis finalement et qui s'est trouvé toujours
confronté au regard de l'Algérien porté sur
lui ». Pareillement, François pointe
l'existence de silences "préventifs", ajustés à la
définition de la situation, notamment dans certaines banlieues
« où il y avait essentiellement des maghrébins, donc le
père ne l'assumait pas par rapport aux autres, il le cachait, il voulait
protéger ses enfants ».
Pourtant, si les modes d'implantation communautaires et les
formes de sociabilité qui leur sont associées peuvent contribuer
à rendre les Français musulmans rapatriés plus
"assurés" d'eux-mêmes ou, tout au moins, plus "hermétiques"
aux assignations statutaires dévalorisantes formulées par autrui,
ces « réserves d'Indiens » (selon l'expression de
Maurice Benassayag, ancien secrétaire d'Etat socialiste aux
Rapatriés) que sont les cités-ghettos et autres hameaux
forestiers sont vectrices, par la coupure qu'elles créent entre les
harkis et le reste de la population, d'autres formes de blocage psychologique.
Ainsi, selon Dalila (23 ans), les camps de
transit et les hameaux forestiers ont servi à "cacher" les harkis, comme
si on avait voulu leur signifier qu'ils devaient se sentir honteux de ce qu'ils
avaient fait. Une forme de stigmatisation tacite, "en creux", qui, selon elle,
a contribué à culpabiliser les harkis et à les faire se
refermer sur eux-mêmes, à taire leur histoire, y compris
vis-à-vis de leurs propres enfants : « Ça a
contribué à les culpabiliser, le fait d'avoir été
cachés comme ça, ça je suis sûre qu'ils en ont
conscience, et ça a dû faire que eux-mêmes se sentent
coupables, on les a forcés à se sentir coupables (...). C'est
peut-être aussi pour ça qu'ils ont tant de mal à en parler.
Je suis sûre que ça a une incidence ».
En outre, le regroupement des familles de Français
musulmans rapatriés à l'écart du reste de la population,
forme de ghettoïsation qui signifiait combien les harkis étaient
considérés comme des "Français entièrement à
part", a pu conduire ceux-ci à reconstituer un mode de vie communautaire
centré autour des traditions d'origine, marque d'un "repli" identitaire
sur un mode de vie apolitique ou "a-historique". Ainsi, l'exemple de
François, qui a été élevé
« autour d'une très forte communauté harkie »
dont il souligne qu'elle est « d'origine kabyle »,
suggère que l'affirmation et la transmission de la
"berbérité" par les Français musulmans rapatriés
"d'origine kabyle" auprès de leurs enfants, permettent, dans une
certaine mesure, de sortir de l'ambivalence créée par le clivage
de fait entre racines algériennes et engagement, sinon "pour", du moins
"avec" la France ; la référence à la
"berbérité", dans son versant coutumier, dégagerait la
communauté de l'obligation d'assumer un positionnement dicté par
les méandres d'une Histoire qui s'est construite sans eux et quelquefois
contre eux, entre nationalisme algérien et intégrationnisme
français. De fait, explique François,
« pendant longtemps, j'ai pas vraiment su ce que c'était qu'un
harki (...) parce qu'on était pratiquement qu'entre nous [entre
Kabyles], y compris à l'école où il y avait beaucoup
d'enfants de harkis ».
Par-delà la crainte du désaveu (vis-à-vis
de ses enfants, de son entourage et de son voisinage plus ou moins
immédiat), c'est très certainement la crainte de réveiller
ou d'aviver les séquelles héritées de la séquence
de guerre et de la période d'après-guerre, de la violence
donnée et de la violence reçue, qui explique le mutisme des
pères. Les femmes de harkis ne sont d'ailleurs pas exemptes de tels
traumatismes, comme en témoigne madame Allem, de Bias, aujourd'hui
divorcée :
« Je vis seule dans ma maison, à Bias, avec
mon vieux berger allemand. J'ai toujours une machette à portée de
main, parce que j'ai peur que les fellagas ou les Chaabs ne viennent
m'égorger la nuit. J'ai toujours peur »1438(*).
Symptomatiquement, les premiers travaux universitaires
publiés autour de la communauté des Français musulmans
rapatriés au cours des années 1970 furent des travaux
d'étudiants en médecine. Ceux-ci furent relativement nombreux
à choisir comme objet d'étude la population des anciens harkis
internés dans des établissements psychiatriques, sans doute en
raison de la fréquence anormalement élevée de ces
internements. Certes, il nous a été donné de voir que
certains chefs de camps usaient desdits internements (ou de la menace
d'internement) comme d'une sanction disciplinaire : par suite, nombre
d'entre eux peuvent être considérés comme abusifs (voir la
Partie 1). Il n'en reste pas moins que le sentiment de culpabilité des
pères, ajouté au traumatisme de la guerre et aux douleurs de
l'exil, ont acculé nombre d'entre eux à des comportements de
fuite de la réalité (alcoolisme), voire à des
comportements de démence. Les études, les ouvrages à
portée autobiographique (publiés notamment par des filles de
harkis : Djami, Zahia Rahmani, Dalila Kerchouche ou Fatima Besnaci-Lancou,
par exemple) mais encore les témoignages formels ou informels recueillis
dans le cadre de mes propres investigations concordent d'ailleurs sur ce
point.
Zahia Rahmani évoque ainsi les crises hallucinatoires
chroniques auxquelles son père était en proie avant son
suicide ; mais encore la fin brutale de son oncle, ancien harki lui aussi,
victime d'une crise de démence aussi bien que du traitement de "choc"
(et de chocs) qui lui fut infligé en retour :
« Personne ne supporte cette mort-là [son
suicide]. Moze a glissé ! Il ne s'est pas tué, non. Ses amis
le pleurent. Allez les voir, il leur manque. Pour eux, il était un
héros. Un évadé, un survivant. Nous on l'a vu qui
tremblait et qui pleurait, on l'a entendu hurler des noms la nuit, mais eux ils
n'en veulent pas de cette mort-là ! Pas cette fin ! Pas
lui ! Ce ne sont pas ses amis, ce sont des lambeaux. La mort les ronge
depuis quarante ans ! Tout en eux est mort. Ce sont des loques. Aphasiques
parmi les vivants ! Et chaque fois que l'un d'eux tombe, ils se retrouvent
dans cet état, incrédules ! L'asile d'aliénés
est leur seule demeure. Certains y vivent, d'autres y meurent. Le frère
de Moze, l'autre frère emprisonné, celui qui comme lui s'est
évadé, lui, il y est mort. A peine quarante-huit heures dans un
de ces bâtiments et il y est mort. On a relevé cinquante-deux
traces de coups et de piqûres sur son corps. Cinquante-deux.
Cinquante-deux coups qu'il lui a mis l'hôpital psychiatrique, cinquante
deux doses de violence et de substances dégueulasses pour le
flinguer »1439(*).
Pour sa part, Jean-Claude, secrétaire
de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière,
dresse un sombre panorama des incidences psychopathologiques de la
transplantation puis de l'administration en vase clos des anciens
harkis :
« Au niveau de la cité, et des harkis
eux-mêmes, j'trouve que... si on... si on fait le point un peu, on a
quand même des gens... on a quand même beaucoup de gens malades.
J'crois qu'il y a beaucoup de gens qui... tous les harkis, pratiquement,
j'crois que... oui, je peux faire le tour, je peux pas en trouver un...
j'essaye, malheureusement, de... sauver la mise, j'en vois pas un seul qui...
qui n'est pas atteint d'un trouble quelconque. Plus que somatique, je veux dire
(...).Et en fin de compte, quand on recherche le... le mal, le responsable,
disons, l'origine de ces maux, on s'aperçoit que c'est en fin de compte
une blessure qui n'a pas été... qui n'a pas été
pansée, au niveau de... de la guerre d'Algérie. Et surtout au
niveau de leur arrivée, je crois que la guerre d'Algérie, c'est
une chose, mais la phase la plus critique, ça a été leur
accueil, l'abandon qui a été fait sur place. Et ensuite leur
insertion. J'veux dire, jusqu'aux années 1980, quand même,
jusqu'aux années 1981... on pourrait presque dire 1985, mais en
étant large, on dira 1981, on n'a absolument pas, au niveau national et
au niveau politique, pris en compte les conditions de vie. On s'est pas
soucié de qu'est-ce... qu'est-ce qu'ils devenaient, où ils
étaient - on les avait parqués, ils étaient là, ils
vivotaient, j'crois que quelque part on avait espoir qu'ils
s'éteindraient. Tout doucement, et on en entendrait plus
parler ».
Mohamed (35 ans), qui vit lui aussi à
Largentière, souligne pour sa part combien les contrecoups de ce
régime d'exception se jouent des frontières
générationnelles :
« Dans cette jungle, soit vous commencez à
disjoncter, on en a eu des amis qui ont disjoncté, et... soit vous vous
laissez aller, vous devenez fataliste et attentiste, soit vous essayez de vous
battre, mais, encore une fois, toujours contre des moulins à vent, parce
que y'a personne en face. Y'a personne. Même nos administrations jouent
le jeu, tendent à faire que le système soit comme ça.
Même nos administrations. Alors, vous, quand demain vous allez crier au
loup, vous connaissez l'histoire du loup ? On va vous arrêter tout
de suite, pourquoi ? Parce qu'on sait très bien que parmi
l'administration, y'a des gens comme ça : vous allez passer pour un
malade mental, et vous allez vous faire interner, on en a quatre ou cinq ici,
à la cité, qui se sont fait internés, ça fait un
taux élevé, des jeunes qui ont pété le "boulard"
parce que : pas de travail, rien, rien, mais rien, rien, rien, rien. Les
yeux pour pleurer. Rien ».
En outre, les ouvrages précédemment cités
- notamment ceux à portée autobiographique - témoignent
pour leur compte ou indirectement d'un phénomène longtemps
passé sous silence par les anciens harkis eux-mêmes, bien
sûr, mais aussi par les enfants, à savoir : la
fréquence anormalement élevée des comportements de
violence conjugale - voire familiale - au sein de cette communauté,
particulièrement dans la promiscuité des camps de transit. Les
mains courantes des personnels administratifs de ces camps, rendues publiques
par certains de ces auteurs, en donnent d'ailleurs confirmation. Madame Betha,
de Mende, a vécu et subi dans sa chair la déchéance d'un
mari laminé psychologiquement par la guerre et ses
après-coups :
« J'ai tout vécu avec mon mari. La guerre,
l'exil, les camps. Quand il est sorti de prison, en 1968, il avait
complètement changé. Il buvait, il avait plein de cicatrices sur
le corps et il nous battait tout le temps, moi et mes enfants. Je n'en pouvais
plus. Alors, j'ai divorcé ». Et elle ajoute :
« Puis il a touché des indemnisations ; moi, je n'ai rien
perçu, alors que moi aussi j'ai souffert. Moi aussi j'ai tout perdu en
Algérie. A lui l'argent, à moi les enfants et la misère.
Les femmes de harkis n'ont aucun droit. Elles n'existent pour
personne »1440(*).
De même, Madame Haffi, de Bias, n'a pas de mots assez
durs pour dire ce que fut le martyre de certaines femmes de harkis,
souffre-douleur de maris eux-mêmes voués à
l'autodestruction :
« Mon mari était violent. J'ai
divorcé en 1975. Il buvait, me frappait, et il m'a tiré dessus
deux fois avec sa carabine. Le soir, il rentrait ivre et je m'échappais
par la fenêtre avec mes enfants. La guerre d'Algérie l'avait
brisé. Beaucoup de harkis ont tué leur femme d'un coup de fusil.
Ils avaient des armes parce qu'ils avaient peur du FLN et des Chaabs
(Algériens). Et ils étaient portés sur la bouteille parce
qu'ils ne travaillaient pas. La guerre les a rendus fous ». Et elle
ajoute, à l'instar de madame Betha : « J'ai
travaillé aux champs et à l'usine pendant vingt ans. Aujourd'hui,
alors que ma vie a été plus dure encore que celle de mon mari, je
n'ai pas été indemnisée, je n'ai droit à rien. Moi
aussi j'ai subi la guerre comme mon mari. Moi aussi j'ai reçu des
pierres quand on a quitté l'Algérie, moi aussi on m'a
insultée, moi aussi on m'a enfermée dans des camps. Mais,
aujourd'hui, ma vie et ma souffrance n'existent pour personne. Je vis avec
2.800 francs par mois, une misère. Honte sur la France de nous laisser
crever comme ça »1441(*).
Cependant, les récits de violence conjugale ou
familiale sont restés rares et, au mieux, allusifs au cours des
entretiens formels et même informels qu'il m'a été
personnellement donné de conduire1442(*). Deux personnes - un garçon et une fille -
m'en ont fait part à demi-mot, l'un et l'autre plusieurs années
seulement après notre première rencontre. La jeune femme en
question est la soeur de Djami, l'auteur de C'est la vie, un
récit aux accents parfois naïfs mais traversé de bout en
bout par les actes de violence et de démence alcoolique du
père1443(*).
Enfin, l'évocation de suicides (ou de tentatives de
suicide) des pères, mais aussi des enfants, ponctuent la plupart des
récits qui m'ont été faits sur la situation de cette
communauté : beaucoup ont eu à subir dans leur entourage, ou
à connaître auprès de leurs connaissances, de telles
tragédies. Ainsi, Zahia Rahmani a construit son récit à
portée autobiographique, un récit enfiévré
intitulé Moze (le prénom de son père), en
partant du suicide de ce dernier, au sortir d'une cérémonie du
11-novembre1444(*) : « C'est arrivé le 11
novembre. Mais c'est venu bien avant. Vivant, il était mort »,
écrit-elle à l'entame du Prologue. Elle ajoute presque
aussitôt :
« Moze est mort avant sa mort. Ses pleurs,
c'était sa mort qui gémissait. Debout, la nuit, dehors, dedans,
seul ou avec nous, une affection de larmes. Une mort qui dure. Il
n'était que ce débordement sans voix. Un râle, à la
manière sourde d'une bouche ouverte. Moze est un supplétif de
l'armée française. Il a rejoint ses compagnons d'armes le 11
novembre 1991. A 8 h 30, on l'a vu qui saluait le monument aux victimes de la
Grande Guerre. A 9 h 15, deux chasseurs le trouvaient noyé flottant dans
l'étang communal. Ses lunettes et son chapeau étaient près
de lui »1445(*).
Un fils de harki, Bachir, rencontré au service des
rapatriés de la préfecture de Paris, et qu'il m'a
été donné de fréquenter régulièrement
par la suite, m'a fait connaître plusieurs années après
notre première rencontre que son père, après avoir
été sujet à des crises de démence durant lesquelles
il "revivait" ses guerres (Seconde guerre mondiale, guerre d'Indochine, guerre
d'Algérie), a mis brutalement fin à ses jours. Enfin, dans son
livre intitulé Mon père, ce harki, Dalila Kerchouche
rapporte le suicide d'un de ses frères, incapable de trouver sa place
dans la société d'accueil.
Autant de fléaux qui, à l'évidence,
traduisent la difficulté des pères à assumer leur
destinée et/ou à panser leurs plaies : une violence
"rentrée", exercée contre soi ou contre les siens, clair aveu
d'impuissance face à la situation qui leur est faite, en France et en
Algérie, depuis la fin de la guerre. Cette forme de sidération
au long cours, Moze, le père suicidé de Zahia Rahmani,
l'exprimait à sa façon, de son vivant : d'après sa
fille, son insulte préférée était
« visage de soixante-deux », ce qui - bien plus que de
longs discours - dit la fixation devant l'horreur et dans la douleur. De
même, Mohamed, qui préside à Largentière
l'association des anciens harkis et de leurs enfants, nous a dit avoir la
sensation singulière d'être « mort en
1962 » :
« A quoi pensiez-vous, Mohamed, lorsque vous
étiez sur le bateau entre l'Algérie et la France ? Vous vous
en rappelez ?
- Euh... c'était fini, quoi. Déjà, en
Algérie, on a déjà pensé qu'on était morts
en 1962. (...) On attend encore la mort, maintenant, que...que la mort elle
arrive, quoi
- A ce moment-là, vous n'avez pas regretté de
vous être engagé ?
- Oui, mais en tout cas moi personnellement, je suis mort en
1962. Pour moi, c'était la fin.
- C'était trop dur à vivre
l'exil ?
- Voilà. Je suis mort en 1962. Pour les jeunes qui sont
nés ici, encore... mais pour nous... on a pas là-bas, ni
ici ».
Ainsi, quelles qu'en soient les manifestations, la force de
l'interdit au sein de la sphère familiale - repli mutique,
sidération ou, plus rarement, violence retournée contre soi et
les siens - signe l'impuissance des pères à faire face aux affres
de la réminiscence. Cependant, souligne Vincent de Gaulejac,
« le silence qui accompagne la honte n'est pas seulement produit par
la difficulté d'en parler : il est aussi fonction des
résistances à la recevoir »1446(*). Par souci de ne pas
transgresser le tabou paternel, mais aussi d'éviter le conflit, les
enfants n'osent que rarement faire le premier pas et solliciter directement
l'expression d'une parole qui, spontanément, se dérobe. Or,
derrière les frustrations identitaires "rentrées" de la
génération suivante se profile, parfois, l'ambivalence des
sentiments filiaux.
- 2. La résistance à la recevoir (du
côté des enfants) : l'évitement du conflit ou la
délicate transgression du tabou paternel
Très tôt, la force de l'interdit est
"intuitivement" perçue par les enfants de harkis qui s'abstiennent
d'interroger, de questionner leur père des années durant :
« On a senti que c'était quelque chose dont
il ne fallait pas parler parce que c'était une blessure qui
n'était pas encore pansée et que c'était quelque chose
qu'il refusait de divulguer, quelque part, à ses enfants. On sentait...
en fait, c'était presque intuitif »
(Hassina).
Le respect du tabou paternel est corrélatif du souci
des enfants de harkis de ne pas générer le conflit avec leur
père, fût-ce au prix de leur équilibre personnel :
« Je suis d'une génération où
les questions ne se posent pas à un père. Y'a quand même
des valeurs humaines, des valeurs chez nous qui sont le respect et... et
ça on ne peut pas passer outre, c'est impossible. Encore jusqu'à
aujourd'hui je... j'ai beaucoup, beaucoup de respect même si...
même si j'ai mal vécu à cause de lui (...) »
(Dalila, 37 ans).
Hassina s'est longtemps refusée
à faire oeuvre de connaissance à propos de l'histoire des harkis.
Non pas qu'elle ne voulait pas savoir, mais elle ne cherchait pas à
savoir, respectant en cela le silence de son père, sa fêlure
intérieure :
« Je ne faisais pas l'effort d'aller chercher... je
refusais en fait. Je savais que c'était quelque chose qui faisait
peur... qui faisait mal à mon père et je ne voulais pas plonger
dans cet univers ».
Pour sa part, Ahmed se refuse absolument
à se mettre dans une position telle qu'elle l'amène à se
poser en juge de son père, et qu'elle amène son père
à se sentir jugé par son propre fils, ce qui, s'ajoutant aux
pressions l'environnement social, ne lui laisserait aucun refuge, aucun espace
de repli :
« Je lui parle de l'Algérie, mais je lui
parle pas de cette époque là, parce qu'on a tout fait pour leur
faire croire qu'ils avaient... j'veux dire, à partir du moment où
la décision d'aller vers l'indépendance a été
prise, on a plus voulu entendre parler d'eux... et moi, quelque part, je veux
pas l'emmerder : s'il a envie d'en parler avec moi, on en parle... en tout
cas, moi je dirai jamais que nos parents c'est des traîtres... et,
quelque part, le fait d'en parler, ça suppose que je me pose des
questions, j'sais pas... c'est facile de dire aujourd'hui que nos parents c'est
des traîtres, c'est ceci ou c'est pas ceci... j'veux dire, nous on jamais
connu une guerre, on ne sait pas ce que c'est, donc c'est facile de parler.
Moi, je dis qu'il a agi au mieux pour l'intérêt de sa famille. En
tout cas, je le questionne pas ».
De même, pour Hassina, refuser de
forcer les non-dits de son père, c'est aussi une manière de ne
pas se mettre en position de juger et, ce faisant, de ne pas
générer en elle un « autre conflit », un
conflit de "loyauté" :
« En fait, je voulais que ce soit un apport
extérieur, et pas que ça vienne de moi. En fait, pas que
ça vienne de moi parce que (...), quelque part, c'était
générer un autre conflit pour moi (...) ».
Ainsi, la résistance à recevoir, l'acceptation
du "non-dit" ou du "moins-disant", pour frustrantes qu'elles soient, peuvent
être pour les enfants, dans un premier temps du moins, les solutions qui
apparaissent les moins lourdes de conséquences. Car quérir cette
parole interdite, c'est risquer d'être à son tour exposé au
dilemme consistant soit à devoir assumer cet héritage pour ne pas
trahir (intériorisation), soit à le rejeter sciemment
pour ne pas devoir subir - par procuration, en quelque sorte - les avanies de
l'environnement social, au risque de se poser en juge de moralité
à l'égard de ses parents (forclusion). Dilemme difficile
à trancher à l'adolescence, et qu'une attitude de retrait
volontaire, de non-transgression du tabou paternel, permet de "fuir"
momentanément au risque de constituer une entrave au processus
d'autonomisation.
Certains, pourtant, osent transgresser l'interdit au risque de
susciter un rapport de force filial et de se heurter à une claire fin de
non-recevoir :
« Quand ma mère nous racontait, nous on
voulait en savoir plus, surtout moi et mon frère, et on essayait de...
forcer mon père à raconter, mais comme lui il est pas très
communiquant (...). Lui, je pense qu'il préfère et qu'il
préférait oublier, et pourtant on lui pose des questions et il
s'énerve un peu parce qu'il a pas envie de revenir en arrière,
quoi » (Jacqueline).
Le père de Dalila (23
ans), pressé par sa fille de lui en dire davantage, exprime lui
aussi de la réticence à revenir sur son passé, à
établir un dialogue avec ses enfants à ce sujet :
« Il me le dit lui-même : j'ai pas trop
envie d'en parler, c'est du passé, je préfère pas y
penser ».
Cette difficulté à forcer les
« réserves du moi » paternelles est une entrave dans
la recherche d'identité de l'adolescent :
« Ça restait un sujet tabou à la
maison (...). Je ne sais pas s'il voyait qu'on était en train de
rechercher une certaine identité, je ne sais pas s'il concevait tout
ça » (Hassina).
Inévitablement, l'inhibition du jeu des
questions-réponses relatives à la mémoire familiale est
génératrice de frustration identitaire. C'est
Dalila (23 ans) qui, constamment, fait le
premier pas, va vers son père, lui pose des questions ; elle a
toujours été très frustrée par ses réponses,
et l'est encore aujourd'hui :
« Ça me manque énormément,
c'est pour ça que je vais tout le temps vers lui (...). Ce week-end
encore on en discutait, je lui posais des questions (...). En fait, c'est
quelque chose auquel je pense souvent ».
Même frustration, même incompréhension chez
Karim, qui n'a de cesse de sonder les arcanes du silence de
son père :
« Tu te dis : «Mais
merde !» ; ton père il a fait ceci, il a fait cela, il
t'en a jamais parlé, c'est toi qui t'en es... au devant, pour essayer de
comprendre, pour essayer de cerner ce problème-là, le
problème des harkis (...) ».
Ce sentiment d'incomplétude est d'ailleurs susceptible
de nourrir l'ambivalence des sentiments filiaux, comme en témoigne
Pierrette, citée par Mohamed Kara :
« Beaucoup de parents n'expliquent pas à
leurs enfants pourquoi ils ont fait ce choix. Moi, je sais que quand je ne
savais pas, quand je ne connaissais pas l'histoire, des fois je me
disais après tout, si je me mets à la place d'un
immigré, est-ce que je ne vais pas me dire finalement que c'est des
traîtres ? ».
Ainsi en va-t-il également de Karim,
dont nous avons vu la frustration :
« Moi, dans la vie... j'ai eu une
déception : c'est mon père. Pour moi c'est une
déception : pourquoi il nous a pas raconté son... son
"bordel", quoi ?! Pour moi c'est un bordel : ce qu'il a vécu,
pourquoi il a fait ce choix, pourquoi ceci, pourquoi cela... non. Et ça
restera toujours un secret (...). Simplement, je pars d'un principe : on
vient au monde, tôt ou tard tu pars, mais vaut mieux laisser des traces
avant que tu partes (...). Mon père, j'te dis franchement, je l'ai mis
de côté, quoi (...). J'veux dire, j'ai un père qui a
toujours gardé, gardé, gardé... et il est
malheureux : «Vas-y, garde, garde, garde, et tu es malheureux
à force» » (Karim).
B. « Le manque du père de l'avoir
introduit au monde » (Jacqueline Palmade) : un obstacle à
la « dynamique de l'appropriation » (Jean-Pierre
Terrail)
Selon Edmond-Marc Lipiansky, il existe tout un faisceau
d'étayages mutuels entre l'identité personnelle et la
groupalité. Le groupe comme totalité constitue un objet
d'identification sur lequel l'individu peut appuyer son
identité :
« L'identification procède d'abord d'un
mouvement allant de l'entourage vers l'enfant : c'est l'entourage qui lui
apprend quelle est sa place dans la société (...). L'enfant
intériorise peu à peu ses groupes d'appartenance, les "nous"
auxquels il participe ; ces "nous" s'inscrivent dans une stratification
sociale où ils se situent les uns par rapport aux autres, dans des
rapports de pouvoir et dans une histoire qui a déposé dans la
mémoire du groupe tout un ensemble d'événements,
d'expériences, de modèles et de
représentations »1447(*).
La réactualisation permanente de la conscience de soi
par le récit - de soi à travers le roman des origines du groupe -
constituent des conditions essentielles du maintien et de la
réappropriation, d'une génération l'autre, de noyaux
identitaires spécifiques à chaque communauté. La fonction
du récit identitaire est de rendre normal, logique, nécessaire,
inévitable, le sentiment d'appartenir, avec une forte intensité,
à un groupe. « L'identité est en dernière
instance un effet d'énonciation », écrit Edmond-Marc
Lipiansky : « L'identité naît de l'affirmation qui
la pose »1448(*).
En ce sens, le "non-dit" au sein de la sphère familiale
est un obstacle à la dynamique de l'appropriation. La parole
euphémique des pères, conséquemment la
précarité de l'ancrage identitaire des enfants de harkis,
provoquent, nous l'avons dit, un « brouillage des catégories
servant à se définir et à définir les
autres » (Claude Dubar). L'espace transitionnel entre soi et le monde
est envahi par le doute et la confusion. Ce "malaise dans la
filiation"1449(*),
cette mémoire en déshérence, refoulée par les
pères, quêtée par les enfants, serait un obstacle tant
à l'épanouissement individuel des fils et des filles de harkis
(en tant qu'il entrave la recherche d'une identité personnelle
assumée) qu'à l'émergence d'une conscience collective,
spécifique de la deuxième génération de harkis.
Claude Dubar :
« L'identité de quelqu'un est ce qu'il a de
plus précieux : la perte d'identité est synonyme
d'aliénation, de souffrance, d'angoisse et de
mort »1450(*).
Précisément, l'appropriation de la
mémoire dans une visée de construction identitaire, la
constitution d'un référentiel d'identité spécifique
de la deuxième génération de harkis sont rendues
délicates par l'indétermination de l'héritage
mémoriel des pères :
« On a jamais pensé à la
deuxième génération qui... bien plus que le harki a
donné parce que... c'est pas facile d'être dans un pays
étranger et de grandir sans repères, sans rien (...). Ceux qui
sont aujourd'hui complètement déphasés, qui sont encore
dans des camps, ceux qui... ben, qui n'ont plus de raison, parce qu'il y en a
beaucoup qui se disent ça. Parce que moi j'en connais personnellement
qui... qui ont des maisons, qui ont réussi leur vie, et tout, mais dans
leurs têtes ça va pas du tout, puis ça n'ira pas ;
ça n'ira pas parce qu'ils ont pas grandi avec... une réponse,
avec... les parents n'ont jamais rien dit ; jusqu'à aujourd'hui,
ils posent toujours la même question, à savoir : qu'est-ce
qu'un harki ? Ils ne le savent pas » (Dalila,
37 ans).
Pour Dalila (23 ans), qui ne trouve pas dans
l'attitude élusive de son père le point d'ancrage
souhaité, la question de son identité a été
très tôt - dès l'âge de dix ans - source
d'incertitude (« Est-ce que je suis Française ? Est-ce
que je suis Algérienne ? Est-ce que je suis Arabe ? Qu'est-ce
que je suis ? ») et d'anxiété (« Je suis
Arabe, je suis pas Française, c'est pas possible, qu'est-ce qu'on fait
là ? On devrait être là-bas, c'est pas
normal... ») :
« Quand j'étais petite, quand j'avais dix
ans, [mon père] me posait la question pour plaisanter :
«Est-ce que t'es Arabe ou Française ? Comment est-ce que tu te
considères ?» (...). Et moi je répondais toute
fière : «Mais je suis Arabe ! Je suis pas
Française...» ».
De même pour ce fils de harki anonyme, interrogé
par Mohand Hamoumou, qui dit « [avoir longtemps] vécu et
grandi avec plus de questions que de réponses » :
« Longtemps, je me suis demandé si nos
parents n'avaient pas perdu la mémoire. Il nous manquait à nous
les enfants des morceaux de notre histoire. Pourquoi étions-nous
là ? Pourquoi avions-nous un prénom français, une
carte d'identité française, pas d'idée de retour en
Algérie ? Pourquoi nous ne répondions pas aux attaques, aux
insultes parfois de certains Algériens ? Je ne comprends pas
pourquoi les immigrés pouvaient venir librement en France et que nos
pères ne pouvaient pas aller librement en Algérie. Pourquoi le
gouvernement français acceptait tout
ça ? »1451(*).
A l'adolescence, l'absence de "réponse", le manque de
repères, troublent et désorientent l'appréhension de soi
des enfants de harkis, plus encore lorsque, à l'instar de
Mohamed1452(*) (42 ans1453(*)),
on est orphelin de père (en l'occurrence, à la suite
d'un accident du travail) :
« (...) quatorze ans jusqu'à dix-huit ans
paumé, complètement paumé, très sincèrement
je me demandais comment je pourrais vivre, comment j'allais pouvoir retrouver
des références par rapport au pays dans lequel je vivais,
c'est-à-dire la France, et on a eu des moments de doute, très
forts (...) ».
Hassina, à l'âge
charnière de la fin de l'adolescence, à l'heure où la
quête de l'autonomie passe par la prise de conscience de soi, a elle
aussi traversé une crise identitaire majeure, au point de se sentir
« perdue », sans repères :
« J'ai eu de gros problèmes
d'identité vers l'âge de 18-20 ans (...). Te sentir perdu,
c'est... y'a pas plus grave dans la vie, hein ».
Parce qu'inassouvie, dans l'enfance et à l'adolescence,
par l'identification à la figure évanescente du père, la
quête identitaire des enfants de harkis doit se re-construire tout au
long de la vie :
« Mes frères et soeurs, quand je dis mes
frères et soeurs c'est mes compatriotes de la deuxième
génération (...), ils ont aucune pensée, quoi, (...)
disons qu'ils fuient... c'est : «Je fuis mon identité»,
quoi, «je suis mal dans ma peau» ; je peux te dire, j'ai
été mal dans ma peau jusqu'à l'âge de... 25 ans
(...). Et surtout, ça c'est clair, c'est grave. Y'a des moments
où tu te dis : «T'as pas d'identité» (...).
Même maintenant, même maintenant j'ai pas d'identité.
Même maintenant, je m'appelle Karim mais j'ai pas
d'identité » (Karim).
De même, jusqu'à aujourd'hui,
Dalila (23 ans) peine à se
définir et à définir ses attaches :
« Je me sens française mais... pas tant que
ça en fait ; pas tant que ça parce que j'ai pas l'impression
de partager un passé avec la France (...). En France, y'a pas mes
racines ».
K.D. Bouneb a souligné dans ses travaux la
difficulté qu'ont les enfants de harkis à s'identifier à
une communauté nationale précise : « Le territoire
Français Musulman ne se définit pas par un espace
géographique tangible, mais beaucoup plus par une condition historique
comme l'a très bien souligné un jeune qui a participé
à l'enquête : «Nos parents ont été foutus
dehors, on n'a pas de pays, il faut qu'on s'en invente
un» »1454(*). Issus d'une diaspora sans attaches ni terre
promise, « les enfants de harkis, (...) ballottés entre une
identité française et une identité algérienne,
revendiquent assez souvent une identité qui n'est ni l'une ni l'autre,
ils réclament une identité autre »1455(*).
Le sentiment d'appartenir à une communauté sans
lieu à soi, donc sans influence et sans existence réelles (au
sens de tangibles) est très répandu chez les enfants de
harkis :
« En fait, c'est comme si vous existiez pas, vous
avez pas de pays, des fois on se dit : «Mince ! On a pas de
pays», quoi, on est des apatrides, on flotte entre deux pays, on est
rejetés d'un côté et d'un autre »
(Jacqueline) ; « C'est ça le
problème : c'est qu'on n'a ni la France, ni l'Algérie, on
n'a rien, on est seuls. On n'a pas d'Etat, on n'a pas d'états
d'âme, donc on n'existe pas »
(Régika).
« Les enfants de harkis, écrit K.D. Bouneb,
ont en commun un sentiment d'appartenir à un groupe particulier, et cela
quel que soit le lieu où ils vivent dans l'Hexagone. Ils se
définissent comme : «ni Algérien, ni
Français», ils sont "autres"1456(*) ; et l'auteur de s'interroger :
« Ce sentiment d'appartenance à une communauté
particulière peut-il subsister et se transmettre, tout en prenant des
formes spécifiques, sans lien affectif avec un territoire, comme cela
s'est produit pour les Tziganes ? »1457(*). Karim
spécifie lui aussi la deuxième génération par
référence à une « culture sans
patrie » :
« (...) quand je dis nous sommes confrontés
à trois cultures : il y a la culture française (...) ;
tu as la culture maghrébine ; et la troisième culture, pour
moi, c'est une culture sans patrie, sans patrie... c'est très grave.
C'est culture... oubli, dans l'oubli, on est oubliés, quoi (...). J'ai
toujours dit : le harki, c'est comme le Tzigane, c'est comme le
Gitan : on n'a plus de patrie (...). Sans papiers. Sans identité
(...). Sans patrie. Fils de harki sans patrie, ça... c'est la
vérité : Gitan sans papiers, voilà. Ouais,
voilà, on est des Manouches, quoi : ghettos, bidonvilles...
parqués ».
Ainsi, la France, de terre d'exil des Français
musulmans rapatriés, n'a su devenir, sur le plan affectif, mère
patrie de la deuxième génération, d'où cette
impression d' « avoir vécu en France sans vivre en
France » lorsque, à l'instar de Mohamed
(42 ans), on a passé sa jeunesse dans une
« cité-ghetto » ; de là,
également, cette impression de « ne pas exister »
(aux yeux d'autrui) lorsque, comme Dalila (37
ans), on se heurte à l'indifférence de l'environnement
social, qui se surajoute aux non-dits paternels :
« Lorsqu'on est venus à l'âge
adolescent, on a regardé ça plutôt sous forme de ghetto
que... qu'un camp d'urgence (...). La ville la plus proche c'était
Largentière, et il fallait descendre là, à six
kilomètres, pour rencontrer une personne étrangère
à la communauté harkie, donc... c'est vrai que c'est quelque
chose qui est très lourd, qui est très difficile à
admettre, dans la mesure où on vivait en France sans vivre en France,
hein, on était marginalisés déjà
géographiquement » (Mohamed, 42 ans) ;
« Pour l'instant, c'est pas le harki le plus fort, hein, parce que,
ben, le harki il est tout seul, il a pas de gouvernement derrière, il a
absolument personne, donc... il a même pas son identité pour se
révéler, c'est ça le problème (...). Nous, nos
parents, ils nous ont pas raconté parce qu'ils avaient honte. Mais les
petits Algériens qui sont nés en Algérie, les
immigrés qui sont arrivés, hier on leur a raconté, hein,
on leur a raconté l'histoire de... de l'Algérie, parce que c'est
chez eux, hein, mais nous on est arrivés en France : qu'est-ce que
vous voulez qu'un instituteur français aille nous raconter ? Il
peut pas. Il nous a pas... donc on n'existe pas, on ne sait rien finalement, on
nous a ramenés dans une terre... qu'on ne connaît pas
déjà, et on nous a pas dit pourquoi : on a grandi sans le
savoir (...). Et personne ne [nous] dira, et les médias on dirait... ils
nous boudent pas, mais quelque part ils nous en veulent. Quelque part tout le
monde nous en veut. Quelque part on nous en veut beaucoup. Bon, vous êtes
fort ou vous ne l'êtes pas. Vous le supportez ou vous ne le supportez
pas. Mais c'est comme ça » (Dalila, 37
ans).
Même ressenti chez Mohamed (35
ans), qui constate avec amertume qu'être fils de harki,
aujourd'hui, ramène surtout à un sentiment de
vacuité :
« C'est une position qui est très
délicate d'être fils de harki aujourd'hui. Ça ne veut rien
dire pour la plupart des gens. (...) Parce que même dans les livres
d'histoire pratiquement rien n'apparaît. (...) Au lycée ou
même à l'école... quand vous apprenez l'histoire, c'est pas
celle-là que vous apprenez, hein, non ! On l'a écrite avec
notre sang, mais celle-là elle est plus qu'occultée, hein, elle
existe pas, à croire que certains hommes politiques ont arraché
les feuilles de... de cette ère, c'est peut-être le cas. (...) Au
niveau de la parole, qu'est-ce que nous sommes ? On représente une
petite partie de la France, petite, mais alors, partie infime, rien. Rien. On
n'est rien, nous, sur l'échelle de la France, on est un petit pion, une
petite goutte dans l'océan ».
Parfois, le désir de ne plus être les otages de
la destinée insondable de leurs parents, le désir de ne plus
être prisonniers de questions sans réponses, nourrit chez les
enfants de harkis le rêve inaccessible d'un nouvel exil, volontaire
celui-là, hors les contingences de l'histoire :
« Parce que quand tu penses... tu te dis, ton
père : il a fait ça, il a fait ça, il a fait
ça... quand tu vois des documents, quand tu bouquines, quand tu te
documentes, tu te dis : «Putain, c'est pas possible, c'est pas
possible...». Tu te retrouves RMIste en France (...), parqué dans
un ghetto, euh... et les gens, en plus, racistes vis-à-vis de toi...
Pourquoi ? J'aurais dû rester Algérien, j'aurais dû
prendre le drapeau pas bleu-blanc-rouge, non, non, le vert. J'aurais dû
prendre le drapeau blanc-vert avec le croissant de lune et l'étoile. Moi
si je pouvais m'exiler ailleurs, franchement, si je pouvais brader ma
nationalité, je la braderais. Pas... pas pour un pays africain, hein,
mais pour un pays comme le Canada, l'Australie, euh... La nationalité
australienne ? Ou canadienne ? Ah ! Je brade ma
nationalité, la vérité. Là je dis :
«Tchao la France !». C'est dommage de parler comme ça
parce qu'en plus la France c'est le plus beau pays du monde. C'est dommage d'en
arriver à penser comme ça »
(Karim) ; « (...) quelque part, quand on y
pense, on se dit : «Qu'est-ce que je fous là ?».
Moi, personnellement, je voulais changer de nationalité et
partir » (Jacqueline).
Le discours identitaire est tout autant un discours sur
l'autre, ou les autres, qu'une proclamation de soi. « Il est comme le
rêve d'un Soi magnifié par le contraste de l'Autre »,
écrit Denis-Constant Martin1458(*). En l'espèce, la pauvreté relative de
l' « information sociale »1459(*) communiquée par les
Français musulmans rapatriés à leurs enfants, le
défaut de transmission de "symboles de prestige", ou "symboles de
statut", surexposent la deuxième génération aux "symboles
de stigmate", c'est-à-dire aux signes dont l'effet spécifique est
d'attirer l'attention sur une faille honteuse dans l'identité de ceux
qui les portent »1460(*). Or, l'individu stigmatisé qui
présente à autrui un moi "précaire" s'expose à
l'injure et au discrédit dans l'ordinaire des relations sociales. Il se
révèle vulnérable aux assignations statutaires
formulées par autrui et peu apte à soutenir un discours
offensif : l'énergie investie dans l'affirmation de soi
s'épuise le plus souvent dans la dénégation ou le
contournement des offenses stigmatisantes.
II. La construction routinière du rapport
« Nous / Eux » ou la difficulté d'être soi
dans l'ordinaire des relations sociales
Selon Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti,
« des processus de valorisation et d'invalidation traversent
continuellement les relations sociales »1461(*). Le jeu des assignations
statutaires participent de ce que ces auteurs appellent « la lutte
des places ». Les contacts impersonnels entre inconnus, en
particulier, sont le lieu d'élection des réactions
stéréotypées : « Le maniement du stigmate
n'est qu'un rameau d'une activité fondamentale dans la
société, à savoir le stéréotypage, le
"profilage" de nos attentes normatives quant à la conduite et au
caractère d'autrui »1462(*). Symétriquement, le sujet n'accède
à la conscience de son identité que dans un rapport à
autrui où il dépend intrinsèquement de l'autre pour sa
propre définition ; autrement dit, l'identité d'un individu
dépend autant des jugements d'autrui que de ses propres orientations et
définitions de soi. Erik H. Erikson :
« L'individu se juge lui-même à la
lumière de ce qu'il découvre être la façon dont les
autres le jugent par comparaison avec eux-mêmes et par
l'intermédiaire d'une typologie, à leurs yeux
significative ; en même temps, il juge leur façon de le
juger, lui, à la lumière de sa façon personnelle de se
percevoir lui-même, par comparaison avec eux et les types qui, à
ses yeux, sont revêtus de prestige »1463(*).
Cette description cherche à mettre en lumière
l'interaction étroite entre l'identité pour soi et
l'identité pour autrui, l'appréciation personnelle et la
comparaison sociale. A cet égard, Erving Goffman a souligné que
l'un des enjeux fondamentaux de l'interaction sociale était la "face"
que chaque protagoniste s'efforce de présenter et de faire
reconnaître - la face étant la valeur sociale positive, l'image de
soi, qu'une personne revendique à travers la ligne de conduite qu'elle
adopte dans les relations sociales où elle est engagée ;
l'identité sociale désigne donc la représentation de soi
que le sujet cherche à construire et à donner dans les
interactions où il est impliqué, représentation qui
demande à être confirmée et reconnue par autrui.
« La notion d'identité parle d'un être
et d'autres, donc des rapports entre celui-ci et ceux-là »,
écrit Denis-Constant Martin1464(*). Claude Dubar affirme, lui aussi, la dualité
dans le social de la définition de l'identité. Identité
pour soi et identité pour autrui sont à la fois
inséparables et liées de façon problématique :
inséparables puisque l'identité pour soi est
façonnée par d'autres regards et conditionnée par la
reconnaissance qu'ils lui offrent (je ne sais jamais qui je suis que dans le
regard d'autrui) ; liées de façon problématique car
je ne peux jamais être sûr que l'idée que je me fais de mon
identité coïncide avec celle qu'autrui s'en fait.
« L'identité, écrit Claude Dubar, n'est jamais
donnée, elle est toujours construite et à (re)construire dans une
incertitude plus ou moins grande et plus ou moins
durable »1465(*). Et il ajoute : « Il n'y a pas de
correspondance nécessaire entre l'identité prédicative de
soi qui exprime l'identité revendiquée par une personne
singulière conformément à son histoire vécue
individuelle et les identités attribuées par autrui, qu'il
s'agisse des identités numériques qui vous définissent
officiellement comme être unique ou des identités
génériques qui permettent aux autres de vous classer comme membre
d'un groupe, d'une catégorie, d'une classe »1466(*).
Claude Dubar appelle actes d'attribution ceux qui
visent à définir « quel type d'homme (ou de femme) vous
êtes », c'est-à-dire l'identité pour
autrui : l'attribution de l'identité par les institutions et les
agents directement en interaction avec l'individu « ne peut
s'analyser en dehors des systèmes d'action dans lequel l'individu est
impliqué et résulte de "rapports de force" entre tous les acteurs
concernés et de la légitimité - toujours contingente - des
catégories utilisées (...). Le processus aboutit à une
forme variable d'étiquetage produisant ce que Goffman appelle les
«identités sociales virtuelles» des individus ainsi
définis »1467(*) ; et l'auteur appelle actes
d'appartenance ceux qui expriment « quel type d'homme (ou de
femme) vous voulez être », c'est-à-dire
l'identité pour soi : les actes d'appartenance « ne
[peuvent] s'analyser en dehors des trajectoires sociales par et dans lesquelles
les individus se construisent des "identités pour soi" qui ne sont rien
d'autre que «l'histoire qu'ils se racontent sur ce qu'ils sont»
[R.-D. Laing, Le soi et les autres, Paris, Gallimard, 1971, p.114] et
que Goffman appelle les «identités sociales réelles».
Celles-ci utilisent aussi des catégories qui doivent avant tout
être légitimes pour l'individu lui-même et le groupe
à partir duquel il définit son identité pour
soi »1468(*). Claude Dubar fait de l'articulation entre les
systèmes d'action prescrivant des identités virtuelles d'une
part, les "trajectoires vécues"1469(*) au sein desquelles se forgent les identités
réelles auxquelles adhèrent les individus d'autre part, la
clé du procès de construction des identités sociales.
En l'espèce, le trouble né, au sein du noyau
familial, de l'introversion des pères et de l'élision
précoce du sentiment de filiation est redoublé, de
l'extérieur, par des actes d'attribution contradictoires quant à
la manière dont les autres (dé)considèrent les fils et les
filles de harkis : tandis que les uns, déniant la
spécificité de l'héritage mémoriel des
intéressés, s'articulent autour de préjugés
socioculturels et tendent à réduire les enfants de harkis
à leur seule maghrébinité, les autres, à l'inverse,
soulignant la spécificité de cet héritage pour mieux la
flétrir, se focalisent sur le choix des pères en faveur de la
France durant la guerre d'Algérie, et tendent à faire de ce choix
une sorte de "tare morale" indélébile et transmissible d'une
génération l'autre. Dans Stigmate, Erving Goffman
identifiait, pour les distinguer, la situation de l'individu
discrédité par son « appartenance à un groupe
tribal stigmatisé » et, d'autre part, la situation de
l'individu discrédité par « la présence chez les
parents d'une tare morale contagieuse »1470(*). Or,
précisément, la caractéristique première de la
« ronde journalière »1471(*) des enfants de harkis est
qu'elle met simultanément en jeu « l'appartenance
à un groupe tribal stigmatisé » (gestion des marqueurs
superficiels de l'origine - couleur de peau, patronyme, etc. - vis-à-vis
du groupe majoritaire) et « la présence chez les parents d'une
tare morale contagieuse » (gestion des attributs biographiques
intimes - et notamment la qualité de fils ou de fille de harki -
vis-à-vis des populations issues de l'immigration). Il y a donc
là une géographie duale des logiques routinières de la
stigmatisation autour de la communauté harkie.
Il en ressort qu'à la difficulté
éprouvée par les enfants de harkis à cerner cet autrui
significatif qu'est le père, s'ajoute, vis-à-vis de cet autrui
généralisé que sont les composantes du corps social
extérieures au groupe d'appartenance, la délicate gestion du
stigmate : à qui les enfants de harkis doivent-ils des informations
sur leur identité réelle étant entendu qu'ils sont a
priori et quotidiennement exposés, en vertu ou plutôt à
cause de leur "faciès", au « stigmate tribal » et
confondus par le groupe majoritaire avec ceux-là mêmes (les
enfants d'immigrés) qui, paradoxalement, s'ils venaient à
découvrir leur identité intime, seraient susceptibles de
stigmatiser les attributs mémoriels jugés infamants que les fils
et les filles de harkis ont "hérités" de leurs
pères ?
Par "construction routinière du rapport Nous / Eux",
c'est précisément cette « problématique des
relations intersubjectives vécues » que nous entendons
aborder, en la saisissant moins à travers le jeu des
déterminismes sociaux qu' « à travers un ensemble
de discours et de pratiques empiriquement observables », ainsi que
nous y invite Eric Landowski1472(*). De la sorte, toujours en suivant Eric Landowski,
nous entendons aboutir à « la construction d'une
problématique à caractère opératoire concernant les
relations et les stratégies identitaires entre individus ou entre
groupes sociaux »1473(*).
Il nous faudra d'abord examiner « le cycle des
événements ordinaires qui limitent l'acceptation par la
société de l'individu
«discrédité» »1474(*), en s'attachant à
distinguer entre les sources, contours, fonctions et effets sur l'individu de
ces mécanismes d'assignation statutaire dévalorisants (section
A).
Il nous faudra ensuite faire état des
« difficultés qu'éprouve l'individu
«discréditable» à contrôler l'information sur
lui-même »1475(*) en rendant compte des techniques d'ajustement ou
stratégies d'accommodation dont il use routinièrement pour "faire
avec" ces catégorisations ou exo-définitions de soi. En d'autres
termes, il nous faudra rendre compte de ses capacités d'adaptation dans
un environnement stigmatisant. Il s'agira précisément d'analyser
la façon dont les enfants de harkis, confrontés à une
insécurité identitaire permanente (c'est-à-dire à
une incertitude quant à ce que sera l'attitude - de rejet ou bien
d'acceptation - d'une nouvelle connaissance), manient l'information personnelle
au cours des interactions de la vie quotidienne : « Ce qui se
révèle de l'identité sociale d'un individu à chaque
moment de sa ronde journalière et aux yeux de tous ceux qu'il y
rencontre ne peut manquer d'être pour lui d'une très grande
importance », souligne Erving Goffman. (...) L'information
quotidiennement disponible sur soi-même est la seule base de
départ possible lorsqu'il s'agit de décider quelle tactique
adopter à l'égard de son stigmate, quel qu'il
soit »1476(*) (section B).
A. L'infirmation de soi dans le regard d'autrui ou la
surexposition des enfants de harkis aux exo-définitions de soi
Les représentations sociales - dogmes,
préjugés, stéréotypes - visent à
« situer les individus dans des rapports sociaux et à
légitimer cette place ». Les stéréotypes, en
particulier, « définissent des places sociales » et
« imposent aux individus une image d'eux-mêmes qu'ils ne
peuvent éluder » (Vincent de Gaulejac). L'identité se
constitue dans une relation soi-autrui où le regard de l'autre tient une
place fondamentale. Ainsi, selon Alex Mucchielli, qui définit
l'identité sociale comme la somme de toutes les relations d'inclusion ou
d'exclusion par rapport à tous les groupes constitutifs d'une
société, « on possède autant de facettes du Moi
social qu'il y a d'opinions émises par les autres » :
« Outre l'ensemble des énoncés que le sujet peut
produire sur lui-même pour se définir, il faut intégrer
dans la définition totale de l'identité - au sens
général - l'ensemble des identités partielles,
énonçables sur le sujet. Le nombre des identités
partielles est élevé, car chaque partenaire et groupe peut avoir
sa définition du sujet. Autant dire qu'en ce sens l'identité est
difficile à atteindre »1477(*).
Ainsi, "l'identité totale" (Alex Mucchielli) de
l'individu et/ou du groupe intègre, outre l'identité subjective
(ou identité auto-attribuée), les identités
attribuées de l'extérieur, c'est-à-dire les
différentes définitions que les autres donnent de l'individu
et/ou du groupe en question. La conscience de soi est aussi fondée sur
la capacité à appréhender et "ré-élaborer"
l'attitude d'autrui envers soi : l'individu peut s'éprouver
lui-même en se plaçant aux divers points de vue des autres
individus avec lesquels il entre en relation ; il se juge lui-même
à travers le regard supposé des autres. Ainsi, pour G.H. Mead,
être conscient de soi, c'est essentiellement devenir un "objet" pour soi,
y compris - et surtout - en vertu ou à l'aune de ses relations avec les
autres individus :
« Jusqu'à... il y a très peu... il y
a cinq ans, je ne m'étais jamais posé la question :
être fille de harki, ou pas... non, je vivais sans me... sans me poser de
questions, sans me justifier, parce que déjà j'ai pas à me
justifier, hein, mon père... il a fait ce qu'il a fait, mais j'ai
commencé à me poser des questions quand j'ai commencé
à entendre que le harki c'était un traître, le harki c'est
ceci, le harki c'est cela... » (Dalila, 37 ans).
La notion de "soi reflété dans un miroir" ("the
looking-glass self"), élaborée par Cooley, traduit le fait que le
sujet s'imagine dans le regard d'autrui et anticipe les jugements que les
autres peuvent porter sur lui. Ce jugement rétro-projeté - cette
image de soi dans le regard d'autrui - influence constamment la conscience de
soi et les sentiments qui lui sont liés (fierté, gêne,
honte...).
En l'espèce, nous l'avons dit, le "Moi social" des
enfants de harkis est le produit contradictoire d'une double influence. D'un
côté, le sentiment d'appartenance des enfants de harkis -
même et surtout s'il est faiblement étayé par la dynamique
des générations au sein de la cellule familiale - se heurte de
prime abord à la tyrannie des apparences (l'indifférenciation
phénotypique avec la deuxième génération issue de
l'immigration maghrébine) du fait de l'influence "mécanique" du
système de stéréotypes fixé par la
société d'accueil. La primo-caractérisation (ou perception
première) des enfants de harkis par le groupe majoritaire est ainsi
porteuse, dans les interactions face-à-face, d'une forme de "tragique
latent" : la dépossession de soi par l'amalgame induit, pour les
enfants de harkis, l'obligation corrélative de s'accommoder des
préjugés nourris à l'égard des Beurs. Ici, le
« délit de faciès », qui fait des
intéressés des "Algériens par méprise" en
même temps que des "Arabes méprisés", sonne comme un double
déni de "l'être" par "l'apparaître" (section 1). D'un
autre côté, dans la bouche de certains fils d'immigrés
algériens, la condamnation des enfants de harkis à la
dépossession de soi fonctionne sur le mode de l'extrapolation et tend
à faire de la qualité statutaire de fils ou de fille de harki une
forme de tare morale congénitale. De fait, les enfants de harkis sont
également confrontés à des attitudes d'ostracisme
fondées sur la réactivation, d'une génération
l'autre et d'un continent l'autre, du contentieux lié à
l'engagement des harkis durant la guerre d'Algérie. Ces attitudes
d'ostracisme sont plus particulièrement le fait de la deuxième
génération issue de l'immigration maghrébine,
algérienne en particulier. C'est ainsi que nombre de fils et filles de
harkis, évoquant la nature de leurs interactions "ès
qualités" avec certains enfants d'immigrés algériens, nous
ont fait part des tensions, voire des altercations que ce type de
face-à-face était susceptible de provoquer (section 2).
1. La dépossession de soi par l'amalgame : le
"délit de faciès", forme ordinaire de déni d'une
mémoire singulière
De nombreuses recherches en sociologie1478(*) et en psychologie
sociale1479(*)
montrent qu'il y a à la base de la perception et de
l'appréciation d'autrui - pour autant que cet autrui ne soit pas
déjà connu - un mécanisme d'attribution de qualités
stéréotypées, inférées sur la base de
critères immédiatement perceptibles, a priori conçus comme
"typifiants". L'évaluation de l'autre (individu ou groupe) se fait
automatiquement et inconsciemment. Cette évaluation est liée
à la perception elle-même. La première appréciation
est ainsi fondée sur la perception d'un ensemble restreint
d'éléments (une "forme") qui, par référence
à un "répertoire d'identités" préconstitué,
permet d'accéder à une "connaissance" immédiate
d'autrui : « Les classifications qui en résultent tirent
leur apparente légitimité (aux yeux de ceux qui y recourent) non
pas d'une quelconque nécessité à caractère objectif
mais seulement de la force de l'usage, qui «naturalise» les
découpages ainsi obtenus, et les significations qu'on leur
associe »1480(*).
Ces répertoires d'identité, en tant que grilles
de perception et de décodage, contiennent comme par anticipation les
significations qui leur sont associées : « Les sujets
feront, dans cette optique, des attributions à autrui en fonction de la
représentation cognitive qu'ils ont de la catégorie
d'appartenance de cet alter »1481(*). C'est ce qu'a très bien montré
Erving Goffman : lorsqu'un inconnu se présente à nous, nous
formulons, sans en avoir toujours conscience, toutes sortes d'anticipations
quant à son identité sociale, c'est-à-dire que nous
cherchons à prévoir la catégorie à laquelle il
appartient et les attributs qu'il possède. Nous appuyant alors sur ces
anticipations, nous les transformons en attentes normatives, nous attendons
donc de l'inconnu qu'il s'y conforme : cette caractérisation en
puissance de l'inconnu compose son identité virtuelle. Quant à la
catégorie et aux attributs qui particularisent en fait cet inconnu, ils
forment son identité sociale réelle.
Or, il peut s'avérer que cet inconnu possède un
attribut (c'est-à-dire une caractéristique physique, morale ou
biographique) qui détonne par rapport au stéréotype que
nous avons formulé à son égard et qui représente un
désaccord particulier entre les identités sociales virtuelle et
réelle. En l'espèce, pour ce qui a trait spécifiquement
aux actes d'attribution opérés à l'endroit des fils et
filles de harkis, les classifications fondées sur le décodage des
seules qualités "manifestes" ou "superficielles" des individus -
à commencer par l'apparence physique - sont génératrices
de tels "désaccords". Ainsi, l'indifférenciation
phénotypique de la deuxième génération issue de la
communauté harkie et de la deuxième génération
issue de l'immigration maghrébine interdit-elle, au quotidien, la
reconnaissance des enfants de harkis "en tant que tels" :
« Ce que je veux c'est être reconnu en tant
que tel. Mais je l'aurai jamais cette reconnaissance (...). Dans la rue on va
dire : «C'est un Arabe». Voilà, c'est clair. Et... je
peux te garantir que tu le vis mal, hein. Tu le vis mal (...). Moi, j'aimerais
bien qu'un jour on me reconnaisse en tant que tel, qu'on me reconnaisse citoyen
français, pas... mitigé, quoi, pas panaché. Pour vous, je
suis un panaché, dans la rue, je suis un panaché. Même pas
un panaché, un Arabe, un "bronzé" »
(Karim).
Un stigmate représente donc un certain type de relation
- une relation insatisfaite - entre l'attribut (Karim est de nationalité
française, par filiation qui plus est, et se définit comme
français par le sang versé) et le stéréotype (son
"faciès" l'apparente à un fils d'immigré, dont la
"loyauté" à la société d'accueil est a
priori conçue comme incertaine par le groupe majoritaire). A
l'inverse, Erving Goffman appelle "normaux" ceux qui ne différent pas
négativement des attentes normatives formulées par autrui :
« Le normal et le stigmatisé ne sont pas des personnes mais
des points de vue. Ces points de vue sont socialement produits lors des
contacts mixtes, en vertu des normes insatisfaites qui influent sur la
rencontre »1482(*).
Eric Landowski souligne qu'en dépit de leur
caractère réducteur, donc potentiellement "mensonger" (effets
d'amalgame), ces activités de profilage/stéréotypage
structurent fortement les relations sociales : « Ce n'en est pas
moins sur la foi de préjugés de cette nature, ayant pour effet de
valoriser systématiquement la possession de certains attributs sociaux,
hérités ou acquis, par rapport à d'autres, que se fonde le
plus communément la conscience et, plus encore peut-être, la
fierté identitaire des groupes qui, dans le cadre d'une
société donnée, se considèrent comme constituant le
«Nous» de référence et, à ce titre, comme les
seuls détenteurs du droit à être pleinement
eux-mêmes, par opposition aux individus ou aux communautés
particulières que leurs différences signalent (avec des
degrés d'étrangeté infiniment variables) comme autant
d'avatars prévisibles de «l'Autre» »1483(*).
Ainsi, dans une société d'accueil nivelée
par un fort préjugé anti-arabe (et anti-algérien en
particulier)1484(*),
les enfants de harkis doivent composer tant avec des attributs
héréditaires (le phénotype) qu'avec des pratiques
coutumières (et notamment l'observance des règles
attachées à la religion musulmane) qui les placent de prime abord
en porte-à-faux avec l'image archétypale,
stéréotypée que les Français ont
d'eux-mêmes1485(*). Autrement dit, les attributs identitaires
manifestes dont sont porteurs les enfants de harkis détonnent par
rapport aux anticipations, aux attentes stéréotypées
qu'ont les Français dits "de souche" (ou qui se considèrent comme
tels) à l'égard de leurs semblables. Ce poids des anticipations,
ce poids des étiquetages dans l'ordinaire des relations sociales
aliène la caractérisation des enfants de harkis à certains
indices "manifestes" (à commencer par l'apparence physique) et, à
ce titre, réducteurs, voire potentiellement mensongers puisqu'ils ne
rendent compte ni du vécu des intéressés, ni de leurs
représentations ou sentiment d'appartenance :
« Si les gens savaient que j'étais comme
ça, si les gens savaient que j'étais euh... harki, quoi, fils de
harki, bon je pense que... (...) mais le problème c'est que je vais pas
dévoiler euh... je vais pas dire : «Ouais, je suis fils de
harki». Non, non, non, jamais de la vie (...). Je peux pas le dire,
voilà. Me rabaisser ?! Je suis pas reconnu, je vais me
rabaisser ? Attends, je vais pas baisser le pantalon quand
même... » (Karim) ;
« J'ai rencontré énormément de
harkis : des jeunes, des vieux, des enfants, des veuves, des
divorcées, des... et... apparemment tout le temps le même
problème, c'est... c'est ce problème identitaire, c'est cet
amalgame qui est fait avec les Beurs, les immigrés, on va... alors on va
pas aller dire à Pierre, Paul ou Jacques... qu'on est rapatriés,
qu'on est des enfants de harkis : qui peut le savoir ? Qui peut nous
aider ? Donc, finalement... on peut courir, on peut faire des pieds et des
mains... si on ne dit pas, si à chaque fois on ne raconte pas que... on
est issus de tel... de tel parent, que notre père a fait ça, si
on ne montre pas les papiers, si on... bah... on existe pas a priori, notre
parole ne vaut rien » (Dalila, 37 ans).
De la sorte, le paradoxe veut que les enfants de harkis, s'ils
ne prennent pas l'initiative de faire connaître à leurs
interlocuteurs leur qualité intime de fils ou de fille de harkis, sont
spontanément confondus avec les jeunes issus de l'immigration
maghrébine. Autrement dit, les enfants de harkis sont confondus avec
ceux-là mêmes - les jeunes issus de l'immigration
algérienne - qui, s'ils venaient à être informés de
leur appartenance à la communauté harkie, seraient susceptibles
de stigmatiser les enfants de harkis non pas pour ce qu'ils paraissent
être, mais pour ce qu'ils sont réellement. Cette absence de
"visibilité sociale" des enfants de harkis en tant que tels est d'autant
plus durement ressentie par les intéressés qu'elle les expose, en
dépit de leur nationalité (et au même titre que les
"Beurs"), à des attitudes discriminatoires, au premier rang desquelles
on trouve le "délit de faciès" ; le délit de
faciès est une discrimination de fait (liée à des
préjugés racistes) qui dénie l'appartenance de droit des
harkis et de leurs enfants à la communauté nationale. L'oubli, la
mémoire trouble des Français apparaissent ici en sous-oeuvre de
l'amalgame et de l'intolérance :
« On devait avoir quatorze, quinze ans, on
était à deux sur un cyclo, bon, ça ne se fait pas mais on
l'avait fait : contrôle de gendarmerie (...). Et mon ami (...), qui
lui est plus basané, moi bon, j'étais pas le type strictement
arabe, mais lui, bon, c'est vraiment le... alors il dit, comme ça, bon
d'une manière tout à fait innocente, il dit : «Ouais,
M'sieur, soyez gentil, nous aussi on est Français». (...) Et ce
brave gendarme nous dit : «Mais... t'as vu la gueule que t'as
toi ?! T'es un Français ?!...». Bon, ça quand on
est adolescent on peut pas le tolérer (...). On voit un
représentant de l'Etat, qui est un gendarme, qui nous balance ça
à travers le visage : «T'as vu la gueule que
t'as ?!», c'est des mois, des années d'efforts pour
s'intégrer qui peuvent être anéantis "en moins de
deux" » (Mohamed, 42 ans).
Pour Rachid, fils de médaillé
militaire, et Mohamed (35 ans), fils de harki
et lui-même ancien sous-officier d'active, tous deux sans emploi, ces
attitudes discriminatoires sont d'autant plus mal ressenties qu'elles les
renvoient, la trentaine largement passée, à la
réalité d'un monde où les apparences jouent contre les
déclarations de foi :
« Pour ce qui est d'ici [Largentière], dis
toi bien que si tu t'appelles pas Jean-Pierre ou Jean-Luc, t'as pas la
tête... si t'es pas blond aux yeux bleus, dis toi bien dans ta
tête, cette place, tu l'auras pas ; même si tu... tu dis
être le fils du... de l'ancien combattant le plus décoré de
France ; rien à faire, si t'as... un prénom ou un nom... tu
vas chercher du côté... après Marseille, négatif,
dis toi bien que t'as pas cette place. Et puis voilà, comme t'as vu, on
prend des cafés, là, pendant que y'a des jeunes de notre
âge qui... gagnent leur croûte. Nous, on est condamnés
à parler de tout et de rien, et voilà, c'est notre train-train
quotidien, ça, on nous condamne à rien foutre. C'est pas
juste » (Rachid) ;
« Moi, je suis quand même sans emploi, donc,
j'veux dire, quelque part, ça, on le vit très, très mal.
Puis, par truchements respectifs, on vous fait croire que vous êtes soit
trop qualifié - c'est souvent mon cas -, ou alors que vous ne
correspondez pas au profil, ou alors que quelqu'un vient d'être
embauché juste avant vous, enfin... c'est incroyable comme ça,
à vous dire, c'est incroyable, quand je vous dis comme ça, vous
vous dites : «Non, qu'est-ce qu'il me raconte là, c'est quand
même la nation, l'A.N.P.E., c'est pas rien», mais quand vous voyez
que l'A.N.P.E. elle-même euh... édite des brochures concernant...
le fameux code B.B.R. ou 01, vous savez : Bleu-Blanc-Rouge : B.B.R.
ou 01. ça fait partie des codes de l'A.N.P.E.. Quand vous avez une...
une note comme ça concernant donc... une annonce d'emploi, le gars il
met : B.B.R. ou 01. C'est-à-dire qu'il faut que ce soit un
"French", quand je dis un "French", c'est... Alors, ça, vous me la
retournerez comme vous voudrez, vous me direz : «Ah ! mais non,
tu es déjà sur des préceptes...» ; non, c'est
d'actualité, c'est ça aujourd'hui aussi. Pire, pire qu'hier. Pire
qu'hier » (Mohamed, 35 ans).
Ainsi, « [dans la perspective] du groupe qui se pose
et se comporte en occupant naturel et légitime - pour ainsi dire en
propriétaire - de l'espace social considéré »,
et à l'aune du « système de stéréotypes
identitaires fixé par [lui] », « certains membres de
la communauté [nationale] en viennent tout naturellement à passer
pour «un peu plus» sujets que d'autres - comme si, cumulant les
marques d'appartenance sociale conventionnellement tenues pour les plus
positives, ils incarnaient à eux seuls le type accompli du groupe
considéré tandis que les autres n'en donneraient que des images
par défaut, ou même en négatif »1486(*). Nicole Lapierre souligne
à cet égard que, dans les familles d'installation récente
où la transmission d'un univers référentiel englobant
histoire et passé familial tend à l'identification avec la
société d'accueil, « la problématique de
l'origine et de la différence n'est réveillée que par
l'affront des préjugés [raciaux] »1487(*). C'est typiquement le cas
des familles de Français musulmans rapatriés. Là
réside le "tragique latent" des primo-catégorisations imputables
au groupe majoritaire : dans l'ordinaire fugace des relations
sociales, c'est bien des qualités manifestes (i.e.
immédiatement perceptibles) que l'on infère les "qualités
d'âme", de manière pré-réflexive,
conformément au système de stéréotypes propre
à la société d'accueil. Autrement dit, c'est le "sang
reçu" - ou plutôt son expression phénotypique - qui fonde
le préjugé dans les interactions face-à-face, non le "sang
versé" ; c'est le "faciès" qui vous classe, non la
"vertu".
C'est dans ce déni ordinaire d'une mémoire
singulière, fondé sur l'amalgame avec la figure-repoussoir de
« l'Arabe » ou du
« Maghrébin »1488(*), que se joue « l'expérience
singulière d'appartenir à un groupe minoritaire stigmatisé
et, en même temps, de se sentir complètement
inséré dans le destin politique de la majorité qui le
stigmatise »1489(*). De même, pour Vincent de Gaulejac et
Isabelle Taboada Léonetti, « [quoique] les
autoreprésentations collectives conservent une certaine autonomie,
celle-ci peut conduire à des contradictions lorsque certaines
catégories sociales partagent les normes de la société
alors qu'elles sont exclues des représentations collectives de
l'ensemble »1490(*). Ainsi, dans le décalage entre l'attribut
(le sentiment d'appartenance) et le stéréotype (les
préjugés raciaux) se joue parfois la dépréciation
de soi des enfants de harkis, conformément aux attentes non satisfaites
du groupe majoritaire :
« Comment ressens-tu
l'indifférence, plus ou moins, de la population ?
- J'suis une merde.
- A ton avis, pour eux, t'es une
merde ?
- Ouais, exactement.
- Tu comptes pas.
- Je compte pas » (Karim).
"Discrédités" (au sens goffmanien du terme) par
le stéréotype qui lie l'appartenance à la
communauté nationale à « la croyance, ancrée
dans la conscience collective des Français, qu'être blanc et
catholique fonde les droits supérieurs d'un homme national
(...) »1491(*), victimes de "stigmates tribaux"1492(*) tels le délit de
faciès, déni raciste d'un choix sinon "affectif" du moins
volontariste, celui de la France par les harkis, leurs pères, les
enfants de harkis sont également "discréditables",
c'est-à-dire potentiellement exposés au stigmate d'infamie (au
cas où leur identité intime - en l'occurrence leur qualité
de fils ou fille de harki - viendrait à être connue ou
révélée auprès de leurs interlocuteurs membres de
la deuxième génération issue de l'immigration
algérienne), les attributs en cause (centrés sur des
thèmes moraux et politiques) n'étant en effet pas
immédiatement perceptibles mais liés aux usages de la
mémoire de la guerre d'Algérie et à la rémanence
trans-générationnelle d'un blâme historique. Et K.D. Bouneb
de souligner que « la minorité migrante maghrébine et
certains Français, qui font l'amalgame entre l'occupation allemande et
le phénomène de décolonisation des pays du tiers-monde,
sont là pour rappeler aux jeunes Français musulmans la
«collaboration» de leurs parents »1493(*).
2. La dépossession de soi par la flétrissure
ou la rémanence transgénérationnelle du stigmate
d'infamie
Le statut particulier assigné à la
thématique harkie dans l'imaginaire nationaliste algérien - le
harki endossant, dans le discours des plus hautes personnalités de
l'Etat, le rôle commode et récurrent de bouc émissaire
évident pour tous les maux qui touchent l'Algérie
indépendante (voir la Partie 2) - s'est banalisé au fil des
décennies, pénétrant les consciences individuelles et
acquérant valeur de sens commun. Ainsi, Hassina a pu
constater de manière fortuite combien, en Algérie, la
stigmatisation était à la fois diffuse et confuse :
« C'était il y a trois mois, je zappais sur
les canaux arabes, et puis je suis tombée sur la
télévision algérienne où il était question
de sport. Et l'animateur qui se prend à dire en parlant d'un footballeur
qui a marqué contre son équipe : «Un harki dans le
sport !». Mais... je suis restée ébahie, je me suis
dit : «Mais... c'est pas possible !» ».
Ce « clivage qui existe dans la bouche de certains
Algériens » (Hassina) se retrouve en France,
exacerbé tout à la fois par la différence de statut qui
sanctionne, d'une part, l'exil politique des Français musulmans
rapatriés, d'autre part, l'immigration économique des
travailleurs algériens, et par la coexistence conflictuelle des deux
groupes sur le sol français :
« (...) Franchement, on est bien en France, et...
voilà, tu sais, nos parents ont sauvé leur peau, quoi.
Maintenant, le reste, c'est que... bon, il y a beaucoup de jaloux, quoi,
c'est... ça parle beaucoup, quoi, les harkis, tu sais, ils disent qu'on
est... on est un peu rejetés, tu sais, ils nous... comment dire... tu
sais, ils disent qu'on est des "traîtres", quoi.
- Mais qui dit que vous êtes des
"traîtres" ?
- Ben... ceux qui sont venus après nous,
après... après mes parents, quoi.
- Tu veux dire les
immigrés ?
- Ouais, les vrais Algériens, ouais, ouais, les
immigrés qui viennent maintenant en France, après mes parents,
quoi. Tu sais, pour eux... j'sais pas, tu sais, nos parents c'est des
"traîtres" » (Lahcène1494(*)) ;
« (...) En ce qui concerne les... les
Algériens ou les Beurs, (...) la plupart... dès que vous
parlez... quand ils savent pas que t'es harki, quand tu discutes politique ou
ce qui se passe en Algérie, automatiquement ils te sortent :
«Harki, harki...» ; ils peuvent pas parler de ce sujet-là
sans sortir le mot "harki", ils peuvent pas parler de l'Algérie
actuellement, ce qui se passe, etc., sans dire que c'est la faute aux harkis,
que c'est les harkis qui font ça là-bas. L'immigré, ici,
automatiquement il parlera des... : «Ah ! ouais, les harkis,
c'est eux...». Voilà, c'est le bouc émissaire
évident, dans toutes les discussions, même économiques, ils
oublieront pas le harki. Même si tu parles de couture, ils te mettront
quand même un harki à l'intérieur »
(Jacqueline) ;
« (...) C'est vrai que je connais beaucoup,
beaucoup d'Algériens et... des Marocains, enfin des Maghrébins,
et... je les entendais dire, parce qu'on a commencé à parler des
harkis, en parlant d'eux [les islamistes]... vu ce qui se passe en
Algérie et tout, en parlant d'eux comme des harkis »
(Dalila, 37 ans).
Ces marques de défiance ne sont d'ailleurs pas
seulement le fait de familles originaires d'Algérie, comme en
témoigne Akila Bouremel, femme de harki, qui vit à Mende, en
Lozère : « Dans l'immeuble, même les Marocains qui
viennent d'arriver nous font des réflexions. «Vous, les harkis,
vous n'êtes pas nos frères, vous avez retourné votre
veste», m'a dit l'un d'eux »1495(*).
Ainsi, dans une société progressivement
remodelée, au plan démographique, par de forts courants
migratoires en provenance du Maghreb (et de l'Algérie en particulier),
la cohabitation de facto entre populations issues de l'immigration
algérienne et familles de harkis dans certains bassins d'emploi n'est
pas sans générer des tensions et raviver des clivages. Clivages
dont la charge polémique est aujourd'hui encore loin d'être
neutralisée et qui, d'une certaine manière, gagnent en
rigidité avec la succession des générations : il
n'est pas rare, en effet, que les enfants d'immigrés algériens
projettent sur les fils et les filles de harkis les termes même de la
condamnation prononcée par leurs aînés à l'encontre
des Français musulmans rapatriés :
« (...) aller à l'école, se faire
traiter de traître, euh... de «fils de harki» quand j'avais
huit ou neuf ans, je sais ce que c'est »
(Karim) ; « (...) Je me souviens, à
l'époque, il y avait des immigrés à l'école, et
quand ils disaient : «fils de traître, fils de
traître»... je sais qu'il y avait... j'ai des copains, euh... :
«fils de traître et de machin...», mais... c'est... parce que
c'est les parents qui ont dit ça aux enfants, et les enfants ils disent
ça, je veux dire » (Rabah1496(*)).
Lakhdar Belaïd, journaliste et écrivain, fils d'un
militant MNA, et auteur de Sérail killers1497(*), un polar tissé
autour des déchirures enfouies entre nationalistes algériens et
harkis à Roubaix, se souvient que « quand [il] étai[t]
gosse, on se traitait de harki entre mômes, c'était l'insulte
suprême. Encore maintenant, le mot a gardé valeur d'insulte,
même chez les plus jeunes, c'est malheureusement
culturel »1498(*). Très tôt, Ahmed a
ainsi subi - d'abord sans les comprendre - les insultes de camarades nés
en France de parents algériens :
« Ça doit faire trois ans que je
m'intéresse à la guerre d'Algérie, aux
événements comme ils disent. Avant, j'y connaissais rien. Quand
j'étais môme, je savais pas ce que c'était un harki, j'veux
dire historiquement, tu comprends ? Les seuls qui savaient quelque chose,
c'était les Algériens, parce que eux... alors, finalement, les
seules choses qu'on entendait, c'était des insultes...
- Ça t'est arrivé souvent de
te faire insulter ?
- Oui, c'est arrivé... c'est arrivé une paire de
fois. La première fois, c'était à l'école, j'avais
5-6 ans, et... je me suis fait traiter de «fils de traître»,
comme ça, directement : le gars s'est posté devant moi. Moi
j'ai rien dit parce qu'il était plus âgé, il avait quelques
années de plus que moi, mais... ça m'a fait mal, je peux te dire
que ça a été douloureux ».
« Il n'est pas un enfant de harki, écrit
Mohamed Kara, qui n'ait été virtuellement exposé, depuis
sa prime enfance, aux avanies des enfants d'immigrés algériens au
point d'en avoir intégré les traits les plus outrageants et de
les tenir pour partiellement fondés, dans la mesure où ces
incriminations ne trouvaient dans le foyer familial, au titre de
répartie, qu'un silence assourdissant ».
C'est très précisément ce qu'exprime
Dalila (37 ans) :
« Nous, nos parents, ils nous ont pas
raconté parce qu'ils avaient honte. Mais les petits Algériens qui
sont nés en Algérie, les immigrés qui sont arrivés
hier, on leur a raconté l'histoire de l'Algérie, parce que c'est
chez eux (...). Alors quand vous grandissez, qu'on vous parle des harkis, et
qu'on vous dit : «Voilà, il est égal à telle
chose», bah... vous avez envie de vous cacher, hein, c'est normal, on a
peur, c'est tout à fait normal ».
Le contraste est saisissant entre la précarité
de l'ancrage mémoriel des fils et filles de harkis et la violence des
réactions que leur vaut un lien de filiation qui suscite pourtant chez
eux plus d'interrogations qu'il ne leur procure de certitudes :
« (...) Tu sais, ma soeur aînée,
lorsqu'elle était au lycée, s'est vue cracher à la figure
parce qu'elle était fille de harki, c'est, c'est... »
(Hassina).
L'individu stigmatisé est un individu frappé
d'infamie, qu'il faut éviter, surtout dans les lieux publics :
« Quand j'étais jeune, j'avais seize ans,
y'avait un jeune que je côtoyais (...), bon il était
d'Algérie (...), bon il a su que j'étais fille de harki (...), et
un jour... j'ai une copine qui vient et me dit : «Tu sais,
Régika, hein, on sait que tu es fille de harki, alors donc il te parle
plus» » (Régika).
Il apparaît ainsi clairement que la rémanence du
stigmate d'infamie s'étaye moins sur la réminiscence intime des
faits, sur leur ressouvenir, que sur la réification d'une certaine
mémoire des faits (donc de ses déformations successives). Il
n'est qu'à voir, à cet égard, l'exemple - cité en
introduction - de cette famille de harki acculée au
déménagement par son voisinage algérien (ou d'origine
algérienne) après que le père avait été
publiquement et notoirement décoré de la médaille
militaire le 14 juillet 2003, à Toulon. Les menaces
(« traître », « collabo »,
« mouchard », criées au téléphone ou
sur son passage) et les violences (ayant nécessité l'intervention
des CRS) étaient proférées et exercées
principalement par de jeunes Français d'origine algérienne,
nés en France bien longtemps après la fin de la guerre
d'Algérie, sans que cela, apparemment, ne soulève outre mesure
l'indignation ou la réprobation de leurs aînés. En
témoignent les propos d'une résidente, militante associative
d'origine algérienne qui, tout en cherchant à minimiser l'ampleur
des incidents, n'est pas loin, semble-t-il, d'en faire l'apologie :
« La plupart des gens ont appris cette histoire dans les journaux.
Tout le monde s'en fout, et je vais même vous dire une chose : beaucoup
de gens pensent que c'est bien fait, parce que M. Araar n'avait pas à
frimer avec sa médaille militaire. Et c'est vrai que, franchement, il
n'y a pas de quoi se vanter. On nous demande de nous taire, mais que diraient
les Français si Papon était décoré par les
Allemands ? »1499(*).
Il n'est pas jusqu'au père de Zinédine Zidane
qui, bien malgré lui, n'ait eu à subir les conséquences de
la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie,
après que Le livre d'or du football (édition 1998) ait
laissé entendre - à tort - que le numéro 10 de
l'équipe de France était « fils de harki »,
ce qui a valu à son père de recevoir « des coups de
téléphone anonymes à deux heures du matin ».
Devant la proportion prise par l'affaire, Smaïl Zidane n'a pas
hésité à convoquer la presse à son domicile. Ce qui
importe ici, c'est, au moins autant que les conséquences de cette fausse
rumeur sur celui qui en a été l'objet, la manière dont ce
dernier a justifié cette mise au point devant la presse :
« Je suis Algérien de Kabylie. On ne peut pas le nier. Mais je
n'ai jamais été harki ». Et il ajoute :
« Je vous raconte ça pour être clair sur ma
situation : je suis un immigré, de nationalité
algérienne. Je n'ai trahi personne. Je respecte les lois du
pays, et je ne suis pas là pour faire un procès à
quiconque. Mais ça me fait mal de lire que Zinédine est fils
de harki »1500(*). Tout aussi intéressante, "l'explication" de
l'éditeur : « Nous avons confondu, comme beaucoup de
gens, les Kabyles et les harkis. C'est une erreur regrettable, une
connerie même ».
Norbert Elias et John L. Scotson, qui avaient observé
des phénomènes analogues de rémanence
transgénérationnelle du stigmate d'infamie dans le quartier de
Winston Parva, utilisent à ce propos la notion de « rejet
primaire » : selon eux, le caractère axiomatique des
préjugés collectifs augmente lorsque ceux-ci se transmettent
d'une génération l'autre. Ils estiment ainsi que
« lorsque les enfants assimilent de bonne heure les attitudes et les
croyances discriminatoires, le sentiment que celles-ci sont vraies peut devenir
presque indéracinable »1501(*). Les auteurs d'ajouter : « Ce rejet
primaire approfondit l'effet que leur caractère communautaire a sur les
préjugés collectifs, il les rend plus
rigides »1502(*). Les paroles prêtées par
l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun à Nadia, personnage de
fiction incarnant une fille d'immigrés algériens, rendent
parfaitement compte de ce phénomène. D'une
génération l'autre, la figure du "renégat" supplante celle
du "traître", avec pour constantes la vénalité, la
déloyauté et la brutalité (Les raisins de la
galère, Paris, Fayard, 1996) : « Je fis remarquer
à ma mère que nous n'avions plus rien à redouter :
qui allait désormais nous envier ? Peut-être le gardien de
l'immeuble, un vieux harki aigri et méchant ? Le pauvre homme avait
tout perdu : honneur, femme, enfants. Il vivait seul et parlait à
son transistor. Ses enfants avaient changé de ville et de nom. Mohand se
faisait appeler David Kohen ; il insistait sur le K. Il portait la kippa
et une étoile de David autour du cou. On ne savait pas comment il avait
fait fortune, mais son père disait qu'on l'avait payé pour
renoncer à l'islam et à l'identité kabyle. De temps en
temps, il venait à Resteville pour frimer. Nul ne le reconnaissait.
J'avais pitié de lui »1503(*). Quelques pages plus avant, évoquant les
actes de violence perpétrés par les vigiles du supermarché
du lieu, la narratrice précise : « Les fils de harki
cognaient plus fort ; on aurait dit qu'ils avaient une revanche à
prendre »1504(*).
Ainsi, dans la bouche de certains enfants d'immigrés
algériens, la condamnation des enfants de harkis se cristallise sur le
rôle joué par le père durant la guerre d'Algérie, en
une sorte de raisonnement en miroir. À cet égard, notre
hypothèse est que cette sorte de flétrissure par procuration des
enfants de harkis participe, pour certains jeunes issus de l'immigration
algérienne, d'une tentative de réappropriation du roman familial
- "par contraste" pourrions-nous dire. Et, par là, d'une volonté
de conjuration de leur propre "mauvais sort" dans la société
française. De fait, dans une société qui pousse à
l'assimilation sans en donner toujours les moyens, il s'agirait en quelque
sorte de retrouver sens à l'expression des origines (en même temps
que de revaloriser le statut de travailleurs migrants des parents),
ordinairement vécus comme des facteurs de fragilisation identitaire, en
se "re-définissant" par contraste avec la situation des anciens harkis
et de leurs enfants, pour autant que ceux-ci soient dépeints comme des
(fils de) « renégats », ayant
« renié » leurs origines pour se faire une place
dans la société d'accueil. Régies selon une trame
stéréotypée héritée pour partie des formes
orchestrées de la stigmatisation ayant cours en Algérie (et qui
ne sauraient donc présager à elles seules de ce que pensent
en leur for intérieur les jeunes issus de l'immigration), ces
formes de "joute statutaire" s'apparentent sans doute davantage à des
mécanismes conventionnels de "réassurance identitaire" (se
"re-définir" par contraste avec l'autre) qu'à une
véritable continuation de la guerre d'Algérie.
Cependant, dans un article donné à la revue
Etudes en avril 1995, Lakhdar Belaïd (dont nous avons
déjà parlé plus haut), pointait l'existence d'influences
institutionnelles jouant de propos délibéré, d'un
côté et de l'autre de la Méditerranée, dans le sens
du maintien d'un niveau au moins minimal de tension :
« Depuis l'indépendance, le débat
politique algérien a été réduit à sa plus
simple expression : un discours essentiellement nationaliste, puis
islamisant. On glorifie la révolution, (...) on stigmatise le
«parti de l'étranger» ». Et il ajoute :
« Les immigrés, notamment ceux de la première
génération, n'ont pas été épargnés
par ce phénomène. Ils se sont trouvés pris entre le
discours populiste "clé en main" du régime d'Alger et les offices
de surveillance et d'embrigadement qu'ont longtemps été les
Amicales des Algériens en Europe ; y compris les jeunes, par
l'intermédiaire de l'Union nationale de la jeunesse algérienne.
Celle-ci n'a pas hésité, par exemple, dans les années
1970, à attiser les oppositions entre jeunes Algériens, Marocains
et fils de harkis »1505(*).
A cet égard, dans une tribune libre publiée par
Le Monde1506(*), où il entendait défendre
« l'honneur de l'armée algérienne » et celle
de son ancien chef d'Etat-major Khaled Nezzar en particulier (à
l'occasion du procès en diffamation intenté par ce dernier
à Habib Souadia, l'auteur de La sale guerre1507(*)), l'écrivain
algérien Rachid Boudjedra, lui-même ancien membre du FLN (d'abord
maquisard, puis représentant du FLN dans les pays de l'Est et en
Espagne), semblait se féliciter qu'en France « le nationalisme
pro-algérien de la nouvelle génération beur d'origine
algérienne se manifeste de plus en plus ». Il ajoutait :
« Il y a une sorte de fièvre identitaire qui s'installe dans
cette communauté. Elle dit en gros : «Je suis français,
mais touchez pas à mon Algérie». L'exemple regrettable de
ces jeunes Algéro-Français en train de huer La
Marseillaise et d'envahir le terrain du Stade de France, lors du match
France-Algérie, fut un signe révélateur de cette nouvelle
mentalité ». Et de conclure : « Il faut en
tenir compte. Car pour ces jeunes beurs, Nezzar, c'est l'Algérie.
Souadia, c'est quoi ? ».
Ce « nationalisme pro-algérien de la nouvelle
génération », cette « fièvre
identitaire », sont les exutoires trouvés par certaines
franges de cette population (pas nécessairement marginalisées
socialement) pour donner sens à la destinée de leurs parents et
à leur propre existence. Les tensions persistantes avec la
communauté harkie participent de ces mécanismes de
"réassurance identitaire" : elles s'apparentent à ce que
Paul Ricoeur appelle « une réplique symbolique aux faiblesses
de l'identité »1508(*), par mise à distance et
infériorisation d'un autre groupe interdépendant. En même
temps, la stigmatisation de la figure du harki comme figure du
« renégat » joue, auprès de certains secteurs
de la communauté immigrée, un rôle de "garde-fou" contre
une visée assimilatrice jugée
« compromettante ». C'est la double fonction,
cohésive et régulatrice, des préjugés
collectifs qui visent à la fois à alléguer la
supériorité des siens par rapport à un autre groupe
interdépendant (fonction cohésive) en même temps
qu'à renforcer le poids du contrôle communautaire (fonction
régulatrice). Bouc émissaire évident pour tous les maux
qui touchent l'Algérie indépendante, la figure du harki a donc
aussi valeur de "contre-étalon symbolique" pour certaines strates des
populations issues de l'immigration maghrébine, algérienne en
particulier.
Au regard des stigmatisations croisées
(c'est-à-dire imputables à des groupes diversement
positionnés sur l'échelle sociale), voire paradoxales
(c'est-à-dire contradictoires les unes les autres) dont ils sont
individuellement l'objet au cours des interactions de la vie quotidienne, il
s'avère que les fils et les filles de harkis se trouvent placés,
de nos jours en France, dans une situation identitaire fortement
insécure. Situation duale (ou doublement insécure) qui les oblige
à gérer un héritage grevé à la fois sur le
plan sociopolitique (« stigmate d'infamie ») et sur le plan
socioculturel (« stigmate tribal »). Une situation
doublement contradictoire qui fait d'eux aussi bien des Algériens par
méprise (aux yeux de la société dite d'accueil) que des
Français méprisés (aux yeux de certains jeunes issus de
l'immigration maghrébine). Dans ces conditions, se pose la question des
"stratégies d'accommodation" dont vont user au jour le jour les enfants
de harkis pour faire face, déjouer ou composer avec ces
exo-définitions de soi qui, dans les interactions de la vie quotidienne,
les placent potentiellement dans la situation d'être à la fois
« discrédités » et
« discréditables »1509(*) : dès lors,
quand convient-il de déjouer les apparences ou, au contraire, d'en
jouer ?
B. Le maniement du stigmate ou « les
difficultés qu'éprouve l'individu
«discréditable» à contrôler l'information sur
lui-même » (E. Goffman1510(*))
Selon Erving Goffman, le stigmate peut se définir comme
« la situation de l'individu que quelque chose disqualifie et
empêche d'être pleinement accepté par la
société [et de s'accepter soi pleinement] »1511(*). La situation où se
trouvent placés de nos jours en France les enfants de harkis les
confronte routinièrement à la question de la présentation
de soi, autrement dit, à la gestion des marqueurs visibles ou invisibles
de l'identité au cours des interactions de la vie quotidienne. Ainsi en
va-t-il des « techniques de contrôle de
l'information », tel « le
faux-semblant »1512(*) (à l'endroit des populations issues de
l'immigration maghrébine), ou des « techniques
d'assimilation », tel « le surmarquage des attributs de
francité »1513(*) (à l'adresse de la société
d'accueil). Ces « techniques d'ajustement » (Erving
Goffman) sont autant de stratégies d'accommodation à la situation
d'interaction, au sens où Vincent de Gaulejac définit la notion
de stratégie. Pour ce dernier, « la notion de stratégie
se situe à l'articulation du système social et de l'individu, du
social et du psychologique », et décrit simplement
« les comportements, individuels ou collectifs, conscients ou
inconscients, adaptés ou inadaptés, mis en oeuvre pour atteindre
certaines finalités »1514(*). « Ces finalités, ajoute-t-il,
sont définies par les acteurs en fonction de leur évaluation de
la situation d'interaction, c'est-à-dire de l'importance des contraintes
extérieures et de leurs propres capacités
d'action »1515(*).
En fait, ainsi que le souligne Raymond Boudon, les objets
sociaux se caractérisent par leur
« ambiguïté ». Autrement dit, les
critères sur la base desquels nous sommes identifiés et
jugés dans les interactions de la vie quotidienne, y compris les stimuli
physiques, comportent une certaine dose de flexibilité et d'arbitraire.
« Cette ambiguïté est pénible, écrit
Raymond Boudon, dans la mesure où elle est perçue comme une
dissonance cognitive, et l'influence peut alors constituer un moyen pour
trouver une solution à cette dissonance »1516(*). Il existe ainsi des
stratégies de présentation de soi qui, précisément,
sont des stratégies d'influence, et qui visent soit à
réduire soit à entretenir l'ambiguïté selon ce qui
est le plus conforme aux intérêts des personnes concernées.
Raymond Boudon, se référant à Erving Goffman :
« [L'identification d'autrui] est facilitée - ou
contrariée - par l'influence que chacun des partenaires exerce sur
l'autre pour se «faire valoir», pour apparaître sous le jour le
plus favorable »1517(*).
Précisément, les enfants de harkis se trouvent
placés dans une situation telle, de nos jours en France, qu'ils se
doivent d'« user et ruser avec une très pragmatique
agilité des repères de l'identité »1518(*). Usages et ruses que
Erving Goffman rassemble sous la formule de « maniement du
stigmate ». Selon cet auteur, le maniement du stigmate, dont
participe primitivement l'apprentissage de techniques visant à ajuster
la présentation de soi aux structures de l'interaction, constitue l'une
des phases de la socialisation de l'individu stigmatisé. Il s'agit
d'abord, pour les individus stigmatisés, de « découvrir
selon quelles lignes il doivent se recomposer une conduite afin de minimiser
l'importunité de leur stigmate »1519(*). À cet
égard, Erving Goffman distingue entre la situation de l'individu
« discrédité », « forcé de
s'accommoder d'une tension »1520(*), et celle de l'individu
« discréditable », « obligé de
contrôler une information »1521(*). Ainsi, l'attitude de l'individu stigmatisé
au cours de ce que l'auteur appelle les « contacts
mixtes », c'est-à-dire lorsque les
« normaux »1522(*) et les stigmatisés viennent à se
trouver mutuellement en présence les uns des autres, est fonction
à la fois de la visibilité de son stigmate, c'est-à-dire
de sa plus ou moins grande propension à produire le moyen de faire
savoir qu'il est "possédé" par cet individu, de la
notoriété de son stigmate, soit la connaissance qu'ont les autres
de sa situation, et enfin de l'importunité de son stigmate, à
savoir dans quelle mesure il contrarie le flux de l'interaction. S'il s'agit
d'un individu dont la différence est soit immédiatement
perceptible (« (...) tu seras jamais intégré,
ça... si tu es un Arabe, tu resteras un Arabe, même en
étant fils de harki, oui, même en étant un fils de harki
(...). Il suffit, en France, si tu es blond aux yeux bleus, tu es... issu de la
communauté européenne : Espagnol... Grec, Portugais, ils
vont pas te traiter de... de sale merde, quoi, mais si tu es typé,
basané, alors là c'est la catastrophe. C'est la
catastrophe ; Karim), soit déjà connue
(« Il y a encore des personnes qui considèrent que les enfants
de harkis sont des fils de traîtres et que les côtoyer est quelque
chose de complètement insensé (...). Ma soeur a eu
l'expérience de rencontrer une personne qui, à partir du moment
où elle lui a appris qu'elle était fille de harki, n'a jamais
cherché à la revoir, c'est... c'est quelque chose
d'impensable » ; Hassina), les
situations sociales « mixtes » tendent à produire
des interactions flottantes et angoissées, accompagnées d'une
grande tension. Mais lorsque la différence n'est ni immédiatement
apparente, ni déjà connue, lorsque l'individu n'est pas
« discrédité » mais bien
« discréditable », le problème n'est plus
tant de savoir gérer les tensions qu'engendrent les rapports sociaux que
de savoir manipuler de l'information sur un handicap virtuel (avec les
problèmes de dissimulation et de révélation qui se posent
à lui) ; Erving Goffman désigne par
« faux-semblant » le maniement d'une information
discréditrice pour soi-même et non
révélée : « Lorsqu'une différence
est relativement invisible, ce que son possesseur doit apprendre avant tout,
c'est qu'il peut compter en fait sur sa propre
discrétion »1523(*) :
« Moi, je suis éducateur de métier,
je me suis occupé de... de Beurs... délinquants, etc. J'ai jamais
eu de problèmes. Mais je leur ai jamais dit que j'étais fils de
harki, ça c'est clair. Ah ! là ç'aurait
été... un problème. (...) Alors là... y'aurait plus
eu de respect (...) » (Karim).
Amalgamés, en vertu de considération
phénotypiques, avec les populations issues de l'immigration
maghrébine (et victimes, au même titre que ces dernières,
du "délit de faciès"), mais encore, au cas où leur
qualité de fils ou de fille de harki viendrait à être
connue ou révélée, potentiellement exposés au
stigmate d'infamie (singulier paradoxe, de la part même de ceux avec
lesquels ils sont ordinairement confondus), les enfants de harkis sont tour
à tour placés, au cours de leur « ronde
journalière », dans la situation de l'individu
« discrédité » et celle de l'individu
« discréditable ». Il apparaît ainsi que
l'enfant de harki, s'il veut garder le contrôle de son identité
personnelle, doit savoir à qui il "doit" beaucoup d'informations, et
à qui il en "doit" fort peu. Pour cette raison, il lui faut apprendre
à la fois :
- à déjouer les préjugés en se
jouant des apparences, ce que Erving Goffman appelle l'« effort de
couverture » (vis-à-vis du groupe majoritaire) (section
1) ;
- à déjouer les préjugés en
jouant des apparences, ce que Erving Goffman appelle le
« faux-semblant » : la stratégie de la
"dilution" au sein des populations issues de l'immigration maghrébine
participe du maniement d'une information "discréditrice" pour
soi-même et non révélée (section 2).
1. L'effort de neutralisation des préjugés
liés au faciès, ou « le surmarquage des attributs de
francité » (Mohamed Kara)
a) L'usage de
« désidentificateurs », ou comment ne pas
« être parlé par son corps » (André
Gorz)
Le choix de prénoms français par les parents (ou
sous la pression de l'administration), ainsi que la francisation des patronymes
(qui s'y surajoute ou non) par les parents et/ou les enfants participent au
premier chef des techniques de "neutralisation" des préjugés
liés au faciès. Dans le livre qu'elle consacre au
phénomène du changement de nom, Nicole Lapierre souligne que
« la plupart des parents originaires de pays du Maghreb
préfèrent donner à leurs enfants des prénoms arabes
traditionnels, en dépit des effets stigmatisants que ce choix peut
susciter »1524(*). Plus encore, « la francisation de
patronymes qui renvoient aux frontières symboliques de la terre d'Islam
apparaît comme une rupture inacceptable pour beaucoup de
musulmans ». « De fait, ajoute-t-elle, la
quasi-totalité des changements de nom de consonance arabe sont le fait
de personnes ayant pris leurs distances avec l'islam ; ce peut-être
aussi une décision qui confirme une option paternelle en faveur de la
culture et de la société françaises maintenue dans le
contexte de la décolonisation »1525(*).
De même, selon Erving Goffman, les
procédés tel que le changement de nom participent des
« techniques d'assimilation »1526(*) qu'emploient les membres
des minorités ethniques pour traduire leur volonté
d'intégration ou leur sentiment d'appartenance à la
société d'accueil, incidemment menacés par une apparence
qui les rattache de prime abord à un « groupe tribal
stigmatisé ». L'individu stigmatisé use du
prénom et/ou du nom francisé(s) comme de
« désidentificateurs », soit « un type de
signes qui tendent - en réalité ou dans l'espérance -
à briser un tableau autrement cohérent, mais pour le modifier
dans un sens positif voulu par leur auteur, et dont l'effet n'est pas tant de
poser une nouvelle revendication que de mettre fortement en doute celle qui
existait virtuellement »1527(*).
En l'espèce, s'il procède d'une démarche
volontaire des parents, le choix de prénoms "français" pour les
enfants tend, dans le meilleur des cas, à souligner - et à signer
aux yeux d'autrui - l'option des pères pour la France :
« Mon père m'a appelée Marianne,
comme la République. Parce qu'il l'aimait profondément. Pour lui,
elle était le symbole de la liberté ». Et elle
ajoute : « Mon père était un grand érudit
musulman. Un jour, je suis sortie en portant une robe fuchsia, avec un
décolleté profond, des lacets, et très courte. Je ne
pouvais même pas tirer dessus tellement il y avait peu de tissu. J'ai
croisé mon père dans la rue. Il s'est exclamé :
«Comme tu es belle ! Pourquoi n'as-tu jamais mis cette robe ?
N'aie pas peur que le regard des hommes te salisse. Moi je suis
français, et mon regard ne te salira jamais» »1528(*).
Plus prosaïquement, le choix de prénoms
"français" peut signifier la volonté des parents de soustraire
leurs enfants aux effets d'assignation et de stigmatisation liés aux
prénoms particulièrement typifiants. C'est le cas de la maman de
Sarah, qui n'a pas voulu que sa fille, « arrière-petite-fille
et petite-fille de harkis », porte un prénom arabe,
« pour qu'elle ne subisse pas le poids de cette histoire et qu'elle
ne se heurte pas au racisme ». Et elle ajoute :
« Même si plus tard je lui raconterai mon parcours et celui des
harkis, je veux qu'elle vive comme tous les autres enfants. Loin de ce
drame »1529(*).
Cependant, cette démarche peut être mal
interprétée par certains enfants de harkis, qui peuvent ne voir
dans cette décision que pur esprit de soumission, volonté
d'effacement. C'est ce que reproche en substance Zahia Rahmani à son
père, qui l'avait appelée "Isabelle", pour sa plus grande honte
à elle, humiliée par ce prénom qui ne lui ressemblait pas
et, plus encore, par l'attitude d'un père qu'elle voyait semblable
à ces « petits soldats qui s'excusent tout le
temps » :
« On n'a pas voulu nous voir. Nous, ceux de cette
politique honteuse. Si seulement on avait parlé. Si on avait su. Mais on
n'a pas su. Cette parole qu'on écoute, qui informe et qui libère
on ne l'a pas eue. On n'a pas pu. On m'a donc appelée Isabelle. Ma soeur
est devenue Francine et mon frère Francis. Isabelle, et le reste tu
oublies. Ton père ne lève pas la tête et tu dois marcher
avec des prénoms pareils ! On était la risée de tout
le monde. Bonjour madame, bonjour monsieur ! Une ressemblance contrainte.
Sans explication. Ressemble-moi. Ressemble-moi. C'est la seule chose que je
supporte de toi ! Et toi, pauvre con, tu mimes ton
maître »1530(*).
Cependant, d'autres facteurs - indépendants de la
volonté des parents - peuvent expliquer pourquoi au sein de la
communauté harkie la francisation des prénoms apparaît
être une pratique relativement plus répandue qu'au sein des
populations issues de l'immigration maghrébine (où cette pratique
demeure très exceptionnelle). La fréquence du choix de
prénoms français y est de fait étroitement
corrélée aux conditions initiales de prise en charge des anciens
harkis et de leurs familles par les autorités de tutelle : cette
option fut ainsi la plupart du temps une option "sous pression", largement
tributaire du zèle des administrateurs, assistantes sociales et autres
personnels officiant dans les camps de regroupements et autres sites
spécifiquement dédiés à
l' « accueil » et au
« reclassement » des Français musulmans
rapatriés, qui entendaient faciliter l'intégration des enfants en
imposant aux parents le choix d'un prénom "français". Marwan Abi
Samra et François-Jérôme Finas rapportent ainsi que
« les monitrices de promotion sociale prénomment souvent les
nouveaux-nés dans les camps et les hameaux forestiers, contre l'avis des
parents ; il est d'ailleurs très significatif de voir qu'une partie
importante des jeunes Français-musulmans, nés entre 1962 et le
début des années 1970, portent des prénoms
français, alors qu'ils se font appeler dans leur entourage familial et
communautaire par des prénoms arabes »1531(*). Pour leur part,
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou notent qu'au Logis d'Anne « une
grande partie des enfants nés entre 1963 et 1970 portent des
prénoms «français» imposés par l'assistante
sociale ou la sage-femme ». Les auteurs d'ajouter :
« Un refus était perçu comme la marque d'une
volonté de non-intégration ! »1532(*). De même, Mohamed
Bouremel, de Mende, rapporte que « dans le camp, en Lozère,
l'assistante sociale choisissait le prénom des enfants à notre
place. Du coup, une de mes filles s'appelle Danièle : c'est la
seule qui porte un prénom français. Après j'ai
refusé »1533(*).
La décision de franciser un patronyme - le "changement
de nom" proprement dit - est encore plus exceptionnelle. Elle procède
généralement de la volonté des enfants (et parfois aussi
des parents) de déjouer un destin trop scellé par un nom qui
« enserre l'individu et le déconsidère tout
entier »1534(*), mais encore parfois - dans une démarche
plus intérieure - de « mettre en correspondance le sentiment
d'identité, la réalité de la citoyenneté et le
caractère du patronyme »1535(*). En ce cas, ajoute-t-elle, « la dimension
horizontale de l'affiliation et de l'intégration sociale y prend
nettement le pas sur l'axe vertical de l'origine et de la
filiation »1536(*).
Cependant, les témoignages recueillis par Nicole
Lapierre marquent, dans leur diversité, combien la manière dont
est assumée cette situation ainsi que les bouleversements induits
divergent non seulement selon que cette francisation du prénom et/ou du
nom a été imposée de l'extérieur ou choisie, mais
encore - mais surtout - selon le degré de latitude qu'elle laisse
à l'individu pour trouver et jouer du point d'équilibre entre
l'axe vertical de la filiation et l'axe horizontal de l'affiliation. Les
parents de Djellouli Bent Ahmed s'étaient vus imposer par
l'administration du camp de lui donner un prénom français, tout
en conservant la possibilité d'y accoler un prénom arabe en
second1537(*). C'est
ce prénom qui est utilisé dans les relations familiales et
intra-communautaires. « L'usage d'une identité officieuse,
réservée aux proches, délimitée à un espace
de relations privilégiées au sein duquel elle fonctionne comme
signe distinctif d'appartenance et d'inclusion, comme repère de
familiarité et de reconnaissance, existe au demeurant dans de nombreuses
collectivités », souligne Nicole Lapierre1538(*). Cependant, Djellouli use
de son identité "composite" comme d'un atout dans ses relations sociales
et professionnelles :
« Cela nous arrange bien avec l'administration
d'avoir des prénoms français, mais à la maison on en a un
autre, et puis on change selon les circonstances. Moi, sur ma carte de visite,
pour un usage commercial, j'ai abrégé mon nom en Bent, M. Bent,
c'est plus facile. On joue aussi avec les prénoms et avec les
apparences, on des caméléons : avec les Juifs on peut
laisser croire qu'on est Juif, avec les Beurs, qu'on est beur, avec les
Italiens, même chose. C'est ce qu'il faut faire, travestir le
système d'identité et en rire »1539(*). A l'inverse, Mohamed
Guerroumi, pupille de la nation, devenu Jean-Pierre Guérin à la
suite de l'internement de son père, ancien combattant d'Indochine et
d'Algérie, n'a jamais rencontré que méfiance et
soupçon avec cette identité en forme de table rase1540(*), et se dit
« amputé ». Il a fait plusieurs demandes de retour
à son identité originelle, constamment rejetées par les
tribunaux.
Et Nicole Lapierre de souligner qu'« à la
croisée de l'individuel, du familial et du social, (...) l'optique
grossissante du changement de nom révèle l'ambivalence des
phénomènes d'identification et d'affiliation, (...) mais aussi la
pensée magique et les constructions idéologiques qui s'emparent
des signes et repères de l'identité »1541(*). « Les propos
des uns et des autres, ajoute-t-elle, témoignent de cette double
pression, interne liée à la filiation, à l'héritage
d'une histoire et au sentiment d'identité, externe liée à
la stigmatisation et à l'identité dévalorisante
assignée »1542(*).
b) La stratégie de divulgation de
l'identité intime
La stratégie de divulgation de l'identité intime
vise - par un acte déclaratif - à renverser les anticipations
"réflexes" d'autrui, inférées sur la base du seul
phénotype. Il s'agit, en se déclarant ouvertement "fils ou fille
de", de dire : « Je ne suis pas celui que vous
croyez ».
Ainsi en va-t-il par exemple de Mohamed
(35 ans) qui, s'il dit « ne pas [être]
exubérant dans [sa] position de harki ou de fils de harki »,
reconnaît cependant qu'il lui arrive de faire en sorte de déjouer
les apparences :
« Maintenant, il y a des contextes qui veulent
qu'effectivement tu dises : «Attendez, moi je suis pas...»
- Quels contextes ?
- Ah !, c'est selon le feeling. Dans le monde du travail,
y'a des fois où tu es obligé de sortir tes crocs :
«French, hein, OK ? D'accord ? Donc, j'ai rien à
apprendre de toi. Rien à apprendre. Les leçons d'histoire ou de
morale, c'est pas toi qui les donnes, c'est plutôt moi, alors s'il te
plaît...». Parce que dans le monde du travail, si tu montres pas tes
dents, tu te fais vite manger, hein. Donc, de temps en temps, il faut savoir
remettre les choses à leur place, historiquement, dire :
«Attention !, Monte Cassino, la libération de l'Europe. On
rigole des "enturbannés", des "négros", comme vous les appelez,
hein, mais... Monte Cassino, c'est Mohamed, Ali, Mustapha qui ont fait Monte
Cassino, donc, s'il te plaît, l'histoire, celle qu'on t'a
ressassée dans les bouquins et celle que je connais moi, c'est pas du
tout la même. Alors, rendons à César ce qui lui
appartient». Et, en général, après... personne ne
vient empiéter sur les plates bandes de l'autre, ça se passe
très, très bien ».
De même, un fils de harki de 29 ans, interrogé
par Moustapha Diop, reconnaissait « [se présenter] comme fils
de harki pour échapper parfois au statut d'Arabe »1543(*).
Les effets non escomptés de la
stratégie de divulgation de l'identité
intime
Cependant cette stratégie, si elle peut déjouer
les attitudes d'ostracisme fondées sur une anticipation erronée
des attaches nationales (et il est généralement d'importance,
pour les enfants de harkis, français par filiation, de ne pas être
considérés et plus encore traités en étrangers par
les membres du groupe majoritaire), ne peut décourager celles
fondées sur ces autres « stigmates tribaux » que
sont selon Erving Goffman la « race » et la
« religion » (exception faite de ceux - une toute petite
minorité - parmi les enfants de harkis qui se sont convertis au
catholicisme et choisissent d'en faire ouvertement état).
Par ailleurs, la stratégie de la divulgation expose les
enfants de harkis au risque d'être stigmatisés pour ce qu'ils sont
- ou, plutôt, pour ce que sont les harkis aux yeux des autres. Ainsi en
va-t-il de la flétrissure de sens commun - redevable d'un déficit
d'information (ou d'une forme de paresse intellectuelle) - assimilant les
harkis à des « collabos ». Ainsi en va-t-il, a
fortiori, de la flétrissure plus inflexible - car motivée
idéologiquement - propre à certains cercles anticolonialistes
marqués par leur engagement durant la guerre d'Algérie (ou s'en
réclamant), et dont l'influence sur le sens commun - via la diffusion de
schèmes de pensée qui opèrent et prospèrent
à titre de réducteurs de complexité - n'est du reste pas
négligeable.
En outre, par-delà même l'anathème, la
stratégie de la divulgation est potentiellement invalidante lorsqu'elle
se heurte, de la part de l'interlocuteur, à une totale
méconnaissance de ce que sont les harkis. Eu égard au trouble
ainsi institué dans le cours normal de l'interaction, l'explication
elle-même peut devenir source d'humiliation, signant aux yeux des
intéressés combien ils sont des Français
"entièrement à part".
Aussi, la proposition selon laquelle la divulgation - à
l'adresse du groupe majoritaire - de l'identité intime des enfants de
harkis va « briser un tableau autrement cohérent mais pour le
modifier dans un sens positif [voulu par l'auteur de la
divulgation] » est à la fois vraie et fausse. D'une part, une
telle stratégie n'autorise qu'à se dégager partiellement
des anticipations négatives fondées sur la
primo-caractérisation (phénotypique) de l'individu : au
contact d'un enfant de harki, un individu profondément raciste -
à la différence peut-être du xénophobe, qui est
mû par la peur des "intentions hostiles" de l'étranger - ne pourra
être ébranlé dans ses préjugés raciaux par
une profession de foi qui viserait d'abord à signifier un attachement
spirituel à la société d'accueil. D'autre part, la
stratégie de la divulgation expose potentiellement les enfants de harkis
à une forme de discrédit - le stigmate d'infamie (lié
à l'étiquette de « collabos » accolée
à leurs parents) - que n'appelait pas auprès du groupe
majoritaire leur situation antérieure de
« discrédité » (en tant
qu'« étrangers »). Ainsi, le caractère
paradoxal de la « ronde journalière » des enfants de
harkis est en quelque sorte porté à son comble lorsque leur
effort pour s'extraire de leur condition d'individus
« discrédités », plutôt que de
déjouer cette condition invalidante, la suscite d'une autre
manière en modifiant la nature du discrédit qui leur est
attaché1544(*).
Pis encore, la stratégie de la divulgation peut à l'occasion
ajouter au discrédit préalable, sans l'effacer : c'est le
cas par exemple de certains employeurs qui, en plus de compter au passif des
enfants de harkis leurs attributs patronymiques et/ou phénotypiques, les
considèrent être par surcroît, en leur qualité
d'enfants de harkis, des « semeurs de troubles »
potentiels, ce notamment dans les régions ou l'implantation des familles
s'est opérée sur un mode communautaire1545(*). Il est bien
évident, cependant, que le risque d'être exposé au stigmate
d'infamie à la suite d'un acte déclaratif (« Je suis
fils ou fille de ») est moins grand au regard du groupe majoritaire
qu'auprès des populations issues de l'immigration algérienne.
2. L'effort de conformation aux anticipations normatives
des populations issues de l'immigration maghrébine, ou « le
surmarquage des attributs de l'arabité » (Mohamed Kara)
A l'inverse de la stratégie de la divulgation, dont
elle est en quelque sorte le symétrique, la stratégie de la
"dilution" au sein des populations issues de l'immigration maghrébine
appelle le "camouflage" de leur filiation par les enfants de harkis. En
l'espèce, en tant que l'individu n'est pas déjà
« discrédité » mais bien potentiellement
« discréditable », il s'agit pour les enfants de
harkis non pas de déjouer mais, au contraire, de jouer
des apparences pour prévenir à leur endroit toute forme de
flétrissure liée au stigmate d'infamie. Erving Goffman appelle
« faux-semblant » le maniement d'une information
"discréditrice" pour soi-même et non révélée.
Et il ajoute : « Dès lors qu'un individu a quelque chose
de compromettant dans son passé ou son présent, on peut penser
que la précarité de sa position varie en proportion directe du
nombre de personnes dans le secret »1546(*). Ainsi, du fait même
de la rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie
(voir plus haut), les enfants de harkis se voient ordinairement contraints de
se replier sur une identité de façade qui ne déroge pas
aux attentes normatives des enfants d'immigrés, malgré le
sentiment évident de frustration qui s'ensuit :
« (...) les jeunes issus de l'immigration,
c'est-à-dire y'a pas marqué là qu'on est harkis, donc nous
on le dit pas d'entrée, parce que... (...) je le dis pas
forcément parce que... ça nous crée des problèmes
automatiquement (...). Moi, j'irai jamais dire d'entrée à
quelqu'un : «Je suis fille de harki», sans avoir discuté
avec lui une ou deux journées, ou plus. Voilà. Aux Beurs, on peut
pas leur dire qu'on est enfants de harkis, ou quoi, parce que y'a tout de suite
le regard de travers, le soupçon... je sais pas comment dire mais
après... derrière le dos, ça parle beaucoup, et puis
automatiquement y'a le téléphone arabe, donc tout le monde va
vous regarder de loin, comme ça, et puis... y'aura un poids sur le dos
et... c'est pas... je peux pas... moi personnellement je pourrais
pas » (Jacqueline) ; « Quand on me
demande d'où je viens, je dis : «Je suis Marseillais. Je suis
né à Marseille. Mais je suis d'origine algérienne».
Tu peux pas dire : «Je suis fils de harki». C'est impossible.
C'est mal perçu. C'est l'impression que j'ai, c'est mal perçu. Tu
as des gens qui vont comprendre, tu as des gens qui vont pas comprendre. Bon,
je suis Marseillais d'origine algérienne, point à la ligne. Moi
j'aimerais bien dire à tout le monde que je suis fils de harki... :
«Traître ! Tu es un traître, ils ont vendu leur
pays» » (Karim).
De même, Hocine, 26 ans, ne se dévoile qu'avec
parcimonie à ses amis « fils de combattants
FLN » :
« Fils de collabo, c'est quand même difficile
à porter. J'ai beaucoup d'amis parmi les fils de combattants FLN. Nous
avons la même tête et les mêmes difficultés. Mais je
ne dévoile mes origines qu'à ceux qui peuvent
comprendre »1547(*).
Pour sa part, Farid, qui vivait dans un quartier habité
par une forte proportion de populations immigrées, se souvient des
consignes inhibantes (et sans doute effrayantes) de sa mère :
« Quand on sortait dehors, ma mère nous disait souvent en se
mettant le doigt sur la bouche : «Ne dit jamais qu'on est des
harkis» »1548(*).
Cette propension à se replier sur une identité
de façade est d'autant plus forte pour ceux qui, vivant dans des
quartiers "mixtes" où les familles de harkis sont une "indicible"
exception, ne bénéficient pas du sentiment de
"réassurance" identitaire offert par les sites "fermés",
marqués par une sociabilité de type communautaire (un des rares
"apanages" des familles "ségrégées"). Un témoignage
saisissant m'en a d'ailleurs été donné quasi-fortuitement,
en deux étapes, d'abord à la faveur d'une discussion informelle
avec une personne de ma connaissance, d'origine marocaine, sur mon lieu de
domiciliation (en région parisienne), puis dans le cadre de mes
investigations de terrain à Largentière (en Ardèche).
J'appris d'abord, de la bouche de cet ami d'origine marocaine, alors même
que je lui expliquais l'objet de mes travaux, que Magid1549(*), jeune homme de mon
âge que je connaissais depuis l'enfance pour avoir longtemps
pratiqué le football avec lui, était petit-fils de harki, mais
qu'il avait fait jurer aux rares "affranchis" de garder pour eux ce "secret"
(qu'il tenait visiblement pour une tare honteuse eu égard aux
représentations véhiculées par son environnement amical).
Je n'en avais, de fait, jamais rien su auparavant. Magid a vécu son
enfance et son adolescence dans une cité HLM où la proportion des
familles issues de l'immigration maghrébine est relativement forte.
Quelque temps après, je rencontrai, au cours de mon séjour
à Largentière, un fils de harki prénommé
Hicham1550(*), dont le
nom de famille était identique à celui de Magid. Je conçus
d'abord cela comme un hasard et n'opérai aucun rapprochement. Hicham,
plus âgé que Magid, et vivant dans un site
"ségrégé" au milieu d'une forte communauté harkie
(et de quelques familles d'origine marocaine, minoritaires) assumait
totalement, et généralement ouvertement aux yeux d'autrui (y
compris vis-à-vis des personnes issues de l'immigration
maghrébine), sa condition de fils de harki. Je fus donc
extrêmement surpris de l'entendre évoquer, au fil de la
conversation, l'existence d'un neveu prénommé Magid,
domicilié dans la même ville que moi et qui, par ce fait, ne
pouvait être que le Magid que je connaissais moi-même. Cet exemple
témoigne par excellence de ce que la cohésion communautaire - ou
son absence - est un facteur crucial dans le fait d'assumer ou non ouvertement
son ascendance lorsqu'on est fils ou même - à l'instar de Magid -
petit-fils de harki.
Erving Goffman note que pour un individu
« normal »1551(*), « quoique sa ronde journalière le
mette habituellement en contact avec des gens qui le connaissent de
façons différentes, (...) un certain type de structure
biographique unique se maintient toujours »1552(*). Un individu
« normal » peut être ainsi défini comme un
individu dont le passé ou le présent ne recèle rien qui ne
déroge fondamentalement au stéréotype que l'on s'en fait,
et pour qui nul problème de
« révélation » ou de
« dissimulation » ne menace de contrarier la
présentation de soi ou l'identification par autrui. À l'inverse,
s'agissant des enfants de harkis, il est possible d'affirmer que, du fait des
contradictions inhérentes à la manière dont les uns - le
groupe majoritaire - et les autres - les populations issues de l'immigration
(algérienne, en particulier) - perçoivent et sont susceptibles de
considérer les intéressés et, corrélativement, de
l'ambivalence des stratégies de présentation de soi qu'ils
peuvent être amenés à assumer, les rencontres fortuites de
la vie quotidienne sont génératrices d'une confusion des
identifications et d'une ségrégation des rôles
difficilement compatibles avec le maintien d'une "structure biographique"
unique. Du reste, soulignons-le à nouveau, le registre identitaire
auquel il est fait appel est d'autant plus étendu que les
stigmatisations sont croisées, c'est-à-dire imputables à
des groupes diversement positionnés sur l'échelle sociale, et que
- par surcroît - ces stigmatisations peuvent être paradoxales,
c'est-à-dire contradictoires les unes les autres. Se pose ainsi la
question de la congruence entre l'identité pour soi et l'identité
pour autrui : « On pense fréquemment, non sans raison,
que celui qui fait semblant doit se sentir déchiré entre deux
attachements. D'une part, il éprouve une certaine impression de distance
à l'égard de son «groupe», puisqu'il n'est guère
capable de s'identifier pleinement à l'attitude de celui-ci envers ce
qui peut lui être imputé. Mais, d'autre part, il ne peut manquer
de se sentir déloyal et de se mépriser quand il ne réagit
pas contre les remarques «insultantes» qu'adressent les membres du
groupe au sein duquel il fait semblant à ceux de la catégorie
hors de laquelle il feint d'être, surtout s'il lui paraît dangereux
de se tenir à l'écart de ces séances de
dénigrement »1553(*).
Le déploiement routinier de telles stratégies de
contrôle de l'information marque « la dépendance
statutaire des individus vis-à-vis de la position [relative] et de
l'image des groupes auxquels ils appartiennent »1554(*). Et ce plus encore
« lorsqu'on appartient à un groupe faiblement structuré
et organisé »1555(*). Au final, ainsi que le souligne Erving Goffman,
« l'individu stigmatisé est avant tout formé à
la conception qu'ont les autres de ses semblables »1556(*). Il s'ensuit, pour les
enfants de harkis, un écartèlement des identifications au niveau
du Moi, qui augure chez la plupart d'une sensation de
« déchirement ».
III. L'écartèlement des identifications
au niveau du Moi : le concept de triangle de stigmatisation et la notion
de « déchirement » (Vincent de Gaulejac)
Ce chapitre consacre une forme de montée en
généralité, et ce à double titre :
- d'abord via un effort de modélisation de la
sociodynamique de la stigmatisation au sein et autour de la
communauté harkie, à travers la notion de "triangle de
stigmatisation" (section A.);
- ensuite via la mise en évidence du double
étayage, affectif et social, du sentiment d'humiliation des
enfants de harkis, déchirés entre la nécessité de
composer au jour le jour avec un environnement social stigmatisant et
la "honte d'avoir honte" de leurs parents1557(*) (section B.).
A. Le concept de triangle de stigmatisation
L'effort de modélisation de la sociodynamique de la
stigmatisation s'articule autour de la notion de "triangle de stigmatisation"
ou, plus exactement, de double triangle de stigmatisation. Nous distinguerons
entre :
- d'une part, un triangle "catégoriel" qui
modélise la dynamique externe de "générescence" d'une
imagerie globale (et globalement négative) de la figure du harki
(section 1) ;
- d'autre part, un triangle "existentiel" qui modélise
le brassage du "reçu" et du "vécu" chez les enfants de harkis
dans l'ordinaire des relations sociales et familiales (section 2).
1. Un triangle "catégoriel"
Ce triangle catégoriel peut être dépeint
comme le lieu de coalescence d'un regard institutionnel (gestes officielles
algérienne et française), d'un regard collégial (geste des
intellectuels en guerre d'Algérie) et d'un regard routinier (les
anticipations statutaires fondées sur l'activation de
stéréotypes physiques et réputationnels dans l'ordinaire
des relations sociales). Eric Landowsi parle à cet égard d'un
« jeu à trois » des catégorisations, ou d'un
triptyque « catégories officielles »,
« catégories savantes »,
« catégories naturelles »1558(*).
Ce lieu où s'agglomèrent et s'amalgament ces
différents "regards" est aussi, nous l'avons vu, le lieu de
"générescence" d'une imagerie globale - et globalement
négative - des intéressés. Ainsi, le triangle de
stigmatisation "catégoriel" rend compte de la dynamique de confluence
des formes d'assignation statutaire qui limitent l'acceptation des
intéressés et de leurs enfants en France et en Algérie.
Autrement dit, ce triangle de stigmatisation catégoriel est une forme de
modélisation de ce que Erving Goffman décrit comme
« l'histoire de la capacité qu'a un attribut [en l'occurrence,
la qualité de harki] de servir de stigmate dans une
société donnée »1559(*).
Triangle de stigmatisation
catégoriel
Formation d'une "imago"/imagerie globale (et globalement
négative)
Catégories "officielles"
Catégories
"savantes"/militantes
(gestes officielles algérienne et
française)
(geste des intellectuels français)
Catégories "naturelles"/routinières
(activation de stéréotypes dans l'ordinaire des
relations sociales)
2. Un triangle "existentiel"
Ce triangle "existentiel" modélise le brassage du
"reçu" et du "vécu", le rapport à la mémoire et aux
origines et la façon dont il peut - ou non - produire la honte dans
l'ordinaire des relations sociales, de nos jours en France : en somme, il
est le lieu cardinal - quasi-géographique - d'expérimentation de
la honte par les fils et filles de harkis au cours de leur « ronde
journalière ».
Ce triangle de stigmatisation "existentiel" est le produit de
trois types d'influences routinières :
- À la base de ce triangle, l'influence
"rentrée", à la fois spéculaire (car elle a trait à
l'identification au père) et tyrannique (car régie par les
affects), du "non-dit" paternel, cette difficulté des pères
à dire et à transmettre à leurs enfants un roman familial
marqué par leur engagement aux côtés de la France et les
conséquences dramatiques qui en ont résulté. Il en
résulte - double violence psychologique et affective -
l'intériorisation par l'enfant du regard que la société
porte sur ses parents et, corrélativement, l'effondrement toujours
possible, toujours menaçant de l'image de l'idéal parental.
- Sur le premier versant du triangle, l'influence machinale,
mécanique du système de stéréotypes fixé par
le groupe majoritaire : dans les interactions fugaces de la vie
quotidienne, les extrapolations/anticipations fondées sur la seule
apparence physique des sujets jouent contre la reconnaissance des enfants de
harkis "en tant que tels", en raison de la prégnance du
« stigmate tribal » et de l'amalgame avec la
deuxième génération issue de l'immigration
maghrébine. Ce parasitage de la « reconnaissance
sociale » par la « reconnaissance cognitive »
(Erving Goffman)1560(*) signe, pour les enfants de harkis, le "tragique
latent" de la construction routinière du rapport Nous / Eux
vis-à-vis du groupe majoritaire.
- Sur l'autre versant du triangle, l'influence
"déclarée", ouvertement hostile, des préconceptions
négatives / des a priori négatifs nourris plus ou moins
systématiquement au sein des populations issues de l'immigration
maghrébine (algérienne en particulier) à l'encontre des
anciens harkis et, par une sorte de raisonnement en miroir, à l'encontre
de leurs enfants. Le paradoxe est que cette rémanence
transgénérationnelle du stigmate d'infamie est alimentée
par ceux-là mêmes - certains fils et filles d'immigrés
maghrébins - avec lesquels les fils et les filles de harkis sont
ordinairement confondus par les membres du groupe majoritaire.
Enfin, à l'épicentre de ce triangle,
l'état de dissonance cognitive, la sensation de
« déchirement » (Vincent de Gaulejac) auxquels sont
sujets les enfants de harkis. Cette sensation de déchirement est la
conséquence de l'écartèlement des manières de
s'identifier et d'être identifié par les autres, mais plus encore
de l'impossibilité de puiser dans un récit familial grevé
par les "non-dits" un moyen terme sécurisant, des médiations
satisfaisantes que les enfants de harkis puissent opposer aux avanies multiples
et contradictoires dont ils sont l'objet. Aspects psychoaffectifs et
psychosociaux entrent ainsi dans une dynamique de renforcement qui intensifie
et pérennise la sensation de déchirement.
Ainsi, ce second triangle est le lieu de confluence des
informations portées à leur endroit et/ou à leur encontre
par leur environnement immédiat dans l'ordinaire des relations sociales,
autrement dit, une représentation modélisée du
« cycle des événements ordinaires » qui
limitent la possible projection et la possible affirmation des enfants de
harkis dans la société d'accueil.
Triangle de stigmatisation
existentiel
Ecartèlement des identifications au niveau du
Moi : la notion de "déchirement"
Le système de stéréotypes fixé
par Les
préconceptions négatives des
la société d'accueil
populations issues de
l'immigration
(l'amalgame avec les populations
algérienne
issues de l'immigration maghrébine) (la
rémanence
transgénérationnelle du
stigmate d'infamie)
L'interdit parental
L'interdit paternel
(la difficulté des pères à "dire" et
à "transmettre")
À travers ce double étayage, "catégoriel"
et "existentiel", de la sociodynamique de la stigmatisation, transparaît
un autre étayage, affectif et social. Autrement dit, à la honte
de la situation objective dans laquelle ils se trouvent routinièrement
placés du fait du regard ou, plutôt, des regards portés sur
la trajectoire singulière de leurs parents et de l'obligation
corrélative de devoir composer avec ces regards pour s'en
accommoder tant bien que mal (et plutôt mal que bien au regard du
coût intime de telles stratégies d'accommodation) se surajoute,
chez les enfants de harkis, la "honte d'avoir honte". Car si la honte est
d'abord le produit d'un système de signes véhiculés de
l'extérieur autour et à l'encontre de la communauté
harkie, son expression se trouve renforcée par la "cassure" de la
dynamique des générations au sein même du noyau familial,
l'ambivalence des sentiments filiaux se nourrissant de la résignation
supposée des parents (ou présentée comme telle par
certains enfants) :
« Lorsque l'enfant a le sentiment que ses parents
sont résignés ou qu'ils sont responsables de cette situation,
(...) qu'ils ne semblent pas avoir conscience de la souffrance psychique et
psychologique qu'elle engendre alors que l'environnement est stigmatisant,
(...) l'enfant est partagé entre deux attitudes : trahir pour se
sauver, ou reproduire pour ne pas trahir »1561(*).
Pour l'auteur, cette « dualité du sentiment
de honte entre la stigmatisation sociale et la dévalorisation des
parents », cette redondance ou ce mouvement de renforcement entre la
« violence symbolique » (« liée au regard
de la société ») et la « violence
psychique » (« liée à l'effondrement de
l'image paternelle »), sont générateurs d'une sensation
de « déchirement identitaire »1562(*).
B. La notion de
« déchirement » (Vincent de Gaulejac) :
« l'insécurité ontologique des enfants de harkis, entre
irrésolution identitaire et ambivalence des sentiments
filiaux » (Mohamed Kara)
Selon Jean-Claude Deschamps et Alain Clémence, la
notion d' « équilibre cognitif »,
conceptualisée notamment par Fritz Heider1563(*) et Leon
Festinger1564(*), part
de l'idée qu'il existe chez l'individu un « besoin »
fondamental d'organiser ses relations interpersonnelles, d'atteindre à
une vision équilibrée, congruente de son environnement,
« de telle manière que, dès qu'il y a
déséquilibre, il y a tentative de restaurer un état
équilibré ». Et ils ajoutent : « La non
cohérence, l'inconsistance, ou même la contradiction,
entraînent un processus d'autorégulation visant à restaurer
la cohérence ou l'équilibre »1565(*).
Or, en l'espèce, la mise en branle de tels
mécanismes d'autorégulation et de retour à la consonance
cognitive est rendue particulièrement difficile du fait de la situation
décrite par le triangle de stigmatisation (voir ci-dessus). Les enfants
de harkis, nous l'avons vu, vivent en France dans le paradoxe de ne pouvoir
être (du fait de l'amalgame avec les populations issues de l'immigration
maghrébine) et de devoir ne pas être (pour ne pas
s'exposer aux avanies véhiculées par ceux-là mêmes
avec lesquels ils sont ordinairement confondus). Et le silence du père,
parce qu'il ne sait pas ou ne veut pas expliquer, va, d'une certaine
manière, "donner raison" aux éléments de
stigmatisation.
La honte surgit dès lors au centre des
possibilités chez l'individu stigmatisé. Celle-ci,
précisément, peut être définie comme un
« méta-sentiment », « un
conglomérat de charges et de réactions émotionnelles,
d'affects, de sensations où se mêlent des aspects psychoaffectifs
et psychosociaux » ; selon Vincent de Gaulejac, ces
différents aspects « peuvent, soit se compenser et faciliter
les processus de dégagement, soit se renforcer mutuellement et
enchaîner le sujet dans l'impossibilité de trouver une issue aux
contradictions qui le traversent »1566(*). En l'espèce, la
honte liée au poids des "étiquetages" dans l'ordinaire des
relations sociales se nourrit de l'ambivalence des sentiments filiaux
(ambivalence liée à la "démission" apparente des
pères face aux pressions inhibitrices de l'environnement social). Il
s'ensuit une forme de "noeud socio-psychique" qui ajoute la culpabilité
à la honte : c'est la "honte d'avoir honte".
C'est aussi ce que suggère Mohamed Kara, qui
évoque, à propos des enfants de harkis, « un
sentiment de double honte : honte persistante de son stigmate et,
contradictoirement, honte de ne point l'assumer »1567(*). De même, Erving
Goffman souligne que « celui qui fait semblant doit se sentir
déchiré entre deux attachements », car « il
ne peut manquer de se sentir déloyal et de se mépriser quand il
ne réagit pas contre les remarques «insultantes» qu'adressent
les membres du groupe au sein duquel il fait semblant à ceux de la
catégorie hors de laquelle il feint d'être, surtout s'il lui
paraît dangereux de se tenir à l'écart de ces
séances de dénigrement »1568(*). En témoigne Kamel,
interrogé par Mohamed Kara : « C'est plus douloureux
parce qu'on se sent frustrés. Normalement, on devrait dire qu'on est
harkis et qu'ils se trompent en étant racistes (les immigrés),
ils ne connaissent pas l'histoire »1569(*).
Aussi, placés routinièrement -
c'est-à-dire au gré de leur « ronde
journalière » - au coeur d'une situation d'intercommunication
paradoxale, et parfois durablement confrontés à l'interdit
paternel, les enfants de harkis traversent généralement, à
un moment ou à un autre de leur « itinéraire
moral », ce que Vincent de Gaulejac décrit comme une situation
de « déchirement ». La notion de
« déchirement » est définie par cet auteur
comme « le produit de contradictions face auxquelles le sujet ne
trouve pas de médiations satisfaisantes »1570(*) :
« D'une part, on avait les Français "de
souche" qui, eux, nous considéraient comme... «l'Arabe» voire,
pour certains, «le bougnoule» tout simplement, et puis de l'autre
côté vous aviez l'immigré algérien qui lui nous
disait : «Mais ça c'est des harkis ou fils de harkis»,
avec tout ce que ça a de péjoratif quand c'est dit par un
Algérien, c'est-à-dire que c'est un traître, vous
comprenez » (Mohamed, 42 ans).
Dès lors, adolescent, Mohamed
(42 ans) en vient à se sentir complètement
"paumé" ; lui qui a perdu très tôt son père
manque, plus encore que ses camarades peut-être, des
référents, des repères nécessaires pour faire face
aux assignations statutaires, le plus souvent contradictoires, mais qui toutes
tendent à les marginaliser, dont sont l'objet les membres de la
communauté harkie :
« Et donc, c'est vrai que nous... on était
là, on... nos repères, nos références, on en avait
pas, on savait pas si on était français, si on était
arabes, si on était... on le savait pas du tout parce quelle que soit la
personne avec qui on pouvait parler, on ne pouvait jamais s'associer ni
à son discours, ni à ses références à elles
parce que bon... on était rejetés, tout simplement. Et c'est vrai
que, encore une fois, en tant qu'adolescent, c'est quelque chose qui vous
trouble pendant des années, et... en ce qui nous concerne, moi et des
dizaines d'autres enfants à l'époque, on a eu du mal à se
raccrocher à quelque chose, on a eu du mal à se dire :
«Bon, ben... on va dans cette direction ou dans celle-là»,
parce qu'on était paumés, tout simplement, on était
paumés ».
K.D. Bouneb constate « l'incapacité [de
certains enfants de harkis] d'avoir une identité propre investie
positivement. Les jeunes ne possèdent ni groupe de
référence, ni groupe d'appartenance précis, c'est en marge
de deux cultures [et de deux mémoires] qu'identification et
identité, chez eux, se constituent et se structurent, et les
difficultés de rejet vont être une entrave à une
identification valorisante (...). Le désir d'avoir une identité
propre [leur] est refusé aussi bien par la société
d'origine que par la société d'accueil »1571(*). Soulignant le rôle
déterminant du regard de l'autre dans la qualité de l'adaptation
de la deuxième génération, l'auteur ajoute :
« Etre traité de «fils de traître» par les
Algériens ou de «bougnoule» par les Français, cela
n'est pas sans conséquence sur le devenir psychologique du jeune, enfant
de harki »1572(*). Il cite, à cet égard, le
témoignage de N., 17 ans, fille de harki :
« (...) mais il y a une chose qui me désole
beaucoup, c'est que nous les Français Musulmans, nous sommes pris entre
deux feux, nous sommes comme des girouettes. Pour les Français, nous ne
sommes pas chez nous, car ce n'est pas écrit sur notre front qu'on est
des Français. Et si nous voulons aller en Algérie, on nous
dit : «oui, vous êtes des Français, retournez chez
vous !». Alors vers qui se tourner ? Et dire qu'après
plus de 20 ans l'Algérie est toujours aussi rancunière envers nos
parents, qui par la faute de cette rancune ne peuvent plus retourner voir leur
pays, leurs familles. Alors, lorsque l'on nous dit à nous les
jeunes : vous êtes des Français à part entière,
je rigole, car comment voulez-vous être Français ou
Algérien en étant souvent rejeté des deux
côtés. Nous sommes de vraies girouettes »1573(*).
Mohamed Kara souligne ainsi que « c'est la
réversibilité des effets de leur identification par autrui, selon
qu'elle s'effectue par les Français de souche européenne ou les
enfants d'immigrés, qui est source de tension morale permanente et
d'insécurité ontologique. (...) Selon l'interlocuteur, le harki
tendra à l'exaltation factice de certains traits identitaires
susceptibles de lui faciliter l'inclusion parmi les Français de souche
européenne ou, alternativement, à occulter des informations
stigmatisantes vis-à-vis des immigrés algériens et de
leurs enfants. (...) En permanence et selon les circonstances, le harki
s'aliène dans un personnage et édifie, bricole même, un
rôle de composition ». Et il ajoute : « L'enfant
de harki est agi, plus qu'il n'agit, par les termes confus de ce paradoxe
identitaire qui scelle son irrésolution »1574(*).
De même, par « atteintes à
l'unité de sens », Carmel Camilleri désigne les
atteintes à la cohérence entre la « fonction
ontologique » de l'identité et sa « fonction
pragmatique », la seconde étant régie par
l'accommodation à l'environnement1575(*). Précisément, par-delà
l'amalgame et la flétrissure per se, ce sont les
stratégies adaptatives visant à composer avec le regard de
l'autre qui - plus encore - sont susceptibles de toucher à l'estime de
soi de l'individu stigmatisé. De telles stratégies marquent en
effet l'intériorisation du stigmate par le sujet, elles fabriquent de
l'aliénation : la dialectique dissimulation/divulgation, entre
"faux-semblant" à l'égard des populations issues de l'immigration
et "surmarquage des attributs de francité" à l'égard du
groupe majoritaire, condamne les enfants de harkis à vivre sans cesse
dans l'intermédiarité, la composition, le "bricolage
identitaire".
Dans les cas extrêmes, l'identité sociale
constitue un "faux-self", servant à masquer et à protéger
le "vrai self" (Donald W. Winnicott). A cet égard, Edmond-Marc Lipiansky
avance l'hypothèse que plus les limites du moi intime sont mal
établies, plus l'identité pour soi est fragile ou mal
étayée, et plus fortes seront la coupure et la barrière
entre le moi social et le moi intime. En l'occurrence, la difficulté
d'assumer aux yeux d'autrui une filiation aux frontières mal
établies dépêche la dilution du moi intime des fils et
filles de harkis lors des contacts "mixtes". Ce faible degré de
correspondance, cette faible "congruence" (Carl Rogers) entre le moi intime, la
conscience qu'en a le sujet et la façon dont il l'exprime socialement
dans ses relations à autrui est source de souffrance pour les
intéressés :
« J'ai beaucoup de mal à le dire et... je le
dis en fait quand je suis au pied du mur, quand je peux pas esquiver
(...) ; ça me fait peur d'en parler, j'ai pas envie que les gens le
sachent (...) c'est assez difficile à porter (...) c'est pas quelque
chose que je dis spontanément quand je rencontre quelqu'un »
(Dalila, 23 ans) ; « C'est-à-dire qu'on
est obligé de cacher ce qu'on est parce que aussi bien du
côté français que du côté algérien,
euh... on se fera toujours insulter par des gens... côté
français qui sont plus ou moins de tel bord politique, on se fera
toujours insulter de «traîtres» et de... d'«enfants de
traîtres», etc., et du côté algérien, c'est
encore pire, donc quelque part on en souffre de ne pas pouvoir revendiquer ce
qu'on est. Voilà, c'est... c'est très, très difficile et
c'est... des fois ça peut vous briser (...) »
(Jacqueline).
« On comprend donc, écrit Erving Goffman, que
le faux-semblant soit un phénomène qui a toujours amené
à se poser des questions sur l'état d'esprit de ceux qui s'y
livrent ». Et il ajoute : « Avant tout, on suppose
qu'à vivre une existence sans cesse en danger de s'effondrer, le
dissimulateur doit nécessairement payer un prix psychologique
très lourd, connaître une angoisse très
profonde »1576(*). C'est assurément le cas de Leila, 39 ans,
qui a perdu son père alors qu'elle était encore enfant, et qui ne
sait comment se défaire de l'étiquette infamante accolée
à son père - cette « tare morale
contagieuse »1577(*) - et du mal de vivre qui lui est
corrélatif :
« Être harki, c'est être coupable. On
m'a collé une étiquette, "harki", et elle ne me quittera jamais.
(...) J'ai vu des psychiatres, mené plusieurs psychothérapies,
pris des médicaments. Mais je me sens impuissante face à ce
problème. Je ne peux pas déclarer la vérité
à tout le monde, ni changer les mentalités. Dans l'esprit des
gens, le harki reste un traître, un point c'est tout. Et moi, je me sens
fragilisée par tout ça »1578(*).
Il peut résulter de cette atteinte à la
cohérence entre la « fonction ontologique » de
l'identité et sa « fonction pragmatique » une forme
d'incapacité des individus à se constituer en acteurs. Cette
incapacité se traduit par des comportements de retrait, de
raréfaction des relations amicales et sociales. Vincent
de Gaulejac note qu' « une fois installée, la honte
devient alors inhibition ». « Le sujet, ajoute-t-il,
redoute toutes les situations qui pourraient réveiller sa blessure. Il
les évite, tend à s'isoler, à se replier sur
lui-même, à se couper de toute relation pour ne risquer de revivre
une telle violence »1579(*). « En gardant ainsi ses distances,
écrit Erving Goffman, l'individu discrédité parvient du
même coup à limiter les tendances qu'ont les autres à se
construire une image de lui »1580(*). La situation de
Karim, qui vit seul à Paris, est exemplaire à
cet égard :
« Moi, je te dis franchement, depuis que je suis
à Paris : boulot-maison, boulot-maison, de temps en temps je sors
voir des amis, mais autrement, aller me balader dans Paris, pour être
catalogué, pour être euh... pour qu'on te dévisage... (...)
Ce que je ne tolérerai jamais, c'est que... on est des bouc
émissaires, on nous confond, on sait pas qui on est, qui nous sommes.
Ils vont dire : «C'est des Arabes». Et puis voilà, c'est
clair ».
S'agissant plus spécifiquement des populations
"assignées", socialisées dans des "sites réservés"
en marge de la société d'accueil et du "Nous" de
référence, l'intériorisation du stigmate peut
générer des phénomènes de repli communautaire, de
mise au ban "volontaire" par rapport au reste de la société, sur
un mode plus ou moins anomique. Ainsi en va-t-il des attitudes et comportements
de certains jeunes enfants de harkis issus des sites
"ségrégés" de Largentière (la ville fut d'ailleurs
classée "site sensible" en 1981) ou Lodève, par exemple. La
relégation géographique originelle, liée au parcage et
à la mise sous tutelle par les autorités de familles
jugées globalement inaptes à s'intégrer au mode de vie
métropolitain (voir la Partie 1), a accouché, pour les
générations nées et socialisées dans ces
territoires d'exception, d'une relégation sociale différée
en même temps que de la cristallisation progressive d'un sentiment sinon
d'une "culture" de la marginalité. A cet égard, Vincent de
Gaulejac pointe les effets de « glissement entre situation
sociale et qualité morale »1581(*) (perçue et
auto-attribuée), à travers « la chaîne :
mépris, relégation, perte symbolique de l'utilité sociale,
mise en cause de l'identité collective et personnelle, retrait social,
mépris, relégation, etc. »1582(*).
Le cas de Lodève (dans l'Hérault), qui m'a
été rapporté par un étudiant en sciences politiques
issu d'une famille lodèvoise "de vieille souche", illustre la lente
cristallisation, d'une génération l'autre, de la logique de
l'exclusion. À leur arrivée, les familles de Français
musulmans rapatriés étaient communément
désignés par les Lodévois sous le vocable de
« harkis », conformément à leur statut durant
la guerre d'Algérie. En dehors des activités salariées,
les contacts "mixtes" restaient exceptionnels, les anciens harkis et leurs
familles vivant dans une cité à l'écart du village. Cette
situation d'enclosure relative, acceptée avec "fatalisme" (et
peut-être aussi parfois avec soulagement) par la génération
des pères, fût progressivement perçue comme une situation
d'exclusion par les générations suivantes, confrontées
dès leur plus jeune âge au décalage existant entre le
discours de l'intégration et les conditions pratiques de sa
(non-)matérialisation dans un cadre à la fois
ségrégé, donc, et progressivement sinistré au plan
industriel. Sensibles au regard porté sur leurs parents (et à la
résignation apparente de ces derniers face à la situation qui
leur était faite), et rendus amers par les conditions de leur
socialisation, certains enfants de harkis ont pu ainsi développer des
comportements qui - plus ou moins "volontairement" - les plaçaient en
porte-à-faux avec la société
« d'accueil », conformément à la logique de
l'exclusion décrite par Vincent de Gaulejac. Celle-ci veut que la perte
de l'estime de soi [l'intériorisation du stigmate] s'objective dans des
comportements asociaux à l'encontre de l'environnement immédiat,
comportements qui, à leur tour, alimentent la chaîne de
l'exclusion. Or, la multiplication des actes d'incivilité n'est pas sans
conséquence sur la perception des intéressés par la
communauté villageoise. C'est ainsi que, toujours selon notre source
estudiantine, les Lodévois, au vu des actes de petite délinquance
dont certains enfants de harkis se rendent effectivement responsables, les ont
progressivement assimilés aux jeunes issus de l'immigration
maghrébine, ou plutôt à leur stéréotype
négatif. De fait, sans égard pour la destinée de leurs
parents, les générations suivantes sont désormais
désignées sous le vocable indifférencié (et
connoté péjorativement dans l'esprit de ceux qui l'emploient)
d' « Arabes ». Il en résulte, d'une part, que
les intéressés sont symboliquement exclus de la communauté
villageoise - l' « Arabe » c'est
l' « Autre » - et que, d'autre part, ils sont
dépouillés de leur spécificité pour être
assimilés à un groupe - les "Beurs" - dans lequel ils peuvent ne
pas se reconnaître et qui, par surcroît, est susceptible de les
rejeter. Et l'on pressent combien cette déictique
dépersonnalisante est à même de nourrir la chaîne de
l'exclusion, avivant frustration et sentiment de perte de l'utilité
sociale, et motivant en retour des comportements de retrait ou de mise au ban
volontaire.
De même, à Largentière (Ardèche),
où j'ai séjourné, c'est la défiance, la crispation
sur les identités qui l'emportent sur l'ouverture à l'autre (y
compris au sein des jeunes générations). Le quartier de
Volpillaire, où furent accueillis les anciens harkis et leurs familles
en 1962 est situé sur des hauteurs insoupçonnées (car
barrées par la végétation) depuis le bourg, qui plus est
sur le versant opposé (à l'instar de la mine argentifère,
désaffectée depuis le début des années 1980,
distante de seulement cinq cent mètres), à 3 kilomètres du
coeur de Largentière. Situation d'enclosure relative et déclin de
l'activité industrielle, donc, là encore. Il est vrai que cette
implantation avait été opérée en dépit de la
volonté des autorités municipales de l'époque, grâce
à la mise à disposition par l'armée de terrains dont elle
était propriétaire. Il est clairement apparu, au cours de mon
séjour, que les passerelles entre autochtones et familles de harkis
étaient peu nombreuses, tant au plan de la vie de la cité (on ne
compte qu'une fille de harki au sein du Conseil municipal alors que la
communauté harkie représente près de 20% de la population
de Largentière) qu'au plan de la sociabilité proprement
dite : les hommes ne fréquentent pas les mêmes cafés,
et l'Union Sportive de Largentière (le club de football local) loin de
jouer un rôle de trait d'union entre jeunes "gaouris" (Français
dits "de souche") et enfants de harkis est l'objet d'ambitions mutuellement
exclusives (voir l'Annexe n°2 : « De l'entre-soi des
rencontres de football dominicales à Largentière au repli
communautaire »). Jean-Claude, un fils de harki de
31 ans, qui exerce la profession d'aide-soignant et s'investit en tant que
secrétaire au sein de l'association des harkis et de leurs enfants (voir
supra), m'a fait bénéficier de son regard
distancié sur sa propre communauté. Sa position, il est vrai, est
relativement atypique puisqu'il est l'un des seuls, parmi les jeunes de sa
génération, à avoir poursuivi des études
supérieures et réussi un concours administratif :
« J'ai dû d'abord m'intégrer à ma propre
communauté », reconnaît-il. Jean-Claude
regrette l'absence de mixité au sein de l'équipe de
football de Largentière, son côté « harka
reconstituée » depuis sa reprise en main par des jeunes issus
de la communauté il y a deux ans. Cette fermeture relative lui semble
préjudiciable à une véritable intégration de
la deuxième génération dans le tissu social de
Largentière : « Les "gaouris", dit-il, ont peur de venir
jouer dans l'équipe, ils craignent d'être rejetés, voire
d'être violentés ». Comment en est-on arrivé
là ? Jean-Claude insiste sur
l'« arriération » des mentalités sur
Largentière, tant d'un côté que de l'autre : il pointe
à la fois la mentalité « paysanne » (qu'il
emploie au sens de « rétrograde ») des populations
autochtones, qui les préparait mal à s'accommoder de
l'arrivée massive de populations allogènes, et le fait que les
enfants de harkis ont tendance à reproduire certaines traditions
« aliénantes » héritées de leurs
parents, notamment la séparation garçons/filles (très
prégnante, au point que les filles demeurent relativement "invisibles"
dans la ville1583(*)).
A rebours de certains de ses congénères, qui disent vouloir
constituer une liste à fort accent communautaire pour
s' « emparer » de la mairie, Jean-Claude
marque plus nettement sa volonté, au cas où il
participerait à la compétition électorale, de figurer au
sein d'une liste pluraliste où les candidats issus de la
communauté harkie figureraient en nombre limité (pas plus de 3).
Plus généralement, il refuse le repli sur soi fataliste de ses
congénères, tout en concédant que son pouvoir de changer
les choses à cet égard reste limité :
« Déjà, quand j'étais au primaire, et au
collège ensuite, on était deux clans : y'avait le clan
des... des Français, "de souche", et nous. Pour te dire, j'étais
le seul à faire l'intermédiaire entre les deux. Le seul. Que
ça soit au primaire ou au collège. Au lycée, bon,
là, par contre, on était tellement en minorité que... on
faisait difficilement le clan : j'étais le seul au
lycée ». Les attitudes de Jean-Claude renvoient à la
notion goffmanienne de « normification », à savoir
« l'effort qu'accomplit le stigmatisé pour se présenter
comme quelqu'un d'ordinaire, sans pour autant toujours dissimuler sa
déficience »1584(*). A l'inverse, les propos de Rachid
et Mohamed (28 ans), par exemple, sont illustratifs
de cette "tentation du repli communautaire"1585(*) qu'avive, à Largentière, la
socialisation dans un environnement clos, en marge des grands noeuds de
communication et des grands bassins de vie et
d'emploi :
« Je vais te dire un truc :
tu sais c'est qui les racistes en... en Ardèche ? A
Largentière, je te parle, c'est pas nous les Arabes qui sommes
racistes ; et je vais te dire même mieux, on est plus avancés
qu'eux. On est même plus avancés que les Français quelques
fois. C'est eux qui sont racistes, les paysans du coin, les jeunes paysans du
coin, et tout, pas que les paysans, les jeunes en général. Ils en
sont encore euh... euh... euh... «Sale Arabe !», j'sais pas si
à Paris tu l'entends : «Sale Arabe !», ou...
à Paris, c'est mélangé, quoi, tu vois, c'est
mélangé, c'est bien mélangé, y'a pas tellement de
problèmes comme... ici, tu sais, c'est quoi ? C'est les "Arabes" ,
tu vois ce que je veux dire, c'est les Arabes »
(Mohamed, 28 ans).
« Et c'est vrai aussi qu'on a une grande gueule, on
accepte pas euh... on est les premiers "rebeus", on va dire, dans le coin...
à s'être rebiffés ; et du coup :
«Largentière, ouais, c'est des sauvages». Mais les gens qui
viennent à Largentière, qui s'installent à
Largentière, qui y vivent, qui y ont des vacances, on va dire, qui ont
la chance de nous rencontrer nous, les fils de harkis ou d'autres, des fils
d'immigrés ou quoi que ce soit, se rendent compte que non, ils avaient
tout faux, c'était que des ragots. Tu comprends où je veux en
venir ? »1586(*) (Rachid).
Mohand Hamoumou souligne ainsi que « la
concentration et l'isolement d'une minorité conduisent à des
projections, des interprétations, qui génèrent la
marginalisation de cette minorité ». Et il ajoute :
« Les harkis, en certains lieux comme à Bias, Narbonne ou
Jouques, n'ont pas fait exception à cette règle sociologique.
Leur mise à l'écart a empêché les autochtones de les
connaître réellement. La concentration a mis en avant, en les
amplifiant, les différences culturelles du groupe plutôt que les
qualités individuelles de ses membres. (...) L'isolement provoque un
sentiment d'exclusion et par réaction de défense, un repliement
sur sa culture d'origine. Ce retour aux sources, parfois ostentatoire et
agressif, est vécu par l'environnement comme un refus
d'intégration, alors qu'il est la conséquence d'un sentiment de
rejet. On mesure la difficulté de sortir d'un tel cercle
vicieux »1587(*).
Par-delà même ces comportements de repli et de
fermeture à l'autre (au sens d' « autrui
généralisé »), l'intériorisation du
stigmate, et de la honte qui lui est corrélative, peut induire des
attitudes de forclusion de la figure du père (cet « autrui
significatif »1588(*)), c'est-à-dire de rejet de tout ce qui,
symboliquement, rattache l'enfant à la trajectoire singulière de
son père, même si un tel positionnement est l'exception
plutôt que la règle. Erving Goffman évoque à cet
égard « l'ambivalence qui imprègne l'attachement de
l'individu pour sa catégorie stigmatique »1589(*), laquelle ne vas pas sans
vacillation, notamment à l'adolescence, marquée par une plus
grande perméabilité aux influences extérieures :
« Les critères que la société lui a fait
intérioriser sont autant d'instruments qui le rendent intimement
sensible à ce que les autres voient comme sa déficience, et qui,
inévitablement, l'amènent, ne serait-ce que par instants,
à admettre qu'en effet il n'est pas à la hauteur de ce qu'il
devrait être », et « [à percevoir] l'un de ses
propres attributs comme une chose avilissante à posséder, une
chose qu'il se verrait bien ne pas posséder »1590(*). C'est le cas de Leila, 39
ans, qui, fragilisée par la déchéance progressive puis la
mort prématurée de son père, se sent aujourd'hui
totalement écrasée par le poids de la honte,
écartelée entre « la haine des immigrés
algériens et le mépris des Français à notre
égard » :
« En Algérie, mon père a
été emprisonné pendant six ans. Il ne m'a jamais
raconté ce qu'il avait subi là-bas. La guerre d'Algérie
puis la prison l'ont achevé : il s'est mis à boire, il
gaspillait tout son argent dans les bars, il était
déboussolé. Quand j'étais petite, je lui en voulais.
Maintenant, je le comprends, mais je ne lui pardonne pas. Il est mort en 1975
d'un accident de voiture. (...) Nous, les enfants, avons hérité
de nos pères l'identité de traîtres, de collabos, de
harkis... Ces mots me font mal. "Harki", je ne supporte plus ce mot. On m'a
trop appris qu'il voulait dire "traître". Bien que je ne sois pour rien
dans cette histoire, je me sens coupable. J'en veux à mon père et
à ma mère de nous avoir embarqués, nous, leurs enfants,
dans cette histoire. Ils ont fait de nous des enfants de traîtres. Le mot
"harki", je le hais de toutes mes fibres, c'est une culpabilité
insupportable. J'ai honte d'être une harkie. J'en veux à mes
parents d'avoir choisi la France »1591(*).
De même, les échanges parfois virulents
entre Rachid et Mohamed1592(*) (28
ans)1593(*), en désaccord quant à la
manière d'apprécier et d'intégrer - à des fins de
construction identitaire - ce que fut le choix de leurs pères pendant la
guerre, témoignent de ce que le mutisme des Français musulmans
rapatriés, leur résignation apparente peut résonner chez
certains enfants comme un aveu de culpabilité, et nourrir chez ces
derniers un vif sentiment de honte. Ainsi en va-t-il de
Mohamed (28 ans), qui s'imaginerait
volontiers être le fruit d'un autre "voyage" :
« Mohamed (28
ans) - Moi, personnellement, je revendiquerai
jamais que je suis un harki. Je préfère qu'on considère
comme si j'étais arrivé hier dans un bateau, quoi, tu vois ;
je le revendiquerai jamais, j'suis pas fier de ce qu'ont fait mes parents,
franchement, fils de harki, j'aime pas...
- Et toi Rachid, est-ce que tu tiens le même
raisonnement que Mohamed ? Est-ce que tu es fier de ce qu'ont fait tes
parents, ou pas ?
Rachid - Ah ! oui, que mon
père ait été harki, oui, OK !, y'a pas de
problèmes, mais il l'a été pour diverses raisons, c'est sa
vie on va dire. Non, j'ai pas de jugement à prendre sur mon père.
J'ai pas le droit de juger mon père. C'est mon père. Quelle que
soit la décision qu'il ait prise, je l'approuve. [S'adressant
à Mohamed] C'est l'histoire de ton père, hein, que tu le
veuilles on non, hein, faut pas renier... si tu renies ton passé, tu
renies ton avenir aussi, hein...
Mohamed - ...non, moi je veux défendre
l'histoire de mes parents lorsque...
Rachid - ...tu vas dire quoi à tes
futurs enfants, hein ?! [Rachid élève
singulièrement le ton] Tes gamins, tu leur diras quoi :
que leurs ancêtres s'appellent Vercingétorix ? Tes gamins, il
faudra qu'ils sachent exactement les choses...
Mohamed - ...non, moi, personnellement, tu
vois, mon père c'est un harki et tout, mais moi personnellement... j'ai
la carte d'identité française, tu vois, mais, pour moi, je suis
algérien. Tu vois, si on me demande : « De quelle race tu
es ? De quelle origine tu es ? », ou même :
« Comment vous sentez-vous : français ?
algérien ? », moi je dirai que je suis algérien,
mais...
Rachid - ...moi je dis plutôt que je
suis français d'origine algérienne...
Mohamed - ...non, moi je dis :
« Je suis algérien »...
- Et pourquoi tu ne veux pas dire, comme Rachid,
que tu es français d'origine algérienne ? Ça te
gêne ?
Mohamed - Non, non. Non, ça me
gêne pas, mais je suis algérien, c'est ça, je suis
algérien...
Rachid - ...alors sors moi une carte verte,
enculé va !...
Mohamed - ...moi je suis fier d'être
algérien, si tu veux, c'est pas... mes parents ils ont pris le bateau,
un jour, pour venir en France, mais moi, franchement, je suis fier d'être
algérien. Une fois, je parlais avec des mecs, y'a pas longtemps, ils me
disaient : « Ouais, mais si t'es fier d'être
algérien, pourquoi tu retournes pas en Algérie faire quelque
chose pour ton pays ? », moi je lui dis : « Mais
même...
Rachid - ...exactement, dans ce cas, va le
reconstruire ! »
Mohamed Kara signale lui aussi, à propos des plus
jeunes d'entre les enfants de harkis, que « la frustration est
immense - produit de l'exclusion et du racisme - au point qu'il semblerait
qu'ici ou là, certains jeunes soient tentés de remettre en
question les choix parentaux d'origine ou de rechercher une identité
plus uniforme du côté de l'islam »1594(*). L'auteur s'appuie
notamment, pour ce dire, sur les propos d'Yves, qui a longtemps vécu en
site fermé : « Il y a des enfants, explique Yves, qui
remettent en cause le choix de leurs parents et donc qui veulent redevenir
algériens »1595(*).
Cependant, à l'instar de Rachid (voir
ci-dessus), une majorité d'enfants de harkis, même parmi ceux qui
n'osent ou n'ont pas la possibilité d'interroger leurs parents, refusent
de se poser en contre la destinée familiale. C'est le cas de
Jean-Claude, secrétaire de l'association des anciens
harkis et de leurs enfants, qui assimile les attitudes de forclusion de la
figure du père à des comportements de "fuite", aussi vains que
délétères pour les intéressés
eux-mêmes :
« On peut pas se détacher de nos parents, on
peut pas se détacher des harkis, on peut pas dire : «Eux, ils
ont fait ça, tant pis, je suis contre ce qu'ils ont fait, je n'accepte
pas ce qu'il a fait mon père, mais moi je suis...». Non. Tu es en
lien avec eux. Que tu le veuilles ou que tu le veuilles pas ».
Cet écartèlement entre « des
identifications nécessaires et impossibles »1596(*) est
générateur de souffrance en même temps que
d'aliénation : l'intériorisation du stigmate peut aller
jusqu'à des formes d'isolement volontaire (notamment dans le cas des
"disséminés", socialisés dans un environnement "mixte",
doublement dépersonnalisant), de repli communautaire (cas des
"assignés", socialisés en marge de la société
d'accueil et du "Nous" de référence), voire de forclusion de la
figure du père (quand le sentiment d'humiliation est trop fort, et
l'étayage biographique trop fragile pour se constituer des
réserves de "répliques symboliques"). Dans tous les cas, cela
signe la difficulté des enfants de harkis - en butte aux effets
cumulatifs des stigmatisations croisées et de l'interdit parental - de
s'assumer et de s'affirmer individuellement dans l'ordinaire des relations
sociales autrement qu'en usant de techniques d'ajustement. Il y a là
comme une forme de "mort sociale", qui constitue une atteinte profonde à
l'estime de soi : « Avoir une place sociale, écrit
Vincent de Gaulejac, c'est avoir un statut, une identité, une
reconnaissance. La place est structurante. L'absence de place sociale confronte
le sujet au vide, à l'inexistence. Il est renvoyé à
lui-même, à ses failles et à ses
angoisses »1597(*). Et il ajoute : « La honte isole
parce que le sujet ne sait jamais quelle place occuper. (...)
Littéralement : «Il ne sait plus où se
mettre» »1598(*).
Pour autant, le déploiement systématique de
"stratégies d'ajustement" au(x) regard(s) de l'Autre, et plus encore les
comportements - plus spécifiques à certains individus ou
contextes - de "fuite" ou de "refus" de la relation à l'autre (isolement
volontaire et repli communautaire), ne circonscrivent jamais qu'un premier
stade dans l' « itinéraire moral » des enfants
de harkis1599(*). Car
si « dans un premier temps l'expérience de la honte est un
élément neutralisateur qui le coupe de sa subjectivité,
(...) dans un second temps, la honte va être l'élément
dynamisant qui va pousser [l'individu] à devenir le sujet de son
histoire »1600(*). Ainsi, il vient généralement un
moment où, par-delà les stratégies d'accommodation, ces
stratégies élusives qui visent à composer au jour le jour
avec les assignations statutaires formulées par autrui, se fait jour le
désir inverse : celui de ne plus subir l'influence des autres, de
ne plus s'y conformer jusqu'à s'effacer, mais de gagner les autres
à sa part d'influence, d'imposer le respect en toute connaissance de
cause et en toute transparence. Et plutôt que de régler
individuellement leur conduite sur la manière dont les autres les
(dé)considèrent (stade des stratégies réflexes), il
s'agit, pour les enfants de harkis, de faire en sorte d'accéder
collectivement à une forme de reconnaissance sociale (stade des
stratégies réflexives). Une reconnaissance qui sape en leurs
fondements les idéologies de statut qui ont cours à leur endroit,
et vise à "retourner" la qualité de fils ou fille de harki en un
signe valorisant.
Cette inscription volontariste dans un travail collectif de
réparation des termes de l'échange passe préalablement ou
simultanément par un travail intime de "dégagement" par rapport
à la honte, au sens de recouvrement des capacités de
symbolisation. Le sentiment intime de ne pas avoir prise sur - et de ne pas
être en prise avec une identité qui s'interdit de poindre
autrement qu'en pointillés de la mémoire réprimée
des pères exacerbe le désir des enfants de harkis de transgresser
le tabou paternel et de recouvrer, à travers la résurgence du
drame vécu par leurs parents, un sentiment d'appartenance assumable et
autonome.
PARTIE 4
Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation
veut dire
Partie 4
Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation
veut dire
On s'intéresse ici à l'affirmation et au
redoublement du "Je" par l'inscription d'un "Nous" dans l'itinéraire
moral de l'individu stigmatisé. L'accent est porté non plus sur
la stigmatisation telle qu'elle est subie mais sur la stigmatisation
telle qu'elle est individuellement et collectivement
"réagie", donc sur ce que recouvrer ses capacités de
symbolisation veut dire, d'une logique adaptative à une logique
revendicative. Ceci implique d'aborder la question de la
reconnaissance au sens le plus extensif du terme, et les enjeux de
visibilisation qui lui sont corrélatifs : à la fois, donc,
la reconnaissance comme travail de dégagement vis-à-vis de la
honte (entre retour sur soi et retour à la figure du père)
mais encore la reconnaissance comme travail de l'écart dans une
visée de réparation des termes de l'échange (à
travers les enjeux de traduction politique de cette quête de la
reconnaissance, jusque et y compris la question du pardon).
Cela renvoie à des questionnements sociologiques et
politologiques classiques - notamment la question de la fierté (au sens
de retournement du stigmate) et la question du porte-parole (s'agissant
de la capacité et de la légitimité à "faire voix"
au nom d'un collectif).
S'agissant du premier point, la question se pose moins, selon
nous, en termes de fierté que de dignité, au
sens primordial d'accès à l'existence sociale, de reconnaissance
d'une place sociale1601(*). De fait, la communauté harkie est le fruit
d'une histogenèse particulière, elle est communauté de
destin, née dans et en conséquence de la guerre d'Algérie,
sans autre singularité clairement objectivable : ni origine
ethnique, ni couleur de peau, ni religion qui ne lui soient spécifiques.
C'est cette indétermination première (dont nous avons vu qu'elle
pouvait susciter l'amalgame, ce comble de la non-reconnaissance) qui donne aux
enjeux de visibilisation une texture toute particulière en la
circonstance : avant que de penser faire de cette destinée un
drapeau (et qu'est-ce à dire lorsque les autres renvoient de vous des
images contradictoires les unes les autres, voire paradoxales ?), la
première urgence est de sortir de cette situation paradoxante, donc de
s'accepter et de se faire accepter "en tant que tel(s)" en dépit de
possibilités de reconnaissance a priori fortement
grevées par les effets du double triangle de stigmatisation. Ainsi,
comme le souligne Mohamed Kara, les enfants de harkis « disposent
d'une identité sociale virtuelle (celle de l'immigré) et
d'une identité sociale réelle (celle du harki)
alternativement discréditantes selon les
conjonctures »1602(*). En d'autres termes, les intéressés
sont susceptibles d'être stigmatisés pour ce qu'ils sont
(des enfants de harkis) par ceux-là même avec lesquels ils sont
confondus (les enfants d'immigrés), et pour ce qu'ils paraissent
être (des enfants d'immigrés) par ceux auxquels ils
s'identifient (les Français dits "de souche"). A cet égard, les
témoignages de Georgette et Jean, recueillis par Mohamed Kara, disent
bien l'acuité des problèmes de visibilisation dans le
cas d'espèce des enfants de harkis : « Vous vous savez
qui vous êtes, affirme Georgette, mais en fait c'est le regard des autres
qui dit qui vous êtes. C'est ça le problème. C'est le
regard des autres qui nous dit à chaque instant dans quelle situation on
se trouve, où on doit aller, et ça c'est pas normal ».
De même, Jean : « C'est que nous on sait très bien
où on est, mais eux ils ne savent pas où nous placer. Alors soit
ils nous cataloguent comme immigrés, soit de l'autre côté
on se fait cataloguer comme traîtres. C'est le problème au fond
à mes yeux pour les fils de harkis. Moi franchement, je sais très
bien où je suis, c'est les gens qui ne savent pas »1603(*). On voit bien, dans ces
conditions, pourquoi la question se pose moins en termes de fierté que
de lutte contre le mépris et l'indifférence. Le premier
défi est d'exister à ses yeux propres comme aux yeux d'autrui,
donc de s'affranchir du « sentiment d'identité vécu
comme une contrainte »1604(*) : contrainte intime, du fait de la
dévalorisation de la symbolique paternelle, contrainte sociale, du fait
de la dépendance corrélative dans laquelle les enfants de harkis
se trouvent d'être soumis au jugement de l'autre.
S'agissant du second point (la question du porte-parole), est
ici privilégiée une optique compréhensive qui
aborde la question des mobilisations dans l'intermédiarité entre
l'individu et le groupe plutôt qu'elle ne se focalise par
privilège sur leur expression institutionnelle, au sens étroit
d'une sociologie des l'action collective et des organisations qui
amènerait à "sacraliser" l'acteur associatif et les "grandes
figures communautaires" (pour autant qu'elles existent, ce qui n'est pas le cas
ici). Il ne s'agit donc pas d'opérer une coupure entre la dimension
individuelle et la dimension collective mais d'opérer leur mise
en perspective, de montrer les lignes de continuité entre la quête
à être de l'individu et la lutte pour la réhabilitation de
la figure du père, en mettant l'accent sur le redoublement du "Je" par
l'inscription d'un "Nous" dans l'itinéraire moral de l'individu
stigmatisé - de chaque individu, qu'il soit ou non statutairement
légitimé à faire voix, et qu'il s'en reconnaisse ou non la
capacité. Cette optique est d'ailleurs en phase avec la
réalité essentiellement "paroissiale" d'une mouvance associative
dont la propension à exister en tant que lobby reste relativement
faible, en dépit d'évolutions organisationnelles récentes
sur lesquelles nous reviendrons in fine (émergence de
collectifs et réorientation sensible des mots d'ordre et des
modalités d'action). Cette absence d'acteurs saillants et reconnus (et
plus encore d'acteur hégémonique, qui se poserait et s'imposerait
comme interlocuteur indépassable dans la trame de la négociation)
a été la cause en même temps que le produit de
modalités de mise sur agenda gouvernemental invariablement
inspirées par une visée de "dépolitisation" des mots
d'ordre, tendant à présenter ceux qui s'en font les relais comme
des cas sociaux plutôt que comme des acteurs sociaux.
Nous y reviendrons, exemples à l'appui, dans les développements
consacrés aux modalités de traduction politique des aspirations
à la reconnaissance portées par les anciens harkis et leurs
enfants.
Au fil de la Partie 3, il a été dit que la
"cassure" de la dynamique des générations au sein de la
communauté harkie engendre pour les enfants une difficulté
à s'assumer soi, individuellement, comme "fils ou fille de" : comme
le soulignent plus généralement Vincent de Gaulejac et Isabelle
Taboada-Léonetti, « ils perdent le sens de la filiation qui
les inscrit dans une histoire familiale et sociale ; il ne
dépendent plus que de l'image sociale renvoyée par les
autres »1605(*). Ainsi, tandis que le groupe majoritaire
(composé de ceux que l'on appelle commodément les Français
"de souche") refuse de reconnaître, en vertu de considérations
phénotypiques, la qualité de citoyen de droit aux enfants de
harkis en les confondant, de fait, avec les populations issues de l'immigration
maghrébine, la minorité migrante précisément, et
notamment la deuxième génération issue de l'immigration
algérienne, impute - ou, plutôt, est susceptible d'imputer - aux
fils et filles de harkis les attributs stigmatisants d'une mémoire que
ceux-ci peinent à investir positivement en raison des impedimenta qui
entravent la dynamique des générations.
Dès lors, comment passer d'une situation de
dépendance statutaire, marquée par le poids des étiquettes
et le déploiement routinier de stratégies adaptatives, à
un horizon d'affirmation individuelle et collective, marqué par un
travail de réappropriation de la mémoire familiale et, ce
faisant, de « désimplication »1606(*) vis-à-vis des
normes négatives qui ont cours à son endroit ? Erving
Goffman décrit cette étape de cristallisation d'un "Nous" dans le
for intérieur de l'individu stigmatisé comme étant celle
de la « maturité »1607(*). Cette étape
nécessite de remonter aux sources de la honte pour s'en dégager.
Ce travail de "dégagement" est tout à la fois intime et
interpersonnel, en ce sens qu'il participe à la fois de la transgression
du tabou paternel (niveau intime) et de l'expression - pour soi et pour autrui
- de la différence avec la deuxième génération
issue de l'immigration maghrébine (niveau interpersonnel) : en
somme, il s'agit de doubler la quête à être d'une
quête à apparaître, "en tant que tel",
par-delà les amalgames et les faux-semblants. Ce faisant, ce travail de
dégagement vise à permettre à tout un chacun de recouvrer
ses capacités de symbolisation et, par là, de
« sauvegarder son unité » face aux pressions
contradictoires de son environnement. (Chapitre I.)
Ainsi, pour être viable, la stratégie de la
« désimplication » implique de pouvoir puiser dans
l'histoire familiale (i.e. communautaire) les ressources pour refuser la
légitimité de la stigmatisation sociale. Autrement dit,
l'aspiration à être soi des enfants est aussi aspiration à
être reconnu en tant que "fils ou fille de" par d'autres groupes
interdépendants. Cela passe nécessairement par la
réhabilitation de la figure du père, donc par la mise en cause
des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment sa stigmatisation, ce
que Erving Goffman appelle le « retournement du stigmate ».
Ainsi, la quête à être et à apparaître en tant
que tels des enfants de harkis est indissociable d'une quête à
réapparaître pour leurs parents. Il s'agit, au prix d'une
forme d'« insurrection symbolique », de parvenir à
une forme aboutie de recouvrement d'appartenance, intime et sociale, pour soi
et aux yeux d'autrui.
Cette aspiration à être reconnu par d'autres
groupes interdépendants, y compris - et surtout, en l'espèce -
par les autorités de tutelle, qui sont parties prenantes de la
destinée dramatique des anciens harkis et de leurs familles,
amène à s'interroger sur les processus de "traduction", autrement
dit, sur les jeux de pouvoir (mobilisations) susceptibles d'accompagner - et
les contenus politiques (politiques publiques) susceptibles de
matérialiser de telles aspirations à la reconnaissance. A cet
égard, nous verrons que, pour ceux qui se font les porte-voix de la
communauté harkie, l'aspiration à être reconnu et
célébré dans sa singularité passe, en raison des
épreuves endurées et du sentiment d'abandon qui leur est
corrélatif, par une forme de reconnaissance institutionnelle qui ne soit
pas seulement réminiscence mais aussi résipiscence
de la part des autorités. Symétriquement, pour ces
dernières, l'enjeu est précisément de savoir quel contenu
et quelle mesure donner à ces notions de réminiscence et de
résipiscence : se souvenir / célébrer quoi ? Et
assumer la responsabilité / se repentir de quoi ?
Par conséquent, il nous faudra ici assortir
l'étude des stratégies et formes de lutte pour la reconnaissance
au sein de la communauté harkie, et de leur efficace sociale, par
l'étude des politiques de la reconnaissance (ou de la reconnaissance
comme forme politique) telles que conçues et mises en place par les
pouvoirs publics français à l'adresse de cette
communauté : dans quelle mesure les unes et les autres sont-elles
congruentes ? C'est ce travail de l'écart entre la logique propre
à la raison d'État et les revendications identitaires des
intéressés qui est ici en jeu, en dépit - et du fait
même - des écueils qui en rendent la conduite
aléatoire :
- du côté des enfants de harkis, outrance de la
victimisation ou du "dolorisme" si la démarche revendicative ne
s'inscrit pas dans une volonté sincère de réparation des
termes de l'échange et d'ouverture à l'autre, même
(conçu comme) "agresseur" ; dérive corrélative vers
« des crispations qui ne sont que des stéréotypes en
miroir »1608(*), à savoir : assistance plutôt que
lutte pour la reconnaissance et retournement du stigmate ;
- du côté des pouvoirs publics, l'écueil
de la fuite des responsabilités : (i) via des modalités
de traduction qui visent à réduire les revendications des enfants
de harkis à de simples demandes d'assistance, à l'exclusion donc
de leur volet symbolique : la visée étant, autant que
possible, de transformer des acteurs sociaux en cas sociaux
(politique du bakchich) ; (ii) via la folklorisation des anciens
harkis eux-mêmes, dont on ne célèbre à dessein
qu'une épure consensuelle : le harki « soldat de la
France » plutôt que « victime de la raison
d'Etat ».
La mise en évidence de ce point
d'indétermination entre réminiscence et résipiscence,
réparation et réconciliation, nous amènera, in
fine, et par-delà même les enjeux de traduction qui
intéressent d'abord la communauté harkie dans son rapport
à l'Etat français (modèle
assistanciel-cérémoniel), à interroger les formes et
conditions de possibilité d'une politique du pardon qui, en
France comme en Algérie, soit véritablement conçue comme
un au-delà de la reconnaissance ; et, ce, dans une visée de
réparation des termes de l'échange et d'instauration d'une forme
au moins minimale de réciprocité dans les relations entre
l'État algérien et la communauté harkie d'une part,
l'État français et la communauté harkie d'autre part.
En l'espèce, nous verrons que, par-delà
même la difficulté théorique de concevoir une politique du
pardon véritablement opératoire, les conditions pour ce faire
sont loin d'être réunies. Et ce y compris au sein de la
communauté harkie où l'on n'hésite plus à ester en
justice pour acculer à la repentance ceux - États ou anciens
hauts responsables - que l'on accuse de fuir leurs responsabilités.
(Chapitre II.)
Ainsi, au fil de cette quatrième et dernière
partie, nous aborderons successivement :
- la quête à être des enfants de
harkis, ou la reconnaissance comme recouvrement d'appartenance (dimension
intime) ;
- la quête à apparaître des
enfants de harkis, ou la reconnaissance comme démarcation (dimension
interpersonnelle) ;
- la quête à réapparaître -
au nom des pères - des enfants de harkis, ou la reconnaissance comme
réminiscence (dimension sociopolitique) ;
- enfin, dans une optique plus prospective, la quête
à "disparaître" des enfants de harkis, ou la reconnaissance
comme résipiscence (dimension éthico-politique).
I. Remonter aux sources de la honte : la
reconnaissance comme travail de dégagement (au sein de la
communauté harkie)
Le travail de "dégagement" marque une étape
décisive dans l'itinéraire moral des fils et filles de harkis. Il
consiste, pour les intéressés, à remonter aux sources de
la honte, autrement dit, à réinvestir le roman familial pour
étayer leur sentiment d'identité sur des bases plus
circonstanciées, moins sujettes aux pressions contradictoires de
l'environnement social. Il s'agit, par-là, de faire la part de ce qui,
dans la trajectoire des parents, leur apparaît effectivement assumable ou
inassumable et, ce faisant, d'opposer aux assignations statutaires parfois
violentes dont ils sont l'objet une image - voire un idéal - de soi
mieux informés. (A.1)
Corrélativement, cette quête à
être, qui vise à rétablir le lien filial dans toute sa
complexité, se double, pour les enfants de harkis, d'une quête
à apparaître "en tant que tel" dans l'ordinaire des relations
sociales ; il s'agit, par-delà les amalgames et les faux-semblants,
de se donner à voir dans toute son intégrité, en se
démarquant - autant que nécessaire (quoique non
systématiquement) - d'avec la deuxième génération
issue de l'immigration maghrébine. (A.2)
Ainsi, le travail de dégagement est un préalable
nécessaire à l'autonomisation de la quête identitaire des
enfants de harkis (donc à la mise en cause des valeurs et vecteurs
symboliques qui légitiment la stigmatisation) en ce qu'il leur permet,
dans un second temps, soit d'assumer en toute connaissance de cause - et de
revendiquer ouvertement, pour soi et avec les autres - le substrat familial et
communautaire, de faire sien l'"esprit" du groupe tout en concourant à
sa dynamique ("au nom des pères", dirions-nous), soit -
éventuellement - de choisir de s'en déprendre, là encore
en toute connaissance de cause1609(*). (B.)
A. La mobilisation du sujet pour sauvegarder son
unité (dimension individuelle)
Le récit est partie intégrante de
l'identité : l'individu, comme le groupe, « prend
conscience de lui en se souvenant », écrit Maurice
Halbwachs1610(*) ; par sa réactualisation permanente, le
souvenir est "re-vécu" et "re-traduit" en expérience personnelle
et groupale. Aussi, selon Claudine Attias-Donfut, la mémoire collective
est définie en cela qu'elle est "vivante", elle n'existe que par les
collectivités qui la vivent. C'est de son caractère vivant et
vécu que découlent ses modes de fonctionnement, et notamment
« sa fonction mythologique de "roman" du groupe qu'elle constitue et
qui la constitue »1611(*). La mémoire collective des groupes
érige les souvenirs en « modèles
d'enseignement » pour le présent (Maurice Halbwachs),
établit le lien entre passé, présent et futur, et
transcende les générations. Claudine Attias-Donfut :
« Sa fonction primordiale est d'ordre mythologique
(...). C'est en quelque sorte le récit de vie de la collectivité
en même temps que son projet de vie. Elle en ordonnance les divers
éléments dans la direction qu'elle confère au temps. (...)
Mémoires, souvenirs ou témoignages attribués à une
génération ne sont intelligibles que par rapport aux autres,
qu'en tant que séquences d'une mémoire collective qui les englobe
dans une continuité temporelle dotée de signification et
chargée de projets »1612(*).
Selon Gérard Namer, l'expérience la plus claire
que donne Maurice Halbwachs de la notion de mémoire collective est celle
de la mémoire familiale, « mémoire affective,
vécue, d'individus et mémoire-savoir rationnelle du sens de la
généalogie »1613(*). Sur cette base, Gérard Namer définit
la mémoire comme la « langue porteuse de l'unité de
sens d'une logique institutionnelle » (en l'occurrence, l'institution
familiale)1614(*).
Nous l'avons vu, c'est ce sens de la "généalogie" qui,
très souvent, fait défaut à la deuxième
génération de harkis, confrontée au silence de la
mémoire. L'absence de transmission de la mémoire familiale
équivaut donc à l'absence de transmission d'un « champ
de signification »1615(*) grâce auquel le groupe et tout un chacun en
son sein « reconstruit la diversité de ses expériences
en une identité de soi »1616(*). Car, de même que
« l'identité dépend de l'appui que prête au jeune
individu le sentiment collectif d'identité qui caractérise les
groupes sociaux auxquels il appartient »1617(*), symétriquement,
« comment imaginer qu'une communauté puisse se maintenir si
ses membres n'adhèrent pas à un noyau identitaire commun qu'ils
transmettent à la génération
suivante ? »1618(*).
Ainsi, il naît de "l'aphonie" de la mémoire
familiale au sein de la communauté harkie un "besoin de mémoire
collective" pour la deuxième génération,
d' « une mémoire qui pourrait recoudre, ravauder, qui
réunifie les bouts de mémoires collectives dispersés et en
lambeaux »1619(*). C'est ce qu'exprime ce témoignage,
posté sur le forum d'un site Internet consacré à la
communauté harkie :
« Bonjour, je suis Habiba et je découvre le
site. J'ai plaisir à voir que la communauté Harki existe, je
voulais seulement adresser mon soutien moral à toutes les bonnes
initiatives, merci de me montrer que je ne suis pas seule et que je peux enfin
m'adresser aux personnes qui ont un passé commun au mien. Mon
père a fait cette guerre et il est très peu bavard, il ne m'a
raconté que très peu de choses, j'ai appris par les
médias, j'ai su combien cette guerre fut une guerre ignoble. J'ai donc
commencé à faire un travail de recherche qui me permet de
comprendre ce que mes parents ont vécu. J'espère que j'aurais
l'occasion de discuter avec d'autres enfants d'Harkis et même avec des
acteurs de cette guerre. A bientôt »1620(*).
Ainsi en va-t-il également de ce témoignage
recueilli par Mohand Hamoumou :
« J'ai vécu, j'ai grandi avec plus de
questions que de réponses. J'ai eu peur de ne pas pouvoir comme mes
parents répondre à ces questions pour mes enfants. Mais,
heureusement, depuis quelques années, les choses bougent. Il y a enfin
des livres qui expliquent. Ça nous permet de mieux comprendre, de mieux
répondre aussi [« aux attaques, aux insultes parfois de
certains Algériens »]. C'est aussi des occasions de parler
avec mon père. Il complète, il confirme. Ça lui fait
à la fois du mal et du bien d'en parler. Il regrette de ne pas savoir
bien lire pour lire des gros livres comme ça. Il dit que c'est du
passé, qu'il faut oublier. Mais aussi qu'il faut leur rendre justice,
dire la vérité »1621(*).
- 1. « Le besoin de savoir à qui et
à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » (P.
Nora) ou la nécessaire transgression du tabou paternel (niveau
intime)
Selon Vincent de Gaulejac, le « secret »
est l'élément déterminant de l'intériorisation de
la honte, donc du stigmate :
« Le secret ne peut être partagé, ce
qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas transmis. Les histoires de famille sont
nourries de secrets dont personne ne parle et que tout le monde connaît.
Mais ce savoir ambigu. On sait qu'il y a quelque chose à savoir sans
savoir exactement quoi. Il y a donc une trace, symptôme de quelque chose,
sans que l'origine en soit connue. Le secret est donc paradoxal : il ne
fait pas directement partie de l'histoire vécue et pourtant il structure
cette histoire, il la surdétermine, il est agissant dans le psychisme,
il est marquant. (...) En voulant dissimuler, il indique qu'il y a là
quelque chose à savoir. En voulant cacher, il suscite la
curiosité, l'envie de savoir, jusqu'à devenir un besoin de
savoir ». Et il ajoute : « La malédiction [du
secret et de la honte] condamne tous les descendants à se sentir
coupables sans comprendre pourquoi. (...) Chacun est traversé par une
histoire qui lui est antérieure mais dont il ne connaît pas la
réalité »1622(*).
En l'espèce, ce besoin de mémoire collective, au
moment même où l'expérience vécue du souvenir de la
guerre d'Algérie et de l'exil commence à s'effacer, est
symptomatique d'une génération confrontée, à
l'extérieur, au mariage paradoxal (et "paradoxant") de
l'indifférence et de l'injure, et dans le "cénacle", au silence
résigné de leurs aînés ; ainsi, à
l'exemple d'Hassina, chacun(e) a conscience d'appartenir
à une génération marquée, dans sa quête
identitaire, par le poids de l'histoire et de ses écrans, handicap et
force à la fois puisque cette expérience commune est en quelque
sorte constitutive d'un lien spéculaire entre les enfants de
harkis :
« Personne ne peut partager ce que cette
communauté a vécu (...). C'est vrai, on partage une histoire
à part, je crois (...). Ce qui est très caractéristique de
cette communauté harkie dans la génération à
laquelle j'appartiens, c'est que chacun de nous s'est cherché, continue
peut-être de se chercher, mais s'est cherché, à un moment
ou à un autre, par rapport à cette fracture, si on peut l'appeler
ainsi, et ça c'est une force qui quelque part nous
réunit » (Hassina).
« En exerçant notre mémoire,
écrit Youri Afanassiev, nous nous interrogeons sur le sens de notre
propre vie, nous voulons comprendre notre place dans l'histoire et nous
comprendre nous-mêmes »1623(*). Précisément, selon
François, « il y a un double héritage
identitaire quand on est fils de harki » :
- un héritage culturel, qui peut être commun avec
la deuxième génération issue de l'immigration
algérienne (voire maghrébine) ;
- un héritage historique, spécifique pour sa
part puisqu'il est « dû au fait d'être fils de
harki », et qu'il est « fait autour d'un drame, fait de
beaucoup de souffrances », pour la plupart ineffables.
Or, constate François, « de
plus en plus de fils de harkis veulent savoir ce qu'a fait leur
père ». Lui aussi a voulu percer les "secrets" de son
père, aller au-delà de ce qu'il laissait filtrer
spontanément : « J'ai voulu en savoir beaucoup plus quand
même, j'ai fait mon petit travail à côté pour savoir
comment lui, trente après, percevait son choix et percevait
l'Algérie ».
Recouvrer un sentiment d'appartenance c'est, selon la formule
de Halbwachs, « commencer à penser avec les
autres »1624(*). Or, le non-dit, le tabou, parce qu'ils troublent
l'acquisition du « savoir intuitif », du « code
symbolique commun » qui fonde la relation entre les membres de la
communauté harkie, entravent la participation affective de la
deuxième génération à l'identité
communautaire, identité collective dont « procède
ontogénétiquement l'identité
individuelle »1625(*) :
« J'ai l'impression qu'il y a tout un passé
derrière moi, un passé enfoui, que je connais très mal et
j'aimerais bien partir à sa découverte, (...) aller fouiller,
savoir exactement ce qui s'est passé » (Dalila, 23
ans) ; « (...) et ces mots qu'on crie, qu'on
disait : «l'Oranaise» ou... «le harki» ou des mots
comme... je comprenais pas, je savais pas et c'est grâce à une
personne que j'ai commencé à réfléchir, à
faire des retours sur moi-même, à retrouver mes propres valeurs,
bon, ça demande des années et des années, hein. Encore
aujourd'hui, j'suis dessus. (...) Et puis finalement on se rend compte qu'on
sait même pas qui on est, hein, parce qu'on assume une scolarité
normale, et tout, mais bon... en passant au-dessus de notre soi. C'est
ça. Et... grandir sans identité c'est pas évident pour
plus tard. (...) Toute cette période-là moi j'ai pas
existé, j'ai commencé à exister quand j'ai commencé
à vouloir comprendre qui était mon père (...) »
(Dalila, 37 ans).
Selon Alex Mucchielli, un sujet ne peut affirmer son
identité individuelle que s'il peut à la fois se sentir
appartenir à un groupe de ses semblables et se sentir autonome par
rapport à l'emprise collective de ce groupe :
« Le problème de l'identité
personnelle, qui est en partie le problème du positionnement de sa
valeur par rapport à un autrui significatif qu'il faut à la fois
imiter et maintenir à distance, recoupe le dilemme humain fondamental de
la recherche de la bonne distance affective »1626(*).
Le sentiment d'identité s'inscrit dans une tension et
une homologie entre l'individu et le groupe. Il est le résultat d'un
double processus qui opère en même temps « au coeur de
l'individu ainsi qu'au coeur de la culture [ou de l'histoire] de sa
communauté »1627(*) :
« L'identité sociale d'un individu est
liée à la connaissance de son appartenance à certains
groupes sociaux et à la signification émotionnelle et
évaluative qui résulte de cette
appartenance »1628(*).
Parfois, la recherche de la "bonne" distance affective est
rendue particulièrement délicate lorsque le mutisme du
père, l'absence de transmission du roman familial créent un
besoin de mémoire "obsessionnel" qui aliène les enfants de harkis
à la figure fuyante du père, obérant parfois la
quête de l'autonomie (mise à distance - accommodation) qui est le
versant dynamique de l'appropriation :
« Le jour où il s'en va et... je l'enterre,
je saurai pas pourquoi... tu comprends ce que je veux dire ? Pour moi,
c'est pas une blessure, c'est une connerie humaine, c'est... c'est de
l'inconscience, quoi (...). C'est plutôt moi qui m'y suis
intéressé à ce problème-là le jour où
j'ai su que mon père était harki, donc je suis allé
fouiner dans les bibliothèques, etc. »
(Karim).
A l'inverse de Karim, qui vit seul à
Paris, ceux des enfants - les "assignés" - qui vivent au milieu de leurs
congénères peuvent plus facilement trouver à qui
s'adresser pour obtenir les réponses aux questions qu'ils se posent.
Jean-Claude, secrétaire de l'association des harkis et
de leurs enfants à Largentière, souligne que « c'est
souvent par intermédiaire, c'est rarement le père au fils
directement, mais c'est par l'oncle, le voisin... ». Ainsi en va-t-il
de Mohamed (35 ans) qui s'informe « au travers des
gens qui ont l'âge de mon père », ou
d'Ahmed, qui a discuté « avec d'autres
personnes âgées » :
« Ben, moi, j'ai eu envie de savoir, mais... je me
fie pas... qu'aux livres... parcimonieux qui existent, l'école ne m'en a
pas non plus donné beaucoup, donc, après, c'est les questions,
des réponses, j'entends au travers des gens qui ont l'âge de mon
père, on arrive comme ça à... »
(Mohamed, 35 ans) ; « En fait, on connaît
l'Algérie au travers des récits des autres, mais pas de nos
parents. Je discute pas avec mon père, mais je vais discuter avec le
père du voisin ; et vice-versa : son fils, il en parlera plus
facilement avec mon père » (Ahmed).
Pour tous les enfants de harkis, la question fondamentale est
celle du "choix". Ainsi, ce qui trouble, ce qui interroge fondamentalement
Dalila (23 ans), ce sont les circonstances et les raisons de
l'engagement de son père aux côtés de l'armée
française, qu'elle voudrait mieux connaître et comprendre. Pour ce
faire Dalila envisageait - au moment où je
l'interrogeais - d'écrire un livre qui restituerait le drame indicible
vécu par ses parents, « pour me débarrasser de toutes
mes angoisses par rapport à ça ; ça a un effet
cathartique ». Un moyen aussi, sans doute, de trouver la bonne
distance affective vis-à-vis d'un père alors encore
réticent à se livrer. Dans cette même optique,
Dalila ressentait le besoin de remonter aux sources
géographiques de la destinée familiale, et de faire - en leur
compagnie - le chemin inverse de ses parents :
« Ce que j'adorerais faire, ce serait retourner en
Algérie avec mes parents. Je sais que ce serait difficile, mais ce
serait vraiment quelque chose que je voudrais faire, retourner avec mes parents
voir la famille qui est restée là-bas, discuter avec
eux ».
Et, de fait, quelques années après que cet
entretien avait été réalisé (au printemps 1997),
Dalila a assouvi et son besoin d'écriture
et son rêve de voyage (quoique sans ses parents) ; l'on
pourrait même dire qu'elle a accompli l'un par l'autre puisque
son livre est d'abord et surtout le récit de son voyage, voyage à
rebours sur la trace de ses parents (à travers la France et
l'Algérie), à la fois retour au point d'origine et voyage
intérieur dans les arcanes de la mémoire paternelle. Ce livre -
fait exceptionnel - a d'ailleurs valu à Dalila
l'honneur des médias, y compris audiovisuels. C'est, je crois, ce qui
m'autorise, pour ce qui la concerne, à faire exception à la
règle de conservation de l'anonymat des personnes interviewées.
Dalila Kerchouche - puisque c'est d'elle dont il s'agit - est l'auteur de
Mon père, ce harki, livre préfacé par Jacques
Duquesne1629(*). En
voici la quatrième de couverture, qui dit bien cette volonté
obstinée, finalement récompensée, de transgresser le tabou
paternel, ce « besoin de savoir à qui et à quoi nous
devons d'être ce que nous sommes » :
« Enfant, j'ai adoré mon père.
Adolescente, je l'ai détesté. Parce qu'il était harki,
parce qu'il a soutenu l'armée française pendant la guerre
d'Algérie, j'ai longtemps cru que mon père était un
traître. Il n'a jamais nié. Il ne m'a jamais rien dit. Devant son
silence, j'ai décidé de partir sur les traces d'un fellah et
d'une bergère, mes parents, dont la vie a basculé un matin de
juin 1962. Quarante après, j'ai refait leur parcours dans les camps
où la France les a parqués : leur passé et mon
présent se sont tissés, noués, intimement
mêlés. Ces pages sont leur histoire et ma quête. Dans ce
voyage au bout de la honte, j'ai découvert une horrible machinerie
d'exclusion sociale et de désintégration humaine. Et puis,
j'ai traversé la Méditerranée. En Algérie, j'ai
poursuivi ma quête, dans une région en guerre contre l'islamisme,
j'ai retrouvé des membres de ma famille et le village de mes parents
qu'ils n'ont jamais revu. Là-bas, j'ai compris qui étaient
vraiment les harkis, leur rôle dans la guerre d'Algérie, leurs
tiraillements, leurs secrets aussi. J'ai enfin percé le silence qui
pèse sur cette histoire. J'ai su, alors, pourquoi j'avais écrit
ce livre : pour parler à mon père ».
Un tel voyage, conçu comme une forme de "come-back
identitaire" en Algérie (François), a
également aidé Hassina à faire la part
des choses en lui démontrant - au prix de certains conflits
intérieurs - que le point d'origine des parents ne valait pas à
lui seul ancrage identitaire pour les enfants ; au fond, ce voyage ne fut
jamais qu'une porte d'entrée vers une autre quête, plus
intérieure, sur sa condition d'enfant de harki :
« [Mon premier voyage,] c'est un voyage qu'on a
fait avec mon père et ma mère et... il fallait absolument qu'on
le fasse, c'était... c'était nécessaire (...). Aller en
Algérie avec ses parents, c'est... pour t'aider à te trouver je
crois que c'est important (...). En fait, je crois que c'est voir ses parents
complètement perdus ici et se dire : «Mais finalement ils ont
un lieu à eux». Je crois que c'est ça. C'est les voir dans
ce lieu dans lequel ils se retrouvent complètement, dans lequel ils sont
eux-mêmes (...). C'est se dire que finalement (...) ils ont un
repère ». Elle ajoute : « [Moi,] j'avais 16 ans
à l'époque et mon père ne m'en avait pas parlé
donc, pour moi, j'allais découvrir ce qui correspondait... à ce
qu'on était finalement. Et en fait non, c'est pas du tout ce que j'ai
trouvé. Et... je crois que ça a été positif et
négatif parce que ça m'a... ça m'a remise en question, par
la suite, forcément. J'ai recherché mon identité par
rapport à ça... et puis à 16 ans je... j'avais pas
tellement la notion de ce qu'était une enfant de harki ; par la
suite, bien entendu, j'ai compris en fait à quoi ça correspondait
(...) ».
Son premier voyage, Mohamed (42 ans)
ne l'envisage pour sa part qu'au terme d'une longue réflexion,
d'un long retour sur soi, à l'âge de 34 ans :
« J'ai pas voulu retourner tout de suite, parce
que, pour moi, l'Algérie, à dix-sept, dix-huit ans, (...)
c'était le brouillard complet. La France c'était aussi le
brouillard, et l'Algérie c'était pareil, donc... Mais, par
contre, je suis retourné en Algérie à l'âge de...
c'était en 89, donc j'avais trente-quatre ans, mon regard était
différent. La sérénité était revenue et, par
conséquent, je pouvais retourner ».
Dans son cas, il est vrai, le recouvrement d'appartenance, le
rétablissement du lien filial avec un père parti trop tôt
(Mohamed n'était alors qu'un enfant), emportant avec
lui le sens d'un engagement, ne peut s'opérer par le langage. Cette
parole à jamais évanouie, cet échange impossible,
Mohamed va les sublimer sur un mode mimétique, en
marchant littéralement sur les traces de son père. Plus qu'un
acte de mémoire, plus qu'une quête identitaire, c'est une
démarche empathique : Mohamed va re-vivre les
souffrances endurées par son père, pour donner corps aux
récits épars de son grand-père et des autres harkis de la
cité de Largentière, où il a passé son
enfance :
« Je voulais retourner (...) par rapport à
mon père que je n'ai pas connu, que je n'ai pratiquement pas connu parce
qu'il est décédé j'avais neuf ans, et quand on
enlève les années de guerre, je l'ai pratiquement jamais vu, donc
voir (...) l'endroit où il a vécu, par exemple, quand il s'est
évadé des prisons du FLN (...). Tout en étant serein et
puis tranquille, je ne voulais quand même pas oublier les trois, quatre
mois de prison que mon père avait fait dans les prisons du FLN et qui
auraient pu se terminer par sa mort, tout simplement, et ensuite les deux,
trois mois où il a vécu comme une bête dans un massif
montagneux, je voulais y aller pour concrétiser dans mon esprit et voir,
donc, exactement les conditions dans lesquelles mon père a pu vivre, et
puis, au-delà de lui, tous les harkis qui ont été
massacrés aussi, la ville où on était en Algérie,
c'est des centaines de harkis qui ont été massacrés. Pour
voir, là aussi, le site, même sans connaître exactement au
centimètre près l'endroit où ils ont pu être
massacrés (...). Donc, c'était pas le touriste, je voulais pas
aller en touriste, pas du tout, c'était vraiment pour revivre et puis
vivre et concrétiser un petit peu ce que mon grand-père a pu me
dire sur l'Algérie, ce que les harkis de la cité de
Largentière ont pu me dire ».
De même, c'est dans la réminiscence des
souffrances endurées par les siens, dans le ressouvenir de la
trajectoire qui fut celle de ses parents (et de son père en
particulier), que Challah1630(*) trouve la force d'affronter ses
« petits malheurs » du quotidien, lui qui estime ne pas
avoir réussi sa vie professionnelle, mais estime avoir réussi sa
vie de citoyen, « qui est mille fois plus importante que la vie
professionnelle » :
« (...) Perdre l'Histoire, ce serait une grave
erreur ; oublier l'Histoire, c'est impossible ; on voudrait parfois,
mais... c'est impossible, on ne peut pas oublier (...). Moi, en tant que fils
de harki, je... on voudrait parfois oublier, mais on peut pas. On peut pas.
Ça s'efface, mais ça... refait surface. On voudrait, mais on peut
pas. Pardonner, on peut. Mais oublier, c'est encore plus dur (...). Par contre,
l'oubli il est facile pour la personne qui le fait [NDA : qui fait le
mal], très facile. Mais pour celui qui subit, on a beaucoup plus de mal
à oublier (...). Moi, par exemple, je suis né en France, mais
j'essaie de comprendre... c'est une histoire que j'essaie de comprendre mais
que je ne vis pas, parce que je n'ai pas vécu ces circonstances
là, donc j'imagine... il y a beaucoup de jeunes fils de harkis qui
s'imaginent cette histoire, mais ils en parlent comme s'ils l'avaient
vécu, ce qui est archi-faux. Ça m'empêche pas de me
construire ma propre histoire, de me donner... une raison... une raison de
vivre. Je n'ai pas connu cet instant présent mais on me l'a transmis,
mes parents me l'ont transmis, en me racontant, bien entendu, comment
c'était en Algérie, et tout... Je suis arrivé à
comprendre. A comprendre qui ? A comprendre mon père, ce qu'ils
avaient vécu, quelles étaient les circonstances...
atténuantes... qui les ont poussé à entrer en France.
Ça a été l'injustice, ça a été le
non-respect d'autrui... un non-respect qu'on leur a infligé comme
ça, c'est-à-dire... mon père était dans
l'armée française, il était infirmier... on l'accusait de
faits qu'il avait jamais commis... sans doute par jalousie... et puis un beau
jour, j'ai eu la famille de ma mère, ils étaient en train de
ramasser des amandes... mon père était un homme respectable, par
rapport à sa personnalité, son charisme naturel ; c'est un
homme sur lequel on pouvait compter, je dis bien et j'insiste : c'est un
homme qui avait une personnalité ; c'est un mur qu'il
s'était construit ; et malgré cette personnalité,
cette bonté... parce qu'il allait de douar en douar, faire des
distributions de médicaments, il donnait des piqûres, il soignait
les gens, hommes, femmes et enfants, malgré ça... y'avait ce
côté... ce côté... chauvin de certains
algériens qui n'aimaient pas cette initiative prise par mon père
qui est entré dans l'armée française tout en restant au
service de l'Algérien et des Français... bon, parce qu'on parle
de l'Algérie mais l'Algérie était française... au
service de la France en quelque sorte... bon ça ne plaisait pas
à... certains Algériens, et puis... et puis un soir il est
rentré à la maison, et puis bon... y'a eu cinquante-quatre morts
dans la famille, donc ce sont... des membres de ma famille que je n'ai pas
connus, qui étaient en train de ramasser des amandes, et ce
jour-là la rivière était... rouge de sang ; elle
était rouge de sang. Le soir mon père en rentrant, ma mère
lui a dit : «Voilà, voilà, voilà». Ils ont
tué le chien - on avait un chien qui s'appelait [inaudible] - ils l'ont
tué. Mon père a dit à ma mère :
«Maintenant, tout de suite, à cet instant présent : on
quitte la maison ; on s'en va ; on s'en va au poste». Ils sont
allés au poste de l'armée française. (...) Ils sont
rentrés en France. Ils sont rentrés en France du poste au
bateau... dans un GMC bâché ; la sensation qu'a eu ma
mère à cette époque : elle a simplement dit qu'on
avait l'air... comme du bétail qu'on amenait au bateau (...)
déracinés... tristes... bon, le mot n'est pas assez... plus que
triste, quoi, la déchirure... la déchirure... ». Et il
ajoute : « Moi, ce malheur me donne une force telle que je
deviens... [silence]... ce que je suis. J'veux dire... ce malheur là,
toute cette monotonie qui s'installe en moi, qui m'habite, qui s'en va, tu
sais, comme un brouillard qui s'installe et qui s'évapore... ça
me donne beaucoup de force... donc, je lutte. Je lutte parce que moi aussi j'ai
dormi longtemps, et un beau jour je me suis dit : «Tu te
réveilles, ou alors, ça va être l'enclume sur la
tête, et tu risques pas de savoir où ça
tombe» »
Ce ré-ancrage mémoriel, cette remembrance du
lien de filiation sont des préalables nécessaires à
l'affirmation de soi et à l'autonomisation de la quête identitaire
des enfants de harkis :
« L'imaginaire et l'historicité sont
articulés l'un à l'autre. La capacité de se projeter dans
un avenir dépend de la possibilité de se situer par rapport au
passé. La levée du refoulement de l'imaginaire (...) permet de
comprendre en quoi [le sujet] est le produit d'une histoire, de quelle
manière il a été déterminé pour se comporter
ainsi, là où il porte l'histoire des autres et là
où il est intervenu pour se construire comme un être propre et
singulier ». Et il ajoute : « Le sujet peut alors
repérer les différents facteurs qui ont provoqué la honte,
comprendre en quoi ils sont reliés afin de substituer aux
émotions inhibantes une expression qui
libère »1631(*).
- 2. Le besoin de s'opposer pour se poser ou l'expression
de la différence avec la deuxième génération issue
de l'immigration (niveau interpersonnel)
Dans leur volonté d'être soi, les enfants de
harkis en viennent généralement - quoique plus ou moins
tardivement, et selon des modalités qui peuvent différer
sensiblement d'un enfant à l'autre - à se distinguer des
populations issues de l'immigration, allant parfois jusqu'à
réinvestir les attitudes d'ostracisme fondées sur des
préjugés socioculturels dont ils sont eux-mêmes victimes.
« Cette attitude, écrit Nicole Lapierre, évoque celle
du parvenu à l'égard du «paria», telle que l'a
analysée Hanna Arendt dans la bourgeoisie judéo-allemande :
le premier s'arrachant à la condition du second, ne veut plus rien avoir
de commun avec ce dernier ; son drame est que la société
majoritaire à laquelle il adhère et s'identifie ne le
reconnaît pas tout à fait pour l'un des
siens »1632(*). De fait, cette volonté de distinction est
d'autant plus forte que sur lesquels se fonde la perception spontanée
d'autrui (à commencer par le "faciès") sont, au quotidien, une
entrave à la reconnaissance en tant que tels des enfants de harkis.
"Discrédités" par ce que Erving Goffman appelle le "stigmate
tribal", et ordinairement amalgamés aux populations issues de
l'immigration maghrébine, les intéressés en viennent
généralement - quoique plus ou moins tardivement au sortir de
l'adolescence - à vouloir "rétablir l'invisible",
c'est-à-dire à vouloir évoquer et invoquer les ressorts
d'un passé familial et communautaire singulier, au fondement d'une
identité individuelle et collective spécifique :
« Je suis fille de harki, je ne suis pas n'importe
quel Algérien en France (...). Y'a un événement historique
qui fait que je suis là où je suis et que j'appartiens à
une communauté différente, qui n'est pas ici, qui n'est pas
là-bas, et qui est différente de tout le monde »
(Hassina).
La volonté de se démarquer des populations
issues de l'immigration maghrébine conduit parfois les enfants de harkis
à s'auto-attribuer - et à "essentialiser" - des qualités
conçues comme à la fois "typifiantes" et "différentielles"
(au prix d'une autre "essentialisation", celle des défauts
prêtés aux "beurs") : des thèmes tels que le sens
civique, le patriotisme (très prégnant dans le discours de
certains fils et filles de harkis) marqueraient un net clivage entre les deux
groupes :
« On ne veut pas être assimilés avec
des beurs. Parce que ces gens-là, ils sont pas pareils que nous (...).
J'pense que chez la plupart des jeunes harkis c'est... être harki
c'est... c'est un état, si je peux dire, c'est un fait, on est harkis,
on est pas beurs, on veut pas être assimilés avec les beurs. Le
beur, c'est autre chose : c'est quelqu'un qui casse, j'dis pas que nous on
casse pas, il faut pas exagérer, on est pas tous des saints, mais j'veux
dire, on s'exprime pas par la violence à chaque fois qu'on veut quelque
chose (...). Parce que dans le coeur on est harkis, c'est un... je sais pas
comment dire, on est harkis, on le sait, et... automatiquement on se comportera
autrement que... les immigrés, quoi, parce qu'on a la France, on a le
drapeau dans le coeur, donc on... civiquement parlant, si on peut dire, on sera
plus citoyen qu'un immigré (...). Etre harki, c'est un certain
état d'esprit : c'est être citoyen... plus qu'un beur, quoi,
voilà » (Jacqueline) ; « (...)
Moi, ce qui me gêne chez les beurs, enfin... ce qui me gêne c'est
que, bon, ils se disent Français, mais... pas de coeur, voyez, c'est...
ils sont Français par intérêt, parce que, bon, ils sont
nés là, ils ont la nationalité française... mais...
c'est tout, pour eux ça représente pas... quelque chose de
profond, quelque chose qu'ils aient choisi, quelque chose... et c'est ça
qui me... qui me gêne. Y'a une différence quand même, avec
le beur, c'est que nous, enfants de harkis de la deuxième
génération, on a épousé... disons... la
civilisation, enfin la culture occidentale, on sait que notre vie se fait ici,
que ce sera toujours ici, que... bon, moi, quand j'écoute la
Marseillaise, j'ai la chair de poule, je pense pas qu'un beur... ait la chair
de poule en écoutant la Marseillaise »
(Taouès1633(*)).
On retrouve dans les propos de Lahcène
et de sa tante Zohra, qui vivent à Largentière
(en Ardèche), l'expression de cette barrière invisible entre
"Eux" et "Nous", que renforce l'attribution à l'autre (« les
Algériens durs ») de traits négatifs censés
témoigner de ce que la différence de trajectoire historique a
également accouché de qualités morales
discriminantes :
« Et les rapports sont difficiles avec
eux [NDA : les beurs d'Aubenas, ville voisine de
Largentière] ?
Lahcène - Ben... c'est-à-dire,
ouais, ils le disent pas en face, tu sais, on le ressent, tu peux pas le dire
en face, mais quelque part c'est... tu sais, pour tout, tu sais, pour... bon
moi de toute façon je traîne toujours avec ceux de
Largentière, tu sais, quoi... on est toujours entre "harka", tu sais...
[rires] on se mélange pas, tu vois, on se mélange pas, bon,
à part le sport, quoi. A Largentière, au club, tu sais quoi, bon,
y'a des Marocains, y'a des Algériens, tu sais c'est bien, tous unis
quoi. Sinon, on est toujours ensemble, toujours solidaires quoi. Si ça
chauffe, on est tous là quoi, tous unis. Depuis gamins, on a
grandis...
Il n'y a pas de place pour une
réconciliation ?
Lahcène - Bon, de toute façon
ça a jamais dégénéré, ça a jamais...
tu sais, on a toujours fait comme si on calcule pas, mais bon moi je suis
toujours avec les harkis, c'est mes seuls amis, quoi, tu sais, on s'appelle
"frères" entre nous, tu sais, c'est "frères", c'est pas... non,
non, franchement, Aubenas, nous on se mélange pas avec eux, quoi, tu
sais on est... eux ils ont leurs propres activités là-bas, et
puis ici on a... bah... on a rien, on a rien, quoi. On a rien. Alors que eux...
eux ils ont tout, eux, les M.J.C., les maisons de jeunes, ils ont... pfff...
ils ont tout quoi, eux.
Avec les Marocains [qui habitent
Largentière] ça se passe mieux qu'avec les Algériens [qui
habitent Aubenas] ?
Lahcène - Ah ! ouais, mieux,
mieux, ah ! oui, mieux, oui, oui. Eux, franchement, ils sont... tu sais,
franchement, les Marocains, ils sont bien, quoi. Y'a des amis qui jouent au
foot avec nous et... ils sont vraiment bien, tu sais, ils cherchent pas
à poser de questions aussi, c'est comme ça. Mais c'est vrai que
ceux d'Aubenas, c'est pas pareil quoi. Y'a beaucoup de... comment dire...
j'vais pas dire des familles sauvages, quoi, mais... c'est des
Algériens... euh... durs, quoi, tu sais, mais bon ça c'est...
Zohra - C'est des Algériens qui aiment
bien travailler en France mais... qui veulent toujours... retourner dans leur
pays, ils veulent toujours retourner. C'est pas pareil.
Vous avez l'impression qu'ils ne sont pas autant
attachés...
Zohra - ...non, bah, non, surtout ils sont
là pour travailler, pour... voilà, et un jour ou l'autre ils
retournent chez eux. Ils vont en vacances, ils construisent une maison, donc
ici ils sont là... on l'entend tout le temps, sans arrêt, qu'ils
sont là que pour travailler, pour... c'est tout.
Voilà ».
Cette adhésion à certains
stéréotypes négatifs véhiculés à
l'encontre des populations originaires du Maghreb serait, pour certains enfants
de harkis, un gage (illusoire ?) d'acceptabilité de la part de la
société d'accueil :
« Etre enfant de harki, c'est... je peux dire
à des gens que j'ai la nationalité française sans... dans
mon coeur me dire que je l'ai prise, parce que je l'ai eue à la
naissance et... je sais pas, je peux me justifier auprès des gens que je
suis pas d'origine... immigrée, et... déjà ça passe
beaucoup mieux, beaucoup, beaucoup mieux, déjà rien que le fait
de dire aux gens que... t'es pas issue de l'immigration, ça passe
beaucoup mieux et c'est la vérité »
(Jacqueline) ; « (...) vu mon nom et mon
prénom, ils peuvent dire que je suis un immigré. Ils peuvent
penser que je suis un immigré, et vu ce qu'il se passe actuellement en
France, il peut y avoir un rejet, je veux dire (...). Si je leur dis rien
(...), de suite ils risquent de me cataloguer en tant qu'immigré. Et je
préfère leur dire que... je suis musulman et que... je suis
Français » (Rabah).
Dans leur volonté d'apparaître "en tant que
tels", de n'être pas "une autre facette des beurs", certains en viennent
à vouloir arborer des signes distinctifs, des sceaux de
"notoriété", qui rétablissent l'invisible aux yeux
d'autrui :
« (...) Ce qu'on voudrait, c'est une priorité
aux harkis, et que ça se voie sur la carte d'identité. Je ne suis
pas français musulman même si la religion est suivie dans les
maisons, je suis un Français fils de harki. Comme ça, on peut
faire la différence avec Français fils de
FLN »1634(*).
Mais, plus fondamentalement, cette volonté de
distinction doit être comprise comme un acte de filiation assumée,
qui vise à entériner le choix du père, à le faire
sien :
« (...) nous, c'était un choix,
c'était un choix par rapport à une guerre, par rapport à
un contexte. On était pas là pour... c'est pas pour des raisons
économiques qu'on est là, nous, on a rejoint la patrie, et puis
"point", c'est tout » (Régika) ;
« (...) le fait que maintenant il y a un amalgame qui soit fait entre
les immigrés, etc.... on met tout le monde dans le même sac, nous
on a notre identité, on a une référence par rapport
à nos parents qui ont choisi la France, et nous on est Français
désormais, qu'on le veuille ou non, on est Français »
(Mohamed, 42 ans).
Cette volonté de distinction, cette volonté de
se réclamer - en dépit du poids de l'activation des
stéréotypes dans l'ordinaire des relations sociales - d'une
forme d'"intégrité identitaire" est une démarche qui peut
se heurter à d'autres obstacles, plus idéologiques, de la part de
certains secteurs d'opinion au sein du groupe majoritaire. Ainsi en va-t-il de
la réaction suscitée chez Michel Polac, animateur d'une
émission consacrée aux problèmes d'immigration et
d'intégration (diffusée le 14 juillet 1990), par les propos d'une
jeune militante MRG (Mouvement des Radicaux de Gauche), fille de
harki. Celle-ci, revendiquant « l'intégration
totale » pour les membres de la communauté harkie, avait tenu
à se démarquer absolument des populations issues de l'immigration
maghrébine, déplorant même que ces derniers auraient plus
d'avantages qu'eux. Michel Polac, animateur de l'émission, avait alors
rétorqué que de tels propos étaient susceptibles de faire
le jeu du Front national, s'attirant les protestations de
l'intéressée ainsi que d'Ali Boualam (fils du Bachaga Boualam),
autre invité de ce débat. L'animateur, en désaccord avec
les producteurs de l'émission, avait par suite introduit un
référé devant le tribunal d'instance pour que
l'émission soit déprogrammée et
« retravaillée ». Ce recours sera finalement
rejeté et l'émission diffusée en l'état1635(*). Ainsi, au poids des
stéréotypes (stigmate tribal), qui jouent contre la
reconnaissance en tant que tels des enfants de harkis dans les interactions de
la vie quotidienne, s'ajoute le poids de certains schèmes de
pensée, qui, procédant par amalgame (entendre distinguer sa
situation et/ou son héritage symbolique de fils ou fille de harki de
ceux des beurs, c'est faire le jeu du Front national), considèrent comme
non légitime - ou politiquement incorrecte - cette volonté de
distinction des enfants de harkis.
D'autres enfants de harkis, il est vrai, refusent absolument
d'être distingués des populations issues de l'immigration
maghrébine, et ne se reconnaissent aucune spécificité, ou
la rejettent explicitement. C'est le cas de Mohamed (28 ans)
qui, par les accents volontairement "outrés" de sa
démonstration, heurte le sentiment d'amour-propre de son ami
Rachid, lui aussi fils de harki :
« Mohamed (28 ans) - Non, mais,
franchement, ceux qui arrivent à faire la distinction,
c'est-à-dire qu'un fils de harki, un jeune fils de harki qui revendique
qu'il est harki, pour moi, c'est grave. Parce que moi, devant la population
immigrée, tu... tu... devant les Français, quoi, on a le droit de
revendiquer qu'on est des harkis, qu'on a des droits et tout, mais j'veux dire,
vis-à-vis des immigrés ou quoi, je revendiquerai jamais que je
suis un harki, et moi, j'te dis, personnellement, que vis-à-vis de notre
pays, vis-à-vis de la France, t'as le droit de revendiquer que t'es un
harki, mais moi je revendiquerai jamais vis-à-vis de la France que je
suis un harki, jamais, je le ferai jamais, je préfère qu'on
considère comme si j'étais arrivé hier dans un bateau.
(...) Mais moi, mes problèmes, c'est différent, quoi,
franchement, moi... franchement faire la différence entre les fils de
harkis, comme tu disais tout à l'heure, je ferai jamais la
différence, je montrerai jamais que je suis un fils de harki, je
défendrai jamais les harkis spécialement ; je dirais
même, les fils de harkis je les défendrai jamais, si un jour j'ai
l'occasion de les défendre, je les défendrai jamais. (...) Tu me
parles de la communauté harkie ? Moi, franchement, je trouve que
c'est dépassé, franchement... dernièrement, à
Montpellier, tous les harkis ils ont fait des manifestations, les harkis ils
ont fait des manifestations, ils ont ressorti leurs médailles, et tout,
franchement, eh ! ben, moi, j'aurais honte... quand ils ont fait
ça, franchement...
Rachid - ...moi j'en ai une
médaille, fais pas chier, j'en ai une, hein...
Mohamed - quand ils ont manifesté avec
leurs médailles et tout...
Rachid - ...oh !...
Mohamed - ...quand ils ont manifesté
avec leurs médailles et tout, les... les... les... les harkis qui
étaient à Montpellier, avec leurs médailles et tout, j'ai
eu honte, franchement, j'ai eu honte... ».
D'autres encore, s'ils se sentent spontanément plus
proches des beurs que des Français dits de souche, parce qu'en butte aux
mêmes difficultés, savent néanmoins que cette
communauté d'esprit ne résisterait pas une minute à
l'évocation de la destinée paternelle. Le cas d'espèce
d'Ahmed est symptomatique de cette ambivalence des processus
d'identification/distinction à l'égard des beurs :
« Tu dis te sentir étranger
à ton propre pays : est-ce que cela signifie que tu te sens plus
proche des enfants d'immigrés que des jeunes gaouris, comme
moi ?
- Non, plus proche des étrangers.
- Y compris des immigrés
algériens ?
- Oui, parce que... leur histoire est différente
de la nôtre, mais ils vivent des choses comme nous, ils sont
rejetés comme nous, donc automatiquement on se sent plus proche d'eux...
Comment t'expliquer ? C'est simple : si demain je me retrouve dans
une ville inconnue, perdu, j'ai deux types en face de moi, un Algérien
et un Européen : automatiquement, vers qui je vais être
amené à demander de l'aide ? Ça va être
l'Algérien.
- Et la différence d'histoire, tu n'as
jamais eu à en...
...si, quelque part, si ; si je commence à penser
à la guerre d'Algérie et à ce qu'ils pensent de nous, je
vais pas dire que je les hais, mais... c'est tout comme. C'est bizarre,
hein ? Mais bon... c'est chaud. Je sais pas si c'est propre aux gens du
sud, mais quelque part on a le sang qui boue. Et j'veux dire, s'il commence
à avoir des commentaires déplacés, là je
m'emporterai. Et pourtant je le respecte. En sa présence, j'en parlerai
pas. Parce qu'on a un point de vue qui automatiquement sera différent.
Il y a quelque chose qui fait que nos parents ont pris des chemins
différents, mais on n'a pas à en parler. On n'a pas à les
juger. Mais, accepter non. Je sais que lui il acceptera pas qu'on en parle, et
moi non plus j'accepterai pas. Mais c'est pas pour ça qu'on se
détestera, bien au contraire ».
Outre la mobilisation du sujet pour sauvegarder son
unité (dimension individuelle), le travail de dégagement par
rapport à la honte passe aussi, indissociablement (quoique
fréquemment avec un certain décalage dans le temps), par une
lutte pour la reconnaissance aux yeux d'autrui. Dans ce second "temps" de la
« stratégie de la désimplication », il s'agit
de puiser dans le substrat familial et communautaire les ressources pour
recouvrer ses capacités de symbolisation vis-à-vis de
l'extérieur et mettre en cause les valeurs et vecteurs symboliques qui
légitiment la stigmatisation : non plus simplement la transgression
intime du tabou paternel, mais le refus assumé et proclamé - au
nom des pères et des pairs - des normes négatives
véhiculées par l'environnement social :
« Pour développer une identité
positive, il faut avoir non seulement la conscience d'une identité
personnelle, mais aussi celle d'appartenir à un groupe avec des
caractéristiques auxquelles on peut s'identifier, et des
caractéristiques positives »1636(*).
Cette seconde phase, qui peut être dite "collective" au
sens où l'individu entend désormais se réclamer d'un
« Nous » qui l'englobe et le dépasse, correspond
à une forme d' « insurrection symbolique »
marquée par une volonté de réactivation de
l'héritage mémoriel et de réhabilitation de la figure du
père au-delà du cercle communautaire (ce que Erving Goffman
appelle le « retournement du stigmate »).
B) La lutte pour la réhabilitation de la figure
du père ou la nécessaire mise en cause des valeurs et vecteurs
symboliques qui légitiment la stigmatisation (dimension collective)
Cette deuxième phase du travail de dégagement,
qui voit l'individu s'inscrire de propos délibéré dans un
"être collectif", correspond à une nouvelle étape de la
mobilisation du sujet pour recouvrer ses capacités de
symbolisation : il s'agit, selon la belle expression de Jean-Jacques Jordi
et Mohand Hamoumou, de « faire du père le combat du
fils »1637(*). La lutte pour la réactivation de
l'héritage mémoriel et, surtout, la réhabilitation de la
figure du père aux yeux d'autrui (ou retournement du stigmate) vaut
aussi, pour les enfants, restauration de l'identité
blessée : c'est une défense contre la souffrance et la
honte. Il s'agira pour les enfants de harkis, en se
réclamant clairement et délibérément de leur groupe
d'appartenance, de produire « un autre système
d'évaluation », autrement dit, d'agir sur « [cet]
ensemble de représentations de soi à la société
[NDA : Norbert Elias et John L. Scotson parleraient à cet
égard d' « idéologies de statut »] dont
une des fonctions est précisément de situer les individus dans
les rapports sociaux et légitimer cette place »1638(*) :
« L'appartenance à un groupe, écrivent
Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada-Léonetti, permet de se
défendre contre un "regard social" méprisant et stigmatisant. Le
groupe peut produire des contre-modèles et refuser les normes sociales
dominantes invalidantes. Il évite donc le processus
d'intériorisation de la honte sociale ». Et ils
ajoutent : « [Le groupe] constitue une médiation entre
l'individu et la société :
- médiation socialisante parce qu'il inscrit l'individu
dans des réseaux de solidarité qui élargissent ses
relations au-delà de la sphère familiale ;
- médiation identitaire puisque les liens
établis avec "ses semblables" permettent de développer des
identifications positives qui neutralisent les aspects négatifs
liés à l'appartenance à un groupe social
dominé »1639(*).
La deuxième génération, dans sa
volonté de sauver de l'oubli la mémoire du groupe d'appartenance
et de faire connaître et reconnaître cette "face cachée" de
l'histoire de France, revendique ainsi des origines que les parents ont tout
fait pour oublier. Leur désir d'appartenance pleine et
entière à la société française, les enfants
de harkis le vivent ainsi sur le mode de la fidélité à la
figure du père, à son "choix", à son combat ;
à l'instar de Karim, qui dit « [se battre]
à travers les convictions de [son] père », mais encore
de Rabah et Mohamed (42
ans), qui confondent fidélité au drapeau et
fidélité filiale, ou d'Ahmed, qui fait sienne
sans complexe l'histoire de son père :
« (...) J'ai fait un choix, mon père a fait
un choix, j'ai fait un choix : c'est la France (...). Quand je vois ma
carte d'identité, bah, j'en suis fier. Parce qu'on s'est battus pour
ça, ça a une valeur morale beaucoup plus grande. Et quand j'ai eu
mon service militaire, ben... j'étais fier d'avoir fait mon service
militaire, d'avoir servi le drapeau français. Et quand je vois le
drapeau français, euh... je disais : «Tiens, mon
père... mon père y gardait ce drapeau aussi». Il l'a
même servi des années et des années, il s'est battu pour
ça (...). Quand je vois le drapeau français qui flotte, je pense
à tout ce qu'il a... tout ce qu'il a enduré, tout ce qu'il a fait
(...) » (Rabah).
« Mes parents ont aimé ce pays, mes
grands-parents ont aimé ce pays, moi je dois rester fidèle
à ça (...). Hors de question à ce qu'on trahisse tout ce
que nos parents ont fait pour la France. Il faut être fidèle,
même si on a pas été remerciés en retour, je dirais
(...). Ce message, quelque part, il a survécu à nos parents,
même si mon père est décédé, même si
j'étais gamin, le peu de choses qu'il ait pu me dire sur ces
problèmes... avec quelques années de plus ce message a
ressurgi » (Mohamed, 42 ans).
« Mais aujourd'hui je suis fier. Je suis fier...
enfin fier... pas fier dans le sens... mais je ne changerais pour rien au monde
d'histoire. C'est mon histoire, je suis fier de ce que mon père a fait.
Si demain on me donnait la possibilité de changer de peau, je ne
changerais rien, non » (Ahmed).
Mais s'ils se fixent pour objectif de réactiver la
mémoire de leurs parents, les fils et filles de harki entendent aussi
s'en servir comme d'un "garde-fou" et ne pas reproduire, à la
différence de leurs aînés, une certaine forme de
"naïveté" ou de "résignation" eu égard aux
agissements d'autres groupes interdépendants (et des pouvoirs publics en
particulier). La dynamique des générations s'inscrit ainsi
indissociablement dans la fidélité et le refus :
fidélité à la figure du père, refus du statut
adventice qui lui a été assigné dans la
société française ; Mohamed
(42 ans) entend ainsi être davantage ou autre chose
qu'un simple rouage de transmission de la mémoire familiale, de
sorte que celle-ci vive non seulement "par" mais "à travers" lui ;
il entend véritablement l'incorporer, c'est-à-dire l'enrichir de
ses expériences et sentiments propres sur la situation de la
communauté :
« (...) Mais rester fidèle ça ne veut
pas dire être aveugle, fermer les yeux sur tout, donc ça je ne
peux pas le concevoir, je me suis dit : «Mes parents aimaient la
France, bon...» ; moi également je fais en sorte de comprendre
les choses et d'arriver à aimer ce pays, mais pas à n'importe
quel prix. Je veux participer à la vie de ce pays. Et puis tenter de
voir les problèmes de l'intérieur pour ne pas être, comme
mes parents, amené à la boucherie les yeux fermés. Niet.
Je ne voulais pas de ça ».
L'autonomisation de la quête identitaire des enfants de
harkis passe par ce va-et-vient « identification - fusion/mise
à distance - rejet ». Selon Edmond-Marc Lipiansky,
l'identité se propose ainsi, au niveau même de sa
définition, dans le paradoxe d'être à la fois ce qui rend
semblable et différent, unique et pareil aux autres ;
fondamentalement, la signification reste indécidable :
« On peut poser l'hypothèse que
l'identité ne se soutient que dans cette oscillation et qu'il importe
que le paradoxe ne soit pas résolu. Sinon, c'est la chute dans l'un des
termes de la contradiction : l'unicité autistique ou
l'indifférenciation uniformisante du fusionnel qui signent l'un et
l'autre la perte de l'identité »1640(*).
Pour Jean-Claude, comme pour Dalila
(37 ans), cette quête de la reconnaissance -
aussi bien que la requête d'une décision politique qui pourrait la
fonder - sont d'abord conçus comme un moyen de donner du sens et de
trouver une place dans la société d'accueil, afin de ne pas se
laisser "laminer" socialement :
« Est-ce qu'à
l'instar de Mohamed [président de l'association des harkis et de leurs
enfants à Largentière], tu attends un geste de reconnaissance de
l'Etat français, notamment un geste de reconnaissance de la
responsabilité de l'Etat français dans l'abandon des
harkis ?
Jean-Claude - Ah ! moi, oui. Ah !
oui. Même... même, à la limite, plus. Plus encore que lui.
Parce que lui. Là, c'est clair. Je pense que... leur
génération [Jean-Claude me désigne Mohamed], ils ont
souffert, ils ont souffert d'une adaptation, de... de... d'un manque de
reconnaissance, mais ils ont les éléments de leur propre vie. Si
tu veux, ils ont pas ce blanc, là, parce que eux l'ont vécu, ils
ont leur histoire : ils ont avant la guerre, ils ont leur histoire pendant
la guerre, mais c'est leur histoire, ils l'ont vécue. Alors que nous,
c'est un élément de notre histoire que nous n'avons pas
vécu. (...) Je sais que je suis algérien, je sais que j'ai mes
grands-parents en Algérie, je sais que j'ai tout ça, et puis y'a
cette guerre, cette arrivée en France, cette "exportation", parce que
pour moi c'est une exportation, qui fait que ça a creusé un vide.
Ça a creusé un vide que je ne connais que par les... les
récits des plus anciens. Mais eux, ce vide il est concret, si tu veux,
ils l'ont vécu. Pour nous, il est imaginaire. Et moi j'ai besoin autant
qu'eux, et peut-être plus qu'eux, que la nation, et la France, et la
décision politique en tant que telle, veuillent les reconnaître
en tant que tels. Ça serait un peu, si tu veux, cimenter un peu, donner
un sens, et concrétiser cette période de vide ».
« Vous savez, les gens déjà ils sont
déçus, ils sont désespérés, y'en a qui
veulent casser, y'en a qui veulent... parce que... on ne leur permet pas
d'avoir une identité. C'est ça, je crois, surtout.
- Il y a un manque de
reconnaissance ?
Dalila (37 ans) - Ah ! Complet, complet.
Complet, on ne leur permet pas d'être eux-mêmes,
hein ».
A la différence de la génération des
pères, génération meurtrie qui a
préféré oublier une page de l'histoire qui s'est
écrite malgré elle, génération "honteuse" (car
culpabilisée) qui a préféré taire sa
déchirure, la deuxième génération ose se
départir, dans les termes mêmes de son aspiration à la
réminiscence de l'héritage mémoriel communautaire, du
statut anecdotique et dégradant qui se dégage de cet autre
stéréotype - paternaliste - du harki, « figure vivante
du "bon Arabe", de celui qui cesse d'être ce qu'il est pour devenir
pleinement français »1641(*). Cette mise en accusation du statut caricatural
dévolu à leurs pères par l'imagerie d'Etat, laquelle
étouffe le dramatique (le harki, « victime de la "raison
d'Etat" ») dans le cérémonieux (le harki,
« soldat de la France »), mais aussi la divergence
exprimée par rapport à "l'acceptation" de ce statut hypocrite par
leurs parents, signent et signifient l'autonomisation de la quête
identitaire d'une génération décidée à
soutenir une démarche plus offensive, moins respectueuse de l'ordre
établi et de la "raison d'Etat" :
« On nous a laissés trente-cinq ans, on nous
a oubliés, mais si c'est pour nous promettre des choses, comme y'a
quelques années, y'a pas très longtemps, et qu'on ne fait rien,
et qu'on nous prend pour des imbéciles parce qu'on pense que c'est la
génération d'avant ; mais nous, la deuxième
génération, c'est plus ça, il faut... il faut que la
France se dise... on pense qu'on est restés comme dans les années
1962, comme nos parents étaient mentalement. Mais non, c'est
fini » (Régika) ;
« (...) Contrairement à beaucoup d'autres
dans des manifestations ou quoi que ce soit qui porteraient le drapeau
français, moi je le ferais pas (...). Parce que quelque part on a
été trompés, nous on continue à s'accrocher
à la France, à dire qu'on est Français alors que la France
nous rejette (...). Parce qu'on nous a pas rendu l'honneur qu'on doit nous
rendre. C'est pas avec un timbre, ou avec... cent mille francs, ou je sais pas
combien que y vont nous... (...). Donc je pourrais pas moi porter un drapeau
alors que mon père... il est mort... il sera mort, je sais pas, sans
reconnaissance, sans rien. C'est pas possible. Et voilà, le bon petit
"bougnoule" qui fait son harki après la commémoration, euh...
moi, ça, ça me dégoûte trop. C'est vraiment... la
caricature : le harki y porte un drapeau, y défile avec des
médailles, et après y fait cuire un méchoui (...).
Voilà, donc je pense que nous on a pas à être les
porte-drapeau alors que d'autres ne le font pas (...). On est français,
et on fait comme les autres Français, on porte pas notre drapeau. On est
fiers d'être français, comme n'importe quel autre Mathieu, ou
Jean-Jacques, ou... je sais pas, mais... pourquoi l'autre il porterait pas le
drapeau et nous on le porterait toute notre vie ? (...) Y'a pas besoin
de... de faire du cinéma : «France, France, France». On
est français. Nos parents le font parce qu'ils sont vieux, mais nous,
ça y est, on est dans la société française, on est
intégrés, on a pas besoin de le faire. Voilà, on nous
donne pas ce qu'on veut et on nous fait défiler comme des abrutis devant
les caméras avec un costume traditionnel, un méchoui et un
drapeau, ça veut dire que encore on est... pour eux, on est encore
différents » (Jacqueline).
Aussi la réhabilitation attendue de la figure du
père, et d'un engagement auquel ils doivent d'être ce qu'ils sont,
passe, pour les enfants de harkis, par l'interpellation d'un Etat
considéré comme moralement débiteur et oublieux de ses
devoirs les plus sacrés, à commencer par le devoir de
mémoire. Mais pas n'importe quelle mémoire : il faut dire,
certes, mais dire aussi - dire surtout - ce que le folklore des
cérémonies patriotiques ne dit pas :
« (...) Et la France, son problème, c'est
qu'elle a été muette depuis 1962. On a tout dit et n'importe quoi
sur les harkis, sur les militaires... la France est restée muette. Et
elle aurait pas dû (...). Bon, maintenant, la France elle va être
bien gentille, qu'elle arrête de se foutre de nous, qu'elle fasse ce
qu'il y a à faire pour rétablir, pour réhabiliter la
mémoire de nos parents, bon, plus l'école, apprendre aux jeunes,
mais... la vraie version, pas la version qu'ils ont envie, et tous les... parce
que, bon, pour les livres d'histoire, c'est quand même... ce sont les
intellectuels, les intellectuels doivent se mettre d'accord. (...) Il faut que
ça ressorte, qu'on raconte la vérité aux
Français » (Régika).
« En fait, faudrait qu'il y ait des gens de chez
nous qui traîne l'Etat français devant la Cour européenne.
Parce qu'en ce moment, c'est la mode : tout le monde traîne tout le
monde. Nous aussi qu'on les traîne pour génocide. J'veux dire, ils
ont quand même massacré 350.000 ou 400.000 harkis en
Algérie (sic), alors que les militaires français
étaient enfermés dans les casernes et qu'on massacrait les gens
à la porte des casernes. (...) En tout cas, si ils veulent vraiment
honorer la mémoire de nos parents, y'a que comme ça. Et nous
ça nous foutra moins les boules, on aura moins l'impression qu'on s'est
servi d'eux, que la France elle reconnaît qu'elle les a abandonnés
lâchement » (Ahmed).
C'est avec tout autant de véhémence, mais par
l'écriture (et par un acte qui vise autant à édifier ou
mortifier l'autre qu'à se libérer soi), que Zahia Rahmani, dont
le père s'est suicidé immédiatement à la suite
d'une cérémonie du 11-novembre, exprime cette attente de la
"vraie version", cette « attente d'entendre autrement la sentence qui
lui dira, Nous l'avons trompé » :
« Moze n'a pas parlé. Il a cessé. Il
ne parlera plus. De ce qui l'a tué, de ce qu'il a compris, il n'a rien
dit. Ce que sa langue ne suffisait pas à dire, c'est le système
qui permit à l'Etat français de fabriquer une armée de
soldatsmorts sans se soucier qu'ils étaient des
hommes. (...) J'ai dit que Moze ne parlait pas. Sans langue, il
était aussi sans territoire. Ni nomade ni apatride, ni errant ni
exilé, il serait ce qu'une autre langue, celle de l'injure faite
à l'homme, désigne comme un banni, un être indigne.
C'était une espèce d'homme »1642(*). Et elle ajoute :
« Ce regard insoutenable, cette figure extrême de la
culpabilité, je veux m'en défaire. Je ne veux pourtant pas
l'innocenter. (...) Par l'écriture, je sais que je l'expose et le
réduis. Par l'écriture je me défais de lui et vous le
remets. Mais je rappelle, étant sa fille, que je suis aussi ce qui est
venu par lui et le continue. Un legs. Une exécution testamentaire
ouverte par son salut aux morts. Je suis parole faisant serment non pas de
mort, mais faisant serment avec la mort comme parole. Moze m'a offert la
sienne »1643(*).
Ce ressentiment durable eu égard à la
pusillanimité et au cynisme des autorités de l'époque,
cette amertume aussi à l'encontre d'une société d'accueil
qui voile d'indifférence le souvenir de leurs parents, nourrissent chez
les enfants de harkis l'ambivalence du rapport à la patrie, à la
fois terre d'élection du père et précipice de son
idéal, terre d'exil plutôt que terre d'accueil. Et l'on ressent,
au travers des propos de Jacqueline ou de
Mohamed (42 ans), que les enfants de harkis -
confrontés, qui plus est, aux difficultés d'intégration
que l'on sait (voir Partie 3) - ont paradoxalement beaucoup moins bien
accepté la "trahison" dont ont été victimes leurs parents
que leurs parents eux-mêmes :
« On parle avec l'émotion, c'est quelque
chose qu'on ne peut pas admettre. (...) On se dit que ça aurait pu se
passer différemment si on avait pas considéré les harkis
comme... j'allais dire des kleenex. (...) C'est vrai qu'on peut ressentir
quelque frustration, et moi je dis et je souhaite de tout coeur que cette
frustration n'arrive pas dans beaucoup de cas, du moins je l'espère,
à des réactions qu'on a pu connaître par le passé,
cité des Oliviers et consorts. (...) Nous, adolescents, on l'avait pas
admis, et aujourd'hui encore je l'admets pas qu'on ait pu, donc,
négocier sur le dos de nos parents et qu'on les ait laisser être
massacrés par le FLN. (...) Et moi, lorsque j'ai compris que la cause
harkie la France s'en tapait comme de sa première chemise, on avait...
euh... je dirais, quand même, "gros sur la patate", on avait "gros sur la
patate", et ça, rajouté avec les difficultés qu'on vivait
dans cette cité-ghetto, ça pouvait que nous donner un sentiment
d'injustice, là aussi le mot n'est pas fort (...). Tout ça, nos
parents l'auraient accepté, mais nous, non, on a pas pu
l'accepter » (Mohamed, 42 ans) ; « La
France a lâché ses soldats. Et ça on le pardonnera jamais,
ça on le dira toujours (...). On l'a pas encore avalé. Parce
que... on nous a créés, on nous a inventés. Et on nous a
lâchés. On est pas venus tout seuls, on a pas demandé. On a
pas demandé... à devenir ce qu'on est devenus. C'est pas eux qui
ont eu l'idée, et hop ! Non, on nous a créés, on nous
a inventés, on nous a lâchés après. Voilà. Et
c'est en fait un objet ou un vêtement : «Hop !», on
lâche quoi, c'est... c'est inhumain »
(Jacqueline).
Ce sentiment d'être les oubliés à bon
compte de la guerre d'Algérie fait craindre à certains enfants de
harkis de n'être jamais que des "figurants" ou des "silhouettes", les
sujets fictionnels d'une communauté éphémère,
"périssable", sans ressort ni visibilité sociale
propres :
« (...) Il faut déjà qu'on apprenne
aux jeunes à l'école, surtout aux jeunes, parce qu'en fait les
gens qui savent... ce qu'on est, qui sont un peu au courant, ce sont tous des
personnes âgées qui vont disparaître (...). Donc, quand ces
personnes vont mourir, nous on va mourir avec, si on peut dire. Voilà.
(...) Mais je veux dire on n'existera plus, quoi, dans peut-être dix ans,
quinze ans, "harki" ça va être encore moins connu que ce qu'il y a
maintenant, quoi » (Jacqueline).
« (...) De toute façon, moi, je pense que,
d'ici quelques années, ça existera plus tout ça : les
harkis, les ceci...
- La spécificité harkie va
s'éteindre avec les pères ?
Ahmed - Y'en a qui vont le garder, mais pas
beaucoup...
- Donc, c'est une communauté qui
est vouée à disparaître en tant que
telle ?
Ahmed - En tout cas, moi, c'est l'idée
que j'en ai. Maintenant, je peux me tromper, hein...
- Et ça, à ton avis, c'est
plutôt un bien ou...
Ahmed - Non. Non. Pour moi, c'est pas une
bonne chose. Mais, bon, on est pas aidés. Mais si tu regardes la
parabole, en Algérie, chaque année, ils ont la
commémoration de la guerre d'Algérie, comme quoi ils ont
gagné, ceci, cela. En France, tu trouveras dans aucun livre l'histoire
de la communauté harkie ».
« Nous encore on a la chance de pouvoir se rattacher
à eux [les harkis], par rapport à ce que eux peuvent nous
apporter, mais nos enfants à nous, eux, n'auront plus ce... et je crains
fortement pour... pour eux par rapport à des difficultés qu'ils
pourraient rencontrer ensuite au niveau de leur propre personnalité,
leur propre construction de... de leur être. Y'a que l'histoire qui fait
que les gens se rattachent à... retrouvent leurs racines dans
l'histoire... moi, par exemple, moi je sais de qui je viens parce que j'ai eu
la chance de pouvoir les côtoyer de près. Et mes enfants, mettons,
ils auront ce récit que par rapport à moi, donc
déjà d'un fantasme. Et donc plus ça ira, plus nos racines
vont se diluer, et moins on pourra se retrouver et reconnaître ses
racines ; et je pense qu'on peut pas avancer si on n'a pas
déjà mis en place et bien marqué ses... ses racines. On
peut pas avancer. Je pense que de toute façon à un moment ou
à un autre l'Etat français sera obligé de le faire, on va
s'apercevoir qu'il a eu tort de pas le faire, et en paiera les pots
cassés » (Jean-Claude).
Précisément, comment cette volonté
largement affirmée des fils et filles de harkis de mettre en cause les
valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la stigmatisation, et de
tramer autrement que sur un mode dissymétrique la relation à
l'Autre, est-elle comprise, "traduite" et relayée par les pouvoirs
publics en France ? De même, quel espace l'Algérie - avec
laquelle il est question de signer un "traité d'amitié" -
offre-t-elle à une possible réparation des termes de
l'échange ?
II. Réparer les termes de
l'échange : la reconnaissance comme travail de l'écart
(autour de la communauté harkie)
A la nécessaire mise en cause, par l'individu,
« des valeurs et vecteurs symboliques qui légitiment la
stigmatisation » (la reconnaissance comme travail de
dégagement ; voir ci-dessus) s'ajoute celle, non moins
nécessaire (mais nécessairement structurée autour de
logiques d'action collective, via la mobilisation d'un répertoire
d'actions et de revendications, ciblées ou génériques),
« des rapports sociaux qui l'ont fondée »1644(*). Mais comment les choses
peuvent-elles se présenter autrement dans les rapports entre la
communauté harkie et la société française d'une
part, entre la communauté harkie et la société
algérienne d'autre part, que comme "friction" entre des usages de la
mémoire qui ont des fonctions identitaires symétriques, et
empêchent symétriquement toute réflexion sur les
responsabilités historiques ? Peut-on envisager d'ouvrir, en France
et en Algérie, un espace de délibération politique qui,
porteur d'une forme au moins minimale de réciprocité, implique la
reconnaissance des anciens harkis et de leurs enfants comme
interlocuteurs ? Et si non, où situer les résistances
à promouvoir, autour d'une politique de la reconnaissance et du pardon,
« un apprentissage de l'art de vivre ensemble »1645(*) ? Au regard
même des intéressés, si la « fixation d'une
mémoire victimaire »1646(*) structure le lien social qui fait des anciens
harkis et de leurs enfants une communauté à part, le pardon
devient, à la limite, une menace de dissolution. Car toute
reconnaissance, et a fortiori celle que confère le pardon, est à
la fois un soulagement et une "petite mort" pour une communauté
marquée par l'épreuve du désastre.
En France, les politiques de la reconnaissance mises en place
à destination des anciens harkis et de leurs familles ont
été - quasiment par exclusive - des politiques
"palliatives" s'attachant à traiter les conséquences
sociales différées de la politique initiale de mise sous tutelle,
mais encore des politiques "élusives" visant à
célébrer une image consensuelle des anciens supplétifs
(comme "dédramatisée" ou "dé-historicisée")
plutôt qu'à mettre en lumière la chaîne des
événements aussi bien que des responsabilités ayant
conduit aux massacres de l'été et de l'automne 1962. (section
A)
Cette difficulté des Etats à faire droit au
dissensus lorsque leur responsabilité propre est engagée,
à laquelle s'ajoute la virulence persistante des résistances ou
des censures partielles opposées à la mise en lumière du
drame des harkis par différents collèges d'acteurs dotés
d'une forte capacité et légitimité à "faire voix",
font obstacle à la mise en place d'une politique du pardon qui, reposant
a minima sur un examen concerté des faits et la reconnaissance
du différend entre les parties prenantes (ce qui est déjà
beaucoup), ne soit ni une résipiscence téléguidée
ni une résipiscence octroyée. Il s'ensuit, depuis quelques
années, une multiplication des procédures contentieuses
engagées par des individus ou collectifs issues de la communauté
harkie aux fins de déjouer - via la sollicitation du « tiers
de justice »1647(*) - la pesanteur des évolutions
sociopolitiques. (section B)
A) En deçà de la reconnaissance :
les grâces octroyées ou la prégnance du modèle
"assistanciel-cérémoniel"
Qu'en est-il, en France, des politiques de la reconnaissance
mises en place à destination de la communauté harkie ? Entre
politique d'assistance et geste cérémonielle, quelles sont les
lignes directrices et véritable portée des signes de
reconnaissance adressés par l'État français à la
communauté des Français musulmans rapatriés, toutes
générations confondues ? Sur quelle définition de la
situation des intéressés ces politiques reposent-elles ? Et
quelle image des Français musulmans rapatriés et de leurs enfants
contribuent-elles à véhiculer ? En d'autres termes, dans
quelle mesure les politiques de la reconnaissance mises en place à
destination des anciens harkis et de leurs familles sont-elles congruentes avec
les demandes de reconnaissance exprimées par les
intéressés ?
Nous aborderons ici, successivement, deux types de politiques
mises en oeuvre par les pouvoirs publics français spécifiquement
à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants :
- les politiques de type "assistanciel" progressivement mises
en place à la suite du démantèlement, en 1975, de la
politique initiale de mise sous tutelle d'un certain nombre de familles
regroupées dans des sites réservés, et visant à
pallier - jusqu'à aujourd'hui - les effets adverses de cette politique
de confinement (section 1) ;
- les politiques d'ordre cérémoniel ou
symbolique, mises en place beaucoup plus tardivement, qui visent à
célébrer la mémoire de l'engagement des anciens
supplétifs (section 2).
- 1. La relation d'aide institutionnelle (volet
assistanciel)
Avant d'en venir à l'examen de la nature (et de la
qualité) des relations établies entre pouvoirs publics et
bénéficiaires dans le cadre de la politique d'assistance mise en
place à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants, et,
par-là, d'objectiver les effets de sens et d'image qui lui sont
inhérents, un bref retour sur l'historique du cadre législatif et
réglementaire est nécessaire à titre de mise en
perspective. Initialement (1962-1975), nous l'avons vu, les familles - tout au
moins celles qui n'eurent pas la possibilité de s'appuyer sur des
réseaux de solidarité familiaux ou amicaux pour faciliter leur
installation immédiate - furent astreintes à une politique dite
de « reclassement collectif », dans des sites
réservés (camps, hameaux forestiers, cités
périurbaines), où l'ensemble des aspects de la vie sociale et
professionnelle étaient régentés par un personnel
d'encadrement et subordonnés à un régime
d'exception : la mise sous tutelle. Cette politique de mise sous tutelle
n'a été démantelée qu'en 1975, et sous la
contrainte de révoltes conduites sous l'impulsion de jeunes fils de
harkis, dans différents camps du sud de la France (voir la Partie 1).
Il a fallu en outre attendre 1974 (12 ans après
qu'eurent officiellement pris fin ce qui n'était alors que les
« événements d'Algérie ») pour que la
qualité d'anciens combattants et le bénéfice des pensions
d'invalidité soient reconnus aux anciens harkis. Et il a encore fallu
attendre 1982 pour que soit mis en place un nouveau cadre cohérent
d'intervention à la suite du démantèlement de la politique
de mise sous tutelle, sept ans plus tôt : la mise en place d'une
délégation nationale à l'action éducative, sociale
et culturelle (future ONASEC) s'accompagne de la mise en branle de tout un
éventail de mesures visant à faciliter l'insertion sociale et
professionnelle des enfants de harkis.
Enfin, il faudra attendre les lois Santini du 11 juillet 1987
et Romani du 11 juin 1994 pour qu'en plus des aides à l'insertion
proposées aux enfants de harkis des indemnisations soient pour la
première fois versées aux anciens harkis eux-mêmes, en
réparation des préjudices subis en raison et à la suite de
leur transplantation1648(*).
La loi du 11 juin 1994 « relative aux
rapatriés anciens membres des formations supplétives et
assimilés ou victimes de la captivité en
Algérie », adoptée à l'unanimité par
l'Assemblée nationale, entérinait ainsi le plan d'action le plus
ambitieux jamais mis en oeuvre, tant à l'adresse de la première
génération, qu'à l'adresse de la génération
suivante. Outre l'allocation forfaitaire dite
« complémentaire » de 110.000 francs, cette loi
dispensait tout un ensemble de mesures - échelonnées initialement
sur cinq ans à compter du 1er janvier 1995 - concernant le
logement (via des aides à l'accession à la
propriété, à l'amélioration de la résidence
principale et à la résorption du surendettement immobilier),
l'aide au conjoint survivant et la reconnaissance d'un statut de victime de la
captivité en Algérie pour la première
génération ; et, s'agissant de la génération
suivante, l'aide à la formation, à l'emploi et à la
mobilité professionnelle (via notamment le versement de primes à
la mobilité et l'aide à la réservation de logements
sociaux).
Ce plan, qui devait arriver à échéance
à la fin de l'année 1999, a été prorogé par
deux fois par le gouvernement Jospin. Une première reconduction
jusqu'à la fin de l'année 2000, qui a vu la création de la
"rente viagère" pour la première
génération1649(*), et la redynamisation des dispositifs d'aide
à l'emploi et à la formation pour la deuxième
génération. Puis une deuxième reconduction jusqu'à
la fin de l'année 2002, qui s'est accompagnée d'une
réduction de l'éventail et de l'ampleur des mesures (notamment
s'agissant des aides à la formation et à l'emploi), fondée
sur la perspective d'un retour définitif au droit commun au
1er janvier 2003.
A la suite de l'alternance et de l'installation du
gouvernement Raffarin, ce retour vers le droit commun semblait dans un premier
temps se confirmer. D'une part, la délégation aux
rapatriés était supprimée et remplacée par une
mission interministérielle aux Rapatriés (MIR) qui, quoique
placée sous l'autorité directe du Premier ministre, apparaissait
à bien des égards plus anonyme et moins affirmée dans ses
prérogatives. En outre, la charge de rapporteur spécial de la
part du budget consacrée aux rapatriés était
supprimée dans le cadre du projet de loi de finances 20031650(*).
Pour autant, l'article 34 bis du projet de loi de
finances rectificative pour 2002 spécifiait la
pérennisation de la rente viagère (désormais
appelée « allocation de reconnaissance ») en faveur
des harkis et de leurs conjoints survivants, ainsi que la prolongation d'un an
de certaines mesures en leur faveur (aide spécifique pour l'accession
à la propriété et secours en faveur des personnes en proie
au surendettement immobilier). Pour ce qui a trait aux jeunes
générations, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin
annonçait, dans une réponse à une question écrite
du sénateur socialiste Jean-Marc Pastor, que les mesures concernant les
bourses scolaires seraient prorogées en 2003 et qu' « un
accompagnement particulier sera effectué pour les enfants d'anciens
supplétifs, en matière d'emploi, pour leur permettre de
bénéficier pleinement de toutes les nouvelles mesures mises en
oeuvre par le Gouvernement en faveur des publics en
difficultés »1651(*). Accompagnement dont les modalités restaient
cependant à préciser.
Parallèlement à cette politique "d'attrition"
progressive du plan d'action en faveur des anciens harkis et de leurs enfants
(notamment s'agissant de ces derniers), le gouvernement instaurait un Haut
Conseil des Rapatriés dont la mission est
d' « émettre des avis ou propositions concernant les
mesures relatives aux rapatriés », cet organe consultatif
étant composé à parts égales de
représentants des rapatriés d'origine européenne et de
représentants des Français musulmans rapatriés, ainsi que
des universitaires spécialistes de ces dossiers. Ce Haut Conseil des
Rapatriés a contribué, par ses travaux, à
l'élaboration de la loi du 23 février 2005 « portant
reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des
Français rapatriés », rendue célèbre par
le polémique née autour de son article 4 (abrogé depuis)
invitant « les programmes scolaires [à reconnaître] en
particulier le rôle positif de la présence française
outre-mer ». Pour ce qui nous concerne plus particulièrement,
cette loi, particulièrement centrée sur les questions de
mémoire1652(*),
entérinait la nécessité d'un retour progressif au droit
commun, notamment s'agissant de la deuxième génération
pour laquelle seules sont prorogées les aides scolaires (et non les
dispositifs spécifiques d'aide au retour à l'emploi)1653(*).
Cet inventaire rapide, s'il rend compte de ce que fut - au
plan de l'ingénierie politique - l'évolution de la politique
"d'accueil" puis d'assistance spécifiquement mise en place à
l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants, ainsi que de son cadre
réglementaire, ne nous dit rien, cependant, des effets de sens ou
d'image redevables de sa mise en oeuvre, ce qui - compte tenu de la
problématique qui est la nôtre - est essentiel pour nous. Or, de
l'avis même des intéressés, la relation d'aide
institutionnelle, pour être nécessaire, est impropre en tant que
telle à satisfaire pleinement les demandes de reconnaissance des fils et
filles de harkis, et ce pour au moins trois raisons : (1) par sa nature
même, la relation d'aide institutionnelle est une relation
asymétrique, verticale, qui se délinée selon une optique
étroitement assistancielle : la qualité de
bénéficiaire ne signifie pas ou n'englobe que très
imparfaitement celle d'interlocuteur, et moins encore celle de co-producteur
des politiques concernées. La relation d'aide peut - pour cette raison
- servir de "politique-écran", être l'objet d'usages dilatoires de
la part des pouvoirs publics, habituellement enclins à répondre
aux requêtes mémorielles (et notamment aux demandes de
résipiscence) par des offres de gratification matérielle ;
(2) dans son exécution même, la relation d'aide institutionnelle
pâtit de carences relationnelles importantes : la manière
dont les agents de l'administration préfectorale en charge de ce dossier
formalisent les contacts avec les bénéficiaires est
habituellement exagérément tatillonne et suspicieuse, ce que
confirme pleinement l'observation participante conduite entre début mai
2000 et fin février 2001 au sein du service des rapatriés de la
préfecture de Paris en ma qualité d'agent de coordination
chargé de l'emploi (ACCE) ; (3) enfin, la mise en place puis la
pérennisation de dispositifs inspirés - avant l'heure - par le
principe de la "discrimination positive" (sans même parler de la
politique initiale de "mise sous tutelle", qui relève encore d'un autre
registre), en ce qu'elles n'ont été - au moins jusqu'à la
fin des années 1990 - qu'imparfaitement accompagnées d'un travail
de mise en perspective historique visant à souligner - aux yeux de
l'opinion - la singularité de la trajectoire et des difficultés
auxquelles avaient été confrontés les
intéressés (voir la Partie 2), ont pu engendrer, au fil du temps,
des effets "contre-productifs" en termes d'image, dont témoigne
particulièrement l'étiquette d' « éternels
assistés » accolée aux enfants de harkis : du
reste, la volonté affichée de longue date par les pouvoirs
publics d'un « retour au droit commun » a été
continûment contredite, au sein de ces mêmes instances, par des
intérêts d'ordre électoral qui, de législature en
législature, les ont amené à reconduire des plans d'action
spécifiques à l'adresse des anciens harkis et de leurs enfants
(même si - nous l'avons vu - la tendance est à la réduction
de l'ampleur de ces plans, tout au moins s'agissant des mesures d'assistance
matérielle)1654(*).
(1) Les carences d'ordre symbolique ou les limites
intrinsèques à la relation d'aide institutionnelle :
l'exemple des modalités de mise sur agenda, de traduction et de prise en
charge politiques des revendications des grévistes de la faim, à
Paris, en 1997-1998
Les politiques d'ordre assistanciel ont pour premier objectif
de "réparer" tant le préjudice matériel subi au moment de
l'exil (mesures d'indemnisation des parents) que les conséquences
sociales à moyen et long terme pour leurs enfants des conditions de
socialisation initiales (en particulier mais non exclusivement pour ceux qui
ont vécu ou vivent aujourd'hui encore dans des "isolats" : aides au
logement, à la mobilité professionnelle, à l'embauche,
à la formation, etc.). Pour autant, nombreux sont ceux, parmi les
enfants, qui exigent davantage ou autre chose que de simples mesures
compensatoires, à savoir : la mise à plat des
responsabilités françaises - politiques et militaires, directes
et indirectes - dans l'abandon et le massacre des harkis. Pour ceux-là,
la relation d'aide institutionnelle - quoique nécessaire - ne saurait
être assimilée à un acte de reconnaissance plein et entier,
en ce qu'elle s'inscrit dans une relation asymétrique et
aliénante, où les uns donnent sans se livrer, et où les
autres reçoivent sans avoir voix au chapitre : ses vertus sont
palliatives avant d'être curatives. Précisément, compte
tenu des silences embarrassés des relais institutionnels de la
mémoire, en France, sur la question des harkis (au moins jusqu'à
une date récente et l'instauration, en 2001, de la Journée
d'hommage national aux harkis1655(*)), il n'est que de constater l'insistance longtemps
mise par les autorités à "re-traduire" les demandes qui lui
étaient adressées dans une optique étroitement (et
délibérément) assistancielle, simplement redevable de
l'intervention de l'Etat-providence, plutôt que de faire écho
à leur dimension plus spécifiquement symbolique (ou
mémorielle), incomparablement plus délicate à satisfaire
car touchant directement à la "raison d'Etat".
Ainsi, bien loin de ressortir d'un « contre-don de
reconnaissance symbolique »1656(*), les modalités de mise sur agenda et de
"règlement" par les pouvoirs publics du problème posé par
les grèves de la faim successives entreprises par des fils de harkis
originaires du sud de la France sur l'esplanade des Invalides entre avril 1997
et avril 1998, sont symptomatiques de cette « pathologie du
non-savoir » d'une nation longtemps rétive, voire incapable
(Pierre Lepape écrit les lignes qui suivent en 1993) « de se
retourner sur la réalité de son passé, de mettre en
scène ses traumatismes et ses divisions, (...) de débrider et de
fouiller [ses] plaies les plus vives »1657(*). Territoire clos, comme
mis sous l'éteignoir par des barrages filtrants, le campement des fils
de harkis en grève de la faim sur l'esplanade des Invalides ressemble
étrangement à ces camps de transit devenus cités de
relégation permanente dans lesquels leurs parents furent confinés
à leur arrivée en France. C'est là, « tout
près des ministères, de Matignon ou de l'Assemblée
nationale », qu'ils entendent « rappeler son tort à
la République »1658(*). Au nom des pères dirions-nous :
« Nous sommes là pour crier : «Au
secours, on va mourir de votre indifférence et de votre
mépris». Nous voulons que la France rende leur dignité
à nos parents avant qu'ils ne soient plus de ce monde. Il y a deux
lignes dans les livres d'histoire ». Et d'ajouter :
« Jospin doit engager publiquement la parole de l'Etat devant le
peuple et reconnaître le génocide contre les harkis. La
République doit solder sa dette une bonne fois pour
toutes » 1659(*).
Que fut-il répondu à ces hommes qui se disaient
« prêts à donner leur vie pour défendre la cause
harkie »1660(*), et qui, au-delà des revendications
matérielles, entendaient signifier à la fois un besoin de
reconnaissance et, plus encore, une demande de résipiscence ?
Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité :
« Je regrette que ces jeunes qui sont désespérés
n'aient pas saisi la main que nous leur tendions pour leur apporter des
réponses personnelles afin de mettre un terme à cette
grève de la faim qui peut mettre en danger la vie de
certains »1661(*). Quelques jours plus tôt, déjà,
un communiqué du ministère de l'Emploi et de la Solidarité
annonçait que « la situation individuelle [des
grévistes de la faim] a fait l'objet localement d'un examen
attentif bienveillant »1662(*).
A cet égard, Emmanuelle Gilles rapporte que
déjà au cours des émeutes de l'été 1991,
dans différents sites à forte implantation communautaire du sud
de la France (dont la cité des Oliviers à Narbonne),
« les étapes de la négociation [avaient]
été escamotées par les rapports clientélistes,
eux-mêmes fondés sur des promesses de promotion
individuelle »1663(*).
Cette politique du bakchich vise à
dépolitiser les mots d'ordre et à en désamorcer la charge
polémique via l'octroi de gratifications matérielles au cas par
cas. Jouant de la situation pécuniaire souvent précaire des
intéressés (et qu'il avait lui-même, au moins jusqu'au
démantèlement des camps, contribué à
pérenniser), l'Etat a pendant des années mobilisé des
ressources importantes pour désolidariser les acteurs de la scène
contestataire, allant donc pour ce faire jusqu'à octroyer des
gratifications individuelles aux personnes mobilisées. Cette
manière de faire est non seulement caractéristique d'un
« système politique français qui [à
l'égard des minorités notamment] privilégie la cooptation
personnelle sur la promotion collective, et la résolution privée
des conflits sur la négociation publique »1664(*), elle est aussi, et
surtout, illustrative de l'intangibilité d'une imagerie d'Etat
rétive à toute forme d'examen de conscience relativement aux
grands conflits du 20ème siècle. Le ressort
symbolique, à la fois mémoriel et sociétal de l'action
entreprise (à savoir la mise en cause des frontières du "Nous" de
référence), est éludé par la désignation
ad nutum d'un « inspecteur général des
affaires sociales »1665(*), désignation dont la vocation dilatoire
était clairement de réduire la sollicitation critique du devoir
de mémoire collective à celle - plus prosaïque - d'un devoir
de solidarité nationale engageant les fonctions régaliennes de
l'Etat-providence et présentant les grévistes de la faim non
comme des porte-parole mais comme des
« désespérés » (Martine Aubry).
Accréditant par-là même « l'opinion qui fait
parfois des harkis d'éternels assistés »1666(*), et avalisant un
« système d'exclusion légal qui les a
marginalisés d'office »1667(*). L'expression polémique d'un mal-être
qui puise sa signification dans les arcanes de la mémoire collective, ou
plutôt dans son asphyxie, est ainsi banalisée,
euphémisée (i.e. dépolitisée). Des acteurs
sociaux sont transformés en cas sociaux ;
une « entreprise de résistance au mensonge
officiel »1668(*), ouvrant droit à l'ouverture d'un
débat public, est réduite à une demande
d'assistance redevable d'un marchandage au cas par cas :
« On nous a promis une table ronde le mardi suivant.
Mais le dimanche, des fonctionnaires sont venus proposer des emplois aux
grévistes, à condition qu'ils partent immédiatement. A
chaque fois, on nous envoie un sous-fifre qui nous offre des emplois au cas par
cas, alors que nous luttons pour une reconnaissance »1669(*).
Epilogue : de fait, le 7 octobre 1997, le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité diffusait un
communiqué annonçant que six des sept grévistes de la faim
avaient décidé, la veille, « de cesser leur mouvement
et de regagner leur domicile » après que « leurs
revendications personnelles [avaient] été
satisfaites, chacun [ayant] pu choisir un emploi proche de son
domicile », et que « des anomalies
personnelles touchant leurs familles, qu'ils
dénonçaient, seraient étudiées au cas par
cas »1670(*). Abdelkrim Klech, porte-parole du mouvement, en
désaccord avec ses camarades1671(*), plus jeunes que lui, décidait -
après avoir pourtant été hospitalisé d'urgence une
première fois - de poursuivre cette grève de la faim avec trois
autres personnes, originaires de la région parisienne, sur l'esplanade
des Invalides :
« Les six jeunes ont été
manipulés. Je ne peux pas les blâmer. Ils étaient
très faibles après 47 jours de jeûne, et quand vous
êtes faible, vous acceptez n'importe quoi ». Et il
ajoutait : « Chirac a été assez courageux pour
dire pardon aux Français de confession juive il y a deux ans. Personne
ne nous a dit pardon. Nous voulons que le Premier ministre [NDA : Lionel
Jospin] nous dise publiquement pardon »1672(*).
Même réaction indignée, à Bias
(Lot-et-Garonne), de Sherif Tamazount, président de l'Association des
enfants de l'oubli :
« Je suis écoeuré. Martine Aubry a
travaillé au corps les grévistes de la faim tout le week-end et
lundi elle a résolu leur cas. Au départ, ils étaient
contre, mais c'est logique qu'à la fin, fatigués par
quarante-cinq jours de grève, ils finissent par céder. C'est
indigne d'un ministre, alors qu'on devrait régler une bonne fois le
problème globalement »1673(*).
De son côté, le ministère de l'Emploi et
de la Solidarité, apprenant la poursuite de la grève, faisait
courir le bruit que les grévistes étaient
« manipulés par le Front national »1674(*). En janvier 1998,
pourtant, Abdelkrim Klech, diabétique, continuait seul la grève
de la faim sur l'Esplanade des Invalides, après deux nouvelles
hospitalisations. Et après que le ministère ait proposé un
emploi pour sa femme, au chômage. "Proposition" refusée :
« Je ne fais pas la grève de la faim pour
ça. On m'accuse d'être manipulé, mais je demande simplement
justice »1675(*).
(2) Les carences d'ordre relationnel :
l'exemple de la mise en oeuvre du plan d'action en faveur des anciens membres
des formations supplétives et de leurs familles au sein du service des
rapatriés de la Préfecture de Paris (mai 2000-fin
février 2001)
Dans un livre déjà évoqué, Zahia
Rahmani brosse un tableau sans concession de la relation d'aide
institutionnelle telle qu'elle est concrètement et routinièrement
mise en oeuvre :
« Pour eux [les anciens supplétifs et
membres de leurs familles], on a créé une administration, le
service des harkis au secrétariat d'Etat aux rapatriés. C'est le
bureau des Chiens. Il y en a un dans chaque département. Vous appelez et
on vous parle comme à un chien et vous faites réclamation, vous
réclamez qu'on vous parle autrement, et on vous répond comme au
chien que vous êtes et vous réclamez, vous dites, Mais je ne suis
pas ce que vous croyez ! Et lui, celui qui vous parle comme à un
chien, on lui a tellement dit ce que vous êtes qu'il ne peut pas croire
que vous voulez juste lui poser une question. Vous êtes un
réclamant ! On vous dit, Il y a une administration pour les
harkis.
Vous y allez. Il y a une administration pour vous, il faut y
aller. Il faut voir !
- Toc-toc. Heu ! Je voulais savoir si pour mes
études de...
- Non. Non. NON...
- J'ai entendu dire que...
- Non... Non, non et non... Renseignez-vous !
- Ben ! Justement on m'a dit que le gouvernement
propose...
- NON ! Vous venez fouiller les poubelles, ramasser ce
qui reste, gratter les fonds de caisse. Allez, couture pour les filles. Pour
les fils ? Bûcheron dans les Vosges. Pas plus, ça
suffit ! Dehors ! »1676(*).
Cette évocation, qui retraduit sur un mode fictionnel
une expérience vécue, est à bien des égards
conforme à ce que j'ai moi-même pu observer dix mois durant au
sein du service des rapatriés de la préfecture de Paris :
j'y ai exercé, dans le cadre de mon service national, les fonctions
d'agent de coordination chargé de l'emploi (A.C.C.E.). Ces
manières d'être et de faire sont certes plus ou moins
accentuées et fréquentes d'un fonctionnaire l'autre, ou d'une
préfecture l'autre. Il est certain cependant que, loin d'être le
fruit des seules contingences individuelles, ces manières de faire
participent d'un "climat", d'une "ambiance" professionnelle qui
préexistent et s'imposent, d'une certaine manière, aux agents
préfectoraux. Deux exemples et une explication à cela. Premier
exemple, ma "formation" accélérée (sur deux jours) aux
fonctions d'A.C.C.E., au tout début de ma période militaire. J'ai
gardé des notes de l'enseignement qui m'avait été
dispensé : force est de constater qu'on y insistait davantage sur
les traits de "réclamants" des fils et filles de harkis - qu'il nous
fallait apprendre à « apprivoiser » (c'est le terme
même qui avait été prononcé, non sans provoquer
quelque inquiétude chez certains de mes condisciples, qui se
formèrent aussitôt des intéressés une image a
priori négative, voire franchement "adversative") - que sur la
spécificité de leur trajectoire socio-historique (or, la plupart
des volontaires aux fonctions d'A.C.C.E. ne connaissaient rien à
l'histoire des anciens harkis et de leurs familles)1677(*). Deuxième exemple,
le plus frappant, mon entrée en fonction au sein du service des
rapatriés : une heure a suffi à mes futurs collègues
pour me faire comprendre combien ils étaient las d'occuper les fonctions
qui étaient les leurs, me dépeindre les
bénéficiaires comme des « chieurs » (c'est le
terme qui a été employé d'emblée), et me raconter
les altercations les plus violentes qui les avaient opposés aux dits
bénéficiaires (y compris une prise d'otage) ; a contrario,
il ne me faudra compter que sur moi-même pour me familiariser avec les
textes des circulaires d'application et apprendre à gérer,
à ma façon, la relation aux bénéficiaires, la seule
règle tangible qui m'ait été transmise étant celle
de "l'évitement" : abréger les conversations
téléphoniques, ne pas recevoir les personnes qui se
présentent sans rendez-vous (même si l'on est disponible) et
espacer au maximum les entrevues afin de ne pas donner à croire que l'on
peut être aisément sollicité (voir ci-dessous).
L'explication à de tels comportements réside
fondamentalement, me semble-t-il, dans ce que les fonctionnaires
attachés aux antennes préfectorales de
l'ex-Délégation aux Rapatriés (aujourd'hui Mission
interministérielle aux Rapatriés) n'avaient reçu aucune
formation spécifique ni fait oeuvre d'acte de volontariat pour exercer
les attributions qui étaient les leurs. Car si le support offert aux
anciens membres des formations supplétives et à leurs enfants est
spécifique (tant en termes de mesures que de mise à disposition
de moyens1678(*)), les
méthodes d'exécution, elles, sont
génériques1679(*). J'ai pu mesurer les conséquences d'un tel
détachement au sein du service des rapatriés de la
Préfecture de Paris. D'abord, et à une exception près, la
connaissance de la trajectoire singulière des anciens harkis et de leurs
familles était nulle ou quasi-nulle parmi les quatre (puis trois)
fonctionnaires en place. J'ai ainsi été témoin de ce
qu'une personne attachée au Service des Rapatriés depuis
plusieurs années se soit trouvée incapable d'expliquer à
un interlocuteur - qui la questionnait au téléphone à ce
sujet - ce qui différenciait historiquement la trajectoire des anciens
supplétifs de celle des travailleurs migrants1680(*). Et si la connaissance des
textes et circulaires d'application ne pouvait être mise en doute (au
moins pour ce qui concerne la préfecture de Paris1681(*)), l'écoute, la
compréhension, et plus encore l'empathie, étaient
généralement étrangères à l'univers mental
des personnels en charge de mettre en oeuvre le plan d'action. C'est la
méfiance qui primait : les anciens harkis, mais surtout leurs
enfants, étaient perçus avant tout comme des "quémandeurs"
et des "querelleurs" qu'il convenait de "recadrer" dans des limites aussi
étroites que possible. S'y mêlaient occasionnellement des
considérations sur la mentalité supposément "retorse" des
populations originaires du Maghreb (j'ai d'ailleurs moi-même
été l'objet d'une mise en condition édifiante à ce
propos le jour de mon entrée en fonction). Méfiance, mais aussi
défiance : suite à divers incidents survenus au fil des
années dans le service (allant de l'agression verbale à la
séquestration), les rendez-vous étaient pris uniquement par
téléphone, et toute personne se présentant directement
à l'accueil de la préfecture était éconduite et
priée de suivre la procédure "normale". Il existait même
une "liste noire" de personnes à ne recevoir sous aucun prétexte,
avec pour seule justification le bon - ou, plutôt, le mauvais - vouloir
des personnels chargés de les accueillir. Que tel individu fût
considéré comme un « emmerdeur notoire »
suffisait, de fait sinon de droit, à lui ôter la capacité
de se présenter dans les bureaux : il m'a ainsi été
reproché d'avoir reçu dans l'exercice de mes fonctions des
individus qui avaient été décrété
persona non grata par mes collègues. Quoiqu'il en fût, et
de manière plus générale, les personnes reçues
l'étaient en tant qu'administrés, sans égard aucun pour
leur qualité d'ancien harki, de veuve de harki, ou de fils ou fille de
harki. Cette absence d'égard ou de considération, qui se muait
parfois en sourde hostilité à l'encontre de certains
représentants de la deuxième génération, appelait
tout naturellement excès de zèle et arbitraire. La gestion des
dossiers "à la tête du client" était, au moment de mon
affectation, pratique courante dans le service : qu'un fils ou une fille
de harki s'avise de faire valoir ses droits avec quelque virulence ou
insuffisamment d'obséquiosité, et son dossier était
aussitôt ostensiblement retiré du haut de la pile des dossiers en
souffrance pour être remisé à sa base, sans égard
pour sa date de dépôt (j'ai vu faire cela à plusieurs
reprises)1682(*).
D'ailleurs, et c'était là un trait communément
partagé dans le service, les personnels se comportaient en
propriétaires des crédits alloués aux
bénéficiaires. Il n'était ainsi pas rare d'entendre les
agents préfectoraux s'exprimer comme suit : « Je
vous ai déjà donné telle somme, Je ne vous
donnerai rien d'autre, etc. ». Les zones d'incertitude liées
à l'interprétation des textes - à certains égards
inapplicables "en l'état" car trop lacunaires, y compris les circulaires
d'application - étaient toujours tranchées de manière
restrictive, comme s'il était préférable de puiser le
moins possible dans les crédits plutôt que de répondre
à des situations d'urgence. Du reste, le traitement des demandes
était la plupart du temps contenu dans les strictes limites de la
mission impartie aux fonctionnaires, sans autre forme d'échange ou
d'initiative : l'investissement personnel ne dépassait jamais les
bornes de ce qui est statutairement requis, et suffisait à peine
à s'y conformer. Les retards non justifiés faisaient l'ordinaire
des journées de travail. Les départs anticipés
étaient plus que fréquents. La disponibilité strictement
contingentée : répondre au téléphone en dehors
des heures ouvrées (9h00-12h15 / 14h00-17h15 en théorie, mais
9h00-12h00 / 14h00-17h00 en pratique) était une gageure, quand bien
même l'agent concerné serait toujours présent dans son
bureau. Plus encore, lorsque les personnels étaient affairés
à des discussions extraprofessionnelles dans le bureau de l'un(e) ou de
l'autre, ou qu'ils s'engageaient dans le couloir en partance vers la
photocopieuse, il n'était pas même pensable qu'ils interrompent
leur conversation ou qu'ils rebroussent chemin pour répondre. Cette fin
de non-recevoir était d'ailleurs généralement
ponctuée d'un : « J'suis pas là ! »
qui signifiait bien davantage que le simple éloignement physique. Plus
généralement, les sonneries étaient fréquemment
marquées d'un : « Ils ne nous lâcheront donc
jamais ! » témoignant d'une même absence de
considération. Mais le plus délétère au plan
relationnel, à l'instar de ce que souligne Zahia Rahmani dans l'extrait
précité, résidait dans la manière de
répondre au téléphone. Dans le ton employé,
d'abord. Immanquablement froid au premier abord, immanquablement
colérique en cas d'insistance ou de "résistance" de
l'interlocuteur1683(*). Il y avait aussi cette propension, qui avait
(tacitement) valeur de règle d'or, à ne jamais aller au-devant
des desiderata des bénéficiaires potentiels, de
décourager leurs attentes, de les maintenir aussi longtemps que possible
dans l'incertitude : les bénéficiaires se voyaient ainsi
fréquemment reprocher - et cela est également souligné par
Zahia Rahmani - de ne pas formuler des demandes suffisamment précises,
lors même, d'une part, que les textes eux-mêmes se
caractériseraient par leur opacité, et que, d'autre part, les
fonctionnaires affectés au service des rapatriés auraient
précisément pour mission première de répondre aux
demandes de clarification à ce sujet. En outre, la diffusion du texte de
la circulaire d'application auprès des bénéficiaires
potentiels était volontairement contingentée sous prétexte
du temps mobilisé pour effectuer les photocopies (et lors même
qu'il existerait un service de reprographie au sein de la préfecture).
Enfin, le fait même que les attributions d'agent de coordination
chargé de l'emploi (A.C.C.E.) étaient confiées à un
appelé du contingent pouvait poser problème, et ce à
double titre. D'abord parce que cela induisait mécaniquement une
instabilité dans la mission d'accompagnement vers l'emploi ou la
formation professionnelle des fils ou filles de harkis en situation
d'exclusion, les A.C.C.E. se succédant tous les dix mois. En outre, la
mission de l'A.C.C.E. étant considérée comme une
sinécure au regard des autres options qui s'offraient aux appelés
du contingent, et la charge de sa succession étant confiée
à l'A.C.C.E. lui-même, le mode privilégié de
recrutement était la cooptation. Sauf exception, donc, les A.C.C.E. en
place ne l'étaient pas en raison de leur expertise en matière
d'insertion professionnelle et/ou de leur expertise quant à la situation
d'ensemble des anciens harkis et de leurs enfants, mais en raison de leur
proximité relationnelle avec leur prédécesseur. J'ai ainsi
fait figure d'exception en adressant CV et lettre de motivation au service des
rapatriés de la Préfecture de Paris. Mais surtout en faisant
montre d'un investissement personnel et d'une empathie qui, aux dires
mêmes des bénéficiaires (mais au grand dam de mes
collègues, dont je bousculais les habitudes), tranchaient avec les
situations connues jusqu'alors.
Ahmed et Mohamed (35 ans),
qui bénéficient de l'aide d'un A.C.C.E. en poste à la
sous-préfecture de Largentière, ne sont pas dupes des limites
intrinsèques et du caractère somme toute "décoratif" des
moyens en personnel mis à leur disposition :
« L'organisation, elle est simple : tu as une
pièce, t'as un bureau ; par rapport à d'autres
départements, il paraît que c'est quand même le top, hein,
parce qu'on peut y aller quand on veut, tout ça ; le seul truc,
c'est que c'est un appelé du contingent ; ça change tous les
dix mois ; le temps qu'il arrive, qu'il prenne ses marques, il faut 2
mois ; le temps qu'il commence à prendre des contacts pour
être opérationnel, j'dirais il en faut 3 ; le temps qu'il
commence à traiter quelques dossiers, on est déjà le
sixième mois, et après il faut qu'il prépare... parce que
lui il part 2 mois après, faut qu'il prépare son avenir à
lui. Donc, y'a pas de suivi. C'est clair. Ça fait dix ans que ça
dure, donc tu vois tout de suite qu'ils veulent pas qu'il y ait un réel
suivi. J'ai rien contre les militaires. Mais c'est pas quelqu'un qui serait
venu faire un temps ici ; il est venu parce qu'il est forcé,
voilà. Et c'est comme ça dans toute la France »
(Ahmed).
« On vous envoie des aides-éducateurs, et
puis des gens qui s'occupent de vous, pour faire tampon, à la
sous-préfecture. Ah !, il s'occupe, ah !, il est gentil le
gars, hein. Adorable. Etudiant, super sympathique. Mais il est comme moi. Il a
pas plus de pouvoirs que moi j'en ai. Mais il est là, ça donne
l'impression qu'il s'occupe. Tu vois, c'est la petite marionnette qui est mise
entre... le pouvoir et... le peuple. Et là, il est gentil, il est super
sympathique, on s'entend super bien. C'est un gars formidable. Mais lui, tout
seul, qu'est-ce qu'il peut faire ? » (Mohamed, 35
ans).
(3) Le caractère potentiellement
stigmatisant des dispositifs de discrimination positive ou la
nécessité d'un retour au droit commun ?
Enfin, la relation d'aide institutionnelle, en ce qu'elle a
longtemps procédé - et continue de l'être, dans une moindre
mesure - de la perpétuation de dispositifs d'assistance
spécifiques plutôt que d'une politique volontariste de retour au
droit commun (et dont les tenants sont obscurcis, aux yeux de l'opinion, par
les silences des relais institutionnels de la mémoire quant à la
destinée singulière des anciens harkis et de leurs familles), a
pu contribuer à nourrir une image dépréciative des
intéressés. Cette politique de "discrimination positive" avant
l'heure a, de fait, généré l'image
d' « éternels assistés » qui colle
à la peau des Français musulmans rapatriés et de leurs
enfants :
« J'veux dire les gens en France
ils peuvent pas comprendre. On leur parle des harkis ? «Oui, on leur
donne des sous, mais pourquoi ?»... Tout est toujours ramené
à une question de sous, j'veux dire... y'a pas d'explication, rien... de
temps en temps on leur donne 10.000 francs, si ils ont envie d'installer le
chauffage chez eux, et tout, mais y'a pas d'explication. Par contre, on en fait
une pub monstre, comme ça le simple citoyen français, il va
dire : «Y'en a marre ! C'est toujours les harkis qu'on aide,
nous on crève la dalle, pourquoi ?» »
(Ahmed).
En outre, ces mises à disposition de moyens
spécifiques peuvent susciter ou se heurter à une opposition de
principe des personnels en charge d'accomplir des missions de service public.
Halima Belhandouz et Claude Carpentier, dans une étude qu'ils consacrent
au "décrochage" scolaire des enfants de harkis dans le quartier nord
d'Amiens, rapportent ainsi que l'affectation dans les écoles
d'aides-éducateurs issus du contingent au seul bénéfice
des enfants et petits-enfants de harkis avait suscité l'hostilité
du corps enseignant :
« Entre 1994 et 1997, l'administration, soucieuse de
mettre à la disposition des établissements de jeunes conscrits
afin d'assurer le soutien scolaire des jeunes «français
musulmans», demanda de procéder au recensement systématique
de ces derniers. Hostiles à ce projet de discrimination positive en
faveur des seuls enfants de harkis, les responsables pédagogiques
affectèrent les conscrits au soutien scolaire de tous ceux qui devaient
en faire l'objet. Pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de juger, la
spécificité "harkie" se trouvait ainsi récusée par
les pédagogues »1684(*).
De la même manière, alors que j'étais en
charge - dans le cadre de mes fonctions d'A.C.C.E. - d'assurer deux fois par
semaine une permanence dans une agence parisienne de l'A.N.P.E. (Agence
Nationale Pour l'Emploi) au bénéfice des fils et filles de harkis
dont j'avais à traiter les dossiers à la préfecture,
certains membres du personnel de l'agence me firent part de leur
étonnement et même de leur opposition de principe à de
telles mises à disposition de moyens.
Enfin, les effets d'image liés à cette politique
de "discrimination positive" peuvent être douloureusement ressentis au
sein même de la communauté harkie, où certains ne cachent
pas que - de fait - la pérennisation de certaines mesures d'assistance a
pu induire chez les plus jeunes « comme une fatalité, comme un
ancrage culturel [au sens où] ils ont tout le temps besoin d'un
tiers ». Jean-Claude, secrétaire de
l'association des harkis et de leurs enfants à
Largentière :
« Moi, je suis vraiment pas pour
qu'on apporte tout cuit, parce que de toute façon, je pense que c'est
pas rendre service aux gens. (...) Si tu veux, moi, quand je dis ne pas
apporter tout cuit, c'est-à-dire, on peut pas dire : «Ben,
tiens, monsieur, puisque vous êtes fils de harki, on vous donne le poste
de secrétaire en chef de la sous-préfecture». Non !
Ça a trop existé, et on voit ce que ça a fait, ça
n'a fait que... desservir plutôt que servir. Non, pour ça, je suis
pas d'accord. Donc, on doit pouvoir, par contre, prendre notre avenir en main,
et ne plus penser assistanat. Ça c'est le grand problème qu'on a
eu, c'est qu'on a hérité, quelque part, d'une... d'une forme
d'assistanat, et c'est devenu presque culturel.
- Qu'est-ce que tu veux dire par
là ?
Eh ! bien, vu le cheminement, quand ils regardent
derrière, ils voient ce qu'ont eu leurs parents, eux ils voient rien
devant eux, ils ont peur, donc ils essaient de se rattacher à quelque
chose de solide, et encore un peu, entre guillemets, à la "mère
patrie". Et ils veulent tous être fonctionnaires, mais en n'ayant pas les
capacités. Bon c'est vrai que pendant leurs années... nos
parents, tu devenais cantonnier, tu devenais même gardien de la paix, il
suffisait...si tu savais écrire ton nom et ton prénom. En 1962 ou
1965, je sais plus quand ils ont fait entrer les harkis dans la police,
c'était ça. Il suffisait de savoir écrire son nom. Les...
les critères de... d'accession à ces postes... bon, c'est plus du
tout ça, hein, vu la conjoncture et le chômage qu'il y a. Mais,
quelque part, au niveau symbolique, je pense qu'il y a ce côté
euh... maternel, quoi, de la "mère patrie" qui protège et
subvient à tous les besoins... c'est symbolique, mais c'est cet
assistanat qu'ils ont eu culturellement. Et donc, maintenant, quand je parle
avec les jeunes, trop peu à mon goût ont ce sens de l'importance
des études, qui ont besoin... qui envisagent des... des études en
fac, ou machin. (...) Je me rappelle, dans les réunions, on me
disait : «Mais ils ont pas la formation et ils ont pas les
diplômes». Donc, ils me renvoyaient en pleine figure :
«Ils sont pas formés pour ça». A ce moment là,
que voulais-tu que je leur réponde ? C'est une
réalité. Mais je pouvais pas leur dire : «Ben, ils
l'ont pas, mais prenez les». Moi, je suis fondamentalement contre, comme
je te disais d'abord, et j'aurais pas accepté qu'on laisse quelqu'un qui
sait à peine lire son nom, secrétaire... à tel et tel
endroit, par exemple. C'est pas possible. Et c'est les mettre en
difficulté. Et ça, je crois que c'est le plus grand danger qu'on
ait, c'est justement d'assister les gens, de les habituer à cet...
à cet assistanat, parce qu'on peut plus les autonomiser ».
Ainsi, la relation d'aide institutionnelle, dans son volet
strictement assistanciel, est non seulement insuffisante mais potentiellement
"contre-productive", à certains égards, dans l'optique d'offrir
aux anciens harkis et leurs enfants une reconnaissance pleine et entière
dans la société d'accueil. C'est d'ailleurs une toute autre
définition, ou une définition élargie de la reconnaissance
en actes qu'investissent, en leur nom propre et au nom des pères, les
filles et fils de harkis :
« (...) Bah, il ne suffit pas de dédommager
des harkis et de leur dire : «Voilà... prenez, et
puis...», non, c'est pas en ces termes qu'on entend une attention
particulière, hein ; c'est reconnaître au quotidien sa place
dans la société française ; c'est ça qui est
important. Une volonté de savoir que cette communauté n'a
finalement sa place nulle part et que si elle a une place, c'est bien en France
qu'elle doit l'avoir » (Hassina) ;
« (...) Je te dis franchement, un harki, il ira pas, il ira jamais
pleurer. Pourquoi il ira jamais pleurer ? Parce qu'il a sa dignité,
il préfère mieux vivre dans sa misère qu'aller demander
quelque chose. Lui, ce qu'il cherche, c'est que le gouvernement, la nation,
l'Etat français le reconnaisse, le reconnaisse en tant que... patriote.
Parce que le harki sait ce que c'est le patriotisme (...). On peut pas... on
peut pas acheter un être humain, on peut pas l'acheter avec l'argent,
c'est impossible, c'est impossible, on peut pas, on ne s'achète
pas » (Karim)
Qu'en est-il, à cet égard, du volet
symbolique/"immatériel" des politiques de la reconnaissance mises en
place par les pouvoirs publics à destination de la communauté
harkie ? Les pouvoirs publics qui, jusqu'à une date récente,
avaient considéré et traité ce dossier dans une optique
assistancielle étroitement délinéée par l'agenda du
ministère des Affaires sociales et de l'Emploi, prêtent depuis
quelques années une attention beaucoup plus soutenue aux questions
d'ordre mémoriel et cérémoniel. Cette évolution,
à bien des égards conforme aux revendications exprimées
par les intéressés, doit pour partie, nous l'avons dit, à
l'instauration en 2003 du Haut Conseil des Rapatriés, qui a fait des
questions de mémoire l'un de ses champs d'intervention prioritaires,
comme en témoigne - y compris pour prêter le flanc à la
polémique - la loi du 23 février 2005, très largement
inspirée des réflexions menées au sein de cet organe.
Cette volonté plus nettement affirmée - et institutionnellement
consacrée - de prêter écoute aux revendications des acteurs
associatifs réunis au sein du Haut Conseil des Rapatriés
(notamment dans leur volet mémoriel/symbolique), avait été
précédé en 2001, à l'initiative du président
de la République (quoiqu'en grande partie sous la pression des
événements, un an après la visite d'Etat
controversée d'Abdelaziz Bouteflika et un an avant les élections
présidentielles de 2002), par l'instauration d'une Journée
d'hommage national aux harkis. Cette initiative - inédite par son
ampleur, et bientôt pérennisée - était-elle
à même d'apporter une réponse définitive à la
quête de reconnaissance des enfants et, surtout, à la lutte pour
la réhabilitation de la figure du père ? Rien n'est moins
sûr, nous le verrons, puisque cette cérémonie, pour
être nationale, n'en reste pas moins très traditionnelle dans ses
attendus comme dans sa scénographie : grande et solennelle
cérémonie patriotique ponctuée par des distributions de
médailles, la Journée d'hommage national aux harkis, en
célébrant le harki « soldat de la France » au
détriment du harki « victime de la raison d'Etat »,
ne joue-t-elle pas, d'une certaine manière, la réminiscence
contre la résipiscence ?
- 2. Le cérémoniel consensuel
Par-delà la relation d'aide institutionnelle, relation
asymétrique, verticale, qui vise à "compenser" ou à
"traiter" au cas par cas certains "dommages collatéraux"
(matériels) liés à la trajectoire singulière de
leurs parents, les enfants de harkis entendent être reconnus par et dans
une filiation qui, à leurs yeux, est aussi une "épopée du
sens", et qui non seulement leur parle (et constitue l'ensemble de ces
familles en "communauté de destin") mais parle à l'ensemble de la
Nation ; et c'est précisément cela qu'ils
souhaitent voir reconnu, et c'est à cette aune qu'ils souhaitent
être considérés : non pas seulement comme des "cas
sociaux" passibles de mesures d'assistance (même et, d'une certaine
manière, surtout si elles sont dérogatoires au droit commun, pour
les raisons précédemment exposées), mais comme les
héritiers d'une destinée qui les pose en acteurs
privilégiés du roman national et dont ils entendent - et
attendent - qu'elle soit réexaminée sans détour par la
collectivité nationale :
« Moi, ce que je veux, mon père est
décédé aujourd'hui, je veux une reconnaissance, mais une
reconnaissance qui s'appelle reconnaissance. OK ! On nous a fait un
monument rue... du Chapeau rouge, ou je ne sais plus quoi, mais ça ne
suffit pas, ça suffit pas. (...) Je veux qu'il y ait un
rétablissement, quelque part. Bon, maintenant il est mort, mais
même... qu'il ait les honneurs... les honneurs qui lui sont dus. Moi,
c'est ça. L'argent, l'argent, on s'en fout de l'argent. (...) Parce que
aux harkis, on leur a pas donné les lauriers de la gloire, mais on leur
a donné les lauriers du déshonneur sur leur propre terre, ici, en
France, c'est leur terre de toute façon, ça il faudra que les
Français se le mette dans la tête, parce qu'on sera là sur
des générations et des générations »
(Régika).
Le 6 février 2001, la présidence de la
République annonçait, à l'issue de la réunion
du Haut conseil de la mémoire combattante, qu'une
« Journée d'hommage national aux harkis » allait
être célébrée dans le courant de cette même
année 2001 - la cérémonie sera finalement fixée au
25 septembre - dans la Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides, sous le
haut patronage du chef de l'Etat Jacques Chirac (et du Premier ministre
socialiste d'alors, Lionel Jospin), mais encore dans chaque département
de France sous l'égide des préfets, ainsi que dans vingt-six
"lieux de mémoire" de la communauté harkie (tel le camp de Bias,
dans le Lot-et-Garonne) : pour la première fois depuis l'accession
à l'indépendance de l'Algérie et la survenue des
événements dramatiques de l'été et de l'automne
1962, pas moins de 39 ans après, un hommage d'envergure nationale,
impliquant les plus hautes personnalités de l'Etat, allait être
officiellement rendu aux anciens supplétifs de l'armée
française. Fait sans précédent également, cette
Journée d'hommage national aux harkis allait bénéficier -
la première année, du moins - d'une large couverture
médiatique.
(1) Mais pourquoi ce geste - formellement
spectaculaire - lors même que trente-neuf années durant la geste
officielle française de la guerre d'Algérie aurait recouvert d'un
voile "pudique", sinon embarrassé, la destinée des anciens harkis
et de leurs familles ? (2) Et par-delà le relief
inhabituel donné à cet événement, qu'en est-il du
fond du message délivré ? Cette Journée d'hommage
national tranche-t-elle véritablement par son contenu - et l'image
véhiculée des anciens harkis - avec les habituelles
cérémonies patriotiques (et autres cérémonies du
souvenir) qui leur étaient jusqu'alors consacrées ?
(3) Du reste, qu'en est-il des attentes suscitées ? Le
contenu de cet hommage est-il congruent avec les aspirations à la
reconnaissance exprimées par les intéressés ou ceux qui
s'en font les porte-voix ?
L'explication de la mise en place de cette Journée
d'hommage national réside d'abord dans l'émotion suscitée
par les propos du président algérien Abdelaziz Bouteflika
à l'occasion de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, et dans la
volonté - initialement timide - d'en amortir l'onde de choc.
Invité à s'exprimer en direct dans le journal de France 2,
Abdelaziz Bouteflika, avait alors assimilé les harkis à des
« collabos ». Jouant sur un ressort émotionnel pour
le moins sensible en France (marquée par le souvenir de la
collaboration, ce « passé qui ne passe pas »), le
président algérien avait jugé les anciens harkis indignes
de fouler à nouveau le sol algérien ou, pour reprendre son
expression exacte, indignes de « toucher la main » des
Algériens (voir l'introduction de cette thèse).
Mais plus encore que cette sortie - violente mais somme toute
classique dans le contexte politique algérien - c'est la timidité
de la réaction des autorités françaises qui, sur le
moment, avait choqué les représentants de la communauté
harkie. Car, précisément, c'est en France et non en
Algérie que le président algérien s'était ainsi
exprimé. À Patrick Poivre d'Arvor, qui, à l'occasion de la
traditionnelle garden-party de l'Elysée, le 14 juillet 2000, lui demanda
ce qu'il pensait du parallèle entre harkis et collaborationnistes
établi publiquement par Abdelaziz Bouteflika au cours de sa
récente visite d'État en France, Jacques Chirac tint le langage
convenu et dilatoire du responsable politique mis dans l'embarras. S'il se
déclara choqué par les déclarations du chef de
l'État algérien, il n'expliqua pas pourquoi ce parallèle
était infamant tant pour les intéressés eux-mêmes
que pour l'Etat Français en tant que tel. Il ne revint d'ailleurs pas
davantage sur la question de la responsabilité de l'État
français dans l'abandon à un sort prévisible de la majeure
partie de ceux qui avaient pris une part active à l'administration
(notables, fonctionnaires) et à la défense (supplétifs) de
l'Algérie coloniale (voir la Partie 1). Navigant à vue, le chef
de l'État se contenta de rappeler que les anciens harkis et leurs
enfants étaient des Français à part entière,
bénéficiant des mêmes droits et astreints aux mêmes
devoirs que tous leurs concitoyens.
Encore cet exercice dilatoire apparaît-il presque
audacieux par contraste avec la déclaration du porte-parole adjoint du
Quai d'Orsay du 20 juin 2000, déclaration à bien des
égards illustrative de ce que l'expression "langue de bois
(diplomatique)" veut dire, et qui vaut d'être reproduite dans son
entier :
« Journalistes -
Quelle réflexion vous inspire la déclaration de Monsieur
Bouteflika sur les harkis ?
Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay -
D'une manière générale aujourd'hui, ce que nous
retenons de ce voyage, c'est que la France et l'Algérie s'emploient
à refonder leur relation bilatérale. Nous traçons de
nouvelles perspectives, nous nous tournons vers l'avenir et nous cherchons
aussi également, par un travail sur la mémoire, à essayer
de parvenir à une lecture dépassionnée de notre histoire
commune. Nous avons relevé le message d'ouverture du président
Bouteflika en direction des Français originaires d'Algérie,
où il a reconnu les liens qu'ils constituent entre les deux pays. Nous
espérons que l'exigence qu'il a ainsi ouverte pour l'ensemble de la
communauté nationale française pourra avec le temps être
réalisée.
Journalistes - Vous n'êtes pas
scandalisé par les propos de Monsieur Bouteflika ?
Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay -
Cela montre que nous avons effectivement, comme l'ont dit les deux
chefs d'Etat, à faire un travail de mémoire et qu'il doit
parvenir à une lecture dépassionnée de notre histoire
commune. Ce travail de mémoire a progressé mais il n'est pas
encore achevé, naturellement.
Journalistes - Ces propos sont honteux. Le
gouvernement français ne va-t-il pas protester, faire quelque
chose ?
Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay -
Nous retenons que nous avons fait de véritables progrès.
Nous avons franchi une étape importante, pour refonder la relation
bilatérale et aussi dans ce travail sur la mémoire qui est
essentiel. Encore une fois, nous avons relevé le message d'ouverture du
président Bouteflika en direction des Français originaires
d'Algérie.
Journalistes - C'est pour les pieds-noirs
simplement, car pour les Français musulmans et les harkis il n'y a pas
de message d'ouverture mais un message de fermeture ?
Porte-parole adjoint du Quai d'Orsay -
La communauté nationale française est une et
indivisible »1685(*).
Cette démission plus que manifeste des pouvoirs publics
suscita aussitôt la colère des anciens harkis et de leurs enfants,
qui multiplièrent les manifestations de protestation dans les semaines
qui suivirent, partout en France. Aussi la décision d'instaurer une
Journée d'hommage national aux harkis, prise en tout début
d'année suivante, a-t-elle été explicitement conçue
par le chef de l'Etat comme une "réponse" différée
à la sortie du président Bouteflika, et comme un geste
d'apaisement ou, plutôt, un geste de "rattrapage" à l'adresse de
la communauté harkie. C'est du moins ainsi que peut être
interprétée la déclaration de l'intéressé
à l'issue de la réunion du Haut conseil de la mémoire
combattante, le 6 février 2001, au cours de laquelle fut
décidée la mise en place de cette Journée d'hommage
national :
« Les Français rapatriés, en
particulier les anciens des forces supplétives, ont été
très affectés en l'an 2000 par diverses déclarations ou
témoignages qui les renvoient à leur douloureux passé
ainsi qu'à leur sentiment d'abandon. La France doit accomplir à
leur égard un geste symbolique très fort et spécifique
afin de leur témoigner sa reconnaissance et de leur montrer qu'ils sont
partie intégrante de la communauté nationale, eux et leurs
enfants »1686(*).
C'est encore de cette manière que peut être
interprétée la déclaration faite par le chef de
l'État à l'occasion même de la Journée d'hommage
national aux harkis, le 25 septembre 2001, au cours de la réception
offerte à l'Élysée aux présidents d'associations et
aux décorés du jour :
« C'est pour la France une question de
dignité et de fidélité. La République ne laissera
pas l'injure raviver les douleurs du passé. Puisse ce 25 septembre
témoigner de la gratitude indéfectible de la France envers ses
enfants meurtris par l'histoire ! (...) Engagé comme vous dans le
conflit algérien, je sais l'aide que vous avez apportée à
la France. Je comprends le sentiment d'abandon et d'injustice que vous avez pu
éprouver. Et je partage votre amertume devant certaines attitudes et
certains propos. Sachez que je les condamne fermement »1687(*).
Très clairement, l'objectif de la présidence de
la République était - à la veille des élections
présidentielles de 2002 - de "créer l'événement"
autour de la communauté harkie afin de compenser et d'apaiser la
colère suscitée, l'année précédente, par la
non-réaction du chef de l'Etat aux propos du président
algérien Abdelaziz Bouteflika. Mais quelles furent, au sein de la
communauté harkie, les attentes suscitées par l'annonce de
l'instauration de cette Journée ? La volonté affichée
par la présidence de « témoigner sa reconnaissance et
de montrer [aux anciens harkis] qu'ils sont partie intégrante de la
communauté nationale, eux et leurs enfants » était-elle
à la hauteur des aspirations exprimées par les membres de cette
communauté et ceux qui s'en font les porte-voix ?
Le secrétaire général du collectif
national « Justice pour les harkis »1688(*), Mohamed
Haddouche1689(*),
estimait - peu avant la cérémonie proprement dite - que la
Journée d'hommage national était la bienvenue
« à la condition expresse qu'il y ait une reconnaissance de
l'abandon, du désarmement et du massacre de harkis, commis avec la
complicité de la France », ajoutant : « Si
l'hommage ne contribue pas à établir la vérité,
à faire reconnaître les fautes commises par l'Etat
français, alors ce sera un coup d'épée dans
l'eau »1690(*).
Cependant, lors même que les associations de harkis et
leurs soutiens auraient attendu de cette Journée (sans trop y croire
tout de même) qu'elle marque la reconnaissance officielle par Jacques
Chirac de la co-responsabilité des autorités françaises
d'alors dans le massacre des harkis1691(*), celle-ci n'a affirmé son caractère
exceptionnel qu'au regard du nombre de plaques inaugurées et de
médailles distribuées, beaucoup plus important qu'à
l'habitude. Initialement conçue pour être unique, cette
Journée d'hommage - qui donna lieu à diverses manifestations sur
l'ensemble du territoire national, dont la plus solennelle fut organisée
dans la cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides en présence d'un
exécutif bicéphale : Jacques Chirac et Lionel Jospin
(cohabitation et futures élections présidentielles obligent) -
fut donc, en plus d'être une cérémonie consensuelle, une
cérémonie somme toute conventionnelle. Certes, dans son discours,
et avec l'autorité et la solennité que confère l'habit
présidentiel à ce genre de déclaration, le
président de la République évoqua publiquement les
répercussions dramatiques du cessez-le-feu, ainsi que les effets
à moyen et long terme des conditions d'accueil réservées
aux rescapés, mais sans que nul schème ou ordre de
responsabilité ne fût clairement défini, ni - a
fortiori - que nulle personne ou entité ne fût
expressément mise en cause.
Un schéma déjà éprouvé donc
(distribution de médailles et inauguration de plaques), mais
habillé de plus beaux atours qu'à l'ordinaire : par la
mobilisation des plus hautes personnalités de l'Etat, le choix de
l'enceinte (pour la cérémonie principale) et l'écho
médiatique donné à cette manifestation. Cependant, quant
au fond du message délivré, il n'est que de constater le
caractère peu "transgressif" de la démarche. Cette absence de
volonté de rupture par rapport à une geste officielle
continûment éthérée pour ce qui a trait à la
phase finale de la guerre d'Algérie en général, aux
attendus et aux conséquences de la politique de dégagement
entreprises par le général de Gaulle en particulier, est
illustrée par le choix et le contenu du texte apposé sur la
plaque inaugurée à cette occasion par le président de la
République. Loin d'être une création originale, le texte
apposé sur la plaque a été emprunté à
l'article 1er de la loi du 11 juin 1994 relative aux
rapatriés anciens membres des formations supplétives et
assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, dite loi
Romani, votée à l'unanimité par l'Assemblée
nationale. Le contenu en est pour le moins atone : « La
République française témoigne sa reconnaissance envers les
rapatriés anciens membres des formations supplétives et
assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les
sacrifices qu'ils ont consentis ».
L'image véhiculée des anciens harkis par le
discours du président de la République dans la Cour d'honneur de
l'Hôtel des Invalides - des « combattants fiers et
courageux » qui ont mérité la reconnaissance de la
Patrie « par leur fidélité et leurs
sacrifices » - conforta, pour l'essentiel, l'image des anciens harkis
traditionnellement véhiculée par les pouvoirs publics, à
savoir : l'image "folklorisée", volontairement
"dédramatisée", du « fidèle patriote »
naturellement épris des valeurs de la République. Cette image
d'Epinal, pour caricaturale et réductrice qu'elle soit au regard de la
complexité de la - ou, plutôt, des trajectoires des
intéressés, a ceci de commode qu'elle "lisse" les
aspérités desdites trajectoires, et en évacue les aspects
potentiellement polémiques (notamment dans la phase finale de la guerre
d'Algérie) : le harki « soldat de la France »,
donc, plutôt que le harki « victime de la raison
d'Etat ».
Pour autant, cette Journée d'hommage ne fut pas
complètement anodine. De l'inédit il y eut. Par petites touches.
Et en plusieurs temps. Premier temps : un bref passage du discours
prononcé par le président de la République dans la Cour
d'honneur de l'Hôtel des Invalides. Ainsi Jacques Chirac, nonobstant
l'ordinaire des formules éculées (les harkis,
« Français à part entière », formule
empruntée au général de Gaulle) ou grandiloquentes
(« Que justice soit enfin rendue à leur honneur de soldat,
à leur loyauté et à leur patriotisme ! Que leur
dignité d'hommes libres soit enfin reconnue ! »), en a
aussi directement appelé à « porter un regard de
vérité sur une histoire méconnue, une histoire
déformée, une histoire effacée ». Signifiant
par-là implicitement que d'autres avant lui, sciemment ou non, ne
s'étaient pas toujours acquittés de la charge de
« témoigner à nos frères d'armes l'estime et la
reconnaissance auxquelles ils ont droit »1692(*). Deuxième
temps : la tonalité plus "politique" de l'autre discours
prononcé par le président de la République, dans la salle
des Fêtes de l'Elysée, à l'occasion de la réception
offerte aux présidents d'associations (et aux décorés de
la matinée). Après avoir pointé la
« barbarie » des massacres perpétrés à
l'encontre des anciens supplétifs de l'armée française
(sans toutefois en dépeindre les circonstances ni désigner les
responsables directs de ces massacres), le président de la
République a reconnu que la France, en quittant le sol algérien,
« n'a pas su les empêcher, elle n'a pas su sauver ses
enfants ». Une reconnaissance à demi-mot de la
responsabilité des autorités françaises d'alors dans
l'abandon au massacre des harkis (le mot "abandon" n'est
précisément pas prononcé), mais non sans hardiesse de la
part d'un homme qui se revendique de l'héritage politique des
personnalités potentiellement incriminées (Jacques Chirac ne dit
pas « La France n'a pas pu sauver ses enfants », il
dit : « La France n'a pas su sauver ses
enfants »). Enfin, dans ce même discours, Jacques Chirac a
reconnu que le sort réservé en France à ceux qui purent
échapper aux massacres et gagner la métropole avait
également à voir avec une forme de délaissement ou
d'abandon. Je cite : « Alors que tout dans notre tradition
républicaine refuse le système des communautés, on a fait
à l'époque, dans l'urgence, le choix de la séparation et
de l'isolement »1693(*).
Cette Journée d'hommage national, d'abord reconduite
à titre exceptionnel le 25 septembre 2002, n'a été
pérennisée que le 2 avril 2003, à l'occasion de
l'installation du Haut Conseil des rapatriés. Elle perdit cependant
très vite de son importance aux yeux des médias comme aux yeux
des politiques. Ainsi, la célébration conduite en 2002 le fut non
plus sous l'égide du président de la République mais du
nouveau Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Charles Tamazount,
président du « Comité Harkis et
Vérités » (et membre du Parti socialiste), y a vu le
signe d'un certain détachement du Président de la
République qui « n'avait pas à faire face à des
échéances électorales proches »1694(*).
L' « accent de vérité » mis en exergue
l'année précédente par Jacques Chirac, et entrevu au
détour de certains passages des déclarations de
l'intéressé (voir ci-dessus), ne fut dès cet instant plus
de mise. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s'en tint à
déclarer que « la place des harkis est dans notre
mémoire nationale », et qu'il était « temps
de leur rendre leur histoire, partie intégrante de notre histoire
nationale ». Un discours sans autre relief que les habituelles
formules grandiloquentes (« Les harkis ont perpétué,
dans l'honneur et dans la dignité, les vertus les plus nobles de la
nature humaine et du comportement du soldat ») et qui, une nouvelle
fois, n'osa pas aborder de front la seule question véritablement
pendante : celle des responsabilités françaises dans la
tragédie de l'après-19 mars 1962. Dans un style volontiers
impersonnel (pour ne pas risquer de mettre en cause qui que ce soit),
Jean-Pierre Raffarin se borna à rappeler que « la guerre
devait être suivie de multiples drames et de nombreuses tragédies
pour les harkis comme pour leurs familles ». Les
célébrations conduites en 2003 et 2004 ne le furent plus que sous
l'égide de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense,
et Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, ce qui
revenait, à nouveau, à confiner la célébration de
cette destinée et des drames qui l'avaient jalonnée aux seules
frontières du monde "ancien combattant". Certes, en 2005, le Premier
ministre Dominique de Villepin présidait en personne une
cérémonie qui, cependant, n'éveillait plus guère
l'attention des médias depuis 2001, et que ne signalait guère,
cette fois encore, un discours aussi remarquablement atone et convenu que les
précédents.
Aussi, même considérée comme souhaitable
par la plupart des acteurs associatifs issus de cette communauté, cette
journée n'est cependant pas à même, selon eux, d'apporter
une réponse satisfaisante et crédible à la question de la
reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français dans
l'abandon au massacre des anciens supplétifs de l'armée
française. Pour Boussad Azni, président du Comité national
de liaison des harkis et vice-président du Haut Conseil des
rapatriés (et qui avait appelé à voter Jacques Chirac en
2002), « une Journée, ce n'est pas suffisant. On veut
que la France reconnaisse la responsabilité du gouvernement de 1962 dans
les massacres commis en Algérie après le 19 mars
1962 ». De manière plus virulente, Abdelkrim Klech,
président du collectif Justice pour les Harkis, dénonçait
dans la Journée d'hommage « une mascarade de plus »
et exigeait de la France qu'elle assume au grand jour ses
responsabilités dans l'abandon et le massacre des harkis :
« Nous voulons que le gouvernement et l'Assemblée nationale
aient enfin le courage de débattre du problème harki en
commençant par reconnaître la responsabilité de la
France »1695(*). Pour sa part, Khader Moulfi, porte-parole et
coordinateur de la Coalition nationale des harkis et des associations de
harkis, sise à Roubaix, rebaptisait cette cérémonie
« Journée d'hypocrisie nationale », tout en appelant
à son boycott.
Ainsi, la Journée d'hommage national aux harkis, si
elle marque une avancée indéniable de la geste
cérémonielle en tant que telle (tout au moins quant à
son ampleur), n'est guère empreinte, jusqu'à présent,
quant au fond du message délivré, de la volonté
de marquer une rupture significative avec la mécanique du souvenir
jusque-là mise en branle par les relais institutionnels de la
mémoire. En jouant la carte de la réminiscence (« Leur
place est dans notre mémoire nationale au sein des armées qui ont
illustré notre drapeau »1696(*)) contre celle de la résipiscence (peu ou pas
de retour sur ce que fut l'attitude de la France à leur égard au
moment du désengagement effectif des armées), cette
Journée d'hommage national demeure très nettement en
deçà du besoin de reconnaissance exprimé par les
intéressés ou ceux qui s'en font les porte-voix. Mohamed
Haddouche, alors président de l'Association Justice Information
Réparation (AJIR pour les harkis) et aujourd'hui membre des instances
nationales, s'exprimant à la suite de la deuxième Journée
d'hommage national aux harkis, en 2002 :
« L'an dernier, les harkis se sont réjouis
de cette marque de reconnaissance attendue depuis 39 ans et en furent
reconnaissants à Jacques Chirac. Cette année, ils se sont
réjouis de sa pérennisation. Mais cet hommage rendu à
toute une communauté ne saurait être une fin en soi. (...) Le
président de la République doit aller au terme de sa
démarche et proclamer solennellement la responsabilité des
gouvernants de 1962 dans la tragédie des harkis livrés à
la «barbarie» du FLN. En effet, rendre hommage n'est pas
reconnaître la responsabilité du désarmement, de l'abandon
des populations pro-françaises d'Algérie, du massacre de
près de 150.000 personnes qui s'en est suivi, ainsi que l'accueil
réservé aux rescapés »1697(*).
Ce qui s'exprime, dans et par cette mise en cause ou,
tout au moins, cette demande de mise à plat des
responsabilités gouvernementales, c'est la volonté d'être
reconnu et de bâtir autrement la relation à l'autre dans le
rapport entre l'Etat français et la communauté harkie. Cette
reconnaissance là, c'est l'acceptation de l'autre dans un rapport de
réciprocité, l'affirmation de son égale dignité.
À l'inverse, le signe de la sujétion, c'est le sentiment
d'être traité en objet - objet de mesures sociales, par exemple -
sans autre forme de considération. Or, la négation de l'autre
comme sujet est une violence profonde, que ne sauraient compenser les aides
matérielles. Celles-ci ne sont jamais en principe que des mesures
d'accompagnement, qui sanctionnent sur le plan matériel l'acte
préalable de reconnaissance symbolique. À défaut d'autre
témoignage de considération, la compensation financière
est une aumône, une non-relation. Or, pour que je puisse
reconnaître l'autre, il faut que je puisse me reconnaître en lui,
que je puisse l'accepter comme un semblable. Il faut que, décentrant ma
perspective égotiste, rien ne s'oppose à l'idée qu'il
puisse devenir un autre moi, et réciproquement, que je puisse devenir
un autre lui. La reconnaissance, c'est l'acceptation de ce qui chez l'autre
participe de l'altération de mon identité. Ce qui n'est rien
moins qu'inconfortable. Le bon plaisir, à l'inverse, ses grâces
octroyées, n'implique aucune violence sur soi. Il est un attribut de
puissance, non de réciprocité. L'acceptation de l'autre est
toujours acceptation de l'autre malgré soi.
« Les gestes d'hommes d'Etat demandant pardon
à leurs victimes attirent l'attention sur la force de la demande de
pardon dans certaines conditions exceptionnelles », souligne Paul
Ricoeur1698(*). A cet
égard, tant les déclarations d'Abdelaziz Bouteflika lors de sa
visite d'Etat en France, ressassant l'adversité plutôt que
« suscitant une «disposition à la
considération» »1699(*), que le tour convenu, très politiquement
correct, pris par la Journée d'hommage national aux harkis, où
l'on célèbre - comme si cela allait de soi - le « harki
soldat de la France » plutôt que de revenir,
précisément, sur la politique de mise à distance mise en
oeuvre à l'époque pour les maintenir à tout prix en
Algérie (voir la Partie 1), est un autre moyen de maintenir les
intéressés à distance, de les mettre en scène. Donc
de ne pas les reconnaître. C'est ce qu'exprime, à sa
manière, Zahia Rahmani, dans un dialogue imaginaire avec le
président d'une hypothétique Commission nationale de
réparation :
« Nous n'avons pas cessé d'attendre. Ce
temps a été long. L'Histoire nous a enseigné que la
justice ne s'exerce qu'en l'absence des acteurs véritables. Le temps
fait la justice. Je la réclame, il la réclame, nous la
réclamons. (...) Nous ne demandons aucune mort, aucune pendaison, aucun
supplice, mais la convocation est là depuis si longtemps. Pour ce
retard, nous voulons un tribut. Nous souhaitions depuis toujours donner ses
chances à l'histoire mais personne ne s'est présenté. A
force nous sommes venus. Nous voulons ces jugements qui nous sont dus. Vite,
des proclamations, des placards, des affiches et des livres. Des mots qui le
disent !
- On a reconnu le malheur de vos familles ! Le
président ne l'entend pas comme moi. Je lui dis que je veux l'ambitieuse
vérité et pas une inscription au calendrier national.
- Je ne veux pas de commémoration. (...) Cette
reconnaissance que vous dites, c'est notre docilité que vous payez en
retour. Et de cela même je ne peux pas vous insulter, sinon et à
tout moment je deviens une étrangère. Je vous dois à vie
ma servitude. Mais dois-je pour autant taire les morts que nous
partageons ? Il en tombe tous les jours ! »1700(*).
C'est cet "au-delà" de la reconnaissance, cet
"au-delà" des grâces octroyées et des
cérémonies consensuelles, qu'il nous faut maintenant aborder
à travers la notion et l'ingénierie politiques du pardon, ses
conditions de possibilité et ses chemins de traverse judiciaires.
B) Le pardon : un au-delà de la
reconnaissance ?
L'inaptitude du modèle
"assistanciel-cérémoniel" à promouvoir une
véritable réparation des termes de l'échange, donc
à instaurer une relation de réciprocité fondée sur
la mise à plat du différend historique et des
responsabilités qui y sont afférentes, souligne la
nécessité d'aller au-delà de ce modèle. Mais pour
aller vers quoi ? Comment réparer sans faux-fuyants (du
côté français, où l'on ne voudrait donner à
voir qu'une image "folklorique" des anciens harkis), sans faux-semblants (du
côté algérien, où l'on feint la magnanimité
à l'égard des enfants tout en restant inflexible à
l'égard des parents) ni esprit de revanche (du côté des
anciens harkis et de leurs enfants) ? Il s'agira ici d'ouvrir un
débat éthique et pratique à propos du pardon, de ses
règles et de ses conditions, afin d'envisager les moyens de
« sortir de l'infernale antinomie entre la dette et
l'amnésie »1701(*).
Débat éthique et pratique car la
politique du pardon (ou le pardon en politique) ne procède pas seulement
de la définition et de la mise en place in abstracto d'une
ingénierie (section 1), mais du cheminement d'un esprit, de la
volonté marquée de réparer les termes de l'échange,
et de construire le rapport à l'autre autrement que dans la haine et le
ressentiment. Or, dans le cas d'espèce qui est le nôtre, ce
cheminement se heurte in concreto, en France et en Algérie,
à un certains nombres d'écrans ou d'impedimenta d'ordre militant,
savant ou étatique qui, chacun à leur manière,
témoignent de l'impréparation des mentalités (section
2).
Ces inerties, indéterminations ou obstructions
conjuguées signent, s'agissant de la trajectoire des anciens harkis et
de leurs familles (depuis l'engagement jusqu'à la mort ou l'exil), la
difficulté à la fois de rétablir l'assise
matérielle et l'épaisseur symbolique des faits, mais plus encore
d'instaurer une véritable relation d'échange avec d'autres
acteurs interdépendants. Il s'ensuit, du côté des enfants,
la tentation de "forcer" le pardon en sollicitant ce que Sandrine Lefranc
appelle le « tiers de justice ». Or, nous verrons que la
judiciarisation des revendications portées par cette communauté
n'est pas sans susciter un malaise chez certains commentateurs, qui
évoque à ce propos un possible mésusage ou
« abus » de justice (section 3).
- 1. Les préconditions philosophiques du pardon en
politique : du pardon "christique" au pardon opératoire
Comment décentrer et faire se rencontrer
« des identités engoncées dans des conflits
insurmontables ou des mémoires engoncées dans des passés
irréparables » ? Comment sortir de « la
croissance infinie de l'échange des maux »1702(*) ? En somme, comment
répondre au tragique de l'irréversible là où
l'histoire touche au tragique ?
La réponse à ces questions est d'autant plus
cruciale que, dans les rapports entre la communauté harkie et l'Etat
français d'une part, entre la communauté harkie et l'Etat
algérien d'autre part, « tout se passe comme si l'histoire
juxtaposait des réponses à des questions diverses, (...) et
[comme si] chacun des acteurs [était] pris dans la logique de sa
quête »1703(*). Il n'y a pas de question commune, pas
d'échange possible sous un principe commun. « Le tragique
consiste précisément à ne pas pouvoir devenir autre que
soi-même »1704(*). Dès lors, « tout le
problème politique du vivre ensemble, écrit Olivier Abel, tient
au travail de mise en intrigue des mémoires dans un compromis
partagé ou un modus vivendi tel que l'on puisse sortir des
temps sombres et revenir au monde ordinaire »1705(*).
Ici, à l'instar des philosophes Olivier Abel1706(*) et Paul Ricoeur1707(*), ou du sociologue John
Crowley1708(*)
notamment, notre optique participe du souci de "pragmatiser" les axes de
réflexion attenants à la question du pardon (traditionnellement
d'essence normative ou théologique), pour proposer de cette notion une
définition "opératoire", susceptible de "coller" aux enjeux
sociopolitiques contemporains :
- une définition qui, d'une part, soit suffisamment
"lâche" et pragmatique pour ne pas risquer de trahir la complexité
et la singularité des situations historiques : « [Les
conditions du pardon] ne sauraient être présentées comme
des règles exhaustives ni absolues mais comme des indications, qui font
en quelque sorte que le pardon demandé ou donné est
acceptable »1709(*) ;
- une définition qui, d'autre part, soit suffisamment
assurée d'elle-même pour satisfaire formellement aux conditions de
réciprocité dans l'échange (le pardon a ceci de
spécifique qu'il autorise en principe à « laisser place
à autre que soi »1710(*)) sans pour autant relativiser la part de
responsabilité de l'agresseur (plus particulièrement dans le cas
des massacres collectifs, où il y a une forme de hiérarchisation
des responsabilités à établir).
Pour Olivier Abel, qui prend acte de
l'incommensurabilité des univers de justification dans le tragique de
l'histoire, et du caractère inexpiable des crimes de masse,
« la sagesse du pardon [en politique] est une sagesse pratique qui ne
propose pas une délivrance du tragique mais une délivrance
dans le tragique même : le pardon est la vertu du compromis
parce qu'il accepte le différend »1711(*). Non pas ce pardon moral
élémentaire qui « rythme la mémoire ordinaire de
l'échange, avec ses dettes rétribuables,
effaçables », qui « suppose une temporalité
causale et continue, où les maux ont des causes assignables quelque part
dans la structure de l'échange », et qui
« s'applique seulement à des situations claires, ou
clarifiées par convention »1712(*) ; mais un autre
pardon, « pas très moral, mais beaucoup plus
sage »1713(*), qui touche à « des
identités engoncées dans des conflits insurmontables, et qui
disparaîtraient hors de ces conflits, à des mémoires
enracinées dans des créances et des dettes impayables, comme
enfouies dans un passé irréparable »1714(*). Ce pardon-là,
« loin d'être une petite affaire de morale ou de religion
personnelle, se tient partout où il y a un rapport au passé,
à l'irréparable, à la mémoire, à une
histoire qui n'est pas seulement celle des gloires mais aussi celle des
souffrances »1715(*).
De fait, à l'échelle d'un massacre collectif,
nulle réparation ou compensation n'est susceptible de "purifier" (du
latin "expiare") le crime commis, c'est-à-dire littéralement de
le débarrasser de la souillure morale dont il est entaché. Paul
Ricoeur : « L'énormité des crimes rompt avec le
principe de proportion qui régit les rapports entre l'échelle des
délits ou des crimes et celle des châtiments. Il n'y a pas de
châtiment approprié à un crime disproportionné. En
ce sens, de tels crimes constituent un impardonnable de
fait »1716(*). Et il ajoute : « Mais plus
importante que la punition - et même que la réparation - reste la
parole de justice qui établit publiquement les responsabilités de
chacun des protagonistes et désigne les places respectives de
l'agresseur et de la victime dans un rapport de juste
distance »1717(*). Dès lors, à la différence de
l'expiation, le pardon ne saurait s'appliquer aux faits eux-mêmes (car
leurs conséquences sont irréversibles, non susceptibles
d'être réparées) mais, plus modestement (et plus
pragmatiquement), à la relation des faits, c'est-à-dire à
la manière de considérer collectivement les faits et de
considérer collectivement l'autre - la victime ou l'agresseur -
considérant les faits. Il s'agit à la fois de dire le mal
et d'écouter l'autre dire le mal, et de le faire sur un mode
apaisé. C'est ce que Paul Ricoeur appelle « les bienfaits du
dissensus »1718(*). On a ici affaire à « un
dépassement du conflit qui n'en implique pas la
négation »1719(*), à savoir « une sorte de
compromis, une composition des mémoires qui les oblige à se
réinterpréter ensemble mais sans s'abolir, une intrigue capable
de faire accepter le différend lui-même » 1720(*). Olivier Abel :
« Le pardon recherché ici animerait cette
invention à plusieurs du compromis par le renoncement à
l'unilatéralité qui définit le point de vue tragique,
cette étroitesse de l'angle d'engagement qui fait que l'on s'enfonce
dans son droit comme dans son tort et, finalement, dans son
malheur »1721(*).
Cependant, le pardon, s'il se veut un "acte-ensemble", ne
saurait dans les faits mobiliser uniment la victime et son offenseur. Olivier
Abel : « Il ne faut pas confondre le pardon demandé avec
le pardon obtenu, comme on le fait souvent en parlant «en gros» de
pardon » 1722(*). « De toute façon, ajoute-t-il, il
y a entre les deux la différence entre un tort commis et un tort
subi »1723(*). Car si, sur un plan nouménal,
« [cette dynamique] place la demande de pardon et l'octroi du pardon
sur un plan d'égalité et de réciprocité, comme s'il
existait entre les deux actes de discours une véritable relation
d'échange »1724(*), il est un fait que, dans le concret des relations
sociales, la structure de l'échange entre la "dette" et
"l'amnésie" est asymétrique. La logique de l'amnésie - de
l'oubli "agi" - participe chez l'offenseur de l'euphémisation de la
mémoire de la faute et revêt, à ce titre, le
caractère d'une échappatoire
. À l'inverse, la
logique de la dette participe de la cristallisation de la mémoire du
tort chez la victime. Elle revêt un caractère obsessionnel qui
s'objective sur le mode du ressentiment et de la fixation. Elle est une forme -
une forme au long cours - de la sidération : « Il y a un
point à partir duquel la dette n'est plus qu'une obsession, comme
l'oubli n'était qu'amnésie. La dette fait alors que l'on
réagit à tout comme s'il s'agissait toujours de la même
chose, que tout réactive. Elle rend incapable de réagir à
autre chose ; elle rend incapable d'agir, simplement, à nouveau
(...). Dans la logique de la dette apparaît une mémoire malade,
incapable d'oublier ni d'effacer, et donc incapable de se souvenir d'autre
chose »1725(*).
Aussi, l'acte de pardon, à travers lequel la victime
dépare la mémoire du tort de son caractère obsessionnel et
se libère du ressentiment qu'elle nourrissait à l'égard de
son agresseur, ne saurait être s'il n'est précédé
par un acte de reconnaissance de la réalité et de la
gravité des faits à travers lequel l'offenseur "rencontre" sa
faute, donc sa victime : « Il s'agit, selon Paul
Ricoeur, « de reconquérir, du sein de la relation horizontale
d'échange, la dissymétrie d'une relation verticale
inhérente à l'équation initiale du
pardon »1726(*). En d'autres termes, il s'agit, pour l'agresseur,
de « rétablir les faits historiques et d'appeler
désormais les choses par leur nom » ; en somme,
de s'astreindre à assumer le crime et d'accepter d'en être
comptable.
Du reste, une politique du pardon initiée par
l'agresseur mais qui, réduite à l'état de simple formule
de politesse ou de grâce octroyée, tiendrait pour
négligeable la mise en lumière des faits et des
responsabilités ne saurait être qu'un état de fait
arbitraire, sans portée ni résonance, un chapitre que l'on
clôt, en somme, quand tout devrait être revisité,
"publicisé", débattu. Prétendre expier le crime, c'est
entretenir l'illusion de pouvoir l'effacer. Dans ces conditions, la demande de
pardon ne revêt que trop le caractère d'une fuite des
responsabilités, ne s'apparente que trop à une
échappatoire, comme s'il suffisait de demander pardon pour être
pardonné tout en faisant l'économie d'une anamnèse
véritable :
« Le pardon, écrit Olivier Abel, n'est pas
une parole magique, immédiate, qui tirerait un trait sur tout, mais
c'est une rupture avec le silence, une libération de la
mémoire ». Et il ajoute : « En ce
sens-là, le pardon ne se commande pas, c'est un acte de volonté
passive, comme un accouchement, qui prend du temps »1727(*).
Très clairement, la vocation première du pardon
n'est pas de "liquider" le contentieux, mais de le dénouer, de le rendre
mutuellement intelligible. Daniel Sibony :
« Il s'agit [pour un corps endeuillé ou dans
l'impasse] de se pluraliser, pour que s'ouvre un jeu de la vie où la
rencontre et le conflit soient possibles sans qu'on en meure. (...) Pour se
rencontrer il faut être "contre", différent, mais assez serein
dans cette différence pour ne pas croire que l'enjeu de la rencontre
c'est que l'un ou l'autre doit rester sur le carreau ; (...) pour rendre
enfin possible des luttes qui ne soient pas des meurtres ; pour permettre
d'autres violences que narcissiques »1728(*).
À son tour, le pardon accordé par la victime
à son agresseur, s'il résulte d'une initiative unilatérale
de la victime, lors même que l'agresseur n'aurait fait montre d'aucune
velléité de reconnaissance de la réalité et de la
gravité des faits, ne s'apparente-t-il pas à une forme de
renoncement, comme si la sérénité, la tranquillité
d'esprit pouvaient se gagner au prix de la dignité, la concorde au prix
de la justice ? La victime peut-elle ou doit-elle attendre de l'offenseur
que, par la grâce, par la magie d'un pardon non sollicité, il se
départisse de tout mépris, de toute morgue, qu'il abandonne toute
velléité de domination ? N'est-il pas illusoire, sinon
absurde, d'attendre de l'agresseur qu'il vous rende grâce d'être
pardonné pour des faits dont il ne veut reconnaître ni la
gravité, ni même la réalité ? Certes, à
titre purement individuel, le pardon "gratuit", unilatéral, est toujours
possible. Mais un tel pardon "christique" échappe complètement au
registre politique : il engage l'individu dans son for intérieur
mais, ce faisant, le dépouille de sa capacité à "faire
voix", à parler pour les autres. Jacques Derrida lui-même, s'il
plaide in abstracto pour un pardon « pur » qui,
« pour avoir son sens propre, doit n'avoir aucun «sens»,
aucune finalité, aucune intelligibilité
même »1729(*), « un pardon inconditionnel et
anéconomique accordé même à qui ne le demande
pas », reconnaît cependant que cette vision
« abrahamique » et « hyperbolique » du
pardon comme « don gracieux, sans échange et sans
condition », « demeure hétérogène
à l'ordre du politique ou du juridique tels qu'on les entend
ordinairement » et ne s'applique pas à la
réalité d'une société au travail dans des processus
pragmatiques de réconciliation. Il en ressort que « si l'on
veut - et il le faut, ajoute Derrida - que le pardon devienne effectif,
concret, historique », « si l'on veut qu'il arrive, qu'il
ait lieu en changeant les choses » et « s'inscrive dans
l'histoire, le droit, la politique, l'existence même »,
« il faut que sa pureté s'engage dans une série de
conditions de toutes sortes (psychosociologiques, politiques,
etc.) ». Et de conclure : « C'est entre ces deux
pôles de l'inconditionnel et du conditionnel, irréconciliables
mais indissociables, que les décisions et les responsabilités
sont à prendre »1730(*).
Appliqué au champ politique, le pardon ne peut
être ni un acte gratuit - un trait tiré sur le passé
circonvenant à toute forme d'examen de conscience - ni un acte
unilatéral, mais bien au contraire une prise de risque assumée et
partagée, par-delà le ou les discours de l'identification
sécurisante. « [Le pardon], écrit Olivier Abel,
libère d'une excessive obsession de l'identité. Avec lui la
mémoire n'est plus l'interminable récit du passé, ou plus
exactement l'interminable garantie d'une identité »1731(*). Le pardon introduit une
altération dans l'identité même, « il touche
à l'identité en tant qu'elle est ancrée dans un souvenir
qu'elle répète, ou dans un oubli désormais sacré
[i.e. institutionnalisé] »1732(*). Il ouvre un espace de négociation qui
« permet, voire impose, de nommer le conflit et d'en
reconnaître l'adversité réciproque »1733(*).
Au fond, le pardon, en ce qu'il peut et doit être
envisagé comme un « acte éthique
d'autonomie », est une forme d'acceptation :
acceptation des faits et acceptation de l'autre. Olivier Abel :
« Il s'agit de ne pas laisser chacun à sa place mais de
l'obliger à se déplacer, à venir se replacer dans
l'intrigue, dans l'histoire » et, par ce déplacement,
« à se rendre contemporains les uns les
autres »1734(*). Au regard de l'agresseur, il s'agit d'accepter de
faire retour au passé, au passé tel qu'il pèse et tel
qu'il heurte la geste de l'identification sécurisante, donc de
réinvestir, en même temps que le champ du "réel", le champ
de la responsabilité. C'est ce que Paul Ricoeur appelle
« l'imputabilité », à savoir
« ce lieu où l'agent se lie à son action et s'en
reconnaît comptable »1735(*). Aussi le pardon ne vise-t-il pas à effacer
la faute mais à en « délier » l'agresseur en
le « liant » par une promesse : celle de s'en tenir
comptable à et pour l'avenir.
Au regard de la victime, il s'agit d'accepter la
réalité de la perte, d'accepter le tragique de
l'irréversible. « En désignant l'irréparable,
l'intraitable, ce qu'on ne peut pas raconter entièrement, écrit
Olivier Abel, le pardon accepte qu'il y a de la perte. Il fait ce travail de
deuil sans lequel il n'y a pas de travail d'enfantement ou de
résurrection possible d'un autre présent »
1736(*). Condition même de
la sublimation, le pardon scelle chez la victime le réinvestissement
d'un présent dont le ressentiment et le désir de vengeance
l'avaient tenue éloignée.
Ainsi, à l'échelle de nos
sociétés, le pardon ne saurait faire sens en politique s'il ne
s'accompagne d'un vaste mouvement de remembrance qui heurte l'indolence ou
l'intangibilité des mémoires constituées, d'un travail
« où l'on cherche ensemble un langage qui puisse exprimer le
tort subi et être entendu par celui qui l'a commis, énoncer le
tort commis et être entendu par celui qui l'a subi »1737(*). Il s'agit d'en faire non
un geste commode, un "pardon" par le geste (une politique de la page
blanche : « on se serre la main et on oublie tout »),
mais une geste incommode, un récit bipartite où la
"poignée de main" peut éventuellement procéder de -
mais ne précède en aucun cas - l'échange de
paroles. C'est cette exploration commune des faits et de leurs effets, et, par
là même, de la responsabilité des acteurs, qui donne son
sens et sa portée politiques véritables au pardon. La politique
du pardon ne doit pas viser à clore un chapitre mais à l'ouvrir,
et à l'ouvrir ensemble. C'est cette « acceptation de la
possibilité du langage de l'autre » qui, selon Olivier Abel,
définit l' « unité conceptuelle du
pardon »1738(*). C'est encore elle qui, selon Paul Ricoeur,
autorise « de répliquer de manière responsable aux
contraintes temporelles auxquelles est soumise la continuation de l'action au
plan des affaires humaines »1739(*).
John Crowley souligne cependant que « cette
transformation radicale ne relève pas, en général, de la
réconciliation à proprement parler - sauf à porter ce
terme très loin de son usage ordinaire, chargé de connotations
morales au sens fort du terme. Le concept qui lui correspond le mieux est la
reconnaissance »1740(*). Et il ajoute : « Une telle
reconnaissance suppose d'accorder une légitimité
précédemment niée à l'adversaire : de
considérer qu'il avait des raisons compréhensibles de faire ce
qu'il faisait. Compréhensibles ne signifie pas
valables : on peut donner raison à son ennemi, mais ce
n'est pas une exigence logique de la réconciliation. Il suffit qu'il
soit possible de désigner ses actions comme sensées compte tenu
de ses représentations - ce qui suppose que l'on puisse, au moins en
principe, imaginer d'avoir les mêmes
représentations »1741(*). Ainsi, les conditions politiques du pardon exigent
de chacun « un déplacement, une sorte de communication de
responsabilité, de partage. (...) Le pardon travaille à
élargir le langage de chacun, oblige chacun à faire place, dans
son langage, à la possibilité du langage de l'autre, (...) dans
un travail de concessions réciproques, de narration à plusieurs
voix »1742(*).
Ceci dit, et pour faire retour au cas d'espèce qui est
le nôtre, il apparaît que les conditions du pardon ne sont
réunis ni sur le plan de l'imputabilité, puisque tant le
rétablissement des faits (les massacres de l'été et de
l'automne 1962) que le partage des responsabilités (en France et en
Algérie) continuent de se heurter à des fins de non recevoir de
différents ordres mais convergentes quant à leurs effets, ni sur
le plan de la réciprocité, puisque la figure du harki
continue d'être l'objet d'usages réifiants - entre
évocations malveillantes et célébrations
lénifiantes - qui, d'un côté et de l'autre de la
Méditerranée, concourent à lui dénier la
qualité d'interlocuteur digne de considération morale et/ou
politique.
- 2. L'état des résistances : une
politique non avenue ?
En l'espèce, le « cheminement de l'esprit de
pardon » (Paul Ricoeur) se heurte à trois formes
d'impedimenta :
- militants, au nom d'une approche qui, par principe,
se refuse à détacher l'examen de la trajectoire des anciens
harkis de la condamnation "en bloc" du « système
colonial », et s'interdit, par conséquent, d'examiner les
"bonnes raisons" des premiers sous peine de paraître vouloir prêter
le flanc à la réhabilitation du second (section
a.) ;
- savants, en raison de l'indétermination
relative entre démarche savante et trajectoire militante pour ceux des
historiens professionnels qui se sont éveillés à la
politique pendant la guerre d'Algérie, et qui, sur ce sujet plus que sur
d'autres peut-être, sont potentiellement en butte à des effets de
miroir qui leur commandent de privilégier certains aspects de cette
guerre plutôt que d'autres, ou de les aborder dans une optique en quelque
manière préemptée par ces enjeux de mémoire
(section b.) ;
- étatiques, puisque d'une part, en
Algérie, la figure du harki continue de n'avoir d'autre usage
qu'instrumental - à des fins attentatoires et dilatoires - dans un champ
politique "corseté" par « une histoire convenue,
unanimiste »1743(*), et rien, ni la succession des
générations ni la succession des guerres, ne semble devoir frayer
le passage à une reconnaissance autre que totémique et
polémique de ces « corps de personnages » et de ces
« histoires de vie »1744(*) longtemps mis à distance, bien au
contraire ; et puisque d'autre part, en France, le réexamen des
tenants ayant prévalu au moment de mettre en branle la politique de
dégagement et de décider du sort des anciens supplétifs
musulmans de l'armée française, aussi bien que le ressouvenir des
aboutissants de cette politique, se heurtent à la difficulté,
pour ceux qui ont succédé au général de Gaulle
à la tête de l'Etat (à droite et à gauche de
l'échiquier politique), de "désacraliser" une figure dont la
réputation est désormais consensuelle (section c.).
a) Inerties militantes
Ce qui fait obstacle, d'abord, au cheminement de
« l'esprit de pardon »1745(*), c'est la frontière symbolique du
"politiquement correct". Cette frontière invisible, mais "agissante",
explique - en partie au moins - l'inappétence des leaders d'opinion et
des analystes pour cette question. Est en cause, plus
précisément, l'étiquette « Algérie
française »
(entendre
« O.A.S. et soutiens ») accolée aux anciens harkis,
marginalisant la prise en compte des questionnements afférents à
leur destinée à quelques cercles restreints, eux-mêmes
ostracisés : on pense par exemple à Radio
Courtoisie, qui revendique ouvertement ses accointances avec la droite
dite « nationale ». Là réside une
différence essentielle avec le récent réinvestissement
médiatique du débat relatif aux faits de torture pendant la
guerre d'Algérie. De fait, ce débat, déjà
très vif en son temps, est relayé par une large frange de la
gauche intellectuelle qui, aujourd'hui plus qu'hier, est "en place" dans les
sphères de production et de diffusion du savoir1746(*). Autrement dit, le
débat moral est aussi affaire de « fenêtre
d'opportunité », et toutes les mémoires
traumatisées n'ont pas des chances égales d'être
portées et relayées dans leur demande de reconnaissance par des
leaders d'opinion influents.
Il est cependant nécessaire de distinguer entre,
d'une part, une parole strictement militante, liée à des
collèges d'acteurs autrefois engagés en guerre d'Algérie
ou qui se réclament de cet engagement et, d'autre part,
l'écho certes plus "arrondi", moins tranché, qu'en donnent
à voir certains grands organes de presse (qui proposent comme une
lecture "banalisée" des schèmes d'interprétation plus
"serrés" élaborés par les premiers), mais qui - par ce
fait - contribuent tout autant - sinon plus - à leur "ancrage" dans
l'opinion.
S'agissant des premiers, Marcel Péju, ancien
secrétaire de Jean-Paul Sartre et signataire du Manifeste des 121,
invité à l'automne 2003 par l'hebdomadaire Marianne
à réagir à la parution du livre de Georges-Marc Benamou,
Un mensonge français, n'avait pas hésité - dans
un article intitulé « Contre les harkis et contre le massacre
des harkis » - à assortir (et donc à
relativiser ?) sa condamnation des massacres de
l'après-indépendance par le rappel de la supposée
qualité de « traîtres » des anciens
harkis :
« La question des harkis ? Soyons clairs. Pour
moi, les harkis sont des collabos, c'est-à-dire des gens qui se sont
faits les supplétifs de l'armée française et de la
répression en Algérie. Ils ont participé à tous les
crimes et en ont remis à l'occasion. Cependant, le sort qui leur a
été réservé est tout à fait abominable. Je
condamne absolument les massacres des harkis commis grâce à la
passivité des autorités algériennes indépendantes,
tout en condamnant la trahison commise par les harkis »1747(*).
Trois ans auparavant déjà, dans un billet
intitulé « Harkis et «collabos»» publié
dans l'hebdomadaire Jeune-Afrique L'intelligent du 27 juin 2000,
Marcel Péju se lamentait que « la visite en France d'Abdelaziz
Bouteflika [ait] conduit certains commentateurs à revenir, de
façon généralement agressive, sur le sempiternel
problème des harkis ». Après avoir rappelé que
les harkis « ne différaient guère, par
exemple, des membres de la Milice dite française de Joseph Darnand,
qui, sous l'Occupation, se firent les sicaires de la Gestapo »,
Marcel Péju s'était étonné de ce que la
réaction du président Bouteflika (assimilant
précisément les harkis à des collabos ; voir
l'introduction et plus bas dans cette partie) eût suscité
l'émotion de certains :
« Que les autorités françaises aient
des responsabilités, donc des obligations, à l'égard des
«collabos» qu'elles employèrent - les harkis - et qu'elles
s'en soucient fort peu, est une chose ; qu'il soit indigne de faire porter
aux fils les fautes des pères est encore moins contestable. Mais ce sont
là des problèmes français. Quant aux Algériens
désormais indépendants - malgré les efforts des harkis -
il leur appartient, et à eux seuls, de traiter la question comme ils
l'entendent. Après tout, nul ne s'aventura à prier le
général de Gaulle, au lendemain de la Libération,
d'amnistier (entre autres) Darnand et ses miliciens. Il les laissa fusiller
sans états d'âme »1748(*).
Quelques mois plus tard, dans un billet d'humeur
intitulé « Hommage aux
«collabos» ? », et publié dans l'hebdomadaire
Jeune-Afrique L'intelligent du 27 février 2001, Marcel
Péju, heurté par l'annonce de l'instauration d'une Journée
d'hommage national aux harkis, avait comparé cette initiative à
celle d' « un chancelier allemand [qui], perdant la tête,
institue[rait] une «journée d'hommage national» aux soldats de
la Légion des volontaires français contre le bolchevisme
(LVF) »1749(*). Peu après encore, interrogé par
Gilles Manceron à propos de la fin de non-recevoir opposée
l'année précédente par le président Bouteflika, au
cours de sa visite d'Etat en France, à la question de la libre
circulation des anciens harkis entre la France et l'Algérie, Marcel
Péju s'en était tenu, quarante ans après l'accession
à l'indépendance de l'Algérie, à une stricte
discipline idéologique en avançant que la
« réponse à cette question relevait de la
souveraineté algérienne, et d'elle seule ». Et, ce,
lors même que le principe de libre circulation aurait compté au
nombre des acquis négociés et validés (mais jamais
respectés) par la partie algérienne au moment de la signature des
accords d'Evian, en mars 19621750(*).
A l'instar de Marcel Péju, le dessinateur et
polémiste Siné, qui fut lui aussi à l'avant-garde de la
« bataille de l'écrit » (voir la Partie 2), continue
de dépeindre les anciens harkis (et les pieds-noirs) sous des traits qui
ne doivent rien à une volonté d'apaisement. Dans la Partie 2,
nous avons cité in extenso les commentaires qu'avaient
inspiré à l'intéressé les grèves de la faim
successives sur l'esplanade des Invalides en 1997-1998, commentaires qui, par
leur caractère « hautement injurieux », lui vaudront
d'être condamné pénalement à la suite d'une action
en justice intentée par une association de harkis1751(*). En dépit de cette
condamnation, Siné n'a pourtant pas hésité - dans
l'hebdomadaire Charlie-Hebdo en date du 11 janvier 2006 - à
faire à nouveau usage de la même ligne argumentaire :
« La mission dirigée par Jean-Louis Debré sur le
«rôle positif» ou non de la colonisation va interroger des
Pieds-noirs et des Harkis pour connaître leurs sentiments à ce
sujet. C'est un peu comme si, pour écrire l'histoire de l'occupation
allemande pendant la seconde guerre mondiale, on allait demander leur avis
à d'anciens collabos ».
Par-delà ce registre directement inspiré et
véhiculé par des acteurs se réclamant de la mouvance
anticolonialiste, il convient de sérier quelle est la part des grands
organes de presse nationaux dans la co-construction et la diffusion d'une
parole sinon strictement "militante", du moins "autorisée" à
l'égard des anciens harkis. Et notamment s'agissant de l'opinion qui
s'exprime au fil des éditoriaux, laquelle traduit davantage ou autre
chose que la simple aptitude professionnelle du journaliste à traiter
l'information. La ligne éditoriale, qui emprunte et relaye une vision du
monde "incubée" et "travaillée" en d'autres lieux, ou sur une
scène intellectuelle plus large, est de ces facteurs d'influence qui
sont à même d'offrir à certains engagements militants la
reconnaissance de l'opinion. Ou de la leur refuser.
L'annonce de l'instauration d'une Journée d'hommage
national aux harkis, en février 2001, fut à cet égard un
événement "catalyseur", propice à nourrir et
révéler la ligne éditoriale des grands organes de presse
quant aux demandes de reconnaissance des anciens harkis et de leurs enfants (et
à leur mise sur agenda politique). Ainsi en fut-il des éditions
du Monde du 7 février 2001 et de L'Humanité du
8 février (par la plume de Charles Silvestre), qui y consacrèrent
leurs éditoriaux, et dont la vision des choses emprunte à bien
des égards au conformisme intellectuel de la gauche anticolonialiste
(voir la Partie 2).
Ainsi, l'éditorial du Monde, qui condamne les
manoeuvres électoralistes dont sont régulièrement l'objet
les harkis, et dont participerait au premier chef l'instauration de cette
Journée d'hommage national (« La défense des harkis
sert ici une mauvaise cause, électoraliste, comme une sorte de geste
à l'intention de ceux que le débat sur la torture a mis mal
à l'aise »), véhicule lui-même une vision
réifiante des intéressés, en assujettissant toute
velléité de célébration de leur destinée
à une grille de lecture anticolonialiste qui la ramène tout
entière aux seuls « errements de la
République » en Algérie, et qui reste empreinte de
mauvaise conscience à l'égard d'une Algérie
indépendante vis-à-vis de laquelle la rédaction du
Monde préférerait visiblement que les autorités
françaises fassent "profil bas" :
« Décréter une «Journée
d'hommage national» aux harkis n'est-ce pas prendre la défense
d'une guerre coloniale qui fait partie des errements de la
République ? N'est-ce pas inutilement injurier l'avenir de
nos relations avec l'Algérie
indépendante ? »1752(*).
Ce qui est suggéré, semble-t-il, ici, c'est que
les harkis en tant que tels n'existent que par nous, ou plutôt que par
nos fautes, nos « errements », comme si rien excepté
la brutalité de l'armée française ou le cynisme des
autorités coloniales (et les effets aliénants du système
colonial lui-même) n'avait pu justifier que des Algériens prennent
les armes contre le FLN. A condition de faire fi du contexte de guerre civile
qui se surajoutait alors à celui d'une guerre de décolonisation,
ou de passer rapidement sur les voies et moyens qui furent ceux du FLN au cours
de cette guerre (voir la Partie 1), les harkis peuvent ainsi apparaître
comme une création "ex-nihilo" voire une "engeance monstrueuse",
purement instrumentale. Ils sont par excellence des objets de
culpabilité qu'il convient de taire plutôt que de
célébrer : « La République de demain
devrait plutôt se construire sur la condamnation nette et entière
des guerres coloniales », conclut l'éditorial1753(*).
L'éditorial de L'Humanité,
publié le lendemain et qui se réfère explicitement - pour
le louer - à l'éditorial du Monde, use des mêmes
arguments-repoussoirs (« [L'objectif de cette initiative], y est-il
écrit, est de satisfaire une partie de l'opinion, la plus nostalgique,
la plus guerrière et la plus droitière. On aimerait croire que ce
choix ne relève pas, de surcroît, d'un calcul
électoral »), et véhicule une vision tout aussi
réifiante des intéressés (« des hommes, des
femmes et leurs enfants dont on s'est salement servi avant de les
reléguer »1754(*)). Et ce journal, au prix d'une vision clairement
adversative de la destinée des harkis, de borner explicitement les
frontières de l'indignation aux limites délinéées
par une grille de lecture idéologique distinguant deux
« camps », l'un s'inscrivant dans le sens de l'Histoire,
l'autre non :
« Si l'on comprend bien, la douleur
héritée de cette guerre et méritant par priorité la
"repentance" nationale devrait être d'abord et essentiellement celle du
"camp" qui, du côté de la France, combattit l'inéluctable
indépendance algérienne. Au point que le journal Le
Monde pose à juste titre cette question :
«Décréter une journée d'hommage national aux harkis,
n'est-ce pas prendre la défense d'une guerre coloniale qui fait partie
des errements de la République» ».
Cette ligne éditoriale n'a du reste jamais
variée puisque Emmanuelle Gilles signale qu'au cours des émeutes
de 1991 dans le sud de la France, ce même journal, présentant les
fils et filles de harkis impliqués dans ces mobilisations comme
« des enfants d'hommes que la France entraîna dans la sanglante
défense de ses intérêts d'Etat
impérialiste », assurait les intéressés du
« soutien des communistes dès lors qu'ils s'engagent dans la
lutte pour leur émancipation »1755(*) ; ce qui signifiait,
précise Emmanuelle Gilles, que ce soutien leur était
assuré « à la condition non négligeable de
ne plus revendiquer leur identité harkie »1756(*). Du reste, l'auteur
souligne que « les journalistes de L'Humanité
[avaient] interprété ces révoltes comme similaires aux
troubles des banlieues »1757(*), s'interdisant toute référence
à la trajectoire et aux revendications spécifiques des
intéressés pour confondre leur situation et leurs aspirations
avec celles des Beurs, lors même que les enfants de harkis
interrogés par Emmanuelle Gilles n'auraient eu de cesse, à
l'inverse, de dénoncer cet amalgame.
Cependant, l'instauration d'une Journée d'hommage
national aux harkis a été, pour certains leaders d'opinion
autrefois engagés "contre" la guerre d'Algérie, et qui - de leur
propre aveu - étaient jusqu'alors passés "à
côté" du drame des harkis, l'occasion - 40 ans après - de
faire "amende honorable", en mettant en cause des instructions gouvernementales
dont ils disent ne pas avoir eu connaissance sur le moment, ou en allant - tel
Jean Daniel - jusqu'à « demander pardon » aux
harkis.
Ainsi, Jacques Julliard s'émeut-il
rétrospectivement, dans la chronique qu'il consacre à la
première Journée d'hommage national aux harkis, en septembre
2001, des tenants et des aboutissants pour les intéressés de la
politique de dégagement alors visée et entreprise, au point non
seulement de blâmer l'attitude du général de Gaulle en la
circonstance, mais encore de brosser un portrait étonnamment
compréhensif de certains « soldats
perdus » :
« On ne peut entendre ou lire sans indignation les
récits sur l'abandon des harkis par l'armée française au
moment de l'indépendance ; les subterfuges utilisés pour les
désarmer, en prétextant une inspection d'armes. Car la France
désarmait ses partisans avant de les livrer à leurs bourreaux.
(...) On ne l'a pas assez dit : c'est pour avoir été
contraints au déshonneur que nombre d'officiers se sont engagés
dans l'OAS. La plupart d'entre nous ne connaissaient pas encore les termes
des instructions de Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes,
interdisant d'embarquer les harkis en France. Et les accords d'Evian
ont été, à ma connaissance, négociés sans
que la France s'avise de la sauvegarde de ceux qu'elle avait compromis à
ses côtés. On a un peu de peine à le dire, mais
hélas ! il faut le dire : la livraison des harkis à leurs
bourreaux est une tache sur l'honneur du général de
Gaulle »1758(*).
Jacques Duquesne, pour sa part, reconnaît
« n'avoir rien vu » et se reproche, plus franchement encore
que Jacques Julliard, de n'avoir pas fait preuve de plus de discernement ou
d'esprit d'initiative en la circonstance :
« Nous-mêmes les journalistes nous sommes
passés complètement à côté du drame des
harkis. Il y a bien eu quelques articles, notamment ceux de Lacouture et de
Vidal-Naquet [NDA : voir l'analyse de cet article dans la Partie 2], mais
la vérité est que les Français ne voulaient plus entendre
parler de l'Algérie. Pour eux la page était tournée. Moi
qui suis parti d'Algérie après l'indépendance et qui y
suis retourné pendant deux semaines en octobre 1962, j'avoue n'avoir
rien vu. Jamais je n'aurais soupçonné un massacre d'une telle
ampleur. Ne pas avoir poussé l'enquête plus avant constitue l'un
des plus grands regrets de ma vie de journaliste »1759(*).
De son côté, Jean Daniel, visiblement soucieux de
s'acquitter d'une « dette morale », est revenu à
plusieurs reprises ces dernières années sur cet épisode
tragique de la guerre d'Algérie. D'abord dans Le Figaro des 17
et 18 juin 2000, dans un article intitulé
« France-Algérie : Pardon aux harkis » :
« La guerre d'Algérie a été
aussi une guerre civile où de très nombreux algériens sont
morts du fait d'initiatives algériennes et la repentance, dans ce cas,
est valable pour tout le monde. Nous avons tous à demander pardon aux
harkis. Ce que je fais ici ».
Puis, dans Le Nouvel Observateur du 22 juin 2000,
à la suite de la publication de son entretien avec le Président
algérien, Abdelaziz Bouteflika :
« Je voudrais dire à mon interlocuteur
présidentiel que les harkis ne sont pas selon moi des collabos. Ils ont
souvent rallié la France parce qu'ils étaient
persécutés par des éléments
incontrôlés de l'ALN. Les responsables du malheur des harkis sont
à la fois la France et l'Algérie. Les deux pays devraient
s'unir dans un geste commun pour demander pardon et pour réparer.
Mais c'est l'heure du départ. Ses accompagnateurs pressent le
président. Une fois de plus, la question des harkis ne sera pas
posée. Mais on peut espérer aujourd'hui qu'elle va, enfin,
l'être ».
Enfin, dans un éditorial du 6 novembre 2003 (Le
Nouvel Observateur, n°2035), Jean Daniel réaffirme que
« le massacre par l'armée algérienne de nombreux
supplétifs qui pendant la guerre civile ont choisi la France est une
tâche indélébile dans l'histoire de la guerre de
libération. Les Algériens n'ont pas appliqué les accords
d'Evian en mars 1962 ». Et il ajoute : « Mais
l'abandon de ces mêmes supplétifs, ou harkis, par la
République française constitue l'une des pages les plus honteuses
de la geste gaullienne. Nous sommes un certain nombre à avoir
pensé cela et à l'avoir écrit depuis une vingtaine
d'années. Bien tard ? Ce n'est pas, en effet, à notre
honneur. Mais nous l'avons fait, notamment (...) en écrivant, Jean
Lacouture et moi, une préface aux confessions dramatiques de Fille
de harki [de Fatima Besnaci-Lancou1760(*)] ».
Dans cette préface, précisément, Jean
Daniel et Jean Lacouture écrivent notamment : « De toutes
les tragédies collectives qui ont affligé notre temps depuis la
shoah, celle qu'ont vécue les harkis d'Algérie est
peut-être pour nous la plus douloureuse - parce que rien n'en
paraît marquer la fin, rien ne semble ouvrir la voie à la
rédemption ou au pardon, ou plus justement à un réexamen
équitable de ce qui fut, en l'occurrence, faute, crime, hasard,
malchance, poids du destin aveugle »1761(*).
b) Indéterminations savantes
L'histoire contribue-t-elle en France à la
perpétuation d'une vision, sinon "orientée", du moins
connotée - négativement s'entend - des anciens supplétifs
musulmans de l'armée française ? Donc au maintien d'un
climat intellectuel peu favorable à la sortie hors d'une configuration
sociale et politique stigmatisante à leur endroit ? La question
peut sembler provocante. Elle ne l'est pas si l'on prend soin de distinguer
entre la visée de l'histoire comme discipline académique
d'une part, et sa réalité comme produit "daté" et
"situé" du travail des historiens d'autre part.
En tant que discipline académique, l'histoire commande
en son principe une visée d'objectivité. Est ici
ambitionné « la fidélité
épistémique à l'égard de ce qui est
advenu »1762(*), la coïncidence parfaite entre la chose
passée et son ressouvenir. En cela, l'histoire prend clairement ses
distances avec la mémoire qui, individuelle ou collective, officielle,
collégiale ou familiale, vise à la symbolisation du passé,
donc à sa subjectivation. Certes, les tierces mémoires d'un
même événement sont des matériaux par excellence de
l'histoire immédiate. Mais c'est précisément dans cette
mise en perspective que se situe la vocation propre de l'histoire :
"com-prendre", appréhender ensemble les différents espaces de
sens, temporalités et significations vécues d'un même
événement pour en rendre toute la complexité. Paul
Ricoeur : « À l'histoire revient le pouvoir
d'élargir le regard dans l'espace et dans le temps, la force de la
critique dans l'ordre du témoignage, de l'explication et de la
compréhension, la maîtrise rhétorique du texte, et plus que
tout l'exercice de l'équité à l'égard des
revendications concurrentes des mémoires blessées et parfois
aveugles au malheur des autres »1763(*). Aussi l'historien n'entre-t-il pas dans une
relation de rejet par rapport à la mémoire, mais dans une
dynamique de décentrement par rapport à l'éventail des
mémoires qui chacune pour son compte prétend à l'exclusive
de la reviviscence des faits. Guy Pervillé : « La
vérité historique ne se confond pas avec la mémoire
particulière qu'un groupe considère comme son patrimoine, mais
elle doit se construire en confrontant et en combinant sans exclusive les
témoignages et les documents de toutes les
tendances »1764(*).
Cette visée d'objectivation est prise en charge par un
corps d'experts, censément à même de
« s'abstraire radicalement des contingences du
monde »1765(*) et, à ce titre,
« prétendants à la fonction du
tiers »1766(*). Spécialistes de l'exhumation et de la
recension du souvenir, ils tendent non à la célébration
mais à la reconstitution de la chose passée, chacun d'eux se
faisant « spectateur bienveillant et impartial de ce monde dans
lequel nous ne sommes qu'un parmi quelques milliards »1767(*).
Bien que souhaitable, cette démarche de
"décentrement" - ce que Paul Ricoeur appelle « la
prétention de l'histoire à se situer hors de tout point de vue
particulier »1768(*) - est, dans les faits, éminemment difficile
à tenir puisque, à l'instar d'autres discours, le discours
historien - en France et en Algérie - est un discours situé.
Olivier Mongin nous invite ainsi prudemment à
« considérer que l'histoire ne parvient jamais à
s'émanciper totalement de la mémoire »1769(*). Et ce plus encore
s'agissant d'un conflit qui, aujourd'hui comme hier, a
déchaîné les « passions
françaises », à commencer par celles des clercs, et
où les frontières entre démarche savante et
démarche militante sont apparues - et apparaissent encore -
éminemment labiles. De fait, nous l'avons vu, la geste "protestataire"
au moment de la guerre d'Algérie fut avant tout une geste intellectuelle
ou, plutôt, une geste d'intellectuels. Autrement dit, ceux qui
aujourd'hui écrivent l'histoire de la guerre d'Algérie sont, bien
souvent, ceux-là mêmes qui, hier, ont pris parti. La
frontière entre le "prosélyte" et le "savant" apparaît
ainsi pour le moins incertaine dans les propos d'un Pierre Vidal-Naquet
(« Pour l'enseignement, je constate que la plupart des manuels
parlent de la torture pendant la guerre d'Algérie en se
référant soit à mes propres travaux ou à La
question d'Henri Alleg. Il ne faut pas charger les professeurs de tous les
péchés d'Israël ! »1770(*)) qui, du reste, assume
assez ouvertement cette indétermination :
« Mohammed Harbi et moi sommes qualifiés de
témoins-historiens. Il va sans dire que nous ne le sommes pas au
même niveau. Dans cette période, Harbi [NDA : qui fut l'un
des rédacteurs du Programme de Tripoli] a exercé des fonctions de
responsabilité directe. Il a été membre de la
fédération de France du FLN et conseiller de la
délégation algérienne lors des pourparlers d'Evian. Il
s'est ensuite reconverti dans la pratique historienne. Pour ma part, si j'ai eu
des responsabilités dans l'opposition à la guerre
d'Algérie, j'étais un citoyen-historien qui pensait qu'un
historien doit produire de l'histoire. En tant qu'historien engagé dans
la bataille, je m'intéressais à d'humbles vérités.
A la fin de la guerre d'Algérie, paraissait chez Maspero une revue
à laquelle je participais et qui s'appelait Partisans.
J'étais un partisan. Est-ce compatible avec le métier
d'historien ? Il est clair que nous nous heurtions à d'autres
obstacles. A l'illusion de la révolution, d'une part, et
surtout à cet énorme obstacle que représentait pour nous
la très mythique unité du FLN. Tout cela a-t-il volé
en éclats en 1962 ? Pas entièrement puisque beaucoup d'entre
nous - partisans - se raccrochèrent à telle ou telle faction. Je
me réfugiais dans la figure de Boudiaf. Mais Boudiaf n'était la
révolution que parce qu'assurément Ben Bella ne l'était
pas, et Boumediene encore bien moins. Mais un homme comme Michel Raptis - Pablo
- crut jusqu'en 1965 que l'ALN de l'extérieur, porte-parole de la
paysannerie, était la classe porteuse de la révolution. Mais il
était certain que leur révolution n'avait que de lointains
rapports avec ce que nous mettions dans ce mot. Nous sommes tout de
même débarrassés de cette mythologie, mais pas
tous, et pas complètement »1771(*).
Cette confusion possible des registres, assumée ou non
par les intéressés, ne peut cependant être sans
conséquences sur la manière dont s'opère la
démarche de "décentrement" par rapport à l'éventail
des mémoires en lutte pour imposer leur vision de
l'événement, démarche dont nous avons vu qu'elle
était censément au coeur de l'éthique professionnelle des
historiens. A cet égard, l'initiative prise par un certain nombre
d'historiens de relancer, à la veille du 46ème
anniversaire de l'insurrection du 1er novembre 1954 (et avec l'appui
direct du journal L'Humanité1772(*) et plus indirect du
Monde), les débats autour de la torture pendant la guerre
d'Algérie, initiative connue sous le nom d' « Appel des
Douze » (31 octobre 2000), est illustrative de la
perméabilité du discours historien aux joutes mémorielles.
Dans ce cas d'espèce comme dans d'autres, l'historien n'est plus
seulement un technicien de la restitution du passé mais un acteur qui
s'estime en droit - à la fois au nom de son expertise et de ses
engagements militants - à définir et à imposer une vision
"légitime" du passé. Ainsi en va-t-il, par exemple, de
l'historienne et ancienne militante du P.C.F. Madeleine
Rebérioux1773(*), signataire de l' « Appel des
Douze » aux côtés de Pierre Vidal-Naquet et Henri Alleg,
qui estime d'un côté que le « colonialisme »
devrait faire l'objet d'un traitement formellement analogue à celui de
la Shoah au collège et au lycée1774(*), mais qui, d'un autre
côté, n'avance qu'avec prudence son espoir de pouvoir
« parler des crimes du FLN sans insulter les
Algériens ». Or, l'on pourrait tout autant incliner à
penser - par exemple avec Pascal Bruckner1775(*) ou Alfred Grosser1776(*), lesquels pointent
l'écueil d'un ethnocentrisme renversé (ou d'un tiers-mondisme mal
compris) invitant à considérer les crimes commis par des
non-Occidentaux comme plus facilement "excusables" ou "assimilables" par les
intéressés - que c'est précisément le fait de se
garder d'en parler (ou de ne le faire qu'avec une extrême circonspection
ou affectation) qui est "insultant" ou dommageable pour les
Algériens.
Guy Pervillé notait ainsi que « le travail
des historiens sur ce sujet brûlant [NDA : la guerre
d'Algérie] est de plus en plus perturbé par les conflits qui
s'exaspèrent entre les groupes porteurs de mémoires antagonistes,
qui font pression sur eux pour les inviter ou les obliger à prendre leur
parti. Et les historiens eux-mêmes semblent disposés à
céder à ces sollicitations »1777(*). Et il ajoutait :
« Prise entre deux feux, exposée aux pressions contraires des
deux camps, comment la communauté des historiens de métier
a-t-elle réagi ? Elle a malheureusement beaucoup perdu de la
cohésion qui était la sienne auparavant. Ses membres se sont
laissés entraîner de plus en plus souvent dans des controverses et
même des polémiques réciproques, dont les enjeux et les
arguments sont au moins autant politiques qu'historiques. Et cela parce que la
plupart d'entre eux ont vécu la guerre d'Algérie en tant que
citoyens avant de l'étudier comme historiens »1778(*).
Bien entendu, cette "tessiture" mixte de la démarche
historienne, écartelée à des degrés divers entre
enjeux politiques et historiques, se double de logiques de gratification
mutuelle consistant à reconnaître - et à faire
reconnaître - par privilège les qualités professionnelles
de ceux des historiens qui s'inscrivent dans un même courant
d'opinion :
« De même que Che Guevara disait que le
devoir d'un révolutionnaire c'est de faire la révolution, je
dirai que le devoir d'un historien c'est de faire de l'histoire. Et là,
il n'y en a pas beaucoup. Un des seuls à faire de l'Histoire en
profondeur, c'est Mohammed Harbi et sur ce point, il mérite tout notre
soutien. J'ajouterai aussi un homme comme Gilbert Meynier qui lui aussi fait
véritablement de l'Histoire »1779(*).
Aussi nous a-t-il semblé utile d'éclairer les
opinions qui s'expriment au sujet des harkis - notamment celles qui s'expriment
sous couvert de l'expertise historienne - par des éléments de
biographie de leurs auteurs. Car l'inappétence intellectuelle de
certains historiens pour la destinée des harkis -
considérée comme un objet d'analyse de second ordre - et/ou la
tendance corrélative à relativiser (sans nier tout à fait)
son caractère dramatique, peuvent témoigner de préventions
certainement moins heuristiques que biographiques (et pourtant non
explicitées comme telles1780(*)). Ainsi en va-t-il également, a fortiori,
des présentations exagérément dépréciatives
(ou laudatives) des anciens harkis. Il s'agira, en somme, de
"désacraliser" la posture de l'historien en pointant aussi souvent que
nécessaire « l'intrication de la mémoire et du
savoir historique »1781(*).
Parmi les travaux historiques qui, à leur
manière, font obstacle au « cheminement de l'esprit de
pardon » dans le cas d'espèce du massacre des harkis, les
travaux de Charles-Robert Ageron occupent une place à part. D'abord
parce qu'à la différence de nombre d'historiens professionnels
autrefois engagés « contre » la guerre
d'Algérie ou se réclamant des luttes anticolonialistes,
Charles-Robert Ageron n'a pas choisi d'ignorer la destinée des harkis
(et, par là, de la construire comme objet de "second ordre" ou de
"second rang"), mais de démonter - avec les outils de l'historien - ce
qu'il considère être des exagérations ou des
reconstructions quant à la manière dont cet objet a pu être
traité par d'autres que lui. Ensuite parce que ces travaux -
principalement trois articles publiés dans la revue d'histoire
Vingtième siècle1782(*) - font "autorité" auprès de ses
pairs, notamment ceux qui se reconnaissent dans ses engagements
anticolonialistes. Ainsi, dans un article publié dans Confluences
Méditerranée en réaction à la parution du
livre de Georges-Marc Benamou, Un mensonge français,
les historiens Mohammed Harbi et Gilbert Meynier,
ulcérés par le « travail rapide » de Benamou,
mais qui n'ont eux-mêmes jamais consacré plus que des incidentes
à la question des harkis, renvoient expressément le lecteur aux
travaux de Charles-Robert Ageron : « Et Benamou
ignore les trois articles fondamentaux de Charles-Robert Ageron qui, à
notre avis, font autorité, ou devraient faire autorité sur le
sort des harki(s) », écrivent-ils1783(*). Pour sa part, Guy
Pervillé, soulignant que « Charles-Robert Ageron ne se cache
pas d'approuver globalement la politique algérienne du
général de Gaulle, et son aboutissement les accords
d'Evian », rappelle que l'intéressé
« s'était longtemps refusé à écrire sur
les événements de 1954 à 1962, car il se méfiait de
sa subjectivité de témoin engagé » 1784(*).
Dans « Le drame des harkis en
1962 »1785(*), article
explicitement fait en réponse à la publication de la thèse
de Mohand Hamoumou chez Fayard1786(*), Charles-Robert Ageron, qui sous-entend que ce livre
pourrait faire la part belle « aux souvenirs déformés
des mémoires » et, ce faisant, se prêter à une
« [exploitation] à des fins politiques et
médiatiques », entend pour sa part « rappeler
quelques faits sûrs et révéler certains textes »
conformément aux canons de « l'histoire
scientifique ». Sa démonstration va pourtant plus loin qu'une
simple réfutation méthodique de certaines affirmations de Mohand
Hamoumou puisque l'auteur entend d'une part, dénoncer
« l'abandon prétendu des harkis » et, d'autre part,
relativiser l'ampleur des massacres de l'après-indépendance pour
se démarquer de ceux qui - tel Mohand Hamoumou - les qualifient de
« génocide des harkis » :
(1) en premier lieu, donc, l'auteur, qui rappelle les
différentes options offertes aux ex-supplétifs et rapporte les
chiffres des transferts opérés dans le cadre du "plan
général de rapatriement" (soit 21.000 sur l'ensemble de
l'année 1962), et qui produit deux documents émanant pour l'un du
Premier ministre Georges Pompidou (lequel invite les autorités
militaires à transférer en métropole les anciens
supplétifs et membres de leurs familles réfugiés dans les
casernements français en Algérie) et l'autre de l'ambassade de
France en Algérie (faisant part des protestations du gouvernement
français eu égard aux sévices infligés aux anciens
supplétifs et, surtout, à l'inaction apparente des nouvelles
autorités)1787(*) s'étonne que l'on puisse qualifier
d' « abandon » l'attitude des autorités
françaises d'alors à l'égard des musulmans qui, à
un titre ou à un autre, s'étaient engagés aux
côtés du colonisateur. Cette courte démonstration souffre
pourtant de nombreuses insuffisances :
(1.1) il n'est fait mention dans cet article : ni de
l'exclusion de toute partie autre que le FLN et l'Etat français du
processus de négociation d'Evian (les pieds-noirs et les musulmans
pro-français étant exclus, ès qualités, de cette
négociation), ni de l'absence de garantie autre qu'une clause de
non-représailles très générale et
dénuée de toute menace de rétorsion en cas de violation
par la partie algérienne, ni enfin de l'exclusion automatique de la
nationalité française des Algériens de statut civil de
droit local au jour de l'indépendance. Bref, Charles-Robert Ageron
ignore la fragilité des garanties statutaires (politiques et juridiques)
offertes aux musulmans non inféodés au FLN dans ce contexte de
transition brutale (du 19 mars au 3 juillet il s'écoule à peine
plus de trois mois).
(1.2) l'auteur ne fait pas davantage mention ni la "lettre"
ni de "l'esprit" qui président à l'élaboration puis
à la mise en place du plan général de rapatriement :
les directives Messmer et Joxe sont ignorées, de même que les
instructions du général de Gaulle au Comité des Affaires
algériennes ; les conditions de célibat nécessaires
à l'engagement dans l'armée ne sont pas davantage
mentionnées (voir la Partie 1). En outre, s'il cite le chiffre de 21.000
rapatriements opérés par les voies officielles (pour
l'année 1962), Charles-Robert Ageron ne s'étonne guère de
la lenteur des opérations : certes, un peu moins de la
moitié de ce total est évacué "préventivement" fin
juin-début juillet, avant la première grande vague de massacres
(qui s'étale de mi-juillet à fin août), mais cette
opération est alors conçue comme quasi-définitive ;
par suite, c'est sous la pression des événements qu'un
deuxième contingent d'environ 2.500 personnes est évacué
fin juillet, puis un troisième d'environ 1.500 personnes entre la
mi-septembre et la mi-octobre (plusieurs semaines après la
première grande vague de massacres) ; et c'est seulement à
ce moment (le 19 septembre précisément), qu'est
édictée la directive Pompidou citée par l'auteur ;
enfin, un reliquat important de 6 à 7.000 personnes est
évacué en novembre-décembre (8 à 9 mois
après la signature des accords d'Evian, et plus de 4 à 5 mois
après l'accession de l'Algérie à l'indépendance),
alors que la seconde grande vague de massacres s'est abattue sur
l'Algérie, à compter de la mi-octobre (et alors que les camps
d'hébergement accueillent encore 20 à 25 personnes par jour). Ce
n'est d'ailleurs que le 13 novembre qu'est adressé le message de
protestation de l'ambassade de France cité par Charles-Robert Ageron.
Encore ce total de 21.000 transferts sur l'année 1962 comprend-il les
proches parents des anciens supplétifs : ce ne sont en fait que 3
à 4.000 chefs de familles au maximum - les anciens supplétifs
proprement dits - qui sont donc concernés ;
(1.3) et s'il mentionne les instructions de Georges Pompidou
en date du 19 septembre 1962, qui « estime nécessaire
d'assurer le transfert des anciens supplétifs qui sont venus chercher
refuge [de leur propre initiative] auprès des forces
françaises », il omet de rappeler en contrepoint qu'ordre
avait été donné aux forces françaises encore
présentes en Algérie de s'abstenir de toute intervention
d'initiative pour porter assistance à leurs anciens compagnons
d'armes : seuls ceux qui parviendraient par leurs propres moyens à
gagner les casernements seraient secourus (et c'est ainsi que des tortures et
des exécutions en place publique furent pratiqués à
proximité des postes français sans entraîner la moindre
réaction) (voir la Partie 1). Car c'est là un point
fondamental : c'est la gestion du fait accompli qui a prévalu, non
une attitude proactive ;
(2) en second lieu, si l'auteur s'attache à
dénoncer les chiffres-slogans outranciers tendant à
exagérer le bilan du massacre des harkis (tel celui de 150.000, qui
procède d'extrapolations hasardeuses ; voir la Partie 1), il tend
lui-même à accréditer une évaluation que la plupart
des historiens tiennent pour exagérément basse ou partielle,
celle avancée sur le moment par le journaliste Jean Lacouture pour la
seule période comprise entre le 19 mars et le 1er novembre
1962, soit 10.000 victimes. Mais Charles-Robert Ageron - qui reproche à
Mohand Hamoumou d' « [être] brouillé avec les
chiffres » - n'explique pas comment Jean Lacouture a pu produire une
telle évaluation ; pis, il semble ignorer que ce dernier parle
aujourd'hui de 30.000, voire de 100.000 victimes au gré de ses
publications ou interviews. Une référence bien fragile, donc, que
l'auteur justifie pourtant de la sorte : « Puis-je signaler que
cette évaluation de 10.000 harkis massacrés était
celle-là même du porte-parole de l'armée et de
l'ambassadeur [de France en Algérie] Jean-Marcel
Jeanneney ? ».
Et Charles-Robert Ageron de conclure - et c'est essentiel pour
ce qui nous concerne ici - de la manière suivante :
« Est-ce là vraiment une page honteuse de notre
histoire ? ».
Par ailleurs, dans un autre article, intitulé
« Le «drame des harkis». Histoire ou
mémoire ? » (les guillemets sont de l'auteur),
publié peu après la visite controversée d'Abdelaziz
Bouteflika en France, en juin 2000, Charles-Robert Ageron revient plus en
longueur sur la séquence immédiatement postérieure
à la signature des accords d'Evian et à la démobilisation
des harkis aux fins, écrit-il, de « s'informer et
d'établir un bilan scientifique d'événements que les
Français tiennent parfois pour un «lâche abandon de musulmans
fidèles» », et de présenter « ce que
furent les attitudes de l'armée et du gouvernement algériens
vis-à-vis du sort qu'ils entendaient réserver aux
ex-supplétifs »1788(*). Si, à la différence de ses
précédents articles, l'auteur fait cette fois-ci ouvertement
état de certaines des directives et instructions gouvernementales
tendant à limiter le flux des rapatriements de supplétifs
(à savoir celles visant à interdire les opérations de
transfèrement opérées en dehors du plan
général et à sanctionner leurs auteurs), ainsi que de
celles visant à interdire les opérations de secours dans le bled,
il n'en continue pas moins à battre en brèche ce qu'il appelle
les « accusations «d'abandon de nos fidèles
harkis» »1789(*), arguant de ce que « l'action de
transfert » conduite par le gouvernement n'avait pas
été insuffisante mais « trop
discrète » pour être reconnue à sa juste
valeur1790(*). La
raison en est, selon lui, la décision du ministère des
armées de ne pas diffuser « une étude
préparée par le haut commandement en juin 1963 expliquant
«le problème des supplétifs» et les solutions
apportées », étude classée sans suite afin de ne
pas apporter « de l'eau au moulin des nostalgiques de l'Algérie
française et de l'OAS » :
« Ainsi s'explique peut-être, ajoute
Charles-Robert Ageron, le silence officiel, finalement maladroit, qui laissa
libre cours aux pires accusations, sur la lâcheté du gouvernement
et la faiblesse des rapatriements »1791(*).
"Défaut de communication" plutôt
qu'"abandon" ? Encore une fois, l'auteur, s'il produit dans cet article
une documentation abondante sur le "double jeu" du FLN dans les semaines qui
suivent la signature des accords d'Evian (promesses publiques de pardon et
appels officieux à la vengeance), fait par contre l'impasse sur les
effets de la propagande officielle française tendant à
présenter les accords d'Evian comme une panacée en matière
de garanties offertes aux personnes et aux biens, et sur les
possibilités plus que ténues offertes aux anciens
supplétifs pour bénéficier de la protection de
l'armée (notamment l'absence de possibilité réelle
d'engagement pour ceux qui n'étaient pas célibataires, le retour
à la vie civile avec prime de recasement étant dans ce cas
systématiquement encouragé). Ceci étant passé sous
silence, Charles-Robert Ageron en vient naturellement à établir
un "audacieux" quorum des responsabilités pour ce qui a trait aux
massacres de l'été et de l'automne 1962 : outre le FLN,
qu'il désigne comme principal responsable, la co-responsabilité
du drame tiendrait selon lui moins aux autorités françaises
qu'aux anciens supplétifs eux-mêmes, qui « ne voulurent
pas s'expatrier ». Sa conclusion vaut d'être citée dans
son intégralité :
« Les associations de harkis qui se sont
multipliées en France ont développé la légende du
«génocide» des harkis victimes du colonialisme. Les
responsables en seraient, selon elles, l'armée et le gouvernement
français qui auraient volontairement abandonné au massacre leurs
fidèles soldats et limité au maximum l'accueil des
réfugiés. La France coupable de «non-assistance à
personne en danger devrait faire publiquement repentance». Il n'appartient
pas à un historien de cacher ce qu'une recherche minutieuse lui a
appris. Les harkis confiants dans les promesses du FLN ne voulurent pas,
pendant longtemps, s'engager dans l'armée régulière, ni
s'expatrier. Quand ils s'y décidèrent devant les violences
subies, ils furent finalement, sans doute trop tardivement, reçus en
France et peu à peu réinstallés ». Et il ajoute,
sans dire un mot des camps ni des effets pervers des dispositifs d'aide
spécifiques qui ont succédé à la politique de mise
sous tutelle initiale : « Une aide spécifique fut
accordée pour faciliter leur insertion économique et sociale et
celle de leurs enfants. Ainsi la République française a
témoigné solennellement, par la loi du 11 juin 1994, «la
reconnaissance prioritaire de la dette morale de la nation à
l'égard de ces hommes et de ces femmes qui ont directement souffert de
leur engagement au service de notre pays» »1792(*).
Il est à noter que cette argumentation est très
exactement la même que celle développée
rétrospectivement par Pierre Messmer, alors ministre des Armées
(voir ci-après la section II.B.2.c de la Partie 4 :
« Obstructions étatiques »), qui, dans une interview
au Monde le 24 septembre 2001 (à la veille de la
première Journée d'hommage national aux harkis), entendait
établir « une hiérarchie dans les
responsabilités » : « Le principal responsable,
c'est le FLN, qui a trompé les harkis et les a massacrés ;
ensuite, ce sont les harkis eux-mêmes qui se sont laissé tromper ;
en troisième lieu, ce sont ceux qui n'ont pas été les
délivrer pour ne pas mettre en danger le cessez-le-feu [entendre le
gouvernement français] ». Cette coïncidence de vue
vient-elle de ce que Charles-Robert Ageron a largement puisé dans les
archives personnelles de Pierre Messmer pour écrire cet article ?
Toujours est-il que ces deux analyses, l'une produite par un historien
professionnel, l'autre par un ancien responsable politique, aboutissent l'une
et l'autre à considérer comme injustifiée toute demande de
repentance adressée à l'Etat français pour cette
même raison que les anciens harkis seraient finalement davantage
responsables de leur malheur que leurs anciennes autorités de
tutelle.
« L'historien n'est pas un pur esprit
détaché de la société, écrit Alfred Grosser
dans Le crime et la mémoire. Il n'acquiert et ne
présente pas un pur savoir. Il est tributaire de sa propre
mémoire. (...) Il risque ainsi d'infléchir ses analyses pour
rendre anodin tel crime, pour exalter le souvenir de telle catégorie de
victimes plutôt que de telle autre »1793(*).
Pour ce qui le concerne, et à rebours des analyses de
Charles-Robert Ageron (qui incriminent prioritairement le FLN), le professeur
algérien de sociologie de l'IEP de Lyon, Lahouari Addi, tendait - au
prix d'une analyse systémique - à relativiser la
responsabilité propre du FLN. Posant d'une part que « les
courants nationalistes modérés n'ayant obtenu aucune
réforme, le courant radical s'enracina dans la population, ce qui lui
permit de lancer l'insurrection de 1954 », et posant d'autre part que
« le FLN a été la réponse à la
rigidité du système colonial qui ne réagissait et ne
comprenait que le langage de la violence », Lahouari Addi en vient
à cette conclusion : « Les victimes du FLN ne sont-elles
pas, au fond, des victimes du système colonial qui a laissé
exploser la révolte populaire dont le FLN a été
l'expression ? »1794(*). De l'incrimination indifférenciée du
« système colonial » à l'euphémisation
des crimes du FLN (et notamment du massacre des harkis), l'espace du pardon
dans les rapports entre la communauté harkie et l'Etat algérien
est, là encore, à l'aune d'une analyse qui brouille
l'imputabilité des faits jusqu'à les rendre inassignables,
réduit à la portion congrue.
Même raisonnement, mais poussé plus loin encore
du côté de Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, dans l'article
précédemment cité, en réponse au livre de
Georges-Marc Benamou, Un Mensonge français. Les auteurs y
établissent une nette distinction entre les violences
« industrielles » de l'armée française et la
violence du FLN, qualifiée de « fondamentalement
artisanale » et, qui plus est, dirigée vers
« l'affranchissement des Algériens » :
« L'armée française fut plus
massivement et plus industriellement tortionnaire que certains
éléments d'une ALN, fondamentalement artisanale dans sa violence,
et qui, au moins, luttait pour l'affranchissement des Algériens
; et que les Algériens se défendaient contre un conquérant
qui les avait conquis dans la brutalité. Quand on ne se contente pas de
l'écume des aboutissements factuels, c'est la violence
française qui fut première »1795(*).
A cette aune, donc, le massacre des harkis n'est qu'un
« aboutissement factuel »,
l' « écume » de cette causalité
(maléfique) première qu'est le « système
colonial ». Pourquoi s'attarder sur le premier (le massacre des
harkis, objet historique de second rang), comme sur les voies et moyens du FLN,
quand, en première comme en dernière instance, c'est l'analyse du
second (le système colonial) qui devrait être par privilège
l'objet des investigations historiques (puisque tout en découle) ?
Fort d'une expertise "infrastructurelle" qui voit plus loin que - ou en
deçà de « l'écume des aboutissements
factuels », l'historien se sent ainsi légitimé à
qualifier de « fondamentalement artisanale » une violence
qui a coûté la vie à 30.000 civils musulmans et un peu
moins de 4.000 civils européens entre le 1er novembre 1954 et
le 19 mars 1962 (soit une victime européenne pour sept à huit
victimes musulmanes), ainsi qu'à plusieurs dizaines de milliers
d'ex-supplétifs musulmans (et membres de leurs familles) et quelque 2
à 3.000 civils européens après le 19 mars 1962 (voir la
Partie 1). Toutes les violences ne se valent pas, cela est clairement
expliqué. Mais cela signifie-t-il aussi qu'il faille distinguer entre
les victimes ?
A ce propos, Guy Pervillé dit partager le
« malaise » exprimé par cet autre historien qu'est
Daniel Rivet :
« Gardons-nous de croire, écrit Guy
Pervillé, que la campagne de dénonciation de la torture
française en Algérie, lancée par Le Monde et
relayée par L'Humanité depuis juin 2000, ait
divisé la France en deux camps bien définis : celui de la
vérité, et celui du mensonge. L'historien Daniel Rivet n'est pas
le seul à estimer que «la lecture du Monde depuis juin
2000 installe le lecteur dans le malaise. Une fixation s'y opère sur la
torture, les viols, les sévices exercés par la seule armée
française au cours de la guerre d'Algérie. Les autres dimensions
de la guerre sont occultées» »1796(*).
c) obstructions étatiques
La question de la "normalisation" des relations diplomatiques
entre les deux protagonistes d'une guerre restée longtemps
innommée de ce côté-ci de la Méditerranée, ou
mythifiée de l'autre côté, est le fil d'Ariane des
relations franco-algériennes depuis maintenant près de quarante
ans. La "doxa normalisatrice" de Jacques Chirac, en visite d'Etat en
Algérie en 2003, donne à cet égard une illustration
saisissante de ce que l'expression "user d'un langage diplomatique" veut
dire :
« Après l'Indépendance, des hommes de
vision ont montré le seul chemin, celui de la réconciliation, du
développement, de l'avenir. Malgré les obstacles et les
hésitations, la coopération entre nos deux pays est devenue petit
à petit une réalité. Le temps de l'indépendance
ne fut jamais celui de la rupture. Le général de Gaulle, pas
plus que les dirigeants du jeune Etat algérien, ne la souhaitaient ni ne
l'envisageaient. Au contraire, le mot-clé devint celui de
"coopération". Le lien fut maintenu, à travers des milliers de
jeunes Français qui ont participé à l'aventure de la
naissance d'un Etat, à travers des milliers de jeunes
Algériens qui sont venus étudier et travailler en France. Notre
relation s'est peu à peu affermie, sous l'autorité et l'impulsion
des personnalités qui, en Algérie comme en France, ont su se
rencontrer, à l'instar de Houari Boumediene et de Valéry Giscard
d'Estaing, de Chadli Bendjedid et de François Mitterrand ». Et
il ajoute : « Et je voudrais dire combien nous partageons votre
vision d'un Islam tolérant, ouvert aux autres religions, attentif aux
Eglises chrétiennes d'Algérie, avec lesquelles vous avez su
préserver des liens de confiance, de respect et
d'amitié »1797(*).
Le langage diplomatique a ceci de particulier - c'est sa
fonction propre - qu'il ne vise pas à dire les choses telles qu'elles se
sont passées mais telles qu'elles peuvent être
entendues : quand bien même faudrait-il, pour ce faire, transmuer
l'épopée provisoire - et somme toute anecdotique - des quelques
milliers de « pieds-rouges » (et autres coopérants
français) en un élan de réconciliation tel qu'il aurait
suffit à panser les plaies engendrées par l'exode de centaines de
milliers de pieds-noirs ; mais encore, à nouveau, jeter un voile
pudique sur le drame des harkis : « Le temps de
l'indépendance ne fut jamais celui de la rupture ». A
l'inverse, pour l'historien Guy Pervillé, « la paix en
Algérie - ou plutôt la cessation progressive des hostilités
- n'a pas apporté un véritable apaisement, ni aux vaincus, ni
même aux vainqueurs (...). Les relations franco-algériennes ont
été bâties sur des fondations malsaines. C'est pourquoi,
quarante après, elles restent à refonder »1798(*). L'écueil, ici,
serait de ne vouloir se réconcilier qu'entre homologues ou entre "amis".
Les voyages récurrents en Algérie des anciens soutiens
français au FLN - qui furent partie prenante du conflit - ne concourent
pas davantage aujourd'hui à la réconciliation des deux peuples
que ne le firent leurs prises de position unilatérales au moment de la
guerre d'Algérie. De même, les réconciliations
protocolaires qui, chacune à son tour, prétendent refermer les
blessures sans même les examiner - au prétexte qu'il faut
désormais se tourner vers l'avenir - apparaissent-elles
dérisoires aux yeux de ceux qui savent le poids des inimitiés.
Ainsi, en dépit de la présence remarquée d'Hamlaoui
Mekachera, la question de la liberté de circulation des anciens harkis
n'a-t-elle été que discrètement évoquée au
cours de la visite d'État de Jacques Chirac en Algérie en mars
2003 (la première d'un président de la République
française depuis l'indépendance), la seule allusion publique
faite à ce sujet l'ayant été devant la communauté
française d'Algérie1799(*). Un point qui, pourtant, relève de
la stricte application des accords d'Évian. Guy Pervillé
d'ajouter, à propos de la partie algérienne : « Il
est vrai que se réconcilier avec d'anciens ennemis expose au reproche de
la trahison de la part de certains des siens. C'est pourquoi l'art de faire la
paix est beaucoup plus difficile que celui de faire la
guerre »1800(*). De fait, évoquant la visite d'État
du président Chirac au printemps 2003 en Algérie (à la
suite de celle du président Bouteflika en France en juin 2000), une
nouvelle fois présentée par la presse française
(télévisuelle notamment) comme l'indice d'une
« normalisation » des relations entre les deux pays, le
journaliste algérien Mustapha Hammouche, usant d'un rare accent de
vérité (cette chronique lui vaudra d'être poursuivi pour
« outrage au président de la République »,
avant d'être acquitté), avait dénoncé « la
duplicité d'un sérail politique qui se gonfle des retrouvailles
algéro-françaises d'un côté, et légitime d'un
autre son interminable monopole du pouvoir par le péril que constitue
«le parti de la France» ». Il ajoutait :
« La composition même de la délégation
française, qui compte, entre autres, un ministre harki [NDA :
Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'État aux Anciens combattants,
n'était pas harki mais officier d'active] et un juif de Constantine, se
veut l'expression d'une disponibilité à reconsidérer une
refondation réclamée par notre président avant
d'être contrariée sitôt les caméras rangées et
dès qu'il est revenu dans sa famille idéologique ». Et
Mustapha Hammouche de douter ouvertement de la réalité
d' « un saut qualitatif dans le rapport
bilatéral » de la part d'un gouvernement « qui vit
de l'épouvantail de la «main
étrangère» »1801(*).
Ainsi, la question de la "normalisation" des relations
diplomatiques entre la France et l'Algérie affleure celle, autrement
plus sensible - et tangible, de la réconciliation entre
« isolats mémoriels, [ces] mémoires
particulières en lutte les unes contre les autres qui sont souvent
celles des traumatisés »1802(*). « Il est vain, estime Guy
Pervillé, d'espérer une réconciliation entre
l'Algérie et la France sans une réconciliation à
l'intérieur des deux peuples »1803(*). À cet
égard, en France, plus encore que le débat entourant la
réminiscence tardive des faits de torture pendant la guerre
d'Algérie, c'est son orchestration médiatique qui est ici
significative. Lutte frontale entre deux mémoires particulières
(celle, collégiale, des intellectuels en guerre d'Algérie et
celle, institutionnelle, de l'armée1804(*)), cette réactualisation soudaine d'une
polémique déjà ancienne n'a fait qu'accroître,
à compter de l'été 2000, le sentiment d'émiettement
des requêtes mémorielles. Ainsi que le souligne fort justement
Paul Thibaud, si l'équation guerre "d'Algérie = torture" venait
à prévaloir dans l'opinion, c'est un autre moment essentiel pour
comprendre la guerre d'Algérie qui pourrait être
éludé, soit « l'échec des accords d'Évian
dans une conjonction d'événements sinistres : O.A.S.,
harkis, exode des pieds-noirs, mise en place par la force d'un pouvoir
algérien militaro-populiste »1805(*). Dès lors, la
prévalence médiatique de la geste protestataire, loin de
« désenclaver les mémoires
traumatisées », ne ferait que nourrir la frustration ou
l'acrimonie souterraines d'autres mémoires
particulières :
« Désenclaver les mémoires
traumatisées, réveiller la mémoire commune suppose qu'on
mesure l'échec d'Evian, moment où se concentrent, où
explosent tous les éléments du problème algérien.
(...) Or, l'une des causes de cette mauvaise fin fut la méconnaissance,
y compris de la part des négociateurs français, de la vraie
nature dictatoriale et antipluraliste du FLN. Ceci pour une part, parce que la
question de la torture avait été privilégiée et
hypostasiée. (...) Au lieu donc de nous associer à une sorte de
commémoration de nos luttes, essayons de dépasser ce qu'il y eut
d'aveuglement dans ce combat contre le pire » 1806(*).
Précisément, comment faire sourdre en France et
en Algérie ce qui, dans la ressouvenance du massacre des harkis, fait
écran lorsqu'il s'agit de se définir collectivement par rapport
à la guerre d'Algérie en général, à sa phase
finale en particulier ? Car, à l'inverse du débat sur la
torture, l'examen tant des attendus que des répercussions de cet
épisode sur les sociétés algérienne et
française semble ne pas pouvoir ou ne pas devoir avoir lieu : nul
espace de délibération politique où puissent
débattre de manière contradictoire les protagonistes du drame,
nul espace d'intelligibilité où puisse s'exprimer publiquement le
dissensus1807(*).
Ce qui fait écran, d'abord, en Algérie, c'est ce
repli sur soi en forme de table rase engagé par le FLN au moment de
l'exode forcé des Algériens de confession juive et catholique, et
dont le point d'orgue, en quelque sorte, fut le massacre des harkis à
l'été et à l'automne 1962. Or ce dernier épisode
n'en finit pas, selon Daniel Sibony, de servir de « loi
narcissique » à cette Algérie que l'on disait autrefois
« nouvelle » ou « post-coloniale »,
mais qui, de fait, n'a jamais cessé de vivre dans « une sorte
de panique identitaire qui s'exprime dans [une] violence
«élémentaire», [laquelle] questionne les
éléments constituants d'un collectif, et le ramène
à cette scène «primitive» où l'on sacrifie de
l'humain à la déesse primordiale »1808(*). Car si
« l'Algérie et la France n'ont pas cessé l'une et
l'autre de souffrir des conditions de leur séparation », c'est
bien la première, estime Guy Pervillé, qui a payé le plus
lourd tribut : « [durant trente ans], les dirigeants
algériens ont perpétué, sous prétexte de
commémorer le souvenir des héros et des martyrs, une culture de
guerre et de ressentiment envers la France », si bien que, depuis
1992, « l'Algérie est déchirée par une nouvelle
guerre civile entre deux camps qui prétendent également continuer
le combat des moudjahidine contre le «parti de la
France» »1809(*). Dès lors, s'interroge l'auteur,
« quelle est la responsabilité de la commémoration
obsessionnelle de la «guerre de libération» dans la
répétition d'un passé
sanglant ? »1810(*). (section 1)
Pour autant, souligne Guy Pervillé, la situation en
tous points symétrique qui prévaut en France - cette
amnésie « officiellement prônée depuis 1962 et
jusqu'il y a peu »1811(*) - n'est pas non plus, d'évidence, le
meilleur moyen de tourner la page. La non-réaction du président
de la République française, Jacques Chirac, aux propos de son
homologue algérien en juin 2000 - assimilant publiquement les anciens
harkis à des « collabos » lors de sa visite d'Etat
en France - est ainsi symptomatique des réticences françaises
à envisager ouvertement les conséquences humaines de la politique
de « dégagement » entreprise en Algérie sous
l'égide du général de Gaulle. (section 2)
1) L'Algérie des "gardiens de la
Révolution" ou la difficulté de s'inscrire dans une
démarche de pardon sans altérer les frontières de
l'identité
Quelles seraient, pour les autorités
algériennes, les implications pratiques d'une politique du pardon telle
que sériée dans le cadre de nos réflexions
liminaires ? Certes, le fait du massacre des harkis - de toutes les
façons inexpiable - n'est en lui-même pas susceptible d'être
réparé : il demeure et demeurera toujours un des
événements fondateurs de l'Algérie nouvelle. Cependant,
l'état du rapport des forces - sociales, politiques et institutionnelles
- qui y a présidé, ainsi que le type de justifications dont il
est entouré, sont eux réformables. C'est là la part
dévolue à la demande de pardon : non une réparation
des faits (l'agresseur, s'il peut se défaire de sa morgue, ne peut
ressusciter les morts), mais une réparation des termes de
l'échange. A cette aune, il ne s'agirait bien sûr pas, pour les
autorités algériennes, de déconsidérer le sens de
l'engagement du FLN, mais bien plutôt d'accepter d'en reconsidérer
- au sens le plus pragmatique du terme - l'histogenèse ; et
notamment de reconnaître que cet engagement a suscité, au sein
même d'une population dont le FLN revendiquait l'exclusivité de la
représentation, une adversité qui avait sa raison d'être,
méconnue en son temps puisque combattue non par des voies
démocratiques mais au prix d'une violence sans langage1812(*)
. Ce serait, en somme,
récuser cette propension récurrente des vainqueurs à
ajouter l'hégémonie à la victoire, à écrire
l'Histoire de leur seul point de vue et à leur seul profit moral. Guy
Pervillé :
« Même si l'histoire doit tenir un juste
compte de l'énorme inégalité de puissance et de richesse
entre les deux camps, et de leur exploitation systématique par les
autorités françaises, elle ne saurait pour autant exclure a
priori le rôle des méthodes de guerre et de gouvernement du
FLN-ALN tendant à multiplier les traîtres pour prouver la vertu
des patriotes. L'histoire de la Révolution algérienne doit
prendre en considération, comme l'a fait celle de la Révolution
française, l'existence de
l' « anti-révolution », de la résistance
du peuple aux abus de la révolution, qui ne se réduit pas
à une simple contre-révolution »1813(*).
Il s'agirait ainsi, pour les autorités
algériennes, de "déprivatiser" ou "d'externaliser" la figure de
l'ennemi intérieur, d'extraire la symbolique officiellement
attachée à la figure du harki du registre du "démonisme",
pour faire des anciens harkis et de leurs enfants des interlocuteurs. Et c'est
précisément dans cette capacité à "dépayser"
le regard que réside l'unité conceptuelle du pardon : faire
place à autre que soi et, par-là, faire place à un autre
soi. Ceci n'implique pas que les parties s'accordent soudainement sur la morale
de l'Histoire, mais qu'elles se fassent place les unes les autres et
s'accordent à explorer conjointement la complexité de leur
différend. Une telle démarche ne toucherait d'ailleurs pas
seulement à la qualité des relations entre la communauté
harkie et l'Algérie, mais encore à la qualité des
relations au sein même du corps social et politique algérien. De
fait, nous l'avons vu, le signifié attaché au massacre des
harkis, à savoir le primat d'un discours de l'enfermement et d'une
praxéologie de l'éradication, continue présentement de
régir les comportements de préservation et de conquête du
pouvoir dans ce pays : chacun des adversaires de la guerre civile actuelle
prétend en effet combattre des « harkis » indignes
d'avoir voix au chapitre, et que l'on peut donc tuer impunément. En ce
sens, l'examen sincère et partagé de la charge traumatique
héritée des violences de l'immédiat
après-indépendance pourrait plus largement contribuer à
objectiver les impasses liées au ressassé de la violence
fondatrice et à la "névrose" de la trahison.
Mais qu'en est-il, en l'état actuel des choses, en
Algérie ? Les conditions politiques du pardon - et d'une demande de
pardon - sont-elles réunies ? La réponse, d'évidence,
est non. Le récit hypostasié de la guerre de libération
nationale1814(*) et le
mythe selon lequel l'indépendance fut conquise au terme d'une victoire
militaire de l'Armée de Libération Nationale (ALN) sert,
aujourd'hui encore en Algérie, à justifier la mainmise de
l'Armée Nationale Populaire (ANP) sur l'appareil d'État. Car pour
violentes que fussent les rivalités internes au cénacle
algérien, les élites au pouvoir depuis 1962 ont ceci en commun
qu'elles entendent capitaliser à des fins politiques, et quoi qu'il en
coûte à l'avènement d'une société ouverte, la
légitimité que leur confère leur participation à la
guerre de libération nationale. Le récit mythifié des
origines tendant à faire accroire à l'unanimité des masses
derrière le FLN, aussi bien que la stigmatisation
générique de la figure du harki en tant que figure de
« l'ennemi intérieur », sont autant de
procédés dilatoires qui, postulant la monovalence des aspirations
du corps social algérien, permettent d'imputer les ferments de division
interne à d'autres que soi. Dès lors, accepter de demander pardon
aux harkis, n'est-ce pas, pour les autorités algériennes, risquer
d'altérer les frontières de l'identité post-coloniale et,
par-là même, risquer de faire vaciller le socle symbolique sur
lequel s'étayent les pratiques monolithiques du "système" depuis
l'indépendance ?
A cet égard, l'analyse des enjeux éthiques et
pratiques du pardon trouvent, dans le contexte de la "seconde guerre
d'Algérie", des prolongements inattendus et éclairants1815(*). Ainsi, en septembre 1999
(quelques mois avant sa venue en France), le président algérien
Abdelaziz Bouteflika, évoquant sa politique dite de « concorde
civile »1816(*), avait laissé entendre sur une radio
périphérique française (en l'occurrence « Beur
FM », dont l'audience est très majoritairement le fait de
populations issues de l'immigration maghrébine) que le vrai visage de
"l'ennemi intérieur", bien que dissimulé sous des masques
changeants, restait en définitive toujours le même :
« A l'indépendance, nous avons commis une
grave erreur, nous n'allons pas la refaire. Nous avons jugé par le
phénomène de la responsabilité collective. Ainsi, il y
avait un harki [et] nous avons jugé toute la famille comme ayant
été coupable de collaboration. Grave erreur que nous payons
maintenant, car dans les maquis, il y a des enfants de harkis ».
De même, dans une interview accordée à
« France Culture », le 12 septembre 1999 :
« La communauté nationale, ici et ailleurs,
se doit d'assumer ses enfants, tous ses enfants. Cette erreur, au demeurant
tragique, a été commise à l'indépendance de
l'Algérie. Elle ne sera pas commise avec moi. A l'indépendance,
nous avons traité le problème des harkis de façon
collective. Nous sommes en train de payer la facture. Une partie des maquis, ce
sont des enfants de harkis »1817(*).
On peut lire en filigrane des déclarations d'Abdelaziz
Bouteflika une esquisse de reconnaissance des massacres qui ont suivi
l'indépendance de l'Algérie, sans pour autant que les
responsabilités en soient clairement définies (Abdelaziz
Bouteflika se contentant de manier le "nous" de manière volontairement
elliptique). Cette reconnaissance implicite de la réalité des
massacres de l'après-indépendance, sinon des
responsabilités qui y sont liées, et de leur caractère
massif, valait-elle pardon ou prémisse de pardon à l'égard
des anciens harkis et de leurs familles ? Assurément, non. Car ce
que déplore ici le président de la République
algérienne, ce ne sont pas en soi les violences rétorsives
exercées à l'encontre des intéressés
(« Nous avons jugé », dit-il, comme s'il
était naturel que de tels "jugements" fussent prononcés), mais le
manque de "discernement" dans l'exercice desdites violences. Un mea
culpa "opérationnel" plutôt qu'une demande de pardon, en
somme. Car s'il paraît signifier qu'il était parfaitement
légitime de sanctionner les anciens supplétifs de l'armée
française (lors même que les sévices infligés aux
ancien harkis l'ont été en violation complète de la clause
de non-représailles contenue dans les accords d'Evian), Abdelaziz
Bouteflika suggère par contre qu'il eût été à
la fois possible et préférable de s'y prendre autrement pour
fléchir leurs proches parents et, ce faisant, véritablement
désarmer toute velléité de réinvestissement du
"modèle" paternel chez leur progéniture. Ainsi, d'une guerre
d'Algérie l'autre, la chaîne d'imputabilité reste identique
à elle-même : les enfants de harkis aujourd'hui, comme leurs
parents hier, sont de tous les mauvais coups portés à
l'Algérie (« dans les maquis, il y a des enfants de
harkis »). Le lien établi entre le passé et le
présent pointe ainsi moins la responsabilité propre du FLN/ALN et
de leurs héritiers directs dans "l'enracinement" d'une culture de la
violence en Algérie que celle, commode et récurrente, de la
figure du harki, bouc émissaire évident pour tous les maux qui
touchent l'Algérie nouvelle (voir la Partie 2). Cependant, contexte de
« concorde civile » oblige, l'assimilation des enfants de
harkis aux maquisards islamistes est opérée non sur un mode
uniment accusateur mais sur un mode partiellement auto-accusateur :
certes, les enfants de harkis, tout comme leurs pères, sont des
"monstres", mais c'est "nous" qui, par manque de vigilance ou de discernement,
les avons engendrés.
Dans un schéma en tous points identiques (et sous
couvert de jeter un regard lucide sur le passé), le
général "en retraite" Khaled Nezzar, ex-chef d'état-major
de l'ANP et ex-ministre de la Défense (l'un des personnages les plus
influents en Algérie), avait - au cours d'une conférence de
presse tenue en mars 2000 - estimé publiquement que « l'Etat
aurait dû amnistier les harkis juste après l'indépendance
pour éviter les problèmes d'aujourd'hui »1818(*). Par suite, les propos
tenus trois mois plus tard par Abdelaziz Bouteflika à l'occasion de sa
visite d'Etat en France, expliquant en direct à la
télévision - en réponse à une question sur les
entraves à la libre circulation des anciens harkis entre la France et
l'Algérie - que le moment n'était pas encore venu pour les
Algériens de « toucher la main d'un collabo »,
confirmeront avec éclat que le massacre des harkis n'était
présentement pas susceptible d'être évoqué autrement
que sur un mode purement instrumental en Algérie. Propos du reste
confirmés mot pour mot un mois plus tard, dans une interview au
Parisien, le président algérien revenant sur sa sortie
du mois précédent en ces termes : « Dois-je vous
dire que ma sympathie est telle pour les résistants de la France libre
et mon respect tel pour l'homme du 18 juin que je ne m'imagine pas serrant la
main aux collabos qui ont livré Jean Moulin »1819(*). Puis, quelques semaines
plus tard, dans une interview au Figaro Magazine : « Je
n'ai au fond de moi-même aucune aménité pour les collabos
de quelque pays que ce soit et pour quelque cause patriotique que ce soit. Je
crois avoir dit quelque part qu'il me rebuterait de serrer la main au
misérable qui a donné Jean Moulin. Comment voulez-vous, sans
offenser brutalement le peuple algérien dans sa dignité, que je
puisse serrer la main à celui qui a donné Larbi Ben
M'Hidi »1820(*).
Cette posture du président Bouteflika, se
présentant en gardien de la dignité du peuple algérien
dans un contexte où la démocratie est pourtant loin d'être
une valeur-étalon du jeu politique algérien, n'a pu manquer
d'interroger le journaliste indépendant et ancien responsable du bureau
du Moyen Orient de Reportes sans frontières, Djallal Malti :
« Le refus de permettre aux harkis de retourner dans leur pays natal
est présenté comme une volonté populaire. Comparant les
harkis aux «collabos» sous l'Occupation, Abdelaziz Bouteflika
soutient que «les conditions ne sont pas encore venues pour des visites de
harkis» en Algérie, car «l'opinion n'est pas mûre pour
ce genre d'opération». Mais les Algériens ont-ils jamais
été consultés, ou informés, sur la
question ? ». Et il ajoute : « La falsification
de l'histoire du pays sert de fondement idéologique au régime. En
s'abritant derrière son nationalisme ombrageux, il interdit à
quiconque, et en particulier à la France, de le questionner sur son
absence de légitimité démocratique »1821(*).
Par de telles fins de non-recevoir, pouvant aller
jusqu'à l'insulte publique (jusque et y compris sur le sol
français, donc), le président de la République
algérienne signifie aux anciens harkis qu'ils ne font pas - aujourd'hui
encore - de bons interlocuteurs. Et, ce, moins sans doute en raison des
qualités qui leur sont imputées
(« traîtres », « collabos »,
etc.) qu'en raison de la "levée des tabous" qu'une mise à plat du
différend risquerait d'entraîner. Car ce qui importe ici c'est
moins l'insulte par elle-même, ce qu'elle exprime dans sa
littéralité (qui n'est guère nouveau en Algérie),
que ce qu'elle vise à décourager et délégitimer
chez ceux qui en sont la cible, à savoir : l'expression d'une autre
parole et, plus encore, d'une parole accusatrice. Il n'est qu'à voir,
à cet égard, la levée de boucliers suscitée en
Algérie par l'annonce conjuguée à l'hiver puis à
l'été 2001, d'une part, de l'instauration d'une Journée
d'hommage national aux harkis et, d'autre part, des actions en justice pour
crimes contre l'humanité intentées contre X en France par
d'anciens harkis1822(*). L'ancien ministre de l'information du Gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA), Mohammed Yazid,
devait ainsi déclarer au quotidien El Moudjahid qu'aucun harki
n'avait été torturé en Algérie après la
conclusion des accords d'Évian. Il précisait qu'aucune directive
n'avait été donnée en ce sens par le FLN, sans toutefois
exclure qu'il y ait eu des règlements de compte d'ordre privé. Et
l'ancien ministre d'ajouter que si de nombreux harkis avaient été
emprisonnés par le FLN à cette époque, c'était
précisément pour leur éviter d'être
massacrés1823(*). Une façon de reconnaître les faits de
massacre mais sans se remettre en cause, donc. Tel est en effet l'enjeu pour
les autorités algériennes : dénier le
caractère systématique et planifié des violences
rétorsives infligées aux harkis aux lendemains de
l'indépendance. La mise en cause des "marsiens" - ces
"résistants" de la 25ème heure - et la "transmutation"
rétrospective des camps d'internement et de travaux forcés en
"refuges" sont les corollaires obligés d'un tel déni. Mais s'il
réfute l'implication du FLN en tant que tel dans l'élimination
des anciens harkis au lendemain de l'indépendance, Mohammed Yazid,
à l'instar de nombreux autres acteurs du champ politique algérien
(voir la Partie 2), n'hésite cependant pas à user de la
rhétorique de l'ennemi intérieur pour
décrédibiliser ses adversaires politiques. Il aurait ainsi
découvert, quarante ans après la fin de la guerre, que
« certains harkis se sont glissés dans les arcanes du pouvoir
et occupent aujourd'hui des postes importants [en
Algérie] »1824(*). Ces deux déclarations de Mohammed Yazid,
à une semaine d'intervalle, illustrent bien la dialectique de la
"disparition / surexposition" des anciens harkis en Algérie :
niés dans leur destinée collective (gênante à plus
d'un titre pour les autorités actuelles), mais plus que jamais "promus"
au rang de contre-étalons symboliques et/ou de bouc émissaires
évidents pour tous les maux qui touchent l'Algérie
contemporaine.
Du reste, après que le chef de l'Etat algérien
avait de nouveau clairement signifié, quelques
semaines seulement après sa visite d'Etat en France, cette absence de
volonté de dialogue (et de réexamen des responsabilités
attenantes au massacre des harkis)1825(*), les réactions engendrées en
Algérie par les déclarations de Jacques Chirac à
l'occasion de la première Journée d'hommage national aux
harkis1826(*), le 25
septembre 2001, témoignaient de ce que le statut dévolu à
la figure du harki dans l'imaginaire national algérien n'avait
guère évolué depuis 1962, et ne se prêtait de toute
façon guère à l'amorce d'un processus de pardon. Voici
d'ailleurs ce que furent, dans les jours qui suivirent, les titres et les
commentaires de la presse algérienne, tels que rapportés par le
journal Le Monde, du 28 septembre 2001 : le journal arabophone du
parti FLN, Saout Al Ahrar, s'emportait de ce que « la France
demande à l'Algérie de s'excuser auprès des
traîtres ! » ; le Quotidien d'Oran
s'étonnait de ce que « Chirac charge le FLN »,
estimant que le président de la République française avait
commis une « effronterie historique » qui lui permettait
d'être « dans l'air du temps, celui de l'Occident
civilisé face aux autres, les barbares ». « En
l'occurrence, ajoutait ce journal, le barbare serait le FLN ». Le
quotidien El Watan dénonçait pour sa part une
opération électoraliste « devant un parterre d'anciens
Français musulmans piteusement au garde-à-vous, supplétifs
de l'armée coloniale, désarmés et abandonnés par
elle dès la signature des accords d'Evian ». De même, le
quotidien La Tribune estimait que « Chirac avait cru bon de
capitaliser les voix [des harkis] ». Du reste, pour El
Watan, la question des harkis n'est pas une affaire
algérienne : ce sont des gens qui « ont choisi leur camp,
leurs ennemis, leur destin, et qui - dans un excès de zèle
lâche et barbare -ont commis des actions innommables contre la population
civile ». Ce journal ajoutait : « Quand ces "soldats
de pacotille" - l'expression est du général de Gaulle - ont
été abandonnés par leurs maîtres, il était
difficile de retenir les parents de ceux dont les fils et les filles ont
été par eux assassinés »1827(*). Déni des anciens
harkis, donc, déni de la responsabilité du FLN dans les massacres
de l'après-indépendance aussi, assimilés à des
« vendettas ». La tonalité de la presse n'est, sur
ce sujet, guère différente de celle des autorités.
Au même moment, du reste, un
communiqué diffusé par le Centre national des études
et recherches sur le mouvement national et la révolution de Novembre
1954 (C.N.E.R. 54)1828(*), une structure directement placée sous
l'égide du ministère des Moudjahidine, récusait
que le FLN eût été à l'origine des massacres de
l'après-indépendance, l'imputant aux « Marsiens,
c'est-à-dire à ceux qui se sont ralliés tardivement -
à l'annonce du cessez-le-feu - au combat pour la libération du
pays ». Et ce communiqué d'ajouter, dans une dernière
mise au point à bien des égards surprenante, que « le
nombre de victimes, délibérément gonflé à
500.000 par les sources françaises (sic), oscillerait en fait
entre 75.000 et 100.000 victimes »1829(*). Etonnante mise au point
qui, partant de chiffres éminemment fantaisistes (les "chiffres-slogans"
propagés par des acteurs associatifs en France n'ont jamais
été au-delà d'un "bilan" de 150.000 victimes ; voir
la Partie 1), en arrive à une estimation relativement
élevée qui, prise au sérieux, discréditerait
complètement - par son ampleur même - l'affirmation
précédente de la non-implication du FLN et de l'ALN dans ces
massacres.
Par suite, les autorités algériennes n'auront de
cesse de nier que les représailles de l'après-indépendance
ait pu être, de quelque manière, planifiées par - et
conduites sous l'égide du FLN. Ainsi, Rédha Malek, ancien
porte-parole de la délégation du FLN à Evian, reprenant
point par point l'argumentaire développé avant lui par Mohammed
Yazid (voir ci-dessus), estimait - lors d'une conférence-débat
organisée le 1er novembre 2004 à l'occasion du
cinquantenaire de la « Révolution » - que
« les harkis n'ont pas été tués par le
FLN » et que « le principe de non-représailles a
été scrupuleusement respecté ». « Les
Français, ajoutait-il, avancent le chiffre de 250.000 harkis
décimés (sic). Ce qui est faux. Il ne s'agissait que de
règlements de compte dans des villages ». Et de conclure,
à l'instar de Mohammed Yazid : « Les autorités
algériennes les ont même protégés en les mettant
à l'ombre après l'indépendance pour leur propre
sécurité »1830(*).
Plus récemment encore, dans une interview
accordée au Quotidien d'Oran en mars 2006, Ali Haroun, ancien
responsable de la Fédération de France du FLN et membre du CNRA,
affirmait que « le drame des harkis n'a pas été le fait
d'une politique délibérée de vengeance et de
règlements de compte ». Et il ajoutait :
« Jamais un ordre de vengeance n'a été donné par
le FLN. J'ai été membre du Conseil national de la
révolution algérienne. Je peux attester que rien de tel n'a
été décidé au sein des instances de la
révolution. (...) Je peux vous affirmer qu'au niveau du FLN, il n'y a
jamais eu d'ordre ou d'instruction appelant à en découdre avec
les harkis. Si cette décision existe, qu'on me la
montre ! ». Reprenant à son compte une ligne
argumentative chère à certains historiens français (voir
la Partie 1), Ali Haroun affirme du reste que le FLN - en proie à de
violentes luttes de faction pendant l'été 1962 -n'existait plus
en tant que tel au moment de l'accession à l'indépendance de
l'Algérie : « Il n'y a plus de FLN à ce
moment-là. Le mouvement a explosé le 6 juin 1962 au soir de la
session inachevée du CNRA Tripoli. Pendant la période
incriminée, il n'y a plus de direction du FLN capable de donner des
ordres applicables sur l'ensemble du territoire national et même dans ses
représentations à l'étranger. Dès lors, toute une
série d'initiatives et d'attitudes sont prises à l'échelon
de base ou individuel. Il est regrettable que l'on amalgame entre le FLN du
temps de la guerre et ce qu'il en reste au plus fort de la période
trouble ». Conclusion d'Ali Haroun, en tous points identiques
à celles de ses anciens condisciples : « Les plus
extrémistes, ceux qui ont commis le plus de mal à l'égard
des harkis, ce sont les résistants de la 25ème heure.
Ceux qu'on appelle les «Marsiens» »1831(*). Nous ne reviendrons pas
en détail sur les commentaires qu'appellent les propos d'Ali Haroun
(voir les réponses apportées à ce type d'argumentaire dans
la Partie 1). Quelques remarques simplement : (1) l'idée qu'il
n'existait, au cours de l'été 1962, aucun échelon de
commandement intermédiaire entre la direction centrale du FLN et
« l'échelon de base ou individuel » est
démenti par le fait même des luttes de factions ; (2) ces
luttes de factions n'ont pas détourné les wilayas de l'optique
d'une épuration mais, au contraire, ont entraîné une course
à la surenchère de ce point de vue ; (3) Ali Haroun fait
totalement l'impasse sur la deuxième grande vague de massacres
(octobre-novembre 1962), perpétrée par l'ANP plusieurs semaines
après qu'un gouvernement eût été
constitué autour d'Ahmed Ben Bella et de l'état-major de
l'armée des frontières (placée sous le commandement de
Houari Boumediene), de même qu'il fait l'impasse sur l'existence de
plusieurs dizaines de camps d'internement, de torture et de travaux
forcés répartis sur l'ensemble du territoire algérien.
Cependant, ce qui importe ici, ce sont les implications
évidentes d'un tel déni : le FLN n'ayant rien à se
reprocher quant aux massacres de l'après-indépendance, et ceux-ci
ne pouvant dès lors constituer une violation caractérisée
de la clause de non-représailles contenue dans les accords d'Evian, les
autorités algériennes n'entendent naturellement pas demander
pardon. Du reste, ces mêmes autorités, n'ont de cesse de
flétrir ouvertement les anciens harkis, signifiant clairement qu'il
appartient à ces derniers - et à ces derniers seuls - d'assumer
le poids de la dette ; et signifiant implicitement que si la question du
pardon devait se poser un jour, elle se poserait en termes de pardon
"octroyé", non de pardon "demandé". Le fait du prince, donc,
telle cette politique d'artifice qui, feignant d'avoir tiré leçon
du passé pour surmonter la crise actuelle, ne fait que perpétuer
- d'une génération l'autre - une même logique de
désignation de l'ennemi intérieur (et de fuite des
responsabilités). Ali Haroun :
« On devrait dépassionner le débat.
Le problème se pose moins pour les harkis - le plus jeune doit avoir 70
ans - que pour leurs enfants. A mes yeux, il faut reconsidérer autrement
le débat pour deux raisons au moins. La première : on n'est
jamais responsable des faits et gestes de ses parents. Deuxième
raison : aujourd'hui, les enfants de harkis se sentent
rejetés. Ils sont assis entre deux chaises, n'ont plus de
référents et sont, hélas !, une proie
facile pour l'intégrisme »1832(*).
Ce schéma dilatoire visant à assimiler les
islamistes armés à des enfants de harkis (comme s'il ne pouvait y
avoir de dissensions internes entre "vrais" Algériens) est en cours,
nous l'avons dit, depuis le début de la deuxième guerre
d'Algérie, et revient généralement en force à
l'approche des échéances électorales. Il avait ainsi connu
un regain spectaculaire au moment de la campagne référendaire
visant à ratifier le projet de « Charte sur la paix et la
réconciliation nationale ». A plusieurs reprises au cours de
sa tournée pré-référendaire, à
l'été 2005, le président Bouteflika avait joué de
cette dialectique entre une posture de la "magnanimité" se voulant en
rupture avec les temps fondateurs, et une logique de l'incrimination qui
s'inscrivait dans leur continuité - dans leur pleine "filiation",
devrait-on dire. Ainsi, le 8 septembre 2005, à Oran :
« Nous avons commis des erreurs à l'encontre
des familles et des proches des harkis et n'avons pas fait preuve de sagesse.
Nous avons suscité en eux un sentiment de haine et de rancoeur,
portant ainsi un préjudice au pays ».
Préjudice moral ? Certes non : « Une grande
partie de la crise qu'a connue le pays est due à cette très grave
erreur »1833(*).
Des propos en tous points identiques à ceux tenus par
ce même Abdelaziz Bouteflika, six ans plus tôt, à l'occasion
de la campagne référendaire de la « Loi de concorde
civile » (voir plus haut). Puis, dans la foulée de son
intervention à Oran, répondant à une question d'un
lycéen, le 10 septembre 2005 à Blida :
« L'Etat n'a pas traité de manière
convenable la situation des harkis. Quel est le tort des enfants de harkis
aujourd'hui ? Ils peuvent venir en Algérie et repartir
librement ! Ils sont les bienvenus à condition qu'ils ne
créent pas la zizanie », ajoutant par ailleurs que la
question des harkis proprement dits avait été
« définitivement tranchée »1834(*).
Des propos d'Ali Haroun et du président Bouteflika, il
ressort cette même ambiguïté calculée entre
volonté de rupture avec le passé (« L'erreur serait de
tenir rancoeur aux enfants de harkis »1835(*)) et éternel
ressassé des antiennes fondatrices (« On devrait agir avec
plus d'objectivité pour retirer cette écharde qui constitue un
véritable piège »1836(*)). Avec deux constantes : l'une, allusive ou
implicite, consistant à assimiler les islamistes armés
visés par le projet de « Charte sur la paix et la
réconciliation nationale » (et, avant cela, par la
« Loi de concorde civile ») à des enfants de harkis,
et donc à expliquer les impasses de l'Algérie post-coloniale non
par les effets différés de la visée
hégémonique et de la culture de guerre véhiculées
par le FLN et ses héritiers, mais par la perpétuation d'une seule
et même causalité maléfique, à savoir :
l'existence d'une "cinquième colonne" uniment attachée, d'une
génération l'autre, à la destruction de
l'Algérie ; l'autre, très explicite, consistant à
pourfendre sans faiblir la figure du harki, à la maintenir - aujourd'hui
comme hier - délibérément et fermement à distance
pour éviter d'attenter de quelque manière à la geste
officielle de la guerre d'Algérie, la légitimation du
système ne tenant - en dernière instance - qu'à la
perpétuation à l'identique du roman national. Du reste, cinq
jours seulement après qu'Abdelaziz Bouteflika avait
déclaré (à Oran) regretter les
« erreurs » commises à l'indépendance
à l'encontre des familles de harkis tout en alléguant
qu' « une bonne partie de la crise actuelle [était] due
à ces erreurs », Saïd Barkat, ministre de l'agriculture,
s'emploiera dans cette même ville d'Oran (et sous les ovations nourries
du public, note la journaliste du Monde) à lever les
ambiguïtés attenantes à ce discours de
l'entre-deux :
« La majorité du peuple algérien est
contre la venue des harkis en Algérie car ce sont des traîtres
à leur pays et à leur nation. Quant à leurs enfants, ils
seront les bienvenus à condition qu'ils reconnaissent de facto les
crimes de leurs parents », ajoutant qu'à ses yeux les
harkis étaient « des vendus et de vieux gradés de la
honte »1837(*).
Des propos en droite ligne de ceux tenus par Abdelaziz
Bouteflika lors de sa visite d'Etat en France, en juin 2000, et qui confirment
qu'en Algérie ne sont présentement réunies ni les
conditions de réciprocité (quant à la
reconnaissance des anciens harkis comme interlocuteurs) ni les conditions
d'imputabilité (quant à la reconnaissance des
responsabilités attenantes au massacre des harkis) nécessaires au
cheminement et à la mise en branle d'une politique du pardon, bien au
contraire puisque le poids de la dette est entièrement rejeté sur
les épaules des ex-supplétifs de l'armée française,
le FLN n'étant coupable - à la différence de ces derniers
- d'aucun crime. Enfin, les enfants de harkis - s'ils entendent regagner et
être "acceptés" en Algérie - n'ont d'autre choix que de
« prétendre devenir des Algériens à part
entière »1838(*), c'est-à-dire de
« reconnaître les crimes de leurs
parents »1839(*).
2) La France dans l'ombre d'un grand
Français, ou la difficulté de faire sourdre un passé
occulté sans mettre en cause la réputation consensuelle du
général de Gaulle
En France, l'idée d'une reconnaissance officielle de la
responsabilité de l'État français dans l'abandon au
massacre des harkis
- l'une des principales
revendications portées par le monde associatif - se heurte à
l'intangibilité d'une imagerie d'État rétive, par sa
nature même, à toute forme d'examen de conscience. Certes, cette
revendication se fonde sur un précédent : la reconnaissance
par Jacques Chirac de la responsabilité propre de l'appareil
d'État français dans la politique de persécution et dans
la déportation des Juifs sur et à partir du territoire national
entre 1940 et 1944. Cependant, pour ce qui a trait à la phase finale de
la guerre d'Algérie, une telle revendication mettrait en jeu la
réputation désormais consensuelle du général de
Gaulle, et n'est sans doute pas susceptible - pour cette raison - d'être
satisfaite à court ou moyen terme. Une difficulté - la
difficulté d'ébranler la "statue" du général de
Gaulle - dont Jean-Claude, secrétaire
de l'association des harkis et de leurs enfants à Largentière, a
pleinement conscience :
« (...) Le fond, je pense, c'est
que les gens... si tu reconnais ouvertement qu'il y a eu quelque chose à
ce moment là, les harkis, c'est que... il s'est passé quelque
chose, il y a quelque chose dans la marmite : ils vont vouloir voir ce qui
s'y passe, et y'a pas toujours de belles choses... on est les premiers pour
savoir ce qu'il s'est passé. Et s'il y a quelque chose, il va falloir
désigner des responsables. Et comme... le premier en... pour ne pas le
nommer [rires], le plus haut placé, c'est de Gaulle, donc... si tu veux,
ça entraîne beaucoup trop de choses à l'heure actuelle. Ce
qui risque de se passer, à mon avis, c'est que... quand on aura
dépassé... disons, que tous les responsables qui étaient
à ce moment là, et qui auront disparu, on pourra,
peut-être, entrebâiller. Entrebâiller. Parce que je pense que
le mythe de Gaulle, eh ! bien, pour le remettre en cause, ça va
être un peu dur, hein ».
De fait, la politique de "sortie de crise" finalement
privilégiée en la circonstance a presque toujours
été présentée et louée - y compris par les
adversaires politiques du général de Gaulle - pour son
"pragmatisme". Parce qu'autorisant la France politique à sortir du
« bourbier » algérien tout en semblant
simultanément satisfaire au principe du droit à
l'autodétermination des peuples, les accords d'Evian ont
été présentés comme le témoignage et la
condition de la « grandeur » retrouvée par les
"gardiens" de la mémoire gaullienne et l'historiographie
officielle1840(*),
mais encore comme un « immense soulagement » par ceux qui
se situent dans le sillage des "opposants" à la guerre
d'Algérie1841(*). Or, l'explication globalisante selon laquelle le
général de Gaulle aurait réinscrit la France dans le "sens
de l'Histoire" et préservé ses intérêts
"vitaux"1842(*) en
parachevant le processus de décolonisation en général, en
dénouant le drame algérien en particulier, n'est recevable comme
telle que si elle s'abstrait des conséquences humaines imputables aux
modalités pratiques d'exercice de cette politique. Le
désengagement brutal de la France de toute opération de maintien
de l'ordre en Algérie - à peine plus de trois mois
après la conclusion du cessez-le-feu - témoigne de ce que la
prévention des heurts diplomatiques avec l'Algérie
prévalait clairement sur la prévention des atteintes aux
personnes. Les déclarations du général de Gaulle lors du
Conseil des ministres du 4 mai 19621843(*), mais encore - entre autres - la note du 24
août 1962 du commandant supérieur des forces Françaises en
Algérie à l'adresse du commandant supérieur de la base
logistique de Mers-el-Kébir1844(*), déjà cités dans la Partie 1,
en sont de clairs témoignages. L'exaltation du "pragmatisme" gaullien
(i.e. de la capacité du chef de l'Etat à dénouer
politiquement le drame algérien), mais encore la
célébration de la "paix" retrouvée, reposent ainsi sur
l'occultation du lourd tribut payé par les musulmans pro-français
et de nombreux Européens d'Algérie à la
réorientation de la politique de grandeur de la France. Donc sur une
grille de lecture strictement "westphalienne" des tenants et aboutissants du
conflit algérien.
A l'inverse, poser la question du pardon impliquerait de
rendre compte de la trame de la "disparition" des harkis, donc de faire retour
sur les arbitrages éthiques ayant présidé à la
politique de « dégagement » telle que visée
et entreprise par le chef de l'Etat et ses ministres. Ces arbitrages, quels
furent-ils ? La politique de « dégagement »
commandait de découpler les dispositions touchant aux
intérêts "stratégiques" de la France (bases militaires,
centres d'expérimentation, gisements pétrolifères, etc.)
de celles relatives à la sécurité des personnes
(pieds-noirs et musulmans pro-français), de loin les plus lourdes
à mettre en oeuvre. Car celles-là seules, qui - par leur nature -
dépassaient le cadre proprement algérien, servaient semble-t-il
la réorientation de la politique extérieure de la France. De
fait, dans un monde bipolaire où les possessions impériales
n'avaient plus guère valeur d'attributs de grandeur et de puissance dans
le concert des nations, de Gaulle, qui s'apprêtait à retirer la
France de l'intégration militaire (ou processus de planification de
défense) au sein de l'OTAN, s'était persuadé que la
recherche de tierces alliances - donc de meilleures relations avec le bloc des
« non-alignés » - était nécessaire au
maintien du rang de la France dans le monde. Dans cette optique, le maintien -
même momentané - de relations étroites avec les
Français d'Algérie et les musulmans non-inféodés au
FLN (notamment pour s'assurer du respect de la clause de
non-représailles contenue dans les accords d'Evian), était
conçue par le chef de l'Etat comme une forme d'ingérence
inopportune, car préjudiciable à ses desseins diplomatiques. La
politique de « dégagement » impliquait, par
conséquent, que la France se désengageât de l'application
des dispositions relatives à la sécurité des personnes -
les "opérations de police" étant la composante même du
« bourbier » algérien - et s'en remette, en
l'espèce, au bon vouloir du futur État algérien. Aussi,
pour solennelles et rassurantes que furent les exégèses
officielles au moment de la conclusion des accords d'Evian, jamais
l'armée française - qui stationna pourtant en Algérie
jusqu'en juin 1964 - ne reçut l'ordre d'intervenir pour secourir ceux
qu'elle avait irrémédiablement "compromis". Pas davantage, elle
ne reçut l'ordre d'intervenir pour secourir les milliers de pieds-noirs
enlevés après l'indépendance et qui, à l'instar des
harkis, connurent un sort effroyable. « Les intérêts
stratégiques de la France, écrit Guy Pervillé, furent de
loin les mieux respectés (...). Les dernières troupes de
l'armée de terre furent évacuées en juin 1964 et toutes
les bases concédées [par l'Algérie] furent rendues avant
terme, au moment où le gouvernement français avait cessé
de les juger indispensables (les sites sahariens en 1967, Mers-el-Kébir
en 1968, Bou Sfer en 1970) ». Cependant, ajoute-t-il,
« l'honneur [de la France] a, dans le même temps, souffert de
l'abandon de trop de ses ressortissants et de ses partisans à des
vengeances prévisibles. Les intérêts des Français
d'Algérie ont été sacrifiés à ceux
(énergétiques et stratégiques) de la
métropole »1845(*). De fait, en dépit d'« actes
contraires aux garanties d'Évian [sur la sécurité des
personnes] et incompatibles avec une coopération sereine », et
en dépit de « la révision permanente [des accords
d'Evian] qu'exigeait l'Algérie », « De Gaulle
presque seul imposa la poursuite d'une coopération qu'il voulait
exemplaire [avec l'Algérie indépendante] afin de
rétablir le prestige français dans le monde arabe et le Tiers
Monde »1846(*). Guy Pervillé ajoutant :
« Les intérêts essentiels de la France ne se
confondaient plus avec ceux de ses ressortissants »1847(*). À cet
égard, certaines déclarations du général de Gaulle
en Conseil des ministres - outre celle du 4 mai 1962,
précédemment mentionnée - sont des plus
significatives1848(*).
Pour Alain-Gérard Slama, « le fondateur de la
Vème République a négocié à la
hâte, sans égard pour le coût humain de son
impatience »1849(*). De même, pour la sociologue Dominique
Schnapper, qui fut directrice de thèse de Mohand Hamoumou,
« ce que nous apprennent les travaux des historiens, c'est que le
chef de l'Etat ne s'embarrassait pas de considérations morales. (...)
Désormais, la France, débarrassée de la dernière
guerre coloniale, était libre de se consacrer à la grande
politique mondiale »1850(*). Partant d'une même analyse mais aboutissant
à des conclusions différentes, Paul-Marie Coûteaux, ancien
gaulliste "de gauche"1851(*), actuel député européen
élu sous l'étiquette du Mouvement Pour la France (MPF),
président d'honneur du Rassemblement pour l'Indépendance et la
Souveraineté de la France (RIF) et auteur de Génie de la
France, de Gaulle philosophe (Paris, J.-C. Lattès, 2002), estime
pour sa part que « derrière la question de De Gaulle, se pose
celle de la France. Pour ou contre de Gaulle, c'est pour ou contre la France ou
plus exactement la grandeur de la France, ce qui à mes yeux revient au
même. (...) De Gaulle est le symbole de ce qui est fort et volontaire
dans une période qui doute. Il incarne l'Histoire et ses risques dans un
temps qui n'aime ni les risques ni l'Histoire. Toute la question est là.
Est-ce qu'on accepte la France comme un objet de noblesse avec la
volonté opiniâtre de faire l'Histoire en assumant ses risques,
comme l'affaire des harkis ? Ou fait-on passer la France en jugement
permanent en ne retenant que ses fautes ? (...) De Gaulle a
consacré sa vie à une logique qui est celle de la politique.
Cette logique ne va pas sans grandeur, ni sans risque. La vie aussi
tue ! ». Et il ajoute : « Il est vrai que de
Gaulle n'avait pas pour les Arabes en général une passion
débordante ; il était comme Jeanne d'Arc qui aimait les
Anglais, à condition qu'ils restent chez eux... »1852(*).
A bien des égards, le cas d'espèce de la
destinée faite aux anciens harkis s'offre comme un "cas limite",
illustratif des impasses fondamentales auxquelles peut se heurter la poursuite
d'une politique de grandeur qui, conçue de manière
essentiellement "holistique", abstrairait le rayonnement du "tout" de la somme
des bien-être - de la réduction des malheurs - individuels.
« L'affaire des harkis » a-t-elle vraiment
été « assumée », comme le
suggère Paul-Marie Coûteaux ? Ces arbitrages, cette certaine
idée de la France et des fondements de la "raison
d'Etat"1853(*), les
responsables politiques sont-ils aujourd'hui prêts à en
débattre ouvertement, et à en explorer les failles ? Une
parole ou une politique du pardon à l'adresse des anciens
supplétifs, au nom de l'Etat français, sont-ils
envisageables ? Autrement dit, la revendication portée par la
quasi-totalité des associations de harkis et collectifs d'envergure
nationale, à savoir : la reconnaissance par l'Etat français
de sa responsabilité propre dans l'abandon au massacre des anciens
supplétifs de l'armée française (sur le modèle des
propos prononcés par Jacques Chirac le 16 juillet 1995, à
l'occasion du 53ème anniversaire de la rafle du
Vélodrome d'Hiver1854(*)), est-elle susceptible d'être satisfaite
à court ou moyen terme ? Il reste en fait nombre
d'hypothèques à lever dans cette perspective. Certes, des
entailles à la "carapace" confortable du "discours de la méthode"
gaullien ont pu être portées ici et là, mais sans
volonté véritable de créer un effet de rupture .
Ainsi en va-t-il de Jacques Chirac qui, à l'occasion de la
première Journée d'hommage national aux harkis, le 25 septembre
2001, reconnaissait que « la France n'a[vait] pas su protéger
ses enfants », mais sans aller au-delà dans l'explication de
texte, et sans davantage y revenir les années suivantes, Jacques Chirac
se faisant désormais représenter par son Premier ministre (ou son
ministre de la Défense) en cette circonstance. Pour sa part, Hamlaoui
Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et ancien officier
de l'armée d'active pendant la guerre d'Algérie, a certes
prononcé des paroles plus nettes que celles du président de la
République, mais sans que celles-ci soient susceptibles de rencontrer un
écho et d'être revêtues d'une portée symbolique
comparables :
« L'armée française comme le FLN ne
leur ont pas dit la vérité. A partir du 19 mars 1962, à
chaque fois que les unités françaises se retiraient, il y avait
des exactions. C'était une période curieuse, où le plus
grand désordre régnait. J'ai moi-même pris l'avion et je
suis rentré car je n'avais plus d'ordre ». Et il ajoute :
« La France n'a pas tout entrepris pour protéger ceux qui
l'avaient servie. Nous n'avons pas fait notre devoir jusqu'au bout. Je ne sais
pas si aujourd'hui nous pouvons les regarder en face : c'était une
responsabilité collective. Il existait à l'époque une
sorte de naïveté étatique qui consistait à
croire que les accords d'Evian seraient respectés. Or, le FLN n'a pas
tenu parole. Et la France, elle, n'a pas suffisamment exigé le respect
de ce traité alors qu'elle en avait les moyens »1855(*).
Des paroles fortes mais qui, jouant sur le registre de la
« naïveté étatique » (à cette
aune, les autorités auraient été prises de cours par le
déchaînement des violences), se gardent d'envisager - et moins
encore de reconnaître - que cette politique dite de
« dégagement » fût le fruit d'arbitrages
délibérés (voir la Partie 1) visant, au nom d'une certaine
conception de la raison d'Etat (et en toute connaissance de cause quant aux
conséquences induites), à précipiter le transfert de
souveraineté et, ce faisant, à privilégier l'exercice des
garanties afférentes au maintien de certains attributs de puissance
(sites d'expérimentation nucléaire, gisements
pétrolifères, bases d'expérimentation d'armements
chimiques, bases navales, etc.) sur l'exercice des garanties afférentes
à la sécurité des personnes, entièrement
abandonné au bon vouloir des nouvelles autorités
algériennes.
Du reste, ces quelques ouvertures ponctuelles,
éminemment liées aux circonstances (dans le cas de Jacques
Chirac) ou à l'itinéraire personnel des intéressés
(dans le cas d'Hamlaoui Mekachera), ne sont pas grand-chose au regard du poids
de la geste gaullienne (et de ses silences consacrés), ce dont
témoigne la ferme résistance opposée au cheminement de
« l'esprit de pardon » par l'ancien ministre des
Armées du général de Gaulle, Pierre Messmer, dernier
protagoniste vivant du gouvernement alors en place, dont le rôle fut
prééminent dans le sort fait aux anciens supplétifs (voir
la Partie 1), mais encore de l'amiral Philippe de Gaulle, le propre fils du
général.
Ce dernier, dans une interview parue en 2004 dans le Midi
libre à l'occasion de la sortie du deuxième tome de ses
mémoires1856(*)
s'était élevé contre ceux qui accusent son père
« d'avoir abandonné les Français
d'Algérie », ajoutant : « Et puis tout le monde
ne voulait pas partir, comme ces cent mille harkis qui ont rejoint
l'armée algérienne »1857(*). Sans que l'on sache
très bien s'il contestait par là le fait même du massacre
ou s'il en imputait la responsabilité au manque de discernement des
intéressés, qui se seraient en quelque sorte "jetés dans
la gueule du loup".
De même (quoique usant d'autres arguments que celui du
ralliement en masse à l'ALN), l'ancien ministre des Armées,
Pierre Messmer, laisse rétrospectivement entendre que
« beaucoup de harkis ont refusé de venir en
France ». Il ajoute qu' « en restant en
Algérie, ils percevaient une forte prime de
démobilisation » dont ils prétendaient
« profiter » pour « construire des fermes ou
agrandir leurs exploitations ». Ne touchant mot de
l'exégèse des accords d'Evian faite sur le moment par les
autorités françaises (exégèse gonflée
d'optimisme), ni des efforts déployés par ces mêmes
autorités pour inciter leurs anciens serviteurs d'armes musulmans
à préférer la solution du recasement plutôt que
celle du transfèrement vers la France (la proposition d'engagement dans
l'armée française étant par surcroît
réservée aux seuls célibataires), Pierre Messmer
ajoute : « Nous ne les avons pas laissés tomber.
C'est eux qui, trompés par les promesses de mansuétude du
FLN, ont choisi de se faire démobiliser. Très peu d'entre
eux ont accepté la proposition d'engagement dans l'armée que nous
leur avons faite. La raison est qu'ils n'avaient pas envie de s'éloigner
de leurs villages ». Ce disant, Pierre Messmer en vient naturellement
à établir « une hiérarchie dans les
responsabilités » qui, par extraordinaire, pointe la
naïveté des victimes elles-mêmes avant que d'incriminer la
politique de « dégagement » entreprise par son
gouvernement : « Le principal responsable, c'est le FLN, qui a
trompé les harkis et les a massacrés ; ensuite, ce sont les
harkis eux-mêmes qui se sont laissés tromper ; en troisième
lieu, ce sont ceux qui n'ont pas été les délivrer pour ne
pas mettre en danger le cessez-le-feu [entendre le gouvernement
français] »1858(*). Une analyse qui, on l'a vu, est peu ou prou celle
de l'historien Charles-Robert Ageron.
Pierre Messmer explique qu'« un accord avait
été négocié et [qu']il était naturel de
penser qu'il serait respecté ». Et il ajoute :
« La bonne foi des signataires français a été
totale »1859(*). Il précise en outre qu'« à
cette époque, les chefs du FLN usaient de tact et de souplesse,
affirmant aux supplétifs qu'il n'y aurait aucune représailles
à leur encontre après la guerre » et que
« lorsque, quelques semaines plus tard, [le FLN] a jeté le
masque, le repliement des harkis a tout de suite été mis en
place »1860(*). En somme, l'ancien ministre des armées,
usant du registre de la bonne foi abusée, explique que les
autorités françaises ont été prises de cours, rien
selon lui ne pouvant laisser supposer a priori que le FLN trahirait les
engagements pris à Evian. En supposant même que cette
déclaration fût sincère, on s'étonne de ce que
Pierre Messmer, plutôt que d'en tirer rétrospectivement des
leçons sur la manière dont ont été conduites les
négociations par les autorités, stigmatise l'attitude des
« harkis eux-mêmes qui se sont laissés
tromper ». Cette explication, qui s'autorise elle aussi d'une
certaine naïveté, a d'ailleurs tout d'une construction
rétrospective puisque, nous l'avons vu dans la Partie 1, les
négociateurs d'Evian et leurs conseillers étaient parfaitement
avertis de la duplicité du FLN. Du reste, sans souci apparent de la
contradiction, Pierre Messmer déclare dans la foulée que
« la question ne se posait pas en termes de confiance, car je n'en
avais strictement aucune à l'égard du FLN »1861(*). Dans ces conditions,
comment Pierre Messmer pouvait-il penser qu'il était
« naturel » que les accords d'Évian fussent
respectés s'il n'avait aucune confiance dans ses interlocuteurs ?
Par surcroît, comment pouvait-il, sur ces bases, inciter ses anciens
serviteurs d'armes à regagner leurs foyers ? Des confidences en
parfait décalage avec le ton des tracts distribués par
l'armée française à ses supplétifs au moment de
leur démobilisation (« Harkis ! À l'heure de la
paix, le blé vaut plus cher que les cartouches », etc. ;
voir la Partie 1).
Par ailleurs, comment expliquer que les forces militaires
encore stationnées en Algérie après l'indépendance
ne soient pas intervenues pour secourir les harkis effectivement
persécutés par le FLN, en violation ouverte des clauses de
non-représailles contenues dans les accords de cessez-le-feu ?
L'explication rétrospective donnée par Pierre Messmer a le
mérite de la franchise : « Toute la question était
de savoir si nous allions réoccuper des villages pour sauver quelques
familles de harkis, au risque de relancer la guerre. Le général
de Gaulle a tranché : il n'en était pas question ». Il
ajoute : « Il s'agissait de savoir si nous voulions finir une
guerre de décolonisation, ou si nous voulions la continuer. Il est vrai
que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles. Cet
épisode m'a plongé dans une grande tristesse mais, lorsqu'on
gouverne, il faut choisir »1862(*).
Ces derniers propos apportent une lumière
décisive sur ce que fut - officieusement - la stratégie
gouvernementale à l'égard des anciens supplétifs et de
leurs familles : 1) dans l'interview donnée au Monde,
Pierre Messmer affirme à la fois qu' « il était
naturel [pour le gouvernement] de penser que cet accord serait
respecté » (registre de la bonne foi abusée), puis -
sans souci apparent de la contradiction - qu'il était clair dans son
esprit « que la négociation pouvait avoir des
conséquences terribles » (ce qui fragilise a
contrario le scénario d'un gouvernement dépassé par
les événements) ; 2) il confirme en outre que la
décision de ne pas secourir les harkis effectivement
persécutés après l'accession à
l'indépendance de l'Algérie procédait bien d'un
« choix », pris au plus haut niveau, et non d'un
défaut d'information ou d'une foi aveugle en l'avenir.
Le point clef, ici, c'est ce choix de « ne pas
relancer les hostilités » tout en sachant que cela
« pouvait avoir des conséquences terribles ». Le
parti pris est clairement exposé - mais seulement
rétrospectivement - par l'ancien ministre des Armées : la
"paix des officines" plutôt que la paix civile. Autrement dit, le choix a
consisté à sacrifier les conditions d'un retour effectif à
la paix civile (en abandonnant les conditions initialement définies - de
1958 à 1960 - par le général de Gaulle
lui-même1863(*))
pour hâter les conditions d'une normalisation diplomatique. Pas de
période de transition, donc, mais une politique de
« dégagement » (dixit de Gaulle) dont les
responsables étaient parfaitement à même d'anticiper les
conséquences1864(*). Un « choix » clair et
délibéré (« lorsqu'on gouverne, il faut
choisir » ) que ne saurait occulter le scénario de la
bonne foi abusée (« Un accord avait été
négocié, et il était naturel de penser qu'il serait
respecté »).
Des propos qui amènent à s'interroger sur les
fondements de la raison d'État qui ont prévalu à cette
occasion. De fait, ce « choix » de fermer les yeux sur le
massacre de dizaines de milliers d'anciens harkis et membres de leurs familles
- « quelques familles de harkis », dit Pierre Messmer -
plutôt que d'intervenir pour les secourir au risque de
« relancer la guerre » illustre de manière
dramatique ce que recouvre traditionnellement la notion de "raison
d'État". Une notion tout entière contenue dans celle de "real
politik" mais dont on ne peut dire - sans s'interroger au cas par cas -
qu'elle est une politique "réaliste", et moins encore une politique de
raison. Les explications de l'ancien ministre des Armées du
général de Gaulle éclairent également d'un jour
nouveau les polémiques rétrospectives autour de la notion
d' « abandon », fréquemment utilisée
(mais aussi contestée, par Charles-Robert Ageron notamment ; voir
supra) pour qualifier la politique gouvernementale à
l'égard des anciens harkis. Elles vont en tout cas dans le sens d'une
intentionnalité (Pierre Messmer marque de façon insistante les
« choix » qui furent ceux du gouvernement) qui étaye
plutôt qu'elle ne fragilise l'emploi de cette notion.
Cependant, l'ancien ministre des Armées, s'il
reconnaît a posteriori que les conséquences de la
politique de "sortie de crise" prônée en la circonstance par
l'exécutif français « ne furent pas toujours
honorables », ne remet pas pour autant en cause la conception de la
"raison d'Etat" qui avait servi de fondement à cette politique. Dans son
discours de réception à l'Académie française, le 10
février 2000, il assumait ainsi ouvertement la nécessité
d'abstraire les conceptions holistiques du « bien et [du] repos de la
patrie » des « conséquences douloureuses et pas
toujours honorables » qui découlent sur le terrain de leur
mise en application : « Pour le ministre que j'étais, il est
dur et risqué d'ordonner à une armée invaincue sur le
terrain un cessez-le-feu et un retrait que l'adversaire a été
incapable de lui imposer et, ensuite, d'en gérer les conséquences
douloureuses et pas toujours honorables. (...) Il y a des guerres justes mais
il n'y a pas de guerre propre et, dans les grandes crises, nul ne gouverne
innocemment. Pour le bien et le repos de la patrie, doit-on prendre le risque
de perdre son âme ? »1865(*). La réponse implicite que l'on devine,
Pierre Messmer l'avait donnée plus clairement à Marc d'Anna, qui
l'interviewait en mars 1998 pour la revue électronique Nouvelle
Liberté : « Malgré tous les drames
(départ d'un million d'Européens, massacre de milliers de Harkis
par les Algériens), la première période, qui suit
l'indépendance et qui va jusqu'à la prise de pouvoir par les
"durs", les rapports franco-algériens s'inscrivaient dans le
cadre d'une certaine forme de collaboration. On pouvait encore travailler
ensemble. Après la signature des Accords d'Evian en effet, nous
restions à Mers-el-Kébir et dans le Sahara, en conservant
ainsi une base de lancement pour nos fusées ainsi qu'un terrain d'essai
de nos armes chimiques. Des Centres d'essais nucléaires étaient
installés à In Ekker. Pendant cette période, les
rapports étaient convenables. On évitait les
drames »1866(*).
A cet égard, Jean-Marie Rouart (lui aussi membre de
l'Académie française), dans un article intitulé
« La froideur de la raison d'Etat » publié dans
Le Figaro littéraire du 27 avril 2000, prenait le contre-pied
de son nouveau condisciple en soulignant que « la sensibilité
d'aujourd'hui qui tend à substituer l'humanitaire au politique, les
droits de l'homme à la raison d'Etat, nous fait regarder d'un autre oeil
la politique algérienne du général de Gaulle ».
« La question, ajoute-t-il n'est pas de réveiller le
débat sur l'indépendance de l'Algérie. (...) Mais quelle
indépendance et dans quelles conditions ? Toute la question est
là. La population française d'Algérie installée
depuis cent trente ans et les militaires qui avaient cru aux engagements et aux
promesses du pouvoir politique notamment en compromettant les supplétifs
indigènes, les harkis, pouvaient-ils décemment être
traités aussi sommairement ? On a rayé le passé d'un
trait de plume ». Et de conclure : « A ces
questions de simple humanité, de Gaulle a pris le parti de
répondre par la politique de l'amputation à chaud. Tout grand
homme a ses limites. Le Général pressé de restaurer
l'image de la France, pressé de lui faire jouer un rôle sur la
scène internationale, ne voulait pas que le drame algérien
retarde le moment de cet engagement sur la scène mondiale.
Au-delà de la question humanitaire, il semble que de Gaulle ait pris de
grandes libertés avec une question qu'il aurait dû avoir à
coeur de respecter : la parole de la France. (...) L'Etat n'a pas
assuré son rôle. Il s'est soustrait à sa mission
essentielle qui est de sauvegarder ses nationaux et de ne pas établir de
distinction entre eux »1867(*).
Inversement, donc, pour toutes les raisons
précédemment exposées par l'intéressé
(responsabilité première du FLN et des harkis eux-mêmes
dans la tragédie de l'après-indépendance, politique de
« dégagement » conforme aux intérêts
"vitaux" du pays), Pierre Messmer oppose une nette fin de non-recevoir à
l'idée d'une quelconque repentance de l'Etat français à
l'endroit des anciens harkis : « Ma réponse est non,
catégoriquement non ! Les regrets sont à exprimer d'abord par le
FLN, qui a massacré les harkis. Nous n'avons massacré personne
! ». Pour les mêmes raisons, Pierre Messmer s'offusque des
actions judiciaires engagées ces dernières années par
certaines associations et particuliers pour « crimes contre
l'humanité », et qui visent notamment les responsables de la
politique gouvernementale d'alors : « On s'apercevra que cette
démarche est parfaitement absurde. Aussi bien juridiquement que
moralement. Si l'on suit cette logique, il faut poursuivre les dirigeants du
FLN, y compris certains ministres algériens en exercice. M. Bouteflika
est un ancien FLN, et je le tiens pour l'un des principaux complices des crimes
commis contre les harkis »1868(*). De même, deux ans après, dans une
interview accordée à l'hebdomadaire Valeurs
actuelles : « S'il y a une autorité contre laquelle
les harkis devraient porter plainte, c'est le gouvernement algérien et
en particulier le FLN qui, à l'époque, contrôlait le
gouvernement algérien. C'est le FLN qui a massacré les harkis et
par conséquent, c'est lui le principal coupable. Ce que l'on peut
reprocher à la France, c'est en quelque sorte la non-assistance
à personne en danger. Mais s'il y a eu «crime contre
l'humanité», ce crime est celui du FLN et pourtant, personne ne
poursuit le FLN »1869(*).
Or, c'est précisément cette
« non-assistance à personne en danger » - que Pierre
Messmer semble tenir pour relativement accessoire (en tout cas non susceptible
de constituer un crime et de motiver des poursuites judiciaires) - que les
anciens harkis et leurs enfants souhaitent voir officiellement reconnue :
non pour en minimiser la portée, mais pour entendre une parole qui
rétablisse (les faits) et qui répare (les termes de
l'échange). Telle n'est pas l'optique de Pierre Messmer. Dès
lors, au regard de l'incommensurabilité des points de vue (donc du
difficile cheminement de « l'esprit de pardon » dans les
rapports entre la communauté harkie et l'Etat français), et de
l'impossibilité corrélative de réparer les termes de
l'échange sur d'autres bases que le modèle
"assistanciel-cérémoniel", ceux qui se font les porte-voix de la
communauté harkie ont de plus en plus fréquemment recours
à ce que Sandrine Lefranc appelle le « tiers de
justice »1870(*) : pour faire mémoire, envers et parfois
contre l'Etat. En 1998 déjà, trois ans avant que
le président du Comité national de liaison, Boussad Azni, ne
dépose la première plainte pour crimes contre l'humanité
(voir ci-dessous), Ahmed nous faisait part de son impatience
d'aller au-delà du schéma assistanciel-cérémoniel
afin que la question de l'imputabilité ne puisse être
éludée :
« Mais moi j'aimerais qu'un jour le gouvernement de
l'époque soit traîné en justice. Y'a pas eu vraiment de
reconnaissance de la nation comme quoi y'avait des erreurs qui avaient
été commises au moment des accords d'Evian. Bon, si tu veux
Jacques Chirac, il reconnaît le sacrifice des harkis et tout, mais nulle
part il dit que De Gaulle il nous a laissés tomber là-bas, que le
gouvernement de l'époque il a laissé massacrer 350.000 personnes
(sic). J'veux dire, pour moi c'est pas une reconnaissance, c'est
presque si... si il nous distribue pas un bon point, comme ça, sans
plus. Mais c'est pas ça qu'on demande. On a droit à quoi ?
Un petit discours du président par lequel il reconnaît qu'on a
été courageux ? C'est nos parents, nous on a rien à
voir là-dedans. C'est pas ça, en fait. Oui, nos parents ils ont
été courageux, et ils ont été honnêtes :
ils ont tenu leur engagement envers la France. Maintenant... la France elle est
loin d'avoir tenu les siens. Tant qu'il n'y aura pas une véritable
reconnaissance de ce que nos parents ont fait en Algérie, ou de ce
qu'ils ont subi plutôt, et de ce que, surtout, l'Etat français a
fait en Algérie, c'est-à-dire l'abandon, tout ça, y'a pas
de justice. Il peut pas y avoir de justice »
(Ahmed).
- 3. Le strapontin judiciaire : le pardon mis en
demeure ?
On assiste, depuis quelques années, à une
rupture dans les logiques d'action collective de la communauté harkie,
rupture marquée par la judiciarisation des revendications portées
par cette communauté. De fait, les acteurs associatifs qui en sont
issus, ou qui s'en réclament, ont multiplié les actions en
justice, et ce principalement depuis l'été 2001. Ces actions,
à la différence des procédures contentieuses classiques
lancées pour régler des différends entre particuliers, ont
une optique clairement revendicative, qui rompt avec le cours "normal" de la
justice : l'idée est non seulement de faire justice mais aussi, et
peut-être surtout, de faire mémoire. Le prétoire sert ici
de strapontin politique et médiatique, et ce qui s'y exprime n'a pas
vocation à y rester confiné, bien au contraire. Ainsi, pour
Mohamed Haddouche, membre des instances dirigeantes de l'Association Justice
Information Réparation (AJIR pour les harkis), à l'origine du
dépôt d'une plainte pour apologie de crime de guerre à
l'encontre de Pierre Messmer (voir ci-dessous), il est notoire que
« le grand public connaît très mal cette page sanglante
de l'histoire ». Et il ajoute : « Le sort des harkis
massacrés alors que les forces françaises étaient encore
présentes, reste tabou. Nous voulons enfin la vérité
historique »1871(*). de même, pour Me Emmanuel Altit, l'un des
avocats sollicités par les associations et familles de harkis dans
l'optique d'engager des procédures contre X pour "crimes contre
l'humanité et complicité", « il est un devoir que de
tenter de faire connaître, sinon de réparer ces
injustices ». Et il ajoute : « Le but de cette plainte
est judiciaire, bien sûr, puisqu'il s'agit de lutter contre
l'impunité. Mais elle est aussi pédagogique et
thérapeutique »1872(*). D'où le malaise, exprimé par
certains commentateurs, au sujet d'un mésusage ou d'un "abus" de
justice. Nous y reviendrons.
Les actions entreprises se caractérisent par leur
diversité, puisque l'on peut distinguer : des actions en
diffamation - intentées par exemple à l'encontre du dessinateur
de Charlie-Hebdo, Siné1873(*), de l'ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre
Marcel Péju1874(*), mais encore de l'ancien Premier ministre, Raymond
Barre1876(*) ;
des plaintes pour apologie de crimes de guerre déposées à
l'encontre de l'ancien ministre des Armées du général de
Gaulle, Pierre Messmer1877(*) ; enfin des plaintes déposées
contre X pour « crime contre l'humanité et
complicité », qui visent notamment à établir la
co-responsabilité des autorités françaises de
l'époque dans le massacre de dizaines de milliers d'entre eux à
la suite de la conclusion des accords d'Evian et de la proclamation du
cessez-le-feu1878(*).
C'est surtout ce dernier type de plaintes qui fait débat, car ce sont
ces plaintes pour « crime contre l'humanité et
complicité » qui posent le plus crûment la question de
la repentance, donc celle de la légitimité du recours à
l'institution judiciaire comme modalité de gestion politique de la
mémoire.
Ces actions ont toutes, ou presque, pour dénominateur
commun - ou, plutôt, pour "détonateur" commun - l'émotion
suscitée par les propos du président algérien Abdelaziz
Bouteflika à l'occasion de sa visite d'Etat en France, en juin 2000
(voir supra). A la suite de la sortie non contrée - ou si
timidement - du président algérien sur le territoire national,
l'Etat comme tiers, garant de vérité et de justice ou,
plus simplement, gardien de la mémoire nationale, est apparu
définitivement discrédité aux yeux de nombre de
représentants de la communauté harkie. « A cet instant,
affirmait Boussad Azni, fils de harki issu de Bias et président du
Comité national de liaison des harkis (à l'origine des premiers
dépôts de plaintes pour « crime contre
l'humanité » à l'été 2001), les harkis
ont compris qu'ils n'étaient rien »1879(*). D'où cette
multiplication des actions en justice, cette sollicitation de ce que Sandrine
Lefranc appelle le « tiers de justice »1880(*) pour faire mémoire,
envers et parfois contre l'Etat. Jusqu'alors, plusieurs voies avaient
été explorées (manifestations, révoltes
sporadiques et grèves de la faim principalement, ainsi que des actions
de lobbying généralement peu ou mal relayées et
coordonnées) qui n'avaient pu aboutir, au mieux, qu'à amener
l'Etat à des hommages convenus et dilatoires :
célébrer les « frères d'armes » (les
harkis « soldats de la France ») pour mieux faire oublier
les « frères que l'on désarme » (les harkis
« victimes de la raison d'Etat ») ; distribuer des
médailles pour mieux faire oublier le "revers de la
médaille" : l'après-guerre, les feux mal éteints.
Ainsi, pour Mohand Hamoumou, président de l'Association Justice
Information Réparation (AJIR pour les harkis), « nous n'en
serions pas là [NDA : au stade des actions en justice] si la France
avait reconnu ses torts »1881(*). De même, pour Boussad Azni,
« puisque la France veut faire la lumière sur la guerre
d'Algérie, qu'elle assume cette histoire complètement, sans
oublier les dizaines de milliers de harkis qu'elle a abandonnés en
1962 »1882(*). De ce point de vue, la loi du 23 février
2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur
des Français rapatriés a constitué une nouvelle occasion
manquée puisque les amendements - socialistes et centristes notamment -
visant à officialiser la reconnaissance par la France de la
responsabilité du gouvernement de l'époque dans l'abandon au
massacre des harkis ont été rejetés par la majorité
parlementaire (UMP).
Enfin, par-delà les contentieux spécifiquement
liés à la destinée de la communauté harkie, ces
actions prennent place dans un contexte où c'est l'ensemble des conflits
de mémoire liés à la guerre d'Algérie qui cherchent
dans le "strapontin judiciaire" un nouvel exutoire. En témoignent aussi
bien le procès pour « apologie de crimes de guerre »
intenté au général Aussaresses par la Ligue des droits de
l'homme, le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les
Peuples), le Rassemblement démocratique algérien pour la paix, et
l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), que les
plaintes déposées contre X pour « crimes contre
l'humanité et complicité, enlèvements,
séquestrations et détentions arbitraires » par
l'association Jeune Pied-Noir et treize familles de disparus européens
en Algérie. Il faut noter que les avocats en charge de ce dernier
dossier - à savoir Me Emmanuel Altit et Me Philippe Reulet - sont
également en charge de certaines des plaintes pour « crimes
contre l'humanité » déposées contre X par des
représentants de la communauté harkie.
Cette concomitance témoigne clairement de ce que le
recours judiciaire apparaît désormais comme une modalité
forte de la gestion et des usages politiques de la mémoire de la guerre
d'Algérie. Mais pourquoi, au juste ? Que signifie cette
sollicitation subite et tous azimuts de l'institution judiciaire plus de
quarante ans après la conclusion des accords d'Evian et l'accession
à l'indépendance de l'Algérie ? Que nous dit-elle de
l'état des conflits, clivages, rancoeurs et frustrations nés dans
et à la suite de la conclusion donnée à cette
guerre ?1883(*)
Et que nous dit-elle de la capacité des États à faire
droit à la diversité des mémoires, à
réconcilier les vécus et/ou à faire face à leur
propre mise en accusation ? N'y a-t-il réellement d'autres moyens,
aujourd'hui en France, de solliciter ou d'obtenir le pardon que de le "mettre
en demeure", judiciairement s'entend ? Et qu'est-ce que ce pardon
"arraché" - ce pardon qui veut faire justice - a encore à voir
avec ce pardon "concerté" qui, sachant le tragique de
l'irréversible et la disproportion du rapport des forces, veut dire et
entendre plutôt que trancher (voir supra) ? Ne risque-t-il
d'aviver les clivages plutôt que de les résorber ?
Pour ce qui concerne plus spécifiquement les actions en
justice entreprises par les représentants de la communauté
harkie, il est possible de décrire ce processus de judiciarisation du
politique (et des conflits de mémoire) à travers un triple
questionnement : en quoi ces démarches introduisent-elles une
rupture dans les logiques d'action collective des représentants de la
communauté harkie (section a.) ; Quels sont,
factuellement, les ressorts juridiques mais aussi sociologiques de telles
démarches, en particulier pour ce qui a trait aux dépôts de
plainte contre X pour « crimes contre l'humanité et
complicité » ? Autrement dit, au regard de la lettre
et de l'esprit des lois d'amnistie - votées immédiatement
à la suite de la conclusion des accords d'Evian pour la première
(le 22 mars 1962), et le 31 juillet 1968 pour la quatrième et
dernière (dite de « portée
générale ») - ces démarches apparaissent-elles
recevables ou, à l'inverse, totalement anachroniques ? (section
b.) ; les actions en justice entreprises par des représentants
de la communauté harkie participent-elles d'un mésusage de
l'institution judiciaire, voire d'un "abus de justice", cette dernière
étant sommée de trancher des conflits de mémoire là
où elle ne devrait avoir vocation qu'à dire le droit ? Ou
bien, à l'inverse, ces démarches offrent-elles un recours
légitime aux victimes face au pouvoir d'obstruction des Etats - ces
Etats dont Sandrine Lefranc nous dit qu'ils usent (et parfois abusent) de ce
qu'elle appelle les « bâillons
démocratiques »1884(*) (dont les amnisties sont l'exemple prototypique)
aux fins d'interdire, dans les situations de criminalité bureaucratique
notamment, la recherche et la sanction des responsabilités ?
(section c.)
a) Les actions en justice : un nouveau
répertoire d'action politique
Le renouvellement des formes de mobilisation collective
(après des années d'émeutes sporadiques et de
grèves de la faim) marquerait la "maturation" d'une
génération - celle des enfants - qui prend conscience de ce que
fut et de ce que représente, au plan politique, la destinée
matérielle et symbolique de leurs parents ; et qui sait combien
pèse, non seulement sur les anciens harkis et leurs familles, mais aussi
sur les sociétés politiques algérienne et française
dans leur ensemble, le traumatisme lié aux massacres de
l'après-indépendance. Pour Me Emmanuel Altit, « on se
retrouve aujourd'hui à la croisée de différentes
générations. Les enfants ont moins à craindre que leurs
parents. En leur donnant la parole, cette plainte marque le début de
tout un processus ». Me Philippe Reulet considère pour sa part
que l'initiative de ses clients est « la preuve d'une certaine
maturité ». De fait, ceux qui se font les porte-voix de la
génération des enfants, une génération mieux
informée et dans l'ensemble mieux insérée socialement que
celle des parents (en dépit de forts handicaps sur lesquels il n'est pas
utile de revenir ici), insistent aujourd'hui au moins autant sur la
nécessaire réhabilitation morale des pères et l'examen des
responsabilités historiques que sur les luttes pour la dignité
matérielle. L'on observe ainsi une forme de glissement sémantique
(modalités d'action) et thématique (axes revendicatifs) des
luttes entreprises. Après l'urgence du démantèlement des
camps dans les années 1970, le moyen terme des aides spécifiques
à la formation et à l'emploi pour les enfants dans les
années 1980 et 1990, c'est au stigmate, à l'opprobre
attachés à la qualité d'ancien harki (et même,
parfois, de fils ou de fille de harki) que l'on entend désormais
prioritairement s'attaquer : d'une part en mettant en exergue,
dans leur complexité, les circonstances et les motivations de
l'engagement des pères aux côtés de la France et,
d'autre part, en dénonçant le sort qui leur fut
réservé à l'issue de la guerre d'Algérie, et en
pointant les responsabilités algériennes et françaises en
la matière.
Témoigne de cette "maturation" militante
l'évolution des formes de structuration des associations, ainsi que la
réorientation de leurs options stratégiques : ainsi, d'un
paysage éclaté, presque "paroissial" des structures associatives,
essentiellement tournées vers l'action locale - entraide communautaire,
médiation auprès des différentes entités
administratives, etc. - l'on est passé à une situation
marquée par l'émergence de structures ou de collectifs nationaux.
Le collectif « Justice pour les harkis »,
présidé par Abdelkrim Klech (l'une des figures "historiques" du
mouvement associatif1885(*)), s'est ainsi donné pour objectif
« d'unir dans cette structure le maximum d'associations et de
fédérations pour coordonner les revendications et les
actions ». Il rassemble à ce jour une cinquantaine
d'associations harkies et pieds-noirs, issues de la plupart des régions
de France. Ainsi en va-t-il également du Comité national de
liaison des harkis, présidé par Boussad Azni, autre figure phare
du mouvement associatif (voir ci-dessus). Ces structures, dont la vocation est
clairement fédérative et revendicative, ont pour
idée-force d'agir sur le terrain de la réparation symbolique et
historique. Ainsi, par exemple, l'Association Justice Information
Réparation pour les Harkis (AJIR pour les harkis), qui fonctionne
également sur un mode fédératif, place-t-elle au premier
rang de ses objectifs « d'obtenir de l'Etat français qu'il
exerce le devoir de mémoire qui lui incombe en reconnaissant
officiellement la responsabilité du gouvernement de 1962 [dans les
massacres de l'après-indépendance] ». Même
hiérarchisation des revendications pour le collectif « Justice
pour les harkis », qui place les luttes mémorielles avant les
luttes matérielles et précise vouloir obtenir « des
gestes symboliques des plus hautes autorités de l'Etat et un
véritable accomplissement du "devoir de mémoire" de la
nation ». Ces deux associations, à l'image de beaucoup
d'autres (harkies et pieds-noirs), se sont en outre particulièrement
attachées à empêcher que la date du 19 mars soit
officiellement reconnue et célébrée en France comme date
anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, précisément
parce que les pogroms dont furent victimes nombre d'anciens harkis et membres
de leurs familles à l'issue de la guerre d'Algérie (ainsi que les
quelque trois mille enlèvements d'Européens officiellement
dénombrés au printemps et à l'été 1962)
furent bien la résultante d'une violation caractérisée du
cessez-le-feu signé le 19 mars 1962 entre l'armée
française et le Front de libération nationale (FLN) (voir
l'Annexe n°4).
Ces évolutions organisationnelles et ces
réorientations stratégiques s'accompagnent, nous l'avons dit,
d'un renouvellement des formes de mobilisation collective, renouvellement dont
la manifestation la plus éclatante est la sollicitation tous azimuts du
tiers judiciaire, qu'il s'agisse de sanctionner des propos jugés
outrageants (actions en diffamation et plaintes pour apologie de crime de
guerre) ou d'établir et de sanctionner des responsabilités
collectives (plaintes pour crime contre l'humanité). Ainsi,
l'association AJIR, toujours elle, entend-elle s'attacher par priorité
à « défendre en justice les intérêts
moraux ou matériels de la communauté ou de l'un de ses membres,
notamment pour réparer toute atteinte portée à son
honneur ». En se plaçant sur le terrain de la dignité
morale et de l'intervention judiciaire, il s'agit clairement, pour ceux qui
opèrent en qualité d' « entrepreneurs
identitaires »1886(*) au sein et au nom de la communauté harkie,
de se déprendre d'une logique étroitement "assistancielle",
visant à marchander ou à arracher quelque avantage
immédiat directement auprès des pouvoirs publics. L'idée
n'est plus de considérer les préjudices subis comme un dommage
particulier mais comme un crime qui intéresse - et dont pâtit - la
société française dans son ensemble. L'un des enjeux, de
ce point de vue, est d'opérer ce que Sandrine Lefranc appelle
« une montée une généralité, soit la
conversion du "bruit" de la plainte en un langage éthico-juridique
susceptible de rompre l'enfermement dans une identité close ».
Or, ajoute-t-elle, « les exigences nées de cette position de
surplomb ne peuvent être satisfaites qu'à la condition qu'une
scène judiciaire soit accessible aux victimes »1887(*). Bien évidemment,
il s'agit aussi, corrélativement, de décourager la mise en oeuvre
par les pouvoirs publics d'une politique dite du bakchich.
L'efficacité d'une telle politique explique l'échec relatif des
formes d'action collective basées sur une logique de mise en demeure
directe des pouvoirs publics : émeutes et grèves de la faim,
notamment. Il n'est qu'à voir, pour s'en convaincre, les
modalités de mise sur agenda et de "règlement" par les pouvoirs
publics du problème posé par les grèves de la faim
successives entreprises par des fils de harkis sur l'esplanade des Invalides
entre avril 1997 et avril 1998, privilégiant systématiquement
l'examen des situations individuelles des grévistes sur la
négociation publique, suscitant le dépit du porte-parole du
mouvement, Abdelkrim Klech (voir ci-dessus la section II.A.1 :
« La relation d'aide institutionnelle »). Il est vrai,
souligne Charles Cadoux, que si « la grève de la faim est un
moyen de pression spécifique sur le pouvoir », « sa
dimension politique n'est pas facile à cerner étant donné
la diversité des motivations qui inspirent les grévistes de la
faim »1888(*), lesquels peuvent tout à la fois rechercher
un avantage individuel et viser la modification de la situation commune.
C'est précisément de cette marge
d'indétermination dont jouaient les pouvoirs publics. Sandrine Lefranc
note que « les harkis et leurs enfants, mobilisés pour obtenir
reconnaissance, pensions, emplois et autres facilités, avaient pour
principal interlocuteur le ministère des Affaires sociales, ce qui
montre qu'ils ne constituaient pas tant, aux yeux des pouvoirs publics, un
groupe "victime" de la guerre (ou du moins partie prenante de la guerre), qu'un
groupe "d'immigrés" caractérisé par les difficultés
de son "intégration", en dépit de leur nationalité
française »1889(*). A cet égard, le recours à une
institution tierce - en l'occurrence, le « tiers de
justice » pour reprendre l'expression de Sandrine Lefranc - signifie
d'abord la volonté des acteurs de sortir d'une logique de transaction
directe avec l'Etat, laquelle, nous venons de le voir, encourt le risque de
tourner au marchandage. A l'inverse, le recours judiciaire, sans abolir
complètement la disproportion des forces avec l'Etat, la relativise et
décourage au moins en partie les politiques de marchandage telles que
précédemment évoquées ou, du moins, rend leur mise
en oeuvre plus malaisée. Il faut donc, en l'espèce,
considérer ces actions en justice moins comme des actes contentieux au
sens strict ou traditionnel du terme que comme des modalités de gestion
des jeux et enjeux de mémoire au sein et autour de la communauté
harkie. On voit bien, notamment au regard des plaintes déposées
contre X pour « crimes contre l'humanité et
complicité », ou encore des plaintes pour « apologie
de crimes de guerre » déposées contre Pierre Messmer,
qu'il y a plus en jeu dans ces actions en justice que la simple
responsabilité pénale des personnes (physiques ou morales)
visées : c'est un jugement sur l'histoire aussi qui, d'une certaine
manière, est attendu. Et c'est d'ailleurs bien cela qui, à son
corps défendant, transparaît dans les propos de Me Philippe
Reulet : « Il ne s'agit certes pas de faire l'Histoire devant
une juridiction. Je ne suis pas pour la judiciarisation de l'Histoire. Mais
nous voulons des comptes : qui a fait quoi, et pourquoi». Et l'avocat
du Comité national de liaison des harkis d'ajouter : « La
France, avant de se repentir à l'égard de ses ennemis d'hier,
devrait le faire pour ceux qui l'ont défendue »1890(*). De même, les
plaignants à l'origine de l'action intentée pour
« apologie de crimes de guerre » à l'encontre de
Pierre Messmer, notamment l'Association justice information réparation
(AJIR) et Génération mémoire harkis (GMH), ont fait valoir
que l'enjeu premier de cette procédure, par-delà même
l'incrimination individuelle de Pierre Messmer, était de court-circuiter
les représentations consensuelles véhiculées par le
modèle assistanciel-cérémoniel : « Messmer
n'est qu'un prétexte : nous voulons que la vérité
historique soit rétablie et que la responsabilité indirecte des
gouvernants de 1962 soit reconnue et déclarée officiellement. Et
que la question des harkis ne soit plus traitée de façon purement
sociale »1891(*). Au fond, l'objectif des plaignants et de leurs
avocats est non seulement de poursuivre (au sens pénal du terme), mais
aussi de proposer et, si possible, d'imposer de nouvelles clefs de lecture de
la destinée et du sort fait aux harkis, en usant du prétoire
comme d'un strapontin politique et médiatique. Il s'agit donc bien de
"médiatiser" les luttes, au double sens du terme : d'abord parce
que l'on recourt au « tiers judiciaire » ; ensuite
parce que l'on s'efforce, par cette voie, de publiciser certains mots d'ordres.
On entre donc ici dans une « logique de surabondance » qui,
selon Sandrine Lefranc, rompt avec le « cours normal de la
justice », à savoir « une justice qui incrimine,
inculpe, prononce une sentence et sanctionne »1892(*). Le dépôt de
plainte est ici plus largement conçu comme un "signe social".
Or, cette utilisation des tribunaux comme d'un strapontin
politique et médiatique, et notamment les dépôts de
plaintes contre X pour « crimes contre l'humanité et
complicité », ne sont pas sans susciter de profondes
réserves. Ainsi, dans un article publié par la revue
Esprit et paru à l'occasion de la sortie du livre de G.-M.
Benamou, Un Mensonge Français, Daniel Lindenberg, historien des
idées et professeur à l'Université Paris VIII, avait
soulevé la question des « procès rétrospectifs
et de leur intérêt », pointant « la commode
criminalisation ou même judiciarisation a posteriori de faits qui ne
relèvent plus que du jugement des historiens. C'est faire, en effet,
comme si, pendant des décennies (parfois depuis plus d'un
demi-siècle), les horloges de l'histoire s'étaient
arrêtées et que, brusquement, une machine morale à remonter
le temps fonctionnait, mettant face à face les bourreaux et les victimes
comme au 1er jour. Cela ne peut conduire qu'à des contresens
et à des frustrations qu'il est ensuite impossible d'apaiser. (...)
Faire comme si les amnisties et les réconciliations qui suivent les
grands drames nationaux n'existaient pas, comme si à tout moment le
devoir de mémoire devait entraîner la réouverture des
plaies fermées à grand-peine, ne va pas de soi ». Et
Daniel Lindenberg de juger ainsi « fantasmatique »
l' « ouverture de procédures pour «crimes contre
l'humanité» »1893(*).
De fait, n'est-ce pas un anachronisme que de vouloir rendre
justice, quarante ans après, littéralement hors contexte ?
Et est-ce bien la vocation de l'institution judiciaire que de trancher des
conflits de mémoire ? Sans même qu'il soit besoin de mettre
en doute la réalité du massacre des harkis, ni même - pour
le moins - l'ambiguïté de l'attitude des autorités
françaises à cette occasion, il est en effet permis de
s'interroger sur la nécessité d'instruire judiciairement ce
crime, à quarante ans de distance, lors même que les contemporains
auraient jugé préférable d'amnistier l'ensemble des
infractions commises au titre de l'insurrection algérienne d'une part,
dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre d'autre part,
précisément aux fins de dépénaliser les rapports
entre les différents protagonistes du drame (littéralement :
les "normaliser") et ainsi sortir d'une logique du ressentiment. Car s'il
apparaît légitime de vouloir encore chercher à comprendre
où sont les responsabilités du drame (pour l'histoire), d'aucuns
estiment à l'inverse qu'il est à la fois contraire à la
lettre et à l'esprit des lois d'amnistie d'assortir une telle recherche
de la menace de poursuites pénales à l'encontre des responsables
supposés. A cet égard, cependant, il nous faudra rappeler - avec
Paul Ricoeur - que l'amnistie participe « des formes
institutionnelles d'oubli dont la frontière avec l'amnésie est
aisée à franchir »1894(*). De fait, l'amnistie vise non seulement à
supprimer rétroactivement le caractère délictueux des
faits auxquels elle s'applique, mais aussi, d'une certaine manière,
à clore l'espace des débats : mesure d'apaisement mais aussi
mesure d'oubli, sa légitimité comme son efficace sociale restent
sujets à caution. Car la tentation est grande, pour les responsables
politiques, de faire d'une mesure d'apaisement une mesure d'impunité.
Aussi nous faudra-t-il éclairer la discussion des « abus de
justice » pointés par Daniel Lindenberg par la mise en exergue
de possibles « abus d'oubli » (Paul Ricoeur).
Ceci étant posé, et avant d'aborder les
réserves de fond quant au mésusage ou à l'utilisation
supposément "abusive" de l'outil judiciaire (notamment s'il s'agit, par
la sollicitation du « tiers judiciaire », de défaire
ce que le politique, dans un cadre démocratique, a déjà
tranché), il apparaît nécessaire d'examiner plus avant les
réserves fondées sur l'affirmation du caractère
anachronique de ces démarches.
b) Les ressorts juridiques et sociologiques des
actions en justice entreprises par des représentants de la
communauté harkie
La thèse défendue par Daniel Lindenberg est
confortée par la jurisprudence puisque, jusqu'ici, l'ensemble des
plaintes pour « crimes contre l'humanité et
complicité » déposées contre X par des
représentants de la communauté harkie se sont heurtées
à des refus d'informer de la part des juges, et cela pour deux raisons
principales :
- D'abord en raison d'une stricte limitation du champ
d'application pénale de la notion de « crime contre
l'humanité », limitation qui a perduré, en France,
jusqu'au 1er mars 1994 et l'entrée en vigueur du nouveau code
pénal. Avant le 1er mars 1994, la notion de « crime
contre l'humanité » était certes déjà
intégrée à l'ordre juridique français. Mais elle ne
l'était pas à la faveur d'une disposition de portée
générale (comme c'est le cas désormais), mais du fait de
l'intégration dans le corpus juridique français des dispositions
du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg, lesquelles ne concernent que
les faits commis pour le compte des pays européens de l'Axe pendant la
Seconde Guerre mondiale. Quant aux dispositions du nouveau code
pénal, qui donnent à la notion de « crime contre
l'humanité » une portée générale (sans
limitation de son champ d'application), elles ne peuvent être
appliquées à des faits antérieurs au 1er mars
1994, en vertu du principe de non-rétroactivité. C'est en raison
de cette stricte limitation du champ d'application pénale de la notion
de « crime contre l'humanité », qui a perduré
jusqu'au 1er mars 1994, et non en raison de la nature des actes
incriminés (puisque ceux-ci, à défaut de relever de
son champ d'application jurisprudentielle, relèvent incontestablement de
la définition notionnelle du « crime contre
l'humanité »)1895(*), que les plaintes déposées par des
représentants de la communauté harkie se sont heurtées
jusqu'ici à des refus d'informer1896(*). Le sentiment de Daniel Lindenberg d'avoir affaire
à des démarches anachroniques mérite donc d'être
à la fois précisé et discuté : ce n'est en
aucune manière un obstacle lié à l'écoulement du
temps et à la prescription qui est ici en cause (et ce d'autant moins
que les crimes contre l'humanité sont reconnus comme étant
« imprescriptibles par leur nature » au regard de la loi du
26 décembre 1964), mais un obstacle - faut-il dire technique ? -
lié à l'absence de portée générale de la
notion de crime contre l'humanité en droit français
jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, le
1er mars 1994 ;
- Ensuite, les refus d'informer qui sont opposés
à ces démarches sont motivés par cet autre obstacle
légal que constitueraient les lois d'amnistie successives votées,
pour la première, immédiatement à la suite de la
conclusion des accords d'Evian le 22 mars 1962, puis, pour la quatrième
et dernière (dite de « portée
générale »), le 31 juillet 1968. La question, ici, est
de savoir si les représailles sanglantes exercées à
l'encontre des harkis après la conclusion des accords d'Evian et,
surtout, après l'accession à l'indépendance de
l'Algérie entrent ou non dans le périmètre des lois
d'amnistie. S'agissant de la première loi d'amnistie, celle du 22 mars
1962, la réponse est aisée : cette loi, votée
avant que ne commencent ces massacres, et qui énonce
textuellement ne s'appliquer qu'aux actes commis avant le 20 mars 1962 au titre
de l'insurrection algérienne ou au titre des opérations de
maintien de l'ordre, ne saurait en aucun cas couvrir les
(co-)responsabilités afférentes au massacre des harkis. La loi
d'amnistie suivante (du 23 décembre 1964) s'en tient également
aux infractions commises en Algérie avant le 20 mars 1962. La
troisième étend l'amnistie aux infractions commises avant le 3
juillet 1962 (le gros du massacre des harkis, qui survient à
l'été et à l'automne 1962 n'est donc pas concerné)
et s'en tient de toute manière aux infractions commises dans le cadre
d'opérations de police administrative ou judiciaire, d'opérations
de rétablissement de l'ordre ou d'opérations visant à
empêcher l'exercice de l'autorité de l'Etat : rien ici qui ne
caractérise en propre le massacre des harkis. Reste bien sûr la
dernière loi d'amnistie, celle du 31 juillet 1968, dite de
« portée générale » : celle-ci
énonce que sont amnistiées de plein droit « toutes les
infractions commises en relation avec les événements
d'Algérie », et ce sans date butoir. La question, dès
lors, est de savoir si les éventuelles responsabilités
françaises dans l'abandon au massacre des harkis sont susceptibles
d'être couvertes par ce texte. Un rappel essentiel d'abord :
à la différence de la quasi-totalité des infractions
couvertes par les lois d'amnistie successives, les représailles
exercées à l'encontre des anciens harkis le sont essentiellement
après l'accession à l'indépendance de
l'Algérie. Les responsabilités éventuelles qui, du
côté français, y sont afférentes englobent donc une
période qui dépasse de loin ce que recouvre l'expression
aujourd'hui caduque d' « événements
d'Algérie » (à titre de comparaison, les derniers
"faits d'armes" de l'OAS sur le sol algérien surviennent fin juin 1962,
avant que ne s'opère le transfert de souveraineté).
Peut-on, dans ces conditions, considérer que ce crime là, qui est
un crime d'après-guerre et non un crime de guerre, ressortisse ou puisse
ressortir d'un même traitement que les excès commis par les deux
parties en guerre (ou même trois si l'on compte l'OAS) ?
Voilà, en tout cas, qui met le pouvoir d'interprétation du juge
à rude épreuve. Se pose d'ailleurs, à propos de la
politique de strict contingentement des rapatriements et de l'interdiction des
opérations de sauvegarde décidées par la France à
l'encontre de ses anciens serviteurs d'armes musulmans (voir la Partie 1), la
question de la qualification pénale de « crimes de
bureau » qui, sans être à proprement parler des actes de
guerre ou des actes nécessaires à la guerre, sont
déterminés par elle ou par ses prolongements. Il ne fait
guère de doute que ces actes n'ont pas été reconnus en
leur temps comme susceptibles de constituer des infractions. Il n'est
guère douteux non plus, pour cette raison même, que leur
portée dépasse de loin celle couverte par le champ des lois
d'amnistie (même dites de « portée
générale ») et laisse pendante la question de leur
examen politique et juridique rétrospectif. A cet égard, Sandrine
Lefranc souligne la difficulté d'incriminer les actes ordonnés
par les responsables d'un régime - même démocratique - et
relayés par leurs agents : « Même si les codes ont
progressivement intégré le principe d'une responsabilité
collective ou imputable à des personnes morales, la criminalité
bureaucratique n'est pas un phénomène complètement
appréhendé par le droit : le postulat de l'innocence des
représentants et agents de l'Etat semble encore
prévaloir »1897(*).
Ainsi en est-il de la lettre des lois d'amnistie. Mais qu'en
est-il de l'esprit ? Au fond, ce que semble vouloir signifier Daniel
Lindenberg lorsqu'il qualifie ces démarches d'anachroniques, c'est
qu'elles heurtent l'esprit de ces lois, conçues - dit-il - comme des
mesures d'apaisement. Et les actions entreprises par des représentants
de la communauté harkie viendraient mettre à mal cette
volonté d'apaisement ou de "normalisation". Précisément,
à cet égard, il apparaît essentiel d'informer
l'éthique du souvenir (comment devrait-on se souvenir ou encadrer
politiquement le souvenir du massacre des harkis) par sa pragmatique (comment
se souvient-on, en réalité, du massacre des harkis, et pour quels
usages). Car, en la matière, l'idée selon laquelle
prévaudrait, en Algérie et en France, un esprit d'apaisement ou
de "normalisation" est, dans les faits, au minimum fragile, et certainement
hasardeuse (voir la Partie 2 et la section II.B.2 ci-dessus). De même
qu'est sujette à caution une lecture des intentions du
législateur au moment de voter les lois d'amnistie qui n'y verrait que
la volonté - affichée sur le moment - d'apaiser les tensions
sociales, et non le souci d'occulter certaines responsabilités
politiques lourdes1898(*). Sur le moment, déjà, l'attitude
constante des autorités françaises fut, avant l'accession
à l'indépendance de l'Algérie, de minimiser les dangers
qui guettaient les anciens supplétifs puis, après l'accession
à l'indépendance, de minorer l'ampleur des représailles
(voir la Partie 1). Et, depuis lors, le ressouvenir - le simple ressouvenir -
du massacre des harkis a longtemps posé problème en France.
Jusqu'au début des années 1990, l'on peut même parler,
s'agissant des relais institutionnels de la mémoire (à commencer
par l'école), de quasi-forclusion (voir le chapitre II de la Partie 2).
En témoignent, à droite et à gauche (quoique sur des
registres différents), les réactions au dépôt d'une
plainte pour « crimes contre l'humanité » fin
août 20011899(*). Et s'agissant de ces autres relais d'opinion que
sont les sphères universitaires, éditoriales ou journalistiques,
d'une "inappétence intellectuelle" certaine qui, pour n'être pas
totale ni toujours hostile, était globalement génératrice
de vide (voir le chapitre III de la Partie 2 ainsi que les sections II.B.2.a et
II.B.2.b de la Partie 4 ). La réaction de Charles Silvestre -
rédacteur de « l'Appel des douze » et journaliste
à L'Humanité - à l'annonce anticipée du
dépôt d'une plainte pour « crimes contre
l'humanité » est à cet égard
caractéristique : « Il ne manquait plus que
ça ! Les harkis, ou plus exactement ceux qui prétendent
parler en leur nom, portent plainte pour crimes contre l'humanité contre
la France. (...) Y a-t-il eu des crimes contre les harkis, des tortures, des
exécutions sommaires ? C'est indéniable. Mais pourquoi, dans
quelles conditions, et qui en porte la principale responsabilité ?
(...) Pour les harkis, comme pour toutes les parties embarquées dans
cette tragédie, ce qui est en cause, c'est la colonisation, ses moeurs
de maîtres à esclaves, son cynisme dans l'utilisation
d'indigènes contre d'autres, la guerre coloniale, avec son
cortège de cruautés sans nom, son école de violence sans
fin, comme on le voit encore sur place »1900(*). Dans un schéma
classique à gauche1901(*), l'incrimination générique du
système colonial tend ici clairement à disculper le FLN et ses
soutiens français. Au passage, les violences actuelles en Algérie
sont elles aussi conçues non comme la résultante de la culture de
la violence longtemps portée par le FLN et ses héritiers mais
encore et toujours comme un héritage du système
colonial.
Ainsi, en France, les massacres semblaient sinon n'avoir
jamais existé du moins n'être qu'un
épiphénomène, et le problème de la gestion du
traumatisme ne pas devoir se poser au-delà du seul cercle des
Français musulmans rapatriés et de leurs enfants. Mais ces
plaintes visent également le comportement des autorités
algériennes, ordonnateurs et exécutants directs du massacre. Or,
sur cet autre rivage de la Méditerranée, nous l'avons vu, il
est moins encore question d'apaisement : mais ce n'est tant la
volonté d'occulter les responsabilités du massacre qui est cause
- la question ne se pose même pas1902(*) - que la persistance d'une surenchère
verbale à l'encontre des anciens harkis. Cette surenchère
participe d'abord d'usages directement attentatoires de la figure du harki.
Ainsi, en Algérie (mais aussi bien souvent dans la communauté
algérienne ou d'origine algérienne en France), les harkis
continuent d'être insultés1903(*), ostracisés1904(*) et parfois même
menacés1905(*).
Cette surenchère participe aussi d'usages dérivés de la
figure du harki, d'ordre incantatoire, autour de la manipulation des mythes du
« parti de la France » et des « anciens et
nouveaux harkis »1906(*) (voir le chapitre I de la Partie 2 ainsi que la
section II.B.2.c de la Partie 4).
Ainsi, la situation en France et en Algérie
conduit-elle, dans une certaine mesure, sinon à réenvisager du
moins à nuancer l'affirmation selon laquelle les actions en justice
entreprises par des représentants de la communauté harkie
seraient anachroniques. Et à poser différemment la question de
leur légitimité, en liant l'examen de cette question à la
notion de "mémoire équitable". Car si pour Daniel Lindenberg
c'est le politique, et non la justice, qui a vocation à - et dispose de
la légitimité pour - gérer les conflits de mémoire,
cette affirmation se heurte potentiellement aux situations où est en jeu
une criminalité d'ordre bureaucratique, plaçant l'Etat dans la
situation impossible d'être à la fois juge et partie.
c) Est-ce bien la vocation de l'institution judiciaire
de trancher des conflits de mémoire ?
Pour Daniel Lindenberg, le politique excède par essence
le droit : des lois d'amnistie ont été votées,
prenons-en acte. Au fond, n'est-ce pas un crime de
"lèse-démocratie" que d'entendre défaire, par l'action
judiciaire, ce que le politique a fait ? Certes, c'est une chose de
considérer que le politique est supérieur à la justice ou,
pour le dire autrement, que la "chose votée" est supérieure
à la "chose jugée" ; mais c'en est une autre de ne pas voir
l'ambiguïté même du politique : le politique, y compris
dans un cadre démocratique, est traversé par des rapports de
force, des non-dits, des justifications de second ordre qui excèdent et
parfois dénaturent le sens donné à la ratification
populaire, et qui rendent précisément nécessaire de
contrebalancer et d'éclairer l'action du politique par celle de la
justice. Sandrine Lefranc met ainsi en exergue les ambiguïtés
liées à ce qu'elle appelle « les bâillons
démocratiques », ou encore « la politique de l'oubli
imputée aux gouvernements démocratiques », qu'elle
définit comme « un oubli volontaire qui consiste en un simple
silence sur des thèmes qui sont jugés menaçants pour la
cohésion sociale, leur mise hors parole ». Et Sandrine Lefranc
de pointer les effets pervers des « techniques de
bâillonnements » (dont les lois d'amnistie sont la forme la
plus aboutie) : si ces techniques peuvent être selon elle
justifiées par « la nécessité intrinsèque
à la préservation d'un cadre démocratique,
étroitement lié à la recherche du consensus »
(cette fameuse volonté d'apaisement, notamment dans un contexte
d'après-guerre civile), « ces méthodes de
stabilisation, ajoute-t-elle, peuvent aussi avoir l'effet inverse de celui
recherché, en provoquant une exacerbation des tensions sociales et la
résurgence ponctuelle du "réprimé" »1907(*) ; et, ce, notamment
si le sentiment se fait jour que cette « méthode des
omissions » vise moins à préserver la démocratie
de luttes factionnelles qu'à occulter l'existence d'une
criminalité bureaucratique et à couvrir les
responsabilités qui lui sont liées. Paul Ricoeur :
« L'amnistie, en tant qu'oubli institutionnel, touche aux racines
mêmes du politique et, à travers celui-ci, au rapport le plus
profond et le plus dissimulé avec un passé frappé
d'interdit. La proximité plus que phonétique, voire
sémantique, entre amnistie et amnésie signale l'existence d'un
pacte secret avec le déni de mémoire qui, on le verra plus tard,
l'éloigne en vérité du pardon après en avoir
proposé la simulation »1908(*).
Ainsi, rien ne garantit que l'Etat, s'il se fait à la
fois juge et partie, le fasse pour le bénéfice de tous
plutôt que pour le bénéfice de quelques-uns. Au pire des
cas, le pouvoir de rémission juridique offert au politique - à
travers les lois d'amnistie - se transforme véritablement en pouvoir
d'obstruction. Sandrine Lefranc : « Le choix de la stabilisation
du régime (et de la sauvegarde des intérêts propres des
personnels politiques) se fait au détriment des exigences des victimes
et des principes de la démocratie que sont l'égalité
devant la loi et le caractère systématique de l'administration
équitable de la justice »1909(*). A cet égard, les actions en
justice entreprises par les victimes peuvent apparaître comme une
tentative légitime de contournement de cette situation
d'indétermination où l'Etat - pris dans ce que Sandrine Lefranc
appelle un « dédoublement schizophrénique »
(puisque « l'Etat offenseur n'est pas distancié de l'Etat
justicier ») - ne peut remplir le rôle de tiers1910(*).
L'affirmation de la supériorité de la "chose
votée" sur la "chose jugée" peut donc apparaître
spécieuse lorsque, comme c'est le cas ici, elle est oublieuse du pouvoir
d'obstruction des Etats. En outre, quand bien même consentirait-on
à admettre en général la supériorité de la
"chose votée" sur la "chose jugée", il faudrait peut-être
encore admettre une limite à ce principe, une limite éthique.
Cette limite est la suivante : la rémission juridique offerte par
les lois d'amnistie ne peut valoir que pour des situations où la
réciprocité des crimes appelle la réciprocité de
leur rémission. En l'espèce, les lois d'amnistie votées
par le Parlement français le 22 mars 1962 à la suite des accords
d'Evian couvrait aussi bien les exactions commises par les forces de l'ordre
que par la rébellion : autrement dit, le tortionnaire aussi bien
que le poseur de bombes voyaient leurs crimes amnistiés. A l'inverse, le
massacre des harkis est un crime totalement asymétrique et
unilatéral, un crime d'après-guerre perpétré
à l'encontre de sujets dépourvus de tout pouvoir de nuisance,
puisque préalablement désarmés et rendus à la vie
civile, ainsi que de leurs proches. Dans ces conditions, l'idée que
l'esprit des lois d'amnistie puisse couvrir les éventuels
co-responsables français d'un tel crime peut apparaître
discutable, précisément parce que cela rompt avec la logique de
réciprocité précédemment évoquée, et
que cela entérine l'idée d'une amnistie unilatérale,
décidée à l'initiative de certains co-responsables du
crime et pour leur seul bénéfice direct.
A cet égard, le fait que ces amnisties aient
été votées dans un cadre et selon une procédure
démocratiques ne change rien au problème. Car au regard de la
notion de "mémoire équitable", le passif apparaît
évident, suscitant naturellement un sentiment d'injustice chez les
victimes, plutôt que cet apaisement que l'on prétend fonder sur
une politique d'oubli : « Lorsque la faute commise par l'Etat
est si massive qu'elle remet en cause l'union de la balance (la justice) et du
glaive (le crime autorisé par la loi ou "violence légitime"),
l'Etat a du mal à en finir avec cette faute », écrit
Sandrine Lefranc. Elle ajoute : « La mémoire de la faute
perdure. [Mais] les obstacles pratiques, et les impératifs politiques et
juridiques aboutissent le plus souvent à des lois d'amnistie, par
lesquelles l'Etat offenseur n'est pas distancié de l'Etat
justicier »1911(*). De même, pour Paul Ricoeur, « en
côtoyant ainsi l'amnésie, l'amnistie place le rapport au
passé hors du champ où la problématique du pardon
trouverait avec le dissensus sa juste place » et, de ce fait,
« condamne les mémoires concurrentes à une vie
souterraine malsaine ». Et il ajoute : « La
mémoire privée et collective serait privée de la salutaire
crise d'identité permettant une réappropriation lucide du
passé et de sa charge traumatique. En deçà de cette
épreuve, l'institution de l'amnistie ne peut répondre qu'à
un dessein de thérapie sociale d'urgence, sous le signe de
l'utilité, non de la vérité »1912(*). Et c'est bien là,
en effet, tout le problème.
Conclusion
Le cas des anciens harkis et de leurs familles souligne
l'intérêt d'asseoir l'analyse de ce que Norbert Elias et John L.
Scotson appellent la sociodynamique de la stigmatisation sur une mise en regard
ou une mise en abîme réciproque de la stigmatisation telle qu'elle
est "agie" d'une part, de la stigmatisation telle qu'elle est subie et
"réagie" d'autre part. A cet effet, l'approche "écologique" ici
adoptée - double approche à la fois explicative
(« l'histoire de la capacité qu'a un attribut de servir de
stigmate ») et compréhensive
(« l'itinéraire moral de l'individu
stigmatisé »), aussi bien que diachronique et
synchronique -, permet de rendre compte, à travers la dynamique des
générations qui la sous-tend, de l'articulation entre histoire,
mémoire et identité. Cette double approche souligne
tant :
- l'épaisseur historique des logiques sociales et
politiques de la stigmatisation au sein et autour de la communauté
harkie, depuis la mise en oeuvre de stratégies d'influence et
d'appropriation de l'imaginaire au moment de la guerre d'Algérie
(invention d'une figure et d'un destin), jusqu'à la gestion et aux
usages politiques rétrospectifs de cette figure ;
- que les effets performatifs à long terme de telles
opérations figuratives dans l'ordinaire des relations sociales et
familiales, d'une génération l'autre, ici et maintenant en
France.
A cet égard, ce cas d'espèce éclaire
remarquablement les ressorts complexes de la dialectique
identification/identisation d'une part (ou « comment être ce
que l'on est »), et des mécanismes d'attribution ou processus
de catégorisation d'autre part (« être pour
l'autre »1913(*)), en raison précisément de
l'indécidabilité et de l'instabilité notables du
« jeu des contraintes sémiotiques » (jeux de miroir
et présuppositions réciproques) qui détermine le niveau de
tension s'exerçant sur les fils et filles de harkis dans les
interactions de la vie quotidienne, tant au sein du cercle familial qu'en
dehors. Cette indétermination relative est à la source d'une
configuration stigmatisante à la fois paradoxale et "paradoxante" pour
les intéressés.
Dès lors, plus encore, peut-être, que d'autres
cas d'espèce où la possession d'une caractéristique
déviante déterminée s'avère plus décisive -
aux yeux des « entrepreneurs de morale », bien sûr,
mais aussi des personnes étiquetées - que la possession d'autres
caractéristiques (ainsi en va-t-il notamment de la dépendance
vis-à-vis du statut socialement défini sur la base du
"faciès" ou des "origines", qui s'impose avec une certaine
univocité à la fois comme objet de discrimination et comme objet
possible de valorisation : la « négritude »,
« Black pride/Black is beautiful », etc.1914(*)), ce cas d'étude,
où le feu croisé des stigmatisations n'assigne aucune place
clairement déterminable et assumable aux intéressés
(donnant une coloration très particulière à la question de
la reconnaissance et aux enjeux de visibilisation qui lui sont
corrélatifs) marque particulièrement bien en quoi et
pourquoi il n'est pas d'attributs objectivables qui, en dehors de tout
processus réflexif ou attributif, prédétermineraient une
fois pour toutes et une fois pour tous à quel groupe ou catégorie
d'individus vous appartenez (et, plus encore, quel individu vous êtes).
De fait, il n'est pas d'attributs - visibles ou invisibles - qui ne soient
potentiellement manipulables, ambigus ou "trompeurs", par/pour soi (en raison
d'un décalage provoqué ou subi entre les attributs
stigmatiques/les catégories déviantes et le sentiment
d'identité) ou par/pour autrui (en raison d'un décalage
extrapolé ou, à l'inverse, insoupçonné entre
l'attribut et le stéréotype).
Ainsi, « fiction narrative » (Paul
Ricoeur) en même temps que compromis, l'identité est un construit
social, un "intertexte", le produit fragile et évolutif d'une tension
entre ce que je veux être et ce que je découvre (devoir)
être aux yeux d'autrui.
En l'espèce, la "quête à être" des
enfants de harkis, déjà grevée par les impedimenta
liés au sentiment de culpabilité des pères, se heurte par
surcroît au quotidien à la difficulté d'opérer la
"gestion du paraître" dans une voie qui soit congruente avec
l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes, les obligeant à
d'incessants écarts d'identité eu égard à
l'éventail à la fois large et contradictoire des
catégories et coordonnées servant à les classer
quelque part dans l'espace social au(x) regard(s) de l'Autre. De fait,
nous l'avons vu, le jeu des assignations statutaires qui régissent la
ronde journalière des enfants de harkis les confronte alternativement
à la honte (par extrapolation des qualités morales invalidantes
prêtées aux pères) et à l'amalgame
(pré-catégorisations au "faciès").
D'un côté, donc, la rémanence du stigmate
d'infamie d'une génération l'autre et d'une rive à l'autre
de la Méditerranée (notamment au sein des populations issues de
l'immigration algérienne) témoigne de la capillarisation des
anathèmes politiques au niveau médian des relations
interpersonnelles, et, par là, de ce que Paul Ricoeur appelle
« la fragilité cognitive résultant de la
proximité entre imagination et mémoire » : les
requêtes de légitimité d'un système
d'autorité, via la mise en place de stratégies d'appropriation de
l'imaginaire et la mobilisation de systèmes symboliques (invention d'une
figure de l'ennemi intérieur, par exemple), génèrent des
réponses sociales en termes de croyances.
D'un autre côté, l'amalgame avec les populations
issues de l'immigration maghrébine signe l'acuité des enjeux de
visibilisation au regard du groupe majoritaire. Par delà le poids des
anticipations statutaires dans l'ordinaire fugace des rencontres
interpersonnelles (à savoir la mobilisation réflexe de
stéréotypes typifiants et réducteurs fondés sur
l'apparence physique des sujets), cette indistinction/indifférenciation
peut aussi être d'essence normative et procéder de la
volonté de certains collèges d'acteurs de ne pas établir
de différence avec les "Beurs", ou procéder de la simple
méconnaissance de la trajectoire singulière des anciens harkis et
de leurs familles.
D'où la difficulté des enfants de harkis - entre
infamie et amalgame - à se voir reconnaître une place
spécifique dans « l'espace social réel »,
entendu comme « espace d'interaction au sein duquel les sujets se
perçoivent, se connaissent et se reconnaissent les uns les
autres »1915(*). « Lorsque le stigmate est
héréditaire, écrit Erving Goffman, l'instabilité
interactionnelle qui en résulte peut avoir des conséquences tout
à fait générales pour ceux à qui échoit le
mauvais rôle » (Goffman, p.161). D'autant qu'en l'espèce
les attributs en cause sont liés à la fois à la
transmission de caractères génétiques et à
l'extrapolation de qualités morales prêtées aux
pères : en ce sens, on peut dire qu'ils collent tout à la
fois littéralement et métaphoriquement à la peau des fils
et filles de harkis.
Aussi, au terme de ce travail, la question qui se pose
à l'analyste de savoir si les anciens harkis, leurs enfants et
petits-enfants forment une communauté reçoit une première
réponse, empiriquement fondée. Ce, quand bien même cette
communauté serait restrictivement définie comme
« l'agrégat de ceux contraints d'endurer les mêmes
privations à cause du même stigmate » (Erving
Goffman, p.134). « Les membres des groupes déviants
organisés ont évidemment une chose en commun, écrit Howard
Becker : leur déviance. C'est elle qui leur donne le sentiment
d'avoir un destin commun, d'être embarqués sur le même
bateau. La conscience de partager un même destin et de rencontrer les
mêmes problèmes engendre une sous-culture déviante,
c'est-à-dire un ensemble d'idées et de points de vue sur le monde
social et sur la manière de s'y adapter, ainsi qu'un ensemble
d'activités routinières fondées sur ces points de vue.
L'appartenance à un tel groupe cristallise une identité
déviante »1916(*). De fait, en dépit des querelles
sémantiques et disciplinaires parfois un peu convenues qui visent
à en restreindre l'usage, il apparaît qu'un tel emploi se justifie
pleinement en la circonstance par la "communauté de destin", donc de
trajectoire qui a été celle des intéressés,
s'agissant tant des motifs et conditions de départ d'Algérie que
de la configuration matérielle et symbolique de leur installation qui
les distinguent clairement d'autres populations originaires d'Algérie et
du Maghreb. Ceci, cependant, n'est en rien contradictoire avec le constat de la
diversité bien réelle des caractéristiques sociologiques
ou des jugements de valeur et d'opinion de ceux qui, dans des circonstances
précises, ont été massivement contraints à l'exil
(et non à l'immigration) puis sujets à des modes d'administration
ainsi qu'à des modes de désignation symbolique spécifiques
de la part des différentes composantes de la société dite
"d'accueil".
Nous voyons cependant qu'à cette définition "en
négatif", définition doublement réactionnelle (à la
souffrance des parents d'une part, aux atteintes symboliques dont ils sont
l'objet dans l'environnement social d'autre part) s'ajoutent des
critères d'identification positifs, plus "politiques", fondés sur
la réminiscence de l'héritage mémoriel des pères,
et qui décrivent une phase ultérieure de l'itinéraire
moral des fils et filles de harkis. Ainsi que le signale Erving Goffman,
« le caractère visiblement fâcheux de tel attribut
personnel et la capacité qu'il a de mettre en branle le jeu du normal et
du stigmatisé ont leur histoire, histoire que viennent
régulièrement modifier des actions sociales
délibérées »1917(*). La lutte pour la réhabilitation de la
figure du père, de même que celle, corrélative, pour la
reconnaissance de la responsabilité de l'État français
dans l'abandon de leurs anciens serviteurs d'armes, scellent positivement, chez
nombre d'enfants de harkis, la conscience d'un lien spéculaire, d'un
héritage commun dont ils seraient les dépositaires. Pour autant,
cette dynamique, qui décrit une relation de
contemporanéité entre la génération des
pères et la génération suivante, suffira-t-elle - à
plus long terme - à sceller un destin communautaire ? La
réappropriation collective du terme harki par les enfants de harkis
fera-t-elle encore sens pour les petits-enfants et arrières
petits-enfants ? Ce lien spéculaire est-il à même de
perdurer et de s'enraciner au-delà de la deuxième
génération en dépit de la disparition progressive des
anciens harkis et de l'évanouissement probable du souvenir de leur
engagement et des tensions qui lui sont liées ? Ainsi, la question
de savoir si cette communauté de destin peut faire "souche" en tant que
telle, et sous quelle forme, reste ouverte.
Par suite, la question de savoir si la définition et
l'"exploitation" politique de tels critères d'identification est
souhaitable pour les personnes concernées intéresse moins
l'analyste que le moraliste ou l'éditorialiste. C'est dans cette
perspective qu'il faut replacer l'insistance de certains observateurs à
dénier l'existence d'un fait communautaire harki, lesquels,
procédant par extrapolation, craignent que la mise en exergue de cette
destinée ne plaide pour une forme de repli victimaire des
intéressés et/ou ne signe une forme de réhabilitation du
passé colonial de la France. Encore une fois - et cela apparaît
remarquablement dans ce cas d'espèce, l'identité n'est pas un pur
"donné", mais une dynamique sous influence, contrainte par les exigences
contradictoires liées au besoin de « savoir à qui et
à quoi nous devons d'être ce que nous sommes » d'une
part, la nécéssité de composer avec les perceptions et
attentes de l'environnement social d'autre part. « On peut admettre,
écrit Erving Goffman, que l'une des conditions nécessaires de la
vie sociale est le partage par tous les individus d'un ensemble unique
d'attentes normatives. (...) Toutefois, les normes dont nous traitons ici
s'appliquent à l'identité, à l'être et sont donc
d'un type particulier. Leur succès ou leur échec agit de
façon très directe sur l'intégrité psychique de
l'individu. En même temps, le simple désir de les respecter - la
pure bonne volonté - ne suffit pas, car, bien souvent, l'individu
n'exerce aucun contrôle immédiat sur le degré de son
adhésion. C'est une affaire de conformité et non de
soumission »1918(*).
En témoigne - par l'absurde, dirions-nous - le choix
photographique opéré pour illustrer un article de Didier Eribon
dans le Nouvel Observateur du 7 au 13 octobre 1999 (p.150-151),
article intitulé « Un essai posthume d'Abdelmalek Sayad -
L'immigré et son ombre ». Dans cet article, Didier
Eribon entendait mettre en exergue certains aspects particulièrement
« concrets » de la pensée de l'auteur, à
commencer par son analyse du « rapport des immigrés à
la Sécurité sociale ». Se fondant sur Sayad, il
soulignait ainsi que « pour un émigré, chez qui la
nécessité de chercher un travail a été la raison de
son émigration, et la seule justification qu'il pouvait se donner
à lui-même et aux siens pour quitter son pays, être malade
(...) peut être une manière de continuer à donner un sens
à sa vie et de préserver son honneur lorsqu'il n'a plus aucune
chance de trouver un emploi ». Ce passage, présent dans le
corps du texte, est repris en légende de l'illustration photographique.
Or, ladite photographie, loin de représenter un immigré malade,
est un portrait d'Abdelkrim Klech, président du collectif
« Justice pour les harkis » (et lui-même fils de
harki), le présentant allongé dans son campement de l'esplanade
des Invalides alors qu'il poursuivait seul une grève de la faim en
janvier 1998 pour attirer l'attention des médias et des décideurs
sur la destinée faite aux anciens harkis et leurs familles. Ces
éléments de décryptage ne sont bien entendu pas
précisés au bas de cette illustration, dont la légende
laisse donc bien au contraire accroire qu'elle représente un
« immigré malade ». Le choix de cette photographie
est d'autant plus surprenant qu'apparaît clairement en
arrière-plan du campement un poster représentant l'oncle
d'Abdelkrim Klech, en uniforme et bardé de médailles. Ainsi, un
cliché rendant compte de l'aspiration à la reconnaissance en
tant que tel d'un fils de harki, et des privations volontaires - acte
politique s'il en est - auxquelles il s'astreint pour y parvenir, est
détourné de sa vocation initiale - et comme
"désignifié" ou "insignifié" - de manière telle
qu'il nourrit un amalgame contre lequel s'élève
précisément l'intéressé. Ainsi, dans et par ce
"quiproquo", ce dernier est comme "remis à sa place" :
Algérien par méprise plutôt que Français à
part entière. Plus qu'une anecdote, il y a là un symbole de la
situation de cette communauté de destin qui, située sur un point
de rupture ou de déséquilibre à l'articulation du
« temps phénoménologique » et du
« tiers-temps de l'histoire »1919(*), vit dans le paradoxe de
ne pouvoir être (du fait de l'amalgame avec les populations issues de
l'immigration) et de devoir ne pas être (pour échapper au regard
accusateur de ceux là mêmes avec lesquels il sont confondus).
Dans La plaisanterie, Milan Kundera souligne -
à travers les pensées du narrateur, Ludvik - que « les
choses conçues par erreur sont aussi réelles que les choses
conçues par raison et nécessité ». Et de
livrer ses doutes quant à la possibilité de toute
réparation des termes de l'échange dans un monde régi par
l'absurdité et l'incommunicabilité :
« Comme j'aimerais révoquer toute l'histoire
de ma vie ! Seulement, de quel droit pourrais-je la révoquer,
si les erreurs dont elle est née ne furent pas les miennes ? (...)
De telles erreurs étaient si courantes et si communes qu'elles ne
représentaient pas des exceptions ou des «fautes» dans l'ordre
des choses, mais constituaient au contraire cet ordre. Alors qui est-ce qui
s'était trompé ? L'Histoire elle-même ? La
divine, la rationnelle ? Mais pourquoi faudrait-il lui imputer des
erreurs ? Cela n'apparaît ainsi qu'à ma raison d'homme, mais
si l'Histoire possède vraiment sa propre raison, pourquoi cette raison
devrait-elle se soucier de la compréhension des hommes et être
sérieuse comme une institutrice ? Et si l'Histoire
plaisantait ? A cet instant, j'ai compris qu'il m'était impossible
d'annuler ma propre plaisanterie, quand je suis moi-même et toute ma vie
inclus dans une plaisanterie beaucoup plus vaste (qui me dépasse) et
totalement irrévocable »1920(*).
ANNEXES
Annexe n°1
Protocole d'enquête et méthodologie de
l'entretien semi-directif
Compte tenu de la diversité des conceptions et
critères de la scientificité en matière d'entretiens de
recherche, il nous faudra ici préciser les règles de l'art qui,
pour chacune des deux campagnes d'entretiens semi-directifs (pour un total de
18 entretiens ; grille récapitulative ci-dessous)
réalisées successivement en région parisienne et en
Ardèche (à Largentière, précisément), ont
présidé : 1) à la constitution puis à la
fermeture du corpus ; 2) à la conduite de l'entretien (grille et
consigne d'entretien, attitude du chercheur en situation).
Entretiens, printemps 1997,
Paris
Dalila (23 ans), pigiste.
Dalila (37 ans) est secrétaire.
François (29 ans) est enseignant-chercheur.
Hassina (26 ans) est étudiante en arabe (niveau
maîtrise).
Jacqueline (26 ans) est hôtesse d'accueil.
Karim (31 ans) est ouvrier professionnel des sports.
Mohamed (42 ans) est commandant de police.
Rabah (35-40 ans) est fonctionnaire.
Régika (37 ans) est chauffeur de taxi.
Taouès (47 ans) est responsable des relations publiques
au sein d'une association de rapatriés.
Entretiens, novembre 1998, Largentière
(Ardèche)
Ahmed (environ 25 ans) est salarié et prend des cours
du soir en plus de son travail.
Challah (35 ans), sans emploi.
Jean-Claude (31 ans) est aide-soignant.
Lahcène (24 ans) travaille en CDD à la mairie de
Largentière comme ouvrier polyvalent.
Mohamed (28 ans), sans emploi.
Mohamed a 35 ans, ancien militaire de carrière,
actuellement sans emploi.
Rachid (34 ans), sans emploi.
Zohra (45 ans), femme au foyer.
1. Les critères de constitution et de fermeture
du corpus
1.1 Les critères de constitution du
corpus
Compte tenu de la problématique et de la posture
analytique qui sont les nôtres, il ne s'agissait pas pour nous de viser
à l'exhaustivité et de constituer un panel représentatif
au sens statistique du terme : le maître mot en la matière
était plutôt "diversité" ; de fait, l'objectif
n'était pas de restituer l'état de l'opinion à un moment
donné sur une question précise (sur le mode photographique du
sondage d'opinion) mais d'explorer en profondeur, au travers de récits
de vie, ce que nous avons appelé des "mondes subjectifs" ; de ce
point de vue, il s'agissait plutôt de constituer un panel qui, dans la
mesure du possible, rende compte de la diversité de cette population au
regard de certains critères clefs - modes d'implantation des familles et
formes de sociabilité qui leur sont associées,
âge/degré de maturation des individus, sexe et statut
socioprofessionnel - afin de déterminer si et dans quelle mesure ces
facteurs (isolément ou selon certaines combinaisons) influent sur
l'itinéraire moral des fils et filles de harkis, autrement dit, sur la
manière dont ils vivent et gèrent la succession d'étapes
biographiques jalonnant la "découverte" (chocs affectifs et
relationnels) puis le "maniement" du stigmate (choix stratégiques
à opérer).
1.1.1 Les clivages liés aux modes
d'implantation des familles et aux formes de sociabilité qui leur sont
associées
Un premier critère de constitution du panel
était celui de la diversité des modes d'implantation des familles
et des formes de sociabilité qui leur sont associées :
Comment les formes de l'habitat (au sens large du terme) affectent-elles les
relations sociales et la manière dont les fils et filles de harkis
"font avec" les anathèmes ou stéréotypes
véhiculés à leur encontre et à l'encontre de leurs
parents ? En particulier, peut-on opérer, de ce point de vue, un
distinguo entre la situation des "assignés" (socialisés dans une
enclave communautaire ou "site réservé") et celle des
"disséminés" (socialisés dans un environnement mixte et
anonyme ou "site intégré") ? Précisément, le
choix d'un double terrain d'investigation - d'une part Largentière,
sous-préfecture de l'Ardèche, où il existe, un peu
à l'écart du village, un lotissement spécifiquement
dédié à l'accueil des anciens harkis et de leurs familles,
et, d'autre part, la région parisienne, où les anciens harkis et
leurs familles vivent de manière disséminée et anonyme -
participe du souci d'apporter à ces questions des éléments
de réponse tangibles.
1.1.2 Les clivages liés au degré de
maturation des individus
Il était tout aussi important de diversifier
l'échantillonnage en fonction de l'âge et donc du degré de
"maturation" des fils et filles de harkis aux fins d'appréhender
l'influence de ce facteur sur le maniement du stigmate et, par-là, de
sérier les différentes étapes de "l'itinéraire
moral" des enfants de harkis. Parmi les 18 personnes interrogées (tous
sites confondus), 2 se situaient dans la tranche d'âges 18-24 ans, 8 dans
la tranche d'âges 25-34 ans et 8 étaient âgés de 35
ans ou plus.
1.1.3 Les clivages liés au
genre
Nous avons également voulu tester l'influence du genre
sur "l'itinéraire moral" des enfants de harkis : le sentiment
d'identité et de filiation, la qualité des relations avec autrui,
la nature des stratégies opérées et/ou la propension
à la mobilisation varient-ils selon le sexe des
intéressés ? La parité hommes/femmes a
été respectée dans la mesure du possible : totale en
région parisienne, où le nombre de fils et filles de harkis
interrogés était égal, nulle à Largentière
où, à une exception près, seuls des hommes ont pu
être interrogés. Cela tient certainement à la
différence de contexte et de modalités d'approche : en
région parisienne, le nombre d'intermédiaires était
limité, et les prises de contact étaient individuelles, au coup
par coup et noyées dans l'anonymat des foules ou des ensembles
urbains ; à l'inverse, à Largentière, mon
séjour a dû être préparé à l'avance,
mon arrivée était attendue et ne pouvait passer inaperçue
dans un cadre qui ne m'était pas familier ; certaines personnes
furent contactées à l'avance, d'autres rencontrées sur
place ; de ce point de vue, mon "extériorité" (au lieu et
à la communauté) a, de toute évidence constitué un
obstacle, les femmes - et particulièrement les jeunes femmes -
étant très peu visibles dans le village, à la
différence des hommes qui fréquentent le café, s'adonnent
à des activités sportives (la rencontre dominicale de football
dans une équipe composée quasi-exclusivement de fils de harkis -
et gérée par une association communautaire - est un moment de
sociabilité important), etc.
1.1.4 Les clivages liés au
statut socioprofessionnel
Enfin, une autre variable essentielle dans
l'appréhension de l'itinéraire moral des fils et filles de harkis
est celle de leur statut socioprofessionnel : les enfants de harkis en
situation de précarité sociale vivent-ils différemment
leur quête identitaire et réagissent-ils différemment aux
informations véhiculées par leur environnement que ceux ayant
emprunté "l'ascenseur social" ? La réussite professionnelle
peut-elle compenser la honte des origines et/ou la difficulté à
s'assumer en tant que tel aux yeux d'autrui ? Et qu'en est-il, de ce point
de vue, de la propension et des formes de l'engagement associatif :
varient-elles - et si oui, dans quelle mesure - selon le statut
socioprofessionnel des intéressés ? Parmi les 18 personnes
interrogées, on comptait : 4 personnes en recherche d'emploi, 2
ouvriers, 3 employés, 4 personnes exerçant des professions
intermédiaires, 2 cadres ou assimilés, 1 étudiante, 1
femme au foyer et 1 personne à son compte.
1.2 Les critères de fermeture du corpus
A l'issue de mon séjour à Largentière et
de ma deuxième campagne d'entretiens formalisés, il m'est apparu
que la valeur ajoutée d'une troisième campagne d'entretiens
formalisés de type semi-directif ne saurait, sur l'essentiel, m'apporter
de nouveaux éléments de compréhension : leur
utilité ne pouvait être désormais qu'incrémentale,
avec l'introduction de cas marginaux. Il me semblait, de fait, avoir atteint un
seuil de saturation quant à la collecte de l'information sur les
structures fondamentales du maniement du stigmate (cadre cognitif et
répertoires d'actions) et à l'influence relative des principales
variables sociogéographiques précédemment
énumérées. Je décidais de m'en tenir, à
titre supplémentaire, aux informations collectées au cours de mes
nombreux entretiens informels ainsi que de mes activités d'agent de
coordination chargé de l'emploi (ACCE) au sein du service des
rapatriés de la préfecture de Paris. Je me réservais la
possibilité d'une troisième campagne d'entretiens
formalisés au cas où il me serait apparu nécessaire
d'explorer certaines dimensions jusque-là mal sériées ou
mésestimées. Ce ne fut pas le cas.
2. La conduite de l'entretien
2.1 La consigne et la grille
d'entretien
Nos entretiens de recherche étaient structurés
par une consigne et une grille d'entretien, ce qui leur conférait un
caractère semi-directif.
2.1.1 La consigne d'entretien
Premier élément structurant, la consigne
d'entretien lance et cadre - au moins initialement - le cours de l'entretien.
Pour ce qui nous concerne, sa formulation a légèrement
évolué entre la première vague d'entretiens (en
région parisienne) et la seconde (à Largentière).
Lors de la première vague d'entretiens (en
région parisienne), l'intitulé de la consigne d'entretien fut
volontairement construit de manière à canaliser l'espace de la
parole autour de l'articulation (supposément signifiante donc
problématique) entre phénomènes de transmission et
phénomènes d'identification.
Cette consigne, double dans sa formulation, était la
suivante :
- « De quelle manière votre père vous
a-t-il fait partager son expérience de la guerre d'Algérie, puis
de l'exil ? »
(Il est ici précisé aux enquêtés
que ce qu'on leur demande de nous expliquer n'est pas tant ce que leur
père leur a dit de lui et des siens que la manière, l'état
d'esprit au travers duquel il leur a transmis cet héritage
mémoriel)
- « Dans quelle mesure cette mémoire
familiale, et la manière dont elle vous a été transmise,
vous a servi à répondre aux questions que vous vous posiez sur
votre identité ? ».
Au risque d'induire un biais de directivité (risque a
priori minimisé par la longueur des entretiens), la formulation d'une
consigne initiale directe et précise se justifiait, me semblait-il, par
la nature des questions abordées : interroger le rapport à
la mémoire familiale et la façon dont il peut ou non produire la
honte chez l'enfant, c'est interroger un ensemble de sentiments et
d'expériences profondément intimes, c'est toucher à ce que
Erving Goffman appelle les "réserves du moi"1921(*) ;
précisément, le pari était qu'en confrontant
d'emblée les enquêtés à ces questions, mais selon
une formulation neutre, a-conflictuelle, il serait possible d'en
dédramatiser l'abord et donc, dans une certaine mesure, de
libérer la parole des intéressés.
Au terme de la première vague d'entretiens, il est
apparu que l'efficace d'une telle approche était inégale :
pour certains, l'effet désinhibant se vérifiait, la consigne les
amenant d'emblée à se soulager d'un ressenti
généralement contenu, donc insuffisamment élaboré
(au sens psychologique du terme) ; pour d'autres, à l'inverse, le
biais de directivité était trop fort, et la complexité de
la consigne - double dans sa formulation - trop grande, déstabilisant
mes interlocuteurs et portant préjudice - un temps du moins - à
la fluidité des échanges.
Je décidai donc, s'agissant de la deuxième vague
d'entretiens, de prévenir ces biais en éludant la deuxième
partie de la consigne pour ne retenir que la première (« De
quelle manière votre père vous a-t-il fait partager son
expérience de la guerre d'Algérie, puis de
l'exil ? »). De cette façon, la consigne (plus simple
dans sa formulation), tout en continuant à mettre d'emblée
l'accent sur la relation au père, n'introduisait plus que de
manière implicite la question des liens entre filiation et sentiment
d'identité, ménageant davantage de progressivité à
l'expression du ressenti.
2.1.2 La grille d'entretien
L'autre élément structurant, avons-nous dit, est
la grille d'entretien. Celle-ci, élaborée sur la base de
connaissances et de questionnements préalables à l'enquête,
n'est rien d'autre qu'une sorte de "réservoir" d'idées (et de
questions) dans lequel l'enquêteur est libre de puiser à tout
moment pour introduire ou développer des thématiques qui
n'auraient pas ou trop succinctement été abordées par
l'enquêté et, ce, de préférence sous la forme de
relances collant le plus étroitement possible au cours "naturel" de
l'entretien. L'idéal restant bien sûr que ces thématiques
soient abordées spontanément par l'enquêté, sans
intervention expresse de l'enquêteur. C'est l'existence même d'une
telle grille et l'influence qu'elle peut avoir sur le cours et le contenu de
l'entretien qui différencie l'entretien semi-directif de l'entretien
non-directif (ce dernier n'étant "structuré" que par la consigne
initiale). Il faut préciser, pour ce qui me concerne, que cette grille
d'entretien n'avait d'existence que virtuelle :
intériorisée, elle ne s'offrait pas à la vue de
l'enquêté ; elle fut en outre évolutive, dans la
mesure où de nouvelles connaissances et de nouveaux questionnements sont
apparus au fur et à mesure de mes entretiens et investigations.
2.2 L'attitude du chercheur en situation : le
mouvement de va-et-vient entre l'implication et la
distanciation
Il existe, s'agissant de l'attitude du chercheur en situation
d'entretien, une opposition, volontiers polémique, entre les conceptions
de l'entretien soucieuses de s'en tenir à une stricte neutralité
axiologique (entretien non ou semi-directif classique, et récits de
vie1922(*)) et celles
inspirées par la maïeutique (démarche dite
d' « objectivation participante »1923(*)). En fait, les unes et les
autres divergent dans leurs objectifs : 1) La spécificité et
la difficulté propres à la technique non (ou semi-)directive
réside dans la dissociation, conçue comme nécessaire sur
un plan heuristique, entre le principe de "neutralité bienveillante",
qui sied à l'écoute et à la compréhension du cadre
de référence de l'enquêté, et les jugements de
valeur portés sur son discours (que l'enquêteur doit se garder
d'exprimer) ; 2) A l'inverse, la visée
d' « objectivation participante » assignée par
Pierre Bourdieu aux entretiens, en ce qu'elle subsume la visée
proprement cognitive du travail d'étude et de recherche dans une
visée de changement social qui l'intègre et la dépasse,
est diamétralement opposée à une telle visée
compréhensive.
Pour ce qui nous concerne, et compte tenu de la
problématique et de la posture analytique qui sont les nôtres,
notre choix s'est clairement porté sur la première
démarche, dite « compréhensive »
(neutralité axiologique). Cependant, il n'est pas inutile de confronter
cette démarche à celle inspirée par la maïeutique
(démarche dite d' « objectivation
participante ») afin de mieux saisir, par effet de contraste, la
spécificité de notre démarche.
2.2.1 La démarche d'"objectivation
participante"
Dans une démarche d'"objectivation participante", la
posture de l'entretien vise moins à créer les conditions d'une
libre expression de l'enquêté, de ses cadres de
référence et autres "mondes subjectifs", qu'à amener
celui-ci à une autre compréhension de lui-même,
fondée sur le savoir générique, englobant du chercheur. La
démarche d' « objectivation participante »
sous-tend donc une attitude fortement interventionniste du chercheur dans le
cours de l'entretien, attitude elle-même basée sur l'idée
que les sciences sociales n'ont pas seulement pour rôle de promouvoir la
connaissance mais aussi, indissociablement, de promouvoir une prise de
conscience (en l'occurrence, celle de l'enquêté) et, ce faisant,
le changement individuel et social.
Ainsi, pour Pierre Bourdieu, la visée
d' « objectivation participante » participe
d' « un travail socratique d'aide à
l'explication » 1924(*) qui, « à la façon d'un
accoucheur »1925(*), vise à « assister
l'enquêté, dans un effort douloureux et gratifiant à
la fois, pour mettre au jour les déterminants sociaux de ses opinions et
de ses pratiques dans ce qu'elles peuvent avoir de plus difficile à
avouer et à assumer »1926(*) ; ou encore à
« aider l'enquêté à livrer sa
vérité ou, mieux, à se délivrer de sa
vérité »1927(*). G. Grunberg et E. Schweisguth d'avancer, à
cet égard, que « le type d'entretien ainsi défini
serait donc, en quelque sorte, l'équivalent sociologique d'une cure
psychanalytique »1928(*).
Cette « compréhension générique
et génétique de ce qu'est l'enquêté » se
déduit donc moins du discours de l'enquêté lui-même
que d' « une représentation vérifiée des
conditions dans lesquelles l'enquêté est placé et de celles
dont il est le produit : c'est seulement lorsqu'elle s'appuie sur une
connaissance préalable des réalités que la
recherche peut faire surgir les réalités qu'elle entend
enregistrer » 1929(*). « Le rôle de l'entretien n'est pas
alors de découvrir ou de comprendre l'enquêté, soulignent
Grunberg et Schweisguth, mais de lui faire livrer les éléments de
sa vie que l'enquêteur connaît par avance et qui lui paraissent
pertinents »1930(*). « Le principe de base, ajoutent-ils, en
est que le sociologue détient à l'avance la connaissance de la
réalité sociale et que les propos des enquêtés (...)
n'ont pour fonction que d'illustrer cette réalité et de confirmer
la «connaissance préalable» (P.Bourdieu, op.cit., p.916) que
le chercheur en a déjà »1931(*).
Cet effet de « révélation »,
en tant qu'il est posé comme « préalable »
à la compréhension1932(*), caractérise en propre la visée
d' « objectivation participante ». Pour Pierre
Bourdieu, « il va de soi que l'entretien ne vise pas seulement
à faire dire à l'enquêté ce qu'il est, ce qu'il fait
ou ce qu'il pense, mais aussi, et avant tout, à (...) faire produire par
les enquêtés eux-mêmes, avec l'aide de l'enquêteur,
une explication de ce qu'ils font, de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils
souffrent, en termes de déterminants sociaux, ce processus étant
désigné sous le terme d'objectivation
participante »1933(*) ; puisque le narrataire « est
en quête non pas des systèmes de représentations à
travers lesquelles les personnes interrogées perçoivent et
évaluent le monde, mais de la production par l'enquêté de
sa propre explication »1934(*), la collecte du récit se doit d'être
une véritable maïeutique. Le narrataire « collabore
directement à la production du récit »,
« [il] se trouve entièrement engagé dans cette
entreprise de création commune »1935(*) ; bien plus,
« narrateur et narrataire sont des partenaires qui se trouvent
situés dans un rapport dialectique »1936(*).
En ce qu'elle tend à ramener « la
signification des opinions et des comportements à leurs
déterminants sociaux »1937(*), cette visée de « construction
méthodique » des entretiens, « forte de la
connaissance de conditions objectives communes à toute une
catégorie », nous semble, à la suite de G. Grunberg et
E. Schweisguth définir une approche réductionniste,
particulièrement eu égard à notre objet d'étude et
à notre problématique : « On trouve ici
parfaitement illustrée la permanence chez Pierre Bourdieu d'une
conception étroite du social, dans laquelle, par exemple, les notions
d'identité et de sentiment d'appartenance à un groupe
défini sur la base d'un critère national, religieux ou ethnique
n'ont pas leur place, et doivent s'effacer devant les seules explications
pertinentes que sont les déterminismes liés aux positions
dominantes ou dominées dans l'espace social. Dès lors, on ne
s'étonnera pas qu'il considère comme mystificateur un propos qui
analyse de manière introspective les contradictions du sentiment
d'identité défini par un sentiment de double appartenance
nationale »1938(*).
Le postulat, propre aux conceptions déterministes, d'un
sens caché inaccessible au sens commun induit « la fiction
d'un observateur omniscient »1939(*). « Manifestement, notent G. Grunberg
et E. Schweisguth, le «regard qui consent à la
nécessité à la manière de Dieu»1940(*) n'est de mise pour Pierre
Bourdieu que lorsque les enquêtés entrent dans la conception de la
nécessité qui est la sienne »1941(*). Car « à
partir du moment où l'on entend faire tenir à
l'enquêté un discours explicatif conforme à un paradigme
déjà existant, il est évident que le système
général d'explication doit être présent dans
l'esprit de l'enquêteur avant même le commencement de
l'entretien »1942(*). Pierre Bourdieu ne dit pas autre chose, pour qui
« il faut poser que comprendre et expliquer ne font
qu'un »1943(*). Il n'y a pas chez lui d'autonomie de l'approche
empirique, de l'investigation proprement dite : pour lui, estiment
Grunberg et Schweisguth, « la vraie méthode consiste
essentiellement en la connaissance de la "vraie" théorie du
social »1944(*).
Ainsi, la visée d' « objectivation
participante », en ce qu'elle implique une attitude très
interventionniste de l'enquêteur et une conception finaliste de
l'interview, relève selon nous davantage d'une praxis que d'un
pur travail de recherche1945(*) :
« Dans l'esprit de Pierre Bourdieu, la publication
de tels entretiens n'est pas seulement un acte scientifique mais aussi un
«acte politique», un acte d'intervention sur le monde social. En
effet, «ce que le monde social a fait, le monde social peut,
armé de ce savoir, le défaire», et c'est de la part
des hommes politiques être coupable de «non-assistance à
personne en danger» que de ne pas tirer «parti des
possibilités, si réduites soient-elles» (P. Bourdieu, p.944)
que la science offre à l'action. C'est enfin un acte
thérapeutique dans la mesure où, en faisant connaître
à ceux qui souffrent l'origine sociale de leur malheur, on leur permet
«de découvrir la possibilité d'imputer leur souffrance
à des causes sociales et de se sentir ainsi disculpés»
(Ibidem) »1946(*).
A l'inverse, l'entretien non (ou semi-) directif classique ne
constitue ni une relation amicale ni une relation d'aide : c'est une
technique de recueil d'information qui vise à pénétrer le
cadre de référence de l'individu, à en objectiver les
principaux points d'articulation, sans prétendre ni le valider ni le
corriger.
2.2.2 L'entretien non ou semi-directif
classique
Pour un interviewer, s'inscrire dans une démarche
compréhensive, c'est être mû par la volonté
d'approcher le cadre de référence de l'enquêté au
moyen d'une attitude bienveillante, de « montrer à
l'enquêté qu'on le respecte a priori tel qu'il est, quelles que
soient ses opinions, et que l'on cherche à le comprendre en entrant dans
la logique qui lui appartient en propre ». « D'un point de
vue technique, ajoutent Grunberg et Schweisguth, le «oui» de
l'enquêteur qui ponctue fréquemment les déclarations de
l'enquêté dans l'entretien non (ou semi-)directif, ne signifie pas
«oui, je suis d'accord avec vous» mais «oui, je vous
écoute et je vous comprends» »1947(*). Le premier objectif des
chercheurs qui utilisent l'entretien non ou semi-directif est de
« faire produire par l'enquêté un discours qu'ils
n'auront en aucune manière préstructuré, dans lequel
l'enquêté donne son avis sur le problème qui lui est soumis
en utilisant son propre système de perception et de
représentation du monde. Les représentations sociales que
véhiculent les propos des enquêtés constituent, ainsi, le
premier objet de leur étude »1948(*).
Il ne s'agit donc pas de prétendre amener les
interviewés à une conscience plus "haute" d'eux-mêmes, au
nom d'une hypothétique vision "en surplomb" et d'un projet politique
tourné vers le changement social, mais, plus modestement, de saisir leur
"sens commun", leur définition de la situation, pour comprendre ce
qu'est leur rapport au monde, sans prétendre l'amender ni le valider.
Contrairement aux images de passivité et de laisser
faire qui lui sont communément associées, une telle attitude
(caractérisée par la volonté de laisser se
développer des réponses très éloignées de la
pensée du chercheur) exige de l'enquêteur un très important
engagement personnel. R. Ghiglione et B. Matalon, évoquant l'attitude
"critique" de l'expérimentateur piagétien, soulignent que
l'enquêteur « intervient en posant de nouveaux
problèmes, toujours choisis en fonction des réponses
précédentes, ou en discutant des réponses
données, en montrant les contradictions, non pour faire
comprendre [il ne s'agit précisément pas d'un processus
d' « objectivation participante »] mais pour
explorer la structure cognitive sous-jacente, dont on s'efforcera toujours
de ne pas sortir, évitant pour cela tout apport de raisonnements
nouveaux, si ce n'est très consciemment, à titre de
réactifs »1949(*).
Ainsi, la conduite de l'entretien est "active" en ce sens que
1) l'interviewer, dans un effort permanent et subtil de recentrage, doit
« être capable de ramener toujours la compréhension de
ce qui est dit par rapport à l'objet de
l'entretien »1950(*), et 2) il doit faire preuve d'implication, non pas
en guidant le cheminement intellectuel de son interlocuteur vers un
schème explicatif connu et validé par lui à l'avance, mais
en lui manifestant sa compréhension du contenu, en le relançant,
en faisant le point et en synthétisant régulièrement ce
qui a été dit.
Mais, dans le même temps, une certaine distance,
à la fois sociale et affective, est nécessaire à la
conduit de l'entretien de recherche. Distance sociale, parce qu'une trop grande
familiarité entre l'enquêteur et l'enquêté pourrait
engendrer « une connivence défavorable à
l'explicitation de tout ce qui va de soi entre deux personnes partageant les
mêmes références »1951(*) ; distance affective
« en raison de la réticence possible, de la part de
l'enquêté, à faire certains aveux à quelqu'un qu'il
connaît, qu'il est appelé à revoir et dont il a davantage
de raisons de redouter le jugement. Il est des aspects de soi-même que
l'on peut plus facilement accepter de confier à un spécialiste de
l'écoute qui, par son attitude, montre qu'il ne vous juge pas, et dont
on sait qu'on ne risque pas de rencontrer le regard dans les situations
quotidiennes »1952(*).
2.3 La question de l'utilité de l'entretien
pour l'enquêté
Mais s'il n'est ni relation d'aide ni relation amicale,
à quoi l'entretien de recherche peut-il servir aux personnes
interviewées ? Cette question n'est ni déplacée ni
superfétatoire car, dans une situation où l'enquêteur a
tout à attendre de l'enquêté sans rien pouvoir ni devoir
lui promettre en retour (ni émoluments, ni perspectives de changement
individuel ou social), la situation d'entretien a quelque chose d'artificiel,
d'inégal, d'ambigu : pourquoi raconter sa vie à un parfait
inconnu qui, par surcroît, vous considère au mieux comme un "objet
d'étude", au pire comme le "quantième" d'un
échantillon ? Du reste, "raconter sa vie" - jusque et y compris les
anfractuosités et les blessures de l'existence - n'est ni un acte
spontané ni un acte anodin, y compris même dans le cours d'une
conversation amicale à bâtons rompus où le récit
s'articule de préférence sur un mode anecdotique. Mais c'est sans
doute aussi précisément pour cela qu'une telle situation peut
avoir une vertu "libératoire" pour les intéressés :
se raconter, raconter à un étranger des choses que l'on garde
habituellement pour soi ou, tout au moins, dans un entre-soi restreint, c'est
aussi se libérer - ne serait qu'une fois - d'une réserve qui,
à la longue, peut être pesante ; et c'est aussi, du
même coup, prendre conscience que l'on peut être, en tant que tel,
reconnu et considéré digne d'intérêt par quelqu'un
qui n'est ni un proche ni un ami, dans une relation qui n'est ni marchande ni
conflictuelle. De fait, il est souvent arrivé que mes interlocuteurs
témoignent et me fassent part de cette vertu à la fois
libératrice et valorisante de l'entretien. De même,
Béatrice Pouligny, qui a été confrontée pour sa
part à des victimes ou témoins directs de crimes de masse,
raconte que « lors d'enquêtes de terrain, dans le passé,
le fait de n'avoir jamais pu raconter son histoire et d'avoir ainsi vu son
expérience et sa souffrance reconnue étaient des leitmotivs de
nombreux entretiens que j'ai conduits »1953(*).
Annexe n°2
De l'entre-soi des rencontres dominicales de
football à Largentière (Ardèche) au repli communautaire
(1998)
Le club de football de Largentière, laissé en
déshérence deux ans auparavant par ses anciens dirigeants, a
été, depuis lors, repris en main par des éducateurs issus
de la communauté harkie. Cette initiative, qui faisait table rase du
passé (auparavant, l'équipe était peu ouverte aux enfants
de harkis), a suscité une dynamique essentiellement communautaire :
l'équipe première, ainsi que la réserve, sont
composées aux quatre cinquièmes de jeunes issus de la
communauté harkie, auxquels se joignent quelques beurs (principalement
d'origine marocaine) ; les "gaouris" (ou Français dits "de souche")
se comptent sur les doigts d'une seule main. En outre, et la remarque est loin
d'être adventice, bien au contraire, les trois entraîneurs sont
eux-mêmes membres de la deuxième génération de
harkis. En un sens (que certains déplorent, au sein même de la
communauté), cette reprise en main s'apparente à une mainmise,
mainmise qui, selon Jean-Claude (lui-même enfant de harki),
préviendraient nombre de jeunes gaouris contre l'envie de participer
à la vie du club. Quoique Mohamed (35 ans), entraîneur de
l'équipe première, s'en défende avec
véhémence, certains craignent de voir évoluer le club vers
une forme de communautarisme, symétrique de la situation connue
précédemment mais aboutissant au même
résultat : la coexistence obstinée de deux mondes
parallèles.
En ce dimanche de novembre à Largentière,
l'équipe première rencontre (à l'occasion d'un match de
coupe) une équipe qui évolue habituellement trois divisions
au-dessus de la sienne, tandis que l'équipe réserve (toujours
à l'occasion d'un match de coupe) se déplace dans un quartier
"chaud" d'Aubenas, match qui revêt une signification
extra-footballistique puisqu'il marque, par surcroît, l'opposition
(traditionnellement empreinte d'une certaine tension) entre les
"Algériens" (entendre les enfants d'immigrés algériens)
d'Aubenas et les "harkis" de Largentière.
A match exceptionnel, affluence exceptionnelle : environ
deux cent personnes (essentiellement des hommes, plutôt jeunes) se
pressent autour du stade de Largentière pour assister au match de
l'équipe première. La part des membres de la communauté
harkie dans la composition du public (toutes générations
confondues) avoisine les soixante pour cent, alors qu'elle ne
représente, selon Mohamed (35 ans) que quinze à vingt pour cent
de la population totale de Largentière. La proportion
s'élève à mesure que la fourchette d'âges prise en
compte s'abaisse, atteignant un pic d'environ quatre-vingt pour cent pour les
12-25 ans.
Une soixantaine de jeunes - fils et petits-fils de harkis
(exclusivement des garçons) - sont rassemblés derrière le
banc de touche de l'équipe, le long de la main courante ou, plus en
retrait, sur une butte qui fait face au terrain. Ils forment, au sein du
public, le groupe le plus imposant (entre un tiers et un quart de
l'assistance), le plus bruyant et, semble-t-il, le plus concerné :
les joueurs leur sont visiblement familiers. Au sein de ce "kop"
improvisé, deux sous-groupes - caractéristiques de deux classes
d'âges bien distinctes - se détachent : d'une part, les
"minots" (10-14 ans) ; d'autre part, les "grands frères" (25-29
ans). Les adultes et les "vieux" sont eux répartis tout autour du
terrain, par petits groupes. Il y a davantage de mixité parmi les plus
âgés.
Ce qui frappe de prime abord y compris, et surtout, au sein de
la strate la plus juvénile du public, c'est la prégnance de
l'entre-soi, d'un communautarisme "réflexe", non pressenti, non
rationalisé, mais qui s'impose, qui va de soi. Pour preuve, l'absence
totale de mixité : un petit groupe, formé d'une dizaine
d'adolescents (des gaouris), reste à l'écart,
excentré ; sa composition, tout autant que l'attitude d'ensemble de
ses membres, contrastent avec celles du groupe précité :
filles et garçons y sont également représentés et
les chamailleries intestines prévalent de beaucoup sur la tension du
match, peu concernés tant par la rencontre (qui est avant tout
prétexte à sortie) que par ses acteurs (dont ils ne semblent pas
familiers), ils se dispersent aussitôt le coup de sifflet final, au
contraire des jeunes fils de harkis (tout au moins les plus âgés
d'entre eux) qui resteront de heures près de la buvette à
"refaire" le match autour d'un verre. Cette césure entre "harkis" et
"gaouris" au sein des jeunes générations n'est pas seulement
circonstancielle : à la faveur d'un entretien, quelques jours plus
tard, Rachid et Mohamed (28 ans) m'en confirmeront la réelle
prégnance, tout au long de l'année.
En cours de seconde mi-temps, l'équipe réserve,
qui revient victorieuse de son match à Aubenas et dont la moyenne
d'âge est sensiblement moins élevée, signale bruyamment
(klaxons bloqués) son retour, débordements de joie à la
mesure de la rivalité, voire de l'animosité qui, selon
Lahcène, baignent l'atmosphère des rencontres (sportives mais
aussi, parfois, quotidiennes) entre "ceux" de Largentière (les enfants
de harkis) et "ceux" d'Aubenas (les enfants d'immigrés algériens,
tout particulièrement) ; Lahcène, tout à sa joie, de
m'expliquer que, de fait, le match a été "chaud" et les tacles
« à hauteur des genoux »...
Je compte profiter de la présence familière de
Lahcène (que j'ai interviewé l'avant-veille) pour offrir ma
démarche à l'attention de quelques-uns de ses camarades,
conformément, d'ailleurs, à une proposition de
l'intéressé lui-même (lors de notre première
entrevue). Lahcène pensait en effet faciliter, par son entremise, les
prises de contact avec des jeunes qu'il avait présentés comme
étant quelque peu « sauvages », donc difficiles
à aborder sans intermédiaire connu et reconnu. Cependant, en
situation, au milieu du groupe des pairs, Lahcène, sans doute
gêné par ma compagnie, présence étrangère qui
détonne au milieu du groupe des pairs, adopte une attitude
exagérément précautionneuse - sinon distante (il feint
d'abord de ne pas me voir malgré l'évidente singularité de
ma présence, c'est-à-dire, précisément, en
raison de cette singularité). Cette attitude témoigne de
l'enclosure relative du groupe, de la prégnance d'une forme diffuse de
contrôle communautaire, enjoignant ceux qui s'y soumettent au plus grand
discernement - sinon à une certaine circonspection - quant à
l'introduction d'éléments allogènes en son sein. En outre,
manifestement déconcerté (pour lui-même1954(*)) et mis en porte à
faux (vis-à-vis de ses camarades) par l'incongruité d'une
démarche, la mienne, qui ne vise pas à prêter assistance
à - mais à solliciter le concours bienveillant de jeunes qui sont
eux-mêmes en attente de quelque chose, bien plus, qui se
considèrent en droit d'attendre quelque chose des autres, Lahcène
se contente pour toute entremise d'un geste circulaire et vague
(« Ben, voilà, ils sont là... »), qui me
laisse face à mes responsabilités. Je prends donc mon parti
d'aborder librement un de ses camarades ; Lahcène, qui suit la
scène de loin, lance à mon sujet : « Il travaille
dans le social », ajoutant inextricablement à la confusion de
la situation ; confusion qui n'est pas seulement d'ordre
sémantique puisque travailler dans et sur le
social, ce n'est évidemment pas la même chose en soi, mais,
surtout, cela n'a pas les mêmes implications pour mes interlocuteurs.
Ce statut virtuel qui m'est conféré à la
dérobade (Lahcène a-t-il jamais compris l'objet de ma
démarche ?) a le don de faire naître un (faux) espoir chez
mon vis-à-vis (« Vraiment, tu travailles dans le
social ?! ») et, conséquemment, de fragiliser ma
démarche, celle-ci pouvant apparaître "vaine", sinon inopportune
pour les intéressés, par contraste avec celle d'un travailleur
social ou d'un chargé de mission/prospecteur dans le domaine de
l'emploi ; de fait, ma tentative de rétablissement de la situation
d'interaction, par redéfinition des statuts (« Je suis
étudiant, je m'intéresse à la communauté harkie, je
pensais que nous pourrions parler de ta situation... ») et
redistribution des rôles (inversion de la polarisation offreur/demandeur
et "démonétisation" des termes de l'échange - je n'ai rien
à offrir, sinon de l'attention, à mon vis-à-vis), se
heurte à une fin de non recevoir explicitement motivée par
l'absence de perspectives matérielles : « Parler, je l'ai
déjà trop fait, c'est du concret qu'il nous faut ».
Comme pour faire écho à son refus et à son
désarroi, certains s'écrient, sans s'adresser directement
à moi (mais le message est clair) : « Y'a pas de
boulot ! ».
Ce qui est en jeu, ici, c'est d'abord "l'incongruité"
d'une démarche réflexive/idéelle quand l'urgence, pour mes
interlocuteurs, est à l'amélioration de leur situation
matérielle. Ce qui est en jeu également, mais de manière
plus structurante (et souterraine), c'est la violence symbolique
inhérente à une démarche qui les invite à mobiliser
des compétences (notamment langagières) dont ils peuvent a
priori se sentir dépossédés puisque, pour la plupart,
ils ne disposent que d'un faible capital scolaire1955(*).
Nouvelle rencontre, deux jours plus tard, avec le jeune qui
m'avait pris pour un travailleur social et qui avait décliné ma
proposition d'entretien. Malgré ma mise au point de dimanche, la
confusion demeure : il me demande si je suis rémunéré
pour mes activités, dont la véritable nature lui reste
visiblement étrangère puisqu'à nouveau il m'interpelle sur
la nature des aides que je - ou "nous" (moi et l'institution que je suis
censé représenter) - suis (sommes) susceptible(s) de "leur" (les
jeunes de Largentière) apporter. Nouvelle mise au point. Mon
interlocuteur de conclure sur un : « C'est bizarre, quand
même ». Le malentendu demeure.
Il en ressort un état d'esprit général
fait de dépendance et de méfiance mêlées
vis-à-vis de l' « hors-groupe »,
l'extérieur étant à la fois conçu comme la seule
planche de salut possible sur le plan matériel et comme un monde
inconnu, voire vaguement hostile, sur le plan des relations interpersonnelles.
Cette fermeture relative à l'autre est d'abord le produit d'une
socialisation en « vase clos » (sur l'autre versant de la
colline, en lisière de Largentière, au beau milieu de
l'Ardèche), qui plus est en butte à une mentalité
autochtone que nombre d'enfants de harkis qualifient volontiers de
« rétrograde » et qui, même en l'absence d'un
climat d'animosité véritablement perceptible, n'inviterait que
modérément au cosmopolitisme. Et, de fait, chacun garde ses
distances.
Annexe n°3
Le contre-exemple institutionnel de la
« Loi de concorde civile »
Le processus initié par la « Loi de concorde
civile », promulguée le 16 juillet 1999 en Algérie en
vue de « dégager des issues appropriées aux personnes
impliquées et ayant été impliquées dans des actions
de terrorisme ou de subversion »1956(*), puis parachevé par la « Charte
pour la paix et la réconciliation nationale », adoptée
par référendum le 29 septembre 2005, plutôt que de viser
à la réparation des termes de l'échange avec l'adversaire,
participe de ces « stratégies de disculpation qui, selon Paul
Ricoeur, font obstacle au cheminement de l'esprit de
pardon »1957(*).
De fait, la démarche générale de la
présidence algérienne ressortit moins de la volonté
d'aménager un espace de réciprocité où puisse
être énoncé - et non effacé - le différend,
au sens où l'on en viendrait à « [construire] un mixte
entre plusieurs langages, plusieurs univers de justification (...) sans
trancher définitivement sur le fond »1958(*), que d'une grâce
amnistiante conditionnée par un acte de capitulation en bonne et due
forme1959(*) et
assortie d'un ultimatum1960(*). En somme : le "fait du prince", un processus
unilatéral de réconciliation, conforme à l'acception
religieuse du terme, soit une « cérémonie par laquelle
un pécheur est pardonné et réadmis à la
communauté par l'église »1961(*). Il ne s'agit donc pas
d'instaurer un rapport de réciprocité avec l'adversaire, mais,
après s'être assuré de son « amendement
entier »1962(*), de faire acte de mansuétude à son
égard ; autrement dit, de l'amener à résipiscence
contre la promesse d'une impunité relative (et la certitude d'une
impunité totale pour soi). Ce primat de l'amodiation sur la
délibération appert de l'article 1er de la loi dite de
« concorde civile », lequel dispose qu'il s'agit de
« dégager des issues appropriées » non
à la situation mais « aux personnes impliquées ou ayant
été impliquées dans des actions de terrorisme ou de
subversion ». Cette loi s'attache ainsi moins à réunir
les conditions d'un règlement politique global du conflit qu'à
réunir celles, dissolvantes, d'un sauf-conduit au cas par cas. Elle ne
saurait dès lors satisfaire ni les victimes civiles du terrorisme
islamiste, ni les familles de disparus. Pas plus qu'elle ne saurait satisfaire
l'aspiration de l'ex-F.I.S. (dissous) à être
réintégré dans le jeu politique. Ainsi, pour Cherifa
Kheddar, qui a fondé une association de victimes suite à
l'assassinat de plusieurs membres de sa famille par des islamistes
armés, « [la loi sur la « concorde
civile »] blanchit les terroristes sans véritable
procès. On devrait même assigner l'État qui ne nous a pas
protégés. Il faudrait en tout cas que nous puissions avoir un
débat public sur ce qui s'est passé, et pas simplement tourner la
page »1963(*). Pour antagoniques que fussent leurs univers de
justification et leurs ordres d'engagement, c'est le même type de
réserves et de récriminations qui ressortaient des propos
d'Abdelkader Hachani, n°3 du F.I.S., peu avant son assassinat le 22
novembre 1999. Pointant le caractère « ambigu » de
la démarche référendaire d'Abdelaziz Bouteflika, tant du
point de vue du libellé de la question1964(*) que de celui de la
limitation dans le temps des bénéfices attachés à
la loi de « concorde civile », Abdelkader Hachani craignait
que « cette manière de procéder serve à lui
donner un alibi pour le déclenchement d'une action répressive
plus forte encore que celle qui a eu lieu jusqu'à
présent ». Il appelait à ce que « soient
jugés, dans le camp du pouvoir comme dans l'autre, ceux qui ont commis
des crimes. Nous ne pourrons nous réconcilier que si les
responsabilités de chacun sont clairement établies. Quand je
saurai qui a tué mon frère, je pourrai lui
pardonner » ; « Mais, une fois encore, ajoutait-il,
j'ai le regret de croire que la violence va continuer, car on ne s'attaque pas
aujourd'hui à ses causes »1965(*).
Dans la droite ligne de la « Loi sur la concorde
civile », la « Charte pour la paix et la
réconciliation nationale » adoptée par
référendum le 29 septembre 2005, plutôt que de faire droit
au différend, pose que « l'évolution de
l'Algérie a été déviée de son cours naturel
par une agression criminelle sans précédent » et que
« nul, en Algérie ou à l'étranger, n'est
habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de
la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la
République algérienne démocratique et populaire,
fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de tous ses agents qui
l'ont dignement servie ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan
international ». En conséquence, cette charte stipule que
« le peuple algérien, tout en étant disposé
à la mansuétude, ne peut oublier les tragiques
conséquences de l'odieuse instrumentalisation des préceptes de
l'Islam, religion de l'Etat » et « [interdit] aux
responsables de cette instrumentalisation toute possibilité d'exercice
d'une activité politique et ce, sous quelque couverture que ce
soit »1966(*).
Annexe n°4
La bataille du 19-mars
En France, la célébration de fait, par certaines
autorités officielles (notamment des communes), de la date anniversaire
de la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, le 19 mars 1962, fait
polémique. De telles cérémonies commémoratives,
célébrées à l'initiative de la FNACA
(Fédération Nationale des Anciens Combattants d'Afrique du Nord
en Algérie, au Maroc et en Tunisie, d'obédience communiste et
socialiste) et de l'ARAC (Association Républicaine des Anciens
Combattants et Victimes de Guerre, des Combattants pour l'Amitié, la
Solidarité, la Mémoire, l'Antifascisme, l'Antiracisme et la Paix,
de stricte obédience communiste) - qui mènent à cet effet
d'intenses actions de lobbying auprès des élus locaux et des
pouvoirs publics pour que ces commémorations soient
systématisées1967(*) et que le 19 mars soit entérinée par
la loi comme date officielle de commémoration du souvenir de la guerre
d'Algérie -, sont conçues par l'ensemble des autres associations
d'anciens combattants et de rapatriés comme une insulte à
l'égard de la mémoire des centaines de militaires, des milliers
de pieds-noirs et des dizaines de milliers de harkis et membres de leurs
familles morts ou disparus après cette date1968(*).
Cette indignation est partagée par la plupart des fils
et filles de harkis que nous avons pu interroger :
« Il y a juste quelques jours on a
fêté le trente-cinquième anniversaire du 19 mars (...).
Certains disaient que le 19 mars, c'était la fin de la guerre,
hélas !, je suis désolé, mais pour nous c'est le
début du massacre » (Mohamed, 42 ans) ;
« Ils veulent en plus... commémorer le 19
mars... voilà, c'est ce qui me dégoûte. Commémorer
le 19 mars ? Ils ont honte de parler de la guerre d'Algérie, euh...
c'est même pas dans les livres d'histoire, etc., on n'en parle jamais
à la télé (...) et puis... le 19 mars on commémore
les accords d'Evian, alors que c'est honteux pour la France. La France, y
veulent pas exorciser ça, ils veulent pas en parler et y veulent
commémorer un 19 mars... c'est dingue quoi, c'est... c'est cracher sur
les morts qu'il y a eu, Français et... harkis (...). C'est vraiment un
très grave sujet (...). C'est comme si on commémorait Hitler
ou... je sais pas, l'armistice avec Pétain quand il a signé. Dans
les accords d'Evian, c'est stipulé ceci, cela, ils ont rien
respecté, ils ont... massacré des gens, la France a
lâché les harkis, la France a ordonné à ses hommes
de désarmer les harkis, de les renvoyer dans leurs douars, de ne pas les
prendre sur les bateaux, de les débarquer sur les quais (...)
(Jacqueline).
Ainsi, l'opportunité de la commémoration du 19
mars 1962 a de tout temps été contestée non seulement par
la majeure partie du monde combattant, pour qui cette date vaut confiscation
d'une victoire, mais aussi - et surtout - par les rapatriés pieds-noirs
et harkis, pour qui elle marque le début de l'exil et des massacres. Du
reste, cette opposition a également été marquée, en
leur temps, par Valéry Giscard d'Estaing (« L'anniversaire des
Accords d'Evian n'a pas à faire l'objet d'une
célébration »1969(*)) et François Mitterrand (« S'il
s'agit de marquer le recueillement national et d'honorer les victimes de la
guerre, je dis que cela ne peut pas être le 19
mars »1970(*)), puis plus récemment par Jacques Chirac, au
cours de la Journée d'hommage national aux harkis :
« Pour les populations civiles, le 19 mars
1962 a marqué la fin des hostilités militaires, mais pas la fin
des souffrances. D'autres épreuves, d'autres massacres sont venus
s'ajouter aux peines endurées pendant plus de sept ans. Qu'elles soient
tombées avant ou après le cessez-le-feu, nous devons à
toutes les victimes l'hommage du souvenir. Oublier une partie d'entre elles, ce
serait les trahir toutes ».
Pourtant, à l'approche des élections
présidentielles de 2002, ce consensus politique tacite - mais à
bien des égards artificiel à gauche, car longtemps redevable pour
l'essentiel de la volonté personnelle de François Mitterrand - a
volé en éclat : une proposition de loi du 5 décembre
2001 relative à « la reconnaissance du 19 mars comme
Journée nationale du souvenir et de recueillement à la
mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie
et des combats du Maroc et de la Tunisie » émanant de la
majorité de gauche (projet commun aux socialistes, communistes, radicaux
de gauche et Verts) a ravivé la polémique et l'a installée
au coeur de l'hémicycle de l'Assemblée nationale. En dépit
des paroles de dédramatisation voulues par les initiateurs da la
proposition1971(*),
celle-ci a soulevé maintes protestations non seulement de la part de
l'opposition parlementaire (à quelques exceptions près), mais
aussi - et surtout - de la part de la très grande majorité des
associations d'anciens combattants et de rapatriés pieds-noirs et
harkis.
Ainsi, le 31 décembre 2001, Smaïl Boufhal,
président de « Génération Mémoire
Harkie » et élu local socialiste, soulignait que le choix de
cette date, plutôt que de rassembler dans un même recueillement les
différents protagonistes français de la guerre d'Algérie,
approfondissait le clivage né du contraste entre « le
début du calvaire des harkis et l'exil douloureux de nombreux
Français d'Algérie » d'une part, le
« soulagement de ceux qui avaient 20 ans dans les
djebels » d'autre part. Usant d'un argumentaire comparable, Mohand
Hamoumou, président de l'Association Justice, Information,
Réparation pour les Harkis (AJIR), faisait part en ces termes - dans une
lettre adressée à l'attention de la rapporteure de la proposition
de loi, Marie-Hélène Aubert (deputée Verts) - de son
profond scepticisme quant à la capacité de cette proposition de
loi à réconcilier les Français avec leur histoire :
« La proposition de loi parle de «dimension
pédagogique». Comment expliquer «pédagogiquement»
aux générations à venir que l'on célèbre une
date synonyme, certes de «quille» pour des appelés mais aussi
de non respect d'accords officiels et de début des massacres horribles
et massifs de ceux qui avaient cru aux valeurs françaises et avaient
refusé non l'indépendance mais le terrorisme du FLN pour y
parvenir ». Le 14 janvier 2002, Charles Tamazount, président
du « Comité Harkis et Vérité » et
membre du Parti socialiste, s'inquiétait de ce que « choisir
le 19 mars, c'est occulter une nouvelle fois, de manière légale
de surcroît, le drame des harkis ». Le 15 janvier, jour du
débat parlementaire préalable à la mise au voix de la
proposition de loi, la semaine suivante, à l'Assemblée nationale,
une quinzaine de personnalités de toutes sensibilités issues ou
connues pour leur engagement auprès de la communauté
harkie1972(*) tenaient
une conférence de presse devant le Palais Bourbon pour faire
connaître leur opposition à ce qu'ils considéraient
être une « provocation ». Le lendemain, certains
d'entre eux1973(*)
adressaient une « lettre aux députés
socialistes ». Les signataires, « militants ou
sympathisants socialistes et personnalités apolitiques », y
dénonçaient « la démagogie vis-à-vis de
l'électorat beur [à l'approche des élections
présidentielles] » et « l'insulte à la
mémoire de tous ceux massacrés après le 19 mars au
mépris d'Accords d'Evian jamais respectés par
l'Algérie ». « [Cette proposition de loi],
ajoutaient-ils, choque les citoyens lassés de la repentance à
sens unique, exaspère la majorité des anciens combattants et
meurtrit toute la communauté de rapatriés, harkis et Pieds
Noirs ».
Ainsi, dans cette « bataille du 19
mars »1974(*), le conflit ne porte pas seulement sur
l'interprétation des faits (la décolonisation en tant que norme
historique), mais leur ordonnancement même est fragmenté,
recomposé (remémoration des séquences ayant conduit et
résulté de la décolonisation). Ainsi, écrit Olivier
Abel, « le tragique de l'histoire oppose des mémoires
incompatibles, non seulement parce que l'histoire est racontée dans une
pluralité de récits formés à partir de points de
vue séparés (...), mais souvent la temporalité commune est
elle-même brisée, parce qu'il n'y a pas de question commune qui
nous rendrait contemporains les uns des autres, il n'y a plus d'échange
possible sous un principe commun »1975(*).
Néanmoins, conscient des clivages suscités par
cette proposition de loi, le secrétaire d'État socialiste aux
Anciens combattants, Jacques Floch, avait déclaré que celle-ci
devrait être soutenue par « au moins 70% des
députés » pour être retenue. De même, le
président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale,
Jean-Marc Ayrault, avait exprimé le souhait que le projet recueille au
moins les deux tiers des suffrages des inscrits à la Chambre basse,
« sinon cela (voudra) dire que le débat n'est pas mûr et
on en restera là ». En raison de la défection d'un
nombre relativement important de députés de la majorité
plurielle (six socialistes et trois verts ont voté contre ce texte, et
quinze socialistes et trois verts se sont abstenus) et d'un nombre insuffisant
de ralliements à droite (seuls 17 députés de l'opposition
ont voté pour1976(*)), ce quota ne sera pas atteint (le résultat
final étant de 278 voix "pour", 204 "contre", et 35 abstentions). En
conséquence, le jour même, 22 janvier, les services du Premier
ministre confirmaient que le texte adopté par l'Assemblée
nationale ne serait pas inscrit à l'ordre du jour du Sénat.
À la suite de l'alternance politique du printemps 2002,
le nouveau secrétaire d'État aux Anciens combattants, Hamlaoui
Mekachera, a mis en place une commission présidée par l'historien
Jean Favier, et composée de douze présidents d'associations et
fédérations d'anciens combattants de la guerre d'Algérie
(dont la FNACA), chargée de fixer une date de commémoration de la
guerre d'Algérie. Au cours d'une conférence de presse, Hamlaoui
Mekachera a chargé cette commission « de trouver une solution
qui convienne au monde combattant ». Arguant du fait que le choix de
cette date devait « s'inscrire dans une démarche de
rassemblement, faute de quoi [ce choix] perdrait son sens », il a en
outre assuré que l'État « ne s'occuperait ni de
près ni de loin de ce débat ». Par suite, si la
majorité des associations d'anciens combattants s'accordait à
rejeter le date du 19 mars (exceptions faites de la FNACA et de l'ARAC, qui
réaffirmaient leur préférence pour ce choix), les avis
divergeaient quant au choix d'une autre date : la commission optera
finalement pour le 5 décembre (faite « Journée
nationale d'hommage aux «morts pour la France» pendant la guerre
d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie »), date
d'inauguration en 2002 du Mémorial national de la guerre
d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie (situé quai
Branly, à Paris). Ce choix a été officialisé le 26
septembre 2003, par décret du président de la République.
Cependant, pour sa part, la FNACA continue depuis lors à
célébrer le « 19-mars : fin de la guerre
d'Algérie » et à militer pour l'officialisation de
cette date1977(*).
Ainsi, l'exemple de la « bataille du 19
mars » témoigne - dans l'interprétation à donner
de la phase finale de la guerre d'Algérie, et dans les usages qui en
sont fait rétrospectivement - de « l'étroitesse de
l'angle d'engagement des protagonistes », et de ce
« qu'à travers la finitude de leurs points de vue chacun d'eux
développe une visée de légitimation
infinie » 1978(*).
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Horne (Alistair), Histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Albin Michel, 1980.
Montagnon (Pierre), La guerre d'Algérie,
Paris, Pygmalion, 1983.
Sur la phase finale de la guerre d'Algérie et les
conséquences de la politique de
« dégagement »
Ageron (Charles-Robert), Les chemins de la
décolonisation de l'empire colonial français, Colloque
I.H.T.P. des 4 et 5 octobre 1984, Paris, Editions du C.N.R.S., 1986.
Ageron (Charles-Robert), La décolonisation
française, Paris, Armand Colin, 1994.
Allais (Maurice) [1962], L'Algérie
d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999.
Andoque (Nicolas d'), Guerre et paix en Algérie,
1955-1962. L'épopée silencieuse des SAS, Paris,
Éditions SPL, 1977.
? Par un des initiateurs des filières semi-clandestines
de rapatriement des supplétifs démobilisés vers la France.
Des informations précieuses sur l'organisation des réseaux et les
obstacles auxquels se sont heurtés leurs responsables.
Fleury (Georges), Histoire secrète de l'OAS,
Paris, Editions Grasset & Fasquelle, 2002.
? Des précisions intéressantes sur les
circonstances qui ont présidé à la constitution puis
à la dispersion du maquis OAS de l'Ouarsenis, constitué fin mars
1962 autour des formations supplétives du bachaga Boualam, ainsi que sur
le rôle ambigu joué par ce dernier, à la fois
élément déclencheur de la sédition puis
élément moteur de la reddition de ses hommes (voir notamment les
chapitres 66, 67 et 68).
Hélie (Jérôme), Les accords
d'Evian : histoire de la paix ratée en Algérie, Paris,
Olivier Orban, 1992.
Israël (Gérard), Le dernier jour de
l'Algérie française, Paris, Robert Laffont, 1972.
Lacouture (Jean), Algérie, la guerre est
finie, Bruxelles, Editions Complexe, 1985.
Monneret (Jean), La phase finale de la guerre
d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001.
Pervillé (Guy), 1962 : la paix en
Algérie, Paris, La Documentation française, 1992.
Slama (Alain-Gérard), La guerre d'Algérie.
Histoire d'une déchirure, Paris, Gallimard, 1996.
Yacono (Xavier), Les étapes de la
décolonisation française, Que sais-je ?, n°428,
1971.
Sur d'autres aspects de la guerre d'Algérie
Andoque (Nicolas d'), Guerre et Paix en Algérie,
1955-1962. L'épopée silencieuse des S.A.S., Paris,
Société de Production Littéraire, 1977.
Branche (Raphaëlle), La Torture et l'armée
pendant la guerre d'Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard,
2001.
Témoignages de soldats et d'officiers
Alquier (Jean-Yves), Nous avons pacifié Tazalt.
Journal de marche d'un officier parachutiste, Paris, Robert Laffont,
1957.
Rey (Benoist), Les égorgeurs : guerre
d'Algérie, chronique d'un appelé, 1959-1960, Editions du
Monde Libertaire, 1999 [1ère édition : 1961].
Sur les desseins politiques de la France en guerre
d'Algérie : récits, (auto)biographies,
témoignages
Fouchet (Christian), Au service du général
de Gaulle, Paris, Plon, 1971.
Gaulle (Charles de), Mémoires d'espoir : le
renouveau 1958-1962, Paris, Plon/Presses Pocket, 1970.
Gaulle (Philippe de), De Gaulle, mon père.
Entretiens avec Michel Tauriac (tome 1), Paris, Plon, 2003.
Gaulle (Philippe de), De Gaulle, mon père.
Entretiens avec Michel Tauriac (tome 2), Paris, Plon, 2004.
Gorce (Paul-Marie de la), De Gaulle, Paris, Perrin,
1999.
Messmer (Pierre), Les Blancs s'en vont. Récits de
décolonisation, Paris, Albin Michel, 1998.
Morin (Jean), De Gaulle et l'Algérie - Mon
témoignage, 1960-1962, Paris, Albin Michel, 1999.
Peyrefitte (Alain), C'était de Gaulle, tome 1,
« La France redevient la France », Paris, Éditions
de Fallois/Fayard, 1994.
Peyrefitte (Alain), C'était de Gaulle, tome 2,
« La France reprend sa place dans le monde », Paris,
Éditions de Fallois/Fayard, 1997.
Servier (Jean), Adieu djebels, Paris, Editions
France-Empire, 1958.
Soustelle (Jacques), L'espérance trahie,
Paris, Éditions de l'Alma, 1962.
Soustelle (Jacques), Vingt-huit ans de gaullisme,
Paris, La Table Ronde, 1968.
Sulzberger (Cyrus), Les derniers des géants,
Paris, Albin Michel, 1972.
Touchard (Jean), Le gaullisme, 1940-1969, Paris,
Seuil, 1978.
Tournoux (J.-R.), La tragédie du
général, Paris, Plon, 1967.
Tournoux (J.-R.), Jamais dit, Paris, Plon, 1971.
Tricot (Bernard), Les sentiers de la paix. Algérie
1958-1962, Paris, Plon, 1972.
Sur les desseins politiques des soldats perdus de
l'Algérie française : récits, (auto)biographies,
témoignages
Beccaria (Laurent), Hélie de Saint-Marc, Paris,
Librairie Académique Perrin, 1988.
Challe (Maurice), Notre révolte, Paris,
Presses de la Cité, 1968.
Ferrandi (Jean), 600 jours avec Salan et l'OAS,
Paris, Fayard, 1969.
Jouhaud (Edmond), Serons-nous enfin compris ?,
Paris, Albin Michel, 1984.
Le procès de Raoul Salan, Compte-rendu
sténographique, Paris, Albin Michel, 1962.
Saint Marc (Hélie de), Mémoires.
Les champs de braise, Paris, Perrin, 1995.
Saint Marc (Hélie de), Les sentinelles du
soir, Paris, Les Arènes, 1999.
Saint Marc (Hélie de), Toute une vie, Paris,
Les Arènes, 2004.
Salan (Raoul), Mémoires (tome 4) : Fin d'un
empire : l'Algérie, de Gaulle et moi, Paris, Pesses de la
Cité, 1974.
Sergent (Pierre), Je ne regrette rien, Paris, Plon,
1972.
Sur les desseins politiques du FLN en guerre
d'Algérie : récits, (auto)biographies,
témoignages
Abbas (Ferhat), Autopsie d'une guerre, Paris,
Garnier, 1980.
Harbi Mohammed, Une vie debout. Mémoires
politiques, tome 1, 1945-1962, Paris, La découverte, 2001.
Sur le climat intellectuel autour de la guerre
d'Algérie : essais, traités, livres d'opinion, manifestes,
(auto)biographies, témoignages
Angélis (Gaston d'), dir., Albert Camus,
Paris, Librairie Hachette, 1964 [et notamment le chapitre rédigé
par Jules Roy, intitulé « La tragédie
algérienne », p.199 à 215].
Beauvoir (Simone de), La force des choses, Paris,
Gallimard, 1963.
Bourges (Hervé), L'Algérie à
l'épreuve du pouvoir, Paris, Grasset, 1967.
Bourges (Hervé), De mémoire
d'éléphant, Paris, Grasset, 2000.
Camus (Albert), Essais, Paris, Bibliothèque de
la Pléiade, Gallimard, 1965.
Césaire (Aimé), Discours sur le
colonialisme, Paris, Edition Réclame, 1950 [Dernière
réédition : Présence africaine, 2004].
Cohen-Solal (Annie), Sartre (1905-1980), Paris,
Gallimard, 1985.
Daniel (Jean), La Blessure, Paris, Grasset, 1992.
Fanon (Frantz), Les damnés de la terre, Paris,
Maspéro, 1982 [1ère édition : 1961].
Feraoun (Mouloud), Journal 1955-1962, Paris, Le Seuil,
1963.
Jeanson (Francis), Sartre dans sa vie, Paris, Editions
du Seuil, 1974.
Memmi (Albert), Portrait du colonisé, Paris,
Payot, 1975 [1ère édition : 1957].
Mounier (Emmanuel), Malraux, Camus, Sartre, Bernanos.
L'espoir des désespérés, Paris, Seuil, 1953.
Roy (Jules), J'accuse le général Massu,
Paris, Seuil, 1972.
Roy (Jules), Les années déchirement - Journal
1925-1965, Paris, Albin Michel, 1998.
Saïd (Edward), Culture et impérialisme,
Paris, Fayard, 2000.
Sartre (Jean-Paul), L'existentialisme est un humanisme,
Paris, Gallimard, 1996 [1ère édition : 1946].
Sartre (Jean-Paul), Critique de la raison dialectique,
Paris, Gallimard, 1960.
Sartre (Jean-Paul), Situations V. Colonialisme et
néocolonialisme, Paris, Gallimard, 1964.
Todd (Olivier), Albert Camus, une vie, Paris,
Gallimard, 1996.
Vergès (Jacques), Lettre ouverte à des amis
algériens devenus tortionnaires, Paris, Albin Michel, 1993.
Vidal-Naquet (Pierre), Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989.
Vidal-Naquet (Pierre), La torture dans la
République : essai d'histoire et de politique contemporaine,
1954-1962, Minuit, 1998 [1ère édition :1972].
Vidal-Naquet (Pierre), Les crimes de l'armée
française (Algérie 1954-1962), Paris, La
Découverte/Syros, 2001 [1ère
édition :1975].
Vidal-Naquet (Pierre), La Raison d'État :
textes publiés par le Comité Maurice Audin, Paris, La
Découverte, 2002 [1ère édition : 1962].
Winock (Michel), La République se meurt :
chronique 1956-1958, Paris, Seuil, 1978.
Sur les imaginaires constitués (officiels et
collégiaux) et les enjeux historiographiques de la guerre
d'Algérie
Ageron (Charles-Robert), dir., La guerre d'Algérie
et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997.
Benamou (Georges-Marc), Un mensonge français.
Retours sur la guerre d'Algérie, Paris, Robert Laffont, 2003.
Bruckner (Pascal), Le Sanglot de l'Homme blanc.
Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, Seuil, 1983.
Dayan (Annie), Valensi (Lucette), La guerre
d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire, Saint-Denis,
Editions Bouchene, 2004.
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Duranton-Crabol (Anne-Marie), Le temps de l'OAS,
Bruxelles, Editions Complexe, 1995.
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1871 à 1962, Paris, Hachette, 1986 [1ère
édition : La Table Ronde, 1972]
Hamon (Hervé) et Rotman (Patrick), Les porteurs de
valises. La résistance française à la guerre
d'Algérie, Paris, Seuil, 1982.
Harbi (Mohammed), Stora (Benjamin), dir., La guerre
d'Algérie : 1954-2004, la fin de l'amnésie, Paris, Robert
Laffont, 2004.
Julliard (Jacques), Winock (Michel), dir., Dictionnaire
des intellectuels français. Les personnes, les lieux, les moments,
Paris, Seuil, 2002 [1ère édition : 1996].
Lacouture (Jean), Chagnollaud (Dominique), Le
désempire. Figures et thèmes de l'anticolonialisme, Paris,
Denoël, 1993.
Le livre blanc de l'armée française en
Algérie [ouvrage collectif], Paris, Editions Contretemps, 2001.
Leymarie (Michel) et Sirinelli (Jean-François),
L'histoire des intellectuels aujourd'hui, Paris, PUF, 2003.
Liauzu (Claude), L'Europe et l'Afrique
méditerranéenne de Suez (1869) à nos jours,
Bruxelles, Editions Complexe, 1994.
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face au racisme, Paris, Complexe, 1999.
Manceron (Gilles) et Remaoun (Hassan), D'une rive à
l'autre. La guerre d'Algérie, de la mémoire à
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Martinez (Luis), La guerre civile en Algérie,
Paris, Karthala, 1998.
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Intellectuels en France de l'Affaire Dreyfus à nos jours, Paris,
Armand Colin, 2002 [1ère édition 1986].
Pervillé (Guy), Pour une histoire de la guerre
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Rioux (Jean-Pierre) et Sirinelli (Jean-François),
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Savarèse (Eric), Histoire coloniale et immigration.
Une invention de l'étranger, Paris, Séguier, 2000.
Sirinelli (Jean-François), Intellectuels et
passions françaises. Manifestes et pétitions au XXe
siècle, Paris, Fayard, 1990.
Sirinelli (Jean-François), Sartre et Aron, deux
intellectuels dans le siècle, Paris, Fayard, 1995.
Stora (Benjamin), La gangrène et l'oubli. La
mémoire de la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte,
1992.
Stora (Benjamin), Imaginaires de guerre.
Algérie-Vietnam, en France et aux Etats-Unis, Paris, La
Découverte, 1997.
Stora (Benjamin), Le transfert d'une mémoire. De
l'Algérie française au racisme anti-arabe, Paris, La
Découverte, 1999.
Walzer (Michael) [1988], La critique sociale au
XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions
Métailié, 1995.
Winock (Michel), Le siècle des intellectuels,
Paris, Seuil, 1997.
Sur les imaginaires anonymes de la guerre
d'Algérie
Belmessous (Hacène), Algérie,
généalogie d'une fatalité. Des réfugiés se
racontent, Editions Paris-Méditerranée, 1998.
Goutalier (Régine), dir., Mémoires de la
décolonisation. Relations colonisateurs-colonisés,
l'Harmattan, 1995
? voir notamment Aggoun (Nacéra),
« L'opinion publique algérienne du Chélif
algérois à la veille de l'insurrection de 1954 par les sources
orales, ou la version des colonisés ».
Rotman (P.), Tavernier (B.), La guerre sans nom. Les
appelés d'Algérie 54-62, Paris, Seuil, 1992.
Sur la seconde guerre d'Algérie (1991 - ...)
Addi (Lahouari), L'Algérie et la démocratie.
Pouvoir et crise politique dans l'Algérie comtemporaine, Paris, La
Découverte, 1994.
Collectif, Les violences en Algérie, Paris,
Odile Jacob, 1998.
Meynier (Gilbert), dir., L'Algérie
contemporaine. Bilan et solutions pour sortir de la crise, Paris,
L'Harmattan, Les Cahiers de Confluences, 2000.
Si Othmane, L'Algérie, l'origine de la crise,
Paris, Dialogues Editions, 1996.
Souaïdia (Habib), La sale guerre. Le
témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de
l'armée algérienne, Paris, La Découverte, 2001.
L'Algérie entre hier et aujourd'hui : essais,
romans
Sansal (Boualem), Le serment des barbares, Paris,
Gallimard, 1999.
Sansal (Boualem), Poste restante : Alger, Paris,
Gallimard, 2006.
2. Ouvrages spécifiquement consacrés
à la destinée des harkis et de leurs enfants
Témoignages d'officiers ayant commandé des
unités supplétives musulmanes
Gaget (Général Robert), Commando Georges.
Des harkis de feu, Paris, J. Grancher, 1990.
Luca (Robert), Harkis, mes frères de combat,
Paris, Editions des Ecrivains Associés, 1999.
Luca (Robert), Le Djebel avec nos harkis, Paris,
Editions des Ecrivains, 2002.
Mabire (Jean), Commando de chasse, Paris, Presses de
la Cité, 1984.
Maillard de la Morandais (Alain), L'honneur est sauf,
Paris, Seuil, 1990.
Simon (Henri-Georges), La Harka. 5ème compagnie du
3ème régiment parachutiste d'infanterie de marine,
1958-1962, Nanterre, Académie européenne du livre, 1987.
Témoignages de personnels affectés dans les
structures d'accueil et de reclassement collectif des anciens harkis et de
leurs familles
Jammes (Patrick), Médecin des harkis au camp de
Bias, 1970-1999, Sainte-Colombe-de-Villeneuve, Editions de la Motte,
1999.
Sur les desseins politiques des élites musulmanes
pro-françaises : récits, (auto)biographies,
témoignages
Boualam (Saïd), Mon pays, la France !,
Paris, France-Empire, 1962.
Boualam (Saïd), Les harkis au service de la France,
Paris, France-Empire, 1963.
Boualam (Saïd), L'Algérie sans la France,
Paris, France-Empire, 1964.
Approche polémique, immédiatement
contemporaine de la guerre d'Algérie
Péju (Paulette), Ratonnades à Paris
et Les harkis à Paris, Paris, Éditions La
Découverte, 2000 [1ère édition :
François Maspero, 1961].
Approche historique et socio-historique
Boulhais (Nordine), Des Harkis berbères, de
l'Aurès au Nord de la France, Villeneuve d'Ascq, Presses
universitaires du Septentrion, 2002.
Boulhais (Nordine), Histoire des harkis du nord de la
France, Paris, L'Harmattan, 2005.
Charbit (Tom), Les harkis, Paris, La
Découverte, 2006.
Faivre (Maurice), Un village de Harkis. Des Babors au pays
drouais, Paris, L'Harmattan, 1994.
Faivre (Maurice), Les combattants musulmans de la guerre
d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan,
1995.
Faivre (Maurice), Les archives inédites de la
politique algérienne (1958-1962), Paris, L'Harmattan, 2000.
Hamoumou (Mohand), Et ils sont devenus harkis, Paris,
Fayard, 1993.
Jasseron (G.), Les harkis en France : scènes
et témoignages, Paris, Editions du Fuseau, 1965.
Jordi (Jean-Jacques), De l'exode à l'exil.
Rapatriés et Pieds-Noirs en France, Paris, L'Harmattan, 1993.
Jordi (Jean-Jacques), Hamoumou (Mohand), Les harkis, une
mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112,
février 1999.
Mathias (Grégor), Les sections administratives
spécialisées en Algérie. Entre idéal et
réalité (1955-1962), Paris, L'Harmattan, 1998.
Meyer (François), Sagazan (Benoît de), Pour
l'honneur... avec les harkis : de 1958 à nos jours, CLD,
2005.
Moumen (Abderamen), Les Français musulmans en
Vaucluse. 1962-1991. Installation et difficultés d'intégration
d'une communauté de rapatriés d'Algérie, Paris,
L'Harmattan, 2003.
Roux (Michel), Les harkis, les oubliés de
l'histoire, Paris, La Découverte, 1991.
Approche sociologique centrée sur la dynamique
des générations
Abrial (Stéphanie), Les enfants de harkis. De la
révolte à l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002.
Bouneb (K.D.), Délit de faciès.
Intégration des harkis ?, Paris, Editions Tougui, 1991.
Derrieu (B.), Kadi (H.) et Jeannet (M.) (Comité
Intercantonal d'Animation), La cité des tapis. Une communauté
de rapatriés d'Algérie, Lodève (Hérault),
Editions Domens Pézenas, 1997.
Gladieu (Stéphane) et Kerchouche (Dalila), Destins
de harkis. Aux racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003.
Kara (Mohamed), Les Tentations du repli communautaire. Le
cas des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris,
L'Harmattan, 1997.
Muller (Laurent), Le silence des harkis, Paris,
L'Harmattan, 1999.
Approche (auto)biographique
Besnaci-Lancou (Fatima), Fille de harki : le
bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie,
Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières,
2003 (Avec une préface de Jean Daniel et Jean Lacouture).
Djami, C'est la vie, Paris, La Pensée
Universelle, 1993.
Ferdi (Saïd), Un enfant dans la guerre,
1954-1962, Paris, Le Seuil, 1981.
Kerchouche (Dalila), Mon père, ce harki,
Paris, Seuil, 2003.
Rahmani (Zahia), Moze, Paris, Sabine Wespieser
Éditeur, 2003.
Sadouni (Brahim), Français sans patrie. Premier
témoignage écrit par un harki, Grand-Couronne, à
compte d'auteur, 1985.
Sadouni (Brahim), Le drapeau. Ecrit d'un harki,
Paris, L'Harmattan, 1990.
Sadouni (Brahim), Destin de harki. Le témoignage
d'un jeune Berbère enrôlé dans l'armée
française à 17 ans, Paris, Cosmopole, 2001.
Essais / approche militante / approche associative
Azni (Boussad), Harkis, crime d'État.
Généalogie d'un abandon, Paris, Ramsay, 2002.
Brière (C.), Qui sont les harkis ?, Le
Chesnay, Editions de l'Atlanthrope, 1986, texte d'un exposé fait le 24
mars 1974 à Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales).
Carreras (Gilbert), On les appelait les harkis... et
pourtant ils étaient soldats de la France !, Paris,
L'Harmattan, 1997.
Collectif, Le livre blanc des harkis, La Nation
Française, n° 371, 1962.
Fleury (G.), Les combattants du mauvais choix :
harkis, Editions B.M., 1976.
Fleury (G.), Le combat des harkis, Versailles,
Editions des Sept Vents, 1989.
Kaberseli (Ahmed), Le chagrin sans la pitié,
Rouen, Clin d'oeil, 1988.
Kaberseli (Ahmed), Requiem pour un massacre, Paris,
Publibook, 2002.
Meliani (A.), La France honteuse. Le drame des harkis,
Paris, Perrin, 1993..
Moinet (B.), Ahmed ? Connais pas... Le calvaire des
harkis,, Paris, Lettres du monde, 1980, [Rééditions en 1989
(Editions de l'Athanor) et 1997 (Godefroy de Bouillon)].
Ruty (Lucien), Chronique d'une honte
partagée : la tragédie harkie, Cabédita,
1994.
Tebib (Roger), Les harkis : du génocide aux
ghettos, inédit (document dactylographié), sans date.
Titraoui (Taouès) et Coll (Bernard), Le livre des
harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991.
? Taouès Titraoui et Bernard Coll sont les
fondateurs et animateurs de l'association Jeune Pied-Noir. Ce livre,
publié en 1991, à une époque où la question des
harkis était peu débattue, a été, à sa
manière, un livre "pionnier". S'il ne participe pas d'une
démarche historienne - c'est plutôt un livre "militant", qui vise
à "faire mémoire" envers et contre la mémoire officielle -
il est très bien documenté et présente l'essentiel de ce
qui était disponible avant l'ouverture des archives, tant au plan des
missives officielles que de l'iconographie.
Titraoui (Taouès) et Coll (Bernard), Agenda-guide
1997 des harkis, des pieds-noirs, des Français d'A.F.N. et d'Outre-Mer
et de tous leurs amis, Bièvres, Jeune Pied Noir.
Approche romanesque
Belaïd (Lakhdar), Sérail killers, Paris,
Gallimard, 2000.
Chamski (Thadée), La Harka, Paris, Robert
Laffont, 1961.
Charef (Medhi), Le harki de Meriem, Paris, Le Mercure
de France, 1989.
Kemoun (H.), M. le harki, Paris, Editions A.
Carrière, 2003.
Mimouni (Rachid), Tombéza, Paris, Robert
Laffont, 1984.
Rudefoucauld (Alain-Julien), J'irai seul, Paris, Le
Seuil, 2002.
Approche théâtrale
Messaoud Benyoucef, Le nom du père, Nointel,
L'Embarcadère, 2005.
Cette pièce a été l'objet d'une vive
polémique (des enfants de harkis ont même entrepris de s'opposer
à sa représentation en certains endroits), l'auteur
algérien s'étant vu reprocher de véhiculer une image
injurieuse des anciens harkis et de leurs enfants.
3. Ouvrages de sociologie et de sociologie politique
Épistémologie et méthodologie des
sciences sociales
Boudon (Raymond) et Bourricaud (François),
Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982.
Bourdieu (Pierre), Esquisse d'une théorie de la
pratique, Paris, Droz, 1972.
Bourdieu (Pierre), Ce que parler veut dire.
L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard,
1982.
Bourdieu (Pierre), La domination masculine, Paris,
Seuil, 1998.
Demazière (Didier), Dubar (Claude), Analyser les
entretiens biographiques. L'exemple de récits d'insertion,
Paris, Nathan, 1997.
Doron (Roland), Parot (Françoise), Dictionnaire de
psychologie, Paris, PUF, 1991.
Fischer (G.-N.), Les concepts fondamentaux de la psychologie
sociale, Paris, Bordas, 1987.
Fischer (G.-N.), La psychologie sociale, Paris, Editions
du Seuil, 1987.
Ghiglione (R.), Matalon (B.), Les enquêtes
sociologiques : théories et pratiques, Paris, Armand Colin,
1978, p.74.
Hughes (Everett C.), Le regard sociologique, Paris,
Editions de l'E.H.E.S.S., 1996.
Lalande (A.), [1926], Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, Paris, PUF, 1992 (2 tomes).
Mucchielli (A.), Les méthodes qualitatives,
Paris, QSJ ?, n°2591, P.U.F., 1991.
Poirier (J.), Clapier-Valladon (S.), Raybaut (P.), Les
récits de vie, théorie et pratique, Paris, P.U.F., 1995.
Watier (Patrick), La sociologie et les
représentations de l'activité sociale, Paris,
Méridiens-Klincksieck/Masson, 1996.
Strauss (Anselm), La trame de la négociation.
Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L'Harmattan, 1992.
Sociologie de l'identité, sociologie de la
déviance, sociologie clinique, sociologie de l'exclusion, sociologie des
générations, sociologie de la mémoire, sociologie du
quotidien
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ARTICLES, contributions à des ouvrages
collectifs et allocutions
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Sur la phase finale de la guerre d'Algérie et
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La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard,
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Sur les desseins politiques de la France en guerre
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Sur le climat intellectuel autour de la guerre
d'Algérie : commentaires, témoignages, études
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Sur les imaginaires constitués (officiels et
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prolonger la guerre des mémoires ? », Esprit,
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2. Articles spécifiquement consacrés
à la destinée des harkis et de leurs enfants
Approche polémique, immédiatement
contemporaine de la guerre d'Algérie
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Approche historique et socio-historique
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Ageron (Charles-Robert), « Le drame des harkis en
1962 », Vingtième siècle. Revue d'histoire,
Presses de la F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6.
? L'historien Charles-Robert Ageron, directeur du Groupe de
recherche sur l'histoire de la décolonisation à l'IHTP, indique
avoir expressément publié cet article en réponse à
la thèse de Mohand Hamoumou (Les Français musulmans
rapatriés. Archéologie d'un silence ; voir
références infra) aux fins de rétablir
« quelques vérités historiques » selon lui
mises à mal par cet auteur. La « réponse » de
Charles-Robert Ageron à Mohand Hamoumou lui vaudra à son tour une
« contre-réponse » de la part du colonel Abd-el-Aziz
Meliani (voir références ci-dessous).
Ageron (Charles-Robert), « Les supplétifs
algériens dans l'armée française pendant la guerre
d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
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Sociologie de l'identité, sociologie de la
mémoire, sociologie des générations
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Martin (Denis-Constant), « Le choix
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Molina (Simone), « Je suis semblable à celui
qu'en le reconnaissant comme homme, je fonde à me reconnaître
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langages et singularité de la Parole », Rencontre du 26 juin
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publiés au Point de Capiton, L'Isle-sur-Sorgue.
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Sociologie politique des identités, de la
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Pouligny (Béatrice), Groupe de recherche :
« Faire la paix : Du crime de masse au
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février 2001.
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2001.
4. AUTRES ARTICLES
Cadoux (Charles), « Approche politique de la
grève de la faim », in Jacques de Lanversin (dir.), La
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Lindenberg (Daniel), « De Gaulle : un
procès journalistique rétrospectif », Esprit,
n°300, Décembre 2003, p.194-196.
REVUES
1. Numéros spéciaux consacrés
à la guerre d'Algérie et aux relations
franco-algériennes
Esprit, « France-Algérie : les
blessures de l'histoire », n° 161, mai 1990.
2. Numéros spéciaux consacrés
à la destinée des harkis et de leurs enfants
Approche polémique immédiatement
contemporaine de la guerre d'Algérie
La nation française, « Le livre
blanc des harkis », n° 371, 1962.
Approche historique
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis
et pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002.
Approche sociologique centrée sur la dynamique des
générations et les conditions d'insertion
socio-économique
Hommes et Migrations, « Les harkis et leurs
enfants » , n°1135, septembre 1990, p.3-69.
3. Sociologie de la mémoire, historiographie
Esprit, « Les historiens et le travail de
mémoire », n°266-267, août-septembre 2000.
4. Sociologie politique de la reconnaissance, du
pardon et de la réconciliation
Crowley (John), dir., « Pacifications,
réconciliations » (2), Cultures & Conflits,
Paris, L'Harmattan, 2001, n°41.
TRAVAUX UNIVERSITAIRES / MÉMOIRES /
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1996.
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Bouamama (Saïd), Jeunes Manosquins issus de
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Bouneb (K.D.), Musulmans-Français de la seconde
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RADIO-DIFFUSÉES, DOCUMENTAIRES, FILMS
« Destin de Harki », 2000 ans
d'histoire, émission de P. Gélinet, France Inter, 29 octobre
2002.
« Fils de harkis », Document vidéo
réalisé par F. Haroud, avec les participations de M. Hamoumou et
J. Oubechou, Grenoble, Aster distribution (26 minutes), 1998.
« Harkis, crime d'Etat ? », Document
vidéo de M. Gagnant, Arte, 2002.
« L'histoire oubliée : les
harkis », A. de Sédouy et E. Deroo (réalisateurs,
commentateurs et interviewers), avec les participations du Colonel P. Hentic,
M. Benassayag, Général M. Faivre, Paris, GMT productions, Europe
Images International (distribution). Vol. 1 :
« L'enrôlement », 52 Minutes ; Vol. 2 :
« L'abandon », 52 minutes ; Vol. 3 :
« Les fils de l'oubli », 52 minutes, 1993.
« Le massacre des Harkis : 1962 »,
Emission de P. Gélinet, avec les témoignages de G. Kerrouane,
harki, B. Ben Said Remli, harki de 1956 à 1962, B. Ben Memmouchi Litim,
harki, Colonel B. Moinet, etc. ; textes lus par A. Kabouche, Paris,
Radio-France INA, France Inter, 1993.
« Les harkis de Saint-Valérien »,
E. Martinez, réalisation. G. Sarthoulet, reportage, Paris, Office de
radiodiffusion-télévision française
(production), Bry-sur-Marne, Institut National de l'Audiovisuel (distribution),
15 minutes, N&B, 1970.
« Les harkis ou 500.000 Français en
quête d'une histoire », François Gaspard et Patrick
Pesnot (interview et production), Claude Guerre (réalisation), J.-Y.
Alquier, M. Benassayag, M. Harbi et al. (participants) ; Première
diffusion sur France Culture le 31 juillet 1989. Réédité
sur CD en 1999 ; émission en 5 volumes radio-diffusée du 31
juillet au 4 août 1989.
« Les Harkis. Quarante ans le dos à la
mer », Document vidéo de J.-C. Deniau et J.-P. Bertrand,
France 2, 2003.
REVUES DE PRESSE
Fondation Nationale des Sciences Politiques, « Les
harkis en France de 1962 à 2002 : dossier de presse »,
Paris, Centre de documentation contemporaine, 2 tomes microfichés
Fondation Nationale des Sciences Politiques, « Les
harkis en France depuis 2002 : dossier de presse », Paris,
Centre de documentation contemporaine, 1 tome.
* 1 « L'oubli, et
je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la
création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des
études historiques est souvent pour la nationalité un danger.
L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de
violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations
politiques, même de celles dont les conséquences ont
été les plus bienfaisantes » (Ernest Renan,
« Qu'est-ce qu'une nation ? » in Joël Roman
(dir.), Qu'est-ce qu'une nation ? et autres essais politiques, Paris,
Presses Pocket, 1992, p.41 ; repris in John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales » in Cultures & Conflits,
n°41, Printemps 2001).
* 2 « Oui, j'y
voyais clair soudain : la plupart des gens s'adonnent au mirage d'une
double croyance : ils croient à la pérennité de
la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des nations) et
à la possibilité de réparer (des actes, des
erreurs, des péchés, des torts). L'une est aussi fausse que
l'autre. La vérité se situe juste à l'opposé :
tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de
la réparation (et par la vengeance et par le pardon) sera tenu par
l'oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tous les torts
seront oubliés » (Milan Kundera [1967], La
plaisanterie, Paris, Gallimard, 1985, p.422). C'est l'auteur qui souligne.
* 3 Cf. Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975.
* 4 Paul Ricoeur, Temps
et récit, Paris Seuil, 3 tomes : 1983-1985 ;
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
* 5 Cf. Marie-Claire Lavabre,
« Du poids et du choix du passé. Lecture critique du
«Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak
et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales,
Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.265 à 278.
* 6 Mohamed Benrabah,
« Le désespoir algérien »,
Libération, 2 mai 2001. Abdelaziz Bouteflika est né le 2
mars 1937 à Oujda (Maroc). Encore étudiant, il rejoint
l'Armée de libération nationale (ALN) en 1956, devient
secrétaire de la wilaya V, est nommé commandant en 1962. A
l'indépendance, en 1962, il devient député de Tlemcen,
puis ministre de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement du
président Ahmed Ben Bella. En 1963, à l'âge de 26 ans, il
est nommé ministre des Affaires étrangères. Limogé
par Ben Bella en mai 1965, il retrouve immédiatement ce poste à
la suite du coup d'Etat de Houari Boumediene, le 19 juin 1965, et le conservera
jusqu'à la mort de ce dernier fin 1978. Au début de 1979, Chadli
Bendjedid, qui succède à Boumediene, le nomme ministre d'Etat. Il
est cependant peu à peu écarté de la scène
politique : poursuivi par la Cour des comptes pour des
« irrégularités » dans la gestion du budget
des Affaires étrangères, puis exclu du Comité central du
FLN, il est contraint de quitter la scène politique puis
l'Algérie en 1981. Il séjourne pendant six ans aux Emirats Arabes
Unis, en Suisse et en France. De retour en Algérie en 1987, il
réintègre deux ans plus tard le Comité central du Front de
libération national (FLN). En avril 1999, il est élu
président de la République (sans opposition, du fait du retrait
la veille du scrutin des six autres candidats), puis réélu en
avril 2004 avec 85% des voix. En dépit d'une brève période
de disgrâce (1981-1987) sous la présidence de Chadli Bendjedid,
Abdelaziz Bouteflika, qui fut l'homme lige du président Houari
Boumediene, est donc par excellence un homme du "système", dont il
incarne la continuité.
* 7 De fait, cette
décoration qui, sur le moment, lui avait valu « l'honneur des
médias », lui vaudra aussi, par suite, d'être en butte
à « une animosité accrue » de la part de son
voisinage algérien : « J'étais sans cesse victime
de menaces téléphoniques et d'agressions verbales, traité
de «pourri vendu à la France», de «traître» et
de «collabo». On ne comptait plus les menaces
téléphoniques, injures et provocations, proférées
à mon encontre et celle de ma famille ». D'abord anonymes
(menaces téléphoniques, tags), ces tentatives d'intimidation
avaient très vite dégénéré en insultes, puis
en bagarres rangées avec les fils de monsieur Araar, allant
jusqu'à occasionner des blessures et nécessiter l'intervention
des CRS (deux personnes étant placées en garde à vue).
«Nous avons reçu de multiples menaces de mort. On nous traitait de
«collabos», de «traîtres». On affirmait qu'on aurait
notre peau. Moi, j'en ai tant vu pendant la guerre d'Algérie, que rien
ne m'impressionne. Mais j'ai eu peur pour ma famille ». A la suite de
cette brusque flambée de violence, la famille Araar fut contrainte
d'être évacuée sous protection policière et
provisoirement logée dans un hôtel. Grâce à la
mobilisation des élus locaux, une solution pérenne fut rapidement
trouvée dans le parc HLM de Toulon (dans une cité d'abord
gardée secrète pour préserver leur tranquillité).
Le choc n'en fut pas moins grand pour le principal
intéressé : «C'est une affaire très grave. A
travers moi, c'est la République française tout entière et
la démocratie, qu'on attaque. J'en ai honte. Mon père a fait
toute la guerre de 1914-1918. Il a perdu un bras dans les tranchées,
à Verdun. Moi, j'ai fait toute la campagne d'Algérie, de 1957
à 1962. J'ai reçu une balle dans la mâchoire. Je suis
devenu Français par le sang versé. Et, à 67 ans, j'en suis
réduit à me terrer dans un vieil hôtel »
(Cité dans Var-Matin, édition du 12 novembre 2003 ;
revue de presse établie par la section toulonnaise de la Ligue des
droits de l'Homme et consultable à cette adresse :
perso.wanadoo.fr/felina/doc/tln/araar.htm).
* 8 Voir la section II.A de
la Partie 2 : « Les habits officiels du souvenir : un
récit éthéré ».
* 9 Voir la section II.B de
la Partie 2 : « L'ordinaire des prises de
position ».
* 10 Lettre ouverte de
Smaïl Boufhal, président de l'association Générations
Mémoire Harkis (GMH), en date du 16 octobre 2001.
* 11 Ibid.
* 12 A l'issue de la
réunion du Haut conseil de la mémoire combattante du 6
février 2001, au cours de laquelle fut décidée la mise en
place de cette Journée d'hommage national, Jacques Chirac
déclarait explicitement: « Les Français
rapatriés, en particulier les anciens des forces supplétives, ont
été très affectés en l'an 2000 par diverses
déclarations ou témoignages qui les renvoient à leur
douloureux passé ainsi qu'à leur sentiment d'abandon. La France
doit accomplir à leur égard un geste symbolique très fort
et spécifique afin de leur témoigner sa reconnaissance et de leur
montrer qu'ils sont partie intégrante de la communauté nationale,
eux et leurs enfants » (Déclaration disponible sur
www.elysee.fr).
* 13 Nous verrons que cette
destinée - depuis l'engagement aux côtés de l'armée
française jusqu'aux massacres de l'après-indépendance ou
l'exil - est gênante, à plus d'un titre, non seulement pour les
raisons d'Etat algérienne et française, mais aussi pour un
certain nombre d'acteurs occupant en France des positions centrales dans la
production et la diffusion du savoir et qui, sur le moment ou depuis lors,
furent liés par leurs engagements militants à la mouvance
anticolonialiste (voir les parties 1 et 2).
* 14 Voir la section I.A de
la Partie 2 : « Le harki réifié ou la
mémoire comme réalité instrumentale ».
* 15 Voir le chapitre III de
la Partie 2 : « La figure du harki dans la geste
intellectualiste de la guerre d'Algérie », ainsi que la
section II.B.2.b de la Partie 4 : « Obstructions
savantes ».
* 16 Howard S. Becker
(1963), Outsiders. Etude de sociologie de la déviance, Paris,
Métailié, 1985, p.229.
* 17 Ibidem.
* 18 Howard S. Becker
(1963), Outsiders. Etude de sociologie de la déviance, Paris,
Métailié, 1985, p.232.
* 19 Norbert Elias et John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.
* 20 Howard S. Becker,
op.cit., p.229.
* 21 Ibid, p.232. Sur la
notion d'"entrepreneur de morale", voir p.171 à 187.
* 22 Norbert Elias et John
L. Scotson, op.cit.
* 23 Michel Hastings,
« Imaginaires des conflits et conflits imaginaires »,
Colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP
de Lille, 27 octobre 2000.
* 24 Voir notamment
Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la
société, Paris, Seuil, 1975 ; Michel Foucault,
Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard,
1975 ; Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris,
Seuil, 1986 ; Jean-François Bayart, L'illusion
identitaire, Paris, Fayard, 1996 ; Pierre Laborie,
« Histoire politique et histoire des
représentations » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry
Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales,
Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991.
* 25 Cf. Paul Ricoeur,
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; et Paul
Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil,
2000.
* 26 Gustave-Nicolas Fischer
définit la représentation sociale comme « un processus
d'élaboration perceptive et mentale de la réalité qui
transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en
catégories symboliques (valeurs, croyances,
idéologies) » (Les concepts fondamentaux de la psychologie
sociale, Presses de l'Université de Montréal, Dunod, 1987,
p.118).
* 27 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.99, 100 et
suivantes.
* 28 Ce qu'Arno Mayer
appelle « les aspects utilitaires de la mémoire »
(« Les pièges du souvenir », Esprit,
« Le poids de la mémoire », 7, juillet 1993), et ce
que Paul Ricoeur dépeint comme étant la « fonction
ostentatoire de l'imagination », ou encore « la dimension
pragmatique liée à l'idée d'exercice de la
mémoire » (La mémoire, l'histoire, l'oubli,
Paris, Seuil, 2000, p.99, 100 et suivantes).
* 29 La mémoire,
l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.99, 100 et suivantes ;
voir aussi Valérie-Barbara Rosoux, « Les usages de la
mémoire dans les relations internationales »,
communication donnée dans le cadre de la journée
thématique « Stratégies de la
mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de
Grenoble.
* 30 Thomas Luckmann,
« Les temps vécus et leurs entrecroisements dans le cours de
la vie quotidienne », Politix, « Se
référer au passé », Paris, L'Harmattan,
n°39, troisième trimestre 1997, p.17 à 38.
* 31 M.-C. Lavabre,
« Du poids et du choix du passé. Lecture critique du
«Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak
et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales,
Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.265 à 278.
* 32 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.579-580.
* 33 Pierre Laborie,
« Histoire politique et histoire des représentations
mentales » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir.,
Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris,
Complexe/IHTP, 1991, p.167.
* 34 Marie-Claire Lavabre,
« Lectures critiques. Usages du passé, usages de la
mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994.
* 35 Pierre Laborie,
« Histoire politique et histoire des
représentations » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry
Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales,
Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.166-167.
* 36 Ibidem.
* 37 Pierre Nora (dir.),
Les lieux de mémoire, tome 2, « La
Nation », vol.3, Paris, Gallimard, 1986, p.25.
* 38 Paul Ricoeur, De
l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Le Seuil, 1965.
* 39 L'Etat en action.
Politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, 1987, p.23.
* 40 Arno Mayer,
« Les pièges du souvenir », Esprit, 7,
juillet 1993 ; voir aussi Tzvetan Todorov, « La mémoire
et ses abus », Esprit, 7, juillet 1993.
* 41 Pierre Laborie,
« Histoire politique et histoire des représentations
mentales » in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir.,
Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris,
Complexe/IHTP, 1991, p.163.
* 42 Henry Rousso (1987),
Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990,
p.13.
* 43 Marie-Claire Lavabre,
« Du poids et du choix du passé. Lecture critique du
«Syndrome de Vichy» », in Denis Peschanski, Michael Pollak
et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences sociales,
Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.269-270.
* 44 Ernest Gellner, Eric H.
Hobsbawn et Terence Ranger, The Invention of Tradition, Cambridge,
Cambridge University Press, 1992.
* 45 Benedict Anderdon
(1983), L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et
l'essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
* 46 Anthony D. Smith,
The Ethnic Origins of Nations, Oxford, Blackwell, 1986.
* 47 Anthony D. Smith,
« Nationalisme et religion politique » in Féron
(Elise), Hastings (Michel), L'imaginaire des conflits communautaires,
Paris, L'Harmattan, 2002, p.25 à 40.
* 48 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.579.
* 49 Pascal Ory, Une
nation pour mémoire, 1889, 1939, 1989, trois jubilés
révolutionnaires, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p.8, cité
in M.-C. Lavabre, « Lectures critiques. Usages du passé,
usages de la mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3,
juin 1994, p.483.
* 50 M.-C. Lavabre,
« Lectures critiques. Usages du passé, usages de la
mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994,
p.487.
* 51 Diana
Quattrocchi-Woisson, « Du rosisme au péronisme. Le rôle
de l'histoire dans la construction d'une identité nationale »,
in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire
politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991,
p.215 à 232.
* 52 Voir par exemple :
Pierre Nora, « Mémoire collective », in Jacques Le
Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, CEPL, 1978, p.398 à
401 ; Henry Rousso (1987), Le syndrome de Vichy de 1944 à nos
jours, Paris, Le Seuil, 1990 ; Pierre Laborie, « Histoire
politique et histoire des représentations mentales », in Denis
Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et
sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.155 à
170.
* 53 Diana
Quattrocchi-Woisson, « Du rosisme au péronisme. Le rôle
de l'histoire dans la construction d'une identité nationale »,
in Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire
politique et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991,
p.227.
* 54 F. Guibal,
« Sans idéologie ? » , in Denis Peschanski,
Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique et sciences
sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.237.
* 55 Henry Rousso,
« Pour une histoire de la mémoire collective », in
Denis Peschanski, Michael Pollak et Henry Rousso, dir., Histoire politique
et sciences sociales, Bruxelles/Paris, Complexe/IHTP, 1991, p.264.
* 56 Jacques Sémelin,
« L'imaginaire dans le crime de masse », Colloque
« Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille,
27 octobre 2000 ; voir aussi Jacques Sémelin, « Penser
les massacres », R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février
2001 ; Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages
politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.
* 57 René Girard,
La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.
* 58 cf. Carl Schmitt,
La notion de politique. Théorie du partisan, Paris, Flammarion,
1992 ; voir aussi John Crowley, « Pacifications et
réconciliations. Quelques réflexions sur les transitions
immorales » in Cultures & Conflits, n°41, Printemps
2001, p.75 à 98.
* 59 Norbert Elias et John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.
* 60 Béatrice
Pouligny, Groupe de recherche : « Faire la paix : Du crime
de masse au peacebuilding », Compte-rendu de la réunion
inaugurale du 8 février 2001, p.12.
* 61 Michel Hastings,
« Imaginaires des conflits et conflits imaginaires »,
Colloque « Conflits, imaginaires, communautés », IEP
Lille, 27 octobre 2000. Voir aussi Elise Féron et Michel Hastings,
« The new Hundred Years Wars », International Social
Science Journal, n°177, septembre 2003.
* 62 Georges Sorel (1908),
Réflexions sur la violence, Paris, Marcel Rivière,
1972.
* 63 Jacques Sémelin,
« L'imaginaire dans le crime de masse », communication
donnée dans le cadre du colloque « Conflits, imaginaires,
communautés », IEP Lille, 27 octobre 2000. Voir aussi Jacques
Sémelin, « From massacre to the genocidal process »,
International Social Science Journal, n°174, Décembre
2002.
* 64 Mark Levene,
« Les génocides : une particularité du
XXème siècle », conférence
donnée dans le cadre de l'Université de tous les savoirs le
samedi 4 novembre 2000 à Paris. Voir aussi Mark Levene, « The
Changing Face of Mass Murder. Massacre, genocide and post-genocide »,
International Social Science Journal, n°174, Décembre
2002.
* 65 A ce sujet, voir Elise
Féron, « L'impératif de loyauté : les deux
communautés d'Irlande du Nord et la figure de l'ennemi
intérieur », Communication dans le cadre de l'atelier sur la
figure de l'ennemi intérieur, Congrès de l'AFSP, Rennes,
1999 ; voir aussi Elise Féron, « Le conflit après
le conflit. L'Irlande du Nord sur les chemins de la paix », Colloque
« Conflits, imaginaires, communautés », IEP Lille,
27 octobre 2000, ainsi que Elise Féron, La Harpe et la Couronne.
L'imaginaire politique du conflit nord-irlandais, Lille, Presses
Universitaires du Septentrion, 2000.
* 66 Norbert Elias et John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.183.
* 67 Ibid, p.182-183.
* 68 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.580.
* 69 G.-N. Fischer, La
psychologie sociale, Paris, Seuil, 1997.
* 70 « Quand les
hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont
réelles dans leurs conséquences ».
* 71 R.K. Merton (1953),
Eléments de méthode sociologique, Paris, Plon, 1965,
p.170.
* 72 Ibid, p.172-173.
* 73 Michel Wieviorka,
chapitre introductif à l'édition française de l'ouvrage de
Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris,
Fayard, 1997, p.182-183.
* 74 Voir Jacqueline
Palmade, « L'identité comme travail de
l'écart », Éducation Permanente, n°128,
1997 ; voir aussi Thomas Luckmann et la notion de
« schème biographique », qu'il définit comme
une « toile de fond significative » qui « [ancre]
des déroulements temporels de courte portée dans des
déroulements temporels de plus longue portée » et
« [met] une vie individuelle en rapport avec quelque chose qui
transcende le temps de cette vie » ; non pas « de
simples mesures de la durée », mais « une mesure
«morale» de l'enchaînement des actions ». Ainsi, la
reconstruction est consubstantiellement liée à la
justification ; elle vise à ramasser l'historicité du groupe
d'appartenance en une formule narrative au caractère fortement
axiologique (cf. « Les temps vécus et leurs
entrecroisements dans le cours de la vie quotidienne »,
Politix, « Se référer au
passé », Paris, L'Harmattan, n°39, troisième
trimestre 1997, p.17 à 38). Thomas Luckmann utilise aussi la notion de
« temporalités historiques », qu'il définit
comme des catégories interprétatives « ayant acquis le
statut d'objectivité culturelle » (Ibid).
* 75 Charles Taylor (1992),
Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris,
Aubier, 1994 ; voir aussi Charles Taylor (1989), Les sources du moi.
La formation de l'identité moderne, Paris, Seuil, 1998.
* 76 G.-N. Fischer, La
psychologie sociale, Paris, Seuil, 1997, p.162.
* 77 Howard S. Becker,
Outsiders, études de sociologie de la déviance, Paris,
Métailié, 1985.
* 78 Norbert Elias et John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.91.
* 79 Vincent de Gaulejac et
Isabelle Taboada Léonetti, La lutte des places. Insertion,
désinsertion, Paris, Desclée de Brouwer, 1997 ; voir
aussi Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris,
Desclée de Brouwer, 1996.
* 80 Norbert Elias et John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.181 et
182.
* 81 Denis-Constant Martin
(dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en
politique ?, Paris, PFNSP, 1994.
* 82 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
* 83 Selon Pierre Bourdieu,
la notion de « violence symbolique » renvoie et
caractérise « tout pouvoir qui parvient à imposer des
signification et à les imposer comme légitimes en dissimulant les
rapports de force qui sont au fondement de sa force » (Pierre
Bourdieu, Esquisse d'une théorie de la pratique, Paris, Droz,
1972, p.18), soit cette forme particulière de violence « qui
s'exerce pour l'essentiel par les voies purement symboliques de la
communication et de la connaissance ou, (...) à la limite, du
sentiment » (Pierre Bourdieu, La domination masculine,
Paris, Seuil, 1998, p.11-12).
* 84 Paul Ricoeur, La
mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.580.
* 85 Erving Goffman (1963),
Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions
de Minuit, 1975, p.43, 44 et 46.
* 86 En 1997, la
Délégation aux Rapatriés évaluait officiellement le
nombre des harkis, toutes générations confondues, à
environ 450'000 (contact téléphonique, juillet 1997).
* 87 Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990, p.25.
* 88 Georges-Marc Benamou,
Un mensonge français. Retours sur la guerre d'Algérie,
Paris, Robert Laffont, 2003.
* 89 Djami, C'est la
vie, Paris, La Pensée Universelle, 1993.
* 90 Voir notamment les
thèses de K.D. Bouneb (Musulmans-Français de la seconde
génération. Adaptation, phénotype et représentation
de soi, Thèse de 3ème cycle sous la direction de J. Raveau, Paris
5, 1985) et Mohand Hamoumou (Les Français-Musulmans rapatriés.
Archéologie d'un silence, Thèse de sociologie sous la direction
de L. Valensi, EHESS, Paris, 1989).
* 91 Voir notamment les
thèses d'Anne Heinis (L'insertion des Français-Musulmans.
Étude faite sur les populations regroupées dans le midi de la
France dans les centres d'ex-harkis, thèse de sciences
économiques, Montpellier, Université Paul Valéry, 1977) et
de Saliha Abdellatif (Enquête sur la condition familiale des
Français musulmans en Picardie, Thèse de troisième cycle,
EHESS, Paris VII, 1981), ainsi que les rapports de Saliha Abdellatif (Un
isolat contemporain : les Français-musulmans, rapport à
l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine
ethnologique, 1990) et de Jean Servier, ethnologue et ancien administrateur
colonial, qui fut directement à l'origine de la création des
harkas (Enquête sur les Musulmans Français,
C.N.M.F., 1972, 2 tomes ; puis Enquête sur les
Musulmans Français, 2ème rapport, O.N.A.S.E.C./C.N.M.F.,
Montpellier (CERAS), 1984).
* 92 Abi Samra (Marwan),
Finas (François-Jérôme), Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale des Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987.
* 93 La thèse de K.D.
Bouneb, précédemment citée.
* 94 Voir notamment la
thèse de Mohand Hamoumou (Les Français-Musulmans
rapatriés. Archéologie d'un silence, Thèse de
sociologie sous la direction de L. Valensi, EHESS, Paris, 1989) et son rapport
à l'attention du ministère de la Culture (Archives orales de
Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre,
rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du
Patrimoine ethnologique, juin 1988).
* 95 Voir notamment Titraoui
(Taouès) et Coll (Bernard), Le livre des harkis,
Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991 ; Meliani (A.), La
France honteuse. Le drame des harkis, Paris, Perrin, 1993 ;
et Azni (Boussad), Harkis, crime d'État.
Généalogie d'un abandon, Paris, Ramsay, 2002.
* 96 Voir par
exemple, s'agissant des livres : Faivre (Maurice), Les
combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995 ; et s'agissant des
articles : Faivre (Maurice), « Une histoire douloureuse et
controversée », Hommes et migrations,
n°1135, septembre 1990, p.13-20 ; Faivre (Maurice),
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002.
* 97 S'agissant des
livres : Hamoumou (Mohand), Et ils sont devenus harkis, Paris,
Fayard, 1993, et Jordi (Jean-Jacques), Hamoumou (Mohand), Les harkis, une
mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112,
février 1999 ; s'agissant des articles, voir notamment :
Hamoumou (Mohand), « Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, «
France-Algérie : les blessures de l'histoire », n°
161, mai 1990, p. 25-45.
* 98 Son ouvrage : Roux
(Michel), Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La
Découverte, 1991 ; s'agissant des articles, voir notamment :
Roux (Michel), « Le poids de l'histoire », Hommes et
migrations, n° 1135, septembre 1990, p. 21-27. Roux
(Michel), « Bias, Lot-et-Garonne, le camp des
oubliés », Hommes et migrations, n°1135,
septembre 1990, p.41-45.
* 99 Voir notamment :
Pervillé (Guy), « La tragédie des harkis »,
L'Histoire, n° 140, janvier 1991, p.120 à 123,
ainsi que Pervillé (Guy), « Histoire de l'Algérie et
mythes politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens
et nouveaux harkis" », in Ageron (C.-R.), dir., La guerre
d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin /
Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.323-332.
* 100 Voir notamment les
trois articles parus dans la revue Vingtième
Siècle : Ageron (Charles-Robert), « Le drame des
harkis en 1962 », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3
à 6 ; Ageron (Charles-Robert), « Les supplétifs
algériens dans l'armée française pendant la guerre
d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre
1995, p.3 à 20 ; et Ageron (Charles-Robert), « Le
«drame des harkis». Mémoire ou histoire ? »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP,
n°68, octobre-décembre 2000, p.3 à 15.
* 101 Boulhais (Nordine),
Histoire des harkis du nord de la France, Paris, L'Harmattan, 2005.
* 102 Charbit (Tom),
Les harkis, Paris, La Découverte, 2006.
* 103 Kara (Mohamed),
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997.
* 104 Muller (Laurent),
Le silence des harkis, Paris, L'Harmattan, 1999.
* 105 Abrial
(Stéphanie), Les enfants de harkis. De la révolte à
l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002.
* 106 Hommes et
Migrations, « Les harkis et leurs enfants » ,
n°1135, septembre 1990, p.3-69.
* 107 Guy Pervillé,
« Les historiens de la guerre d'Algérie et ses enjeux
politiques en France », article consultable à cette
adresse :
http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Collo/perville.pdf.
* 108 Après son
exil, le bachaga Boualam - qui fut vice-président de l'Assemblée
nationale de 1958 à 1962 - a publié coup sur coup trois recueils
de souvenirs et d'impressions sur la situation politique en
Algérie : Boualam (Saïd), Mon pays, la France !,
Paris, France-Empire, 1962 ; Boualam (Saïd), Les harkis au
service de la France, Paris, France-Empire, 1963 ; et Boualam
(Saïd), L'Algérie sans la France, Paris, France-Empire,
1964.
* 109 Meliani (A.), La
France honteuse. Le drame des harkis, Paris, Perrin, 1993.
* 110 Saïd Ferdi,
Un enfant dans la guerre, Paris, Seuil, 1981.
* 111 Brahim Sadouni,
Destin de harki, publié chez Cosmopole en 2001, version
augmentée d'un récit déjà publié une
première fois à compte d'auteur en 1989.
* 112 Voir par
exemple : « L'histoire oubliée : les
harkis », A. de Sédouy et E. Deroo (réalisateurs,
commentateurs et interviewers), avec les participations du Colonel Pierre
Hentic, de Maurice Benassayag, du Général Maurice Faivre, Paris,
GMT productions, Europe Images International (distribution), 52 minutes,
1993 ; et « Harkis, crime d'Etat ? », Document
vidéo de M. Gagnant, Arte, 2002.
* 113 « Fils de
harkis », Document vidéo réalisé par Farid
Haroud, avec les participations de Mohand Hamoumou et Jamel Oubechou, Grenoble,
Aster distribution (26 minutes), 1998.
* 114 Voir par
exemple : « Les Harkis. Quarante ans le dos à la
mer », Document vidéo de J.-C. Deniau et J.-P. Bertrand,
France 2, 2003.
* 115 « Les
harkis ou 500.000 Français en quête d'une histoire »,
François Gaspard et Patrick Pesnot (interviews et production), Claude
Guerre (réalisation), J.-Y. Alquier, M. Benassayag, M. Harbi et al.
(participants). Première diffusion sur France Culture le 31 juillet
1989. Réédité sur CD en 1999.
* 116 Parmi les productions
les plus récentes, on peut citer notamment : Lakhdar Belaïd,
Sérail killers, Paris, Gallimard, 2000, un polar sur fond de
"feux mal éteints" entre nationalistes algériens et anciens
harkis à Roubaix ; Alain-Julien Rudefoucauld, J'irai seul,
Paris, Le Seuil, 2002, sur l'errance d'un fils de harki hanté par sa
mémoire ; et Hadjila Kemoun, Mohand le harki, Paris,
Editions A. Carrière, 2003, huis clos tendu entre un ancien harki et un
ancien ministre des Armées.
* 117 Norbert Elias, John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.
* 118 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit,
1975.
* 119 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit,
1975.
* 120 Ibid, p.127.
* 121 Howard S. Becker
[1963], op.cit., p.229.
* 122 Voir Vincent de
Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places,
Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
* 123 Terry Cochran,
« La violence de l'imaginaire. Gramsci et Sorel »,
Tangence, n°63, juin 2000, p.55-73.
* 124 Norbert Elias et John
L. Scotson, op.cit.
* 125 Erving Goffman,
op.cit., p.46.
* 126 Ibid, p.45-46.
* 127 Norbert Elias et John
L. Scotson, op.cit., p.34.
* 128 Ibid, p.35.
* 129 Avant-propos de
Michel Wieviorka in Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.
* 130 Erving Goffman,
op.cit., p.46.
* 131 Erving Goffman,
op.cit., p.45-46.
* 132 Cf. Howard Becker,
op.cit., p.232.
* 133 Vincent de Gaulejac,
Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.
* 134 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places,
Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
* 135 Avant-propos de
Michel Wieviorka in Norbert Elias et John L. Scotson, op.cit.
* 136 Howard Becker,
op.cit., p.47.
* 137 Erving Goffman,
op.cit., p.161. De même, Howard Becker souligne que « les
normes sociales, loin d'être immuables, sont continuellement
reconstruites dans chaque situation, pour s'adapter aux commodités,
volontés et positions de pouvoir des divers participants »
(Howard Becker, op.cit., p.216).
* 138 Ibid, p.45-46.
* 139 Herbert Blumer,
«Society as Symbolic Interaction» in Arnold Rose (editor)
Human Behavior and Social Processes : An Interactionist Approach (Boston:
Houghton Mifflin Company, 1962), p.188; cité et traduit in Howard
Becker, op.cit., p.195.
* 140 Ibidem.
* 141 Terry Cochran,
« La violence de l'imaginaire : Gramsci et Sorel », in
Tangence, Numéro 63, « Fictions et
politique », sous la direction de Jacques Cardinal, Juin 2000, p.55
à 73 ; article consultable sur
http://www.erudit.org/revue/tce/2000/v/n63/008182ar.pdf.
* 142 Norbert Elias et John
L. Scotson, op.cit.
* 143 Terry Cochran,
« La violence de l'imaginaire : Gramsci et Sorel », in
Tangence, Numéro 63, « Fictions et
politique », sous la direction de Jacques Cardinal, Juin 2000, p.55
à 73 ; article consultable sur
http://www.erudit.org/revue/tce/2000/v/n63/008182ar.pdf.
* 144 Terry Cochran,
art.cit..
* 145 Ibid.
* 146 Ibid.
* 147 Intervention de Max
Pagès : « Changements politiques et régression
psychologique collective », Groupe de recherche du CERI :
« Faire la paix : du crime de masse au
peacebuilding », compte-rendu de la réunion du 5 juin
2001 : « Idéologies et imaginaires : avant et
après », p.10.
* 148 Ibid, p.8.
* 149 Voir aussi
René Girard, Le bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982.
* 150 Compte-rendu de la
réunion du 5 juin 2001 (« Idéologies et
imaginaires : avant et après ») du groupe de recherche du
CERI : « Faire la paix : du crime de masse au
peacebuilding », p.12.
* 151 Béatrice
Pouligny, « Faire la paix après un crime de masse : un
défi pour l'analyse et l'intervention », colloque
international « Des conflits en mutation ? », le 8
juin 2001, à l'université Paul Valéry-Montpellier III,
texte de communication, p.11.
* 152 Ibidem.
* 153 Jacques
Sémelin, « Penser les massacres »,
R.I.P.C., vol.7, n°3, 8 février 2001, p.16.
* 154 Boudon (Raymond) et
Bourricaud (François), Dictionnaire critique de la sociologie,
Paris, PUF, 1982, p.302.
* 155 Ibidem.
* 156 Voir notamment
Michel Foucault, « Il faut défendre la
société », Cours au collège de France (1975
- 1976), Paris, Seuil, 1997.
* 157 C'est très
exactement le sens des paroles prononcées par le général
de Gaulle en 1965, au cours d'un déjeuner dans la préfecture de
Mamers (Sarthe), et rapportées par Alain Peyrefitte dans
C'était de Gaulle : « Il existe une couche de
Français, peut-être un sur cinq ou un sur dix, qui m'en voudront
jusqu'à leur dernier souffle, de les avoir transformés en
débris de l'Histoire. Les gens de Vichy, les politiciens de la
IVème, les pieds-noirs, m'exècrent moins pour
les déboires qu'ils ont connu de mon fait, que pour les bienfaits que
j'ai procurés à la France en les rudoyant. Le temps fournit
la preuve qu'ils s'étaient trompés. Ils ne me le
pardonneront jamais » (Alain Peyrefitte, C'était de
Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le
monde », Paris, Editions de Fallois/Fayard, 1997, p.92. C'est moi qui
souligne).
* 158 Erving Goffman,
op.cit., p.46.
* 159 Howard Becker,
op.cit., p.153.
* 160 Ibid, p.229-230.
* 161 Ibid, p.208.
* 162 Erving Goffman,
op.cit., p.45-46.
* 163 Patrick Watier,
La sociologie et les représentations de l'activité
sociale, Paris, Méridiens-Klincksieck/Masson, 1996.
* 164 Jean-Michel
Chapoulie, préface à Howard Becker, op.cit., p.16
* 165 Howard Becker,
op.cit., p.196. « Les théories interactionnistes, écrit
Howard Becker, ont prospéré sur la base d'un état d'esprit
qui prend au sérieux les aspects banals de l'existence et ne se contente
pas d'invoquer comme mécanismes explicatifs des forces
mystérieuses et invisibles » (Howard Becker, op.cit., p.217).
Voir aussi, à ce sujet, la notion
d' « attribution » telle que développée
par Jean-Claude Deschamps et Alain Clémence (L'explication
quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000). La notion
d'attribution, liée au développement d'une psychologie sociale
cognitive, renvoie à la manière dont le sujet « cherche
à donner un sens aux événements, aux comportements, aux
interactions sociales. » (p.14-15). Dans ce sens,
« l'attribution peut être conçue comme un processus de
construction de la réalité ou comme un processus de mise en
oeuvre de représentations » (p.17). Une des
particularités des études sur l'attribution - au-delà des
disparités que l'on peut rencontrer en la matière - est qu'elles
partagent un intérêt commun pour les explications "naïves" ou
"profanes" des événements quotidiens. Selon Deschamps et
Clémence, ces processus renvoient à la compréhension que
l'on se forge de la structure causale du monde et, partant, déterminent
pour une large part nos interactions avec ce monde.
* 166 Herbert Blumer :
« Essayer de saisir le processus d'interprétation en restant
à l'écart, comme l'observateur dit "objectif", et en refusant de
prendre le rôle de l'acteur, c'est risquer la pire forme de
subjectivisme : celle dans laquelle l'observateur objectif au lieu de
saisir le processus d'interprétation tel qu'il se produit dans
l'expérience de l'acteur, lui substitue ses propres
conjectures » ; Herbert Blumer, «Society as Symbolic
Interaction» in Arnold Rose (editor) Human Behavior and
Social Processes : An Interactionist Approach (Boston: Houghton Mifflin
Company, 1962), p.188; cité et traduit in Howard Becker, op.cit.,
p.195.
* 167 Ces questions ne sont
pas sans implication pratique sur le plan méthodologique, notamment pour
ce qui a trait à la conduite et à l'exploitation des entretiens
(voir l'Annexe n°1).
* 168 Claude Dubar, La
socialisation, construction des identités sociales et
professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, p.111 et suivantes.
* 169 Ibid.
* 170 Jean-Pierre Terrail,
La dynamique des générations, Paris, L'Harmattan,
1995.
* 171 Ibid, p.19-20.
* 172 Ibid, p.19.
* 173 G.H. Mead,
L'esprit, le soi et la société, Paris PUF, p.39.
* 174 Jean-Pierre Terrail,
op.cit., p.122.
* 175 Jean-Pierre Terrail,
op.cit., p.123.
* 176 Claudine
Attias-Donfut, Sociologie des générations - L'empreinte du
temps, Paris, PUF, 1988, p.188.
* 177 Ibid, p.189. Dans le
vocabulaire piagétien, le dépassement de l'égocentrisme
s'opère par le mécanisme de "décentration" :
« Ce concept se réfère à une relation de
réciprocité (...). L'égocentrisme cognitif provient d'un
manque de différenciation entre son point de vue et les autres
possibles. Se décentrer, c'est déplacer son centre, comparer ses
actions à d'autres actions possibles », in J. Piaget [1946],
Le développement de la notion de temps chez l'enfant, Paris,
PUF, 3ème édition, 1981, p.275.
* 178 Irène
Théry, « Malaise dans la filiation », Esprit,
n°227, décembre 1996, p.50-53.
* 179 Josette
Coenen-Huther, La mémoire familiale, Paris, L'Harmattan, 1994,
p.31.
* 180 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.200.
* 181 Pierre Nora (dir.),
Les lieux de mémoire - La République, Paris, Gallimard,
1984, Tome 1.
* 182 Michel Roux, Les
harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte,
1991, p.413.
* 183 Selon Erikson (E.H.
Erikson, Adolescence et crise, la quête de l'identité,
Paris, Flammarion, 1972), l'identité n'existe que par le sentiment
d'identité. Ce sentiment repose lui-même sur un ensemble de
processus, dont les processus d'identification, d'évaluation par rapport
à autrui et d'intégration des valeurs dominantes.
Précisément, la notion de "monde subjectif" renvoie à un
faisceau de perceptions propres au sujet et à l'articulation - plus ou
moins congruente, plus ou moins valorisante - de ces perceptions entre
elles : 1) la perception du sujet (individu ou groupe) par
lui-même ; 2) la perception d'autrui ; 3) la perception du
regard porté sur soi par autrui ; 4) la perception des valeurs
dominantes.
* 184 Laurent Muller
(Le silence des harkis, Paris, L'Harmattan, 1999) avait ainsi fait de
ses fonctions d'ACCE en Alsace le vecteur principal de sa thèse en
termes de ressources empiriques.
* 185 Voir notamment son article intitulé
« Algérie 62 : «cessez-le-feu» et devenir des
supplétifs musulmans », sans précision de support ni de
date ; article consultable sur le site du collectif Justice pour les
harkis :
www.chez.com/justiceharkis/.
* 186 Dalila Kerchouche
présente ainsi son voyage : « J'ai 29 ans depuis une
semaine, à peu près l'âge que ma mère avait quand
elle a franchi la Méditerranée, en 1962. Comme elle, je vais
entamer un long périple. Je calquerai mes pas sur les siens et
sillonnerai les camps, du moins ce qu'il en reste, de l'Auvergne au
Lot-et-Garonne, en passant par la Lozère et le Morvan. Comme elle, je
vais franchir la Méditerranée... Pour découvrir
l'Algérie, ce pays haï et adoré que je ne connais
pas ». Plus loin : « Pourtant, c'est là-bas que
la vie de ma famille a basculé. Là-bas que mon père est
devenu harki. (...) Là-bas, aussi, que je poursuis, après les
camps, ma quête "harkéologique" dans le passé, mon voyage
à la source du drame ». Et d'ajouter :
« Comment les Algériens se comporteront-ils quand je leur
dirai : «Je suis une fille de harkis» ? Devrais-je
affronter la haine que mes parents ont fuie il y a quarante ans ? Si je
parviens à retrouver la famille de mon père - ce qui n'est pas
gagné -, comment va-t-elle m'accueillir ? Les villageois vont-ils
me chasser à coups d'insultes et de jets de pierres ? Vont-ils
rejeter la «fille du traître». Les doutes
m'assaillent » (cf. Dalila Kerchouche, Mon père, ce
harki, Paris, Editions du Seuil, 2003, p.31-32, 187 et 191).
* 187 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.314-315.
* 188 Ibidem.
* 189 Caïd :
juge, chef de la police et responsable administratif. Le système du
"caïdat", mis en place par les Turcs, a été repris par les
Français. Mohand Hamoumou définit comme suit le rôle des
900 caïds (qui étaient secondés par les gardes
champêtres) : « Surveiller la population indigène,
recouvrer l'impôt et informer l'autorité
française » ; cf. Mohand Hamoumou, Les harkis, une
mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, p.25. Pour sa
part, le « projet de programme pour la réalisation de la
révolution démocratique populaire », dit
« programme de Tripoli », adopté à
l'unanimité par le Conseil National de la Révolution
Algérienne (CNRA) peu avant l'indépendance, en juin 1962,
définit comme suit le système du caïdat :
« Au moment de la conquête coloniale, les féodaux
algériens, qui étaient déjà impopulaires,
s'empressèrent de pactiser avec l'ennemi, n'hésitant pas à
participer à sa guerre de pillage et de répression. (...) De
caste militaire et terrienne quelle était, la féodalité
algérienne est devenue progressivement administrative. Ce rôle
lui, permis de poursuivre son exploitation du peuple et d'agrandir ses domaines
fonciers, Le corps des caïds, tel qu'il s'est perpétué
jusqu'a nos jours, est l'expression la plus typique de cette
féodalité » (Le texte intégral de ce programme
est disponible sur le site de la présidence algérienne à
cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm).
* 190 Terry Cochran,
art.cit.
* 191 Cf. Béatrice
Pouligny, « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding.
Une approche transdisciplinaire », Compte-rendu de la réunion
de travail inaugurale du groupe de recherche du CERI : « Faire
la paix : du crime de masse au peacebuilding », 8
février 2001, p.14.
* 192 Jacques
Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8
février 2001, p.16.
* 193 Cornélius
Castoriadis, L'institution imaginaire de la société,
Paris, Le Seuil, 1975, p.179.
* 194 Vincent de Gaulejac,
Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.
* 195 La reconnaissance
officielle par l'Etat français de sa part de responsabilité dans
l'abandon au massacre des anciens harkis et de leurs familles est
désormais la première des revendications mises en avant par
l'ensemble des grands mouvements associatifs au sein de la
communauté.
* 196 L'enjeu n'est
d'ailleurs pas que symbolique puisque la réponse à ces questions
détermine aussi la nature des politiques de transferts de fonds
consenties par l'Etat : plans d'aide (avec une marge de manoeuvre
limitée par rapport au droit commun) ou mesures
d'indemnisation ?
* 197 Voir Sandrine
Lefranc, « Les politiques du pardon : la continuation du conflit
par d'autres moyens », in Elise Féron et Michel Hastings,
L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002,
p.272.
* 198 Nous n'avons en effet
pas conduit de campagne d'entretiens directement auprès des anciens
harkis eux-mêmes, nos enquêtes de terrain ayant ciblé
uniquement leurs enfants (voir les Parties 3 et 4). Nous avons cependant fait
une exception à Largentière dans le cadre d'un double entretien
avec Mohamed, ancien supplétif et président de l'association de
harkis locale, et Jean-Claude, fils de harki et secrétaire de
l'association.
* 199 Le
général Maurice Faivre est docteur en science politique et
lui-même ancien chef de harka. Ses trois ouvrages de
référence sont : Un village de Harkis. Des Babors au
pays drouais, Paris, L'Harmattan, 1994 ; Les combattants
musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés,
Paris, L'Harmattan, 1995 ; et Les archives inédites de la
politique algérienne (1958-1962), Paris, L'Harmattan, 2000.
* 200 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.19.
* 201 Voir Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la
Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.367.
* 202 La famille de Mostefa
Ben Boulaïd - l'un des 9 chefs historiques du FLN - en est originaire.
* 203 Jacques
Frémeaux, « Aux origines des troupes
supplétives », Guerre d'Algérie magazine,
« Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur.
Numéro spécial été 62 », n°4,
juillet-août 2002, p.12 à 17.
* 204 Jacques
Frémeaux, « Aux origines des troupes
supplétives », Guerre d'Algérie magazine,
« Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur.
Numéro spécial été 62 », n°4,
juillet-août 2002, p.17.
* 205 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le
souvenir et la douleur. Numéro spécial été
62 », n°4, juillet-août 2002, p.20.
* 206 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et pieds-noirs : le
souvenir et la douleur. Numéro spécial été
62 », n°4, juillet-août 2002, p.21.
* 207 Voir infra
la section I.E de la Partie 1 : « Les facettes d'un
comportement : attitude à l'égard des populations civiles et
des prisonniers, attitude au combat et loyauté » ; voir
aussi Partie 2, section III.B.2 : « Sur le souvenir de la
répression de la manifestation du 17 octobre 1961 et la manière
dont il participe de la stigmatisation des harkis dans la geste intellectuelle
de la guerre d'Algérie », ainsi que : « Une
personnalisation opportune, ou la focalisation sur les «harkis de M.
Papon» (Marcel Péju) ».
* 208 Selon l'historien
Charles-Robert Ageron, le nombre de ces « harkettes,
employées, par exemple, pour la fouille des femmes aurait atteint 343 en
décembre 1961 (« Les supplétifs algériens dans
l'armée française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.6).
* 209 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.19.
* 210 Voir notamment
Grégor Mathias, Les sections administratives
spécialisées en Algérie. Entre idéal et
réalité (1955-1962), Paris, L'Harmattan, 1998.
* 211 Sur une tentative
avortée de création d'un "contre-maquis" en Kabylie, voir par
exemple Camille Lacoste-Dujardin, Opération Oiseau Bleu. Des
kabyles, des ethnologues et la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1997.
* 212 Voir notamment Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - III : L'Heure des
Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970, p.245 à 247
et 250-251.
* 213 Sur le FAAD, voir
notamment Jacques Frémeaux, « La guerre d'Algérie et le
Sahara », in Ageron (Charles-Robert), dir., La guerre
d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin,
1997, p.97 et 103 ; sur les tentatives d'approche entre le FAAD et l'OAS,
voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - IV :
Les Feux du Désespoir, Paris, Librairie Arthème Fayard,
1971, p.597 et suivantes.
* 214 Jacques
Frémeaux, « Aux origines des troupes
supplétives », Guerre d'Algérie magazine,
n°4, juillet-août 2002, p.13.
* 215 Ibidem.
* 216 Sans doute,
avons-nous dit, parce qu'il désigne la catégorie la plus
nombreuse, la plus offensive aussi.
* 217 Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988.
* 218 FSNA, selon la
terminologie de l'époque : Français de souche
nord-africaine.
* 219 À ce stade,des
précisions s'imposent au plan de la terminologie. Ainsi, lorsqu'il
s'agira de désigner, au fil de l'exposé, l'ensemble formé,
d'une part, par les différentes catégories de soldats
supplétifs et, d'autre part, par les militaires d'active, les
conscrits, les commis de l'État et les notables, nous emploierons, comme
substitut à l'usage extensif du terme « harkis »,
l'expression « musulmans pro-français ». Cependant,
l'expression « musulmans pro-français »
procède davantage d'un choix par défaut, par élimination,
que de l'affirmation pleine et entière de son pouvoir discriminant.
Ainsi, les expressions
« Algériens pro-français » ou
« autochtones favorables à la France » ne
conviennent pas car elles sont potentiellement inclusives des pieds-noirs
(ceux-ci se considérant alors comme des Algériens et étant
de fait, pour la plupart, des autochtones au sens étymologique du
terme). L'expression « indigènes favorables à la
France » ne convient pas davantage, car elle inclut
théoriquement la composante juive séfarade de la population
algérienne qui, à l'inverse des Européens
d'Algérie, est de peuplement très ancien. Mais qui, à la
différence des musulmans, a été collectivement
"francisée" à la suite du décret Crémieux.
L'expression « Arabes pro-français » ne convient pas
non plus car elle fait abstraction des populations berbères (notamment
kabyles), nombreuses à s'être engagées aux
côtés de la France. Nous retiendrons donc l'expression
« musulmans pro-français » qui, quoiqu'elle fasse
abstraction des quelques tribus berbères christianisées à
s'être constituées en troupes supplétives, reste le
qualificatif le plus précis pour désigner ceux dont il est ici
question.
Par ailleurs, lorsqu'il s'agira de désigner dans leur
ensemble les différentes catégories de personnels en armes
attachés en qualité d'auxiliaires au maintien de l'ordre aux
côtés de l'armée française (à l'exception,
donc, des militaires d'active, des conscrits, des commis de l'État et
des notables), nous emploierons l'expression « supplétifs
musulmans » de préférence au vocable
« harkis », ce dernier étant pour ce faire
à la fois trop large - puisqu'il est emblématique, dans
son usage extensif, d'un ensemble indivis incluant d'autres catégories
de personnels, militarisés et non militarisés - et trop
restreint - puisqu'il ne désigne, en toute rigueur, qu'une
catégorie de supplétifs parmi d'autres. En dépit des
apparences, l'expression « supplétifs musulmans »
n'est pas redondante puisque des autochtones d'origine européenne furent
eux aussi constitués en troupes supplétives (même si cela
reste l'exception) : ainsi en va-t-il des Unités territoriales
(UT), qui joueront un rôle majeur dans le déclenchement de la
« semaine des barricades » (janvier 1960). En toute
rigueur, la qualité de « supplétif » est donc
en soi insuffisamment discriminante. En outre, pour les raisons exposées
précédemment à propos de l'expression
« musulmans pro-français », le qualificatif
« musulmans », accolé à celui de
« supplétifs », nous semble le plus pertinent pour
circonscrire la population dont il est ici question.
* 220 Stéphanie
Chauvin, « Des appelés pas comme les autres ? Les
conscrits «français de souche nord-africaine» pendant la
guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la FNSP, n° 48, octobre-décembre 1995,
p.21 à 30. Ce chiffre est contesté par Maurice Faivre qui
décompte « 160.000 FSNA appelés, dont 123.000 ont servi
en Algérie » (Maurice Faivre, « Les harkis
contestés », texte inédit, décembre 1995,
p.5).
* 221 Par exemple, les
classes 1947 à 1950 ne furent pas appelées sous les drapeaux.
* 222 Stéphanie
Chauvin, « Des appelés pas comme les autres ? Les
conscrits «français de souche nord-africaine» pendant la
guerre d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la FNSP, n° 48, octobre-décembre 1995,
p.26.
* 223 Voir la Partie 1,
section II.A.1.c : « La promesse non tenue du maintien
automatique dans la nationalité française des Algériens de
statut civil de droit local ».
* 224 « Au fil
des mois, de toute façon, notent M. Amar et P. Milza, l'abus de langage
tombe de lui-même. Les fonctionnaires civils et militaires ayant
trouvé une nouvelle affectation, seuls restent les harkis, au sens
générique de supplétifs, déracinés,
analphabètes, abandonnés à leur arrivée dans les
camps de regroupement » (M. Amar et P. Milza, L'immigration en
France au XXème siècle, Paris, Armand Colin,
1990).
* 225 Voir à cet
égard les témoignages rapportés par Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.18 et 21.
* 226 Mohand Hamoumou,
prenant acte de l'inégalité de statut social et culturel en
Algérie des actuels Français musulmans rapatriés et des
différents motifs d'engagement avec ou pour la France, propose au final
de caractériser cette population comme suit : elle désigne
« un ensemble de personnes de souche arabe ou berbère ayant eu
un comportement pro-français durant la guerre d'Algérie, en
raison duquel elles ont dû quitter le pays lors de son accession à
l'indépendance en optant pour la citoyenneté
française » (Mohand Hamoumou cité in Catherine
Wihtol de Wenden, « Harkis : le paradoxe
identitaire », Regards sur l'actualité, Paris, La
Documentation Française, n°175, novembre 1991, p.134.).
* 227 Selon le bachaga
Boualam, citant un général, à la fin de 1956 et au
début de 1957, « les demandes d'armes par les
autodéfenses affluèrent, mais les volontaires pour s'engager dans
les harkas afin de participer de façon active à la lutte
étaient en si grand nombre qu'il fallut contingenter chaque mois et par
zone le nombre d'engagements à accepter en fonction des crédits
et des armes disponibles » (Saïd Boualam, Les harkis au
service de la France, Paris, France-Empire, 1963, p.154).
* 228 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21-22
* 229 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.10-11.
* 230 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21-22.
Charles-Robert Ageron, relayant les estimations du 2ème
bureau (établies au 1er novembre 1960) aboutit à des
chiffres équivalents à ceux de Maurice Faivre, à
savoir : un maximum historique de 214.000 combattants musulmans, dont
178.160 sont effectivement armés (« Les supplétifs
algériens dans l'armée française pendant la guerre
d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre
1995, p.10-11) ; voir aussi Guy Pervillé, Pour une histoire de
la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.136-137.
* 231 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.322.
* 232 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21
à 23.
* 233 Cf. Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.136.
* 234 Cf. Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.125, 258 et 266-268. Voir
aussi Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie,
Paris, L'Harmattan, 2001, p.322-323.
* 235 Cf. Djamila Amrane,
Les femmes algériennes dans la guerre, Paris, Plon, 1991,
p.232. Voir aussi Jean Monneret, La phase finale de la guerre
d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.322-323.
* 236 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.136-137.
* 237 Cité in
Maurice Faivre, « Les supplétifs dans la guerre
d'Algérie », Guerre d'Algérie magazine,
« Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la douleur.
Numéro spécial été 62 », n°4,
juillet-août 2002, p.21.
* 238 Ibidem.
* 239 Maurice Challe,
Notre révolte, Paris, Presses de la Cité, 1968,
p.128.
* 240 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur. Numéro spécial
été 62 », n°4, juillet-août 2002, p.21.
* 241 Ibidem.
* 242 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.9, 10 et 13.
* 243 Maurice Faivre,
« Les harkis contestés », texte inédit,
décembre 1995, p.4.
* 244 Nous reviendrons en
détail, tout au long de cette thèse, sur ces constructions
figuratives, ce qu'elles donnent à voir des harkis et - surtout - de
ceux qui les véhiculent ; voir notamment la Partie 2.
* 245 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.12.
* 246 Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.140.
* 247 Cité in
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire
enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.117.
* 248 Cité in
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire
enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.117.
* 249 Ibidem.
* 250 Ibid, p.27.
* 251 A l'image des
porte-drapeaux de l'association d'anciens combattants de Mostaganem,
assassinés à tour de rôle à huit reprises et
toujours remplacés.
* 252 « En 1954,
j'avais 11 ans », raconte Messaoud Kafi, enfant de harki et harki
lui-même. « Je vivais dans un hameau perché dans les
Aurès. La première école était à quatre
jours de marche. Un jour, mon père a été
enlevé par le FLN et battu, parce qu'ils le soupçonnaient
d'être profrançais. Pour finir, ils lui ont pris son fusil. Mon
père ne leur a jamais pardonné : il s'est donc engagé dans
les harkis » (cité in Bernard Delattre, « Les
harkis, une communauté prise entre deux feux », La Libre
Belgique, article consultable sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.)253.
Ainsi, plus encore que la correction infligée, c'est la spoliation du
fusil, véritable camouflet synonyme d'atteinte à la
virilité, qui est ici conçue comme le motif principal
d'engagement dans les harkis.
* 254 A cet égard,
les témoignages publiés par Mohand Hamoumou dans son rapport au
ministère de la Culture (Archives orales de
Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre)
attestent de que cette obligation d'abattage des chiens a pu
profondément choquer certaines personnes - contraintes de
procéder elles-mêmes à la mise à mort ou d'y
assister - et les inciter à s'engager dans les harkas (Archives
orales de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de
guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture,
Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.162).
* 255 Sur le conservatisme
social et religieux du FLN (notamment dans les campagnes), par opposition
à la phraséologie marxiste employée dans les villes et
vis-à-vis du monde extérieur : cf. Mohammed Harbi et Gilbert
Meynier, Le FLN, documents et histoire (1954-1962), Paris, Fayard,
2004.
* 256 Tract reproduit par
Bernard Coll et Taouès Titraoui, Le livre des harkis,
Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.35. Cet ouvrage reproduit
également des clichés d'époque présentant de telles
mutilations faciales - nez coupés - ainsi que le résultat des
opérations de chirurgie réparatrice faites en retour (p.36).
* 257 Citation extraite de
Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962, Paris, Le Seuil, 1963, et
reproduite in Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans
ou les conditions d'une immigration de guerre, rapport à
l'attention du ministère de la Culture, Direction du Patrimoine
ethnologique, juin 1988, p.160.
* 258 Sur
l'idéologie de la libération et la mystique de la "table rase",
voir le chapitre III de la Partie 2.
* 259 Voir ci-dessous la
section III.B.1 de la Partie 1 : « Le ciblage
systématique des musulmans pro-français et des nationalistes
dissidents ».
* 260 Malika, fille de
harki, citée in Bernard Delattre, « Les harkis, une
communauté prise entre deux feux », La Libre
Belgique, article consultable sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 261 Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.158 à
163.
* 262 Ferhat Abbas,
Autopsie d'une guerre, Paris, Garnier, 1980, cité in Mohand
Hamoumou in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une
mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.31.
* 263 Cet assassinat - qui
le visait indirectement - a-t-il précipité le ralliement de
Ferhat Abbas au FLN ? Les avis divergent sur la question. Toujours est-il
que la peur suscité par les "démonstrations de force" du FLN
pouvaient susciter contradictoirement soit l'engagement dans les maquis, soit
l'engagement dans les harkas. Mais ce qu'elles interdisaient de fait (et de
propos délibéré), c'était la
neutralité : la seule alternative était de se plier à
la menace ou de la combattre.
* 264 Mohammed Harbi,
Le FLN : mirages et réalités, Paris,
Éditions Jeune Afrique, 1980, cité in Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.31.
* 265 Extrait du
Procès de Raoul Salan, compte-rendu sténographique,
Paris, Albin Michel, 1962, cité in Mohand Hamoumou, Archives orales
de Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de
guerre, rapport à l'attention du ministère de la Culture,
Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.151-152. Voir aussi la
description que fait Mohand Hamoumou des techniques du fait accompli et de
l'"engagement" progressif (Ibid, p.153 à 155).
* 266 Cité in
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 267 Cité in
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
Brahim Sadouni relate en détail cet épisode décisif de sa
vie dans un livre intitulé Destin de harki. Le témoignage
d'un jeune Berbère enrôlé dans l'armée
française à 17 ans, Paris, Cosmopole, 2001, p.42-43. On peut
y lire notamment : « Je comprends au regard du harki qui me
donne mon paquetage que je ne suis pas le premier à me trouver devant
une telle alternative. Être harki ou perdre tout moyen de
subsistance ? Être harki ou mourir ? Une page de ma vie vient
d'être tournée » (p.43).
* 268 Cité in
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 269 Un des exemples les
plus célèbres de ces engagements forcés d'adolescents nous
est fourni par le témoignage - tôt publié - de Saïd
Ferdi, contraint de s'engager à l'âge de 14 ans ; cf.
Saïd Ferdi, Un enfant dans la guerre, 1954-1962, Paris, Le Seuil,
1981.
* 270 Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.150.
* 271 Ibid, p.158.
* 272 L'un des exemples les
plus fameux fut celui du commando Georges, constitué pour
l'essentiel par d'anciens maquisards de l'ALN, sous le commandement de Georges
Grillot ; aux lendemains de la conclusion des accords d'Évian et de
la dissolution du commando, ses membres furent presque tous
exécutés par le FLN, et ce dans d'horribles conditions puisque
certains d'entre eux furent ébouillantés vivants sur la
place publique.
* 273 Maquisards
enrôlés de force dans l'ALN ; maquisards
révoltés par les excès de l'ALN tant à
l'égard des populations civiles qu'à l'égard des autres
mouvements nationalistes (tel le MNA de Messali Hadj) ; maquisards
terrorisés par l'arbitraire des purges et règlements de comptes
pratiqués dans les propres rangs de l'ALN ; etc.
* 274 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.12.
* 275 Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.140.
* 276 Mohand Hamoumou,
Et ils sont devenus Harkis, Paris, Fayard, 1993, extrait cité
sur le site du collectif Justice pour les harkis :
www.chez.com/justiceharkis/.
* 277 Ibid.
* 278 Voir Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la
Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.367.
* 279 Cité in Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des
Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.96. Voir
aussi, au sujet de Jean Servier, le tome III : L'heure des colonels,
Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970.
* 280 Sur la
rivalité FLN/MNA comme dimension de l'enjeu de l'unanimisme, voir
infra la section III.A de la Partie 1 : « L'invocation
autoritaire de l'Un ou la prétention du FLN à assurer
l'exclusivité de la représentation des aspirations de la
population algérienne ».
* 281 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002,
p.20.
* 282 Citée in
Mohand Hamoumou, Et ils sont devenus Harkis, Paris, Fayard,
1993 ; repris sur le site du collectif Justice pour les harkis :
www.chez.com/justiceharkis/.
* 283 Voir à cet
égard l'exemple de la famille de Dalila Kerchouche in Mon
père, ce harki, Paris, Seuil, 2003.
* 284 Cité in
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 285 Citée in
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 286 Voir infra
le chapitre III de la Partie 1, ainsi que les chapitres I et III de la Partie
2.
* 287 Voir infra
le chapitre II de la Partie 1.
* 288 Cité in Le
Monde du 9 juin 2001.
* 289 Paulette Péju
[1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à
Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000.
* 290 Voir la section
III.B.2 de la Partie 2.
* 291 Témoignages
recueillis, réécrits, et fournis à Paulette Péju
par le collectif d'avocats pro-FLN animé par Jacques Vergès.
* 292 En métropole
(principalement en région parisienne), ces affrontements feront
plusieurs milliers de morts et près d'une dizaine de milliers de
blessés. Le bilan officiel des attentats du FLN (et du MNA) en
métropole pour la période comprise entre le 1er
janvier 1956 et le 23 janvier 1962 est de 12.989 agressions ayant
occasionné 4.176 tués et 8.813 blessés (dont
musulmans : 3.957 tués et 7.745 blessés ;
métropolitains civils : 150 tués et 649
blessés ; militaires : 16 tués et 140
blessés ; policiers : 53 tués et 279
blessés).
293 Mohand Hamoumou et Jean-Jacques Jordi in
Les harkis : une mémoire
* 294 Madeleine Riffaud,
« Au dossier de «l'affaire des harkis» »,
L'Humanité du 7 mars 1961 ; article consultable à
cette adresse :
http://www.humanite.presse.fr/journal/2000/2000-11/2000-11-18/2000-11-18-014.html.
* 295 L'article
évoque « de nombreux témoignages transmis à la
presse par plusieurs avocats », sans doute le collectif de Jacques
Vergès.
* 296 Antoine Coursat et
Richard Lerchbaum, « Ils ont torturé dans Paris »,
Le vrai papier journal, n°7, février 2001, p.26-30.
* 297 « Les
harkis les [d'autres "suspects"] avaient déshabillés,
ligotés puis obligés à s'accroupir sur des bouteilles de
bière. Ensuite on leur posait des questions et s'ils ne
répondaient pas bien, les harkis leur appuyaient sur les épaules
jusqu'à ce que la bouteille éclate... J'ai vu un jeune gars qui a
saigné durant des jours après ce supplice et je peux vous
l'affirmer pour l'avoir connu auparavant : ce n'était qu'un simple
cotisant » ; cité in Antoine Coursat et Richard
Lerchbaum, art.cit., p.27.
* 298 « Ils me
font mettre tout nu, puis ils m'attachent le dos sur une grosse roue de camion
ou de bus, pieds et poings liés. Ils commencent alors à me faire
le supplice de l'eau. Un harki me tire les cheveux pour que je rejette ma
tête en arrière tandis qu'un autre m'enfonce un tuyau dans la
bouche. Ensuite, ils déversent des litres et des litres d'eau
savonneuse. Il font ça pendant des heures pour nous faire gonfler. (...)
Une fois bien plein, ils me mettent sur le côté pour me faire
vomir. Ils me laissent comme ça pendant une demi-heure ou une heure,
puis ils reviennent et recommencent... » ; Ibidem.
* 299 « Une fois
de plus, ils m'attachent nu. Ils prennent une serpillière
mouillée pleine de cendres et de charbon et me la collent sur le visage,
le nez et la bouche, pour m'étouffer. Si je voulais parler, il fallait
que je lève le petit doigt. Comme il n'y avait aucun autre moyen pour
respirer, eh bien beaucoup ont fini par parler... moi aussi, j'ai reconnu tout
ce qui m'était reproché » ; Ibidem.
* 300 Antoine Coursat et
Richard Lerchbaum, « Ils ont torturé dans Paris »,
Le vrai papier journal, n°7, février 2001, p.30.
* 301 Cité in Le
Monde du 12 octobre 2001. Voir aussi Benoist Rey [1961], Les
égorgeurs : guerre d'Algérie, chronique d'un appelé,
1959-1960, Editions du Monde Libertaire, 1999.
* 302 Témoignage
publié à cette adresse:
http://mairie.urcuit.free.fr/algérie.htm.
* 303 Témoignage
publié à cette adresse:
http://mairie.urcuit.free.fr/algérie.htm.
* 304 Ibid. C'est nous qui
soulignons.
* 305 Bernard Delattre,
« Les harkis, une communauté prise entre deux
feux », La Libre Belgique, article consultable sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 306 Bernard Delattre,
« Les harkis, une communauté prise entre deux
feux », La Libre Belgique, article consultable sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 307 Raphaëlle
Branche, La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie,
1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, p.317-318.
* 308 Document cité
dans le n°223 de la revue Historia (juin 1965).
* 309 Propos
rapportés par Saïd Boualam, L'Algérie sans la
France, Paris, France-Empire, 1964, p.75.
* 310 Interview
donnée à la revue L'Histoire, n°140, janvier 1991,
p.120.
* 311 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.15.
* 312 Maurice Faivre,
« Les harkis contestés », document inédit,
décembre 1995, p.2.
* 313 François
Meyer, « Le drame des harkis en 1962 », texte de
l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à
l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les
Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune
Pied-Noir, p.3.
* 314 Maurice Faivre,
« Les supplétifs dans la guerre d'Algérie »,
Guerre d'Algérie magazine, n°4, juillet-août 2002,
p.20.
* 315 Ibidem.
* 316 Ibid, p.21.
* 317 Ibid, p.22.
* 318 Ibidem.
* 319 Général
Crémière, « Le secteur de Bordj Bou Arreridj et ses
supplétifs en 1961-62 », Histoire et défense.
Montpellier, 1/93 ; cité in Maurice Faivre, Les combattants
musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés,
Paris, L'Harmattan, 1995, p.127-128.
* 320 FSE, selon la
terminologie de l'époque, par opposition à FSNA, Français
de souche nord-africaine.
* 321 Témoignage
consultable à cette adresse:
http://mairie.urcuit.free.fr/algerie.htm.
* 322 François
Meyer, « Le drame des harkis en 1962 », texte de
l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à
l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les
Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune
Pied-Noir, p.3.
* 323 Maurice Faivre,
« Les harkis contestés »,
* 324 Patrick Rotman,
Bertrand Tavernier, La guerre sans nom. Les appelés d'Algérie
54-62, Paris, Seuil, 1992, p.260-261.
* 325 Elles sont
généralement - mais pas exclusivement - le fait d'intellectuels
et d'historiens de gauche qui, anciens soutiens au FLN et/ou soutiens
proclamés à la politique algérienne du
général de Gaulle, ont toujours tenu pour négligeable la
portée de l'engagement de centaines de milliers de musulmans aux
côtés de la France, et ne se sont intéressés au
drame des harkis que pour en minimiser l'ampleur.
* 326 Le chiffre des
"150.000", qui procède d'extrapolations
(délibérément) hâtives (voir infra), est
véhiculé par des associations de rapatriés de toutes
origines (européenne et musulmane) aux fins de "choquer" l'opinion
publique et l'amener à soutenir les demandes de réparation, voire
d'expiation, adressées à l'Etat français.
* 327 L'extrait de ce
dialogue (privé) entre Alain Peyrefitte et le général de
Gaulle, fin 1961, est illustratif de ce que le chef de l'Etat entendait par
politique de « dégagement » :
« Alain Peyrefitte - «Vous m'aviez dit
en juillet [1961] que le FLN ne conclurait jamais la paix si on ne lui
enfonçait pas dans la gorge une poire d'angoisse. A-t-il
changé ? Si vous ne voulez plus du partage comme poire d'angoisse,
que nous resterait-il ? »
Charles de Gaulle - «Il nous resterait le
dégagement ! Il faudrait dégager au plus vite. Ce serait
peut-être tant mieux pour nous ; ce serait en tout cas tant pis pour
eux.»
Ainsi Malraux avait raison sur de Gaulle contre de Gaulle. Le
Général bascule. Il cesse d'être partageux pour devenir
dégageux.
Alain Peyrefitte - «Vous ne pouvez pas faire de
plus grand cadeau aux gens du FLN que d'annoncer notre retrait ! C'est
tout ce qu'ils souhaitent ! »
Charles de Gaulle - «Grand bien leur
fasse !» »
(Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1,
« La France redevient la France », Paris, Éditions
de Fallois/Fayard, 1994, p.89).
* 328 Charles de Gaulle
à Alain Peyrefitte, à l'issue du Conseil des ministres du 9
octobre 1963, à propos du soulèvement kabyle conduit sous
l'égide du FFS de Hocine Aït-Ahmed : « Tout
ça était inévitable. L'essentiel, c'est que c'est eux qui
ont dû faire face à la rébellion des Kabyles, au maintien
de l'ordre, à la cohésion nationale. S'ils s'entre-tuent, ce
n'est plus notre affaire. Nous en sommes dé-bar-ras-sés,
vous m'entendez ? » ; cf. Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa
place dans le monde », Paris, Editions de Fallois/Fayard, 1997,
p.439. C'est l'auteur qui souligne.
* 329 Voir ci-dessous la
section II.A.1.c de la Partie 1 : « La promesse non tenue du
maintien automatique dans la nationalité française des
Algériens de statut civil de droit local ».
* 330 Ce rapport est
cité par de nombreux auteurs ; il est reproduit en partie par
Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris,
France-Empire, 1964, p.131 et suivantes.
* 331 1. Entre
Français d'Algérie et Français de métropole (via
les affrontements entre l'Organisation de l'armée secrète et
l'armée régulière) ; 2. entre musulmans "loyalistes"
et musulmans nationalistes (via les affrontements entre les formations
supplétives de l'armée française et l'Armée de
libération nationale) ; et 3. entre factions rivales au sein de la
mouvance nationaliste (via les affrontements entre le MNA de Messali Hadj et le
FLN).
* 332 Maurice Allais
[1962], L'Algérie d'Évian, Jeune Pied-Noir, 1999,
deuxième édition, p.24.
* 333 Extrait cité
par Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris,
Éditions de l'Alma, 1962, p.149.
* 334 Ibidem.
* 335 Cité in Jean
Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.183.
* 336 Ibid, p.184. Voici -
plus en détail - ce que furent les mots du chef de l'Etat, ce 5
septembre 1960 : « Qui peut croire que la France, sous le
prétexte d'ailleurs fallacieux d'arrêter les meurtres, en
viendrait à traiter avec les seuls insurgés (...) ? A les
bâtir comme étant la représentation unique de
l'Algérie tout entière ? Bref, à admettre que le
droit de la mitraillette l'emporte sur celui du suffrage ? »
(cité in Mohand Hamoumou, « Le drame des harkis ou la double
faute des gouvernants », Guerre d'Algérie magazine,
n°4, juillet-août 2002, p.33).
* 337 Cité in Jean
Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.190.
* 338 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.185.
* 339 Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la
douleur », Guerre d'Algérie magazine, n°4,
juillet-août 2002, p.7.
* 340 Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi, « Harkis et pieds-noirs : le souvenir et la
douleur », Guerre d'Algérie magazine, n°4,
juillet-août 2002, p.7.
* 341 Alain Peyrefitte,
Faut-il partager l'Algérie ?, Paris, Plon, 1961, p.106.
Extrait cité et commenté par Maurice Allais [1962],
L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune
Pied-Noir, 1999, p.70 ; Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le
livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.169 ; Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.224.
* 342 Bien qu'ayant le
vague sentiment d'avoir été floué, Alain Peyrefitte
acceptera, en avril 1962, la charge de secrétaire d'État à
l'Information dans le premier cabinet Pompidou avant d'être
désigné ministre des Rapatriés en septembre 1962, puis
ministre de l'Information en décembre 1962, ce qui l'amena à
conduire et à cautionner une politique dont il dénonçait
l'augure l'année précédente.
* 343 D'après
Charles-Robert Ageron, certains passages - restés secrets - du programme
de Tripoli (à l'issue de la réunion dans cette ville du Conseil
National de la Révolution Algérienne, du 27 mai au 7 juin)
préconisaient d' « encourager les Français
à partir » et de « liquider progressivement les
accords d'Evian » ; cf. Charles-Robert Ageron, « La
prise du pouvoir par le FLN (entretien) », in L'Histoire,
« Les derniers jours de l'Algérie
française », n°231, avril 1999, p.58 à 63.
* 344 Maurice Allais
(1962), L'Algérie d'Évian, Bièvres,
Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.69.
* 345 Texte complet de
l'accord de cessez-le-feu reproduit par Maurice Allais (1962),
L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune
Pied-Noir, 1999, p.306-307.
* 346 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.218-219.
* 347 Ibid, p.219.
* 348 Jean Monneret,
op.cit., p.325.
* 349 Cité par
Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique
algérienne 1958-1962, édité chez l'Harmattan, et
repris sur le site du collectif Justice pour les harkis :
www.chez.com/justiceharkis/.
* 350 Charles de Gaulle,
allocution du 4 novembre 1960, Discours et messages, t.3,
p.259-260.
* 351 Discours du
général de Gaulle prononcé à la
Radiodiffusion-Télévision Française le 16 septembre 1959,
repris in Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris,
Éditions de l'Alma, 1962, p.275.
* 352 Propos cités
par Jean Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978,
p.182.
* 353 Cité in Alain
Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France
redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard,
1994, p.124-125.
* 354 Jean Touchard, Le
gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 et 192.
* 355 Cité in Alain
Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, « La France
redevient la France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard,
1994, p.124-125.
* 356 Ibidem.
* 357 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.
* 358 Les accords
d'Évian stipulaient pourtant que le futur État algérien
devait « [souscrire] sans réserve à la
Déclaration universelle des droits de l'homme et [fonder] ses
institutions sur les principes démocratiques et sur
l'égalité des droits politiques entre tous les citoyens sans
discrimination de race, d'origine ou de religion » ; texte des
accords consultable sur :
http://www.chronicus.com/present/docs/evian.htm.
* 359 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.227.
* 360 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.249.
C'est nous qui soulignons.
* 361 Maurice Allais
(1962), L'Algérie d'Évian, Bièvres,
Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.40.
* 362 Discours du
général de Gaulle prononcé à la
Radiodiffusion-Télévision Française le 16 septembre 1959,
repris in Jacques Soustelle, L'espérance trahie, Paris,
Éditions de l'Alma, 1962, p.276.
* 363 Document produit in
Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre
d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 1995, p.103-104. C'est nous qui
soulignons.
* 364 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.328.
* 365 Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie, Paris,
L'Harmattan, 1995, p.100. C'est nous qui soulignons.
* 366 Les musulmans de
statut civil de droit commun sont ceux qui ont choisi de renoncer à leur
statut civil de droit local (coranique ou berbère) pour acquérir
une citoyenneté pleine et entière, et accéder notamment au
premier collège électoral ; nous reviendrons plus avant sur
l'origine de cette distinction entre Algériens de statut civil de droit
local (l'immense majorité des musulmans) et Algériens de statut
civil de droit commun (la totalité des pieds-noirs plus quelques
milliers de notables musulmans), ainsi que sur les (étroites) voies de
passage d'un statut à l'autre.
* 367 Maurice Faivre,
op.cit., p.100.
* 368 Ibid, p.101.
* 369 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.329.
* 370 Les Algériens
de statut civil de droit commun bénéficiaient quant à eux,
pour une période de trois années à compter du jour de
l'autodétermination, de la constitution d'une Association de sauvegarde,
reconnue d'utilité publique, et d'une Cour des garanties, chargée
de veiller au respect de leurs droits. Or, l'Association de sauvegarde refusera
à plusieurs reprises d'instruire des recours déposées par
des familles de disparus musulmans, arguant du fait que seuls les
Algériens anciennement de statut civil de droit commun étaient
couverts par ces dispositifs, conformément à la lettre des
accords d'Évian. Les autres, devenus des nationaux algériens,
devaient s'en remettre directement aux nouvelles autorités.
* 371 « Au
surplus, au regard de la France, aucun Algérien quel qu'il soit ne
peut perdre sa nationalité. Ceux qui refuseront d'accepter, le cas
échéant, la nationalité algérienne, pourront
conserver la nationalité française et s'installer en
métropole à ce titre » (cité in Maurice Allais
[1962], L'Algérie d'Évian, Bièvres,
Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.202. C'est nous qui soulignons).
* 372 Cité in
Maurice Allais [1962], L'Algérie d'Évian,
Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999, p.202. Voir aussi
Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris,
France-Empire, 1964, p.359 à 361. C'est nous qui soulignons.
* 373 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.328.
* 374 Une directive
signée du général de Gaulle en date du 26 juin 1962,
intitulée « Problème de la
nationalité », et formalisée immédiatement
à la suite de la réunion du Comité des Affaires
algériennes du 21 juin, précise sans équivoque possible
qu'une ordonnance sera promulguée avant le 1er juillet pour
(...) maintenir aux Algériens musulmans la jouissance de la
nationalité française, mais en subordonner l'exercice
à une déclaration » ; directive produite in
Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie.
Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.192. C'est nous
qui soulignons.
* 375 « Quand on
m'a dit qu'il fallait aller devant le juge pour être français,
j'étais fou. J'étais en colère contre la France. De Gaulle
avait dit qu'on était tous français, pareils, de Dunkerque
à Tamanrasset. Mitterrand aussi avait dit «l'Algérie c'est
la France». Quand il fallait se battre en 1940 pour venir libérer
la France, j'étais français. Mais quand il fallait venir se
réfugier en France, la France ne nous connaît plus comme
français. Il faut aller demander la nationalité au juge. C'est
une honte ». Témoignage de M. L., 1998, recueilli par
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou in Les Harkis, une mémoire
enfouie, Paris, Autrement, 1999, p.21.
* 376 S'agissant de la
forme, Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, se fondant sur les images d'un
reportage télévisé, en décrivent le
cérémonial : « En juin 1963, le magazine Cinq
colonnes à la une diffuse un long reportage intitulé
«C'était les harkis». On y voit dans les premières
images un couloir où des harkis avec femmes et enfants se pressent en
ordre, puis la caméra s'attarde sur une salle presque vide. Une table
derrière laquelle se trouve un juge ayant devant lui deux piles de
dossiers soigneusement posés en constitue l'unique mobilier. Le juge
appelle sans hésitation un homme et lui demande : «Voulez-vous
garder la nationalité française ?». Au «oui»
prononcé fortement, le juge approuve par un solennel : «Signez
là». Arrivent un harki et sa femme, les cheveux noués dans
un foulard. Elle ne parle pas le français et ne sait pas signer, mais
elle s'applique sous la direction de son mari et sous l'objectif indiscret de
la caméra » (Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les
Harkis, une mémoire enfouie, Paris, Autrement, 1999, p.22).
* 377 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.37.
* 378 Selon le
Comité national pour les Français-Musulmans (Problèmes
pratiques relatifs aux déclarations de nationalité, 15 mai
1969), des ajournements ou des refus furent motivés par le fait que les
« déclarants ont fait l'objet de remarques
défavorables » ou par « leurs fréquents
changements de domicile parfois non signalés » (cité in
Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La
Découverte, 1991, p.228).
* 379 Michel Roux, Les
harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte,
1991, p.228.
* 380 Cité par
Abdel-Aziz Méliani, La France honteuse. Le drame des harkis,
Éditions Perrin, et repris sur le site du collectif Justice pour les
harkis,
www.chez.com/justiceharkis/.
* 381 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.43. Sur ce dernier point, l'argument avancé par les autorités
semblait quelque peu fallacieux, sinon hypocrite, puisque l'instauration d'un
code de l'indigénat instituant un régime répressif
spécifique compensait pour le moins la non-sujétion des
indigènes musulmans à certaines obligations
édictées par le code civil.
* 382 Seuls 65.000 membres
des élites militaires, culturelles, politiques, administratives,
économiques et sociales furent admis sans abandon de leur statut
personnel dans le collège des citoyens français (premier
collège) par ordonnance du 7 mars 1944. S'agissant du deuxième
collège (musulman), il fallut attendre l'ordonnance du 17 août
1945 puis la loi électorale du 5 octobre 1946 pour que sa
représentation à l'Assemblée nationale soit simplement
égale à celle du premier collège ; cf. Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.53 et 55.
* 383 Cela apparaît
clairement au regard de la différence de traitement appliqué aux
populations indigènes selon qu'elles soient de confession juive ou
musulmane, c'est-à-dire relativement peu nombreuses ou
pléthoriques ; voir ci-dessous.
* 384 Patrick Weil,
Qu'est-ce qu'un Français ? Histoire de la nationalité
française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002,
p.225-244 ; extrait repris sur le site de la Ligue des droits de l'homme
de Toulon à cette adresse :
http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=148.
* 385 Voir Jean-Jacques
Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.25-26, et Patrick Weil, « Le
statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité
française dénaturée », European University
Institute, Florence, Working Paper, septembre 2003, p.15 ; article
consultable à cette adresse :
http://www.iue.it/PUB/HEC03-03.pdf.
* 386 De 1865 à
1937, seules 4.298 accessions individuelles à la citoyenneté
furent enregistrées (cf. Rapport de la sous-commission
parlementaire d'enquête en Algérie, mars-avril 1937,
présidée par Joseph Lagrosillière ; repris in Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.42). Selon Guy Pervillé, au total, leur nombre
n'a jamais dépassé 10.000 personnes, soit 1 indigène
musulman pour 1.000.
* 387 Devant la commission
des réformes musulmanes, en 1944, le cheikh Bachir el Ibrahimi,
successeur du cheikh Ben Badis à la tête de l'Association des
Oulémas, exprima nettement la difficulté - sinon
l'impossibilité - d'une démarche qui obligeait les
intéressés à choisir entre l'accès à une
pleine citoyenneté et le renoncement à une pleine
sociabilité religieuse : « Les Musulmans ne sollicitent
pas l'honneur d'être élevés à la citoyenneté
française, se considérant déjà très
élevés de par leur qualité de musulman »
(Compte-rendu de la commission des réformes musulmanes, Alger, 1944,
p.66 ; reproduit par Guy Pervillé, Pour une histoire de la
guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.43). L'association des
Oulémas, « composée de savants dans les disciplines
religieuses, ayant poursuivi leurs études dans les universités
arabo-islamiques de Tunis, de Fez, du Caire, de Damas ou de
Médine », visait, selon Guy Pervillé,
« à épurer la religion musulmane de toutes ses
déviation (telles que les superstitions du maraboutisme) et à
défendre la personnalité algérienne contre
l'assimilation » (Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.85). Pour sa part, la commission
des réformes musulmanes, composée de hauts fonctionnaires,
d'hommes politiques français d'Algérie et de métropole, et
de notables musulmans, avait été mise en place par le
Comité français de Libération nationale en vue
d'élaborer un ensemble de réformes politiques, économiques
et sociales en faveur des élites et des masses musulmanes.
* 388 Dans un article
écrit en 1926, le jeune Ferhat Abbas s'était expliqué du
caractère profondément antisocial d'une telle
procédure : « La naturalisation individuelle ne se
justifie pas (...). Nous sommes des Algériens, nous faisons partie d'une
famille, nous faisons partie d'une société (...). Aurait-on par
hasard la prétention de changer quoi que ce soit à cette
société par la naturalisation individuelle ? Non, ce qu'il
faut, c'est la loi pour tous, si vraiment on veut guider l'Algérie
musulmane vers une civilisation plus haute. L'individu, fût-il un
génie ne compte pas. Il ne compte que dans la mesure où subissant
la loi commune, il en prépare les réformes et
l'évolution » (cf. « L'intellectuel musulman en
Algérie » [1926], reproduit in Le Jeune
Algérien, Paris, 1931 ; réédition Garnier, 1981,
p.112 ; cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la
guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.44). De même, en
1937, Ferhat Abbas, qui réclamait encore la naturalisation "dans le
statut" pour tous les musulmans (afin que soit reconnue l'égalité
dans la différence juridique), écrivait : « On
nous dit : «Naturalisez-vous. Qu'est-ce qui vous en
coûte ? Une formalité, une simple déclaration».
Mais comment veut-on que nous le fassions ? Tous nos morts nous regardent
au fond de leurs cimetières. Pouvons-nous les trahir ?
Comprenez-nous, l'islam est déjà usé, envahi de toutes
parts par les idées de l'Occident, ne nous demandez pas de le
répudier [...]. Laissez-nous venir à vous tels que nous sommes,
reprendre notre oeuvre en commun avec vous » (cité par
Françoise Gaspard, « Violette l'Arabe », in
L'Histoire, « Le temps des colonies », avril 2001,
p.88).
* 389 Mohand
Hamoumou : « Les formalités imposées
étaient contraignantes et les naturalisations furent rares : une
trentaine seulement de musulmans eut recours chaque année au
sénatus-consulte de 1865 car abandonner le statut civil de droit local
équivalait, dans l'esprit de la grande majorité des musulmans,
à un reniement culturel et religieux. (...) Renoncer à la loi
islamique équivalait, en effet, pour un musulman à commettre un
crime d'apostasie, donc à se condamner à mort
socialement » (Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard,
1993, p.52).
* 390 Il faut noter que,
paradoxalement, à la différence des indigènes musulmans
algériens, les enfants d'étrangers musulmans (tunisiens ou
marocains) nés en Algérie (donc en territoire français)
bénéficiaient automatiquement de la pleine jouissance de la
citoyenneté française par application de la loi du 26 juin 1889
destinée à assimiler les immigrants étrangers. Ainsi, ce
que l'on accordait automatiquement aux enfants d'immigrants musulmans
étrangers, on ne l'accordait qu'au cas par cas et sur demande expresse
aux indigènes musulmans de nationalité française.
* 391 Patrick Weil,
« Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une
nationalité française dénaturée »,
European University Institute, Florence, Working Paper, septembre 2003,
p.10 ; article consultable à cette adresse :
http://www.iue.it/PUB/HEC03-03.pdf.
* 392 Pour prendre la
mesure du caractère volontariste d'une telle politique, il convient de
souligner avec Guy Pervillé que jusqu'alors « peu de juifs
Algériens avaient utilisé la procédure d'accession
à la citoyenneté française définie par le
sénatus-consulte du 14 juillet 1865, parce qu'elle exigeait la
renonciation au statut personnel fondé sur la loi
mosaïque » ; cf. Guy Pervillé, Pour une histoire
de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.37. Mais si un
même scrupule avait dissuadé juifs et musulmans d'Algérie
de faire usage de la procédure individuelle d'accession à la
citoyenneté française définie par le
sénatus-consulte du 14 juillet 1865, force est de constater que la
réponse apportée par les pouvoirs publics fut bien
différente d'une catégorie indigène l'autre. Ainsi
faudra-t-il attendre 1958 pour que les musulmans soient
considérés comme des citoyens de plein suffrage et de pleine
représentation, avec l'instauration du suffrage universel dans un
collège unique. À la différence des juifs, cependant,
cette reconnaissance collective de la pleine citoyenneté des
indigènes musulmans ne sera pas conditionnée par l'abandon du
statut personnel. Le contexte était tout autre, il est vrai.
L'expérience de la « citoyenneté dans le
statut », qui révolutionnait la conception universaliste de
l'appartenance juridique à la nation française, sera cependant de
courte durée puisqu'elle prendra définitivement fin avec
l'accession à l'indépendance de l'Algérie. De fait, la
procédure de recouvrement de la nationalité française
offerte aux musulmans francophiles repliés en France (cf.
supra) impliquait la soumission au Code civil et, d'une certaine
manière, le retour à la procédure de
« naturalisation » définie par le
sénatus-consulte du 14 juillet 1865.
* 393 De par l'application
de cette loi, les enfants d'étrangers musulmans (tunisiens ou marocains)
nés en Algérie bénéficiaient automatiquement de la
pleine jouissance de la citoyenneté française. Ainsi,
paradoxalement, ce que l'on accordait automatiquement aux enfants d'immigrants
musulmans étrangers, on ne l'accordait aux indigènes musulmans
français que sur demande expresse des intéressés et sous
condition d'en être jugé « digne » par les
autorités.
* 394 Jean Monneret :
« Ce n'est pas un des moindres paradoxes des accords d'Evian que,
destinés à «décoloniser» l'Algérie, ils
aient pris pour base distinctive des dispositions qui avaient été
parfois critiquées comme typiques du colonialisme. On comprend
d'ailleurs pourquoi le gouvernement français s'était
engagé dans cette voie. Le FLN, à Evian, n'aurait pas
accepté que l'on créât dans la population algérienne
des distinctions portant atteinte au dogme de «l'unité du
peuple». Il ne devait donc pas y avoir de Musulmans pro-français
sous quelque forme que ce soit. La référence au statut de droit
coranique permettant sous ce rapport, de considérer cette population
à peu près comme un bloc ». Ainsi, ajoute-t-il,
« le FLN a utilisé, pour son propre compte, une distinction
dont ses idéologues et ses partisans avaient souvent combattu le
principe même » (Jean Monneret, La phase finale de la
guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.327).
* 395 Ce dont
témoignait récemment encore un amendement constitutionnel
adopté à l'occasion des élections présidentielles
de 1999, qui rend inéligibles les candidats qui ne seraient pas en
mesure de justifier de leur participation à la guerre
d'indépendance entre 1954 et 1962, pour autant qu'ils aient
été en âge d'y prendre part.
* 396 Car c'est bien ainsi
que le général Buis - alors colonel et directeur du cabinet
militaire du haut-commissaire de la République française en
Algérie entre le 19 mars et le 3 juillet 1962 - justifie
rétrospectivement la différence de traitement
opérée sur le moment entre les musulmans pro-français et
les pieds-noirs pour ce qui a trait aux rapatriements. Dans une interview
donnée à la revue L'Histoire, en janvier 1991, le
général Buis, évoquant les restrictions apportées
au rapatriement des anciens supplétifs, explique qu' « il
ne fallait pas compliquer une tâche prioritaire s'agissant d'ayant-droit
[les pieds-noirs] » (Cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand
Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions
Autrement, 1999, p.40). Il sous-entend ainsi clairement que, n'étant
plus considérés comme des « ayant-droit » par
les autorités françaises au jour de l'indépendance (du
fait de leur déchéance automatique de la nationalité
française), les anciens supplétifs ne pouvaient
bénéficier des mesures de rapatriement préventif
qu'à titre secondaire et exceptionnel.
* 397 Note retrouvée
dans les archives du secrétariat d'État aux Affaires
algériennes par et citée in Jean Monneret, La phase finale de
la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.331-332.
* 398 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.332.
* 399 Ibidem.
* 400 Ibidem. Au cours des
secondes négociations d'Évian, peu après la
rédaction de cette note, cette dernière invite ne sera pas
davantage suivie que les autres par des négociateurs français mis
sous pression par le général de Gaulle, et pressés d'en
finir. De fait, si l'on se réfère à la lettre des accords
d'Évian, seuls les quelques milliers de musulmans de statut civil de
droit commun, à l'exclusion de la masse des musulmans de statut civil de
droit local donc, auraient pu théoriquement être admis au
bénéfice de la convention d'établissement prévue
pour les Européens, et vivre avec les garanties afférentes en
Algérie. Pour preuve, le 17 juillet 1962, quelques jours à peine
après que fût proclamée l'indépendance de
l'Algérie, l'association de sauvegarde instituée par les accords
d'Évian pour une période de trois années à dater du
jour de l'autodétermination aux fins de « contribuer à
la protection des droits garantis aux nationaux français »
(puis, à l'issue de ce délai, de façon permanente aux fins
d' « assurer la protection de la personne et des biens et la
participation régulière à la vie de l'Algérie des
Algériens de statut civil français ») refusa d'enregistrer
les demandes de recherche formulées par des familles de disparus
musulmans au prétexte qu'elle n'avait à connaître, aux
termes de ces accords, que les demandes émanant des nationaux
français anciennement de statut civil de droit commun ; à
l'exclusion, donc, des nationaux algériens anciennement de statut civil
de droit local. Cet épisode est rapporté dans des articles du
Monde datés des 17 et 22 juillet 1962 (articles cités
par Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie,
Paris, L'Harmattan, 2001, p.329).
* 401 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.331-332. c'est nous qui soulignons.
* 402 Charles de Gaulle
à Louis Joxe, propos cités in Paris-Match, n°672 du
24 février 1962, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui,
Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.180.
* 403 D'après le
témoignage de Louis Terrenoire, De Gaulle et l'Algérie,
Fayard, cité in Philippe Tripier, Autopsie de la guerre
d'Algérie, France-Empire, 1972, p.552, et repris in Bernard Coll et
Taouès Titraoui, op.cit., p.180.
* 404 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.284-285.
* 405 Charles de Gaulle,
Comité des Affaires algériennes du 3 avril 1962, notes prises par
le secrétaire général du gouvernement et citées in
Maurice Faivre, op.cit., p.98. Pourtant, moins d'un an et demi auparavant, au
cours de l'allocution radiotélévisée du 4 novembre 1960,
le général de Gaulle déclarait :
« L'Algérie de demain, telle qu'en décidera
l'autodétermination, pourra être bâtie ou bien avec la
France, ou bien contre la France. Celle-ci, je le déclare une fois de
plus, ne s'opposera pas à la solution, quelle qu'elle soit, qui sortira
des urnes. Si ce devait être la rupture hostile, nous ne nous
acharnerions certainement pas à rester de force aux côtés
de gens qui nous rejetteraient, ni à engouffrer dans une entreprise sans
issue et sans espoir des efforts et des milliards dont l'emploi est tout
trouvé ailleurs. Nous laisserions l'Algérie à
elle-même, tout en prenant, bien entendu, les mesures
nécessaires pour sauvegarder, d'une part ceux des
Algériens qui voudraient rester Français, d'autre part nos
intérêts » (c'est nous qui soulignons).
* 406 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.324.
* 407 Le FLN ayant
été la seule formation invitée à la table des
négociations d'Évian, il fut logiquement la seule formation
habilitée à représenter la composante musulmane de la
population algérienne au sein de l'exécutif provisoire. Quant
à la Force locale, placée sous les ordres de cet exécutif,
et dans laquelle fut reversée une partie des GMS (Groupes mobiles de
sécurité), elle servit dans les faits de bureau de recrutement
à l'ALN.
* 408 Justification
rétrospective de Pierre Messmer, alors ministre des Armées :
« Mais nous n'allions tout de même pas remettre des gens
armés dans la nature en plein cessez-le-feu ! » ;
cf. Propos recueillis par Philippe Bernard, Le Monde, 25 septembre
2001, p. 22.
* 409 Bernard Moinet,
Ahmed ? Connais pas..., Éditions Lettres du Monde ;
extrait repris sur le site du collectif « Justice pour les
harkis » : www.chez.com/justiceharkis/. Responsable du
5ème Bureau de Sidi-Bel-Abbès (Action psychologique), Bernard
Moinet a participé activement à la création des harkas
d'Oranie. Il commandera par la suite une harka montée jumelée
à son escadron blindé. Fervent défenseur de
l'Algérie française, il sera renvoyé en métropole
en avril 1962 pour « idées non conformes ».
Apprenant en 1963 la liquidation physique des harkis placés autrefois
sous son commandement, il quittera aussitôt l'armée d'active. Il a
depuis lié son nom à celui de la défense de la cause des
anciens harkis.
* 410 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.4.
* 411 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.340.
* 412 Tract de la wilaya V
(Oranie), cité par le général François Meyer, in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à l'occasion de la
rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis,
1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir,
p.4.
* 413 Ibidem.
* 414 Communiqué de
Pierre Messmer, ministre des Armées, en date du 8 mars 1962 ;
cité par le général François Meyer, in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel à l'occasion de la
rencontre « Histoire et Mémoire : les Harkis,
1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir,
p.4.
* 415 Message rapporté
par Saïd Boualam, L'Algérie sans la France, Paris,
France-Empire, 1964, p.69.
* 416 Général
Buis, interview donnée à la revue L'Histoire, janvier
1991 ; extrait cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou,
Les harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement,
1999, p.84-85. C'est nous qui soulignons.
* 417 D'après le
témoignage de Louis Terrenoire, De Gaulle et l'Algérie,
Fayard, cité in Philippe Tripier, Autopsie de la guerre
d'Algérie, France-Empire, 1972, p.552, et repris in Bernard Coll et
Taouès Titraoui, op.cit., p.180.
* 418 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.5.
* 419 Ibid, p.4.
* 420 Ibid, p.5.
* 421 Ibid, p.6.
* 422 Mohand Hamoumou,
« Le drame des harkis ou la double faute des gouvernants »,
Guerre d'Algérie magazine, n°4, « Harkis et
pieds-noirs : le souvenir et la douleur », juillet-août
2002, p.33.
* 423 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.6.
* 424 Ibidem.
* 425 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.377.
* 426 Pour autant,
l'existence de telles instructions est on ne peut plus symptomatique de la
volonté des autorités de tutelle de maintenir un maximum de
supplétifs et membres de leurs familles en Algérie. Il a sans
doute fallu la résistance, au moins passive, de certains officiers (y
compris supérieurs) chargés de les appliquer pour qu'elles ne
soient pas systématiquement suivies d'effets. Ainsi en fut-il, par
exemple, du "contournement" par l'état-major de la base de
Mers-el-Kébir des procédures présidant à la
constitution comme à l'instruction des demandes de rapatriement des
supplétifs de la demi-brigade de fusiliers marins de Nemours
(DBFM) : des civils sont faits commandos-marines de dernière heure,
si bien que ce sont 650 personnes au lieu de 400 prévues initialement
que l'on embarque vers la France (cf. Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou,
Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions
Autrement, 1999, p.46-47).
* 427 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.340.
* 428 Pour en convaincre,
l'auteur souligne notamment que l'engagement proposé était
« résiliable à tout moment » ; cf.
Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens dans
l'armée française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p. 20.
* 429 Ibidem.
* 430 Patrick Rotman,
Bertrand Tavernier, La guerre sans nom. Les appelés d'Algérie
54-62, Paris, Seuil, 1992 p.267-268.
* 431 Charles de Gaulle,
Comité des Affaires algériennes du 3 avril 1962, notes prises par
le secrétaire général du gouvernement et citées in
Maurice Faivre, op.cit., p.98.
* 432 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.10.
* 433 Ibidem.
* 434 Voir à cet
égard le témoignage éclairant de Brahim Sadouni,
Destin de harki. Le témoignage d'un jeune Berbère
enrôlé dans l'armée française à 17 ans,
Paris, Cosmopole, 2001, p.86-87. Brahim Sadouni a écrit une
première version de ce récit dans un livre, Français
sans patrie, édité à compte d'auteur en 1985.
* 435 Cité in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.10-11. C'est nous qui soulignons.
* 436 Le 3 avril 1962, au
cours d'une séance du Comité des Affaires
algériennes ; voir plus haut.
* 437 Cité in
Maurice Faivre, op.cit., p.95-96.
* 438 Tract reproduit in
Maurice Faivre, op.cit., p.102-103.
* 439 Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - III : L'Heure des
Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970, p.622 à
624.
* 440 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.2.
* 441 En l'état,
cette affirmation pouvait laisser penser que cette possibilité leur
serait aussi offerte en Algérie. Ce qui ne sera pas le cas, nous l'avons
vu.
* 442 Il importe de mettre
en perspective les assurances du général Crépin,
assurances contemporaines des faits, avec les propos rétrospectifs du
général Buis, alors colonel et chef du cabinet militaire du
haut-commissaire de la République en Algérie, pendant la
période de passation des pouvoirs (19 mars - 2 juillet 1962). Ce dernier
explique désormais qu' « il n'était pas question pour
l'armée de s'aventurer dans la nature pour récupérer des
harkis qui n'avaient pas été rassemblés en même
temps que les unités organisées. Dites-vous bien qu'elle
n'était plus opérationnelle, sauf pour sa défense, et
remplacée par une vague force territoriale. Elle était
simplement stationnée sur le territoire algérien, dans des
garnisons » (Témoignage du général Buis,
L'Histoire, n°140, janvier 1991, p.121. C'est nous qui
soulignons).
* 443 Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.40.
* 444 Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995.
* 445 Ibid, p.83.
* 446 Cité in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.11.
* 447 Voir notamment Jean
Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris,
L'Harmattan, 2001, p.324 ; Maurice Faivre, Les combattants musulmans
de la guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris,
L'Harmattan, 1995, p.95 ; et Maurice Faivre, « Les harkis
contestés », texte inédit, décembre 1995,
p.6.
* 448 Directive
mentionnée dans une lettre adressée par l'historien Maurice
Faivre à Arlette Chabot, présentatrice de l'émission
« Mots croisés » sur France 2.
* 449 Cité in
Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis,
Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.175. C'est nous qui soulignons.
* 450 Ibidem.
* 451 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.
c'est nous qui soulignons.
* 452 Charles de Gaulle
à Louis Joxe, propos cités in Paris-Match, n°672 du
24 février 1962, et repris in Bernard Coll et Taouès Titraoui,
Le livre des harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.180.
* 453 D'après le
témoignage de Louis Terrenoire, De Gaulle et l'Algérie,
Fayard, cité in Philippe Tripier, Autopsie de la guerre
d'Algérie, France-Empire, 1972, p.552, et repris in Bernard Coll et
Taouès Titraoui, op.cit., p.180.
* 454 Directive
citée in Maurice Faivre, op.cit., p.155.
* 455 Ibidem.
* 456 Document cité
et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165.
* 457 Directive
citée par Jean-Jacques Jordi, « A propos des
harkis », in Jacques Frémeaux et Michèle Battesti
(dir.), Sorties de guerre, Ministère de la Défense,
Cahiers du Centre d'Etudes d'Histoire de la Défense, n°24, 2005.
* 458 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.333-334.
* 459 Maurice Faivre
rapporte ainsi le témoignage de Pierre Rivière, un ancien chef de
SAS, qui, à la sous-préfecture d'Arris, a été
témoin de ce que « la prime de recasement fut payée aux
harkis [par les autorités françaises] en présence du
représentant du FLN, auquel chaque homme versait
"spontanément" l'enveloppe qu'on venait de lui
remettre » ; cf. Maurice Faivre, « Les harkis
contestés », document inédit, décembre 1995,
p.6.
* 460 Propos
rapportés par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une
mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.34.
* 461 Paroles
rapportées par Bernard Delattre, « Les harkis, une
communauté prise entre deux feux », La Libre
Belgique, article consultable sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 462 D'après une
fiche du cabinet du ministre des Armées en date du 29 juin 1962 qui fait
le point sur ce sujet ; fiche citée in « Le drame des
harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999
au Pavillon Gabriel par le général François Meyer à
l'occasion de la rencontre « Histoire et Mémoire : les
Harkis, 1954-1962 », organisée par l'association Jeune
Pied-Noir, p.5.
* 463 Journal officiel du 5
juin 1962 ; intervention reproduite in Bernard Coll et Taouès
Titraoui, op.cit., p.177-178.
* 464
Référence faite à Charles-Robert Ageron, voir
supra.
* 465 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.6.
* 466 Exemples extraits des
archives départementales des Bouches-du-Rhône par Jean-Jacques
Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.37.
* 467 Note reproduite par
Maurice Faivre d'après une copie de l'original tel qu'il est parvenu au
P.C. de la Zone Est Constantinois ; cf. Maurice Faivre, Les
combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.170.
* 468 Extrait cité
dans « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.7. Voici le texte intégral de la
note du colonel Buis : « Le ministre d'Etat chargé des
Affaires Algériennes a appelé l'attention du Haut Commissaire sur
certaines initiatives prises en Algérie pour organiser
l'émigration et l'installation en métropole de familles
musulmanes désireuses de quitter le territoire algérien. C'est
ainsi que le 9 mai, sept familles d'ex-moghaznis ont quitté Oran pour
s'installer dans la région de Dijon. Or, dans la conjoncture actuelle,
on ne peut laisser à une autorité quelconque l'initiative des
mesures de ce genre qui ne peuvent relever que de décisions prises
à l'échelon du gouvernement. Le transfert en métropole de
Français-musulmans effectivement menacés dans leur vie et dans
leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération
préparée et planifiée. J'ai en conséquence
l'honneur de vous demander de bien vouloir prescrire à tous les cadres
placés sous vos ordres de s'abstenir de toute initiative isolée
destinée à provoquer l'installation de Français-musulmans
en métropole. Il vous appartiendra seulement d'instruire les demandes
émanant des personnels demandant à se réfugier en
métropole, et de me transmettre vos propositions, qui seront
présentés au secrétariat d'État aux
Rapatriés ».
* 469
Télégramme retrouvé dans les Archives
départementales des Bouches-du-Rhône par Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.38.
* 470 Extrait cité
in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie.
Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.175.
* 471 Cf. Jean Monneret,
La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan,
2001, p.346-347.
* 472 Message n°1334
MA/CAB/DIR, cité in « Le drame des harkis en 1962 »,
texte de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le
général François Meyer à l'occasion de la rencontre
« Histoire et Mémoire : les Harkis,
1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir, p.7.
Le 13 mai 1962, ce message est répercuté à l'adresse des
différents Corps d'Armées par le Chef d'Etat-major, le colonel
Valentin : « Note de service n°1013 EMI/MOR a fixé
conditions dans lesquelles les FSNA, supplétifs et civils engagés
aux côtés forces armées et dont la vie serait en danger
pour ce motif doivent être regroupés avant transfert en
Métropole - Vous demande veiller stricte application de ces
instructions. En particulier : - Personnes à transférer
doivent être limitées à celles réellement
menacées ; - Transport et installation ne seront
exécutés que sur ordre et suivant modalités à fixer
par départements ministériels compétents - Ministre des
Armées a décidé à ce sujet refouler sur
Algérie tous supplétifs et civils pris en charge par
Armées, mis en route sans son autorisation » (Ibidem).
* 473 Propos
rapportés in « Le drame des harkis en 1962 », texte
de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le
général François Meyer à l'occasion de la rencontre
« Histoire et Mémoire : les Harkis,
1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir,
p.7.
* 474 Propos recueillis par
Philippe Bernard, Le Monde, 25 septembre 2001, p. 22 ; interview
reprise en intégralité sur :
http://www.chez.com/constit/harkis.html.
* 475 Ibidem.
* 476 Pierre Montagnon,
né en 1931, Saint-Cyrien, acteur et témoin de la guerre
d'Algérie, sept fois cité, deux fois blessé comme chef de
section dans les rangs des parachutistes de la Légion, officier de la
Légion d'Honneur à titre militaire, est historien
conférencier, lauréat de l'Académie française.
Interné politique d'avril 1962 à décembre 1964 pour
avoir combattu dans les rangs de l'OAS - il participa notamment à la
mise sur pied du maquis de l'Ouarsenis qui associait à des commandos
européens les supplétifs musulmans du bachaga Boualam (voir
infra), il est l'auteur de nombreux ouvrages parus chez Pygmalion.
* 477 Pierre Montagnon,
La guerre d'Algérie, Pygmalion, 1984, p.392, cité in
Bernard Coll et Taouès Titraoui, op.cit., pp.191-192.
* 478 Bernard Moinet,
Ahmed ? Connais pas... : le calvaire des harkis, Paris,
Godefroy de Bouillon, 1997, p.183 à 186 ; cité in
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire
enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.48-49.
* 479 Exemple extrait des
archives départementales des Bouches-du-Rhône par Jean-Jacques
Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.45.
* 480 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.339.
* 481 Procès-verbal
de l'intervention du général de Gaulle, reproduit in Maurice
Faivre, op.cit., p.191-192.
* 482 Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, op.cit., p.43.
* 483 Ibid, p.45.
* 484 Témoignage de
F.R. rapporté par Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis,
une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999, p.43-44.
* 485 Extrait cité
in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.46.
* 486 Extrait cité
in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.46.
* 487 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.146.
* 488 Nicolas d'Andoque,
Guerre et paix en Algérie. L'épopée silencieuse des
SAS, Paris, Éditions SPL, 1977, p.153, passage cité par Jean
Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris,
L'Harmattan, 2001, p.340.
* 489 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.
* 490 Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.38 et 86.
* 491 Cité par
Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La
Découverte, 1991, p.220.
* 492 Ibidem.
* 493 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.341.
* 494 Ibid, p.343.
* 495 Anthony Clayton,
Histoire de l'armée française en Afrique, 1830-1962,
Paris, Albin Michel, 1994, p.233.
* 496 D'après
Rémy Kauffer, L'OAS, Paris, Fayard, 1986, p.274, cité in
Michel Roux, Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La
Découverte, 1991, p.221.
* 497 Saïd Boualam,
Mon pays, la France, Paris, France-Empire, 1962, p.30-34 ;
cité par Michel Roux, Les harkis, les oubliés de
l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.223.
* 498 Cité in
Saïd Boualam, Les harkis au service de la France, Paris,
France-Empire, 1962, p.246-247 ; repris in Michel Roux, Les harkis,
les oubliés de l'histoire, Paris, La Découverte, 1991,
p.223.
* 499 Extrait cité
in Jean Monneret, La phase finale de la guerre d'Algérie,
Paris, L'Harmattan, 2001, p.342.
* 500 Ibidem.
* 501 Décision
rapportée in « Le drame des harkis en 1962 », texte
de l'allocution donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le
général François Meyer à l'occasion de la rencontre
« Histoire et Mémoire : les Harkis,
1954-1962 », organisée par l'association Jeune Pied-Noir,
p.8.
* 502 Ibid, p.9-10.
* 503 Dans une interview -
déjà mentionnée - à la revue L'Histoire,
le général Buis, alors colonel et chef du cabinet militaire du
haut commissaire de la République en Algérie, affirme
rétrospectivement qu' « il n'était pas question
pour [l'armée] de s'aventurer dans la nature pour
récupérer des harkis qui n'avaient pas été
rassemblés en même temps que les unités
organisées » (L'Histoire, n°140, janvier
1991, p.121).
* 504 Dans un entretien au
Monde, le 25 septembre 2001, l'ancien ministre des Armées du
général de Gaulle explique pourquoi les forces militaires encore
stationnées en Algérie après l'indépendance ne
soient pas intervenues pour secourir les harkis persécutés par le
FLN « Toute la question était de savoir si nous allions
réoccuper des villages pour sauver quelques familles de harkis, au
risque de relancer la guerre. Le général de Gaulle a
tranché : il n'en était pas question ». Et il
ajoute : « Il s'agissait de savoir si nous voulions finir une
guerre de décolonisation, ou si nous voulions la continuer. Il est vrai
que la négociation pouvait avoir des conséquences terribles. Cet
épisode m'a plongé dans une grande tristesse mais, lorsqu'on
gouverne, il faut choisir » (Propos recueillis par Philippe Bernard,
Le Monde du 25 septembre 2001, p.22). A nouveau, deux ans plus tard,
répondant aux questions de François d'Orcival dans Valeurs
actuelles : « Pierre Messmer s'adresse au
Général : «Autorisez-vous les opérations
coups de poing de l'armée française pour récupérer
les harkis dans telle ou telle zone que nous avons
évacuée ?». Le Général refuse :
«Je ne veux pas que vous recommenciez la guerre
d'Algérie». Commentaire de Messmer : «A mon
avis, on aurait pu faire ces opérations et courir le risque - et je ne
crois pas que la guerre d'Algérie aurait
recommencé» » (Interview de Pierre Messmer par
François d'Orcival, publiée sous le titre : « Le
témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est celui du
FLN» » dans Valeurs actuelles du 7 au 13 novembre 2003,
p.19).
* 505 Dans une entretien
publié dans la revue L'Histoire, Jean-Marcel Jeanneney, premier
ambassadeur de France en Algérie après l'indépendance,
explique que « l'armée - sur laquelle j'avais autorité
- avait encore d'importants effectifs sur place, mais elle ne devait pas
intervenir pour rétablir l'ordre : c'eût été
recommencer la guerre » ; cf. Jean-Marcel Jeanneney,
« Ambassadeur de la France en Algérie (entretien) »,
L'Histoire, « Les derniers jours de l'Algérie
française », n°231, avril 1999, p.62.
* 506 Ibid, p.9.
* 507 Ibidem.
* 508 Voir ci-dessous la
section II.B.2 de la Partie 1 : « Sur le nombre de musulmans
pro-français massacrés par le FLN ».
* 509 Cité in
Maurice Faivre, op.cit., p.157.
* 510 Cité in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.9. C'est nous qui soulignons.
* 511 Lettre citée
in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.9.
* 512 C'est ainsi que,
dès le 4 juillet 1962 (le lendemain même de l'accession à
l'indépendance de l'Algérie), à la suite des premiers
rapatriements effectués en juin (et dont nous avons vu le
caractère minimaliste), le colonel Buis, chef du cabinet militaire du
haut commissaire de la République en Algérie, s'empresse
d'écrire au général Parlange, qui lui avait fait part de
ses inquiétudes, que « l'oeuvre d'honneur et de justice que
constituait le rapatriement des Musulmans menacés a été
largement conçue, minutieusement conduite et intégralement
réalisée » (Cité in Michel Roux,
Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La
Découverte, 1991, p.215. C'est nous qui soulignons).
* 513 Déclaration au
Conseil des ministres du 25 juillet 1962, citée par Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.196.
* 514 Ceux-là
même dont le général de Gaulle disait, dans son discours du
4 juin 1958, à Alger : « C'est bien avec ces
représentants élus que nous verrons comment faire le
reste » (cité in Michel Winock, « La France en
Algérie. Cent trente ans d'aveuglement », L'Histoire,
« Les derniers jours de l'Algérie
française », n°231, avril 1999, p.43). Il en ira bien
différemment, nous l'avons vu, avec la reconnaissance du FLN comme seul
interlocuteur légitime au cours du processus de négociation.
* 515 Jean Monneret,
op.cit., p.336.
* 516 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.229. C'est nous qui soulignons.
* 517 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.
* 518 Message cité
in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.9. C'est nous qui soulignons.
* 519 Ibidem.
* 520 Ibidem.
* 521 Note reproduite in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.
* 522 Cité in
Jean-Jacques Jordi, « A propos des harkis », in Jacques
Frémeaux et Michèle Battesti (dir.), Sorties de guerre,
Ministère de la Défense, Cahiers du Centre d'Etudes d'Histoire de
la Défense, n°24, 2005, p.49. Le 13 novembre, à nouveau,
l'ambassadeur de France attirera l'attention du ministre des Affaires
étrangères de la République algérienne sur
« les graves préoccupations que lui cause le sort des anciens
auxiliaires algériens de l'armée française »,
ajoutant : « Le gouvernement français
s'élève avec indignation contre des actes qui portent atteinte
aux dispositions des accords d'Evian sur la sécurité des
personnes et qui sont en outre contraires au droit des gens et aux principes de
la Charte des Nations Unies auxquels l'Algérie vient de souscrire. Il
attend du gouvernement algérien qu'il prenne des mesures rigoureuses
pour interdire toute forme de représailles avouées ou occultes et
mettre fin à une situation qui, en se prolongeant, risquerait d'avoir
des conséquences sérieuses sur les relations
franco-algériennes » (Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou,
Les harkis, une mémoire enfouie, Paris, Éditions
Autrement, n°112, février 1999, p.57).
* 523 Note citée in
« Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.
* 524 Note citée in
Jean-Jacques Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire
enfouie, Paris, Éditions Autrement, n°112, février
1999, p.56.
* 525 Note reproduite in
Jean Monneret, op.cit., p.348-349. Cette note est répercutée, le
jour même (20 octobre 1962 ), par une autre note du
général Le Ray (gendre de François Mauriac) :
« Général supérieur [Brébisson] prescrit
qu'à compter du présent ordre tout accueil d'Algériens
demandant asile à nos forces devra être soumis à sa
décision. En conséquence, tout hébergement accordé
dans l'intervalle présentera un caractère révocable stop.
L'attention des chefs de corps est attirée de façon pressante
sur la nécessité de restreindre au stricte minimum le nombre de
cas à soumettre à la décision supérieure et qui les
engagent personnellement ainsi que les commandants de division.
Signé : Général le Ray »526
(Note citée in Michel Roux, Les harkis, les oubliés de
l'histoire, Paris, La Découverte, 1991, p.218).
* 527 Notamment pour ceux
qui, tel le colonel Buis, chef du cabinet militaire du haut-commissaire de la
République en Algérie entre le 19 mars et le 2 juillet 1962, les
soupçonnent d'avoir - « dans leur majorité »
- joué un « double jeu » (voir les
références de la citation plus haut).
* 528 A cet égard,
voir notamment Jérôme Hélie, Les accords d'Evian :
histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban,
1992.
* 529 Message cité
in « Le drame des harkis en 1962 », texte de l'allocution
donnée le 7 mars 1999 au Pavillon Gabriel par le général
François Meyer à l'occasion de la rencontre « Histoire
et Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée
par l'association Jeune Pied-Noir, p.10.
* 530 Voir ci-dessous la
section II.B.2 de la Partie 1 : « Sur le nombre de musulmans
pro-français massacrés par le FLN ».
* 531 Fiches citées
in Maurice Faivre, op.cit., p.190. Le Commandant supérieur de
Brébisson signalera d'ailleurs rétrospectivement un
« déchaînement de la population en novembre et
décembre 1962 » (cité par Maurice Faivre, Les
combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.181).
* 532 Charles de Gaulle,
décision du 30 novembre 1962 consécutive au Comité des
Affaires algériennes du 16 novembre 1962, citée in Maurice
Faivre, op.cit., p.192.
* 533 Maurice Faivre,
« Les harkis contestés », document inédit,
décembre 1995, p.6.
* 534 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994.
* 535 Jean-Jacques Jordi,
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.57-58.
* 536 Ibid, p.39.
* 537 Charles-Robert
Ageron, « La prise du pouvoir par le FLN (entretien) », in
L'Histoire, « Les derniers jours de l'Algérie
française », n°231, avril 1999, p.63. Pour sa part,
Gabriel Jasseron rapporte, à propos de Ben Bella et de son attitude
vis-à-vis des supplétifs après l'indépendance, le
témoignage d'un ancien harki, qui passa huit mois en prison à la
suite de l'accession à l'indépendance de l'Algérie :
« Il est venu, lui, en personne dans les camps. C'était en
septembre ou en octobre 1962. On nous a alignés tous. Ben Bella a
passé devant nous comme une revue, en nous couvrant d'insultes et en
donnant parfois lui-même des coups de poing dans le visage ou des coups
de pied dans les parties génitales de ceux qui le regardaient avec trop
d'arrogance. L'un de nous portait une longue moustache. Ben Bella l'a saisie et
a tiré de toute sa force en arrachant la peau jusque sous le nez, et il
a continué son inspection en riant comme un fou. Puis, il nous a
insultés tous, dans un discours où il nous a traités de
tous les noms. La colère montait en nous, chacun serrait les poings car
les mitraillettes étaient braquées sur nous. Mais un vieil homme,
prisonnier, lui lança : «tu n'as rien à nous reprocher,
Ben Bella, toi aussi tu as travaillé avec la France, tu as même
servi l'armée française, tu étais adjudant». Ben
Bella ne répondit pas, un officier de l'ALN fit sortir ce vieillard
courageux, et deux soldats l'abattirent devant nos yeux » (Gabriel
Jasseron, Les Harkis en France, Paris, Editions du Fuseau, 1965 ;
cité in Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des
harkis, Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.179).
* 538 Le
général de Gaulle par lui-même, rapportant à Alain
Peyrefitte les termes de son entretien avec Ahmed Ben Bella ; cité
in Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 2, « La
France reprend sa place dans le monde », Paris, Éditions de
Fallois/Fayard, 1997, p.445.
* 539 Abdel-Aziz
Méliani, La France honteuse. Le drame des harkis, Paris,
Perrin, 1993 [réédition en 2001 chez Perrin, sous le titre Le
drame des harkis].
* 540 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.136.
* 541 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 2, « La France reprend sa
place dans le monde », Paris, Éditions de Fallois/Fayard,
1997, p.439.
* 542 En témoigne,
par exemple, l'âpreté du débat rétrospectif entre
Stéphane Zagdanski et Paul-Marie Coûteaux à propos de
l'attitude du général de Gaulle sur la question des harkis
(Le Figaro Magazine du 15 novembre 2003, propos recueillis par
Sébastien Lepaque) ; voir aussi, à cet égard, la
polémique suscitée par la sortie du livre de Georges-Marc Benamou
(Un mensonge français. Retours sur la guerre d'Algérie,
Paris, Robert Laffont, 2003), dont le chapitre le plus commenté fut
précisément celui consacré au massacre des harkis.
* 543 Voir notamment Mario
Bettati, Le droit d'ingérence. Mutations de l'ordre
international, Paris, Odile Jacob, 1996 ; Mario Bettati et Bernard
Kouchner, Le devoir d'ingérence. Peut-on les laisser
mourir ?, Paris, Denoël, 1997 ; voir également
Charles Zorgbibe, Le droit d'ingérence, Paris, PUF, QSJ ?,
1994.
* 544
www.charles-de-gaulle.org/degaulle/fiches.htm.
* 545 C'est du mois ainsi
que l'on peut interpréter ces quelques développements de
Paul-Marie de la Gorce : « De Gaulle, dès son retour au
pouvoir (1958) avait pensé qu'il y avait trop de musulmans
algériens sous l'uniforme français. Lors de son voyage en
Algérie, il s'informe, en juin, de leur nombre et apprenant qu'ils
étaient 25.000, il jugea que c'était excessif : il
prescrivit à Salan que ce chiffre ne soit pas dépassé. Il
consentit, pourtant, en contrepartie du retrait de 60.000 soldats
français du contingent en 1959, au recrutement de 60.000
supplétifs mais à condition que ce renfort ne soit que
provisoire » (De Gaulle, Paris, Perrin, 1999, p.1002).
* 546 D'après Alain
de Boissieu, le général de Gaulle était hostile à
« l'engagement des harkis en opérations contre leurs
frères de race » (Alain de Boissieu, Pour servir le
Général (1946-1970), Paris, Plon, 1982, p.151 ; repris
in Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens
dans l'armée française pendant la guerre
d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre
1995, p.7).
* 547 Interview de Pierre
Messmer par François d'Orcival, publiée sous le titre :
« Le témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est
celui du FLN» » dans Valeurs actuelles du 7 au 13
novembre 2003, p.19.
* 548 Des propos qui, en
l'espèce, ont valeur de reconstruction puisque, selon Alain Peyrefitte,
le général de Gaulle prévoyait à titre personnel un
flux de rapatriements égal à 200.000 personnes au maximum pour
1962 (cf. Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1,
« La France redevient la France », Paris, Éditions
de Fallois/Fayard, 1994).
* 549 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.52.
* 550 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.56.
* 551 Olivier Todd,
Camus, une vie, Paris, Gallimard, 1999, p.712.
* 552 Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.188.
* 553 Jean-Raymond
Tournoux, La Tragédie du Général, Paris, Plon, 1967 ;
repris in Guy Pervillé « Guerre d'Algérie :
l'abandon des Harkis », L'Histoire, n° 102,
juillet-août 1987, et Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la
guerre d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan,
1995, p.107.
* 554 Jean-Raymond
Tournoux, La Tragédie du Général, Paris, Plon,
1967. Voir aussi Saïd Boualam, L'Algérie sans la France,
Paris, France-Empire, 1964, p.75.
* 555 Cyrus Sulzberger,
Les derniers des géants, Paris, Albin Michel, 1972, p.106.
* 556 Philippe de Gaulle,
De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac (tome 1),
Paris, Plon, 2003, p.433.
* 557 Pervillé
(Guy), « L'Algérie dans la mémoire des
droites », in Sirinelli (Jean-François), Histoire des
droites en France, Paris, Gallimard, 1992, tome II, p.648.
* 558 Le Figaro
littéraire, Jeudi 27 avril 2000, p.5.
* 559 Le Figaro
littéraire, Jeudi 27 avril 2000, p.5.
* 560 La
Nouvelle République, n°3, mars 1998 ; cf.
http://www.nouvelleliberte.com/archives/n3/politique.htm.
* 561 Christian Fouchet,
Au service du général de Gaulle, Paris, Plon, 1971.
* 562 Jérôme
Hélie, Les accords d'Evian : histoire de la paix ratée
en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992, p.78.
* 563 Voir infra
le chapitre IV de la Partie 1 : « Du regroupement à la
relégation : la «politique d'accueil» des Français
musulmans rapatriés ».
* 564 Jean Touchard, Le
gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.169.
* 565 Marianne
n°341, semaine du 3 au 9 novembre 2003 ; cf.
http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/33/F2/document_article_marianne.phtml.
* 566 Charles de Gaulle,
Mémoires d'espoir : le renouveau 1958-1962, Paris,
Plon/Presses Pocket, 1970, p.51 et 53.
* 567 Conseil des ministres
du 25 juillet 1962, propos rapportés par Alain Peyrefitte,
C'était de Gaulle, tome 1, « La France redevient la
France », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.196.
C'est nous qui soulignons.
* 568 Propos
rapportés par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome
1, « La France redevient la France », Paris,
Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.196. C'est nous qui soulignons.
* 569 Interview au
Monde, le 25 septembre 2001, à l'occasion de la première
Journée d'hommage national aux harkis.
* 570 Sur les voies et
moyens du FLN, voir infra le chapitre III de la Partie 1.
* 571 Marianne
n°341, semaine du 3 au 9 novembre 2003 ; cf.
http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/33/F2/document_article_marianne.phtml.
Pour sa part, Alain Peyrefitte rapporte en ces termes les propos tenus par le
chef de l'Etat au cours d'un déjeuner dans la préfecture de
Mamers (Sarthe), le 22 mai 1965 : « Il existe une couche de
Français, peut-être un sur cinq ou un sur dix, qui m'en voudront
jusqu'à leur dernier souffle, de les avoir transformés en
débris de l'Histoire. Les gens de Vichy, les politiciens de la
IVème, les pieds-noirs, m'exècrent moins pour
les déboires qu'ils ont connu de mon fait, que pour les bienfaits que
j'ai procurés à la France en les rudoyant. Le temps fournit
la preuve qu'ils s'étaient trompés. Ils ne me le
pardonneront jamais » (Alain Peyrefitte, C'était de
Gaulle, tome 2, « La France reprend sa place dans le
monde », Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1997p.92. C'est
moi qui souligne).
* 572 Il s'agit ici de
distinguer entre la situation - très largement minoritaire - de ceux
qui, dès avant 1962, avaient été francisés par
décret et dont la situation au regard de la nationalité relevait,
à l'instar des pieds-noirs, du droit commun et celle de l'immense
majorité des musulmans pro-français qui, rattachés au
statut civil de droit local en Algérie, furent astreints, en vue de
recouvrer la nationalité française, à une
déclaration d'option devant le juge d'instance une fois parvenus sur le
territoire métropolitain.
* 573 Qu'ils fussent
simples supplétifs, militaires de carrière, anciens combattants,
élus ou fonctionnaires.
* 574 Le recensement de
1968, s'il comptabilise en tant que tels les
« Français-Musulmans », et s'il les dispatche selon
le sexe, le lieu de naissance (selon qu'ils soient nés en
Algérie avant 1962 ou en France depuis lors) et la région
d'implantation, ne distribue pas les Français musulmans rapatriés
selon leurs catégories d'élection en Algérie, pas plus
qu'il ne les distribue selon les modalités pratiques de leur
transfèrement vers la métropole.
* 575 La mesure du volume
global des rapatriements nous est fournie par les données du recensement
de 1968, lequel distingue entre les
« Français-Musulmans » nés en Algérie
avant 1962 - c'est-à-dire les Français musulmans
rapatriés proprement dits - et ceux nés en
métropole depuis lors.
* 576 La mesure du volume
des rapatriements effectivement pris en charge par les autorités
ressortit pour l'essentiel de l'agrégation de décomptes officiels
sporadiques.
* 577 D'après les
résultats de l'enquête sur les Français -Musulmans
menée par Jean Servier en 1972 à la demande du Comité
national pour les Français-Musulmans ; cf. Michel Roux, op.cit.,
p.223-224.
* 578 Le père d'un
des enfants de harkis que nous avons été amené à
interroger au cours de nos travaux est ainsi décédé en
1967 à la suite d'un accident de travail.
* 579 Soit que
l'information leur fit défaut pour faire valoir leurs droits, soit que
leur demande fût purement et simplement rejetée (il y eut
près de 10.000 refus pour 70.000 demandes entre 1962 et 1970 ; cf.
Michel Roux, op.cit., p.228). Voir supra les développements que
nous consacrons à la question de la nationalité.
* 580 Aucun exemple de ce
type n'a été porté à notre connaissance.
* 581 Cependant, il faut
noter qu'une dizaine de milliers de musulmans rapatriés d'Algérie
qui n'avaient pu faire valoir leurs droits avant terme (c'est-à-dire
avant que la forclusion ne fût décrétée) se verront
réintégrés dans la nationalité française par
décret entre 1968 et 1984 (cf. Michel Roux, op.cit., p.227). Voir
ci-dessous nos développements sur les statistiques de déclaration
de nationalité.
* 582 Soit 87.816
« Français-Musulmans » nés en
Algérie recensés en 1968 sur l'ensemble du territoire
métropolitain (exception faite de la région
Midi-Pyrénées), auxquels il faut ajouter environ 3.575
Français musulmans rapatriés pour la seule région
Midi-Pyrénées, une dizaine de milliers de personnes qui n'ont pu
(ou voulu) se faire reconnaître la nationalité française
avant le 21 mars 1967, et quelques centaines ( ?) de personnes
décédées entre le moment de leur entrée sur le
territoire métropolitain et la date du recensement.
* 583 Cf. Michel Roux,
op.cit., p.226.
* 584 Michel Roux rapporte
qu'une statistique ultérieure, émanant de la même
administration, fait état de 59.684 déclarations
enregistrées entre 1962 et 1970 (cf. Michel Roux, op.cit., p.226). Cette
légère inflation par rapport aux chiffres arrêtés en
1968 peut paraître étonnante concernant une procédure
décrétée forclose en mars 1967. Elle traduit en fait son
élargissement exceptionnel aux personnes retenues prisonnières en
Algérie et arrivant en France après cette date.
* 585 Cf. Michel Roux,
op.cit., p.226.
* 586 Estimation
avancée par le colonel Schoen, et citée in Anne Heinis,
L'insertion des Français-Musulmans. Étude faite sur les
populations regroupées dans le midi de la France dans les centres
d'ex-harkis, thèse de sciences économiques, Montpellier,
Université Paul Valéry, 1977, p.44. Ces refus administratifs
semblent avoir été compensés par la suite par la mise en
oeuvre de la procédure dite de « réintégration
par décret » (procédure dont Michel Roux nous dit
qu'elle fut soumise aux conditions et aux règles de la
naturalisation), qui concerna une dizaine de milliers de musulmans
pro-français entre 1968 et 1984 (cf. Michel Roux, op.cit.,
p.226-227).
* 587 De toute
évidence, de tels cas de figure, qui procédaient ou induisaient
une forme d'isolement géographique et/ou moral,
demeurèrent exceptionnels.
* 588 Déclaration
faite le 22 janvier 1963 selon Maurice Faivre (cité in B. Coll et T.
Titraoui, op.cit., p.217) et le 22 avril 1963 selon Michel Roux (op.cit.,
p.217) ; ce bilan a par ailleurs été repris sa,ns
précisions sur son origine par Charles-Robert Ageron (« Le
drame des harkis », Vingtième siècle,
n°42, avril-juin 1994, p.5).
* 589 « Le drame
des harkis en 1962 », texte de l'allocution donnée le 7 mars
1999 au Pavillon Gabriel par le général François Meyer
à l'occasion de la rencontre « Histoire et
Mémoire : les Harkis, 1954-1962 », organisée par
l'association Jeune Pied-Noir, p.10.
* 590 Document cité
in Michel Roux, op.cit., p.217.
* 591 Il était
stipulé dans la Déclaration de principes relative aux questions
militaires contenue dans les accords d'Evian que les effectifs des forces
françaises, d'abord ramenés à 80.000 hommes dans un
délai de douze mois à compter de l'autodétermination,
seraient définitivement rapatriés vers la France
« à l'issue d'un second délai de vingt-quatre
mois » (D'après les extraits des accords d'Evian cités
in Maurice Allais, op.cit., p.322-323).
* 592 Colonel Schoen,
« Notes des 6 et 10 décembre 1972 », cité in
M. Roux, op.cit., p.217. Selon le Comité international de la
Croix-Rouge, il restait en Algérie environ 25.000 prisonniers en octobre
1964, et 13.500 en 1965 (D'après Guy Pervillé, « La
tragédie des harkis : qui est responsable ? »,
L'Histoire, n°231, avril 1999, p.66).
* 593 3.800 selon Maurice
Faivre (« Evolution des effectifs des Français musulmans
rapatriés », document daté de 1987 et publié in
B. Coll et T. Titraoui, op.cit., p.217), 5.000 selon Guy Pervillé
(art.cit., p.66).
* 594 Guy Pervillé,
art.cit., p.66. C'est nous qui soulignons.
* 595 Charles-Robert
Ageron, « Le drame des harkis », Vingtième
siècle, n°42, avril-juin 1994, p.6.
* 596 Cf. Jean-Jacques
Jordi, Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Editions Autrement, 1999, p.48-49.
* 597 Cf. Guy
Pervillé, art.cit., p.66.
* 598 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.216.
* 599 Ibidem.
* 600 A cet égard,
Benyoucef Ben Khedda a présenté rétrospectivement les
accords d'Évian comme « le type même du compromis
révolutionnaire, où le GPRA a sauvé les positions
clés de la Révolution tout en se montrant souple sur les aspects
secondaires ou susceptible d'être
révisés » (Les accords
d'Évian, Alger, OPU et Paris, Publisud, 1986, p.39 ;
cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.209).
* 601 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.216.
* 602 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.217-218.
* 603 Ibid, p.218.
* 604 Ibid, p.219.
* 605 Ibid, p.218.
* 606 Document cité
et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165, et in Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, «
France-Algérie : les blessures de l'histoire », n°
161, mai 1990, p.30-32.
* 607 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.222.
* 608 Extrait de la lettre
d'Amar Bentoumi cité in Guy Pervillé, op.cit., p.222.
* 609 Ibidem. C'est nous
qui soulignons.
* 610 Ibid, p.222.
* 611 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.317 ; et Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.219.
* 612 Début
septembre 1962, le Deuxième Bureau avait localisé une
cinquantaine de camps d'internement sur l'ensemble du territoire
algérien, dont 4 chantiers de déminage (Maurice Faivre, Les
combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.179).
* 613 Jean-Jacques Jordi,
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.55.
* 614 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.222.
* 615 Stéphane
Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un
exil, Paris, Autrement, 2003, p.101.
* 616 Zahia Rahmani, Moze,
Paris, Sabine Wespieser, 2003, p.155-156 et 158.
* 617 Guy Pervillé,
« La tragédie des harkis : qui est
responsable ? », L'Histoire, n°231, avril 1999,
p.65.
* 618 Voir, par exemple,
les témoignages tardifs - rapportés par Dalila Kerchouche - des
derniers rescapés de familles décimées, arrivés par
convoi spécial en 1968 (Dalila Kerchouche, Mon père, ce
harki, Paris, Seuil, 2003, p.134-135).
* 619 Témoignage
repris in Gérard Israël, Le dernier jour de l'Algérie
française, Paris, Robert Laffont, 1972, p.320. C'est nous qui
soulignons.
* 620 Supplément au
n°371 du 14 novembre 1962 de la Nation française ;
témoignage repris in Gérard Israël, Le dernier jour de
l'Algérie française, Paris, Robert Laffont, 1972, p.319.
C'est nous qui soulignons. Ces témoignages, et d'autres encore, ont
également été repris par Maurice Challe, Notre
révolte, Paris, Presses de la Cité, 1968, p.421 à
441.
* 621 Nidam Abdi,
« Chez les Tabti, au nom du père harki »,
Libération du 24 juillet 2002, p.12. C'est nous qui soulignons.
Voir aussi les récits recueillis par Bernard Moinet (Ahmed ?
Connais pas... Le calvaire des harkis, Paris, Lettres du monde,
1980), qui témoignent de ce que ces "jeux du cirque" ou séances
de torture publique furent organisés par l'ALN sur l'ensemble du
territoire, et sous des formes souvent bien plus cruelles que celles ici
rapportées. Voir à cet égard le récit que fait
Zahia Rahmani (d'après le témoignage de sa mère, qui y a
assisté) de la mise à mort - entre autres - de son grand-oncle,
brûlé vif devant sa famille et les villageois, dont des femmes et
des enfants (Zahia Rahmani, Moze, Paris, Sabine Wespieser, 2003, p.150-151).
* 622 Reproduit in Benjamin
Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.201.
* 623 Témoignage
cité in Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté
prise entre deux feux », La Libre Belgique, article
consultable sur : www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 624 Expression
employée par Amar Bentoumi, ministre de la Justice algérien, dans
sa lettre du 19 juin 1963 cité par Guy Pervillé, op.cit. ,
p.222.
* 625 Déclaration
citée in Guy Pervillé, op.cit., p.222.
* 626 Document cité
et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165, et in Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, «
France-Algérie : les blessures de l'histoire », n°
161, mai 1990, p.30-32.
* 627 Document cité
et reproduit in Maurice Faivre, op.cit., p.164-165, et in Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, «
France-Algérie : les blessures de l'histoire », n°
161, mai 1990, p.30-32.
* 628 Ibid.
* 629 Voir aussi le
chapitre III de la Partie 2 pour une présentation
détaillée de l'idéologie fanonienne de la
"libération" et ses conséquences - directes ou en creux - sur la
construction d'une image des harkis et autres catégories de musulmans
pro-français (ou non-inféodés au FLN).
* 630 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.162.
* 631 Omar Carlier,
« D'une guerre à l'autre, le redéploiement de la
violence entre soi », Confluences
Méditerranée, n°25, printemps 1998, p.123 à 137.
C'est nous qui soulignons.
* 632 Frantz Fanon, Les
damnés de la terre, Paris, Maspero, 1982 [1ère
édition : 1961].
* 633 Ibid, p.6-7.
* 634 Mark Levene,
« Les génocides : une particularité du
XXème siècle », conférence donnée dans le
cadre de l'Université de tous les savoirs le samedi 4 novembre 2000
à Paris. Voir aussi Mark Levene & Penny Roberts (ed.), The
Massacre in History, New York-Oxford, Berghahn Books, 1999; et Mark
Levene, « The Changing Face of Mass Murder. Massacre, genocide and
post-genocide », International Social Science Journal,
n°174, Décembre 2002.
* 635 Alistair Horne,
Histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Albin Michel, 1980.
* 636 Charles-Robert
Ageron, « Le «drame des harkis» : mémoire ou
histoire ? », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre
2000.
* 637 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.3 à 20.
* 638 Alistair Horne,
Histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Albin Michel, 1980.
* 639 Voir la section
II.B.2.b de la Partie 4, consacrée à la question du pardon, et
intitulée : « Obstructions savantes ».
* 640 Selon les termes de
l'historienne Madeleine Rebérioux qui, membre du Parti communiste dans
les années 1950-1960 et signataire de l' « Appel des
douze », s'inscrit elle-même dans cette mouvance.
* 641 Charles-Robert
Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1980,
p.116.
* 642 Charles-Robert
Ageron, La décolonisation française, Paris, Armand
Colin, 1991, p.154.
* 643 Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.20.
* 644 Charles-Robert
Ageron, « Le «drame des harkis» : mémoire ou
histoire ? », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000,
p.6. Cette dernière estimation se réclame explicitement de
l'évaluation partielle faite, à l'automne 1962, par le
porte-parole de l'armée ainsi que par l'ambassadeur de France,
Jean-Marcel Jeanneney, qui, pour toutes les raisons exposées au fil de
cette première partie, n'avaient guère intérêt
à se montrer exhaustif en la matière.
* 645 Dans un entretien
avec le journaliste Algérien Kadour M'Hamsadji, Gilbert Meynier explique
« [avoir] été politiquement construit dans le
militantisme anticolonial ». Après avoir milité
à l'UNEF pendant la guerre, il a participé aux
« chantiers culturels » à Alger en 1963-1964 (sous
Ben Bella), puis a enseigné un an au lycée d'Oran en 1967-1968 et
deux ans à l'Université de Constantine en 1968-1970 (sous
Boumediene). Il reconnaît avoir été « favorable
au combat indépendantiste algérien et [avoir], pendant longtemps,
sacralisé le FLN » (L'Expression, 9 mars 2005,
entretien avec Gilbert Meynier, « En histoire, tout est
dialectique », par Kadour M'Hamsadji ; article disponible
à cette adresse : http://dzlit.free.fr/meynier.html).
* 646 Mohammed Harbi et
Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou
Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre
d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme
médiatique », Confluences Méditerranée,
n°48, hiver 2003-2004.
* 647 Ibid.
* 648 Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.263.
* 649 Xavier Yacono,
« Pertes algériennes de 1954 à 1962 »,
Revue de l'Occident Musulman et de la
Méditerranée, n°34, 1982-2.
* 650 Pervillé
(Guy), Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard,
2002, p.239.
* 651 Ibidem.
* 652 Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995, p.263.
* 653 Charles-Robert
Ageron, « Les pertes humaines de la Guerre
d'Algérie », La France en guerre d'Algérie,
Catalogue de l'exposition de la BDIC, Nanterre, Musée d'histoire
contemporaine, 1992.
* 654 Selon Jean-Paul Mari
(« Le vrai bilan des pertes », Le Nouvel
Observateur du 28 février 2002), le chiffre initial
d' « un million de morts » est lancé dès
le 15 octobre 1959 par El Moudjahid, l'organe officiel du FLN (auquel
collabore notamment Frantz Fanon ; voir la Partie 2). Puis, en 1963, le
préambule de la première constitution de l'Algérie
indépendante gravera dans le marbre le chiffre du « million et
demi de martyrs ». De même, selon Charles-Robert Ageron,
« c'est en 1960 que fut repris massivement le slogan du «million
de martyrs» », mais « ce n'est qu'au moment des
accords d'Evian que la propagande du FLN accrédita brusquement le
chiffre d'un «million et demi de martyrs» » (Charles-Robert
Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de
libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.),
La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris,
Armand Colin, 1997, p.220).
* 655 Le chiffre des
150.000 est notamment porté et relayé par l'association Jeune
Pied-Noir, qui exerce une action de lobbying importante en direction des
pouvoirs publics et des médias, et dont l'objectif premier est moins
d'approcher au plus près le chiffre des victimes que de frapper
l'opinion.
* 656 Intervention du Guy
Pervillé au cours du colloque « La guerre d'Algérie
dans la mémoire et l'imaginaire » Jeudi 14 - Vendredi 15
novembre 2002 Amphi 24, Campus Jussieu, 2 Place Jussieu-75005. En fait, le
chiffre de 150.000 anciens harkis et membres de leurs familles massacrés
après l'indépendance, qui a été imprudemment
élevé au rang de dogme par certains secteurs de l'opinion, a
été obtenu "artisanalement" : il est le fruit de
l'extrapolation d'une estimation opérée dans un seul des
soixante-douze arrondissements d'Algérie, qui plus est dans sa
fourchette la plus haute. Ainsi, dans un rapport adressé au
vice-président du Conseil d'État en 1963, l'ancien
sous-préfet d'Akbou, Jean-Marie Robert, avait évalué
à un millier (1.000) le nombre des tués dans l'arrondissement
dont il avait anciennement la charge. Précisant - sur la base des
témoignages qui lui étaient parvenus - que cet arrondissement
était notoirement plus calme que les autres, il en avait conclu que la
moyenne des tués pour chacun des 72 départements d'Algérie
devait se situer entre 1.000 et 1.500, avec possiblement des pointes à
2.000. Or, ainsi que le souligne Guy Pervillé, « la
méthode consistant à extrapoler une estimation fondée sur
un ou plusieurs témoignages localisés en la multipliant par des
coefficients ne fait que multiplier la marge d'incertitude
initiale ». Du reste, si l'on appliquait strictement les fourchettes
indiquées par Jean-Marie Robert, l'on devrait convenir que le bilan pour
toute l'Algérie doit se situer entre 72.000 et 144.000 morts. Le chiffre
de 150.000 est donc un arrondi supérieur peu rigoureux, fondé sur
le postulat que le volume des exactions constatés sur chacun des 71
autres arrondissements d'Algérie a été plus de deux fois
supérieur à celui constaté sur le seul arrondissement
d'Akbou. À cet égard, la moyenne "basse" avancée par
Jean-Marie Robert constitue une base d'évaluation infiniment plus
crédible, le chiffre obtenu étant assez proche de celui
avancé par Maurice Faivre sur la base de la méthode
démographique.
* 657 Jacques
Sémelin, « Faire la paix : du crime de masse au
peacebuilding », groupe de recherche du CERI, compte-rendu de la
réunion du 8 février 2001, p.5.
* 658 Ibidem.
* 659 Max Pagès
propose de la notion de violence politique cette définition :
« La violence politique peut être définie comme une
violence collective exercée sur le corps social au nom de la
collectivité elle-même, qu'il s'agisse d'impératifs moraux,
religieux, ou proprement politiques, par l'Etat ou par des institutions qui
visent à le renverser ou à le transformer. Elle se manifeste par
les persécutions, les tortures, les guerres, les massacres, le
terrorisme, les déplacements forcés de population, les
génocides... » ; cité dans le compte-rendu de la
réunion du 5 juin 2001 (« Idéologies et
imaginaires : avant et après ») du groupe de recherche du
CERI : « Faire la paix : du crime de masse au
peacebuilding », p.4.
* 660 Georges Sorel [1907],
Réflexions sur la violence, Paris, Seuil, 1990, p.43-44.
* 661 Déclaration
publique d'Ahmed Ben Bella à son arrivée à
l'aéroport de Tunis en provenance du Caire, peu après la
conclusion des accords d'Évian.
* 662 Texte consultable
à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/soummam.htm.
* 663 Texte consultable
à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm.
* 664 Jacques
Sémelin, « Remarques introductives sur la notion de crime de
masse », texte présenté lors de la réunion du 8
février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la
paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2.
* 665 Ibidem.
* 666 Jacques
Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8
février 2001, p.7.
* 667 Jacques
Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8
février 2001, p.7.
* 668 Pour une approche
transdisciplinaire et comparative des imaginaires de la destruction et de la
rationalité stratégique des massacres, voir Jacques
Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des
massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.
* 669 Jacques
Sémelin, « Remarques introductives sur la notion de crime de
masse », texte présenté lors de la réunion du 8
février 2001 du groupe de recherche du CERI « Faire la
paix : du crime de masse au peacebuilding », p.2.
* 670 Ibid, p.1.
* 671 Ibid, p.2.
* 672 Ibidem.
* 673 A cet égard,
les textes fondateurs du FLN en tant que parti-Etat (à
l'indépendance, donc) sont des plus explicites, même s'il faut
aussi y voir la marque des luttes d'influence conduites par "ceux de
l'armée des frontières" (groupés autour de Boumediene)
à l'encontre des "chefs historiques". Voici ce que dit la Charte
d'Alger, adoptée à l'issue du 1er Congrès du
parti du Front de Libération Nationale (du 16 au 21 avril 1964) :
« Le passage à la lutte armée a été
déterminé par l'impasse que connaissait l'ensemble du Mouvement
de Libération nationale. L'impréparation dans tous les domaines
ne permettait pas d'envisager la guerre de libération nationale dans
toutes ses implications. C'est ainsi que la question fondamentale de
l'exploitation de la victoire et de l'organisation sociale de l'Algérie
indépendante dont dépendaient le style de guerre, les alliances
et la nature de la direction, n'a pas été clairement posée
au départ ». C'est nous qui soulignons. Texte complet
consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm.
* 674 « Une
équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour
d'elle la majorité des éléments encore sains et
décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement
national de l'impasse où l'ont acculé les luttes de personnes et
d'influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains
et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire »
(Extrait de la proclamation du 1er novembre 1954 ; texte
intégral consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm).
* 675 Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la
Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.171.
* 676 Le
« principe de la révolution armée illimitée
jusqu'à l'indépendance » a été
entériné à l'unanimité des 22 chefs historiques le
25 juillet 1954, un peu plus de trois mois avant le déclenchement de
l'insurrection (cf. Yves Courrière, La guerre d'Algérie -
I : Les Fils de la Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard,
1968, p.161). « Nous tenons à cet effet à
préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se
disputent le pouvoir. Plaçant l'intérêt national au-dessus
de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes
et prestige, conformément aux principes révolutionnaires, notre
action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et
aveugle, qui s'est toujours refusé à accorder la moindre
liberté par des moyens de lutte pacifique » (Extrait de la
proclamation du 1er novembre 1954 ; texte intégral
consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm).
* 677 Proclamation
reproduite in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.124. C'est nous qui
soulignons.
* 678 Proclamation du
1er novembre 1954 ; Source :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm.
* 679 Instructions
retrouvées dans les archives de Chihani Bachir, chef de la zone
Sud-Constantinois, et citées par Jacques Soustelle,
L'espérance trahie, Paris, Editions de l'Alma, 1962, p.182.
* 680 Gilbert Meynier,
« Idéologie et culture politique de la Révolution
algérienne : les mémoires inédits de Lakhdar Ben
Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre
d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin,
1997.
* 681 Ibid, p.275.
* 682 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.133.
* 683 Voir notamment Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des
Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.294
à 299 et p.376.
* 684 La lutte entre le FLN
et le MNA a occasionné la plupart des 4'055 tués et près
de 9'000 blessés officiellement décomptés au sein de la
communauté algérienne de métropole entre le 1er
novembre 1954 et le 19 mars 1962 ; cf. Guy Pervillé, Pour une
histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242.
* 685 En une seule nuit,
à Melouza, plus de trois cent villageois réputés
gagnés à l'influence du MNA furent massacrés par le FLN.
Par la suite, le FLN tenta de faire porter la responsabilité de ce
massacre à l'armée française. Guy Pervillé estime
à environ 6000 tués et 4000 blessés le bilan de
l'affrontement fratricide entre nationalistes algériens en
Algérie même (cf. Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.242). Le commanditaire de ce
massacre, Mohammedi Saïd, qui, à l'indépendance, deviendra
vice-président du Conseil sous Ben Bella puis membre du Conseil de la
Révolution sous Boumediene, « a fait son temps de service en
Allemagne nazie et raconte qu'il a fait partie de la légion de
l'émir Amin Hossini, grand mufti de Jérusalem, qui a
créé les SS arabes. Ensuite, Mohammedi Saïd est entré
dans l'Abwehr, les services secrets allemands, et a été
parachuté en Tunisie où il a été
arrêté à la fin de la guerre par les Forces
françaises » (cf. Yves Courrière, La guerre
d'Algérie - II : Le Temps des Léopards, Paris,
Librairie Arthème Fayard, 1969, p.220 ; sur le massacre de Melouza,
voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - III :
L'Heure des Colonels, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1970,
p.58-59).
* 686 A ce sujet, voir
notamment les travaux du Centre de Recherche et d'Etude sur l'Algérie
Contemporaine (CREAC ;
http://www.creac.org/), en
particulier ceux de Jacques Simon (La solution démocratique au
problème algérien (1954-1962) : la FEN et la table
ronde).
* 687 Cf. Maurice Faivre,
Les combattants musulmans de la guerre d'Algérie. Des soldats
sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995.
* 688 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.216. A titre d'exemple, l'historien algérien Rabah Belaïd
rapporte qu'à l'indépendance près de 700 combattants du
MNA ont été égorgés par leurs rivaux du FLN
près de Biskra (Interrogé et cité par Christophe
Boltanski, « Dans les Aurès, le spectre de
l'autocar », Libération, 25 octobre 2004, p.43).
* 689 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.134.
* 690 Extrait des statuts
du FLN adoptés par le CNRA en janvier 1960 ; extrait cité
par Guy Pervillé, op.cit., p.135.
* 691 Ibidem.
* 692 Extrait de la
plate-forme du Congrès de la Soummam, août 1956 ; passage
cité in Guy Pervillé, op.cit., p.126.
* 693 Guy Pervillé,
op.cit., p.125.
* 694 Repris in Gilbert
Meynier, « Idéologie et culture politique de la
Révolution algérienne : les mémoires inédits
de Lakhdar Ben Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La
guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand
Colin, 1997, p.268.
* 695 Sortie vainqueur des
luttes d'influence de l'immédiat après-indépendance,
l'armée des frontières, avec à sa tête le colonel
Boumediene, choisira l'option socialiste dans sa déclinaison franchement
étatiste (notamment après le renversement de Ben Bella), option
plus conforme à ses intérêts qu'un régime islamique.
Pour autant, l'État-FLN entretiendra la confusion
précédemment évoquée en instituant l'Islam religion
d'État, puis en promouvant une politique d'arabisation qui, plutôt
que de prévenir la contestation identitaire, en fera le lit. Une
constante cependant : le rejet institutionnel de la démocratie
pluraliste jusqu'en 1989, puis son rejet de facto après l'interruption
du processus électoral fin 1991 au profit d'une forme d'oligarchie
pluraliste, ouverte aux tendances pro-système uniquement.
* 696 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.127.
* 697 Mohammed Harbi,
« L'Algérie prise au piège de son histoire »,
Le Monde diplomatique, mai 1994. Voir aussi Mohammed Harbi, Aux
origines du FLN. Le Populisme révolutionnaire en Algérie,
Paris, Christian Bourgois, 1975 ; Le FLN : mirages et
réalités, des origines à la prise de pouvoir
(1945-1962), Paris, Éditions Jeune Afrique, 1980 ; et
L'Algérie et son destin, croyants ou citoyens, Paris,
Arcantère, 1993.
* 698 En mars 1962,
après la conclusion des accords d'Evian, Ben Bella préféra
se rendre d'abord au Caire et ne faire au retour qu'une escale technique
à l'aéroport de Tunis pour proclamer ostensiblement et par trois
fois - comme s'il avait une mission impérieuse à remplir - devant
les médias et les responsables tunisiens venus le saluer :
« Nous sommes des Arabes ! Nous sommes des Arabes ! Nous
sommes des Arabes ! ». En outre, dans une déclaration
récente à El Jazira, Ahmed Ben Bella a
déclaré : « La révolution algérienne
était d'essence islamique et arabe. Elle a eu lieu surtout grâce
au soutien des Égyptiens. Le Congrès de la Soummam était
une trahison puisqu'il a rayé de sa charte ces deux
références essentielles » (Cité par Mohammed
Harbi au cours du colloque La guerre d'Algérie dans la
mémoire et l'imaginaire qui s'est tenu les jeudi 14 et vendredi 15
novembre 2002 sur le campus de Jussieu).
* 699 Selon Mohammed Harbi,
« les conceptions du FLN sur la guerre comme djihad, sa
tendance à voir dans l'opposition une déviation et une
hérésie, son évaluation de la
représentativité à partir du consensus, son approche du
problème des minorités, enfin sa pratique de l'épuration
comme élimination de l'impur, sont toutes empruntées à la
tradition » (Le FLN, mirages et réalités,
p.305 ; cité in Guy Pervillé, op.cit., p.264-265). Emprunt
à la tradition, certes, mais pas seulement puisque chacune de ces
conceptions - messianisme, exclusivisme, unanimisme, autoritarisme - a
trouvé un support égal dans le discours dit
« progressiste » (i.e. révolutionnaire) comme en
témoignent les emprunts à la doctrine du centralisme
démocratique, à laquelle il sera explicitement fait
référence dans les statuts du FLN.
* 700 Extrait de la
plate-forme du Congrès de la Soummam publiée in El
Moudjahid, n°4, t. 7, p.59-60 ; extrait repris in Guy
Pervillé, op.cit., p.128.
* 701 Cf. plate-forme de la
Soummam du 20 août 1956 et statuts du FLN votés en janvier 1960
par le CNRA.
* 702 Extrait de la
proclamation du 1er novembre 1954 : appel de l'ALN ;
extrait cité par Guy Pervillé, op.cit., p.135 ; texte
intégral consultable à cette adresse :
http://www.algeria-watch.org/farticle/1954-62/proclamation1nov.htm.
C'est nous qui soulignons.
* 703 Extrait tiré
de La Blessure, Paris, Grasset, 1992, p.129 ; cité in Guy
Pervillé, op.cit, p.143.
* 704 Extrait du
deuxième appel du FLN, daté du 1er avril 1955,
rédigé par Abane Ramdane à Alger ; extrait
cité par Guy Pervillé, op.cit, p.136.
* 705 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.136.
* 706 Sylvie
Thénault, « L'organisation judiciaire du FLN », in
Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les
Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.146 et 148.
* 707 Guy Pervillé
de souligner le caractère décisif de l'évolution des
prises de position du général de Gaulle sur l'état de
l'opinion musulmane : « Le principe de l'indépendance de
l'Algérie avait été reconnu par une décision
unilatérale du président de la République
française, avant les journées de décembre 1960
[journées marquées par les premières manifestations
populaires réclamant dans les rues d'Alger et des plus grandes villes
des négociations entre de Gaulle et Ferhat Abbas]. Le basculement de
l'opinion musulmane peut donc être interprété autant comme
une conséquence de l'évolution de la politique gaullienne que
comme un facteur d'accélération de
celle-ci » (Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, p.171-172).
* 708 Yves Courrière
rapporte ainsi qu'au cours des six premiers mois du conflit (entre le
1er novembre 1954 et début mai 1955), ce sont presque
uniquement des civils musulmans (à l'exception du couple Monnerot et
d'un autre Européen tués le 1er novembre 1954),
victimes musulmanes dont le chiffre s'élève à plusieurs
centaines, qui sont visés par la politique de terreur du FLN (Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des
Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969).
* 709 Mohammed Harbi,
Le FLN : mirages et réalités, des origines
à la prise de pouvoir (1945-1962), Paris, Éditions Jeune
Afrique, 1980, p.259.
* 710 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.132.
* 711 Cf. Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.242-243.
* 712 Ibid, p.246.
* 713 Omar Carlier,
« Le 1er novembre 1954 à Oran », in
Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les
Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.23-24.
* 714 Cf. Benjamin Stora,
Les sources du nationalisme algérien, Paris, L'Harmattan,
1989.
* 715 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.116.
* 716 Le MTLD était
la vitrine légale du PPA, interdit le 26 septembre 1939.
* 717 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.85.
* 718 Ibid, p.101.
* 719 François
Gèze, « Aux origines de la violence »,
Mouvements, novembre-décembre 1998. Voir aussi Mohammed Harbi,
« Le système Boussouf », in Reporters sans
frontières, Le drame algérien. Un peuple en otage,
Paris, La Découverte, 1996.
* 720 Cité par Tahar
Mohamed Al Anouar, « Abdelhafidh Boussouf, «Si Mabrouk», le
concepteur des services de renseignement de la Révolution
algérienne », El Moudjahid du 29 décembre
2004.
* 721 Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - I : Les Fils de la
Toussaint, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1968, p.254.
* 722 Ibid, p.299.
* 723 Cité in Guy
Pervillé, op.cit., p.146. Cette proclamation est paradoxale à
plus d'un titre. D'abord parce qu'elle semble présupposer qu'il y a
autant de « traîtres » que de
« patriotes » au sein de la population musulmane, ce qui va
à l'encontre du mythe de l'unanimité des masses derrière
le FLN. Ensuite parce qu'Abane lui-même a ensuite été
considéré comme un « traître » et
éliminé à ce titre par le Comité de Coordination et
d'Exécution (CCE, l'exécutif du FLN).
* 724 Dossier
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.83.
* 725 J'ai indiqué
en introduction ce qu'avait été la justification donnée
à Monsieur Alexandre M. lorsqu'il s'était enquit du sort et des
raisons de l'assassinat de ma grand-tante, de son mari et de leur fils de 7 ans
auprès d'un jeune parent de ceux-ci, que Monsieur M. indiquait
être un « indicateur du FLN ». A la question
d'Alexandre M. : « Mais pourquoi avoir tué aussi le petit
Djelloul, ce petit innocent ? », il fut répondu :
« Pour que la graine disparaisse » (voir
l'introduction).
* 726 Pour plus de
détails, voir ci-dessous la section b. : « L'exclusivisme
religieux, entre condamnation du maraboutisme et condamnation de
l'oecuménisme ».
* 727 Abderrahmane
Moussaoui, « De la violence au djihad », Histoire des
Sciences Sociales, n°6, novembre-décembre 1994, p.1315-1333.
* 728 Pierre Vidal-Naquet
reconnaîtra d'ailleurs a posteriori qu'il avait
sous-estimé le poids de l' « arabo-islamisme »
ainsi que « la nature fondamentalement nationaliste [du
FLN] » pendant la guerre d'Algérie (« La guerre
d'Algérie. Bilan d'un engagement », entretien avec Pierre
Vidal-Naquet, Confluences Méditerranée, n°19,
automne 1996).
* 729 Voir notamment
Mohamed Benrabah, Langue et pouvoir en Algérie. Histoire d'un
traumatisme linguistique, Paris, Editions Séguier, 1999, ainsi que
Mohamed Benrabah, « Le désespoir algérien »,
Libération, 2 mai 2001.
* 730 D'après
Monique Gadant (Islam et nationalisme en Algérie, Paris,
L'Harmattan, 1988, p.64), « l'histoire de l'Algérie, telle
qu'elle fut écrite par les Oulémas dans les années trente,
est animée par le souci de réveiller la conscience nationale.
Elle illustre la fierté d'être algérien. Elle transfigure
et fait jouer à la conquête arabe et à l'Islam le
rôle d'événement déterminant dans l'unification de
la Nation. (...) Le FLN, à travers El Moudjahid, reprendra
l'essentiel de l'histoire oulémiste » ; citée in
Luis Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala,
1998, p.15.
* 731 Voir notamment
Charles-André Julien [1952], L'Afrique du Nord en marche :
Algérie, Tunisie, Maroc, 1880-1952, Paris, Omnibus, 2002.
* 732 À savoir le
Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA),
composé d'anciens de l'Organisation spéciale (OS), la branche
armée du PPA-MTLD, et qui prendra le nom de Front de libération
nationale (FLN) à la veille de l'insurrection du 1er novembre
1954.
* 733 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.91. A ce sujet, voir aussi Omar Carlier, « Nationalisme et
identité : la crise «Berbériste» de
1949 », Annuaire de l'Afrique du Nord, Editions du CNRS,
1984, p.347-371 ; repris in Omar Carlier, Entre nation et djihad.
Histoire sociale des radicalismes algériens, Paris, Presses de la
FNSP, 1995.
* 734 Déclaration
publique d'Ahmed Ben Bella à son arrivée à
l'aéroport de Tunis en provenance du Caire, peu après la
conclusion des accords d'Évian - cité par Pierre Vidal-Naquet,
« La vérité de l'indicatif », entretien pour
la revue Vacarme, propos recueillis par Isabelle Saint-Saëns et
Philippe Mangeot, septembre 2001 (entretien consultable en ligne à cette
adresse :
http://vacarme.eu.org/article205.html).
Au même moment, le programme dit de Tripoli, adopté par le CNRA
à l'unanimité en juin 1962, énonçait que
« le conflit arabo-israélien n'a pas eu, en Algérie, de
répercussions graves, ce qui aurait comblé le voeu des ennemis
du peuple algérien », ajoutant : « Sans puiser
dans l'histoire de notre pays les preuves de tolérance religieuse, de
collaboration dans les plus hauts postes de l'Etat, de cohabitation
sincère, la Révolution Algérienne a montré par les
actes, qu'elle mérite la confiance de la minorité juive pour lui
garantir sa part de bonheur dans l'Algérie
indépendante » ; cf. Le texte du « Projet de
programme pour la réalisation de la révolution
démocratique populaire» (adopté à l'unanimité
par le C.N.R.A. à Tripoli en Juin 1962) est consultable dans son
intégralité à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
* 735 Le texte
intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
* 736 Benjamin Stora,
« Un pharmacien à Sétif », Le Monde,
édition du 4 juillet 2004 ; article consultable à cette
adresse :
http://www.jijel.info/modules/news/article.php?storyid=32.
* 737 L'Entente du
23 février 1936 ; extrait cité in Bernard Droz et Evelyne
Lever, Histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Seuil, 1982.
* 738 Benjamin Stora,
« Un pharmacien à Sétif », Le Monde,
édition du 4 juillet 2004 ; article consultable à cette
adresse :
http://www.jijel.info/modules/news/article.php?storyid=32.
* 739 « Plus
qu'une simple conquête coloniale destinée à s'assurer le
contrôle des richesses naturelles du pays, cette entreprise a
visé, par tous les moyens, à substituer un peuplement
étranger au peuple autochtone », fort de « son
appartenance à une culture et à une civilisation communes au
Maghreb et au monde arabe » (Le texte intégral du programme
dit de Tripoli est consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm).
* 740
« L'implantation de plus en plus intensive d'un peuplement
étranger conçu à la fois comme instrument de
I'impérialisme et comme société coloniale vouée
tout entière à la direction politique et administrative
et à l'exploitation du peuple algérien » (Le texte
intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm).
* 741 Le texte
intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
(C'est nous qui soulignons.) De fait, à l'indépendance, le FLN
s'empressera de faire de l'arabe la langue officielle exclusive, au
détriment du français et du berbère. La Constitution de
1963 stipule ainsi clairement que « la langue arabe est la langue
nationale et officielle de l'Etat » [article 5] et qu'en
conséquence « la réalisation effective de l'arabisation
doit avoir lieu dans les meilleurs délais sur le territoire de la
République » [article 76] (Le texte intégral de la
Constitution de 1963, première constitution de l'Algérie
indépendante, est consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm).
* 742 Le texte
intégral de la Charte d'Alger (1964) est consultable à cette
adresse :
www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm.
* 743 Le texte
intégral de la Charte d'Alger (1964) est consultable à cette
adresse :
www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/charte%20d'alger.htm.
* 744 Cité in
« Rapport du Congrès mondial amazigh au Comité pour les
droits économiques sociaux et culturels de l'ONU sur la question
amazighe (berbère) en Algérie ». C'est nous qui
soulignons. Le texte est consultable dans son intégralité
à cette adresse :
http://www.diariodecanarias.com/98cma-rapport.html.
Voir aussi: http://www.congres-mondial-amazigh.org/.
* 745 Sur ces questions,
voir aussi Gilbert Grandguillaume, « Langues et nation : le cas
de l'Algérie », in Gilbert Meynier (dir.),
L'Algérie contemporaine. Bilan et solutions pour sortir de la
crise, Paris, L'Harmattan, Les Cahiers de Confluences, 2000, p.89-99.
* 746 Charles-Robert
Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le
Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du
peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie
et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.37.
* 747 Ibid, p.38. Voir
aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le
Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969,
p.182 à 189.
* 748 Cité in Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.143.
* 749 Gilbert Meynier
(« Emigration, armée, culture et démocratie en
Algérie », Confluences Méditerranée,
n°3, printemps 1992) rapporte ainsi que Mohammedi Saïd, qui
« fut l'un des partisans impitoyables de la manière
forte », « prétendait rendre obligatoire la pratique
de la prière à l'indépendance » ;
cité in Luis Martinez, La guerre civile en Algérie,
Paris, Karthala, 1998, p.322.
* 750 Charles-Robert
Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de
libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.),
La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris,
Armand Colin, 1997, p.225-226.
* 751 Cf. Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des
Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969, p.112. Voir
aussi Taouès Titraoui et Bernard Coll, qui publient une photographie
d'un mutilé du nez, avant et après une opération de
chirurgie plastique réparatrice (Le livre des harkis,
Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.37).
* 752 Amar Ouzegane, Le
meilleur combat, Paris, Julliard, 1962, p.263 ; cité in
Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis,
Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.36.
* 753 A ce sujet, le
programme dit de Tripoli, adopté à l'unanimité par le
C.N.R.A. en Juin 1962, stigmatise ce « féodalisme
administratif » qu'aurait été « le
maraboutisme des grandes congrégations », lequel,
« dans le contexte obscurantiste dé la colonisation, n'a
cessé d'exploiter, par la superstition et des pratiques
grossières, le sentiment religieux », en même temps
qu'il a « contribué à altérer l'esprit de
I'islam et entraîné I'immobilisme de la société
musulmane ». Et de rappeler combien « la réaction
[contre ces congrégations] prit souvent [pendant la guerre] une forme de
confrontation exacerbée », ajoutant même :
« Poussée trop loin, elle parut, un moment, jeter une
confusion dangereuse relativement au problème des priorités, des
urgences. Fallait-il accorder la priorité à la lutte contre le
colonialisme, ou s'attaquer d'abord à purifier le dogme, et, par voie de
conséquences, à affronter les
confréries ? » ; cf. Le texte du « Projet
de programme pour la réalisation de la révolution
démocratique populaire» (adopté à l'unanimité
par le C.N.R.A. à Tripoli en Juin 1962) est consultable dans son
intégralité à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
* 754 Cette communication
est consultable dans son intégralité à cette
adresse : http://www.archipress.org/bb/revolu.htm.
* 755 Il est d'ailleurs
curieux de voir la place prise par la plate-forme de la Soummam dans les
manuels scolaires français pour rendre compte des valeurs de la
Révolution - il n'est, pour ce faire, que de mobiliser des souvenirs
personnels - lors même que son principal inspirateur a été
tôt assassiné par ses compagnons d'armes et que la politique
suivie pendant et après la guerre ne fut qu'une seule et même
remise en cause (sinon le contre-pied systématique) de certains des
grands principes contenus dans ce texte programmatique, à savoir :
laïcité, suprématie du politique sur le militaire, etc.
* 756 Benyoucef Ben
Khedda, L'Algérie à l'indépendance : la crise de
1962, Alger, Dahlab, 1997, p.92 ; cité in Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.279.
* 757 Charles-Robert
Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de
libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.),
La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris,
Armand Colin, 1997, p.210, 226 et 227.
* 758 Ibid, p.210.
* 759 Ibid, p.223-224.
* 760 Ibid, p.219.
* 761 Ibid, p.222.
* 762 « La guerre
de libération menée victorieusement par le peuple algérien
redonne à l'Algérie sa souveraineté nationale et son
indépendance. Le combat n'est pas pour autant achevé. Il est
appelé, au contraire, à se poursuivie afin d'étendre et de
consolider les conquêtes de la lutte armée par
I'édification révolutionnaire de l'Etat et de la
société » ; cf. Le texte du « Projet de
programme pour la réalisation de la révolution
démocratique populaire» (adopté à l'unanimité
par le C.N.R.A. à Tripoli en Juin 1962) est consultable dans son
intégralité à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
* 763 Cité dans la
série d'émissions diffusées par Radio-France sur la guerre
d'Algérie, émission n°7, « L'OAS - Les derniers
jours », conception et réalisation : Patrice
Gélinet et Christine Bernard-Sugy, 1987.
* 764 Le texte
intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
* 765 Ibid. C'est nous qui
soulignons.
* 766 Le texte
intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
Luis Martinez (La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala,
1998) a montré comment ces sociétés d'Etat allaient en
fait servir de paravent à la "privatisation/prédation" de
l'économie -notamment dans le secteur de l'import-export - au profit des
seuls caciques du FLN/ALN.
* 767 Ibid.
* 768 Le texte
intégral de la Constitution de 1963, première constitution de
l'Algérie indépendante, est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1963.htm.
* 769 Le texte
intégral du programme dit de Tripoli est consultable à cette
adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/tripoli.htm.
* 770 En Algérie,
certaines "oeuvres" de fiction, publiées - ainsi que le souligne Guy
Pervillé - « au temps où le gouvernement
algérien disposait du monopole de l'édition, de l'information et
de l'enseignement », témoignent d'ailleurs que cette
conception somme toute extensive de
« l'anti-impérialisme » (convoqué pour
"solutionner" le « problème de la minorité
française ») n'était pas, ici et là, sans
s'apparenter à l'anti-occidentalisme le plus équivoque. Pour
Abdelkader ben Azzedine Ghouar, par exemple, la politique de la table rase
trouve sa justification dans un racisme sommaire et, semble-t-il,
assumé : « Des Espagnols aux casquettes molles tombaient,
des Maltais aux tignasses pouilleuses aussi, des Italiens aux visages cauteleux
(...). Ahmed tirait avec le sentiment de nettoyer les rues, de les
débarrasser de toute cette faune parasite qui les encombrait »
(Abdelkader Ben Azzedine Ghouar, Cinq fidayine ouvrent le feu à
Constantine, Alger, ENAL, 1986, p.195 ; cité in Guy
Pervillé, « Réflexions sur la
réévaluation du bilan de la guerre d'Algérie »,
Actes du colloque du Cercle algérianiste de Bordeaux, L'Aventure
française en Algérie, 1830-1862, Talence, 8 mars 1997, p.2).
Dès avant, le 29 mars 1962, Mohamed Masmoudi, ministre tunisien de
l'Information, déclarait dans le journal Jeune Afrique :
« Il faut dépeupler, déporter le ramassis de petits
blancs d'Algérie » Cité in Allais (Maurice) [1962],
L'Algérie d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune
Pied-Noir, 1999, p.53.
* 771 Jacques
Sémelin, Penser les massacres, R.I.P.C., vol.7, n°3, 8
février 2001, p.11.
* 772 Ibid, p.12.
* 773 Ibidem.
* 774 Ibid, p.12-13.
* 775 Extrait de la
Proclamation du FLN du 1er novembre 1954 ; extrait cité
par Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.124.
* 776 Ibid, p.142.
* 777 Ibid, p.263.
* 778 Voir notamment
Gérard Chaliand, Stratégies de la guérilla,
Paris, Editions Payot & Rivages, 1994 [1ère
édition : Mazarine, 1979].
* 779 Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.125.
* 780 Philippe Braud,
« La violence politique : repères et
problèmes », Cultures et Conflits, n°9/10, 1993,
p.26.
* 781 Pierre Vidal-Naquet:
« Je n'ai jamais eu envie de faire l'apologie des attentats du FLN,
même si j'ai pu comprendre que ce terrorisme-là était ce
que l'on a appelé «l'arme du pauvre» »
(« La torture en Algérie. Entretien avec Raoul Girardet et
Pierre Vidal-Naquet », L'Histoire, n°140, janvier 1991,
p.104-107).
* 782 Michael Walzer,
"Excusing Terror," The American Prospect, vol. 12, no. 18, October 22,
2001.
* 783 Ibidem.
* 784 Aspects
véritables de la rébellion algérienne,
Ministère de l'Algérie, juin 1957.
* 785 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.167.
* 786 Selon Jean-Jacques
Jordi et Mohand Hamoumou, un tract du FLN de décembre 1955
« préconisait l'emploi de la force le jour des
élections, l'exécution des candidats de quelque bord qu'ils
appartinssent, l'enlèvement et l'égorgement de tous les agents
électoraux, la démission de tous les élus en place, et la
suppression physique de tout élu qui refuserait de
démissionner » (Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les
harkis, une mémoire enfouie, Éditions Autrement, 1999,
p.26).
* 787 Il n'est ici question
que des populations civiles, à l'exclusion, donc, des supplétifs,
conscrits et engagés musulmans qui pouvaient être
considérés comme des cibles "légitimes" au regard des lois
de la guerre.
* 788 Sur l'éventail
des musulmans visés, voir Jean Monneret, La phase finale de la
guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001, p.320-321, qui
évoque également les représailles exercées à
l'encontre du MNA et du FAAD.
* 789 Luis Martinez,
op.cit., p.314-315. Il faut ici souligner la proximité rhétorique
entre ce texte et l'appel du 1er novembre, en particulier ce
passage : « Le Front de Libération Nationale est ton
Front, sa victoire est la tienne (...). Ton devoir impérieux est de
soutenir tes frères combattants par tous les moyens (...). Donc, sans
perdre une minute, organise ton action aux côtés des forces de
libération à qui tu dois porter aide, secours et protection en
tous lieux et en tous moments. En les servant tu sers la cause. Se
désintéresser de la lutte est un crime. Contrecarrer l'action est
une trahison » (Extrait de la proclamation du 1er novembre
1954 : appel de l'ALN ; texte intégral consultable à
cette adresse :
http://www.algeria-watch.org/farticle/1954-62/proclamation1nov.htm).
* 790 Ibid, p.316-317.
* 791 Yves
Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le Temps des
Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969,
p.374 ; voir aussi Mohammed Harbi et Gilbert Meynier,
« Réflexions sur le livre de Benamou Georges-Marc, Un
Mensonge français. Enquête sur la guerre d'Algérie. La
dernière frappe du révisionnisme médiatique »,
Confluences Méditerranée, n°48, hiver 2003-2004.
* 792 Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988, p.171.
* 793 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.166.
* 794 Charles-Robert
Ageron, « La guerre psychologique de l'Armée de
libération nationale », in Charles-Robert Ageron (dir.),
La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris,
Armand Colin, 1997, p.208.
* 795 Ibid, p.210.
* 796 Propos recueillis par
Florence Aubenas, « Algériens de France isolés dans
l'isoloir », Libération des 10 et 11 avril 1999,
p.11.
* 797 Interview de Krim
Belkacem, « L'ALN dans la guerre de libération »,
Revue de politique internationale, Belgrade, 15 février
1960 ; repris in Maurice Allais [1962], L'Algérie
d'Évian, Bièvres, Éditions Jeune Pied-Noir, 1999,
p.42.
* 798 Saïd Ferdi,
Un enfant dans la guerre, 1954-1962, Paris, Le Seuil, 1981.
* 799 Témoignage
repris in Gérard Chaliand, Stratégies de la
guérilla, Paris, Editions Payot & Rivages, 1994, p.165-166.
* 800 Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.135-136.
* 801 Jordi (Jean-Jacques),
Hamoumou (Mohand), Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.32-33.
* 802 D'après
Charles-Robert Ageron, « tous les témoins français
civils ou militaires ont confirmé que participèrent aux attaques
dans des proportions variées des paysans sans armes, hommes, femmes et
enfants ». Il ajoute : « Ceux qui étaient
pourvus d'armes de guerre et souvent d'uniformes ne représentaient pas
plus de 5% des assaillants, d'autres plus nombreux, disposaient de fusils de
chasse (mais étaient-ils 45% ?). La majorité, semble-t-il,
était composée de civils, munis de pioches, de serpes et de
couteaux » ; cf. Charles-Robert Ageron,
« L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De
la résistance armée à la guerre du peuple », in
Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les
Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.38.
* 803 Le Gouvernement
général de l'Algérie établira comme suit - pour les
journées des 20 et 21 août - le bilan des victimes des
émeutiers : 123 tués (dont 71 civils européens, 21
civils musulmans et 31 membres des forces de l'ordre) et 223 blessés
(dont 51 civils européens, 47 civils musulmans et 125 membres des forces
de l'ordre).
* 804 D'après
Charles-Robert Ageron, « les militaires français
constatèrent que très peu parmi les hors-la-loi, cadres et
réguliers, furent tués [au cours de la
répression] » ; cf. Charles-Robert Ageron,
« L'insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois. De
la résistance armée à la guerre du peuple », in
Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les
Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.38.
* 805 Charles-Robert
Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le
Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du
peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre
d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997, p.32.
Voir aussi Yves Courrière, La guerre d'Algérie - II : Le
Temps des Léopards, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1969,
p.112.
* 806 Charles-Robert
Ageron, « L'insurrection du 20 août 1955 dans le
Nord-Constantinois. De la résistance armée à la guerre du
peuple », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre
d'Algérie et les Algériens, Paris, Armand Colin, 1997,
p.31.
* 807 Ibid, p.45.
* 808 Mouloud Feraoun,
Journal 1955-1962, Paris, Le Seuil, 1963, p.91 ; cité in
Mohand Hamoumou, Archives orales de Français-musulmans ou les
conditions d'une immigration de guerre, rapport à l'attention du
ministère de la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin
1988, p.168-169.
* 809 Pour un rappel
précis du bilan officiel, voir supra la section III-A-1. :
« Le «traître» imaginé ou l'effacement de la
frontière entre opposition et subversion ».
* 810 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.258.
* 811 Ibid, p.243.
* 812 Capitaine Marc-Louis
Leclair, Disparus en Algérie, 3000 Français en
possibilité de survie, Jacques Grancher, 1986. Pour sa part,
l'association Jeune Pied-Noir évoque le chiffre extravagant de 25.000
Européens disparus après le 19 mars 1962. Ce chiffre est à
considérer pour ce qu'il est aux yeux mêmes de ceux qui le
véhiculent : non une estimation, mais un instrument de pression et
de lobbying en direction des pouvoirs publics, des médias et de
l'opinion. L'association Jeune Pied-Noir véhicule également, sans
plus de souci d'exactitude, l'estimation-slogan de 150.000 harkis
massacrés après le 19 mars 1962 (voir supra la section
II-B-2. : « Sur le nombre de musulmans pro-français
massacrés par le FLN »).
* 813 Marwan Abi Samra,
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.31.
* 814 Note de travail du
Ministère de l'Intérieur citée par Marwan Abi Samra,
François-Jérôme Finas, op.cit. p.51.
* 815 Marwan Abi Samra,
François-Jérôme Finas, op.cit., p.4.
* 816 Ibidem.
* 817 Marwan Abi Samra,
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.50.
* 818 Dans le cadre de
cette politique, écrivent Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, « les
Français-musulmans sont l'objet d'une prise en charge totale sur le plan
économique, social et éducatif, et d'une relégation
institutionnelle » (Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.5).
* 819 Erving Goffman,
Asiles, études sur la condition sociale des malades
mentaux, Paris, Minuit, 1968, p.47-48. C'est nous qui
soulignons.
* 820 Ibid, p.54.
* 821 Ibid, p.56.
* 822 Erving Goffman,
Asiles, études sur la condition sociale des malades
mentaux, Paris, Minuit, 1968, p.56.
* 823 Ibid, p.54.
* 824 cf. Jean-Jacques
Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.41.
* 825 Entretien,
Largentière, novembre 1998. Mohamed, recruté à 17 ans dans
les harkas à la suite de l'assassinat de son père et de
l'incendie de sa maison par le FLN, en 1958, est aujourd'hui président
de l'association de harkis de Largentière.
* 826 Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p. 51.
* 827 Cité in
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 828 Entretien,
Largentière, novembre 1998.
* 829 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.33-34.
* 830 Extrait cité
in Marwan Abi Samra et François-Jérôme Finas,
Regroupement et dispersion. Relégation, réseaux et
territoires des Français musulmans, rapport pour la Caisse
Nationale d'Allocations Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987,
p.34.
* 831 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.34-35.
* 832 Dalila
Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.66.
* 833 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.83.
* 834 Cf. Louis Chevalier,
Classes laborieuses, classes dangereuses, Paris, Hachette, 1984.
* 835 Ce système de
certificats d'embauche qui régulait les déplacements des
travailleurs fut institué en 1803 par le Consulat et ne fut
supprimé qu'en 1890.
* 836 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.81.
* 837 Cite par Marwan Abi
Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et
dispersion. Relégation, réseaux et territoires des
Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations
Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.36.
* 838 Ibid, p.63-64. C'est
nous qui soulignons.
* 839 Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.58.
* 840 Fatima
Besnaci-Lancou, Fille de harki : le bouleversant témoignage
d'une enfant de la guerre d'Algérie, Paris, Les éditions de
l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003 (Avec une préface
de Jean Daniel et Jean Lacouture), p.78-79.
* 841 Ibid, p.58-59.
* 842 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.24.
* 843 Dalila Kerchouche,
Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.140.
* 844 Cité par
Philippe Bernard, « De la honte à la rage », Le
Monde, 21 mars 1992, p.8.
* 845 Cité par
Bernard Delattre, « Les harkis, une communauté prise entre
deux feux », La Libre Belgique, article consultable
sur :
www.courrierinternational.fr/mag570/fr.htm#.
* 846 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.59.
* 847 Entretien,
Largentière, novembre 1998. Jean-Claude, 31 ans, est aide-soignant.
* 848 Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, 1999, p.98.
* 849 Le rédacteur
du compte-rendu de la réunion extraordinaire du jeudi 25 avril 1963,
cité in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.103.
* 850 H., 30 ans,
interrogé par Michel Roux, « Bias, Lot-et-Garonne. Le camp des
oubliés », Hommes et migrations, n°1135,
septembre 1990, p.43.
* 851 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.53 et p.71-72.
* 852 Jean-Jacques Jordi et
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, 1999, p.97.
* 853 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.32.
* 854 Dalila Kerchouche,
Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.129.
* 855 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, op.cit., p.11.
* 856 Sur la cité de
Volpilliaire, à Largentière, voir Christine Font-Piquet,
L'engagement des anciens harkis de Largentière auprès de
l'armée française : connaissance et interprétation de
leurs descendants, DEA d'anthropologie, Université de Montpellier
III, 1993. Voir aussi Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis,
une mémoire enfouie, Paris, Éditions Autrement, 1999,
p.98-99.
* 857 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, op.cit., p.16 et p.48-49.
* 858 Cité in Marwan
Abi Samra et François-Jérôme Finas, Regroupement et
dispersion. Relégation, réseaux et territoires des
Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations
Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.50-51.
* 859 Dalila Kerchouche,
Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.52.
* 860 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, op.cit., p.46.
* 861 Patrick Jammes,
interrogé par Dalila Kerchouche, op.cit., p.149. Voir aussi Patrick
Jammes, Médecin des harkis au camp de Bias, 1970-1999,
Sainte-Colombe-de-Villeneuve, Editions de la Motte, 1999.
* 862 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, op.cit., p.77.
* 863 Témoignage
recueilli par Philippe Bernard, « De la honte à la
rage », Le Monde, 21 mars 1992, p.8.
* 864 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.17.
* 865 Dalila Kerchouche,
op.cit., p129.
* 866 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.77-78.
* 867 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion. Le
rapport des Français musulmans à l'espace
résidentiel, Lyon, ARIESE, 1985 ; repris in Dalila Kerchouche,
op.cit., p.172-173.
* 868 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.17.
* 869 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.70.
* 870 Extrait cité
in Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, op.cit., p.99.
* 871 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, op.cit, p.45.
* 872 Jean-Jacques Jordi,
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, n°112, février 1999, p.105-106.
* 873 Stéphane
Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un
exil, Paris, Autrement, 2003.
* 874 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.14.
* 875 Ibid, p.18.
* 876 Cité in Dalila
Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.154.
* 877 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987,, p.106.
* 878 Ibid, p.102.
* 879 André Wormser,
« En quête d'une patrie. Les Français-Musulmans et leur
destin », Les Temps Modernes, n°452-453-454,
mars-avril-mai 1984, p.1851-1852. C'est nous qui soulignons
* 880 Catherine Wihtol de
Wenden, « L'école et la formation », Hommes et
migration, n°1135, septembre 1990, p.50.
* 881 Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, «
France-Algérie : les blessures de l'histoire », n°
161, mai 1990, p.39.
* 882 A. Souida,
« Roubaix, les «RONA» dans la Cité »,
Hommes et migration, n°1135, septembre 1990, p.62. C'est
nous qui soulignons.
* 883 Halima Belhandouz,
Claude Carpentier, « Une construction socio-historique du
"décrochage" scolaire - Le cas des Français musulmans du quartier
nord d'Amiens », VEI enjeux, n°122, Centre National de
Documentation Pédagogique, septembre 2000.
* 884 Saliha Abdellatif,
Enquête sur la condition familiale des Français musulmans en
Picardie, Thèse de troisième cycle, EHESS, Paris VII,
1981.
* 885 Halima Belhandouz,
Claude Carpentier, « Une construction socio-historique du
"décrochage" scolaire - Le cas des Français musulmans du quartier
nord d'Amiens », VEI enjeux, n°122, Centre National de
Documentation Pédagogique, septembre 2000.
* 886 Catherine Wihtol de
Wenden, « L'école et la formation », Hommes et
migration, n°1135, septembre 1990, p.50.
* 887 Discours reproduit
sur le site de l'Elysée :
www.elysee.fr.
* 888
Valérie-Barbara Rosoux, « Les usages de la
mémoire dans les relations internationales »,
communication donnée dans le cadre de la journée
thématique « Stratégies de la
mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de
Grenoble.
* 889 Cf. Raymond Boudon,
Raison, bonnes raisons. La rationalité : notion indispensable
et insaisissable ?, Paris, PUF, 2003.
* 890 Le drame des
harkis en 1962, allocution donnée à l'occasion de la
« Rencontre Histoire et Mémoire-Les Harkis,
1954-62 », rencontre organisée à Paris, au Pavillon
Gabriel, le dimanche 7 mars 1999. C'est nous qui soulignons.
* 891 Jean Monneret, La
phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, 2001,
p.322.
* 892 Ibidem.
* 893 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.313.
* 894 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée dans le cadre de
l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ;
intervention en écoute sur le site du Monde à cette
adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 895 Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990, p.25.
* 896 Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990, p.43-44.
* 897 cf. Jacques
Sémelin, « Penser les massacres »,
R.I.P.C., vol. 7, n°3, 8 février 2001, p.14.
* 898 Jean Baudrillard,
« Paysage sublunaire et atonal », entretien avec Jean
Baudrillard in Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et
l'oubli, Paris, Autrement, 1991.
* 899 « La
bataille de l'écrit », La Nef,
« Numéro spécial : Histoire de la Guerre
d'Algérie, suivie d'une histoire de l'O.A.S. », Paris,
Julliard, n°12-13, octobre 1962-janvier 1963.
* 900 Il est bien
évident, cependant, que les travaux historiques ne sont pas
eux-mêmes vierges de tout positionnement d'ordre politique et que les
visions et principes de division du monde dont ils sont porteurs peuvent, en
outre, avoir un impact et faire l'objet d'usages proprement politiques. Dans
cette mesure (mais dans cette mesure seulement), ils intéressent
directement l'optique qui est ici la nôtre.
* 901 Béatrice
Pouligny, « Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding.
Une approche transdisciplinaire », compte-rendu de la réunion
de travail du groupe de recherche du CERI du 8 février 2001, p.16.
* 902 Ibid, p.17.
* 903 A cet égard,
voir notamment Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli,
Paris, Seuil, 2000.
* 904 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.200.
* 905 Jürgen Habermas
[1962], L'espace public. Archéologie de la publicité comme
dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris,
Payot, 1997.
* 906 Ahmed Rouadjia,
« L'Etat algérien et le problème du droit »,
Politique étrangère, IFRI, été 1995, p.3.
* 907 Groupe de recherche
« Faire la paix : du crime de masse au peacebuilding. Une
approche transdisciplinaire », compte-rendu de la réunion du 3
avril 2001 : « Histoires et mémoires des crimes de
masse », p.9.
* 908 Le Monde, 29
novembre 1995, p.16. Voir aussi, Lahouari Addi, L'Algérie et la
démocratie. Pouvoir et crise politique dans l'Algérie
contemporaine, Paris, La Découverte, 1994.
* 909 Pour Hocine
Aït-Ahmed, l'un des chefs historiques de la Révolution, tôt
mis à l'écart pour avoir contesté le principe du parti
unique et être entré en rébellion en Kabylie sous
l'égide du Front des forces socialistes (ce qui lui vaudra de
connaître l'emprisonnement puis un long exil en Suisse de 1966 à
1989), « le pouvoir actuel, en Algérie, se sert encore de ce
passé [colonial] comme une excuse. Faute de légitimité
politique, il cherche des faux-fuyants. Alors que tout ce qui nous arrive
maintenant est entièrement de leur faute. » Propos recueillis
par Thierry Leclère, Télérama du 8 août
1990 ; cf.
http://www.geocities.com/hocine_ait_ahmed/Telerama1990.html.
* 910 Mohamed Benrabah,
« Bouteflika arrachera-t-il l'Algérie à son
enfermement ? », Libération, lundi 13 septembre
1999, p. 6. Voir aussi Mohamed Benrabah, Langue et pouvoir en
Algérie. Histoire d'un traumatisme linguistique, Paris, Editions
Séguier, 1999.
* 911 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.282-283.
* 912 Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.9.
* 913 Abderrahmane
Moussaoui, « De la violence au djihad », Histoire des
Sciences Sociales, n°6, novembre-décembre 1994,
p.1315-1333.
* 914 Benjamin Stora,
« Algérie : absence et surabondance de
mémoire », Esprit, n°208, janvier 1995, p.67.
* 915 La Croix du
2 septembre 1997. Voir aussi Arabisation et politique linguistique
au Maghreb, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983.
* 916 Fouad Soufi,
« Pratiques historiographiques et mythes de fondation. Le cas de la
Guerre de libération à travers les institutions
d'éducation et de recherche algériennes » in Charles
Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les Algériens,
1954-1962, Paris, Armand Colin, 1997, p.305-322.
* 917 Guy Pervillé,
« Histoire de l'Algérie et mythes politiques algériens
: du «parti de la France» aux «anciens et nouveaux
harkis» », in Ageron (Charles-Robert), La guerre
d'Algérie et les algériens (1954-1962), Paris, Armand
Colin/Masson, 1997, p.327.
* 918 A cet égard,
Mohammed Harbi estimait en 1994 que « l'intention à peine
cachée d'une telle réforme [NDA : l'institution du
multipartisme] était de passer d'un système de monopartisme
à un système de parti dominant. (...) La caste au pouvoir - sous
les contraintes de la réalité - mimait le changement pour
maintenir inchangée la situation » (Mohammed Harbi,
« La tragédie d'une démocratie sans
démocrates », Le Monde, 13 avril 1994).
* 919 A cet égard,
Guy Pervillé rappelle que, déjà, au moment de la guerre
d'Algérie, l'insurrection du FLN « se présentait comme
la «Résistance algérienne» à l'agression
française, par une identification implicite à la
Résistance française contre l'occupation
allemande »920. Cet amalgame avec la période de
l'Occupation avait pour principal intérêt de proposer des clefs de
lecture pré-formatées des événements en cours,
à forte portée légitimante pour soi et
délégitimante pour ses adversaires, l'équation
« moudjahidin = résistants » n'allant pas sans
l'équation complémentaire « harkis =
collabos ». Il était encouragé, en métropole,
par certains courants d'opinion particulièrement actifs dans leur
opposition à la guerre d'Algérie (et, pour certains, dans leur
soutien direct au FLN) qui, pour réfuter l'accusation de
« trahison » qui leur était accolée,
s'étaient eux-mêmes identifiés à une nouvelle
« résistance ». Ainsi en allait-il du réseau
de soutien au FLN constitué autour de Jean-Louis Hurst et Alain Krivine
notamment, qui s'était précisément baptisé
« Jeune Résistance ». Dans ce cas comme dans celui
de la propagande du FLN, l'amalgame avec la période de l'Occupation en
France participait d'une rhétorique d'"habillage" des luttes
engagées, laissant "hors-champ" d'autres références et
motivations idéologiques, a priori moins consensuelles (voir
infra le chapitre III de la Partie 2 : « La figure du
harki dans la geste intellectualiste de la guerre
d'Algérie »).
* 921 A ce sujet, voir Luis
Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala,
1998.
* 922 Cf. Badreddine Khris,
« Privatisations-concessions : les détails du projet de
loi », Liberté, 27 novembre 2002.
* 923 Mohamed Kara, Les
Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et des
enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, 118-119.
* 924 John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.83.
* 925 Ibid, p.76.
* 926 Andreï Melvil
souligne que « l'escalade de la psychologie de l'hostilité a
sa logique particulière qui mène à une totale
déshumanisation de l'image de l'ennemi, qui se voit privé du
moindre trait humain, de toute figure humaine. C'est pourquoi l'«ennemi
absolu» est pratiquement impersonnel, il est une abstraction :
«le complot judéo-maçonnique international», «le
gouvernement communiste mondial», «l'impérialisme
mondial», etc. (Andreï Melvil, « Image de
l'ennemi », in Y. Afanassiev, M. Ferro, 50 idées qui
ébranlent le monde : dictionnaire de la Glasnost, Paris,
Payot, 1990, p.32).
* 927 Benjamin Stora,
« Aux bancs de l'histoire officielle. 1954-2004 : les
Algériens face à leur guerre d'indépendance »,
Libération, p.34.
* 928 Repris in Benjamin
Stora, La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.200-201.
* 929 Extrait de
l'intervention de Mohand Hamoumou, intitulée « Histoire des
Harkis : la fin d'un tabou ? », dans le cadre du colloque
« La guerre d'Algérie dans la mémoire et
l'imaginaire » organisé sur le campus de Jussieu, à
Paris, les 14 et 15 novembre 2002. C'est nous qui soulignons. De formation
historienne, Mohand Hamoumou, lui-même fils de harki, est
spécialiste de cette question.
* 930 Hassan Remaoun,
« Pratiques historiographiques et mythes de fondation : le cas
de la Guerre de libération à travers les institutions
algériennes d'éducation et de recherche », in
Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les
Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin/Institut d'histoire du
temps présent (CNRS), 1997, p.310 à 312.
* 931 Ibid, p.312-313. Du
même auteur : Gilles Manceron et Hassan Remaoun, D'une rive
à l'autre. La guerre d'Algérie, de la mémoire à
l'histoire, Paris, Syros, 1993. Voir aussi, à ce sujet : Fouad
Soufi, « La fabrication d'une mémoire : les médias
algériens (1963-1995) et la guerre d'Algérie », in
Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre d'Algérie et les
Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin/Institut d'histoire du
temps présent (CNRS), 1997, p.289-303. Guy Pervillé, qui souligne
lui aussi que « les recherches des historiens algériens,
à cause de l'importance de leurs implications politiques, sont
placés sous la double surveillance du gouvernement et de l'Association
nationale des Anciens Moudjahidine », rappelle à cet
égard que les participants algériens et étrangers au
premier colloque international d'histoire organisé à Alger en
1984 (colloque dont l'objet était le « Retentissement de
la Révolution algérienne ») furent expressément
invités par les autorités algériennes « à
témoigner sans réticence que la Révolution
algérienne avait été «un combat exemplaire pour tous
les hommes libres» ; mais un historien algérien qui voulait
parler du terrorisme fut interrompu » (Guy Pervillé, Pour
une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.276).
Plus récemment, « un deuxième colloque sur Messali Hadj
[un premier avait été autorisé à Tlemcen]
projeté à Batna par un universitaire, ancien moudjahid, a
été bloqué par une plainte de l'Association des Anciens
Moudjahidine pour atteinte aux symboles de la Révolution »
(Ibid, p. 277-278).
* 932 Benjamin Stora,
« Repères sur l'historiographie algérienne de la
guerre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb
contemporain, actes de la DESCO, université d'été,
Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de
Versailles, octobre 2001.
* 933 Son premier ouvrage,
Aux origines du FLN, sera longtemps interdit en Algérie.
* 934 El Watan du
17 mai 2001 ; article consultable à cette adresse :
http://www.harkis.com/presse%202001%20tr2.htm.
* 935 Benjamin Stora,
« Repères sur l'historiographie algérienne de la
guerre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb
contemporain, actes de la DESCO, université d'été,
Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de
Versailles, octobre 2001. C'est nous qui soulignons.
* 936 Entretien
accordé à El Watan, jeudi 15 septembre 2005.
* 937 Benjamin Stora,
« Repères sur l'historiographie algérienne de la
guerre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb
contemporain, actes de la DESCO, université d'été,
Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de
Versailles, octobre 2001.
* 938 Bouba Mohammedi
Tabti, Espace algérien et réalisme romanesque des
années 80, Thèse de Doctorat d'Etat, Département des
lettres et langues, Université d'Alger, 2001.
* 939 Ibid, p.70-71.
* 940 Ibid, p.92.
* 941 Ibid, p.231,232 et
255.
* 942 Norbert Elias, John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.
* 943 John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, p.83.
* 944 Pour un compte-rendu
critique de l'interprétation "schmittienne" de la figure de
l' « ennemi intérieur », la situant sur le
point d'indétermination de la distinction entre ennemis
« privé » (inimicus) et
« politique » (hostis), voir John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.75 à 98.
Voir aussi Carl Schmitt, La notion de politique/Théorie du
partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
* 945 Benedict Anderson
[1983], L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et
l'essor du nationalisme, Paris, Éditions La Découverte,
1996.
* 946 Voir à ce
sujet : Henry Rousso [1987], Le syndrome de Vichy de 1944 à nos
jours, Paris, Seuil, 1990 ; et Vichy, un passé qui ne
passe pas, avec Eric Conan, Paris, Fayard, 1994.
* 947 Karl Popper, La
société ouverte et ses ennemis, 2 vol., Paris, Seuil,
1979.
* 948 Nous n'avons certes
pas les moyens empiriques d'être définitif sur le statut du harki
dans les représentations des gens ordinaires en Algérie. Il
faudrait, pour ce faire, que soient réunies les conditions sociales et
politiques (tant en termes de pacification des esprits que de garantie des
libertés publiques) hors lesquelles toute recherche de terrain
(notamment sous la forme d'entretiens approfondis menés auprès
d'un échantillon un tant soit peu représentatif de la population
algérienne) se heurterait à des entraves matérielles et
symboliques rédhibitoires. Cependant, l'hypothèse de la fonction
« conjuratoire » de la figure du harki dans l'ordinaire des
prises de position se fonde sur un faisceau d'indices redevables tant des
conversations informelles que nous avons pu mener avec des personnes issues de
l'immigration algérienne que de la campagne d'entretiens approfondis que
nous avons menés en France auprès de plusieurs dizaines de fils
et filles de harkis. Ceux-ci, évoquant la nature de leurs interactions
quotidiennes avec certains enfants d'immigrés algériens
préalablement informés de leur appartenance à la
communauté harkie, nous ont fait part des tensions (voire des
altercations) que ce type de face-à-face était susceptible de
provoquer. La stigmatisation des enfants de harkis par certains jeunes
« beurs » peut être interprétée comme
une tentative de retournement du stigmate et de réappropriation
symbolique du roman familial. L'algérianité originelle et la
trajectoire dessinée par la migration socio-économique des
parents, ordinairement vécues comme des facteurs de fragilisation
identitaire, peuvent être extra-ordinairement valorisées par
contraste avec la situation des anciens harkis et de leurs enfants,
censés avoir trahi leurs origines pour se faire une place dans la
société d'accueil. D'autre part, plusieurs des enfants de harkis
que nous avons interrogés nous ont fait part de la prégnance de
l'acception générique du terme harki (usitée pour fustiger
les personnes dont le comportement est censé attenter aux
intérêts de la collectivité) dans le vocabulaire routinier
des Algériens de France et d'Algérie. Alors qu'elle visionnait,
via le satellite, un programme sportif retransmis par la
télévision algérienne, la fille d'un ancien
supplétif de l'armée française fut ainsi stupéfaite
d'entendre le commentateur qualifier de « harki » un
footballeur qui avait marqué contre son camp. Il est vrai que le
contexte, dans le bled comme dans certaines cités, se prête moins
à l'interrogation des faits qu'à leur "conjuration" : ces
formes routinières de stigmatisation s'apparentent d'ailleurs davantage
à des mécanismes conventionnels de "réassurance
identitaire" (se "re-définir" par contraste avec l'autre) qu'à
des définitions raisonnées de la situation des
intéressés. Et, à ce titre, elles ne présagent en
rien de ce que pensent en leur for intérieur les Algériens de
France et d'Algérie (A cet égard, voir ci-dessous la section I-B
de la Partie 2 : « Le harki retrouvé ? Les chemins
de traverse de la mémoire collective »).
* 949 Voir la section III.A
de la Partie 1 : « L'invocation autoritaire de l'Un ou la
prétention du FLN à assurer l'exclusivité de la
représentation des aspirations de la population
algérienne ».
* 950 Omar Carlier,
Entre nation et djihad. Histoire sociale des radicalismes
algériens, Paris, Presses de la FNSP, 1995.
* 951 Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.297. C'est nous
qui soulignons.
* 952 Cité in Luis
Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998,
p.299-300. C'est nous qui soulignons.
* 953 Ibid, p.23.
* 954 Ibid, p.31. De
même, Ahmed Rouadjia souligne que le « goût du secret,
cultivé [par l'armée], depuis la guerre d'indépendance,
tient beaucoup moins à la volonté de protéger le secret
d'Etat contre quelque visée extérieure que ce soit qu'au
désir de préserver à tout prix les intérêts
et le monopole de la caste militaire que menacent des compétiteurs
locaux, nombreux et revanchards » (Ahmed Rouadjia, « L'Etat
algérien et le problème du droit », Politique
étrangère, IFRI, été 1995, p.35). De
manière plus générale, Andreï Melvil note que
« l'image de l'ennemi » et « l'hystérie
autour de la menace extérieure » sont utilisées
« pour justifier la politique du secret et du soupçon
généralisé, pour susciter la «mobilisation» de
la société, une unité nationale fallacieuse, la
«chasse aux sorcières», la répression de la dissidence,
et pour détourner l'attention des problèmes
intérieurs » (Andreï Melvil, « Image de
l'ennemi », in Y. Afanassiev, M. Ferro, 50 idées qui
ébranlent le monde : dictionnaire de la Glasnost, Paris,
Payot, 1990, p.33).
* 955 Dans la droite ligne
de la Loi sur la concorde civile, la Charte pour la paix et la
réconciliation nationale adoptée par référendum le
29 septembre 2005 « [interdit] aux responsables de cette
instrumentalisation de la Religion, toute possibilité d'exercice d'une
activité politique et ce, sous quelque couverture que ce
soit. » ; cf. le texte de la Charte est consultable à
cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/chartereconciliation.htm.
* 956 La Charte pour la
paix et la réconciliation nationale (adoptée le 29 septembre
2005), soucieuse de minimiser au maximum la responsabilité de l'Etat,
présente le dossier des disparus en ces termes : « Le
Peuple algérien rappelle que le dossier des disparus retient l'attention
de l'Etat depuis une décennie déjà et fait l'objet d'une
attention particulière en vue de son traitement approprié. Il
rappelle également que le drame des personnes disparues est l'une des
conséquences du fléau du terrorisme qui s'est abattu sur
l'Algérie. Il affirme aussi que dans de nombreux cas, ces disparitions
sont une conséquence de l'activité criminelle de terroristes
sanguinaires qui se sont arrogés le droit de vie ou de mort sur toute
personne, qu'elle soit algérienne ou étrangère. Le Peuple
algérien souverain rejette toute allégation visant à faire
endosser par l'Etat la responsabilité d'un phénomène
délibéré de disparition. Il considère que les actes
répréhensibles d'agents de l'Etat, qui ont été
sanctionnés par la Justice chaque fois qu'ils ont été
établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le
discrédit sur l'ensemble des forces de l'ordre qui ont accompli leur
devoir, avec l'appui des citoyens, et au service de la Patrie ».
* 957 Voir Habib
Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier
des forces spéciales de l'armée algérienne, Paris, La
Découverte, 2001. Dans un discours prononcé le 14 août
2005, peu avant la tenue du référendum sur le projet de Charte
pour la paix et la réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika,
soucieux de faire fi de telles accusations, a une nouvelle fois clairement
pointé la "main de l'étranger" :
« L'Algérie, qui a toujours démontré sa
solidarité avec les autres peuples, et qui demeure
déterminée à soutenir les causes nobles et justes dans le
monde, a découvert dans l'épreuve cruelle qu'elle vient de vivre,
qu'elle ne devait compter que sur elle-même et sur ses propres moyens.
Dans sa très grande majorité, le monde a assisté sans
réaction et souvent même sans compassion, au martyr de notre
peuple face à l'hydre du terrorisme que nous combattions et que nous
dénoncions déjà comme un fléau qui ignore les
frontières. Ce silence s'est trop souvent paré hypocritement des
vertus de la démocratie et des droits de l'homme. Des voix ont
même poussé l'indécence jusqu'à s'interroger sur
« qui tue qui » en Algérie. Sans haine et sans
rancoeur, nous ne devons pas oublier cela, surtout lorsqu'il s'agit de
consolider notre propre avenir national. » (le texte du discours est
consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/d140805.htm.
* 958 Mohamed Benrabah,
« Le désespoir algérien »,
Libération, 2 mai 2001.
* 959 « L'heure
de la vérité », interview de Mohammed Harbi et Benjamin
Stora par Agathe Logeart et Claude Weill, in Le Nouvel Observateur,
n°2085, du 21 au 27 octobre 2004, p. 42-44.
* 960 Benjamin Stora,
« L'Algérie d'une guerre à l'autre »,
Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes
de la DESCO, université d'été, Ministère de
l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001,
p.64.
* 961 Ibid, p.60.
* 962 Ibid, p.62.
* 963 Ibid, p.58.
* 964 Guy Pervillé,
« La «première» et la «deuxième guerre
d'Algérie» : similitudes et différences »,
communication présentée à la journée d'étude
sur « France-Algérie : mémoire et
oublis », organisée à l'Institut für Romanische
Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de
Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de
Guy Pervillé à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.
* 965 Ibid.
* 966 Mohammed Harbi,
L'Algérie et son destin, croyants ou citoyens, Paris,
Arcantère, 1993, p.155.
* 967 Interview à
L'Unité ; cité in Guy Pervillé, Pour une
histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.293.
* 968 Benjamin Stora,
« L'Algérie d'une guerre à l'autre »,
Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes
de la DESCO, université d'été, Ministère de
l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001,
p.60.
* 969 Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.320-321.
* 970 Guy Pervillé,
« La «première» et la «deuxième guerre
d'Algérie» : similitudes et différences »,
communication présentée à la journée d'étude
sur « France-Algérie : mémoire et
oublis », organisée à l'Institut für Romanische
Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de
Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de
Guy Pervillé à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.
* 971 Discours de Hocine
Aït-Ahmed, salle Harcha, Alger, 4 février 1999 ; texte
consultable à cette adresse :
http://www.algeria-watch.org/farticle/presid/presid2.htm.
* 972 Cf. Si Othmane,
L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions,
1996 (voir infra).
* 973 Guy Pervillé,
« Histoire de l'Algérie et mythes politiques
algériens : du «parti de la France» aux «anciens et
nouveaux harkis» », in Charles-Robert Ageron (dir.), La
guerre d'Algérie et les Algériens (1954-1962), Paris Armand
Colin, 1997, p.323 à 331.
* 974 Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.278.
* 975 Guy Pervillé,
« La «première» et la «deuxième guerre
d'Algérie» : similitudes et différences »,
communication présentée à la journée d'étude
sur « France-Algérie : mémoire et
oublis », organisée à l'Institut für Romanische
Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de
Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de
Guy Pervillé à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.
* 976 Abderrahmane
Méziane-Chérif, ministre algérien de l'Intérieur,
cité par El Watan du 1er novembre 1994.
* 977 Passage cité
in Kara (Mohamed), Les Tentations du repli communautaire. Le cas des
Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan,
1997, p.119.
* 978 D'après
Emmanuelle Gilles, Les évènements de l'été
1991 : un début de règlement de la question harkie ou la
poursuite de l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003,
p.89.
* 979 D'après Luis
Martinez, La guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998,
p.164.
* 980 Cité in
Benjamin Stora, « L'Algérie d'une guerre à
l'autre », Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb
contemporain, actes de la DESCO, université d'été,
Ministère de l'Education nationale-CRDP de l'Académie de
Versailles, octobre 2001.
* 981
« Algérie : les grands cimeterres sous la
lune », entretien conduit par Amir Taheri auprès d'un officier
algérien de haut rang sous couvert d'anonymat, Politique
internationale, printemps 1998.
* 982 cité in El
Watan du 15 novembre 1995.
* 983 Guy Pervillé,
« La «première» et la «deuxième guerre
d'Algérie» : similitudes et différences »,
communication présentée à la journée d'étude
sur « France-Algérie : mémoire et
oublis », organisée à l'Institut für Romanische
Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de
Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de
Guy Pervillé à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.
* 984 Extrait d'un recueil
de lettres de l'AIS-FIS, intitulé : Mots de
vérité à ceux qui se sentent concernés,
rédigées par l'instance exécutive du FIS à
l'étranger, avril 1995 ; cité par Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.307.
* 985 Benjamin Stora,
« L'Algérie d'une guerre à l'autre »,
Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes
de la DESCO, université d'été, Ministère de
l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.
* 986 Extrait d'un recueil
de lettres de l'AIS-FIS, intitulé : Mots de
vérité à ceux qui se sentent concernés,
rédigées par l'instance exécutive du FIS à
l'étranger, avril 1995, p.9 ; cité par Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.140.
* 987 Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.318. C'est nous
qui soulignons.
* 988 Extrait d'un recueil
de lettres de l'AIS-FIS, intitulé : Mots de
vérité à ceux qui se sentent concernés,
rédigées par l'instance exécutive du FIS à
l'étranger, avril 1995 ; cité par Luis Martinez, La
guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998, p.332.
* 989 Si Othmane,
L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions,
1996.
* 990 Si Othmane,
L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions,
1996, p.24-25.
* 991 Service de formation
de la jeunesse algérienne, structure encadrante mise en place par
l'armée en Algérie à partir du 1er
décembre 1958, et visant, selon le général de Segonzac
(qui la dirigea), à « donner une éducation à la
fraction de la jeunesse musulmane qui lui [était] confiée, en vue
de lui permettre de devenir maîtresse de son destin dans un cadre
français » (cité in Maurice Faivre,
« L'action de l'armée en faveur des jeunes et des femmes en
Algérie », Le Casoar, n°167 ; article
consultable à cette adresse :
http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=106&SID=281eb98ebadf5de25cd2db692c7bb8c9)
* 992 Si Othmane,
L'Algérie, l'origine de la crise, Paris, Dialogues Editions,
1996, p.26.
* 993 Ibid, p.28. Plus
loin, encore : « Ce livre tente aussi de répondre
à une question que tous les Algériens se posent : qu'est-ce
que Hizb França (le parti de la France) ?Comment s'est-il
formé ? Quel est le nombre de ses adhérents ? (...) Le
Hizb França est devenu comme un fantôme dont tous les
Algériens ressentent les méfaits, mais dont personne n'a pu
saisir la réalité » (Ibid, p.30-31).
* 994 Benyoucef Ben Khedda,
L'Algérie à l'indépendance : la crise de
1962, Alger, Dahlab, 1997, p.48-49 ; cité in Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
p.279.
* 995 Benyoucef Ben Khedda,
L'Algérie à l'indépendance : la crise de
1962, Alger, Dahlab, 1997 ; cité in Benjamin Stora,
« L'Algérie d'une guerre à l'autre »,
Enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain, actes
de la DESCO, université d'été, Ministère de
l'Education nationale-CRDP de l'Académie de Versailles, octobre 2001.
* 996 Communiqué du mardi 11 janvier 2000 :
http://www.anp.org.
* 997 « Le serment » du M.A.O.L. ; ce
texte, ainsi que ceux dont sont extraits les citations à suivre, est
consultable dans son intégralité sur le site Internet du
M.A.O.L. : http://www.anp.org.
* 998 « Le nouvel appel du 1er
novembre » : http://www.anp.org.
* 999 « Au peuple
algérien : ici commence la vérité » :
http://www.anp.org.
* 1000 « L'Armée Nationale Populaire :
Vérités » : http://www.anp.org.
* 1001 « Au
peuple algérien : ici commence la
vérité » : http://www.anp.org.
* 1002 Habib Souaïdia,
La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces
spéciales de l'armée algérienne, Paris, La
Découverte, 2001, p.325.
* 1003 Ibid, p.326.
* 1004 Jaquette de
présentation du journal consultable en ligne à cette
adresse :
http://www.horizons-dz.com/Services/qui%20somme%20nous.htm.
* 1005
Dépêche APS du 25 février 2002.
* 1006 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.280.
* 1007 Comme cela a pu
être le cas en février 1989, suite à l'adoption d'une
Constitution rompant - au moins formellement - avec le système de parti
unique.
* 1008 Nous l'avons vu,
c'est au nom de ces antiennes du « parti de la France » et
de « la main de l'étranger » que le colonel Amar
Benaouda, l'un des 22 chefs historiques de la Révolution, justifiera la
répression des émeutes d'octobre 1988. Selon Guy Pervillé,
le colonel Amar Benaouda « accusa la France d'avoir provoqué
les émeutes d'octobre 1988 à Alger pour punir le président
Chadli d'avoir ordonné la fermeture aux élèves
algériens des lycées de la mission culturelle française,
en infiltrant parmi les jeunes manifestants des «éléments
traîtres» qui auraient crié « Vive la
France » et brûlé des drapeaux
algériens » (Guy Pervillé, « Histoire de
l'Algérie et mythes politiques algériens : du "parti de la
France" aux "anciens et nouveaux harkis" », in Ageron (C.-R.), dir.,
La guerre d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris,
Armand Colin / Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997,
p.325).
* 1009 Propos cités
in Le Monde du 14 octobre 1994 et repris in Guy Pervillé,
Pour une histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.279.
* 1010 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée dans le cadre de
l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ;
intervention en écoute sur le site du Monde à cette
adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 1011 Propos cités
sur
www.tamurt-imazighen.com.
* 1012 Ibid.
* 1013 Ibid.
* 1014 Intervention
donnée dans le cadre du colloque « La guerre d'Algérie
dans la mémoire et l'imaginaire », qui s'est tenu les jeudi 14
et vendredi 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu. Les actes du colloque
sont parus aux Editions Bouchene ; cf. Lucette Valensi et Annie Dayan,
La guerre d'Algérie dans la mémoire et l'imaginaire,
Saint-Denis, Editions Bouchene, 2004.
* 1015 Propos
rapportés par El Watan du 20 mars 2000 et repris sur
www.pourinfo.ouvaton.org/actualites/nezzar/nezzarkafiwatan.htm.
* 1016 Ahmed Rouadjia,
« L'Etat algérien et le problème du droit »,
Politique étrangère, IFRI, été 1995, p.355.
* 1017 Intervention des
colonels Amar Benaouda, Salah Boubnider et Lamine Khane, rapportée in
Guy Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes
politiques algériens : du "parti de la France" aux "anciens et
nouveaux harkis" », in Ageron (C.-R.), dir., La guerre
d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin /
Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p.324-325.
* 1018 AFP, 7
avril 2004.
* 1019 A. Djabali,
« Election à la chambre de commerce - Une candidature
controversée », El Watan, édition du 9 janvier
2006. C'est nous qui soulignons.
* 1020 Luis Martinez,
op.cit., p.330.
* 1021 Guy
Pervillé, « La «première» et la
«deuxième guerre d'Algérie» : similitudes et
différences », communication présentée à
la journée d'étude sur « France-Algérie :
mémoire et oublis », organisée à l'Institut
für Romanische Sprachen und Literaturen de l'Université
Johan-Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article
consultable sur le site de Guy Pervillé à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.
* 1022 Constitution de
1996 (modifiant la Constitution de 1989) ; texte consultable en
intégralité à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/constitutions/constitution1996.htm.
* 1023 Propos
rapportés dans Le Monde du 2 décembre 2000.
* 1024 « Lettre
ouverte à des ministres français hôtes de
l'Algérie », en date du 13 juillet 2004.
* 1025 Et ce d'autant
plus, nous l'avons vu, que la figure du "harki" a valeur de
contre-étalon symbolique à la fois pour les tenants du
système et pour ceux qui aspirent à les renverser.
* 1026
Valérie-Barbara Rosoux, « Les usages de la
mémoire dans les relations internationales »,
communication donnée dans le cadre de la journée
thématique « Stratégies de la
mémoire », le jeudi 26 avril 2001 à l'IEP de
Grenoble.
* 1027 Jean Leca,
« Récits et contre-récits de
représentations politiques, sociales et religieuses au
Moyen-Orient », intervention faite le 18 mars 2002 dans le cadre d'un
colloque organisé par la Fondation pour la Recherche
Stratégique ; le texte de l'intervention est consultable à
cette adresse :
http://64.233.183.104/search?q=cache:DVRc-xwiVG4J:www.frstrategie.org/barreFRS/publications_colloques/colloques/20020318/20020318.doc+%22h%C3%A9g%C3%A9monie+fantomatique+fran%C3%A7aise%22&hl=fr&gl=fr&ct=clnk&cd=1&ie=UTF-8.
* 1028 Résultats
publiés dans Le Monde du 30 octobre 2004 et
rapportés par Guy Pervillé in « La
«première» et la «deuxième guerre
d'Algérie» : similitudes et différences »,
communication présentée à la journée d'étude
sur « France-Algérie : mémoire et
oublis », organisée à l'Institut für Romanische
Sprachen und Literaturen de l'Université Johan-Wolfgang Goethe de
Francfort-sur-le Main, le 14 mai 2004 ; article consultable sur le site de
Guy Pervillé à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=55#nh13.
* 1029 Nacéra
Aggoun, « L'opinion publique algérienne du Chélif
algérois à la veille de l'insurrection de 1954 par les sources
orales, ou la version des colonisés », in Régine
Goutalier (dir.), Mémoires de la décolonisation. Relations
colonisateurs-colonisés, l'Harmattan, 1995.
* 1030 Guy
Pervillé, « Le nationalisme algérien en
question » in Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.292-296.
* 1031 Ali Zamoum, Le
pays des hommes libres, Tamurt Imazighen. Mémoires d'un combattant
algérien, 1940-1962, Grenoble, La pensée sauvage, 1998,
p.301-302 ; propos rapportés par Guy Pervillé, Pour une
histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.294.
* 1032 Témoignage
cité in Hacène Belmessous, Algérie,
généalogie d'une fatalité. Des réfugiés se
racontent, Editions Paris-Méditerranée, 1998, p.85.
* 1033
« L'Algérie de Bouteflika », 2ème
article, Le Monde du 15 septembre 1999.
* 1034
« L'Algérie de Bouteflika », 3ème
article, Le Monde du 16 septembre 1999.
* 1035
« L'héritage français s'effiloche en
Algérie », Le Figaro du 13 juin 2006.
* 1036 Lahouari Addi,
« Réflexion politique sur la tragédie
algérienne », Confluences Méditerranée,
n°20, hiver 1996-1997, p.47.
* 1037 Arezki Ait-Larbi,
Le Figaro du 29 juin 2006.
* 1038 Boualem Sansal,
Le serment des barbares, Paris, Gallimard, 1999.
* 1039 Boualem Sansal,
Poste restante : Alger, Paris, Gallimard, 2006.
* 1040 cf. « La
mémoire et l'histoire », table ronde animée par Henry
Rousso, directeur de l'institut d'histoire du temps présent (CNRS), dans
le cadre de l'université d'été « Apprendre et
enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain »,
organisée le 24 avril 2002 par le Ministère de
l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la
Recherche ; actes consultables à cette adresse :
http://eduscol.education.fr/D0033/algerie_actetbronde.pdf.
* 1041 Guy
Pervillé, op.cit., p.270.
* 1042 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.207.
* 1043 Marc Ferro
cité in Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre
d'Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L'Harmattan, 1995,
p.232.
* 1044 Guy
Pervillé, op.cit., p.273.
* 1045 L'expression
« opérations de maintien de l'ordre » n'a
été officiellement remplacée par le terme
« guerre » qu'à la faveur de la loi du 18 octobre
1999, plus de trente-sept ans après la fin de la guerre
d'Algérie, et quarante cinq ans après son entame.
* 1046 Ce n'est que le 18
septembre 2003 qu'a été instituée, par décret, une
« Journée nationale d'hommage aux morts pour la France pendant
la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la
Tunisie ». Cette Journée nationale d'hommage a finalement
été fixée au 5 décembre de chaque année,
à la suite d'une longue polémique autour de la date du 19 mars,
initialement pressentie sous le gouvernement Jospin (voir la Partie 4). La date
du 5 décembre correspond à celle de l'inauguration par Jacques
Chirac en 2002 du Mémorial national, Quai Branly, à Paris,
à la mémoire des soldats français (dont les
supplétifs musulmans) tués en Algérie, au Maroc et en
Tunisie de 1952 à 1962. Ce choix d'une date neutre est un choix
délibéré, qui participe d'un souci d'apaisement.
* 1047 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.270 et 273.
* 1048 « La
plupart des historiens universitaires ont longtemps considéré
cette guerre comme relevant de «l'histoire immédiate»,
c'est-à-dire du journalisme », souligne Guy
Pervillé (op.cit., p.272).
* 1049 Alain Coulon,
Connaissance de la guerre d'Algérie, Ligue de l'enseignement et
Institut du monde arabe, 1993.
* 1050 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.273.
* 1051 Cité in
A.-M. Duranton-Crabol, Le temps de l'OAS, Bruxelles, Editions
Complexe, 1995, p.255.
* 1052 Guy
Pervillé, op.cit., p.273.
* 1053 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée dans le cadre de
l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ;
intervention en écoute sur le site du Monde à cette
adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 1054 Guy
Pervillé, op.cit., p.271.
* 1055 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.269.
* 1056 Michel Hagnerelle,
inspecteur général de l'Éducation nationale et Michel
Lambin, professeur de classes préparatoires aux grandes écoles au
lycée Watteau de Valenciennes, Apprendre et enseigner la guerre
d'Algérie et le Maghreb contemporain, Atelier n°4 :
« Les manuels scolaires », Actes de l'université
d'été de la Direction de l'Enseignement scolaire,
Ministère de l'Education nationale, Octobre 2001.
* 1057 Maurice T.
Maschino, « L'histoire expurgée de la guerre
d'Algérie », Le Monde Diplomatique, 8 février
2001, p.8.
* 1058 Ibid, p.8-9.
* 1059 Voir aussi
l'analyse faite par Guy Pervillé des manuels de terminale dans le cadre
de l'atelier sur l'enseignement de la guerre d'Algérie des Agoras
méditerranéennes de l'Association des professeurs d'histoire et
géographie (APHG), publiée dans Historiens et
géographes, n°308, mars 1986, p.893-897.
* 1060 « Je
n'avais pas quatorze ans quand le référendum du 8 avril 1962 a
ratifié massivement les accords d'Evian, et je n'ai même pas eu le
temps de songer que si la guerre avait continué, j'aurais pu moi aussi
être envoyé risquer ma vie en Algérie. Le fait que je n'ai
pas eu à souffrir personnellement ni familialement de la guerre
d'Algérie ni de son issue m'a permis de la considérer
immédiatement comme une énigme historique, beaucoup plus que
comme un problème politique ou éthique, et c'est plus tard que
j'ai peu à peu pris conscience de ces enjeux » ;
« Mes réponses aux questions de Guy Hennebelle »,
n° 62 de la revue Panoramiques, 1er trimestre 2003,
p.150-158 ; cf.
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=19.
* 1061 Déjà,
2 mois auparavant, dans l'édition du journal Libération
du 5 décembre 2000, le journaliste Emmanuel Davidenkoff soulignait que
« tous [les manuels d'histoire] font état de la pratique de la
torture, en adjoignant parfois des documents chocs » (p.23).
* 1062 Paul Thibaud,
« Algérie : faut-il prolonger la guerre des
mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001,
p.197-200.
* 1063 Paul Thibaud,
« Algérie : faut-il prolonger la guerre des
mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001,
p.198.
* 1064 Dominique Borne,
inspecteur général de l'Éducation nationale, Apprendre
et enseigner la guerre d'Algérie et le Maghreb contemporain,
Atelier n°4 : « Les manuels scolaires », Actes de
l'université d'été de la Direction de l'Enseignement
scolaire, Ministère de l'Education nationale, Octobre 2001.
* 1065 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.49.
* 1066 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002,, p.270.
* 1067 Paul Thibaud,
art.cit., p.49.
* 1068 Guy
Pervillé, op.cit., p.270.
* 1069 La « caution »
informelle donnée par les pouvoirs publics à l'emploi de la
torture a été dénoncée en son temps par Pierre
Vidal-Naquet, dans un ouvrage qui sera interdit de parution pendant dix
ans : La torture dans la République (1954-1962), Paris, Maspero,
1972. Les travaux récents de Raphaëlle Branche - Pierre
Vidal-Naquet était membre de son jury de thèse - sont venus
compléter cette perspective en l'enrichissant de nouveaux documents
consultés à la faveur de l'ouverture des archives ; cf.
l'ouvrage extrait de sa thèse : La torture et l'armée
pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard, 2001. Elle y
expose la « réalité protéiforme »
quoique « non systématique » de l'emploi de la
torture pendant la guerre d'Algérie, et le « contexte
incitatif », voire la « duplicité » des
gouvernements de la IVème République à cet
égard.
* 1070 Paul Thibaud,
« Algérie : faut-il prolonger la guerre des
mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001, p. 199.
* 1071 Guy
Pervillé, op.cit., p.270.
* 1072 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée dans le cadre de
l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ;
intervention en écoute sur le site du Monde à cette
adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 1073 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.305.
* 1074 Cf.
Jérôme Hélie, Les accords d'Evian : histoire de la paix
ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992.
* 1075 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée dans le cadre de
l'Université de tous les savoirs au mois de mars 2002 ;
intervention en écoute sur le site du Monde à cette
adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 1076 Daniel Rivet,
« Le fait colonial et nous : histoire d'un
éloignement », Vingtième siècle, revue
d'histoire, n°33, janvier-mars 1992, p.127-138 ; repris in Guy
Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et
ses enjeux politiques en France », Communication au colloque
« Les usages politiques de l'histoire dans la France contemporaine,
des années 1970 à nos jours » organisé par le
Centre d'histoire sociale du XXème siècle, p.2 ;
cf. texte consultable à cette adresse :
http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Collo/perville.pdf.
* 1077 Guy
Pervillé, op.cit., p.273.
* 1078 Nous reviendrons
plus avant dans la Partie 4 sur les enjeux et limites des politiques de
reconnaissance.
* 1079 Voir l'introduction
et la Partie 4 pour les suites judiciaires données à ces
propos.
* 1080 Zahia Rahmani,
Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.57-58.
* 1081 Edition
électronique des Dernières Nouvelles d'Alsace en date du
2 juin 1997.
* 1082 Edition
électronique de L'Humanité en date du 30 novembre
1998.
* 1083 Propos
rapportés par Le Monde du 10 mars 2006.
* 1084
http://www.renouveaufrancais.com/.
* 1085 Reuters, 19 mars
2001.
* 1086 Message en date du 2 mars 2006, consultable
à cette adresse : http://www.astrophilo.com/ar003.php.
* 1087 Parlement de la
communauté française, session 2005-2006, 8 mai 2006 :
Eléments constitutifs du contrat de gestion 2006-2011 de la
RTBF, rapport présenté au nom de la commission de la
Culture, de la Jeunesse, de l'Audiovisuel, de l'Aide à la presse et du
Cinéma par mesdames Isabelle Emmery et Caroline Cassart-Mailleux,
messieurs Jean-Paul Procureur et Josy Dubie, p.20.
* 1088 Ibid, p.21.
* 1089 « Les
soldats suisses veulent-ils devenir les harkis de l`OTAN ? »,
article publié dans Le Courrier et consultable à cette
adresse :
http://www.lecourrier.ch/.
* 1090 Patrick Jarreau,
« Un clivage dans l'inconscient des politiques », Le
Monde, 18 mars 1992, p.17.
* 1091 Ibidem.
* 1092 Ibidem.
* 1093 Cf.
Stéphanie Abrial, Les identités politiques des enfants de
harkis. Implications citoyennes et niveau d'intégration sociale de
jeunes franco-maghrébins, entre héritage culturel et
modernité, thèse de doctorat soutenue en 1999 à l'IEP
de Grenoble. Voir aussi Stéphanie Abrial, « Visions,
perceptions et expériences de la citoyenneté par les fils et les
filles de harkis : des jeunes à l'épreuve de leur
identité », actes du colloque « Identité
collective et représentation symbolique », Paris, F.N.S.P.,
3-6 juillet 1996 ; et Stéphanie Abrial, Les enfants de harkis.
De la révolte à l'intégration, Paris, L'Harmattan,
2002.
* 1094 Affiche reproduite
in Taouès Titraoui et Bernard Coll, Le livre des harkis,
Bièvres, Jeune Pied-Noir, 1991, p.239.
* 1095 Dans deux lettres
ouvertes rédigées à l'automne 2000 depuis le camp de
harkis de Fuveau et adressées, pour l'une, à Lionel Jospin et,
pour l'autre, à Jacques Chirac, Alain Madelin avait exhorté les
représentants de l'Exécutif à pratiquer, au nom de la
Vème République, le « devoir de
mémoire » envers les harkis. Il se félicitera de
l'instauration par le président de la République d'une
Journée d'hommage national aux harkis, et assistera à la
1ère cérémonie.
* 1096 Cf.
http://www.alainmadelin.com/biographie/.
* 1097 Entretien, 1999,
Mairie d'Issy-les-Moulineaux.
* 1098 Le PCF, qui avait
cautionné par le vote de ses parlementaires l'envoi -
décidé par le président du Conseil Guy Mollet - du
contingent en Algérie en 1956, et qui avait dû faire face à
l'entrée en dissidence du Parti communiste algérien (PCA), puis
à l'absorption/destruction de ce dernier par le FLN, doit, lui aussi,
rétrospectivement assumer des réalités politiques
factuelles peu en rapport avec la geste anticolonialiste alors affichée
par le Parti.
* 1099 Benjamin Stora,
La gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 1992, p.300.
* 1100 Bernard Ravenel,
« La gauche française au miroir de
l'Algérie », Mouvements, Novembre-décembre
1998.
* 1101 Lionel Jospin,
L'invention du possible, Paris, Flammarion, 1991, p.222.
* 1102 Voir le chapitre IV
de la Partie 1.
* 1103 Jean-Jacques Jordi,
Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Éditions Autrement, 1999, p.58.
* 1104 Ibidem.
* 1105 Philippe Bouba,
L'arrivée et l'adaptation des pieds-noirs en Roussillon, entre rancoeur
et espoir (1962-1970) ; cf.
http://philippebouba.natationinfo.com/index.php?go=grand1.
* 1106 Paragraphe
cité in Dalila Kerchouche, Mon père, ce harki, Paris,
Seuil, 2003, p.64-65.
* 1107 « Moi,
Lucien Rafa, fils de harki... », article paru dans l'édition
du 11 décembre 2000 du journal L'Humanité. C'est nous
qui soulignons.
* 1108 Brahim Sadouni,
Destin de harki. Le témoignage d'un jeune Berbère
enrôlé dans l'armée française à 17 ans,
Paris, Cosmopole, 2001, p.148-150.
* 1109 Charles Silvestre,
« Guerre d'Algérie. Un sale livre sur une sale
guerre », L'Humanité, édition du 8 novembre
2003.
* 1110 Jacques Cros,
« Colonialisme, point de vue sur les derniers
développements », 21 février 2006 ; cf.
http://www.initiative-communiste.fr/wordpress/?p=492.
* 1111 Cf. Cécile
Mercier, Les Pieds-Noirs et l'exode de 1962, Paris, L'Harmattan,
2003.
* 1112 Cf. Gilles Manceron
et Hassan Remaoun, La guerre d'Algérie, de la mémoire
à l'histoire, Paris, Syros, 1993 ;
http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=804.
* 1113 Stéphanie
Abrial, Les enfants de harkis. De la révolte à
l'intégration, Paris, L'Harmattan, 2002, p.51.
* 1114 Ce texte est
consultable à cette adresse :
http://www.harkisetverite.info/actualite/actualite2002.html.
* 1115 Kléber
Mesquida, député socialiste de l'Hérault, est de
ceux-là. Lui-même originaire d'Algérie, il avait
évoqué en séance, le 11 juin 2004, le souvenir de ses
grands-parents, agressés et torturés dans leur ferme
algérienne par le FLN ; cf. Claude Askolovitch,
« Colonisation : d'une vérité l'autre »,
Le Nouvel Observateur Hebdo, N° 2144, décembre 2005,
p.8.
* 1116 Christophe
Bourseiller, « Un «Chinois» nommé
Frêche », L'Express du 4 juillet 2005 ; article
consultable en ligne à cette adresse :
http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=433866.
* 1117 François
Martin-Ruiz, « Quand M. Frêche entonne un chant
colonial », Le Monde du 2 décembre 2005.
* 1118 Dès 1973,
à l'occasion de sa première élection à
l'Assemblée nationale, Georges Frêche approche le Front national
[fondé le 5 octobre 1972] entre les deux tours pour s'assurer des voix
de ses électeurs. Pour sa part, Georges Frêche présente les
choses un peu différemment, assurant qu' « en 1973 le
Front national n'existait pas encore », et qu' « [il
avait] rencontré une association de pieds-noirs anti-gaullistes
qui ont appelé à voter pour moi. Des voix que j'ai
acceptées, sans états d'âme » (L'Express
du 29 novembre 2004 ; cf. :
http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=430664).
En 1994, apprenant qu'Henri Alleg a participé à un débat
avec la CGT dans un local prêté par la mairie de Montpellier,
Georges Frêche déclare en Conseil municipal : « Si
j'avais su à l'avance qu'Henri Alleg y participait, je n'aurais pas
donné de salle. (...) La présence de ce cadre français du
FLN - le mouvement des égorgeurs de harkis et de pieds-noirs -
constituait à Montpellier une véritable provocation ».
Il ira plus loin encore en évoquant un acte de
« trahison » qui « a valu à d'autres douze
balles dans la peau » (L'Humanité du 7
décembre 1994 ; cf.
http://www.humanite.fr/journal/1994-12-07/1994-12-07-713619). Enfin,
justifiant à sa manière la décision du Conseil
régional du Languedoc-Roussillon d'apporter un soutien massif à
la création d'un Musée de la Présence Française en
Algérie (1830-1962), il déclare : « On ne va pas
faire un musée de l'histoire de l'Algérie, car c'est à
Alger de le faire. On va rendre hommage à ce que les Français ont
fait là-bas », ajoutant : « Ces
imbéciles d'anticolonisateurs, ces professeurs d'histoire ne savent pas
de quoi ils parlent. (...) Rien à foutre des commentaires
d'universitaires trous du cul. On les sifflera quand on les
sollicitera. (...) S'il le faut, on créera un comité
scientifique avec un seul membre, Georges Frêche ! »
(Le Midi libre du 16 novembre 2005 et Libération du
17 novembre).
* 1119 L'Express
du 29 novembre 2004 :
http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/montpellier/dossier.asp?ida=430664.
* 1120 Journal
télévisé de 20 heures, TF1.
* 1121 Pierre Daum,
Libération, mardi 14 février 2006.
* 1122 Propos recueillis
par François Sionneau le 13 février 2005. C'est nous qui
soulignons.
* 1123 Par suite, une
information judiciaire sera ouverte le 2 mars, puis une mise en examen
prononcée le 21 mars après que la justice eût
été saisie par diverses associations de harkis et que le garde
des Sceaux, Pascal Clément, eût été saisi par
Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens
combattants, en application en application des dispositions de l'article 5 de
la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et
contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui
stipulent que « sont interdites toute injure ou diffamation commise
envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité
vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations
supplétives ou assimilées ».
* 1124 Conférence
débat organisée à Clermont-Ferrand en présence de
Louis Giscard d'Estaing, député-maire de Chamalières, et
de nombreux enfants de harkis membres de l'Association Justice Information
Réparation (AJIR).
* 1125 Extrait du
programme du Front national pour la Présidentielle 2007 ; cf.
http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf.
* 1126 Jean-Marie Le Pen,
17ème Fête des Bleu-Blanc-Rouge, 26 septembre
1997 ; cf.
http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=1.
* 1127 Programme du Front
national. C'est nous qui soulignons ; cf.
http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf. C'est nous qui
soulignons.
* 1128 Cf.
http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf+.
* 1129 Cf.
http://www.frontnational.com/argumentaires/derive_droit_nationalite.php.
* 1130 Cf.
http://www.frontnational.com/pdf/programme.pdf.
* 1131 Communiqué
de presse du 30 janvier 2006 intitulé : « Français
par le sang versé ». C'est nous qui soulignons ; texte
consultable à cette adresse :
http://fnroubaix.hautetfort.com/archive/2006/01/30/francais-par-le-sang-verse.html.
* 1132 AFP, 2 septembre
1999.
* 1133 Sid Ahmed Yahiaoui
a depuis démissionné du FN et siège comme non-inscrit au
sein du Conseil régional PACA.
* 1134 Document
publié sur un site non-officiel du Front national :
http://www.veritesurlefn.org/modules/xfsection/article.php?articleid=134.
* 1135 Discours
prononcé à La Trinité-sur-Mer le 18 août 2001 et
consultable à cette adresse :
http://www.frontnational.com/doc_interventions_detail.php?id_inter=21.
C'est nous qui soulignons.
* 1136 Laurent Beccaria,
« Soldats perdus », in Emmanuel de Waresquiel (dir.),
Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au
XXème siècle, Paris, Larousse, 2004,
p.566-567.
* 1137 Cité in
Laurent Beccaria, Hélie de Saint-Marc, Paris, Librairie
Académique Perrin, 1988, p.193.
* 1138 Hélie de
Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris,
Perrin, 1995.
* 1139 Déposition
d'Hélie Denoix de Saint Marc, le 5 juin 1961, devant le Haut tribunal
militaire ; extraits cités dans Lieutenant-colonel Pierre
Brière, « Fors l'honneur », Armées
d'aujourd'hui, n°271, juin 2002, p.52-53.
* 1140 Déclaration
reprise in Maurice Challe, Notre révolte, Paris, Presses de la
Cité, 1968, p.83-84. C'est l'auteur qui souligne.
* 1141 Déclaration
du général Salan à son procès (du 15 au 23 mai
1962) ; texte intégral sur
http://www.salan.asso.fr/declaration.htm;
voir aussi Le procès de Raoul Salan, Compte-rendu
sténographique, Paris, Albin Michel, 1962.
* 1142 Lettre reproduite
en annexe in Edmond Jouhaud, Serons-nous enfin compris ?, Paris,
Albin Michel, 1984, p.289-290.
* 1143 Cité in Jean
Ferrandi, 600 jours avec Salan et l'OAS, Paris, Fayard, 1969,
p.179.
* 1144 Par la suite,
Jean-Yves Alquier s'efforcera - à l'image d'un Maurice Challe - de
mettre en place un parti visant à organiser politiquement les masses
musulmanes non inféodées au FLN, puis s'élèvera
contre la politique de « dégagement » voulue par le
général de Gaulle : soupçonné d'activisme, il
subira six mois de détention avant de bénéficier d'un
non-lieu.
* 1145 Jean-Yves Alquier,
Nous avons pacifié Tazalt. Journal de marche d'un officier
parachutiste, Paris, Robert Laffont, 1957, p.270 et 271. « J'ai
connu un capitaine des Bérets Rouges, ajoute Jean-Yves Alquier, qui
était obsédé par la pensée qu'il avait perdu son
honneur en Indochine, en décidant des centaines de jeunes catholiques
vietnamiens à rejoindre ses supplétifs à force de leur
répéter - parce qu'il y croyait - : «On ne vous
laissera jamais tomber». Et à notre départ, les Viets les
ont fusillés pour avoir cru en sa parole... » (Ibid, p.203).
De même, Hélie de Saint Marc invoquera-t-il le traumatisme
hérité de son expérience indochinoise pour expliquer son
entrée en dissidence : « Mon passé vietnamien a eu
sa part dans mon choix. Dans les heures essentielles, l'esprit ressuscite de
lui-même des images décalées. Pendant que le
général Challe me parlait, je revoyais un poste de bambou en
Haute-Région, le jour de 1948 où j'avais accepté de former
des partisans à Talung. J'ai senti de nouveau le souffle de la honte. Je
ne pouvais pas refuser d'entrer dans la révolte »
(Hélie de Saint Marc, Mémoires. Les champs de
braise, Paris, Perrin, 1995, p.265).
* 1146 Edmond Jouhaud,
Serons-nous enfin compris ?, Paris, Albin Michel, 1984, p.120.
* 1147 Pierre Sergent,
Ma peau au bout de mes idées, Paris, La Table Ronde,
1968 ; cité in Edmond Jouhaud, op.cit., p.121.
* 1148 Voir notamment
Laurent Beccaria, Hélie de Saint-Marc, Paris, Librairie
Académique Perrin, 1988 ; Hélie de Saint Marc,
Mémoires. Les champs de braise, Paris, Perrin,
1995 ; Hélie de Saint Marc, Les sentinelles du soir,
Paris, Les Arènes, 1999 ; Hélie de Saint Marc, Toute une
vie, Paris, Les Arènes, 2004.
* 1149 Hélie de
Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris,
Perrin, 1995.
* 1150 Ibid.
* 1151 Hélie de
Saint Marc, Mémoires. Les champs de braise, Paris,
Perrin, 1995, p.263.
* 1152 Thibaud (Paul),
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.58.
* 1153 Hélie Denoix
de Saint-Marc et Paul Thibaud ont il est vrai l'un et l'autre, au sein de leurs
"milieux" respectifs, bien davantage le profil du "franc-tireur" que celui du
"chien de garde".
* 1154 Laurent Beccaria,
« Soldats perdus », in Emmanuel de Waresquiel (dir.),
Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au
XXème siècle, Paris, Larousse, 2004, p.567.
* 1155 « Tout
commence, écrit Laurent Beccaria, avec le désastre de 1940 et le
traumatisme infligé à des adolescents qui voient
s'écrouler en quelques jours la France établie et officielle, les
préfets et les autorités, affolés au coeur de la
débâcle. Des milliers d'adolescents font ainsi leur entrée
dans la vie au milieu d'un écroulement total » (p.566). Ce
n'est qu'un début : « Qu'on songe à
l'enchaînement des faits : Cao Bang, Diên Biên Phu, les
camps Viêt-minh, Suez, la bataille d'Alger, le retournement gaulliste.
Comme il existe des individus marqués par la fatalité, certains
groupes d'hommes peuvent aussi être poursuivis par un destin contraire,
une sorte de malchance » (Laurent Beccaria, « Soldats
perdus », in Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le siècle
rebelle, dictionnaire de la contestation au XXème
siècle, Paris, Larousse, 2004, p.567).
* 1156 « La
bataille de l'écrit », La Nef,
« Numéro spécial : Histoire de la Guerre
d'Algérie, suivie d'une histoire de l'O.A.S. », Paris,
Julliard, n°12-13, octobre 1962-janvier 1963, p. ... ?. Michel
Crouzet, alors enseignant communiste, co-fondateur du Comité Maurice
Audin, signataire du Manifeste des 121, est rétrospectivement
décrit par Pierre Vidal-Naquet comme « un stalinien de vieille
roche qui commençait à se déstaliniser »
(Interview de Pierre Vidal-Naquet, « La vérité de
l'indicatif », Vacarme, par Isabelle Saint-Saëns et
Philippe Mangeot, septembre 2001 ; cf.
http://www.vacarme.eu.org/article205.html).
* 1157 Pierre
Vidal-Naquet, signataire du « Manifeste des 121 », fut l'un
des pétitionnaires les plus prolifiques de la période, jusque et
y compris la guerre du Viêt-Nam : il signera 39 pétitions sur
les 488 publiées par Le Monde entre 1958 et 1969
(Jean-François Sirinelli, « Le manifeste, une passion
française », propos recueillis par Annette Lévy-Willard
et Antoine de Gaudemar, Libération du 12 janvier 1998).
Adversaire résolu de Guy Mollet, il plaidait pour une redistribution des
cartes à gauche (« J'ai bu du champagne le soir de la mort de
Franco et le soir de la mort de Guy Mollet » - L'Evénement
du jeudi du 4 au 10 septembre 1986, p.88). Son engagement a donc
été autre chose et davantage qu'une pure protestation morale de
type dreyfusard. Nous y reviendrons.
* 1158 Pierre
Vidal-Naquet, « Une fidélité têtue : la
résistance française à la guerre
d'Algérie », in XXème siècle,
revue d'histoire, n°10, 1986, repris dans Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.58-63.
* 1159 « Les
dreyfusards, écrira Pierre Vidal-Naquet, sont les héritiers (ou
les imitateurs) du grand mouvement qui rassembla des intellectuels et quelques
politiques autour d'un officier juif accusé de trahison, condamné
et innocent. Ce fut un mouvement laïque et pourtant il avait une dimension
religieuse. (...) Dans le dreyfusisme de la guerre d'Algérie, la
dimension française et même patriotique était fondamentale.
Que le pays de Droits de l'homme puisse laisser ses gouvernements
tolérer puis ordonner, voire organiser la torture était
proprement insupportable » (cf. Pierre Vidal-Naquet,
« Une fidélité têtue : la résistance
française à la guerre d'Algérie », in
XXème siècle, revue d'histoire, n°10,
1986, repris dans Face à la raison d'Etat : un historien dans
la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 1989, p.58-63).
Cependant, Pierre Vidal-Naquet, dont les motivations étaient à la
fois plus complexes et plus larges qu'une simple protestation morale de type
dreyfusard, reconnaîtra lui-même que cette référence
à l'affaire Dreyfus était équivoque. En effet,
« Dreyfus était un innocent, étranger à sa
propre affaire » ; mais ce n'était pas le cas de
l'ensemble des victimes de la répression qu'Audin était
censé représenter. « Parmi les victimes de la torture,
procédé criminel selon la loi française, il y avait certes
un nombre considérable d'innocents, il y avait aussi des combattants
membres du FLN, du PCA, du MNA, et même des criminels de guerre, victimes
à leur tour d'autres criminels de guerre, infiniment mieux armés
et plus puissants, il est vrai. Tous ceux qui ont été
présentés alors comme des «innocents» ne
l'étaient pas au sens légal du mot »,
nuançait-il, tout en réaffirmant que leur cause était
juste et méritait d'être défendue : mais
était-ce encore du dreyfusisme ? (Cf. Pierre Vidal-Naquet,
L'affaire Audin (1957-1978), Paris, Editions de Minuit, 1989.
p.30-32 ; voir aussi Guy Pervillé, « La projection de la
mémoire de l'Affaire Dreyfus sur la guerre d'Algérie »,
MIHREC (Mémoires, Identités, Représentations, Histoire
comparative de l'Europe), n°5, 2001, p.43-46).
* 1160 Ibid.
* 1161 Ibid.
* 1162 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.139.
* 1163 En 1986, dans
l'article même où il propose ces trois catégories :
« Je viens de proposer trois types idéaux. Je suis pourtant
conscient autant que quiconque de ce que ce classement a d'artificiel. (...)
Entre les trois modèles que j'ai tenté de dégager et de
décrire, il y eut donc toutes les interférences possibles et
imaginables. Cela ne les empêche pas, je crois, d'être
significatifs » (« Une fidélité têtue.
La résistance française à la guerre
d'Algérie », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, vol. n°10, 1986, p.11 et 13). Puis, quelques
années plus tard, dans une interview accordée à Claude
Lecomte : « Il est un vrai que chacun a en
réalité un peu des trois. Je l'ai d'ailleurs écrit en
précisant qu'en chacun de nous les proportions variaient selon les
tempéraments et selon les moments. Moi, je suis fondamentalement un
dreyfusard mais les deux autres catégories également
apparaissent » (« Les valeurs dreyfusardes qui
m'imprègnent », interview par Claude Lecomte in
Regards n°42, janvier 1999).
* 1164
Jean-François Sirinelli rappelle que Jacques Soustelle avait
qualifié France-Observateur, L'Express, Le
Monde et Témoignage Chrétien de
« quatre grands de la contre-propagande française »
(« Les intellectuels français en guerre
d'Algérie », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels
français, Complexe, 1991, p.23).
* 1165 Stigmatisant la
« timidité doctrinale » de certains
« groupements politiques et journaux d'opinion », les
signataires du manifeste disaient respecter et juger justifiée
« la conduite des Français qui estiment de leur devoir
d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du
peuple français », ajoutant que « la cause du peuple
algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner
le système colonial, est la cause de tous les hommes
libres ».
* 1166 Pascal Ory et
Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire
Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.202.
* 1167 Bernard Droz,
entrée « Algérie » in Jacques Julliard,
Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français. Les
personnes, les lieux, les moments, Paris, Seuil, 2002, p.56.
* 1168 Extrait cité
in Tramor Quemeneur, Insoumission, tortures et indépendance
algérienne. Des débats entre morale et politique
(1954-1962), communication au VIème Congrès de
l'Association française de science politique, Rennes, 30 septembre 1999,
p.19.
* 1169 Voir notamment
Hervé Bourges, L'Algérie à l'épreuve du
pouvoir, Paris, Grasset, 1967, et De mémoire
d'éléphant, Paris, Grasset, 2000.
* 1170 Pascal Ory et
Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire
Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.208
* 1171 Dans Les
Lettres Nouvelles de février 1961 ; cf. Claude Liauzu,
« Intellectuels du Tiers-Monde et intellectuels
français », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les intellectuels
français, Complexe, 1991, p.161.
* 1172 Pascal Ory et
Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire
Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.201.
* 1173 Michel Winock,
La République se meurt : chronique 1956-1958, Paris,
Seuil, 1978, p.169. Alain Monchablon rapporte que fin septembre 1960, une note
interne à la mino porte : « Nous n'avons nul droit de
condamner ceux qui ont choisi de résoudre l'équation :
guerre d'Algérie = guerre d'extermination, France =
fascisme », tout en refusant pour l'UNEF les solutions
illégales. Alain Monchablon précise cependant qu'un membre du
Bureau de l'UNEF se portera insoumis, tandis qu'un président d'AGE et
plusieurs responsables seront arrêtés pour aide au FLN (Alain
Monchablon, « Syndicalisme étudiant et
génération algérienne », in Jean-Pierre Rioux et
Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les
intellectuels français, Complexe, 1991, p.188).
* 1174 Michel Winock,
La République se meurt : chronique 1956-1958, Paris,
Seuil, 1978, p.170.
* 1175 Pascal Ory et
Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire
Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.201.
* 1176 Bernard Ravenel,
« La gauche française au miroir de
l'Algérie », Mouvements, Novembre-décembre
1998.
* 1177 Pascal Ory et
Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l'Affaire
Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002, p.196.
* 1178 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.53.
* 1179 Frantz Fanon
(1961), Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1982.
* 1180 Ce livre devient
immédiatement un livre culte, diffusé à des dizaines de
milliers d'exemplaires en français comme en anglais. Claude Liauzu
indique les chiffres suivants : 1961, 1er tirage : 3.300
exemplaires ; « Cahiers libres » 1961-1968, 35.000
exemplaires ; « Petite Collection Maspero » :
115.000 exemplaires ; Total 1987 : 160.000 exemplaires (Claude
Liauzu, « Intellectuels du Tiers-monde et intellectuels
français », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels
français, Complexe, 1991, p.173).
* 1181 Raoul Girardet (La
Table Ronde, 1972), L'idée coloniale en France de 1871 à
1962, Paris, Hachette, 1986, p.313. Pour sa part, Benjamin Stora parle
d' « un véritable transfert de combativité et
d'affectivité révolutionnaire : la lutte armée du FLN
est compensatrice de l'absence de perspectives révolutionnaires en
France » (La gangrène et l'oubli, Paris, La
Découverte, 1992, p.51).
* 1182 Ibid, p.314.
* 1183 « Un
franc-tireur minuscule », entretien avec Robert Bonnaud par la revue
Vacarme, n°14, hiver 2001, par Jean-François Perrier,
Jeanne Revel et Isabelle Saint-Saëns ; cf.
http://www.vacarme.eu.org/article79.htm.
* 1184 Propos recueillis
par Eric Conan et Christian Makarian, in Eric Conan, « La fin des
intellectuels français », L'Express du 30 novembre
2000, p.116.
* 1185 Le bulletin
Vérités pour, diffusé par le réseau
Jeanson, a pour sous-titre : « Centrale d'information sur le
fascisme et l'Algérie » (Jean-Pierre Rioux et
Jean-François Sirinelli, La guerre d'Algérie et les
intellectuels français, Complexe, 1991, p.44). Le mouvement
Jeune Résistance se réclame lui aussi de la
« solidarité révolutionnaire
franco-algérienne » (« Quel
antifascisme ? », Jeune Résistance. Pour la
solidarité révolutionnaire franco-algérienne, n°7-8,
sans lieu, janvier 1962, p.1), et avance que « s'il est en France des
internationalistes conséquents, ce sont ceux-là mêmes qui
luttent aux côtés de leurs frères algériens contre
l'impérialisme français, sa police et son
armée » (Extrait cité in Tramor Quemeneur,
Insoumission, tortures et indépendance algérienne. Des
débats entre morale et politique (1954-1962), communication au
VIème Congrès de l'Association française de
science politique, Rennes, 30 septembre 1999, p.19).
* 1186 Paul Thibaud,
« L'événement qui nous tourmentait », in
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre
d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991,
p.381 et 383.
* 1187 Robert
Bonnaud : « Il y a eu un révolutionnarisme, un
tiers-mondisme illusoire généralisé qui voyait dans tout
leader du tiers-monde le type qui allait assurer l'avenir de ce
pays ». Et d'ajouter : « Peut-être que les
dégâts faits par la colonisation, et l'horreur du fait colonial,
qui était relativement ressentie par les intellectuels, où il y a
eu tous les travaux sur le tiers-monde, peut-être que ces
idées-là aujourd'hui sont en perte de vitesse à cause de
la régression globale, de l'effondrement du communisme, du fait que le
marxisme paraît obsolète, de la fin des grands récits, des
grandes idéologies... Peut-être que tout cela réhabilite
indirectement un certain passé colonial de l'Occident. L'histoire de
l'Algérie, et de l'Algérie coloniale, souffre de cette situation,
mais il y a d'autres exemples, comme l'Indochine » (« Un
franc-tireur minuscule », entretien avec Robert Bonnaud par la revue
Vacarme, n°14, hiver 2001, par Jean-François Perrier,
Jeanne Revel et Isabelle Saint-Saëns ; cf.
http://www.vacarme.eu.org/article79.html).
* 1188 Du reste, le
récent - quoique temporaire - regain d'intérêt des
médias pour le sujet au début des années 2000 fut d'abord
la résultante d'une certaine coïncidence entre la visite d'Etat
d'Abdelaziz Bouteflika en juin 2000 (assortie des déclarations que l'on
sait ; voir l'introduction et la Partie 4) et de la multiplication des
récits à portée autobiographique d'anciens harkis ou
d'enfants de harkis (dont une majorité de filles). À l'inverse,
rien ou presque n'est redevable de prises de position explicites - et
explicitement nouvelles - de la part des intellectuels qui, à un titre
ou à un autre (acteur et/ou commentateur), ont associé leur nom
la manière dont a été pensé ce conflit. À
cet égard, les remous engendrés par la publication d'Un
mensonge français, le best-seller de Georges-Marc Benamou, n'ont
fait qu'illusoirement exception. De fait, les prises de positions
suscitées, plutôt que de nourrir un débat de fond sur les
questions soulevées par Benamou (au premier rang desquelles la question
des harkis), ont symptomatiquement davantage tourné autour de la
manière dont le "milieu intellectuel" considérait cet auteur et
sa démarche éditoriale. En outre, ce constat d'une non
appétence persistante a été corroboré, à
titre personnel, par un échange avec Daniel Timsit, cet ancien
artificier du FLN au moment de la « bataille d'Alger » (cf.
Pierre Vidal-Naquet, interviewé par le Nouvel Observateur du 21
février 2002 : « En 1956, par l'intermédiaire de
Boualem Oussedik, [Daniel Timsit] adhère directement au FLN et fabrique
des explosifs qu'il croit destinés au maquis »). Alors qu'il
intervenait dans un colloque organisé dans la mairie du
20ème arrondissement de Paris pour évoquer ses
souvenirs de militant anticolonialiste (mais il ne dit mot, à cette
occasion, de ses activités d'artificier), je l'interrogeais sur son
silence - et celui de ses pairs - sur la question du massacre des harkis. Il me
répondit qu'il appartenait aux intéressés d'écrire
eux-mêmes leur histoire, comme si pour lui cette question était
sans objet (Table ronde "histoire et mémoire", « Maghreb des
livres », manifestation organisée par l'association
« Coup de Soleil » les 16 et 17 octobre 1999 à la
mairie du 20ème arrondissement de Paris).
* 1189 Pierre
Vidal-Naquet, à l'occasion d'une intervention à la librairie des
Presses Universitaires de France, le 15 novembre 2000, boulevard
Saint-Michel.
* 1190 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.47.
* 1191 Claude Liauzu
soulignait en 1990 que « le «Manifeste des 121» et le
procès du réseau Jeanson ont eu une portée
considérable à l'époque et dans les mémoires
collectives : 4 manuels d'histoire sur 11 font référence au
texte des 121, qui est le seul cité des trois manifestes d'intellectuels
concurrents sur l'attitude des jeunes envers la guerre »
(« Le contingent entre silence et discours ancien
combattant », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre
d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.510).
* 1192 Dans un contexte au
relief tout particulier pour lui, Albert Camus se prévalait d'une
« pensée de midi » qui commandait
d'intercéder, auprès des parties belligérantes, en faveur
des populations civiles de manière à ce qu'en aucun cas les
attendus politiques et/ou idéologiques du conflit ne présagent -
ou ne présument - d'une atteinte irréversible au caractère
pluriel de la sociabilité algérienne : « Personne,
ni d'un côté ni de l'autre, ne devrait se refuser à donner
au conflit des limites qui l'empêcheront de
dégénérer. Je propose donc que les deux parties prennent,
simultanément, l'engagement public de ne pas toucher, quelles que soient
les circonstances, aux populations civiles. Cet engagement ne modifierait pour
le moment aucune situation. Il viserait seulement à enlever au conflit
son caractère inexpiable et à préserver, dans l'avenir des
vies innocentes » ; cf. Albert Camus, « Appel pour une
trêve civile » [1956], Actuelles III, Chroniques
algériennes (1939-1958) in Albert Camus, Essais, Paris,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.982.
* 1193 Les lectures
croisées de Sartre et Camus témoignent de ce que l'intellectuel
engagé prend pour fin l'homme tel qu'il doit conduire
l'histoire, s'en faire le moteur, pour se
réaliser, tandis que le moraliste prend pour fin l'homme tel qu'il
doit se conduire dans l'histoire pour rester fidèle
à lui-même (cf. Emmanuel Brillet, « De la
congruence entre l'intellection et l'intervention : Sartre et Camus en
guerre d'Algérie », Cahiers Politiques, CREDEP -
Paris IX-Dauphine, n°5, Juin 2000, p.31 à 58).
* 1194 Annie Cohen-Solal,
Sartre (1905-1980), Paris, Gallimard, 1985, p.556. « La
place politique que Sartre avait acquise dans le contexte de la guerre
d'Algérie, avait fait venir à lui des sympathisants du monde
entier. En ce début des années 1960, dans les foyers de prise de
conscience politique qui se développaient en Afrique, en Asie du
Sud-Est, en Amérique du Sud, en Europe aussi, bien sûr, parmi ces
jeunes gens d'extrême gauche qui se mobilisaient pour l'expérience
chinoise, l'expérience algérienne, l'expérience cubaine,
Sartre était perçu comme un modèle théorique. Il
devenait pour un temps le prophète de ce monde nouveau qui semblait se
réveiller brutalement, pour se libérer des chaînes de
l'Occident impérialiste et colonisateur » (p.552).
* 1195 Marie-Christine
Granjon souligne que pour le leader étudiant Marc Kravetz (UNEF), dont
elle rapporte les propos, « Sartre a été une
«référence essentielle» : ses textes sur la guerre
d'Algérie «ont servi de repères, de stimulants, de
révélateurs» à une «génération
intellectuelle» » (« Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et
le conflit algérien », in Jean-Pierre Rioux et
Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les
intellectuels français, Complexe, 1991, p.134.
* 1196 Michael Walzer
(1988), La critique sociale au XXème siècle. Solitude et
solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.159 et
165.
* 1197 Michael Walzer
(1988), La critique sociale au XXème siècle. Solitude et
solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.156 et
165.
* 1198 Selon Emmanuel
Mounier, dans le premier univers sartrien, celui circonscrit par
L'Être et le Néant (1943), « le destin
collectif de l'humanité est impensable » (Emmanuel Mounier,
Malraux, Camus, Sartre, Bernanos. L'espoir des
désespérés, Paris, Seuil, 1953, p.134).
« À l'antipode de l'être-verbe, en lui-même
«lumière de lumière», et pour l'univers entier source
d'illumination », l'être sartrien est inintelligible,
injustifiable, « sans raison, sans cause, sans
nécessité » (Ibid, p.127). Dès lors,
« pour un existentialisme rigoureux, il y a une histoire, mais
flottante au fil du temps et de la liberté, sans structure, sans
finalité. Il s'oppose en ce point aussi bien au christianisme qu'au
marxisme. (...) Le monde est à chaque instant de l'histoire
entièrement parié par chacun de ses agents. Nous ne pouvons dire
s'il ira dans son ensemble vers le meilleur ou vers le pire, vers ceci ou vers
cela ; nous ne pouvons (...) parce que pour personne et pour rien, ni pour
l'humanité comme tout, qui n'a pas d'être, ni pour une existence
transcendante a priori niée, il n'existe à proprement
parler d'histoire, hors cette héroïque instabilité de chaque
minute prête à se défaire et l'Univers entier avec
elle » (Ibid, p.134).
* 1199 Au sens de
« dépassement [dialectique] vers la
totalité » (Jean-Paul Sartre, Critique de la raison
dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p.11).
* 1200 Jean-Paul Sartre
cité in Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris,
Gallimard, 1963, p.364. Dans sa préface à la Critique de la
raison dialectique, Sartre considère de la même
manière « le marxisme comme l'indépassable philosophie
de notre temps et [tient] l'idéologie de l'existence et sa
méthode «compréhensive» pour une enclave dans le
marxisme lui-même qui l'engendre et la refuse tout à la
fois » (Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique,
Paris, Gallimard, 1960, p. 9-10. C'est nous qui soulignons).
* 1201 Albert Camus,
L'homme révolté [1951] in Albert Camus,
Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
1965, p.479.
* 1202 Albert Camus,
« Lettres sur la révolte » [1952], Actuelles
II in Albert Camus, Essais, Paris, Bibliothèque de la
Pléiade, Gallimard, 1965, p.770-771.
* 1203 Thibaud (Paul),
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.58.
* 1204 Claude Liauzu,
L'Europe et l'Afrique méditerranéenne de Suez (1869) à nos
jours, Bruxelles, Editions Complexe, 1994.
* 1205 Lettre reproduite
in Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963,
p.572-573.
* 1206 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.53.
* 1207 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.390-391 et 406-407.
* 1208 « Quel
héritage pour faire face aux défis du
présent ? », rencontre avec Jean-Claude Guillebaud dans
le cadre des mardis de « Politique Autrement », le 7
novembre 2000, La lettre, n°22, février 2001 ; cf.
http://www.politique-autrement.asso.fr/lettre/lettre22.htm.
* 1209 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.52-53.
* 1210 Robert Paris
définissant la notion d'historicisme in André Burguiere,
Dictionnaire des sciences historiques, Paris, P.U.F., 1986, p.442.
* 1211 Karl Popper
[1962], La société ouverte et ses ennemis (tome II :
Hegel et Marx), Paris, Editions du Seuil, 1979, p.133.
* 1212 Ibid, p.139.
* 1213 Sartre, dans sa
préface à la Critique de la raison dialectique,
s'était précisément proposé d'aborder dans un
second tome (qui ne paraîtra jamais) « le problème de
la totalisation elle-même, c'est-à-dire de l'Histoire
en cours et de la Vérité en devenir » ;
cf. Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p.11.
C'est nous qui soulignons.
* 1214 En tant que la
« Raison dialectique » participe, selon Sartre, d'un
rapport nécessaire - quoique mouvant - de la connaissance et de
l'être.
* 1215 Ce que Sartre
lui-même semble suggérer au détour d'une proposition
ambivalente où, sous couvert d'énoncer une règle
générale, il laisse poindre la possibilité d'y
déroger : « L'expérience ? en
général ? ne peut fonder par elle seule que des
vérités partielles et contingentes » (Jean-Paul
Sartre, op. cit., p.10. C'est nous qui soulignons).
* 1216 Simone de
Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.392.
* 1217 Médecin-chef
et psychiatre, Frantz Fanon, originaire des Antilles et auteur de Peau
noire, masques blancs (Paris, Seuil, 1952), démissionne de son
poste à l'hôpital de Blida-Joinville (Algérie) pour
rejoindre, en janvier 1957, les instances dirigeantes du FLN à Tunis. Il
s'engage dans la lutte en qualité de rédacteur de
Résistance Algérienne puis d'El Moudjahid,
l'organe du FLN/ALN, et de représentant du Gouvernement provisoire de la
république algérienne (GPRA) à la conférence
Afro-Asiatique du Caire (décembre 1957). En décembre 1958, il est
membre de la délégation algérienne au Congrès
Panafricain d'Accra, puis est nommé représentant permanent
auprès du GPRA dans cette même ville d'Accra. Claude Lanzmann, des
Temps modernes, l'a rencontré en compagnie de Marcel
Péju à l'été 1960, à Tunis. Il en a rendu
compte à Annie Cohen-Solal : « [Fanon] allait sur le
terrain, dans ces wilayas retranchées à la frontière
algéro-tunisienne, rencontrer les révolutionnaires, leur faire
des conférences, leur parler de ses lectures, de celles de Sartre
notamment : il leur expliqua même un jour - l'année
même de sa publication - ce qu'il avait aimé dans la Critique de
la raison dialectique ! Il allait former théoriquement ces groupes,
ces militants parmi lesquels on retrouvait des hommes tels que le colonel
Houari Boumediene, Ben Khedda - le pharmacien de Blida - qui allait remplacer
Ferhat Abbas à la tête du G.P.R.A., Abdelaziz Bouteflika, ou
encore Ahmed Medgui, futur ministre de l'Intérieur du gouvernement
algérien... Tous ces gens avaient la plus grande estime, la plus vive
admiration pour Fanon qu'ils désignaient d'ailleurs avec
déférence, en parlant du «docteur Fanon» »
(Annie Cohen-Solal, Sartre (1905-1980), Paris, Gallimard, 1985,
p.552-553).
* 1218 Pour Camus, est
nihiliste non pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit
à rien de ce qui est, ici et maintenant.
* 1219 Frantz Fanon,
Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.6.
* 1220 Simone de
Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.339. C'est
nous qui soulignons.
* 1221 Frantz Fanon,
op. cit., p.6.
* 1222 Ibid, p.5.
* 1223 Frantz Fanon,
Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.5.
* 1224 Henri-Charles
Puech définissant la notion de «manichéisme» in
Encyclopdia universalis, corpus 14, p.436 à 446. C'est nous qui
soulignons.
* 1225 Frantz Fanon, op.
cit., p.5-6. C'est nous qui soulignons.
* 1226 Ibid, p.6.
* 1227 Raoul Girardet,
L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris,
Hachette, 1986, p.313-314 [1ère édition : La
Table Ronde, 1972].
* 1228 Logique
prédicative car, à l'aune d'une telle argumentation,
« les concepts sont regardés comme contenant en
puissance, et comme appelant de façon anticipatrice, les
représentations mentales susceptibles de leur servir
d'arguments » ; autrement dit, « une importante
caractéristique logique des prédicats est que leur application
conduit soit au vrai soit au faux » ; se reporter à la
définition que propose Jean-François Le Ny de la notion
philosophique de « prédication » in
Encyclopédie philosophique universelle, « Les Notions
Philosophiques », Paris, PUF, 1990, tome 2, p.2025 et 2027. C'est
nous qui soulignons.
* 1229 Ibid, p.6 et
85.
* 1230 Ibid, p.86. C'est
nous qui soulignons.
* 1231 Certes, nous avons
vu au fil de la première partie combien les motivations des
intéressés avaient été diverses. Mais faut-il qu'un
engagement soit idéaliste ou altruiste au sens "plein" ou "romantique"
du terme (par "patriotisme" ou par "amour des droits de l'homme", par exemple)
pour que ceux qui en sont les protagonistes soient à même de lui
conférer un sens politique ? Même un fellah dont la
motivation première serait l'attrait de la solde, et aussi
illettré soit-il, n'aurait-il pas conscience, en revêtant
l'uniforme français, de contracter un engagement qui l'amène et
l'astreint à une situation autrement plus complexe que n'importe quel
autre métier ? N'a-t-il pas une conscience au moins minimale du
contexte dans lequel s'inscrit son engagement et du positionnement que cela
l'oblige à assumer ? En d'autres termes, ne peut-on penser pas
penser qu'à quelque degré, même minimal, son choix
intègre des facteurs politiques ? Symétriquement, on semble
suggérer que, pour les moudjahidin, la question du choix et des
motivations - forcément idéalistes - qui y ont
présidé ne se pose pas. Ce sont là deux visions qui,
découlant d'un prisme historiciste manichéen, sont
nécessairement réductionnistes.
* 1232 Jean-Paul Sartre,
préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre,
Paris, Maspero, 1961.
* 1233 Jacques
Vergès, Lettre ouverte à des amis algériens devenus
tortionnaires, Paris, Albin Michel, 1993, p.13.
* 1234 Raoul Girardet,
L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris,
Hachette, 1986 [1ère édition : La Table Ronde,
1972], p.312.
* 1235 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.483.
* 1236 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.610-611.
* 1237 Edward Saïd,
Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000. Voir aussi
Jacques Pouchepadass, « Les subaltern studies ou la critique
postcoloniale de la modernité », L'Homme, n°156,
oct.-déc. 2000, p.161-185.
* 1238 Edward Saïd,
Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p.384.
* 1239 Ibid, p.381.
* 1240 Ibidem.
* 1241 Ibid, p.387.
* 1242 Frantz Fanon,
Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, p.51.
* 1243 Ibid, p.85.
* 1244 Ibid, p.82.
* 1245 Edward Saïd,
Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p.385.
* 1246 Edward Saïd,
Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p.374 à
385. Sur le moment, déjà, Simone de Beauvoir
distinguait « parmi les chefs connus [du FLN], deux
tendances : les politiciens du type classique [NDA : sans doute
vise-t-elle des hommes comme Ferhat Abbas ou Benyoucef Ben Khedda], prêts
à la collaboration ; une autre qui exigeait la réforme
agraire et le socialisme » (Simone de Beauvoir, La force des
choses, Paris, Gallimard, 1963, p.610).
* 1247 Jean-Robert Henry,
« La France au miroir de l'Algérie »,
Autrement, 1982, n°38.
* 1248 Daniel Sibony,
« Algérie : une étrange violence »,
Libération du 6 avril 1998.
* 1249 Rémy
Rieffel, « L'empreinte de la guerre d'Algérie sur quelques
figures intellectuelles de gauche », in Jean-Pierre Rioux et
Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre d'Algérie et les
intellectuels français, Complexe, 1991, p.197. Pour leur part,
Jérôme Hélie (Les accords d'Evian : histoire de la
paix ratée en Algérie, Paris, Olivier Orban, 1992, p.43-44)
et Paul Thibaud (« L'événement qui nous
tourmentait », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli, op.cit., p.381-382) citent respectivement La Naissance du
nationalisme algérien d'André Nouschi (Minuit, 1962), et
La Révolution algérienne par les textes (Maspero, 1961)
d'André Mandouze, comme des exemples d'ouvrages ayant
considérablement gommé la dimension islamique de l'insurrection
algérienne.
* 1250 Paul Thibaud,
« L'événement qui nous tourmentait », in
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La guerre
d'Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991,
p.377.
* 1251 Walzer (Michael)
[1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et
solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.154.
* 1252 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.525.
* 1253 Jean-Paul Sartre,
préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre,
Paris, Maspero, 1961.
* 1254 Mehdi Charef,
Le harki de Meriem, Paris, Le Mercure de France, 1989.
* 1255 Simone de
Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.402.
* 1256 Ibid, p.450.
* 1257 Ibid, p.620.
* 1258 Ibid, p.611.
* 1259 Michael Walzer
(1988), La critique sociale au XXème siècle. Solitude et
solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.157.
* 1260 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.215-216.
* 1261 Jules Roy,
J'accuse le général Massu, Paris, Seuil, 1972, p.96. Il
faut noter que ce même Jules Roy s'associera, 25 ans après (et
somme toute paradoxalement eu égard aux lignes précitées),
à un appel intitulé « Justice pour les
harkis » (publié dans Libération du 23
décembre 1997), dans lequel on peut notamment lire :
« Par indifférence, par incurie, par lâcheté, par
hostilité même, on a laissé les harkis dans un abandon
matériel et moral qui a fait de ces hommes et de leurs enfants,
français à part entière, des marginaux
héréditaires. Avoir honte des harkis, c'est avoir honte de
nous-mêmes ».
* 1262 Frantz Fanon, op.
cit., p.51.
* 1263 Ibid, p.52.
* 1264 Jean-Paul Sartre,
« Question de méthode » in Critique de la raison
dialectique, op. cit., p.60.
* 1265 Olivier Todd,
Albert Camus, une vie, Paris, Gallimard, 1996, p.756.
* 1266 Extrait cité
in Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Paris, Seuil,
1997, p.542. Onze ans auparavant, dans L'homme révolté,
Camus avait dénoncé l'arbitraire du « nihilisme
révolutionnaire et la fétichisation de la violence qui lui est
corrélative : « [Des coeurs médiocres] se
consoleront au nom de l'histoire de ce que la violence soit nécessaire
[donc excusable], et ajouteront alors le meurtre au meurtre, jusqu'à ne
faire de l'histoire qu'une seule et longue violation de tout ce qui, dans
l'homme, proteste contre l'injustice ». Et de conclure :
« En face d'une future réalisation de l'idée, la vie
humaine peut être tout ou rien. Plus grande est la foi que le calculateur
met dans cette réalisation, moins vaut la vie humaine. A la limite, elle
ne vaut plus rien » (L'homme révolté in
Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
1965).
* 1267 Ibid, p.6.
* 1268 Ibid, p.51-52.
* 1269 Cité in
Raoul Girardet, L'idée coloniale en France de 1871 à
1962, Paris, La Table Ronde, 1972, p.309.
* 1270 Marcel Péju,
« Une gauche respectueuse », Les temps modernes,
Paris, n°169-170, avril-mai 1960, p.1512 et suivantes.
* 1271 Jean-Paul Sartre,
« Plaidoyer pour les intellectuels » [1965], Situations
VIII, Paris, Gallimard, 1972, p.421.
* 1272 Ibidem.
* 1273 Jean-Paul Sartre,
« Plaidoyer pour les intellectuels » [1965], Situations
VIII, Paris, Gallimard, 1972, p.410.
* 1274 Ibid, p. 424. C'est
l'auteur qui souligne.
* 1275 Ibid, p. 405.
« Arrachés de la France bourgeoise, ne pouvant devenir
algériens, Sartre et Beauvoir voient un monde que l'idéologie a
aplati, écrit Michael Walzer. Le FLN représente la
libération, les Français sont des fascistes. Les choix politiques
sont d'une facilité extraordinaire : une fonction directe de la distance
critique » (Michael Walzer [1988], La critique sociale au
XXème siècle. Solitude et solidarité, Paris, Editions
Métailié, 1995, p.157). Dans cette optique, la modération
camusienne et les entreprises de médiation qui l'accompagnent, seront
interprétées par la mouvance sartrienne comme l'expression d'une
vaine (et lâche) reculade devant l'Histoire. Et c'est ainsi que l'on en
vient à assimiler la « morale de Croix-Rouge » de
l'auteur de L'homme révolté (l'expression est de Francis
Jeanson ; cf. « Albert Camus ou l'âme
révoltée », Les Temps modernes, mai 1952) -
pourtant loin d'être inactif, comme en témoignent son
« Appel pour une trêve civile » et ses Chroniques
algériennes - à un « silence » :
« Parmi les laïques, s'indigne Simone de Beauvoir, que de
silences consentants ! Celui de Camus me révoltait. (...) La
supercherie, c'est qu'il feignait en même temps de se tenir au-dessus de
la mêlée, fournissant ainsi une caution à ceux qui
souhaitaient concilier cette guerre et ses méthodes avec l'humanisme
bourgeois » (Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris,
Gallimard, 1963, p.406).
* 1276 Albert Memmi
[1957], Portrait du colonisé, précédé de
Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une
préface de Jean-Paul Sartre. Voir aussi Albert Memmi, « Le
colonisateur de bonne volonté », La Nef, 12
décembre 1957. Juif tunisien de langue maternelle arabe, mais
formé à l'école française, Albert Memmi choisira de
s'engager aux côtés des mouvements indépendantistes. Bien
qu'ayant soutenu le mouvement indépendantiste en Tunisie, il ne pourra
trouver sa place dans le nouvel Etat et se repliera en France, demandant et
obtenant la nationalité française en 1965.
* 1277 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.364 et 372.
* 1278 Jean-Paul Sartre,
préface à Frantz Fanon, Les damnés de la terre,
Paris, Maspero, 1961, p.20.
* 1279 Michael Walzer
[1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et
solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.158.
* 1280 Albert Memmi,
Portrait du colonisé, cité in WALZER Michael, op.cit.,
p.158.
* 1281 Michael Walzer
[1988], La critique sociale au XXème siècle. Solitude et
solidarité, Paris, Editions Métailié, 1995, p.158.
* 1282 Michael Walzer,
"Excusing Terror", The American Prospect, vol. 12, n°18, 22
Octobre 2001. C'est nous qui soulignons.
* 1283 Albert Memmi
[1957], Portrait du colonisé, précédé de
Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une
préface de Jean-Paul Sartre.
* 1284 Albert Memmi
[1957], Portrait du colonisé, précédé de
Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une
préface de Jean-Paul Sartre.
* 1285 Sur la notion
de « meurtre nécessaire », voir John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.79-80.
* 1286 Albert Memmi
[1957], Portrait du colonisé, précédé de
Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1992, avec une
préface de Jean-Paul Sartre. C'est nous qui soulignons.
* 1287 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.364.
* 1288 Albert Camus,
L'homme révolté, in Essais, Paris,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965.
* 1289 Albert Camus,
« Lettres sur la révolte », Actuelles II,
in Essais, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
1965, p.772.
* 1290 Albert Camus,
«Avant-propos» aux Chroniques algériennes in Essais,
Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p.897.
* 1291 En mai 1960, dans
Esprit, Jean Daniel dit « [craindre] que nos philosophes
n'en soient arrivés à «sacraliser» le FLN comme les
intellectuels staliniens sacralisaient il y a quelques années le Parti
communiste. C'est la recherche angoissée de l'absolu
disparu » (repris in Michel Winock, Le siècle des
intellectuels, Paris, Seuil, 1997, p.539).
* 1292 Benjamin Stora,
issu de la gauche trotskyste (Organisation communiste internationaliste, OCI),
se réclame lui-même de l'héritage anticolonialiste ;
voir son récit de ses années d'engagement : Benjamin Stora,
La dernière génération d'octobre, Paris, Stock,
2003 : « On sait, et cela éclaire en partie mon parcours
d'historien, que je suis né dans une famille juive d'Algérie.
Sans nul doute, la blessure de l'exil, l'attachement à mon enfance, le
traumatisme de la guerre vécue entre 1955 et 1962 ont-ils
favorisé cette longue recherche sur l'histoire algérienne,
commencée dans les années 1970. Mais il est une autre origine qui
éclaire ce parcours, celle de mon engagement politique. Rares sont ceux
qui savent à quel point le militantisme a occupé une vie
antérieure, et ce texte va surprendre » (Quatrième de
couverture).
* 1293 Mohammed Harbi,
Gilbert Meynier, Madeleine Rébérioux, Annie Rey-Goldzeiguer et
Pierre Vidal-Naquet, « Les années algériennes,
ou la soft histoire médiatique ? », Peuples
méditerranéens, n°58-59, 1ersemestre 1992,
et Naqd, revue d'études et de critique sociale (Alger), n°
2, février-mai 1992, p. 91-99.
* 1294 Déclaration
faite à l'occasion du colloque La guerre d'Algérie dans la
mémoire et l'imaginaire, organisé les jeudi 14 et vendredi
15 novembre 2002 sur le Campus de Jussieu à Paris.
* 1295 Propos recueillis
par Emmanuel Davidenkoff, « La torture sans commentaires »,
Libération du 5 décembre 2000, p.23.
* 1296 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989.
* 1297 Selon Michel
Winock, « il faut encore rendre cette justice aux intellectuels
«dreyfusards», dont Pierre Vidal-Naquet fut une des figures
courageuses. A la tête du Comité Maurice-Audin, il n'hésite
pas à mettre en cause les responsabilités du FLN et du
gouvernement français dans le massacre des harkis - ces unités
arabo-berbères supplétives que les autorités ont
constituées dans la lutte contre le FLN » (Le
siècle des intellectuels, Paris, Seuil, 1997, p.544).
* 1298 Ibid, p.216.
* 1299 Ibidem.
* 1300 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.218.
* 1301 Ibid.
* 1302 Ibid. C'est nous
qui soulignons. A rebours de Pierre Vidal-Naquet, Jean Lacouture s'est
attaché à montrer en 1985, dans un livre intitulé
Algérie, la guerre est finie, combien était fragile
l'assertion tendant à établir des faits de
« collaboration » dans le cas algérien, et donc la
propension à ramener les attendus des représailles de 1962
à ceux de l'épuration de 1944 : « Les dirigeants
du nouvel Etat arguèrent [à propos des massacres de
l'après-indépendance] qu'il s'agissait là de
«bavures» et que ces violences, dues à la colère
populaire contre des «collaborateurs», ne différaient
guère de ce qui s'était passé en France pendant
l'été et l'automne 1944. Ce qui était confondre des
situations historiques fort différentes. Etant données la
complexité des situations dans l'Algérie d'avant 1962, la nature
des rapports établis depuis plusieurs générations entre
l'armée française et la population algérienne, la
situation des anciens combattants musulmans, les faits de
«collaboration» en Algérie ne sauraient en bon droit
être assimilés à la collusion des ressortissants d'un Etat
souverain avec une armée d'occupation
étrangère ». Et d'ajouter : « Il fallait
avoir une conscience politique relativement affinée pour pouvoir
déceler à partir de quel moment le fait de servir dans
l'armée française, comme l'avaient fait avec éclat nombre
de dirigeants nationalistes (tel Ahmed Ben Bella) constituait un
crime » (Jean Lacouture, Algérie, la guerre est finie,
Bruxelles, Editions Complexe, 1985, p.176).
* 1303 Claude Bourdet
(« Notre Gestapo algérienne »,
France-Observateur du 13 janvier 1955), Hubert Beuve-Méry
(« Sommes-nous les vaincus de Hitler ? », Le
Monde, 13 mars 1957), Maurice Tarek Maschino (dénonçant la
« nazification » du régime), etc. Sur le
réinvestissement de schèmes d'interprétation se rapportant
à la période de l'Occupation, voir Tramor Quemeneur,
Insoumission, tortures et indépendance algérienne. Des
débats entre morale et politique (1954-1962), communication au
VIème Congrès de l'Association française de
science politique, Rennes, 30 septembre 1999 ; voir aussi Tramor
Quemeneur, « Réfractaires français dans la guerre
d'Algérie (1954-1962) », in Jean-Charles Jauffret et Maurice
Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre
d'Algérie, Bruxelles, Éditions Complexe, 2001, p.115-136.
* 1304 Le Monde
du 28 novembre 2000 (c'est nous qui soulignons). Déjà, le 5
septembre 1960, au cours du procès du réseau Jeanson, Pierre
Vidal-Naquet, appelé comme témoin, avait déclaré
à l'audience s' « [être] beaucoup penché sur
le problème des tortures. Il s'agissait bel et bien d'un système,
d'un univers concentrationnaire comme celui dans lequel j'avais perdu mes
parents ». Il reviendra par la suite sur cette comparaison :
« Je regrette la comparaison entre l'Algérie et la disparition
dans les chambres à gaz. Pour le reste, j'ai eu totalement
raison » (cité in Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels
français, Complexe, 1991, p.45).
* 1305 Paulette
Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les
harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000,
p.108. En outre, cette tendance à établir des homologies
phénoménales et/ou structurales, révéler
(réveiller ?) des oppositions récurrentes (ou
supposées telles) d'acteurs, expliquer causalement selon des liaisons,
voire des lois, déjà établies, revêtait - et
revêt encore aujourd'hui - une fonction de légitimation qui n'est
pas sans rapport avec le concret des relations sociales (« la lutte
des places ») puisque professée par un collège
d'acteurs - les « porteurs de valise » - soucieux
d'établir une filiation valorisante entre résistance et
anticolonialisme et de retourner, ce faisant, l'accusation de trahison qui leur
était accolée par les pouvoirs publics. Ainsi en va-t-il de
Jean-Paul Sartre, dans sa lettre au président du tribunal permanent des
forces armées, à l'occasion du procès du réseau
Jeanson : « Les professeurs de la Sorbonne, pendant la
Résistance, n'hésitaient pas à transmettre des plis et
à faire des liaisons. Si Jeanson m'avait demandé de porter des
valises ou d'héberger des militants algériens, et que j'aie pu le
faire sans risque pour eux, je l'aurais fait sans hésitation »
(Extrait cité in Francis Jeanson, Sartre dans sa vie, Paris,
Editions du Seuil, 1974, p.217). Commentaire de Francis
Jeanson : « Qu'il me pardonne si je me trompe, mais je
crois bien que Sartre - vers cette époque-là - s'est plus ou
moins senti réconcilié avec lui-même. Un peu comme au temps
de l'occupation allemande, la situation se clarifiait, l'adversaire
était facile à désigner, et l'exercice de la
liberté, grâce aux obstacles mêmes qui lui étaient
opposés, pouvait de nouveau échapper à son habituelle
compromission avec l'ordre établi » (Ibid, p.219).
* 1306 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.218.
* 1307 Le bilan officiel
des attentats du FLN (et du MNA) en métropole pour la période
comprise entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962 est de
12.989 agressions ayant occasionné 4.176 tués et 8.813
blessés (dont musulmans : 3.957 tués et 7.745
blessés ; métropolitains civils : 150 tués et
649 blessés ; militaires : 16 tués et 140
blessés ; policiers : 53 tués et 279
blessés).
* 1308 Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi in Les harkis : une mémoire enfouie,
Paris, Autrement, 1999, p.58-59. Voir aussi le Conseil du rapport
économique et social du 14 mars 1963, cité dans la Partie 1.
Dalila Kerchouche fait état de cas de séquestration et
d'assassinats d'anciens harkis par des membres de la Fédération
de France du FLN, à Clermont-Ferrand, en septembre 1962 (Mon
père, ce harki, Paris, Seuil, 2003, p.49-50). Pour sa part, Fatima
Besnaci-Lancou rend compte, à travers le récit de son oncle (un
ancien militaire d'active, qui a réussi à fuir l'Algérie
par ses propres moyens - avec l'aide d'un pied-noir en instance d'embarquement
- après y avoir été victime de sévices), du
contrôle très étroit exercé dans les bassins
d'emploi industriel par les membres de ladite Fédération de
France : « Arrivés à Port-Vendres, les
réfugiés algériens étaient pris en charge par la
Croix-Rouge, la police et la gendarmerie. Je montrai mes papiers militaires
à un gendarme qui me demanda si j'étais rapatrié. Je ne
connaissais pas le sens du mot. On me remit deux cents francs et un billet pour
Metz en me disant qu'en Lorraine, je trouverais du travail dans les mines de
charbon ou dans l'industrie. A Metz, je dénichais rapidement un
hôtel bon marché et un travail de terrassier. (...) Le lendemain,
le patron de la pension me convoqua dans son bureau pour remplir une fiche
réglementaire. Dans la pièce se trouvaient également deux
hommes armés. Leurs poches épousaient la forme des pistolets. Ils
me demandèrent pourquoi j'avais quitté le pays. Je
répondis que j'étais venu chercher du travail pour subvenir aux
besoins de ma famille. Ils me demandèrent mon nom, mon prénom,
mon âge et l'adresse de mes parents en Algérie en me promettant de
faire une enquête. Si je n'étais pas un ancien de l'armée
française, affirmaient-ils, je pourrais travailler et vivre
tranquillement en France. Dans le cas contraire, je ne serais en
sécurité nulle part, ni en France, ni en Allemagne. Puis ils
partirent en me prenant cent francs d'impôt obligatoire pour les
orphelins d'Algérie. (...) Je passai la nuit suivante à
côté de la gare » (Fille de harki : le
bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie,
Paris, Les éditions de l'Atelier / Les éditions Ouvrières,
2003, p.95-96). Après avoir été trouver refuge dans une
gendarmerie, il sera finalement réintégré dans
l'armée.
* 1309 « Les
résistants algériens ont sans doute le droit de mépriser
les harkis, et de les tenir pour des traîtres » (Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.218).
* 1310 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.217.
* 1311 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.218.
* 1312 Pierre
Vidal-Naquet, « La guerre révolutionnaire et la
tragédie des harkis », in Face à la raison
d'Etat : un historien dans la guerre d'Algérie, Paris, La
Découverte, 1989, p.216-217.
* 1313 Dans une libre
opinion intitulée « Justice pour les harkis »,
publiée dans l'édition du Monde en date du 4 novembre
1999, Dominique Schnapper avait écrit ceci : « Les
intellectuels de gauche, spécialisés dans la défense des
victimes, avaient été trop engagés dans le juste combat
contre les tortures de l'armée française et dans l'appui au FLN
pour qu'ils pussent faire autre chose, au mieux, que de leur manifester,
verbalement une fois, leur sympathie. Les défenseurs des harkis
n'étaient pas dans le bon camp, et toutes les victimes n'ont pas le
droit à la même solidarité ».
* 1314 Et dont il est
symptomatique que l'auteur omette lui-même d'évoquer le massacre
des harkis lors même qu'il consacrerait certains développements
à s'étonner de ce que « les présentations de la
répression française en Algérie, de 1954 à 1962,
oublieront, omettront souvent de parler des crimes commis par le
FLN » (Alfred Grosser, Le crime et la mémoire, Paris,
Flammarion, 1989).
* 1315 Alfred Grosser,
Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989, p.29.
* 1316 Ibid, p.208.
* 1317 « Ce
monde compartimenté, ce monde coupé en deux est habité par
des espèces différentes. (...) Quand on aperçoit dans son
immédiateté le contexte colonial, il est patent que ce qui
morcelle le monde c'est d'abord le fait d'appartenir ou non à telle
espèce, à telle race. (...) L'espèce dirigeante est
d'abord celle qui vient d'ailleurs, celle qui ne ressemble pas aux autochtones,
«les autres» ». (Frantz Fanon, Les damnés de la
terre, Paris, Maspero, 1961, p.9).
* 1318 Jouant sur des
ressorts émotionnels puissants, ce parallèle, quoique ou
parce que grossier, fera florès auprès de secteurs mal
informés - ou peu enclins à l'être - de l'opinion. J'ai
été moi-même témoin de ce que, une fois
informés du sujet de ma thèse, les non-spécialistes
avaient spontanément tendance à se former une image
réflexe des intéressés qui, précisément,
était conforme au schéma pré-établi :
« harki = collabo ».
* 1319 En dépit de
cette condamnation, Siné continue d'user de ce parallèle dans ses
prises de position publiques. C'est ainsi que dans Charlie Hebdo du 11
janvier 2006, il écrit : « La mission dirigée par
Jean-Louis Debré sur le "rôle positif" ou non de la colonisation
va interroger des Pieds-Noirs et des Harkis pour connaître leurs
sentiments à ce sujet. C'est un peu comme si, pour écrire
l'histoire de l'occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale, on
allait demander leur avis à d'anciens collabos ». A cette
occasion, de nouvelles poursuites ont été engagées contre
lui par diverses associations de rapatriés, harkis et pieds-noirs.
* 1320 Voir notamment
Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La
résistance française à la guerre d'Algérie,
Paris, Seuil, 1982.
* 1321 Francis Jeanson,
Sartre dans sa vie, Paris, Editions du Seuil, 1974, p.220.
* 1322 Voir notamment
Daniel Bell [1960], La fin des idéologies : sur
l'épuisement des idées politiques dans les années
1950, Paris, PUF, 1997.
* 1323 Voir notamment
Francis Fukuyama, La fin de l'histoire et le dernier homme, Paris,
Flammarion, 1992.
* 1324 « Le
combat pour l'indépendance algérienne : une fausse
coïncidence », entretien avec Paul Thibaud et Pierre
Vidal-Naquet, in Les violences en Algérie, recueil de textes de
la revue Esprit, n°71 de la collection Opus chez Odile Jacob,
1997, p.157-176 ; cité in Guy Pervillé, Pour une
histoire de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002,
p.291-292 ; voir la Partie 4 : « Les conditions du
pardon : obstructions militantes ».
* 1325 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.292.
* 1326 « Du 17
octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec
Marcel Péju, ancien secrétaire général des
Temps modernes, Hommes et libertés, N°116,
septembre - novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf.
http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.
C'est nous qui soulignons.
* 1327 Dominique Vidal,
« Ces «traîtres» qui sauvèrent l'honneur de la
France », Le Monde Diplomatique, septembre 2000, p.28-29.
* 1328 On touche
peut-être ici à l'un des plus grands poncifs de la guerre
d'Algérie : le pacifisme supposé des soutiens
français au FLN, lesquels soutinrent pourtant indéfectiblement
une insurrection qui portait dans ses fonts baptismaux les espérances
révolutionnaires de toute une frange de la gauche intellectuelle.
* 1329 Dans un article
intitulé « Les grenouilles qui demandent un roi » et
publié dans L'Express du 25 septembre 1958, Jean-Paul Sartre,
qui appelle à voter "Non" au référendum constitutionnel
qui doit se tenir trois jours plus tard, explique en ces termes les raisons de
son choix : « Ne l'oubliez pas ; toute
l'ambiguïté vient de là : de Gaulle n'est pas fasciste,
c'est un monarque constitutionnel ; mais personne ne peut plus voter
pour de Gaulle aujourd'hui : votre "Oui" ne peut s'adresser qu'au
fascisme. Comprenons enfin qu'on ne tire pas un pays de son impuissance en
confiant la toute-puissance à un seul homme ».
* 1330 Cf. Norbert Elias
et John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.
* 1331 Ce dont
témoigne, par exemple, la réédition récente des
opus de Paulette Péju [1961], Ratonnades à Paris et
Les harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte,
2000.
* 1332 Intervention
à la librairie des Presses Universitaires de France, le 15 novembre
2000, boulevard Saint-Michel.
* 1333 Pendant la guerre,
Mohammed Harbi, aujourd'hui historien vivant en France, fut successivement
militant de la Fédération de France du FLN jusqu'en 1958
(chargé de la propagande), puis cadre civil dans différents
ministères du GPRA (notamment aux Affaires étrangères), et
enfin expert aux négociations d'Evian.
* 1334 Mohammed Harbi
interrogé par Nadjia Bouzeghrane pour le journal algérien El
Watan du 15 septembre 2005 ; interview consultable à cette
adresse : http://www.elwatan.com/2005-09-15/2005-09-15-26214.
* 1335 Ibid.
* 1336 François
Gèze, « Algérie : face au poids de l'histoire et
à la manipulation », Politique autrement, n°13,
juin 1998.
* 1337 Gilles Manceron,
« Justice et ambiguïtés de l'hommage aux
harkis », Hommes et Libertés, N°116,
septembre-novembre 2001 [
http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idhomme=889&idpere=868.
* 1338 Ibid.
* 1339 « Du 17
octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec
Marcel Péju, ancien secrétaire général des
Temps modernes, Hommes et libertés, N°116, septembre -
novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf.
http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.
* 1340 Entretien
donné par Gilbert Meynier à Kadour M'Hamsadji sous le
titre : « En histoire, tout est dialectique », et
publié dans le journal algérien L'Expression en date du
9 mars 2005, ; cf. http://dzlit.free.fr/meynier.html.
* 1341 Entretien
donné par Gilbert Meynier à Nadjia Bouzeghrane pour le
journal algérien El Watan du 10 mars 2005 sous le titre :
« Les harkis n'ont été ni plus ni moins que des
mercenaires » ; interview consultable à cette
adresse : cf.
http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=539.
* 1342 Fatima
Besnaci-Lancou, Fille de harki, Paris, Les éditions de
l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003 (Avec une préface
de Jean Daniel et Jean Lacouture).
* 1343
http://www.coupdesoleil.net/lettrecds.htm.
* 1344 Fatima
Besnaci-Lancou, fille de harki, avait huit ans en 1962. Après avoir
évoqué les circonstances de l'engagement de son père
auprès de l'armée française, elle raconte comment
plusieurs membres de sa famille, ainsi que de proches connaissances, en vinrent
à être massacrés par le FLN quelques semaines après
l'indépendance, et ce presque toujours au terme d'effroyables
tortures.
* 1345 Olivier Le Cour
Grandmaison (dir.), Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat à
Paris, Paris, La Dispute, 2001.
* 1346 Charlotte Nordmann,
« Ce qui s'est passé le 17 octobre 1961 » ;
article consultable à cette adresse :
http://17octobre1961.free.fr/pages/Histoire.htm
(site de l'association « 17 octobre 1961 : contre
l'oubli »). C'est nous qui soulignons.
* 1347 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée à dans le cadre
de l'Université de tous les savoirs ; texte disponible à
cette adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 1348 Charles-Robert
Ageron, « Les Français devant la guerre civile
algérienne », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre
d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.61.
* 1349 Article
réédité dans L'Humanité du 18 novembre
2000.
* 1350 Simone de Beauvoir,
La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, p.525.
* 1351 Paulette
Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les
harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000.
Cette réédition est augmentée d'une introduction de Marcel
Péju et d'une préface de Pierre Vidal-Naquet, sur lesquelles nous
reviendrons.
* 1352 Paulette
Péju [1961, Maspero], Ratonnades à Paris et Les
harkis à Paris, Paris, Éditions La Découverte, 2000,
p.109. C'est nous qui soulignons.
* 1353 « Du 17
octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec
Marcel Péju, ancien secrétaire général des
Temps modernes, Hommes et libertés, N°116,
septembre - novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf.
http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.
* 1354 Interview de Marcel
Péju par Sarah Raouf, du Quotidien d'Oran, dans un article
intitulé : « Mots croisés sur France 2 : De
nouveau, la guerre d'Algérie ».
* 1355 Marcel Péju,
« Contre les harkis et contre le massacre des harkis »,
Marianne, n°341, semaine du 3 au 9 novembre 2003. Marcel
Péju apparaît clairement comme une sorte d'exception quant aux
effets produits par le mouvement de bascule idéologique des vingt
à trente dernières années sur les formes de
désignation de l'adversaire : lui persiste et signe, dans des
termes identiques à ceux d'autrefois.
* 1356 Norbert Elias et
J.-L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997.
* 1357 Intervention de Guy
Pervillé dans le cadre du colloque La guerre d'Algérie dans
la mémoire et l'imaginaire, organisé les jeudi 14 et
vendredi 15 novembre 2002 sur le campus de Jussieu, à Paris.
* 1358 Introduction
à la réédition du livre de Paulette Péju [1961,
Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris,
Paris, Éditions La Découverte, 2000, p.21.
* 1359 Cité dans la
série d'émissions diffusées par Radio-France sur la guerre
d'Algérie, émission n°7, « L'OAS, les derniers
jours », conception et réalisation : Patrice
Gélinet et Christine Bernard-Sugy, 1987. C'est nous qui soulignons.
* 1360
« Assurément, écrivait Jean-François Sirinelli
en 1991, la guerre d'Algérie a marqué en profondeur une
génération de jeunes clercs en lui conférant un principe
d'identité. Pour cette raison même, cette
génération, qui est passée entre-temps sur le devant de la
scène, a conservé comme une image rétinienne de ce
conflit, et sa vision de la cité s'en ressentira toujours »
(« Les intellectuels français en guerre
d'Algérie », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François
Sirinelli, La guerre d'Algérie et les intellectuels
français, Complexe, 1991, p.28).
* 1361 Il faut ainsi de
nouveau rappeler que le bilan des exactions du FLN en métropole
s'établit à près de 4.000 morts et 8.000 blessés
(11.567 victimes précisément selon le Journal Officiel du 14
avril 1962), quasiment tous musulmans, et en quasi-totalité des civils,
au sein d'une population de quelques trois à quatre cent mille
travailleurs immigrés. Il en ressort que la fréquence
anormalement élevée de l'emploi de méthodes
répressives illégitimes au sein de la FPA trouve son pendant dans
le contrôle extraordinairement sévère et meurtrier
exercé par la Fédération de France sur ceux qu'elle
prétendait représenter par privilège : car à
moins de considérer que les civils musulmans visés par le FLN en
métropole - qu'ils fussent militants du MNA ou qu'ils rechignassent
à cotiser au FLN - n'étaient pas de "vrais" Algériens, le
contexte de guerre à Paris fut autrement plus complexe que le
schéma ressassé d'un affrontement binaire entre forces de l'ordre
(« harkis » ou « policiers ») d'un
coté, et « Algériens » de l'autre.
* 1362 Propos recueillis
par Antoine Coursat et Richard Lerchbaum, « Ils ont torturé
dans Paris », Le vrai papier journal, n°7,
février 2001. C'est nous qui soulignons.
* 1363 Pierre Vidal-Naquet
« La première dénonciation des crimes »,
Hommes et Libertés, n°116, septembre - novembre 2001.
* 1364 Introduction
à la réédition du livre de Paulette Péju [1961,
Maspero], Ratonnades à Paris et Les harkis à Paris,
Paris, Éditions La Découverte, 2000, p.21.
* 1365 Pierre Vidal-Naquet
« La première dénonciation des crimes »,
Hommes et Libertés, n°116, septembre - novembre 2001.
* 1366 Henry Rousso,
« La guerre d'Algérie dans la mémoire des
Français », allocution prononcée à dans le cadre
de l'Université de tous les savoirs ; texte disponible à
cette adresse :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-267206,0.html.
* 1367 « Du 17
octobre 1961 à la question des harkis » ; entretien avec
Marcel Péju, ancien secrétaire général des
Temps modernes, Hommes et libertés, N°116, septembre -
novembre 2001, propos recueillis par Gilles Manceron ; cf.
http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.
* 1368 « On a
cru, écrivait Paul Thibaud en 1990, que La Dépossession du
monde (Jacques Berque, 1964) ouvrait un champ à un pluralisme
radicale des formes politiques, culturelles, économiques. La diplomatie
gaulliste d'un côté, le tiers-mondisme révolutionnaire de
l'autre ont été en France comme une intériorisation de la
décolonisation » (Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.54-55).
* 1369 Le milieu
intellectuel sécrétant sa propre mémoire, l'historien
risque, en effet, s'il n'y prend garde, de se promener dans une galerie des
glaces déformantes. Déformation double, et déjà
signalée : cette mémoire intellectuelle n'a-t-elle pas
fait la part trop belle aux souvenirs d'une partie de la gauche ?
(...) Assurément, la guerre d'Algérie a notamment marqué
en profondeur une génération de jeunes clercs en lui
conférant un principe d'identité. Pour cette raison même,
cette génération, qui est passée entre-temps sur
le devant de la scène, a conservé comme une image
rétinienne de ce conflit » (Jean-François
Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et
pétitions au XXème siècle, Paris, Fayard,
1990, p.221 à 223. C'est nous qui soulignons).
* 1370 Guy
Pervillé, op.cit., p.305.
* 1371 « Quel
héritage pour faire face aux défis du présent
? » Rencontre avec Jean-Claude Guillebaud dans le cadre d'un
Mardi de Politique Autrement, le 7 novembre 2000, La lettre,
n°22 ; cf.
http://www.politique-autrement.asso.fr/lettre/lettre22.htm.
* 1372 Jean-Claude
Guillebaud, « D'une torture à l'autre »,
Sud-Ouest dimanche, 17 juin 2001, p.2. Cité in Guy
Pervillé, op.cit., p.307.
* 1373 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.51-52.
* 1374 Ibid, p.52.
* 1375 Paul Thibaud,
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.52-53.
* 1376 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.59.
* 1377 Lors d'un colloque
organisé le 26 juin 1996 au Point de Capiton (Espace de recherches
psychanalytiques, à L'Isle-sur-Sorgue, dans le Vaucluse), Simone Molina
disait d'elle-même : « Je suis ( vous voyez... j'aurais
dû écrire "j'ai été" !) moi-même victime d'un
attentat OAS en 1962, dans un quartier socialement mixte d'Alger ».
Et elle ajoute : « Les positions humanistes et démocrates
de mes parents étaient sans doute trop
insupportables ? ».
* 1378 Simone Molina,
Introduction aux actes du colloque « Traumatisme et Transmission, un
double reflet de la trace », Rencontre du 22 novembre 1997, au
Cercle, Avignon ; actes publiés au Point de Capiton,
L'Isle-sur-Sorgue.
* 1379 Simone Molina,
« Je suis semblable à celui qu'en le reconnaissant comme
homme, je fonde à me reconnaître comme tel », actes du
colloque « Pluralité des langages et singularité de la
Parole », Rencontre du 26 juin 1996 au Point de Capiton, à
L'Isle-sur-Sorgue ; actes publiés au Point de Capiton,
L'Isle-sur-Sorgue.
* 1380 Par "fils et filles
de harkis", nous entendons exclusivement désigner les membres de la
deuxième génération.
* 1381 Cf. Vincent de
Gaulejac, L'Histoire en héritage. Roman familial et trajectoire
sociale, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
* 1382 Cf. Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996.
* 1383 Pour une
définition précise du concept goffmanien de « ronde
journalière », voir plus bas l'entame du chapitre II de la
Partie 3.
* 1384 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996.
* 1385 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.73.
* 1386 Voir plus bas la
section I.A.1. de la Partie 3 : « La difficulté d'en
parler (du côté des pères) ».
* 1387 Voir notamment le
récit de Djami (C'est la vie, Paris, La Pensée
Universelle, 1993), marquée par la très violente
décrépitude d'un père à jamais marqué par la
guerre, ou celui de Zahia Rahmani (Moze, Paris, Sabine Wespieser
Éditeur, 2003), dont le père, enfermé dans son mutisme et
le souvenir d'une éprouvante captivité, choisit de mettre fin
à ses jours un 11-novembre. Nous reviendrons sur ces deux récits
plus avant.
* 1388 Nombreux sont les
enfants de harkis à nous avoir fait part de la prégnance,
aujourd'hui encore, de telles interjections.
* 1389 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Desclée de Brouwer, Paris,
1996, p.185
* 1390 Norbert Elias, John
L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.51.
* 1391 Voir à cet
égard les éclairages critiques apportés par John Crowley
au sujet de la distinction opérée par Carl Schmitt selon laquelle
« la discrimination spécifique du politique, à laquelle
peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c'est la distinction de
l'ami et de l'ennemi » (Carl Schmitt, La notion de politique /
Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972, p.64), en
particulier la nécessité de ne pas céder à une
forme d'illusion anthropologique ou essentialiste en la matière, et de
considérer le caractère artificieux d'une telle distinction.
Ainsi, le propre de l'ennemi intérieur,
« considéré de manière sérieusement
schmittienne », est, selon John Crowley, « de se situer sur
le point d'indétermination de la distinction entre inimicus et
hostis » : « il n'est dans un rapport
d'inimitié avec tel ou tel, ajoute-t-il, que parce que
politiquement désigné comme tel » (John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley, Cultures &
Conflits, n°41 : « Pacifications,
Réconciliations » (tome 2), printemps 2001, p.82-83).
* 1392 En ce sens que,
dans les interactions de la vie quotidienne, les gens ordinaires se rattachent
ou sont identifiés de prime abord à des catégories
sociales définies de manière essentiellement "empirique" :
les Français dits "de souche", les populations issues de l'immigration
maghrébine, les fils et les filles de harkis, etc.
* 1393 Cf. Vincent de
Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places,
Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
* 1394 Claude Dubar, La
socialisation, construction des identités sociales et professionnelles,
Paris, Armand Colin, 1991.
* 1395 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.14.
* 1396 Ibidem.
* 1397 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.112.
* 1398 Jean-Charles
Pochard, « «Nous, vous, eux», la discrète
contribution des pronoms au processus d'identification politique »,
in Denis-Constant Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on
"nous" en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.85.
* 1399 Denis-Constant
Martin, « Le choix d'identité », R.F.S.P.,
vol.42, n°4, août 1992, p.583.
* 1400 Claude
Lévi-Strauss (dir.), L'identité, Paris, Grasset, 1977,
p.332.
* 1401 Denis-Constant
Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en
politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.20.
* 1402 Denis-Constant
Martin (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on "nous" en
politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p.246.
* 1403 Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, 5, mai 1990.
* 1404 Denis-Constant
Martin (dir.), op.cit., p.32.
* 1405 Paul Ricoeur,
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p.138.
* 1406 Olivier Mongin,
Paul Ricoeur, Paris, Le Seuil, 1994.
* 1407 Denis-Constant
Martin, op.cit., p.21.
* 1408 Si l'on suit Paul
Ricoeur, il n'y a pas de difficulté épistémologique
à glisser de l'individuel au collectif. Des modèles - les
« organisations symboliques », les
« représentations » (Edmond-Marc Lipiansky) -
assurent la correspondance entre structures psychiques et structures
sociales.
* 1409 Mohand Hamoumou,
« Les harkis, un trou de mémoire
franco-algérien », Esprit, «
France-Algérie : les blessures de l'histoire », n°
161, mai 1990, p. 25-45 ; voir aussi Mohand Hamoumou,
Archives orales de Français-musulmans ou les conditions d'une
immigration de guerre, rapport à l'attention du ministère de
la Culture, Direction du Patrimoine ethnologique, juin 1988.
* 1410 Ces
considérations sont le fruit d'un séminaire méthodologique
dans le cadre du DEA 126 (science politique, université Paris
IX-Dauphine, 1998-1999) au cours duquel Jacqueline Palmade avait eu
l'amabilité de consacrer quelques commentaires à mes travaux.
* 1411 Stéphane
Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un
exil, Paris, Autrement, 2003.
* 1412 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.88. C'est nous qui soulignons.
* 1413 A. Mucchielli,
L'identité, Paris, Q.S.J. ?, PUF, n°2288, 1992,
2ème édition, p.68.
* 1414 Pierre Nora,
op.cit.
* 1415 Ibid.
* 1416 Gérard
Namer, Mémoire et société, Paris, Librairie des
Méridiens, 1987, p.239.
* 1417 Claudine
Attias-Donfut, Sociologie des générations - L'empreinte du
temps, Paris, PUF, 1988, p.182.
* 1418 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Mohamed, recruté à 17
ans dans les harkas à la suite de l'assassinat de son père et de
l'incendie de sa maison par le FLN, en 1958, est aujourd'hui président
de l'association de harkis et de leurs enfants de Largentière. Ses
propos, recueillis en présence de Jean-Claude (fils de harki et
secrétaire de l'association présidée par Mohamed), ont un
statut à part dans le corpus des entretiens : son cas doit
être distingué de celui des trois autres Mohamed, qui sont pour
leur part des fils de harkis.
* 1419 Entretien,
Largentière, novembre 1998. Jean-Claude, 31 ans, est aide-soignant.
* 1420 Gérard
Noiriel, Le creuset français, histoire de l'immigration
XIXème-XXème siècles, Paris,
Seuil, 1988, p.215.
* 1421 Boussad Azni, 42
ans, cité par Pascale Nivelle, « Accord et harki »,
Libération des 10 et 11 novembre 2001.
* 1422 Irène
Théry, « Malaise dans la filiation »,
Esprit, n°227, décembre 1996, p.50-53.
* 1423 Ibid, p.216.
* 1424 Edmond-Marc
Lipiansky, Identité et communication, l'expérience
groupale, Paris, PUF, 1992, p.128.
* 1425 Ibid, p.129.
* 1426 Entretien,
printemps 1997, Paris. Hassina a 26 ans. Elle est étudiante en arabe
(niveau maîtrise) et prépare un CAPES d'arabe à Paris.
* 1427 Entretien,
printemps 1997, Paris. Dalila a 23 ans. Pigiste dans un hebdomadaire parisien
à grand tirage axé sur l'actualité politique, elle est
titulaire d'une licence de philosophie et a été formée aux
métiers du journalisme dans le cadre d'un contrat de qualification.
* 1428 Notre corpus
d'entretiens comprenant deux Dalila (23 et 37 ans), nous préciserons
leur âge pour les distinguer.
* 1429 Entretien,
printemps 1997, Paris. François a 29 ans. Enseignant-chercheur à
Paris, il poursuit actuellement une thèse de science politique.
* 1430 Entretien,
printemps 1997, Paris. Jacqueline a 26 ans. Détentrice d'un bac G1 et
d'un DEUG d'histoire, elle est aujourd'hui hôtesse d'accueil dans la
succursale parisienne d'une grande marque automobile.
* 1431 Témoignage
de Mohamed Bouremel, la soixantaine, Mende (Lozère) : « A
Mende, encore aujourd'hui, les harkis ne se réunissent jamais dans
l'année. Même le jour de l'Aïd-el-Kébir, on fait
profil bas, on baisse la tête, on fait tout pour ne pas se faire
remarquer. Parce qu'on a peur d'être renvoyés en
Algérie » ; cité par Stéphane Gladieu et
Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.107.
* 1432 Entretien,
printemps 1997, Paris. Karim a 31 ans. Sa formation est polyvalente :
titulaire d'un C.A.P. de cuisine, d'une capacité en droit et d'un bac G1
(obtenu en candidat libre), il est également détenteur d'un
diplôme d'Etat dans l'action sociale relatif aux fonctions d'animation.
Il travaille aujourd'hui dans l'administration en tant qu'ouvrier professionnel
des sports et se prépare à un concours d'agent de
maîtrise.
* 1433 Entretien,
printemps 1997, Paris. Dalila a 37 ans. Elle a mené, à l'issue de
sa scolarité, des études de comptabilité commerciale
(interrompues en deuxième année). Elle est aujourd'hui
secrétaire.
* 1434 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Ahmed a environ 25 ans. Il est
salarié et prend des cours du soir en plus de son travail pour
remédier à une mauvaise orientation initiale.
* 1435 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Mohamed a 35 ans. Il a servi onze
années dans l'armée en tant que sous-officier après avoir
poursuivi des études supérieures. Il est actuellement sans emploi
et entraîne, à titre bénévole, l'équipe
première de football de Largentière
* 1436 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Rachid a 34 ans. Il a quitté
l'école à 15 ans et demi, puis a perdu son père peu
après, alors qu'il était âgé de 16 ans. Paysagiste
de formation, il est actuellement sans emploi. Il dit, avec ironie, n'avoir
« jamais rien à foutre » et définit le
Bar-PMU Les Recollets comme son « fief ». Son entretien a
lieu en présence de Mohamed, 28 ans, sans emploi.
* 1437 Entretien,
printemps 1997, Paris. Régika a 37 ans. Titulaire d'un BEP de couture,
elle exerce aujourd'hui la profession de chauffeur de taxi. Elle est
également présidente d'association.
* 1438 Témoignage
de Madame Allem, Bias (Lot-et-Garonne), recueilli par Stéphane Gladieu
et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.99.
* 1439 Zahia Rahmani,
Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.30-31.
* 1440 Madame Betha, la
soixantaine, Mende (Lozère), citée par Stéphane Gladieu et
Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.92.
* 1441 Madame Haffi, 67
ans, Bias (Lot-et-Garonne), citée par Stéphane Gladieu et Dalila
Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.100.
* 1442 À cet
égard, le "coût" narcissique de l'écrit est moindre que
celui d'un entretien face-à-face, qui plus est avec un inconnu, puisque
l'écrit permet de choisir les mots et le moment, tout en
préservant l'auteur d'un rapport direct avec son
interlocuteur-lecteur.
* 1443 Djami, C'est la
vie, Paris, La pensée universelle, 1993.
* 1444 Zahia Rahmani,
op.cit.
* 1445 Ibid, p.19-20.
* 1446 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.19. En intériorisant le regard que la société
porte sur ses parents, l'enfant est, selon Vincent de Gaulejac, partagé
entre deux attitudes : « trahir pour se sauver » (la
forclusion), ou « reproduire pour ne pas trahir »
(l'intériorisation de la honte familiale). La forclusion, ou l'exclusion
de toute référence au père comme tiers signifiant, se
traduit par la désunion d'un « représentant »
sensible (le père) et d'un
« représenté » symbolique (la figure du
père) : le réel subsiste, mais hors la symbolisation. A
l'inverse, l'intériorisation consiste à endosser
l'héritage paternel et les contradictions qui lui sont inhérentes
(pour soi et/ou aux yeux d'autrui), quel qu'en soit le coût
psychologique.
* 1447 Edmond-Marc
Lipiansky, op.cit., p.34.
* 1448 Ibid, p.7-8.
* 1449 Irène
Théry, art.cit.
* 1450 Claude Dubar,
op.cit., p.7.
* 1451 Témoignage
anonyme extrait de Mohand Hamoumou, Archives orales de
Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre,
rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du
Patrimoine ethnologique, juin 1988 ; repris in Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi, op.cit., p.123.
* 1452 Entretien,
printemps 1997, Evry (Essonne). Mohamed a 42 ans. Commandant de police, il a,
auparavant, brièvement exercé la profession d'aide comptable
(voie qui correspondait à sa formation initiale mais guère
à ses aspirations). Mis au fait de l'orientation particulière de
notre recherche, Mohamed nous informe d'entrée que son père est
décédé (accidentellement) en 1964 ; Mohamed
n'était alors pas encore sorti de l'enfance (il avait 9 ans) et n'a donc
jamais réellement eu l'occasion de converser "d'homme à homme"
avec son père. Nous avons dû modifier, en conséquence, les
termes et l'orientation de la consigne d'entretien, initialement centrée
sur la relation directe père/enfant. Néanmoins, il va de soi que
la référence spirituelle, l'identification à l'image
idéelle fantasmée et/ou relayée du père sont
récurrentes dans les propos de Mohamed et présentent, du point de
vue de notre analyse, un intérêt de tout premier ordre.
* 1453 Notre corpus
d'entretiens comprenant trois Mohamed (28, 35 et 42 ans), nous
préciserons leur âge pour les distinguer.
* 1454 K.D. Bouneb,
Délit de Faciès. Intégration des harkis ?,
Paris, Editions Tougui, 1991, p.57.
* 1455 Ibid, p.124.
* 1456 Ibid, p.149.
* 1457 Ibid, p.151.
* 1458 Denis-Constant
Martin, op.cit., p.583.
* 1459 Selon Erving
Goffman, « [L'information sociale] touche à ce qui
caractérise [un individu] de façon plus ou moins durable, par
opposition aux humeurs, aux sentiments ou aux intentions qu'il peut avoir
à un moment donné » ; Erving Goffman, op.cit.,
p.58-59.
* 1460 Ibid, p.59.
* 1461 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris,
Desclée de Brouwer, 1994, p.18.
* 1462 Erving Goffman,
op.cit., p.68.
* 1463 Erik.H. Erikson,
Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris,
Flammarion, 1972, p.17.
* 1464 Denis-Constant
Martin, op.cit., p.15.
* 1465 Claude Dubar,
op.cit., p.113.
* 1466 Ibid, p.114.
* 1467 Ibid, p.115-116.
* 1468 Ibid, p.116.
* 1469 La notion de
"trajectoire vécue" désigne la manière dont les individus
reconstruisent subjectivement les événements qu'ils jugent
significatifs de leur biographie sociale et/ou de la mémoire de leur
groupe d'appartenance.
* 1470 Erving Goffman,
op.cit., p.49.
* 1471 Selon Erving
Goffman, « la ronde journalière représente un
concept-clé, car c'est elle qui relie l'individu à ses diverses
situations sociales. Il s'ensuit qu'on ne saurait l'étudier sans une
intention précise, sans chercher à découvrir une
réalité définie : si l'individu est une personne
discréditée, le cycle des événements ordinaires qui
limitent son acceptation par la société ; s'il est
discréditable, les difficultés qu'il éprouve à
contrôler l'information sur lui-même ; Erving Goffman,
op.cit., p.112.
* 1472 Eric Landowski,
Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II,
Paris, PUF, 1997, p.45.
* 1473 Ibid, p.48.
* 1474 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.112.
* 1475 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.112.
* 1476 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.64-65.
* 1477 Alex Mucchielli,
op.cit., p.66-67.
* 1478 Outre Erving
Goffman (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, voir notamment Peter Berger et Thomas
Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris,
Méridiens Klincksieck, 1986.
* 1479 Voir notamment
Jean-Claude Deschamps, L'attribution et la catégorie sociale,
Berne, Peter Lang, 1977, ainsi que Jean-Claude Deschamps et Alain
Clémence, L'explication quotidienne, Rennes, Presses
Universitaires de Rennes, 2000.
* 1480 Eric Landowski,
Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II,
Paris, PUF, 1997, p.46.
* 1481 Jean-Claude
Deschamps, L'attribution et la catégorie sociale, Berne, Peter
Lang, 1977, p.12.
* 1482 Erving Goffman,
op.cit., p.161.
* 1483 Eric Landowski,
op.cit., p.46-47.
* 1484 En février
2003, un sondage CSA / Le Parisien / Aujourd'hui en France
réalisé par téléphone auprès d'un
échantillon national représentatif de 1.000 personnes
âgées de 18 ans et plus montrait que 62% des Français
avaient une mauvaise image de l'Algérie. Trois ans plus tôt, en
février 2000, un même sondage faisait état de 82%
d'opinions négatives (sondage CSA / MEDI 1 réalisé les 15
et 16 février 2000 auprès d'un échantillon national
représentatif de 1.002 personnes âgées de 18 ans et
plus).
* 1485 A cet égard,
il n'est pas inutile de citer à nouveau le général de
Gaulle, s'adressant à Alain Peyrefitte dans le cadre d'une conversation
privée, en 1959 : « C'est très bien qu'il y ait
des Français jaunes, des Français noirs, des Français
bruns. Ils montrent que la France est ouverte et qu'elle a une vocation
universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité.
Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même
avant tout un peuplement européen de race blanche, de culture grecque et
latine et de religion chrétienne. Qu'on ne se raconte pas
d'histoires ! » ; cf. Alain Peyrefitte, C'était
de Gaulle, tome 1, « La France redevient la France »,
Paris, Éditions de Fallois/Fayard, 1994, p.52. C'est nous qui
soulignons.
* 1486 Eric Landowski,
op.cit., p.46-47.
* 1487 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995, p.225.
* 1488 En France, la
cristallisation de l'imaginaire xénophobe en un racisme anti-arabe
résulte principiellement de l'association entre histoire coloniale et
dynamiques migratoires selon Éric Savarèse (Histoire
coloniale et immigration. Une invention de l'étranger, Paris,
Séguier, 2000), du transfert de la mémoire de
l'« Algérie française » selon Benjamin Stora
(Le Transfert d'une Mémoire. De l' « Algérie
française » au racisme anti-arabe, Paris, La
Découverte, 1999).
* 1489 Norbert Elias et
John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997, p.21.
C'est nous qui soulignons.
* 1490 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris,
Desclée de Brouwer, 1994, p.98.
* 1491 K.D. Bouneb,
op.cit., p.127.
* 1492 Selon Erving
Goffman, participent des stigmates tribaux (ou ethniques) la race, la
nationalité et la religion.
* 1493 K.D. Bouneb,
op.cit., p.61.
* 1494 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Lahcène a 24 ans.
Dépourvu de diplôme, il travaille en CDD à la mairie de
Largentière comme ouvrier polyvalent. L'entretien se déroule en
présence de Zohra, 45 ans, une tante de Lahcène, elle-même
fille de harki.
* 1495 Akila Bouremel, la
soixantaine, Mende (Lozère), citée par Stéphane Gladieu et
Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.107.
* 1496 Entretien,
printemps 1997, Paris. Rabah a entre 35 et 40 ans. Il est fonctionnaire.
* 1497 Lakhdar
Belaïd, Sérail killers, Paris, Gallimard, 2000.
* 1498 Interview de
Lakhdar Belaïd par Delphine Thouvenot pour l'Ecole supérieure de
journalisme de Lille ; cf. interview consultable à cette
adresse :
http://www.esj-lille.fr/atelier/magan2/lilledeu/gens/belaid.htm.
* 1499 Charles
Bénédicte, « Il était
médaillé : ça n'a pas arrangé ses affaires.
L'ex-harki s'expulse de sa cité », Marianne,
n°344, semaine du 24 novembre 2003 au 30 novembre 2003 ;
http://www.marianne-en-ligne.fr/archives/e-docs/00/00/30/E9/document_article_marianne.phtml.
Dix-huit auparavant, en avril 1985, à Toulon également, un fait
divers plus dramatique encore, mais dont les ressorts sont comparables, avait
défrayé la chronique. Un ancien harki âgé de 58 ans
avait tué trois de ses voisins (deux d'origine algérienne, un
d'origine marocaine), après qu'il eût été l'objet,
pendant des mois, d'insultes, de vexations et de brimades en raison de son
engagement passé aux côtés de l'armée
française. Il avait été hospitalisé quelques jours
auparavant à la suite d'une énième
échauffourée, et s'était adressé plusieurs fois
à la police pour porter plainte, sans résultat. Robert Mouson,
alors président de l'association des Français musulmans et de
leurs amis avait apporté les précisions suivantes :
« Les immigrés le prenaient régulièrement
à partie. Il n'en pouvait plus. La vie devenait infernale pour lui. Sa
plainte n'a pas eu de suite et il en était déçu.
D'ailleurs, ce n'est pas un cas unique. Des bagarres éclatent
régulièrement avec les mêmes antagonistes et pour les
mêmes raisons dans les foyers Sonacotra de la ville. Il y a
déjà eu trois blessés. Les Français musulmans
paient très cher leur choix. Ils doivent se taire ou recevoir des
coups » (Propos rapportés dans Le Figaro du 16 avril
1985, avec pour titre : « Le coup de folie de l'ancien
harki », et pour sous-titre : « Il était un
«traître» pour ses voisins algériens. Dimanche soir,
à Toulon, il n'a plus supporté. Le sang a
coulé »).
* 1500 Smaïl Zidane,
cité par Christine François, « Le père de Zidane
ne veut plus qu'on le traite de «harki» », La
Provence du 24 septembre 1998. C'est nous qui soulignons.
* 1501 Norbert Elias et
John L. Scotson, op.cit., p.176.
* 1502 Ibidem.
* 1503 Tahar Ben Jelloun,
Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996 ; extrait
cité in Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas
des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan,
1997, p.120.
* 1504 Tahar Ben Jelloun,
Les raisins de la galère, Paris, Fayard, 1996 ; extrait
cité in Mohamed Kara, Les Tentations du repli communautaire. Le cas
des Franco-Maghrébins et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan,
1997, p.120.
* 1505 Lakhdar
Belaïd, « Crise algérienne : la
(non-)réaction des Algériens vivant en France »,
Etudes, avril 1995, p.442.
* 1506 Rachid Boudjedra,
« L'honneur de l'armée algérienne », in
Le Monde du 6 juillet 2002, p.15.
* 1507 Habib
Souaïdia, La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier
des forces spéciales de l'armée algérienne, Paris, La
Découverte, 2001.
* 1508 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
* 1509 Voir les
définitions de ces notions ci-dessous, dans la section B.
* 1510 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.112.
* 1511 Ibid.
* 1512 Ibid, p.58 et 112
à 121.
* 1513 Cf. Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins et
des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.150-151 et 164-165.
* 1514 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.184.
* 1515 Ibidem.
* 1516 Raymond Boudon,
entrée « Influence », in Raymond Boudon et
François Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie,
Paris, PUF, 1982, p.299.
* 1517 Ibid, p.299-300.
* 1518 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et
corrigée 1999), p.284.
* 1519 Erving Goffman,
op.cit., p.125.
* 1520 Ibid, p.123.
* 1521 Ibidem.
* 1522 Sous le vocable de
« normaux », Erving Goffman entend désigner les
individus qui ne différent pas négativement des anticipations que
nous formulons quant à leur identité sociale.
* 1523 Erving Goffman,
op.cit., p.99.
* 1524 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et
corrigée 1999), p.188-189.
* 1525 Ibid, p.84-85 et
190.
* 1526 Erving Goffman,
op.cit., p.124-125.
* 1527 Erving Goffman,
op.cit., p.60.
* 1528 Marianne, la
trentaine (Rivesaltes, Pyrénées-Orientales), citée par
Stéphane Gladieu et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux
racines d'un exil, Paris, Autrement, 2003, p.106.
* 1529 La maman de Sarah,
anonyme (Perpignan), citée par Stéphane Gladieu et Dalila
Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.106
* 1530 Zahia Rahmani,
Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.66-67.
* 1531 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas, Regroupement et dispersion.
Relégation, réseaux et territoires des Français
musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations Familiales,
Université de Lyon 2, mars 1987, p.23-24.
* 1532 Jean-Jacques Jordi
et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie,
Éditions Autrement, 1999, p.108.
* 1533 Mohamed Bouremel,
la soixantaine, Mende (Lozère), cité par Stéphane Gladieu
et Dalila Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.107.
* 1534 « A
travers la stigmatisation, écrit Nicole Lapierre, le nom n'est plus
seulement un attribut plus ou moins arbitraire, il devient une essence. Ainsi
les noms particulièrement typifiants glissent-ils du signe d'origine
à la nature de l'être » (Nicole Lapierre, Changer de
nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999),
p.281).
* 1535 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et
corrigée 1999), p.285.
* 1536 Ibidem.
* 1537 Djellouli Bent
Ahmed : « Nous, nous étions dans un camp plus ou moins
administré par les Pieds-noirs où les changements de
prénoms étaient nombreux car il y avait une assistante sociale
pied-noir qui les changeait d'office, sans l'avis des parents. Elle a choisi le
prénom des enfants dans plus de deux mille familles, elle les a tous
francisés. Pendant son règne, à chaque naissance, elle
inscrivait un prénom français » ; cité par
Nicole Lapierre, Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition
revue et corrigée 1999), p.283.
* 1538 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et
corrigée 1999), p.342-343.
* 1539 Ibid, p.284.
* 1540 Mohammed
Guerroumi : « Quand je téléphonais pour un boulot
ou un appartement et que je disais Guérin Jean-Pierre, pas de
problème... Mais quand je me présentais avec ma tête
basanée et frisée, il n'y avait plus de boulot pour moi, ou plus
d'appartement » ; cité par Nicole Lapierre, Changer
de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et corrigée 1999),
p.334.
* 1541 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et
corrigée 1999), p.14-15.
* 1542 Ibid, p.191.
* 1543 Moustapha Diop,
« Regards croisés », Hommes &
Migrations, n°1135, septembre 1990, p.34.
* 1544 Sur la
postérité abrasive de la geste anticolonialiste de la guerre
d'Algérie et ses effets inhibiteurs sur les enfants de harkis, en
particulier s'agissant de la faculté de se réclamer de son
ascendance : voir les témoignages de T., 29 ans, titulaire d'une
maîtrise d'informatique (« A l'adolescence, ce mot de harki m'a
gêné : sans m'en rendre compte, j'avais été un
peu contaminé par l'intoxication gauchiste qui relayait celle du
FLN »), et de Z., 34 ans, licenciée en psychologie
(« Eux les copains immigrés, ils citaient Fanon, Vidal-Naquet,
Avoir vingt ans dans les Aurès, etc. (...). J'ai compris plus
tard qu'on nous a confisqué notre histoire, qu'on nous a imposé
une façon de la voir avec des lunettes
déformantes ») in Jean-Jacques Jordi et Mohand
Hamoumou, op.cit., p.17 et 121.
* 1545 Marwan Abi Samra et
François-Jérôme Finas rapportent le témoignage d'un
jeune du Logis d'Anne (Bouches-du-Rhône), qui laisse entendre que la
(mauvaise) réputation des fils de harkis dans la région n'est pas
pour rien dans ses difficultés à trouver un travail :
« Du travail, il n'y en a pas. Aujourd'hui, je suis resté
toute la journée à Manosque chercher du boulot, j'ai
cherché partout dans les stations services, dans les hôtels, dans
les magasins. Je veux faire n'importe quoi, mais tu sais, tu n'es pas seulement
arabe, mais en plus tu es harki, alors... » (Regroupement et
dispersion. Relégation, réseaux et territoires des
Français musulmans, rapport pour la Caisse Nationale d'Allocations
Familiales, Université de Lyon 2, mars 1987, p.148).
* 1546 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.96.
* 1547 Hocine, 26 ans,
cité par Philippe Bernard, « De la honte à la
rage », Le Monde du 21 mars 1992, p.8.
* 1548 Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.145.
* 1549 J'ai volontairement
changé son prénom pour préserver son anonymat.
* 1550 J'use là
encore, pour les mêmes raisons, d'un pseudonyme.
* 1551 Erving Goffman
définit comme « normaux » les individus qui, dans le
cercle des rapports sociaux ordinaires, « ne divergent pas
négativement des attentes particulières nourries à leur
endroit » ou, pour le dire autrement, « qui ne
possèdent une différence fâcheuse d'avec ce à quoi
nous nous attendions » ; cf. Erving Goffman [1963],
Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions
de Minuit, 1975, p.15.
* 1552 Ibid, p.90-91.
* 1553 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.107.
* 1554 Norbert Elias et
John L. Scotson, Logiques de l'exclusion, Paris, Fayard, 1997,
p.18.
* 1555 Ibidem.
* 1556 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.157.
* 1557 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.72.
* 1558 Eric Landowski,
Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II,
Paris, PUF, 1997.
* 1559 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.46.
* 1560 Par
« reconnaissance cognitive », Erving Goffman désigne
« l'acte de perception qui consiste à "situer" un individu
comme ayant telle ou telle identité sociale ou personnelle ».
Par « reconnaissance sociale », l'auteur renvoie à
la connaissance intime, personnelle, que l'on a de quelqu'un, par-delà
l'acte de perception (Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux
des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.85-86).
* 1561 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.88.
* 1562 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.86 et 130.
* 1563 Fritz Heider,
The psychology of interpersonal relations, New York, John Wiley &
Sons, 1958.
* 1564 Leon Festinger,
A theory of cognitive dissonance, Stanford, Stanford University Press,
1957.
* 1565 Jean-Claude
Deschamps, Alain Clémence, L'explication quotidienne, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 2000, p.11-12.
* 1566 Vincent de
Gaulejac, op.cit., p.73.
* 1567 Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.146-147.
* 1568 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.107.
* 1569 Kamel (sans
précision d'âge), cité in Mohamed Kara, op.cit., p.147.
* 1570 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.65.
* 1571 K.D. Bouneb,
op.cit., p.61.
* 1572 Ibidem.
* 1573 Ibid, p.104.
* 1574 Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.138, 152 et 153.
* 1575 Carmel Camilleri,
« Identité et gestion de la disparité culturelle :
essai d'une typologie », in C. Camilleri, J. Kastersztein, E. M.
Lipiansky, H. Malewska-Peyre, I. Taboada-Leonetti, & A. Vasquez (Eds.),
Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990, p.85 à
110.
* 1576 Erving Goffman
(1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.106-107.
* 1577 Erving Goffman
(1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.49.
* 1578 Leila, 39 ans, Bias
(Lot-et-Garonne) ; citée par Stéphane Gladieu et Dalila
Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.92.
* 1579 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.69.
* 1580 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.120.
* 1581 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.87.
* 1582 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti (dir.), La lutte des places. Insertion
et désinsertion, Marseille/Paris, Desclée de Brouwer,
1994 ; voir aussi Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte,
Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.72.
* 1583 Commentaire de
Lahcène à ce sujet : « Ici, c'est
plutôt discret, ici. Ici, tu peux pas te montrer avec une femme. Tu sais,
c'est le respect par rapport... le respect, c'est les traditions, quoi. Tant
que t'es pas marié ou fiancé, tu peux pas... ».
* 1584 Erving Goffman
(1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.44. Plus loin, Goffman ajoute :
« Allié ou non à ses semblables, l'individu
stigmatisé manque rarement à manifester l'ambivalence de ses
identifications lorsqu'il voit l'un de ceux-ci exhiber, sur un mode baroque ou
pitoyable, les stéréotypes négatifs attribués
à sa catégorie. (...) D'où les tentatives
d'"épurement" par lesquelles l'individu stigmatisé s'efforce non
seulement de "normifier" sa conduite, mais aussi d'amender
celle de certains de ses pareils. Et c'est peut-être lorsqu'un
stigmatisé, se trouvant "avec" un normal, vient à croiser l'un de
ces éléments déplaisants de son groupe que l'ambivalence
s'exprime avec le plus d'acuité » (p.129-130. C'est nous qui
soulignons).
* 1585 Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997.
* 1586 Ces remarques
recoupent en partie l'impression qui avait été la mienne au
contact de certains Ardéchois de "vieille souche". Alors que j'expliquai
à un homme d'un certain âge habitant un village voisin de
Largentière la raison de ma présence dans la région, sa
première réaction fut de se lamenter que les harkis et leurs
enfants n'étaient « pas très travailleurs ».
Il est ainsi bien évident qu'une "réputation"
précède les enfants de harkis, qui, sans autre égard pour
la trajectoire particulière des anciens harkis et de leurs familles, ne
facilite pas leur insertion socioprofessionnelle dans la région.
* 1587 Mohand Hamoumou,
« Révoltes des enfants d'anciens harkis : quelques
clés pour comprendre », Esprit, septembre 1991,
n°174, p.113.
* 1588 Les notions
d' « autrui généralisé » et
d' « autrui significatif » sont empruntées
à G. H. Mead [1934], L'esprit, le soi et la
société, Paris, PUF, 1963.
* 1589 Erving Goffman
(1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.52.
* 1590 Ibid, p.17-18.
* 1591 Leila, 39 ans, Bias
(Lot-et-Garonne) ; citée par Stéphane Gladieu et Dalila
Kerchouche, Destins de harkis. Aux racines d'un exil, Paris,
Autrement, 2003, p.92.
* 1592 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Mohamed a 28 ans. Il est sans
emploi.
* 1593 Notre corpus
d'entretiens comprenant trois Mohamed (28, 35 et 42 ans), nous
préciserons leur âge pour les distinguer.
* 1594 Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.139.
* 1595 Ibidem.
* 1596 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.65.
* 1597 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.201.
* 1598 Ibid, p.66.
* 1599 Par
« itinéraire moral », Erving Goffman entend
désigner la « suite d'adaptations personnelles »
auxquelles sont contraintes « les personnes affligées d'un
certain stigmate » (Erving Goffman [1963], Stigmate. Les
usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975,
p.45-46).
* 1600 Vincent de
Gaulejac, op.cit., p.69.
* 1601 Pour Vincent de
Gaulejac, l'affirmation du sentiment d'identité passe par la quête
de la dignité, qu'il définit à la fois comme mobilisation
du sujet pour sauvegarder sa subjectivité et quête de la
réciprocité dans l'espace social et politique, « sans
trahir ni se déjuger ». Il s'agit - tout à la fois
individuellement et collectivement - de signifier son refus de la
dépendance statutaire : « Le sentiment d'identité
a deux aspects : un aspect personnel qui est l'expression de
l'individualité, sentiment d'être acteur de sa propre vie,
d'être sujet de son histoire, de pouvoir affirmer son existence propre,
de pouvoir dire je ; un aspect social qui inscrit l'individu dans
un groupe (...) par la reconnaissance de son appartenance à ce groupe,
et qui évoque l'idée de réciprocité. La
dignité s'étaie sur ces deux composantes de
l'identité : le respect de soi qui renvoie à la
personne ; le respect que les autres vous portent » (Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.136-137).
* 1602 Mohamed Kara,
Les Tentations du repli communautaire. Le cas des Franco-Maghrébins
et des enfants de Harkis, Paris, L'Harmattan, 1997, p.138.
* 1603 Ibid, p.157.
* 1604 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.198-199.
* 1605 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada-Léonetti, La lutte des places, Paris,
Desclée de Brouwer, 1997, p.77.
* 1606 Ibid, p.194-195
(voir détails infra).
* 1607 Erving Goffman
(1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.123.
* 1608 Interview de
Philippe Blanchet par Dialogues politiques en hommage à Pierre
Bourdieu ; cf.
http://www.la-science-politique.com/revue/revue1/article9.htm.
* 1609 « La
formation de l'identité, écrit Erik H. Erikson, commence
là où cesse l'utilité de l'identification. Elle surgit de
la répudiation sélective et de l'assimilation mutuelle des
identifications de l'enfance ainsi que de leur absorption dans une nouvelle
configuration qui, à son tour, dépend du processus grâce
auquel une société identifie le jeune individu en le
reconnaissant comme quelqu'un qui avait à devenir ce qu'il est et qui,
étant ce qu'il est, est considéré comme
accepté » (Citation de E.H. Erikson, Adolescence et crise,
la quête de l'identité, Paris, Flammarion, 1972, in Alex
Mucchielli, L'identité, Paris, « Que
sais-je ? », PUF, 1992, p.60-61).
* 1610 Maurice Halbwachs,
La mémoire collective, Paris, PUF, 1968 (1ère
édition 1950), p.78.
* 1611 Claudine
Attias-Donfut, Sociologie des générations. L'empreinte du
temps, Paris, PUF, 1988, p.185.
* 1612 Claudine
Attias-Donfut, Sociologie des générations. L'empreinte du
temps, Paris, PUF, 1988, p.184.
* 1613 Gérard
Namer, Mémoire et société, Paris, Librairie des
Méridiens, 1987, p.224.
* 1614 Ibid, p.226.
* 1615 Ibid, p.227.
* 1616 Ibid, p.224.
* 1617 Edmond-Marc
Lipiansky, op.cit., p.42.
* 1618 Claude Dubar,
op.cit., p.47.
* 1619 Gérard
Namer, Mémoire et société, Paris, Librairie des
Méridiens, 1987, p.239.
* 1620 Témoignage
publié sur le forum du site administré par Amid Toualbia ;
cf. http://www.harkis.org/news/index.php3?forum=1.
* 1621 Témoignage
anonyme extrait de Mohand Hamoumou, Archives orales de
Français-musulmans ou les conditions d'une immigration de guerre,
rapport à l'attention du ministère de la Culture, Direction du
Patrimoine ethnologique, juin 1988 ; repris in Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi, op.cit., p.123.
* 1622 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.243-244.
* 1623 Youri Afanassiev,
entrée « Mémoire-histoire », in Youri
Afanassiev et Marc Ferro (dir.), 50 idées qui ébranlent le
monde, Paris, Payot, 1990, p.412.
* 1624 Maurice Halbwachs,
op.cit., p.48.
* 1625 Alex Mucchielli,
op.cit., p.68.
* 1626 Ibid, p.60.
* 1627 E.H. Erikson,
Adolescence et crise, la quête de l'identité, Paris,
Flammarion, 1972, p.13.
* 1628 Citation de H.
Tajfel in Serge Moscovici, Introduction à la psychologie
sociale, Paris, Larousse, 1972, p.292.
* 1629 Dalila Kerchouche,
Mon père, ce harki, Paris, Editions du Seuil, 2003 (avec une
préface de Jacques Duquesne).
* 1630 Entretien, novembre
1998, Largentière (Ardèche). Challah a 35 ans. Détenteur
d'un CAP, il est actuellement sans emploi. Se définissant comme un
artiste, il participe de temps en temps à des radio-crochets.
* 1631 Vincent de
Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer,
1996, p.223 et 259.
* 1632 Nicole Lapierre,
Changer de nom, Paris, Stock, 1995 (Édition revue et
corrigée 1999), p.225.
* 1633 Entretien,
printemps 1997, Paris. Taouès a 47 ans. Née en Algérie, et
"rapatriée" à l'âge de 12 ans, elle est mariée
à un fils de pied-noir et responsable des relations publiques au sein
d'une association de rapatriés.
* 1634 Témoignage
de M. L. extrait du documentaire intitulé Les Harkis,
IIIème partie, réalisé par Alain de Sédouy et Eric
Deroo, GMT Productions, 1994 ; repris in Jean-Jacques Jordi et Mohand
Hamoumou, op.cit., p.92.
* 1635 Cf. Le
supplément télévision du Monde des 22 et 23
juillet 1990.
* 1636 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris,
Desclée de Brouwer, 1994, p.97.
* 1637 Mohand Hamoumou et
Jean-Jacques Jordi, op.cit., p.14.
* 1638 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris,
Desclée de Brouwer, 1994, p.62 et 195.
* 1639 Ibid, p.34.
* 1640 Edmond-Marc
Lipiansky, op.cit., p.18.
* 1641 Michel Roux,
Les harkis, les oubliés de l'histoire, Paris, La
Découverte, 1991, p.415.
* 1642 Zahia Rahmani,
Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.20 et 23.
* 1643 Ibid, p.23-24.
* 1644 Vincent de Gaulejac
et Isabelle Taboada Léonetti, dir., La lutte des places, Paris,
Desclée de Brouwer, 1994, p.98.
* 1645 Pierre Hassner,
Introduction au dossier « mémoire, justice,
réconciliation », Critique internationale, n°5,
1999, p.124 ; cité in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.8-9.
* 1646 Daniel Rivet,
« Présence/absence des accords d'Évian et des premiers
jours de l'indépendance algérienne dans quelques journaux
français », allocution donnée dans le cadre du colloque
intitulé « La guerre d'Algérie dans la mémoire
et l'imaginaire » et organisé les 14 et 15 novembre 2002 sur
le campus de Jussieu, à Paris.
* 1647 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.
* 1648 La loi du 11
juillet 1987, dite loi Santini, entérinait ainsi le versement d'une
indemnité forfaitaire de 60.000 francs. A la suite, et dans une
même logique, la loi du 11 juin 1994, dite loi Romani, entérinait
le versement d'une indemnité forfaitaire dite
« complémentaire » - par rapport à celle de
1987 - de 110.000 francs.
* 1649 La rente
viagère est une allocation versée annuellement au
bénéfice des anciens harkis (ou veuves de harkis) dont les
revenus sont proches du minimum vieillesse.
* 1650 D'après le
Comité Harkis et Vérité, présidé par Charles
Tamazount, juriste et enfant de harki originaire du camp de Bias, dans le
Lot-et-Garonne ; cf. www.chez.com/harkis.
* 1651 Réponse du
Premier ministre Jean-Pierre Raffarin publiée dans le Journal Officiel
du Sénat du 2 janvier 2003 (page 23) à la question écrite
du 25 juillet 2002 du sénateur socialiste Jean-Marc Pastor.
* 1652 Outre l'article 4,
désormais abrogé, l'article 3 porte création d'une
« fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des
combats du Maroc et de Tunisie », et l'article 5 interdit
« toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un
groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée
de harki », ainsi que « toute apologie des crimes commis
contre les harkis et les membres des formations supplétives après
les accords d'Evian ». Nous y reviendrons plus avant.
* 1653 Pour sa part, la
première génération - anciens harkis ou conjoints
survivants - bénéficie de la prorogation des aides à
l'acquisition ou à l'amélioration de la résidence
principale, des demandes de secours exceptionnels pour faire face au
surendettement immobilier, ainsi que de la possibilité de choisir entre
une « allocation de reconnaissance » versée
annuellement sans limitation de durée (2.800 euros par an) ou un capital
plus important versé en une seule fois (30.000 euros).
* 1654 Symptomatiques
à cet égard étaient les conclusions du rapport
établi en 1999, au nom de la commission des affaires culturelles,
familiales et sociales de l'Assemblée nationale, par le
député Serge Blisko, qui, tout en appelant à
« sortir des dispositifs dérogatoires qui stigmatisent les
harkis au sein de la communauté nationale au profit d'un travail de
mémoire et de reconnaissance historique », affirmait cependant
que les « dispositifs de réparation mériteraient sans
doute d'être prolongés d'une année
supplémentaire » (Rapport fait au nom de la commission des
affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale
sur la proposition de résolution de Monsieur François Goulard
« tendant à la création d'une commission
d'enquête sur la situation actuelle des harkis en France et plus
particulièrement sur la situation de leurs enfants »). En
1990, déjà, le ministère de la Solidarité faisait
savoir que le gouvernement envisageait de supprimer les aides
spécifiques et de faire revenir les harkis sous le régime
général : « Beaucoup d'argent a été
mal employé. Il a eu une efficacité très relative, et a
renforcé la marginalisation » (Source anonyme au sein du
ministère, citée in Libération du 16 octobre
1990).
* 1655 Voir plus la
section II.A.2 de la Partie 4, ainsi que la Partie 2.
* 1656 Didier
Demazière, Claude Dubar, Analyser les entretiens biographiques.
L'exemple de récits d'insertion, Paris, Nathan, 1997.
* 1657 Pierre Lepape,
« Du silence à la mémoire. La guerre d'Algérie
dans la littérature », Etudes, octobre 1993,
p.395.
* 1658 Abdelkrim Klech,
porte-parole des grévistes de la faim, cité in Maach R.,
« L'intransigeance amère des fils de harkis »,
Libération, 6 octobre 1997, p.17.
* 1659 Ibidem.
* 1660 Ibidem.
* 1661 Martine Aubry,
ministre de l'Emploi et de la Solidarité, en réponse à une
question d'Emmanuel Hamel, sénateur, séance du 30 septembre 1997.
C'est nous qui soulignons.
* 1662 Nice-Matin
du 27 septembre 1997.
* 1663 Emmanuelle Gilles,
Les évènements de l'été 1991 : un
début de règlement de la question harkie ou la poursuite de
l'interminable exception ?, Rennes 1, IEP, 2003, p.74.
* 1664 Vincent Geisser,
Ethnicité républicaine. Les élites d'origine
maghrébine dans le système politique français, Paris,
Presses de la F.N.S.P., 1997, p.230.
* 1665 Martine Aubry,
ministre de l'Emploi et de la Solidarité, en réponse à une
question d'Emmanuel Hamel, sénateur, séance du 30 septembre
1997.
* 1666 Maach R., art.cit.,
p.17.
* 1667 Dalila Kerchouche,
« Harkis : le droit à l'histoire »,
L'Express, 9 octobre 1997, p.49.
* 1668 Marie-Claire
Lavabre, « Usages du passé, usages de la
mémoire », R.F.S.P., vol.44, n°3, juin 1994.
* 1669 Abdelkrim Klech,
cité in Cédric Alviani, « Harki solitaire face au
dôme des invalides », Libération,
1er janvier 1998, p.18.
* 1670 Aujourd'hui en
France, Le Télégramme et Nice-Matin du 7
octobre 1997. C'est nous qui soulignons.
* 1671 Il faut noter que
ces mêmes modalités de mise sur agenda avaient abouti à de
mêmes résultats en 1991, à Narbonne, où les
« effets de récupération » liés
à la défection de certains leaders - démobilisés
par des promesses individuelles d'embauche - « [avaient]
été mal ressentis par l'ensemble des jeunes harkis, trahis dans
leur élan collectif », et « [avaient] entravé
l'issue de la révolte » (Emmanuelle Gilles, Les
évènements de l'été 1991 : un début de
règlement de la question harkie ou la poursuite de l'interminable
exception ?, Rennes 1, IEP, 2003, p.74).
* 1672
Libération du 7 octobre 1997 et The Irish Times du 8
octobre 1997 (« Son of a soldier betrayed by French colonisers still
fights the Algerian war », par Lara Marlowe).
* 1673 Sherif Tamazount,
interrogé par Françoise Lemoine, Le Figaro du 9 octobre
1997.
* 1674 Le Monde
du 8 octobre 1997.
* 1675 Abdelkrim Klech,
cité in Cédric Alviani, « Harki solitaire face au
dôme des invalides », Libération,
1er janvier 1998, p.18.
* 1676 Zahia Rahmani,
op.cit., p.53-54.
* 1677 Sur un plan plus
strictement "technique", la personne en charge de cette formation - une
consultante privée rémunérée par l'Armée -
nous avait conseillé de demander aux intéressés
« s'ils aimaient plus le calcul ou les lettres ». Je ne
m'étendrai pas sur ce que cela indique de l'image formée et de la
considération portée aux enfants de harkis par cette personne.
* 1678 En 1997, le
journaliste du Télégramme Ferdi Motta rapportait que
dans le Morbihan, à la suite du départ à la retraite d'une
fonctionnaire en place depuis 30 ans, c'est le service du regroupement familial
des étrangers qui avait hérité de ce dossier :
« Une anomalie, écrivait-il alors, qu'on reconnaît sur
place dans une belle formule : «C'est vrai qu'il y a là un
problème de communication externe» ! » ; Ferdi
Motta, « En Bretagne aussi comment peut-on être
harki ? », Le Télégramme, 2 octobre
1997 ; article consultable à cette adresse :
http://www.bretagne-online.com/telegram/htdocs/archive/1997/19971002/article/2674041.htm.
* 1679 Sur la relation de
guichet dans d'autres contextes, voir Vincent Dubois, La vie au guichet,
Relation administrative et traitement de la misère, Paris,
Economica, 1999 ; et Mireille Eberhard, « Catégorisations
ethnico-raciales au guichet », Les Cahiers du Cériem,
n° 8, décembre 2001, p.35-49.
* 1680 De même,
à la préfecture des Côtes-d'Armor, Ferdi Motta a tôt
fait de décontenancer « [une] employée un peu
déboussolée [qui] s'interroge à voix haute :
«C'est quoi au juste les harkis» ? » ; Ferdi
Motta, art.cit. ; cf.
http://www.bretagne-online.com/telegram/htdocs/archive/1997/19971002/article/2674041.htm.
* 1681 « A la
préfecture du Finistère, écrit Ferdi Motta, on avoue un
certain embarras et l'impossibilité d'indiquer le montant des aides
versées aux harkis lesquels peuvent pourtant bénéficier
d'aides au logement ou d'un coup de pouce dans la recherche d'un
travail » ; Ferdi Motta, art.cit. ; cf.
http://www.bretagne-online.com/telegram/htdocs/archive/1997/19971002/article/2674041.htm.
* 1682 Cette gestion des
dossiers "à la tête du client" n'était semble-t-il pas
propre au service des Rapatriés de la préfecture de Paris puisque
Abdelkrim Klech, porte-parole du collectif « Justice pour les
harkis », dénonçait - dans un courrier adressé
aux plus hautes autorités - des « anomalies » dans
le fonctionnement des "cellules emploi" mises en place dans plusieurs
départements par la Délégation aux Rapatriés, comme
ces listes de bénéficiaires potentiels, établies par la
préfecture des Bouches-du-Rhône, où était
mentionné le caractère "alcoolique" ou "contestaire" des
intéressés (L'indépendant du 18 janvier 1999).
* 1683 A tel point que les
accès de colère de mes collègues interrompaient parfois le
cours normal des entretiens que je pouvais conduire dans le bureau d'à
côté avec d'autres bénéficiaires, présents
physiquement pour leur part, m'obligeant à des explications franches et
embarrassées.
* 1684 Halima Belhandouz,
Claude Carpentier, « Une construction socio-historique du
"décrochage" scolaire - Le cas des Français musulmans du quartier
nord d'Amiens », VEI enjeux, n°122.
* 1685 Déclaration
reproduite à cette adresse :
http://www.france.diplomatie.fr/actual/dossiers/visite-bout/bout-pp2006.html.
* 1686 Le texte
intégral de cette déclaration est disponible sur
www.elysee.fr.
* 1687 Le texte
intégral de ce discours est disponible sur www.elysee.fr.
* 1688 Le collectif
« Justice pour les harkis » a été
créé à l'occasion des grèves de la faim successives
entreprises en 1997-1998 sur l'esplanade des Invalides, à Paris (voir
supra), sous l'égide d'une figure du mouvement associatif,
Abdelkrim Klech.
* 1689 Mohamed Haddouche
est aujourd'hui membre des instances nationales de l'Association Justice
Information Réparation, AJIR, présidée par Mohand
Hamoumou.
* 1690
Dépêche AFP, 25 septembre 2001.
* 1691 Le
secrétaire général du collectif national
« Justice pour les harkis », Mohamed Haddouche, estimait
ainsi que la Journée d'hommage national était la bienvenue
« à la condition expresse qu'il y ait une reconnaissance de
l'abandon, du désarmement et du massacre de harkis, commis avec la
complicité de la France » ; cf. dépêche
AFP, 25 septembre 2001.
* 1692 Le texte
intégral de ce discours est consultable sur www.elysee.org.
* 1693 Le texte
intégral de ce discours est consultable sur www.elysee.org.
* 1694 Voir le site
Internet de cette organisation : www.chez.com/harkis/.
* 1695 A cet égard,
la discussion puis le vote récent de la loi du 10 février 2005
portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des
Français rapatriés a constitué une nouvelle occasion
manquée puisque les amendements - socialistes et centristes notamment -
visant à officialiser la reconnaissance par la France de la
responsabilité du gouvernement de l'époque dans l'abandon au
massacre des harkis ont été rejetés par
l'Assemblée.
* 1696 Jean-Pierre
Raffarin, discours donné dans la cour d'honneur des Invalides à
l'occasion de la deuxième Journée d'hommage national aux
harkis.
* 1697 Mohamed Haddouche,
« A propos du 25 septembre », Paroles
données, Bulletin de l'Association Justice Information et
Réparation pour les Harkis, Octobre 2002, p.2.
* 1698 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.619.
* 1699 Paul Ricoeur citant
Klaus-Michael Kodalle in La mémoire, l'histoire, l'oubli,
Paris, Seuil, 2000, p.618.
* 1700 Zahia Rahmani,
Moze, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2003, p.113 à
115.
* 1701
Olivier Abel,
« Ce que le pardon vient faire dans l'histoire »,
Esprit, n°193, juillet 1993, p.62.
* 1702 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.77.
* 1703 Olivier Abel,
« Ce que le pardon vient faire dans l'histoire »,
Esprit, n°193, juillet 1993, p.62.
* 1704 Ibid, p.64.
* 1705 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.80.
* 1706 Olivier Abel
(dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement,
1991.
* 1707 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
* 1708 John Crowley
(dir.), « Pacifications, réconciliations »,
Cultures & Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°40 et 41.
* 1709 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.75.
* 1710 Ibid, p.87.
* 1711 Olivier Abel (dir.), Le pardon, briser la dette et
l'oubli, Paris, Autrement, 1991, p.64-66.
* 1712 Olivier Abel,
« Ce que le pardon vient faire dans l'histoire »,
Esprit, n°193, juillet 1993, p.60-61.
* 1713 Ibid., p.64.
* 1714 Ibid, p.61.
* 1715 Ibid., p.72.
* 1716 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000,
p.612-613.
* 1717 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.615.
* 1718 Ibid, p.588.
* 1719 John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.
* 1720 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.78.
* 1721 Ibidem.
* 1722 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.75.
* 1723 Ibidem.
* 1724 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000,
p.594-595.
* 1725 Olivier Abel
(dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991,
p.70.
* 1726 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000,
p.594-595.
* 1727 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.75.
* 1728 Daniel Sibony,
« Algérie : une étrange violence »,
Libération, 6 avril 1998.
* 1729 « Je
prendrai alors le risque de cette proposition : à chaque fois que
le pardon est au service d'une finalité, fût-elle noble et
spirituelle (rachat ou rédemption, réconciliation, salut),
à chaque fois qu'il tend à rétablir une normalité
(sociale, nationale, politique, psychologique) par un travail du deuil, par
quelque thérapie ou écologie de la mémoire, alors le
«pardon» n'est pas pur ni son concept. Le pardon n'est, il ne
devrait être ni normal, ni normatif, ni normalisant. Il devrait rester
exceptionnel et extraordinaire, à l'épreuve de
l'impossible : comme s'il interrompait le cours ordinaire de la
temporalité historique » (Jacques Derrida, « Le
siècle et le pardon », Le Monde des Débats,
décembre 1999. Propos recueillis par Michel Wieviorka).
* 1730 Jacques Derrida,
« Le siècle et le pardon », Le Monde des
Débats, décembre 1999. Propos recueillis par Michel
Wieviorka.
* 1731 Olivier Abel
(dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991,
p.71.
* 1732 Ibid, p.70.
* 1733 John Crowley,
« Introduction », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.11.
* 1734 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.81.
* 1735 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.594.
* 1736 Olivier Abel
(dir.), Le pardon, briser la dette et l'oubli, Paris, Autrement, 1991,
p.70.
* 1737 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.80.
* 1738 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.81 et 87.
* 1739 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.631.
* 1740 John Crowley,
« Introduction », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.10-11.
* 1741 John Crowley,
« Pacifications et réconciliations. Quelques réflexions
sur les transitions immorales », in John Crowley (dir.),
« Pacifications, réconciliations » (2), Cultures
& Conflits, Paris, L'Harmattan, 2001, n°41, p.86. C'est l'auteur
qui souligne.
* 1742 Olivier Abel,
« Le pardon ou comment revenir au monde ordinaire »,
Esprit, n°226-227, août-septembre 2000, p.80.
* 1743 Benjamin Stora,
« Les enjeux et les difficultés d'écriture de
l'histoire immédiate au Maghreb ». Ce texte est une mise en
forme de l'entretien accordé par Benjamin Stora à Farida Moha,
publié par le journal marocain Libération, le 22 février
2000, sous le titre : « Raconter des histoires, est-ce vraiment
de l'histoire ? ». Il est consultable à cette
adresse : www.ihtp.cnrs.fr/dossier_htp/htp_BS.html.
* 1744 Benjamin Stora,
« Les enjeux et les difficultés d'écriture de
l'histoire immédiate au Maghreb ». Ce texte est une mise en
forme de l'entretien accordé par Benjamin Stora à Farida Moha,
publié par le journal marocain Libération, le 22 février
2000, sous le titre : « Raconter des histoires, est-ce vraiment
de l'histoire ? ». Il est consultable à cette
adresse : www.ihtp.cnrs.fr/dossier_htp/htp_BS.html.
* 1745 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Editions du Seuil,
2000, p. 589.
* 1746 D'après un
sondage téléphonique effectué auprès de 130
journalistes « représentatifs par catégorie de supports
et de rubriques », et publié par l'hebdomadaire
Marianne du 23 avril 2001, 63% des journalistes interrogés
déclaraient avoir l'intention de voter pour un candidat de gauche au
1er tour de l'élection présidentielle de 2002, contre
seulement 6% pour un candidat de droite, le reste refusant de se prononcer.
* 1747 Marcel Péju,
« Contre les harkis et contre le massacre des harkis »,
Marianne, n°341, semaine du 3 novembre au 9 novembre 2003.
* 1748 Marcel Péju,
« Harkis et «collabos»», Jeune-Afrique
L'intelligent du 27 juin 2000, n°2059, p.39.
* 1749 Marcel Péju,
« Hommage aux
«collabos» ? », Jeune-Afrique
L'intelligent du 27 février 2001, n°2.094, p.54.
* 1750 « Du 17
octobre 1961 à la question des harkis », entretien avec Marcel
Péju, ancien secrétaire général des Temps
modernes ; propos recueillis par Gilles Manceron et publiés in
Hommes et libertés, n°116, septembre-novembre 2001 ;
cf.
http://www.ldh-france.org/docu_hommeliber3.cfm?idHomme=887&idPere=868.
* 1751 Voir
ci-après la section II.B.3 de la Partie 4 : « Le
strapontin judiciaire ».
* 1752 C'est nous qui
soulignons.
* 1753 Cet
éditorial, qui exprime le sentiment général de la
rédaction, ne saurait cependant présager de l'opinion de chacun
des journalistes qui y travaillent. Il convient ainsi de noter qu'Eric
Fottorino, dans une chronique publiée deux ans plus tard et
intitulée « L'honneur des harkis », approuvait, pour
ce qui le concerne, l'instauration d'une telle journée, tout en
considérant que cela n'était qu'un minimum « pour
comprendre combien la France s'[était] mal comportée, qui a fait
que des enfants ont pu regarder leurs pères comme des
traîtres » (Eric Fottorino, « L'honneur des
harkis », Le Monde du 3 novembre 2003).
* 1754 Charles Silvestre,
« Opération harkis », L'Humanité du
8 février 2001. C'est nous qui soulignons.
* 1755
L'Humanité du 1er juillet 1991 ; extraits
cités in Emmanuelle Gilles, Les évènements de
l'été 1991 : un début de règlement de la
question harkie ou la poursuite de l'interminable exception ?, Rennes
1, IEP, 2003, p.39.
* 1756 Ibidem. C'est nous
qui soulignons.
* 1757 Ibid, p.34-35.
* 1758 La chronique de
Jacques Julliard : « Harkis : le temps de la honte »,
Le Nouvel Obervateur du 6 septembre 2001. C'est nous qui
soulignons.
* 1759 L'Express
du 30 août 2001.
* 1760 Fatima
Besnaci-Lancou, Fille de harki : le bouleversant témoignage
d'une enfant de la guerre d'Algérie, Paris, Les éditions de
l'Atelier / Les éditions Ouvrières, 2003 (Avec une préface
de Jean Daniel et Jean Lacouture).
* 1761 Préface de
Jean Daniel et Jean Lacouture in Fatima Besnaci-Lancou, Fille de
harki : le bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre
d'Algérie, Paris, Les éditions de l'Atelier / Les
éditions Ouvrières, 2003, p.9. Déjà, dans
Télérama du 13 septembre 1991, Jean Lacouture
écrivait : « Ce tabou-là n'est pas près
d'être levé. Cent mille personnes sont mortes par notre faute. Un
massacre honteux pour la France comme pour l'Algérie. Le
déshonneur est trop lourd à porter ».
* 1762 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
* 1763
« L'écriture de l'histoire et la représentation du
passé », conférence à la Sorbonne, 13 juin 2000,
cité in Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.313.
* 1764 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.321.
* 1765 Thomas Nagel
[1991], Egalité et partialité, Paris, P.U.F., 1994,
cité in Paul Ricoeur, « Les rôles respectifs du juge et
de l'historien », Esprit, n°266-267,
août-septembre 2000, p.50.
* 1766 Paul Ricoeur,
« Les rôles respectifs du juge et de l'historien »,
Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.50.
* 1767 Thomas Nagel
[1991], Egalité et partialité, Paris, P.U.F., 1994,
cité in Paul Ricoeur, « Les rôles respectifs du juge et
de l'historien », Esprit, n°266-267,
août-septembre 2000, p.51.
* 1768 Paul Ricoeur,
« Les rôles respectifs du juge et de l'historien »,
Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.51.
* 1769 Olivier Mongin,
« Les discordances de l'histoire et de la mémoire »,
Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.8.
* 1770 « La
guerre d'Algérie. Bilan d'un engagement », entretien avec
Pierre Vidal-Naquet, Confluences Méditerranée,
N°19, Automne 1996.
* 1771 Intervention faite
dans le cadre du colloque « La guerre d'Algérie dans la
mémoire et l'imaginaire » organisé sur le campus de
Jussieu, à Paris, les 14 et 15 novembre 2002 (retranscription
opérée sur la base d'un enregistrement fait par nous). C'est nous
qui soulignons.
* 1772 Le texte de
l' « Appel des Douze » a été
rédigé par Charles Silvestre, journaliste à
L'Humanité.
* 1773 Madeleine
Rebérioux, professeur d'histoire à Paris VIII (Vincennes, puis
Saint-Denis) de 1969 à 1988, a été adhérente au PCF
entre 1946 et 1969 avant d'en être exclue pour
« gauchisme », après avoir participé à
la fondation de la revue d'extrême-gauche Politique aujourd'hui.
Très engagée aux côtés du FLN pendant la guerre
d'Algérie, elle fut membre active du « Comité pour la
défense des libertés en Algérie » (issu du
« Comité pour les libertés » qu'elle co-fonda
en 1952) ; secrétaire du Comité Maurice-Audin
(1959-1962) ; collaboratrice de
Vérité-Liberté ; signataire du
« Manifeste des 121 ». Professeur d'Histoire à Paris
VIII (Vincennes, puis St Denis) de1969 à 1988. Elle animera le
« Collectif interuniversitaire contre la guerre au
Vietnam » (1965-1969) et militera au FSI (Front de solidarité
Indochine, émanation de la LCR d'Alain Krivine). Elle est aussi
administrateur de l'association Henri-Curiel.
* 1774 « La
Ligue des droits de l'homme pense, et les Douze sont d'accord, que
l'enseignement doit éclairer les adolescents sur ce qu'a
été le système colonial, sur la manière dont il
fonctionnait, associé à l'histoire de la République. Ce
sont des choses qui doivent être dites, connues, comprises au
même titre que la Shoah. Il y a eu de l'antisémitisme. Il y a
eu un système colonial en France doublement articulé, pendant la
guerre, sur la démission du politique devant l'armée et le refus
d'admettre l'état de guerre » (« Torture : et
les politiques ? », entretien avec l'historienne Madeleine
Rebérioux, L'Humanité, 3 Juillet 2001. C'est nous qui
soulignons).
* 1775 Pascal Bruckner,
Le Sanglot de l'Homme blanc. Tiers-Monde, culpabilité, haine de
soi, Paris, Seuil, 1983.
* 1776 Alfred Grosser,
Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989.
* 1777 Guy
Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et
ses enjeux politiques en France », communication au colloque Les
usages politiques de l'histoire dans la France contemporaine, des années
70 à nos jours, Paris, 25-26 septembre 2003 ; article
consultable à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=20.
* 1778 Ibid.
* 1779 « La
guerre d'Algérie. Bilan d'un engagement », entretien avec
Pierre Vidal-Naquet, Confluences Méditerranée,
N°19, Automne 1996.
* 1780 D'où le
parti pris qui est le nôtre, à titre personnel, de nous livrer
dès l'introduction de ce mémoire à ce que nous avons
appelé un "contre-transfert". Nous en assumons les risques, nous en
mesurons également les bénéfices. Libre au lecteur de
relativiser ce qui est dit - et de souligner ce qui n'est pas dit - au regard
de nos résistances biographiques. Libre à nous d'en accepter
l'augure avec sérénité puisque, par définition, un
discours situé et reconnu comme tel par son auteur le dispense d'arborer
l'attitude fausse (et parfois infatuée) de ceux qui, soucieux d'exercer
un magistère moral sur leur lectorat, se livrent à d'opportuns
écarts d'identité : hier encore militants, acteurs ou
héritiers, aujourd'hui historiens sans passé.
* 1781 Olivier Mongin,
« Les discordances de l'histoire et de la mémoire »,
Esprit, n°266-267, août-septembre 2000, p.9.
* 1782 Charles-Robert
Ageron, « Le drame des harkis en 1962 »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6 ; Charles-Robert
Ageron, « Les supplétifs algériens dans l'armée
française pendant la guerre d'Algérie »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 48, octobre-décembre 1995, p.3 à 20 ;
Charles-Robert Ageron, « Le «drame des harkis».
Mémoire ou histoire ? », Vingtième
siècle. Revue d'histoire, Presses de la FNSP, n°68,
octobre-décembre 2000, p.3 à 15.
* 1783 Mohamed Harbi et
Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou
Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre
d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme
médiatique », Confluences Méditerranée,
n°48, Jeudi 12 février 2004.
* 1784 Guy
Pervillé, « Les historiens de la guerre d'Algérie et
ses enjeux politiques en France », communication au colloque Les
usages politiques de l'histoire dans la France contemporaine, des années
70 à nos jours, Paris, 25-26 septembre 2003 ; article
consultable à cette adresse :
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=20. Pour sa
part, Alain Maillard de La Morandais rapporte que Charles-Robert Ageron fut
membre du « Comité d'action des universitaire
libéraux » aux côtés d'André Mandouze ou
du docteur Pierre Chaulet (L'honneur est sauf, Paris, Seuil, 1990,
p.74).
* 1785 Ageron
(Charles-Robert), « Le drame des harkis en 1962 »,
Vingtième siècle. Revue d'histoire, Presses de la
F.N.S.P., n° 42, avril-juin 1994, p.3 à 6.
* 1786 Hamoumou (Mohand),
Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard, 1993.
* 1787 Ces deux documents
sont cités dans la Partie 1 de cette thèse.
* 1788 Charles-Robert
Ageron, « Le «drame des harkis». Mémoire ou
histoire ? », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000,
p.3.
* 1789 Ibid, p.5.
* 1790 Ibidem.
* 1791 Charles-Robert
Ageron, « Le «drame des harkis». Mémoire ou
histoire ? », Vingtième siècle. Revue
d'histoire, Presses de la FNSP, n°68, octobre-décembre 2000,
p.5.
* 1792 Ibid, p.14-15.
* 1793 Alfred Grosser,
Le crime et la mémoire, Paris, Flammarion, 1989, p.31.
* 1794 Lahouari Addi,
« Les colonies, terres de torture »,
Libération du 7 décembre 2000, p.6.
* 1795 Mohamed Harbi et
Gilbert Meynier, « Réflexions sur le livre de Benamou
Georges-Marc, Un Mensonge français. Enquête sur la guerre
d'Algérie. La dernière frappe du révisionnisme
médiatique », Confluences Méditerranée,
n°48, Jeudi 12 février 2004. C'est nous qui soulignons.
* 1796 Guy
Pervillé, « Les sciences historiques et la découverte
tardive de la guerre d'Algérie : d'une mémoire conflictuelle
à la réconciliation historiographique ? »,
exposé prononcé lors d'un colloque
algéro-germano-français organisé par le Georg Eckert
Institut à Braunschweig (Allemagne) en février 2004 ;
article consultable à cette adresse:
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=40. De la
même manière, Jack Lang, alors ministre de l'Education nationale,
qui s'était exprimé ès qualités dans le cadre de
l'université d'été « Apprendre et enseigner
l'Algérie et le Maghreb contemporain organisée le 29
août 2001 par le ministère de l'Education nationale, soulignait -
dans un contexte de réactivation par L'Humanité et
Le Monde des polémiques autour des exactions
perpétrées par l'armée française au cours de la
guerre d'Algérie - que « l'historien doit s'attacher à
l'objectivité des faits et à l'équité des
jugements. Il lui appartient de dénoncer le procédé qui
consiste à juger des actes semblables en utilisant "deux poids et deux
mesures", avec indulgence ou avec sévérité, selon qu'il
s'agit de son camp ou du camp opposé, ce qui revient à autoriser
l'emploi de "tous les moyens" à ceux dont on estime qu'ils ont raison et
à dénoncer la méthode chez ceux auxquels on donne
tort ».
* 1797 Discours du
président de la République française, Jacques Chirac,
devant le Parlement algérien (Alger, 3 mars 2003). C'est nous qui
soulignons.
* 1798 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.230.
* 1799 Jacques
Chirac : « J'ai rappelé à mes hôtes combien
il est important que tous les citoyens français qui désirent
revoir leur terre natale ou celle de leurs aïeux puissent se rendre
dignement en Algérie. Et je pense bien sûr, notamment, aux
Harkis » ; allocution faite devant la communauté
française installée en Algérie (Alger, le 3 mars
2003) et consultable sur www.elysee.fr.
* 1800 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.311.
* 1801 Mustapha Hammouche,
« Voyage politicien », Liberté, 2 mars
2003.
* 1802 Paul Thibaud,
« Algérie : faut-il prolonger la guerre des
mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001,
p.198. C'est l'auteur qui souligne.
* 1803 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.311.
* 1804 Voir notamment
Le livre blanc de l'armée française en Algérie,
Paris, Editions Contretemps, 2001, oeuvre collective de 500 officiers
généraux ayant servi en Algérie entre 1954 et 1962, et qui
se veut une réponse explicite à ceux qui sont à l'origine
de la réorchestration des débats autour de la torture pendant la
guerre d'Algérie : « Officiers ayant servi en
Algérie de 1954 à 1962, en notre nom et au nom de tous les hommes
que nous avons commandés, morts et vivants, nous voulons apporter notre
témoignage sur le rôle de l'armée à cette
époque. Cela dans le double but de dépassionner les débats
et de rétablir la vérité historique, masquée aussi
bien par les provocations que par leurs exploitations
médiatiques ».
* 1805 Paul Thibaud,
« Algérie : faut-il prolonger la guerre des
mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001,
p.198.
* 1806 Ibid, p.199.
* 1807 Dans son dernier
ouvrage, Paul Ricoeur fait de l'expression publique du dissensus, guidée
par l'esprit de pardon, la condition de « la salutaire crise
d'identité permettant [au niveau de la mémoire privée et
de la mémoire collective] une réappropriation lucide du
passé et de sa charge traumatique » ; cf. Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Editions du Seuil,
2000, p. 589.
* 1808 Daniel Sibony,
« Algérie : une étrange violence »,
Libération, édition du 6 avril 1998.
* 1809 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.230-231.
* 1810 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.231.
* 1811 Guy
Pervillé, op.cit., p.231.
* 1812 Il convient de
rappeler, à cet égard (voir la Partie 1), que la guerre
d'Algérie, loin d'être uniquement (et uniment) une guerre de
décolonisation, fut (déjà) une guerre civile puisque,
entre le 1er novembre 1954 et le 19 mars 1962, le ratio des victimes civiles du
FLN (ventilées selon leur communauté de rattachement) est en
étroite corrélation avec le rapport démographique qui
prévalait alors en Algérie entre les communautés musulmane
et européenne : il y eut ainsi 3.663 victimes civiles
européennes des actes de terrorisme du FLN (2.788 tués, 875
disparus) pour 29.674 Musulmans (16.378 tués, 13.296 disparus), soit un
Européen pour huit Musulmans. Ce ratio, établi pour la
période comprise entre le déclenchement de l'insurrection et la
proclamation du cessez-le-feu en Algérie, ne tient pas compte des
dizaines de milliers d'anciens harkis massacrés par le FLN après
la proclamation du cessez-le-feu et l'accession à l'indépendance
de l'Algérie.
* 1813 Guy
Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques
algériens : du «parti de la France» aux «anciens et
nouveaux harkis» », in Charles-Robert Ageron, La guerre
d'Algérie et les algériens (1954-1962), Paris, Armand
Colin/Masson, 1997, p.330.
* 1814 La geste
algérienne de la guerre d'Algérie participe, jusqu'à
aujourd'hui, d'une vision obsolescente et dogmatique du monde, fortement
empreinte d'historicisme et de messianisme. Le préambule de la Charte
pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par
référendum le 29 septembre 2005 est tout entier
imprégné d'une telle vision : « La Glorieuse
Révolution du 1er Novembre 1954, peut-on y lire, est venue,
telle une lumière dans une nuit de ténèbres, cristalliser
les aspirations du Peuple algérien et le guider dans la voie du combat
pour la reconquête de son indépendance et de sa
liberté ». Cette vision ressortit à la fois d'un
rapport onirique, fantasmatique au passé et d'une
« idéologie de l'enfermement » (Mohamed Benrabah)
qui en est comme le corollaire. Je cite à nouveau le
préambule : « Tout en soulignant sa volonté
d'ancrer l'Algérie dans la modernité, [le peuple algérien]
proclame sa détermination à oeuvrer à la promotion de sa
personnalité et de son identité. Le Peuple algérien
appelle chaque citoyen et chaque citoyenne à apporter sa contribution au
renforcement de l'unité nationale, à la promotion et à la
consolidation de la personnalité et de l'identité nationales et
à la perpétuation des nobles valeurs de la Déclaration du
Premier Novembre 1954, à travers les générations.
Convaincu de l'importance de cette oeuvre qui mettra les
générations futures à l'abri des dangers d'un
éloignement de leurs racines et de leur culture, il charge les
Institutions de l'Etat de prendre toutes les mesures de nature à
préserver et à promouvoir la personnalité et
l'identité nationales, à travers la valorisation de l'Histoire
nationale ainsi que dans les domaines religieux, culturel et
linguistique ».
* 1815 Pour une analyse
resserrée des usages détournés de la figure du harki par
les protagonistes de la seconde guerre d'Algérie, voir aussi Guy
Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques
algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux
harkis" », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre
d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin /
Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p. 323-332.
* 1816 Sur la politique de
« concorde civile » comme contre-exemple institutionnel de
la politique du pardon, voir l'Annexe n°3.
* 1817 Propos repris in
El Watan, mardi 14 septembre 1999, p.4.
* 1818 El Watan,
20 mars 2000.
* 1819 Le Parisien-
Aujourd'hui du 18 juillet 2000.
* 1820 Le Figaro
Magazine du 2 septembre 2005.
* 1821 Djallal Malti,
« Paris a la mémoire courte, Alger aussi », le 23
juin 2000 ; article consultable à cette adresse :
www.mon.cplus.fr/infos/web/monde/algerie/memoire_1.htm.
* 1822 Voir
ci-après la section II.B.3 de la Partie 4 : « Le
strapontin judiciaire : le pardon mis en demeure ? ».
* 1823 AP, 13 mars
2002.
* 1824 El Watan,
21 mars 2002.
* 1825 « Je n'ai
au fond de moi-même aucune aménité pour les collabos de
quelque pays que ce soit. (...) Je crois avoir dit quelque part qu'il me
rebuterait de serrer la main au misérable qui a donné Jean
Moulin. Comment voulez-vous, sans offenser le peuple algérien dans sa
dignité, que je puisse serrer la main de celui qui a donné Larbi
Ben M'hidi ? » (Interview au Figaro Magazine, 2
septembre 2000).
* 1826 Après avoir
implicitement mais fermement mis en cause le FLN (« Les massacres
commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les
enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la
barbarie. Ils doivent être reconnus »), Jacques Chirac
s'était nettement démarqué - mais plus d'un an
après - des propos du président Bouteflika : « Je
partage votre amertume devant certaines attitudes et certains propos. Sachez
que je les condamne fermement ».
* 1827 Extraits
cités par Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, 28 septembre 2001,
p.34.
* 1828 Pour un bref
aperçu des activités de ce centre :
http://www.andru.gov.dz/programme_du_centre_national2.htm.
* 1829 Extraits
cités in Le Quotidien d'Oran du 4 octobre 2001 sous le
titre : « C'est l'oeuvre des
«Marsiens» ».
* 1830 Rédha Malek,
« La guerre de Libération nationale et l'opinion publique
internationale, enjeux d'une bataille diplomatique et
médiatique », communication donnée au Centre
international de presse (CIP) ; extraits cités par Le Soir
d'Algérie du 1er novembre 2004 sous le titre :
« Rédha Malek remet les pendules à l'heure :
«Les harkis n'ont pas été tués par le
FLN» ».
* 1831 Interview
réalisée à Paris par le correspondant du Quotidien
d'Oran, S. Raouf, le 7 mars 2006, sous le titre : « Il n'y
a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ».
* 1832 Interview
réalisée à Paris par le correspondant du Quotidien
d'Oran, S. Raouf, le 7 mars 2006, sous le titre : « Il n'y
a jamais eu d'ordre de vengeance contre les harkis ». C'est nous qui
soulignons.
* 1833 Propos
rapportés par El Watan du 10 septembre 2005 sous le
titre : « Bouteflika : «L'Algérie a
été injuste avec les familles de harkis» ».
* 1834 Propos
rapportés par El Watan du 11 septembre 2005 sous le
titre : « Bouteflika à Blida : «La question des
harkis a été définitivement
tranchée» ».
* 1835 Bouteflika le 10
septembre à Blida ; propos rapportés par El Watan
du 11 septembre 2005 sous le titre : « Bouteflika à
Blida : «La question des harkis a été
définitivement tranchée» ».
* 1836 Interview d'Ali
Haroun réalisée le 7 mars 2006 à Paris par le
correspondant du Quotidien d'Oran, S. Raouf, sous le titre :
« Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance contre les
harkis ».
* 1837 Saïd Barkat le
13 septembre 2005 à Oran, propos rapportés par Florence
Beaugé dans Le Monde du 17 septembre 2005 sous le titre :
« Les fils de harkis sont invités à rentrer à
Alger mais à s'excuser ».
* 1838 Abdelaziz
Bouteflika, propos rapportés par Florence Beaugé dans Le
Monde du 17 septembre 2005 sous le titre : « Les fils de
harkis sont invités à rentrer à Alger mais à
s'excuser ».
* 1839 Saïd Barkat,
propos rapportés par Florence Beaugé dans Le Monde du 17
septembre 2005 sous le titre : « Les fils de harkis sont
invités à rentrer à Alger mais à
s'excuser ».
* 1840 Voici ce qu'on peut
lire sur le site de la présidence de la République :
« L'année 1962 marque un véritable tournant.
Libéré de la guerre d'Algérie, mais non de ses
séquelles (rapatriement des Français, attentats de l'OAS), le
chef de l'Etat s'attache à mener une politique d'indépendance
nationale renforçant ainsi le rang de la
France » (http://www.elysee.fr/elysee/francais/la_presidence/la_galerie_des_presidents/v_eme_republique/charles_de_gaulle.20982.html).
* 1841 Claude Lecomte,
dans L'Humanité du 19 mars 1997 : « L'annonce du
cessez-le-feu le 19 mars à 12 heures en Algérie fut d'abord, ici,
en France, celle d'un immense soulagement. Enfin, cette guerre allait prendre
fin. (...) Ce jour est désormais celui de la fin de cette guerre,
celui de la fin d'un cauchemar de près de huit
années ».
* 1842 Dans le langage
diplomatique courant, cette expression renvoie à celle
d'"intérêts stratégiques", l'emploi de l'adjectif "vital"
ne devant, à cet égard, pas prêter à
confusion : il ne s'agit pas, la plupart du temps, d'y inclure la
préservation des vies humaines.
* 1843 « Que
personne ne doute que la France n'exercera plus aucune responsabilité,
ni politique, ni de maintien de l'ordre, au plus tard six mois après le
cessez-le-feu ! Que les musulmans préparent le gouvernement de
l'Algérie ! Que les Européens se persuadent qu'il faut ou
bien s'accommoder avec les musulmans sans que la France les
protège, ou bien rentrer en France ! » (Propos
rapportés par Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome
1, Paris, Fayard, 1994, p.124-125. C'est nous qui soulignons).
* 1844 « Dans ma
note citée en référence, j'ai attiré votre
attention sur les difficultés présentées par
l'arrivée en France, des ex-supplétifs et je vous demande
d'inciter à n'accorder asile que dans les cas exceptionnels (...).Comme
de plus, il est à craindre que le gouvernement algérien
prenne rapidement ombrage de nos centres largement ouverts à ses
opposants, il est nécessaire que le courant des musulmans
menacés qui alimente régulièrement nos camps soit
interrompu (...) ».
* 1845 Guy
Pervillé, « Les accords d'Evian et les relations
franco-algériennes » in Jean-Pierre Rioux (dir.), La guerre
d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p.487-489 et
492-493.
* 1846 Guy
Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
Paris, Picard, 2002, p.227.
* 1847 Ibid, p.233.
* 1848 Lors du Conseil des
ministres du 25 juillet 1962, à propos des représailles
s'exerçant sur les musulmans non-inféodés au FLN (nous
sommes alors au coeur de la première grande vague de
représailles) : « On ne peut pas accepter de replier tous
les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront
pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s'applique
évidemment pas aux musulmans (...). Dans leur cas, il ne saurait s'agir
que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France,
comme tels, que s'ils couraient des dangers ! » (Propos
rapportés par Alain Peyrefitte, op.cit., p.196). Mais encore, au cours
du Conseil des ministres du 29 août 1962 : « Il faut bien
admettre que l'Algérie vit actuellement dans la confusion. Mais il est
de notre devoir de faire comme si elle devait s'en sortir »
(Propos rapportés par Alain Peyrefitte, op.cit., p.249. C'est nous qui
soulignons).
* 1849 Alain-Gérard
Slama, La guerre d'Algérie. Histoire d'une déchirure,
Paris, Gallimard, 1996, p.158.
* 1850 Dominique
Schnapper, allocution introductive au colloque « Les harkis et la
communauté nationale. Ombres et lumière », qui a eu
lieu au Sénat le 22 octobre 1999 ; communication reproduite sous le
titre « Justice pour les harkis » in Le Monde du 3
novembre 1999.
* 1851 Il fut membre du
Centre d'Etudes, de Recherches et d'Education socialiste (CERES), un courant du
Parti socialiste, puis du Mouvement des Démocrates de Michel Jobert.
* 1852 Le Figaro
Magazine du 15 novembre 2003, propos recueillis par Sébastien
Lepaque. C'est nous qui soulignons.
* 1853 Sur les fondements
philosophiques et éthiques de cette notion, voir notamment Marcel Lamy,
« Machiavel et la raison d'État », Conférence
prononcée au lycée Chateaubriand de Rennes le mardi 3
décembre 2002 ; texte de cette intervention disponible à
cette adresse :
http://www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/lamy_machiavel.htm.
Marcel Lamy part d'une définition utilitaire - et même
thérapeutique - de la notion, qu'il emprunte à Platon :
« Le mensonge est utile aux hommes, comme une espèce de
pharmakon dont l'emploi doit être réservé aux
médecins et interdit aux profanes. C'est donc aux gouvernants de
l'État qu'il appartient de tromper les ennemis et les citoyens dans
l'intérêt de l'État et personne d'autre n'y doit
toucher » (République, III, 789 b). Il
complète cette première approche - un peu trop assurée
d'elle-même - par une citation plus hésitante de Jean Bodin :
« Il n'est pas si aisé à juger quand un prince tient
quelque chose d'un bon roi et d'un tyran. Le temps, les lieux, les personnes,
les occasions qui se présentent, contraignent souvent les princes
à faire choses qui semblent tyranniques aux uns et louables aux
autres » (Les Six livres de la République, II, 4,
publié en 1583). Voir aussi Christian Lazzeri et Dominique Reynié
(dir.), Le pouvoir de la Raison d'État, Paris, P.U.F., 1992, et
Christian Lazzeri et Dominique Reynié (dir.), La raison
d'État : politique et rationalité, Paris, PUF, 1992.
* 1854 C'était par
exemple le sens de la demande formulée par Dominique Schnapper dans son
allocution introductive au colloque « Les harkis et la
communauté nationale. Ombres et lumière », qui a eu
lieu au Sénat le 22 octobre 1999 : « La France s'est
mal conduite. Elle n'a pas respecté sa parole pour des raisons
politiques. Elle a abandonné à la vengeance de ses ennemis ceux
qui s'étaient engagés pour elle. Elle n'a pas su accueillir sur
son territoire ceux qu'elle avait recrutés pour mener la guerre. (...)
Les juifs resteront toujours reconnaissants à Jacques Chirac,
président de la République, qui a reconnu la
responsabilité de la France dans le statut des juifs d'octobre 1940 et
dans les déportations. Jacques Chirac a compris que les fautes
refoulées et les mensonges empoisonnent la vie de la démocratie.
Ce que les juifs ont demandé et obtenu, les enfants de harkis le
demandent » (Dominique Schnapper, « Justice pour les
harkis », Le Monde du 3 novembre 1999).
* 1855 Interview au
Figaro du 6 novembre 2003, propos recueillis par Anne-Charlotte de
Langhe et Sophie Roquelle. C'est nous qui soulignons.
* 1856 Philippe de Gaulle,
De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac (tome 2),
Paris, Plon, 2004.
* 1857 Propos repris in
Libération des 10 et 11 septembre 2005, p.17. Ces propos ont
valu à Philippe de Gaulle d'être poursuivi en diffamation par
trois anciens harkis, puis condamné le 23 mars 2006 par la cour d'appel
de Montpellier à verser un euro de dommages et intérêts
ainsi que 1.500 euros de frais de justice à chacun des trois harkis
plaignants au motif que « connaissant parfaitement la situation des
harkis, le prévenu ne peut justifier de sa bonne foi », et que
« l'intention coupable est présumée car la divulgation
des faits par lui livrés à la publicité était de
nature à nuire à leur honneur ou à leur
considération ».
* 1858 Propos recueillis
par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.
* 1859 Propos recueillis
par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22. C'est nous
qui soulignons.
* 1860 Marianne
du 3 au 9 novembre 2003.
* 1861 Propos recueillis
par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.
* 1862 Propos recueillis
par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22. C'est nous
qui soulignons.
* 1863 Par exemple, dans
sa déclaration du 16 septembre 1959, le général de Gaulle
affirmait que le recours à l'autodétermination interviendrait
« au plus tard quatre années après le retour effectif
de la paix », « une fois acquise une situation telle
qu'embuscades et attentats n'auront pas coûté la vie à 200
personnes en un an » (cité par Jean Touchard, Le
gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 ; voir aussi la
Partie 1).
* 1864 Charles de Gaulle,
dans son discours du 30 octobre 1958 : « A quelles
hécatombes condamnerions-nous ce pays, si nous étions assez
stupides et assez lâches pour l'abandonner ». Dans son discours
du 16 septembre 1959, dans la mesure où les conditions de
« retour effectif à la paix »
précédemment définies ne seraient pas
respectées : « La sécession
entraînerait une misère épouvantable, un affreux chaos
politique, l'égorgement généralisé et bientôt
la dictature belliqueuse du communisme » (cité par Jean
Touchard, Le gaullisme, 1940-1969, Paris, Seuil, 1978, p.178 ;
voir aussi la Partie 1).
* 1865 Discours de
réception à l'Académie française le 10
février 2000, cité in Guy Pervillé, Pour une histoire
de la guerre d'Algérie, Paris, Picard, 2002, p.291.
* 1866 Propos recueillis
par Marc d'Anna, Nouvelle Liberté n°3, mars 1998 ;
interview consultable à cette adresse :
http://www.nouvelleliberte.com/archives/n3/politique.htm. C'est nous qui
soulignons.
* 1867 Voir aussi
l'analyse d'Alain Decaux, lui aussi membre de l'Académie
française, dans cette même édition du Figaro
littéraire : « Question préalable :
l'humanité est-elle une qualité pour un homme d'Etat ?
Apparemment, le général de Gaulle ne le pensait pas. La foi en la
grandeur de la France l'emportait à ses yeux sur tout autre sentiment.
(...) Il fallait désormais donner la priorité à «la
grande politique», rendre à la France sa vraie place dans le
monde : la première. La tragédie des pieds-noirs
jetés à la mer, l'abandon des harkis à un sort affreux,
cela n'était plus du ressort d'un homme qui avait à affronter une
impérieuse et exaltante espérance ».
* 1868 Propos recueillis
par Philippe Bernard, Le Monde du 25 septembre 2001, p.22.
* 1869 Propos recueillis
par François d'Orcival sous le titre : « Le
témoignage de Pierre Messmer : «Ce crime est celui du
FLN» », Valeurs actuelles du 7 au 13 novembre 2003,
p.19. C'est nous qui soulignons.
* 1870 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.
* 1871 Mohamed Haddouche,
cité in Le Parisien du 10 février 2004, p.12, dans un
article intitulé : « Les harkis attaquent Pierre
Mesmer ».
* 1872 Anne-Charlotte De
Langhe, « Les harkis portent plainte pour "crimes contre
l'humanité" », Le Figaro, 29 août 2001, p.9.
C'est nous qui soulignons.
* 1873 Dans une tribune
libre parue dans l'édition du 8 octobre 1997 de la revue Charlie
Hebdo, le dessinateur et polémiste Siné, déjà
fortement engagé au moment de la guerre d'Algérie, avait
livré dans des termes peu amènes pour les
intéressés son opinion sur la grève de la faim
initiée au même moment sur l'esplanade des Invalides, à
Paris, par des enfants de harkis. Opinion illustrée par un double
croquis établissant un parallèle entre, d'une part, un harki
bardé de médailles saluant les couleurs et, d'autre part, un
Maurice Papon hilare arborant une hypothétique Croix de fer (voir la
Partie 2). A la suite de cette publication, Siné et le directeur de
Charlie Hebdo avaient été condamnés à trois mois de
prison avec sursis et 30.000 francs d'amende en raison du « choix des
mots visant précisément les harkis et la communauté qu'ils
forment, de leur caractère hautement méprisant et de leur
véhémence d'invective.
* 1874 Nous l'avons vu,
dans un article intitulé « Contre les harkis et contre le
massacre des harkis », paru dans l'hebdomadaire Marianne
n°341 du 3 au 9 novembre 2003, Marcel Péju avait clairement
assimilé les anciens harkis à des
« collabos » : « La question des
harkis ? Soyons clairs. Pour moi, les harkis sont des collabos,
c'est-à-dire des gens qui se sont faits les supplétifs de
l'armée française et de la répression en Algérie.
Ils ont participé à tous les crimes et en ont remis à
l'occasion. Cependant, le sort qui leur a été
réservé est tout à fait abominable. Je condamne absolument
les massacres des harkis commis grâce à la passivité des
autorités algériennes indépendantes, tout en condamnant la
trahison commise par les harkis ». Par suite, après que cinq
anciens harkis avaient intenté une action en diffamation contre lui,
Marcel Péju était condamné le 7 janvier 2005 à
1.500 euros d'amende par le tribunal correctionnel de Marseille pour
« diffamation publique envers un dépositaire de
l'autorité publique », les harkis ayant eu à
l'époque le statut d'auxiliaire de l'armée française.
Outre l'amende pénale de 1.500 euros, le tribunal condamnait Marcel
Péju à verser 1.000 euros de dommages et intérêts
à chacun des plaignants. Marcel Péju avait déjà
été condamné le 12 décembre 2001 par le tribunal
correctionnel de Paris, pour « caricature outrageante »,
après qu'il avait comparé l'initiative de Jacques Chirac visant
à instaurer une Journée d'hommage national aux harkis à
celle d' « un chancelier allemand [qui], perdant la tête,
institue[rait] une «journée d'hommage national» aux soldats de
la Légion des volontaires français contre le bolchevisme
(LVF) » (article intitulé « Hommage aux
«collabos» ? » et publié dans l'hebdomadaire
Jeune-Afrique L'intelligent n°2.094 du 27 février 2001).
Le directeur de publication, Bachir Ben Yahmed, et Marcel Péju avaient
été condamnés au paiement d'une amende de 2.286 euros et
au versement d'un franc symbolique de dommages et intérêts
à l'Association de soutien à l'armée française
(ASAF), partie civile. Cette condamnation était assortie du
considérant suivant : « Toute attaque visant l'ensemble
des Harkis atteint en même temps personnellement chacun
d'eux ». Un arrêt décisif au plan de la jurisprudence
puisque un précédent arrêt de la Cour de Cassation de
Paris, en date du 18 avril 2000, avait pour sa part stipulé que
« toutes les injures se rapportant aux Français musulmans
ayant servi la France au cours de la Guerre d'Algérie ne peuvent pas
être considérées comme diffamatoires ou injurieuses, et
qualifier ces derniers de «traîtres» ou de «collabos»
relève de la simple position politique donc de la liberté
d'expression »1875. Ceci étant désormais
démenti, Bernard Gillis, président de l'ASAF, se
félicitait « qu'on ne puisse désormais plus
impunément ajouter l'insulte à l'abandon quand on parle des
Harkis » (Bernard Gillis, Président de l'ASAF, La Voix du
Combattant, n°1.685, mai 2003).
* 1876 Au cours de l'hiver
2000-2001, l'association « Génération Mémoire
Harkis » (GMH), ainsi que huit particuliers, intentaient une action
en justice pour diffamation à l'encontre de l'ancien Premier ministre
Raymond Barre, à la suite de propos tenus par ce dernier en
décembre 2000 au cours de l'émission « France Europe
Express » sur France 3. Répondant à une accusation de
Renaud Donnedieu de Vabres (alors simple député UDF, et devenu
depuis ministre de la Culture dans les gouvernements Raffarin et Villepin) qui
l'avait qualifié de « harki de Jospin » après
qu'il eût fait part de son intention de voter l'inversion du calendrier
électoral avec le groupe socialiste à l'Assemblée
nationale (instauration de la présidentielle avant la
législative), Raymond Barre, plutôt que de s'offusquer de
l'utilisation ainsi faite du terme harki, l'avait retournée à
l'encontre de ses accusateurs. Je le cite : « Vous savez comment
ça se passe », avait expliqué Raymond Barre dans
l'émission précitée, « vous n'aurez pas
d'investiture si vous allez au secours de Jospin, [car] vous êtes les
harkis de Jospin ». Mais, déplorant ainsi entendre
« un certain nombre de parlementaires, et vous savez à quel
parti ils appartiennent, parler de traîtres ou de gens qui font le jeu de
Jospin », il ajoutait en guise de répartie :
« Ce sont ceux là même qui depuis 1986 ont
été les harkis de Mitterrand qui viennent dire cela ».
Pour Smaïl Boufhal, président de GMH et initiateur de la plainte,
« le lien [était] ainsi clairement démontré dans
l'esprit de l'ancien Premier Ministre entre la qualité de harki et la
qualification de «traîtres» ou de gens qui font le jeu de
l'adversaire ». Après que la plainte eût
été jugée recevable par le tribunal correctionnel de
Rouen, Smaïl Boufhal s'était attaché, au cours de l'audience
du 3 octobre 2001, à démontrer que « la réponse
de Monsieur Raymond Barre à l'adresse de ses adversaires politiques
avait longuement été réfléchie, soigneusement
préparée, et répliquée propos pour
propos ». Soulignant que cette même construction avait
été utilisée par Renaud Donnedieu de Vabres, Smaïl
Boufhal ajoutait : « En aucun cas il ne peut s'agir d'un simple
dérapage de langage d'un simple citoyen, ne maîtrisant pas
forcément tous les impacts du langage. Monsieur Raymond Barre est
universitaire, homme de culture, et de surcroît ancien Premier ministre
de la République. Il ne pouvait ignorer, tant l'existence de cette
population que l'impact des propos incriminés sur celle-ci. Nous ne
laisserons jamais banaliser de telles constructions
intellectuelles ». Dans son jugement du 10 octobre 2001, le tribunal
correctionnel de Rouen, s'il déboutait Raymond Barre dans sa demande en
annulation de procédure, déboutait également : (1)
les huit parties civiles au motif que « les plaignants n'ont pas
apporté la preuve qu'ils étaient visés
personnellement » ; et (2) l'association GMH au motif
« qu'elle n'avait pas une antériorité statutaire de
plus de 5 ans ». Profondément insatisfaits que l'affaire n'ait
pas été jugée sur le fond, et décidés
à ne pas laisser se banaliser un discours assimilant les harkis à
des traîtres », les plaignants avaient fait appel de cette
décision. Il faut noter que, depuis, tant la jurisprudence (voir la note
précédente) que les textes ont évolué dans le sens
d'une pénalisation accrue des injures directes et/ou des emplois
détournés du terme harki, leur conférant une portée
préjudicielle générale, si bien que le motif
invoqué à l'encontre des parties civiles dans cette affaire
(incapacité à démontrer l'existence d'un préjudice
personnel) ne suffirait sans doute plus à les débouter
aujourd'hui. Ainsi, l'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant
reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des
Français rapatriés stipule explicitement que « Sont
interdites toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe
de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de
harki, d'ancien membre des formations supplétives ou
assimilés ».
* 1877 Les associations
Justice Information Réparation pour les harkis (AJIR pour les harkis) et
Génération Mémoire Harkis (GMH) ont déposé
en février 2004 une plainte pour « apologie de crime de
guerre » avec constitution de partie civile à l'encontre de
Pierre Messmer à la suite de propos tenus par ce dernier au cours de
l'émission « For intérieur », diffusée
sur France Culture en novembre 2003. A cette occasion, l'ancien ministre des
Armées du général de Gaulle, en poste au moment des faits,
avait reconnu que les convulsions de l'après 19 mars 1962 avaient
probablement coûté la vie à « 80.000
personnes » tout en estimant que « cela [le massacre des
harkis] a été un terrible malheur, un drame terrible, mais sur ce
point ce que je dirais, c'est qu'il n'y a pas de guerre sans que le sang, la
sueur, les larmes ne coulent » ; et il avait
ajouté : « la position de la France [de ne pas intervenir
militairement] était la seule possible ». Cependant, pour
Mohamed Haddouche (AJIR) et Smaïl Boufhal (GMH), ce disant,
« l'ancien ministre des armées confond le sacrifice
suprême au champ d'honneur et les massacres perpétrés,
après la signature des accords d'Evian, sur des enfants, des femmes, et
des hommes sans défense, puisqu'il a ordonné le
désarmement de ses soldats face à leurs ennemis »
(Communiqué commun du 3 septembre 2004). Nous l'avons vu, le 25
septembre 2001, déjà, dans une interview donnée au journal
Le Monde, Pierre Messmer avait établi une
hiérarchie des responsabilités dans le massacre des harkis qui,
par extraordinaire, incriminait davantage les harkis eux-mêmes que le
gouvernement français. Je cite Pierre Messmer : « Il y a
donc une hiérarchie dans les responsabilités : le principal
responsable, c'est le FLN, qui a trompé les harkis et les a
massacrés ; ensuite, ce sont les harkis eux-mêmes qui se sont
laissé tromper ; en troisième lieu, ce sont ceux qui n'ont pas
été les délivrer pour ne pas mettre en danger le
cessez-le-feu » (Propos recueillis par Philippe Bernard, Le
Monde, 25 septembre 2001, p. 22 ; interview consultable en
intégralité sur :
http://www.chez.com/constit/harkis.html). Mais quoique ces actions aient
reçu dans leur principe une forme de caution législative
à la suite du vote de la loi du 23 février 2005, dont l'article 5
stipule qu'est interdite « toute apologie des crimes commis contre
les harkis et les membres des formations supplétives après les
accords d'Evian » et que « l'Etat assure le respect de ce
principe dans le cadre des lois en vigueur », en
l'espèce cependant, ces poursuites se sont heurtées
jusqu'alors à des ordonnances de refus d'informer, les magistrats
considérant que les propos visés de Pierre Messmer
n'étaient pas constitutifs d'un tel délit.
* 1878 Le 19 mai 2001, au
cours d'une assemblée extraordinaire du Comité national de
liaison des harkis, 43 présidents d'associations s'étaient
accordés sur la perspective d'une procédure pour
« crimes contre l'humanité et complicité »
avec constitution de partie civile. Pour étayer ces plaintes, finalement
déposées le 30 août 2001 auprès du tribunal de
grande instance de Paris par huit particuliers et une association membre du
Comité, ce dernier avait recueilli, depuis le début du printemps,
à travers la France, des témoignages de rescapés ainsi que
des documents historiques tendant à démontrer l'existence en
France d'un « plan concerté » visant à
entraver le flux des rapatriements et à se défausser de la charge
d'assurer la protection des anciens supplétifs musulmans de
l'armée française au moment de l'accession à
l'indépendance de l'Algérie : pour les avocats des
plaignants, les autorités françaises ont
« permis sciemment » le déroulement des
massacres « alors qu'elles avaient une connaissance claire
des intentions des auteurs principaux du crime » (Le Monde
du 30 août 2001). En outre, dix harkis ont déposé plainte
contre X le 8 novembre 2001 pour crimes contre l'humanité devant le
procureur de Toulon, et 9 autres à Marseille.
* 1879 Propos recueillis
par Anne-Charlotte de Langhe, « Les harkis portent plainte pour
«crimes contre l'humanité» », Le Figaro du
29 août 2001, page 9. Voir aussi son témoignage, Boussad Azni,
Harkis, crime d'État. Généalogie d'un abandon,
Paris, Ramsay, 2002 : « Lorsqu'on voit le président
Bouteflika, reçu en grande pompe par les officiels de la
République française, n'avoir que l'invective à la bouche
vis-à-vis des harkis, qui ont justement servi cette République -
et se faire applaudir ; lorsqu'on constate que les manuels d'histoire
utilisés en France font la part belle aux thèses du FLN,
peut-être pour complaire à une population d'origine
algérienne qui, faute de repères, tente de se crisper dans une
attitude «héroïque» dont une fois encore les enfants de
harkis feront les frais, on a envie de hurler. Ce livre est un cri, notre
recours en justice en est un autre. Pour les harkis, la France était
tout. Aujourd'hui, ils portent plainte, parce qu'ils refusent plus longtemps de
n'être rien pour personne » (p.154).
* 1880 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.
* 1881 Le Monde
du 9 juin 2001.
* 1882 Ibid.
* 1883 Voir à ce
sujet deux articles de Paul Thibaud :
« Génération algérienne ? »,
Esprit, n°161, mai 1990, p.46-60 ; et
« Algérie : faut-il prolonger la guerre des
mémoires ? », Esprit, n°271, janvier 2001,
p.197-200.
* 1884 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.334-335.
* 1885 Abdelkrim Klech fut
notamment à l'origine des grèves de la faim successives, sur
l'esplanade des Invalides, en 1997-1998 (voir ci-dessus).
* 1886 Elise Féron
et Michel Hastings, « Introduction », in Elise Féron
et Michel Hasting, L'imaginaire des conflits communautaires, Paris,
L'Harmattan, 2002, p.15.
* 1887 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.316.
* 1888 Charles Cadoux,
« Approche politique de la grève de la faim », in
Jacques de Lanversin (dir.), La grève de la faim ou le
dérèglement du sacré, Paris, Economica, 1984, p.79.
Charles Cadoux pointe un autre écueil potentiel quant à
l'efficacité relative des grèves de la faim, à savoir les
effets contre-productifs liés à leur banalisation, qui ont
assurément pu jouer dans le cas d'espèce de la communauté
harkie : « La grève de la faim est un moyen de
pression qui, en se banalisant, perd de sa vertu exemplaire. A une
époque (relativement récente) où elle était
exceptionnelle, elle ne pouvait échapper à l'attention et
à un certain respect. C'est moins sûr aujourd'hui »
(Ibid, p.87).
* 1889 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.263.
* 1890 Cité par
Jacqueline Coignard in Libération, 30 août 2001, p. 2
à 4.
* 1891 Mohamed Haddouche,
membre des instances nationales d'AJIR, cité par l'AFP et
Aujourd'hui en France (p.12), le 10 février 2004.
* 1892 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.349.
* 1893 Daniel Lindenberg,
« De Gaulle : un procès journalistique
rétrospectif », Esprit, n°300, Décembre
2003, p.196.
* 1894 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.585.
* 1895 Ainsi que le
souligne Jacques Sémelin (« Remarques introductives sur la
notion de crime de masse », texte présenté lors de la
réunion du 8 février 2001 du groupe de recherche du CERI
« Faire la paix : du crime de masse au
peacebuilding », p.2), l'enjeu de la qualification du crime n'est
certes pas de sanctifier les victimes : pour asymétrique qu'il ait
pu être, le massacre des harkis - ce « massacre sans
bataille » (Alfred Grosser, Le crime et la mémoire,
Paris, Flammarion, 1989, p.48) - ne préjuge en rien de la position
antérieure des victimes qui ont pu être - et ont été
parfois - des bourreaux (voir à cet égard la section I.E de la
Partie 1 : « Les facettes d'un comportement »).
L'enjeu est ailleurs. Il s'agit de marquer la spécificité du
crime, de montrer en quoi il participe d'une logique qui n'est pas simplement
guerrière mais proprement politique : la visée de ce
massacre n'était pas de détruire pour soumettre (les harkis ne
sont plus une force à soumettre au moment où ils sont
liquidés, mais des civils désarmés et
dépouillés de toute protection autre que le bon vouloir des
nouvelles autorités algériennes), mais de détruire pour
expulser "hors du monde", autrement dit, d'éliminer tout ce qui dans les
imaginaires comme sur le territoire s'inscrivait en faux contre le mythe de
l'unanimité des masses derrière le FLN. C'est en cela que l'enjeu
de la qualification du crime, même sans issue pénale, est
important pour la question du pardon : car pour pardonner, il faut
s'entendre sur les torts.
* 1896 Aux dires
même de l'avocat de Boussad Azni, Me Philippe Reulet, ces
plaintes pour « crimes contre l'humanité » et
« complicité de crimes contre
l'humanité » se heurtent à un sérieux
« obstacle », à savoir la jurisprudence
« Boudarel ». Dans un arrêt en date du 1er
avril 1993, la Cour de cassation a estimé que les
persécutions et traitements inhumains infligés aux prisonniers
français du Viêt-minh pendant la guerre d'Indochine
n'étaient pas des crimes contre l'humanité au motif que, pour les
faits antérieurs à la réforme de 1994, cette notion
s'applique uniquement aux exactions commises par les « puissances de
l'Axe » pendant la seconde guerre mondiale. Par suite, Me
Philippe Reulet envisageait de saisir la Cour européenne des droits de
l'homme.
* 1897 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.349.
* 1898 Et, ce, qu'il
s'agisse, pour les premières lois d'amnistie, des responsabilités
relatives à la pratique de la torture dans le cadre des
opérations dites de maintien de l'ordre avant le 19 mars 1962 (jusque et
y compris dans le cadre de la lutte contre l'OAS, comme l'avait d'ailleurs
signalé Pierre Vidal-Naquet sur le moment) ou, pour la dernière
loi d'amnistie, dite de portée générale, de la
co-responsabilité liée aux massacres d'anciens harkis et aux
enlèvements d'Européens après le 19 mars 1962.
* 1899 A droite, Hamlaoui
Mekachera, un proche de Jacques Chirac, alors président du Conseil
national des Français musulmans avant de devenir secrétaire
d'État aux Anciens combattants, reconnaissait - bien loin des enjeux de
fond - que « le dépôt d'une plainte me gêne en
pleine turbulence électorale ». Cependant qu'à gauche,
le secrétaire d'État aux Anciens combattants du gouvernement
Jospin, Jean-Pierre Masseret, avait fait part de sa crainte que cette
décision « vienne affaiblir la décision de rendre un
hommage particulier aux harkis ». Jean-Pierre Masseret, certain que
« tout responsable politique est conscient de la souffrance et
des drames que les harkis ont vécus », estimait ce
dépôt de plainte injustifié dans la mesure où, selon
lui, les harkis étaient avant tout des « victimes de
l'histoire toujours tragique de la guerre ». Un drame sans
responsables, donc.
* 1900 Charles Silvestre
dans L'Humanité du 21 mai 2001 ; billet
intitulé : « La vérité sur les harkis,
chiche ! ». C'est nous qui soulignons.
* 1901 Cf. notre analyse
dans la Partie 2 de l'article de Pierre Vidal-Naquet : « La
guerre révolutionnaire et le drame des harkis ».
* 1902 Ali Mimouni, membre
du bureau politique du FLN, estime que le dépôt par des harkis de
plaintes contre X pour « crimes contre l'humanité »
ne concerne pas l'Algérie. Qualifiant cette affaire de
« franco-française », il souligne que
« les harkis sont bien un corps de l'armée coloniale qui
était en guerre contre l'ALN, au même titre que les parachutistes
de Massu, les tirailleurs et autres », et qu'il s'agissait de
« supplétifs de l'armée coloniale ayant la
nationalité française et agissant sous le commandement militaire
français » (propos rapportés dans le journal
algérien Liberté du 2 septembre 2001). Bien au
contraire, nous l'avons vu, les plaintes visent des exactions qui ont
été perpétrées non alors que
« l'armée coloniale était en guerre contre
l'ALN » mais après l'entrée en application du
cessez-le-feu et l'accession à l'indépendance de
l'Algérie. En outre, les anciens supplétifs et autres
catégories de musulmans pro-français tués en
Algérie après l'accession à l'indépendance de
l'Algérie avaient été automatiquement
dépouillés de leur nationalité française et des
garanties afférentes. De fait, nous l'avons vu, la possibilité de
recouvrer la nationalité française par déclaration
d'option était réservée aux seuls anciens
supplétifs qui avaient pu gagner l'ancienne métropole (voir la
Partie 1). Dans ces conditions, les exactions visées par les
dépôts de plaintes visent non des actes de guerre à
l'endroit de soldats réguliers placés sous commandement adverse
(ce que paraît vouloir signifier Ali Mimouni), mais bien des crimes
d'État commis à l'encontre de populations civiles
désarmées placées sous l'autorité de leurs
tortionnaires. Ce que l'Algérie n'est de toute évidence pas
prête à reconnaître.
* 1903 Se reporter, entre
autres exemples, aux propos pré-mentionnés d'Abdelaziz Bouteflika
(voir supra).
* 1904 Il existe notamment
des lois foncières et électorales discriminantes à
l'encontre des anciens supplétifs (voir le chapitre I de la Partie
2).
* 1905 A Toulon, en 2003,
plus de quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, un
ancien harki, publiquement décoré de la médaille militaire
au cours des cérémonies du 14 juillet, a été
menacé de mort par son voisinage algérien, ses enfants
molestés et sa famille contrainte, sous protection policière,
d'évacuer définitivement la cité HLM dans laquelle elle
vivait (pour les détails, voir l'introduction de cette thèse
ainsi que la section II.A.2 de la Partie 3).
* 1906 Cf. Guy
Pervillé, « Histoire de l'Algérie et mythes politiques
algériens : du "parti de la France" aux "anciens et nouveaux
harkis" », in Charles-Robert Ageron (dir.), La guerre
d'Algérie et les Algériens 1954-1962, Paris, Armand Colin /
Institut d'histoire du temps présent (CNRS), 1997, p. 323-332.
* 1907 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.334-335.
* 1908 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.586.
* 1909 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.12.
* 1910 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p.291-292.
* 1911 Sandrine Lefranc,
Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002.
* 1912 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000,
p.588-589.
* 1913 Eric Landowski,
Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II,
Paris, PUF, 1997, p.58-59.
* 1914 Howard
Becker : « Dans notre société comme dans les
autres, certains statuts l'emportent sur tous les autres. La race en est un
exemple. L'appartenance - socialement définie à la race noire
l'emporte sur la plupart des autres considérations de statut dans
presque toutes les situations ; le fait d'être médecin,
membre des classes moyennes ou femme n'empêche pas d'être
traité d'abord comme un Noir et secondairement selon tel ou tel de ces
statuts. Le statut de déviant (spécifié selon le type de
déviance) relève de cette catégorie de statut
principal » (Outsiders, études de sociologie de la
déviance, Paris, Métailié, 1985, p.56).
* 1915 Eric Landowski,
Présences de l'autre. Essais de socio-sémiotique II,
Paris, PUF, 1997, p.62-63.
* 1916 Howard S. Becker
[1963], Outsiders, études de sociologie de la déviance,
Paris, Métailié, 1985, p.60-61.
* 1917 Erving Goffman
[1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1975, p.161.
* 1918 Ibid, p.150.
* 1919 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000.
* 1920 Milan Kundera
[1967], La plaisanterie, Paris, Gallimard, 1985, p.414-415.
* 1921 Erving Goffman,
Les rites d'interaction, Paris, Editions de Minuit, 1974.
* 1922 J. Poirier, S.
Clapier-Valladon, P. Raybaut, Les récits de vie, théorie et
pratique, Paris, P.U.F., 1995.
* 1923 Cf. l'article de
Pierre Bourdieu, « Comprendre », in Pierre Bourdieu (dir.),
La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p.903-939.
* 1924 Pierre Bourdieu,
op.cit., p.915. C'est nous qui soulignons.
* 1925 Ibid, p.920.
* 1926 Ibid, p.912-913.
C'est nous qui soulignons.
* 1927 Ibid, p.920. C'est
nous qui soulignons.
* 1928 G. Grunberg, E.
Schweisguth, « Bourdieu et la misère : une approche
réductionniste », R.F.S.P., février 1996,
p.138.
* 1929 P. Bourdieu,
op.cit., p.916. C'est nous qui soulignons.
* 1930 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.142.
* 1931 Ibid, p.144.
* 1932 P. Bourdieu,
op.cit., p.922.
* 1933 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.139.
* 1934 Ibid, p.141.
* 1935 J. Poirier, S.
Clapier-Valladon, P. Raybaut, op.cit., p.42-43. C'est nous qui soulignons.
* 1936 Ibidem. C'est nous
qui soulignons.
* 1937 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.147.
* 1938 Ibid, p.149.
* 1939 R. Boudon, F.
Bourricaud, « Déterminisme », Dictionnaire
critique de la sociologie, Paris, P.U.F., 1982, p.157-164.
* 1940 Pierre Bourdieu,
op.cit., p.914.
* 1941 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.149.
* 1942 Ibid, p.142.
* 1943 Pierre Bourdieu,
op.cit., p.910.
* 1944 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.142.
* 1945 Pour Gramsci, le
terme praxis définit l'unité de la philosophie et de
l'action pour autant que l'une et l'autre visent à la transformation du
monde.
* 1946 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.143.
* 1947 Ibid, p.138.
* 1948 Ibid, p.
140-141.
* 1949 R. Ghiglione, B.
Matalon, Les enquêtes sociologiques : théories et
pratiques, Paris, Armand Colin, 1978, p.74.
* 1950 A. Mucchielli,
Les méthodes qualitatives, Paris, Que sais-je ?, P.U.F.,
1991, n°2591, p.30.
* 1951 G. Grunberg, E.
Schweisguth, art.cit., p.138.
* 1952 Ibid, p.139.
* 1953 Béatrice
Pouligny, « Faire la paix après un crime de masse : un
défi pour l'analyse et l'intervention », colloque
international « Des conflits en mutation ? », le 8
juin 2001, à l'université Paul Valéry-Montpellier III,
texte de communication, p.7.
* 1954 Lors de notre
première entrevue, Lahcène s'était mépris sur
l'objet de celle-ci, l'assimilant a priori à une
démarche de prospection dans le cadre de la mise en oeuvre d'un plan
pour l'emploi.
* 1955 Jean-Claude, 31
ans, aide-soignant, que je rencontrerai quelques jours plus tard, se
présentera à moi comme étant l'enfant de harki le plus
diplômé vivant actuellement à Largentière.
* 1956 Article 1er de la
loi de « concorde civile », chapitre 1 :
« Dispositions générales ».
* 1957 Paul Ricoeur,
La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p.615.
* 1958 Olivier Abel,
« Ce que le pardon vient faire dans l'histoire »,
Esprit, n°193, juillet 1993, p.65.
* 1959 Pour
bénéficier des dispositions gracieuses contenues dans la loi de
« concorde civile », les personnes visées doivent
« aviser les autorités compétentes qu'elles cessent
toute activité de terrorisme et se présenter à ces
autorités » (art. 1er, chapitre 1 :
« Dispositions générales ») ; elles sont
également tenues de « faire une déclaration qu'elles
attestent sincères de l'armement, explosifs, munitions et moyens
matériels en leur possession et de les remettre aux autorités
auxquelles elles se seront présentées, la même
déclaration [devant] comporter, en outre, les actes qu'elles ont commis
ou auxquels elles ont participé » (art. 8, chapitre 3 :
« De la mise sous probation ») ; bien plus, seront
éligibles au régime de la mise sous probation « les
personnes qui se seront admises à participer, sous l'autorité de
l'État, à la lutte contre le terrorisme » (art. 8,
chapitre 3 : « De la mise sous probation »).
* 1960 Les personnes
visées ne peuvent bénéficier des mesures contenues dans la
loi que « dans un délai de six mois à compter de [sa]
promulgation [celle-ci étant intervenue le 13 juillet 1999] »
(art. 3, chapitre 2 : « De l'exonération des
poursuites »).
* 1961 Petit
Larousse, 1993, p. 863.
* 1962 Art. 6 de la loi de
« concorde civile », chapitre 3 : « De la
mise sous probation ».
* 1963 Témoignage
cité in Florence Aubenas, « On change de rêve, pas de
réalité », Libération, mercredi 15
septembre 1999, p. 10
* 1964 La question
à laquelle étaient appelés à répondre les
électeurs algériens était : « Etes-vous
pour ou contre la démarche générale du président de
la République visant à la réalisation de la paix et de la
concorde civile ? ». Ce libellé met en balance non pas
tant une manière de faire la paix (c'est-à-dire une
manière de faire la paix parmi d'autres) que l'idée même de
faire la paix, comme si celle-ci était instamment attachée
à - ou était redevable de - l'avènement d'Abdelaziz
Bouteflika à la présidence de la République
algérienne. Florence Aubenas, qui rappelle que « seuls les
partisans du oui ont été autorisés à faire
campagne », note avec justesse que, « compte tenu de
l'aspiration des Algériens à la paix et du libellé de la
question », « ce référendum ressemble plus
à un plébiscite qu'à une consultation
démocratique » (« Un plébiscite pour le
Président », Libération, jeudi 16 septembre 1999, p.
9).
* 1965 Propos recueillis
par Florence Aubenas, art. cit.. Le colonel Baali Ali, l'un des porte-parole du
M.A.O.L. (Mouvement algérien des officiers libres, voir infra), impute
l'assassinat d'Abdelkader Hachani aux plus hauts responsables de
l'état-major de l'A.N.P. : « En éliminant cet
ultime "politique" du F.I.S., interlocuteur incontournable et dernière
passerelle vers un règlement de fond de la crise, les jusqu'au-boutistes
du pouvoir écartent toute perspective d'un règlement politique du
conflit en consacrant des accords sécuritaires secrets »(Y.B.
[anonyme] et Samy Mouhoubi, « Algérie : un colonel
dissident accuse », Le Monde, samedi 27 novembre 1999, pp.
14-15).
* 1966 Le texte de la
Charte est consultable à cette adresse :
http://www.el-mouradia.dz/francais/infos/actualite/archives/chartereconciliation.htm.
* 1967 Il est un fait
qu'un nombre grandissant de communes (de gauche surtout, mais aussi de droite)
s'est associé à ces cérémonies au fil des
années. Selon la FNACA, « des milliers de
cérémonies se déroulent dans toute la France le 19 mars de
chaque année », cérémonies auxquelles s'ajoutent
« les très nombreux lieux de mémoire qui
perpétuent cette date [dont 3'620 artères du 19 mars 1962 ;
chiffre arrêté au 1er septembre 2005] ». La
FNACA « demande au gouvernement de reconnaître officiellement
le 19-mars comme Journée Nationale du Souvenir et du Recueillement, non
fériée, non chômée, dédiée à la
mémoire des 30.000 soldats français tombés en Afrique du
Nord et à celle de toutes les victimes civiles ». Elle dit
avoir le soutien de « 20.222 conseils municipaux, soit plus de 50%
des communes, et agit auprès de chaque député pour qu'il
dépose une proposition de loi afin que soit reconnue cette
journée ». Selon la FNACA, « des milliers de
cérémonies se déroulent dans toute la France le 19 mars de
chaque année », cérémonies auxquelles s'ajoutent
« les très nombreux lieux de mémoire qui
perpétuent cette date [dont 3.620 artères du 19 mars 1962 ;
chiffre arrêté au 1er septembre 2005] ». De
même, pour l'ARAC, le 19-mars est « la seule date
légitime pour la commémoration de la fin de la guerre
d'Algérie ». Ce qu'elle justifie de la manière
suivante : « Le 52ème Congrès de
l'ARAC, réuni à Tremblay-en-France du 26 au 29 octobre 2005,
exprime sa volonté que la commémoration du 19 Mars 1962, date du
cessez le feu en Algérie, devienne une journée officielle entre
les peuples Algériens et Français. Le 19 Mars 1962 est une
victoire de la Paix pour laquelle, lors d'une référendum, 92% des
citoyens de notre pays ont donné leur accord. De plus, le 19 Mars marque
non seulement la fin officielle de la guerre et la mise en acte de la Paix,
mais aussi la fin officielle de l'occupation coloniale et l'ouverture d'une
ère de solidarité et de coopération entre notre peuple et
le peuple Algérien. Toute commémoration de la fin de la guerre
à une autre date n'a aucune référence historique et ne
saurait se substituer au 19 Mars. Aussi, le 52ème
Congrès National de l'ARAC appelle tous ses adhérents, tous les
pacifistes, tous les partisans de l'amitié et de la solidarité
avec le peuple Algérien, à être dans l'unité,
massivement présents aux cérémonies commémoratives
du 19 Mars 1962 ».
* 1968 Assassinats et
enlèvements respectivement consécutifs de la guerre à
outrance menée par l'O.A.S. contre les troupes régulières
de l'armée française (et réciproquement) jusqu'à la
mi-juin 1962 ; des débordements incontrôlés (à
plus d'un titre, et notamment en raison de la passivité
délibérée de l'armée française) du 5 juillet
1962 à Oran (où plusieurs centaines de pieds-noirs furent
massacrés) ; consécutifs, enfin, des Saint-Barthélemy
incessantes orchestrées par le F.L.N. à l'encontre des musulmans
pro-français jusqu'au début de l'année 1963.
* 1969 Valéry
Giscard d'Estaing, le 19 mars 1980.
* 1970 François
Mitterrand, le 24 septembre 1981.
* 1971 Le
député socialiste Jean Le Garrec, alors président de la
Commission des lois de l'Assemblée nationale, assurait ainsi que
« le 19 mars n'avait pas vocation à célébrer une
victoire ou une défaite mais simplement à marquer un temps du
souvenir ».
* 1972 Smaïl
Boufhal, Président de Génération Mémoire
Harkie, élu socialiste ; Aziz Méliani, Ancien Adjoint
au Maire socialiste de Strasbourg, ancien Vice-Président de la
« commission Rocard » pour les Harkis ; Hocine
Chérif, ancien élu socialiste à Montpellier,
Président d'association ; Said Mérabti, Ancien
conseiller municipal socialiste à Vitrolles ; Amar Assas,
militant Vert, Président d'association ; Hamlaoui Mekachera,
ancien Délégué à l'Intégration (Gouvernement
Juppé) ; Messaoud Kafi, Président National de
l'UNAS ; Abdelkrim Klech, Président du Collectif Justice
pour les Harkis ; André Wormser, Président du CNMF,
ancien Président du CRIF ; Rabah Khélif,
Président National de l'UNACFM ; Daniel Abolivier,
Président National des anciens des SAS ; M. Dalloz,
Président National de l'UNAC (Union Nationale des Anciens
Combattants) ; William Bénéjean, Président
national de l'ANFANOMA ; Mohand Hamoumou, Professeur, Docteur
en sociologie, Président de l'Association Justice, Information,
Réparation (A.J.I.R.), auteur d'ouvrages sur la guerre d'Algérie
et les Harkis ; Jean-Jacques Jordi, historien, auteur d'ouvrages
sur l'Algérie et les Rapatriés.
* 1973 Smaïl
Boufhal, Président de Génération Mémoire
Harkie, élu socialiste ; Aziz Méliani, Ancien Adjoint
au Maire socialiste de Strasbourg, ancien Vice-Président de la
« commission Rocard » pour les Harkis ; Hocine
Chérif, ancien élu socialiste à Montpellier ;
Said Mérabti, Ancien conseiller municipal socialiste à
Vitrolles ; Amar Assas, militant Vert ; André
Wormser, Président du CNMF, ancien Président du CRIF ;
Rabah Khellif, Président National des Anciens Combattants
Français Musulmans ; Jean-Jacques Jordi, historien, auteur
d'ouvrage sur la guerre d'Algérie et sur les rapatriés ;
Mohand Hamoumou, Docteur en sociologie, Président de
l'Association Justice, Information, Réparation (A.J.I.R), auteur
d'ouvrages sur la guerre d'Algérie et les Harkis.
* 1974 Voir notamment
Frédéric Rouyard, « La bataille du 19 Mars »,
in Jean-Pierre Rioux, La guerre d'Algérie et les Français,
Paris, Fayard, 1990.
* 1975 Olivier Abel,
« Ce que le pardon vient faire dans l'histoire »,
Esprit, n°193, juillet 1993, p.63.
* 1976 L'opposition de
droite a notamment invoqué les massacres de harkis pour refuser
d'adopter la date du cessez-le-feu du 19 mars comme celle de la journée
du souvenir.
* 1977 Ainsi, selon la
FNACA, « les cérémonies du 19 mars 2006 ont connu un
succès d'affluence considérable dans tout le pays. Des milliers
de cérémonies locales et départementales ont
rassemblé les anciens combattants en Afrique du Nord et la population,
en présence des élus locaux ». Toujours selon la FNACA,
à Paris, notamment, « près de 4.000 personnes (dont M.
Bertrand Delanoé, maire de Paris), précédées de
plus de 400 drapeaux, ont remonté les Champs Elysées pour
participer à la cérémonie de l'Arc de Triomphe où
la FNACA a ravivé la flamme au tombeau du Soldat Inconnu ».
* 1978 Olivier Abel,
« Ce que le pardon vient faire dans l'histoire »,
Esprit, n°193, juillet 1993, p.62-63.
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