L'expression du réel dans l'honneur perdu d'Amadou Ousmane.( Télécharger le fichier original )par Abdoulaye DOUMARI DOUBOU Université Abdou Moumouni de Niamey Niger - Maà®trise es-lettres 2010 |
MINISTERE DES ENSEIGNEMENTS SECONDAIRE ET SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE UNIVERSITE ABDOU MOUMOUNI DE NIAMEY
Faculté des Lettres et Sciences Humaines (F.L.S.H) Département de Lettres Modernes Mémoire de maîtrise Thème: L'expression du réel dans l'Honneur perdu d'Amadou OusmanePrésenté Par: Sous la direction de: DOUMARI DOUBOU Abdoulaye Pr. ISSA DAOUDA Abdoul Aziz Maître de conférences. H.D.R Année Académique : 2009-2010 IntroductionL'écriture romanesque a connu un essor depuis le XIXè siècle avec les auteurs réalistes naturalistes qui se sont distingués dans l'observation de la société. Le roman est ainsi une forme littéraire qui semble le plus refléter la réalité sociale. Sa spécificité réside essentiellement dans le fait qu'il a pour domaine de prédilection les couches défavorisées, longtemps marginalisées par l'art, parce qu'il était l'apanage des élites, que sont la monarchie et la bourgeoisie. C'est pourquoi les années 1850 représentent l'apogée du roman, comme l'a fait remarquer Roland Barthes dans le Degré zéro de l'écriture1(*). En le paraphrasant, on dira que le roman a vu son plus grand essor avec Balzac, tout comme l'Histoire avec Michelet. Il faut ainsi affirmer que cette prédominance de la création romanesque s'explique surtout par la dimension sociale de la thématique tout comme l'esthétique exprimant le vécu quotidien ou les préoccupations du milieu. Balzac s'est fait illustrer dans l'histoire du réalisme français à travers son oeuvre emblématique la Comédie humaine2(*), une compilation d'ouvrages où l'ambition de l'auteur consistait à « faire concurrence à l'état civil »3(*). S'agissant de la littérature africaine, notamment le roman, il se caractérise du point de vue thématique par une adéquation et une harmonie avec les préoccupations du continent en ce sens qu'il en reflète l'évolution sociopolitique à travers les générations. L'Afrique précoloniale a constitué une source d'inspiration depuis la Négritude. Ce mouvement littéraire symbolise une nostalgie pour le passé culturel ancestral, à travers des oeuvres comme Crépuscule des temps anciens4(*) du Burkinabé Nazi Boni. On peut également faire cas du roman anticolonial, qui fustige les abus à la fois politique et économique qu'incarne le pouvoir blanc face aux populations noires, victimes de l'oppression raciale. Les romans comme ceux d'Alexandre Biyidi traduisent avec netteté la dénonciation du système colonial. C'est le cas de Ville Cruelle5(*). Une autre situation ayant fait l'objet de représentation artistique est surtout les indépendances des Etats africains, qui étaient attendues avec enthousiasme et euphorie, mais n'ont finalement été qu'un leurre, d'où le roman du désenchantement qui dessine en toile de fond les dirigeants africains face à leurs concitoyens. Entre autres oeuvres, on peut citer le Cercle des Tropiques6(*) ou Gros plan7(*) respectivement écrits par Alioum Fantouré et Idé Oumarou. Ces deux romans rappellent l'esthétique balzacienne au regard de la linéarité narrative et la description pittoresque des lieux. Quant aux romanciers nigériens, ils font également référence au modèle balzacien, puisqu'ils relatent les faits avec clarté et précision. L'oeuvre d'Amadou Ousmane est un exemple saisissant, parce qu'elle est foisonnante et se focalise principalement sur l'évolution sociale et politique du Niger au cours de trois décennies, de 1960 aux années 90. Auteur de trois romans à savoir Quinze ans, ça suffit !8(*) Le Nouveau juge9(*) et l'Honneur perdu10(*), auxquels s'ajoutent deux autres récits tels que Chronique judiciaire11(*) et tout récemment le Témoin gênant12(*), son dernier roman, l'Honneur perdu constitue l'objet de cette étude. Saisi par ce réalisme après la lecture de cette oeuvre, il m'a paru intéressant d'étudier le rapport entre fiction et réalité dans cet ouvrage nigérien. On pourrait par exemple voir comme problématique pour un tel travail l'expression du réel dans l'Honneur perdu d'Amadou Ousmane. D'où la nécessité de démontrer l'influence des faits réels, vrais, dans cette oeuvre d'imagination à travers l'esthétique romanesque de l'auteur. Il s'agit de voir le travail artistique d'esthétisation de la réalité de tous les jours fait par le romancier pour obtenir l'oeuvre d'art qu'il nous présente. En effet, l'acception du terme `'réel'' est définie dans le Dictionnaire du littéraire13(*) comme ce qui existe ou qui a existé dans le cadre des études littéraires, d'où il est posé comme l'univers d'expérience incluant les objets, la manière d'être, les valeurs..., auxquels le texte renvoie. Le choix de ce thème est du à l'admiration que suscite en moi l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, à laquelle s'ajoute la volonté de contribuer un tant soit peu à l'interprétation des productions littéraires du pays. Issue d'un patrimoine culturel séculaire, cette littérature se trouve néanmoins peu explicitée, d'où cette modeste contribution. Pour rendre le travail beaucoup plus efficient, j'ai fait recours à deux méthodes d'analyse. D'abord, l'ouvrage de Lucien Goldman, Pour une sociologie du roman14(*), semble édifiant en ce que l'oeuvre littéraire « est plus que le simple produit d'une psychologie individuelle, elle doit être considérée comme la cristallisation cohérente d'une représentation du monde propre à un groupe social »15(*). En effet, le véritable sujet de la création culturelle n'est pas l'individu. La genèse de l'oeuvre doit être cherchée dans les rapports qui lient l'individu à la collectivité. Par analogie, l'Honneur perdu est ancré dans le milieu qui l'a vu naître, puisqu'il est comme une introspection de la conscience du créateur et une exploration de l'univers qui y est décrit. Ensuite, la sémiotique ou l'étude des signes s'impose, car l'analyse d'un roman déborde la sphère du sens apparent. Elle fait en plus appel au décryptage du cadre spatio-temporel qui, par exemple dans l'Honneur perdu, est fortement marqué par l'imagination du créateur. L'analyse qui va suivre s'articulera autour de cinq chapitres au fil desquels il sera déterminé premièrement, la structure réaliste de l'Honneur perdu, comprenant le montage et la composition réaliste, dont les deux éléments de la structure permettent d'étudier le lien qui unit les vingt chapitres du roman. On constate au passage que le titre a également un intérêt particulier du fait de son adéquation au contenu. Dans la partie titrée réalisme et causalité, on s'intéressera surtout à l'analyse de la cohérence interne des parties dans l'oeuvre d'Amadou Ousmane. Deuxièmement, il convient d'étudier la description sous la dimension d'Espaces fictifs et l'illusion réaliste. On va ainsi montrer la coïncidence du cadre spatial avec des lieux réels ou même l'imitation de Balzac à travers ses descriptions. Ce chapitre a également trois sous-titres énoncés en ces termes : espaces réels et description réaliste. Ici, il convient de mettre en évidence les lieux réels auxquels le romancier fait allusion. Tout de même la peinture qui y est faite réfère à la description réaliste, vu la vraisemblance qu'elle suscite. Toutefois, les référents imaginaires nécessitent également une analyse, car ils abondent dans l'ouvrage en question et contribuent à sa compréhension. Par ailleurs, la description balzacienne permet de montrer l'influence du réalisme dans l'Honneur perdu. Puis, la troisième partie est consacrée à la narration, d'où l'expression : Raconter le réel. On vise à rapprocher les faits romanesques à la réalité, le récit à l'histoire réelle. Ainsi, il convient de s'intéresser à l'emprise des faits réels dans l'Honneur perdu autant que l'objectivité narrative. L'énonciation permet en plus d'étudier la temporalité, le temps de la narration et le temps de la fiction. Quant à la caractérisation des personnages, elle semble être calquée sur l'être humain, d'où l'intitulé Personne réelle et personnage romanesque. En effet, l'être fictif est non seulement le produit d'une société, mais également son langage exprime une identité. La fin de l'analyse permettra quant à elle de voir l'idéologie et le style d'Amadou Ousmane, sous l'angle d'un observateur de la société. L'auteur de l'Honneur perdu a consacré son art et son savoir-faire à l'écriture journalistique. Par conséquent, ses romans en portent assez souvent les marques ; d'où la clarté et un certain automatisme dans le style, qui est à tout à fait proche de l'information événementielle. S'il apparaît en observateur de la société, c'est parce qu'il s'attache à critiquer les moeurs, les us et coutumes, vue avec un regard vigilent. La thématique de l'Honneur perdu se rapporte essentiellement aux phénomènes sociaux qui ont caractérisé le Niger aux lendemains de l'installation de la démocratie. Il importe de dire qu'Amadou Ousmane a pris en considération l'histoire contemporaine, notamment l'avènement du multipartisme pendant les années 90, un type de régime qui est jusqu'à preuve de contraire, matière à débat. C'est ainsi que le narrateur affirme : « Dans un pays où les gens vivaient dans la hantise des lendemains incertains ; où les travailleurs, toutes catégories confondues, étaient quotidiennement confrontés aux multiples aléas de la vie, à la montée vertigineuse des prix, à une incroyable crise du logement, à l'inorganisation des transports collectifs, à l'arrogance de petits patrons, à la grogne permanente des propriétaires de maisons, et des commerçants qui s'obstinaient à refuser tout crédit, `'la Déclaration du président'', dans ce qu'elle comportait de promesses de changement, fut en effet perçue par la quasi- totalité comme un le remède attendu à tous les maux de la société. »16(*) Le récit tel que rapporté par le narrateur se résume ainsi : Le Général Okala, président du Bamoul, a assisté à un sommet des chefs d'Etat qui s'est tenu à la Baule17(*). Pendant ce temps, l'atmosphère sociale est très explosive car les leaders syndicaux ont engagé un mouvement pour l'avènement de la démocratie. C'est ainsi que les forces de l'ordre qui entendent restaurer le calme, n'y parviennent pas. On assiste par conséquent à un affrontement. Après avoir dispersé les manifestants, la police s'est livrée à leur persécution. On a ainsi enregistré quatre détenus et un mort, Doudou, qui est le secrétaire général de l'Union Nationale des Etudiants. Sa disparition a davantage tendu la l'atmosphère, durci le mouvement et suscité la tenue d'une conférence nationale. Par ailleurs, le colonel Workou, préfet de Gariko, ancien ministre d'Etat, s'oppose farouchement à la démocratisation du pays, parce qu'il pense que le pouvoir est un honneur à garder rigoureusement. Plusieurs officiers de l'armée supposent que la démocratisation du régime engendrera une certaine désobéissance civile et une tendance au désordre. On assiste donc à une crise politique entre partisans de l'ouverture du régime et ceux d'un statu quo. Si bien qu'il n y a plus de cohésion au sein de la classe dirigeante. Deux lieutenants colonels, Wako et Zebada fomentent un coup d'Etat que le colonel Workou réussit à déjouer. Contrairement aux nostalgiques de l'Etat d'exception, lui croit fermement à la nécessité de l'avènement d'un système politique nouveau, plus ouvert : le multipartisme. En définitive, la situation politique et sociale explosive, avec en toile de fond une atmosphère porteuse du désir collectif de changement, a permis à la démocratie de voir le jour.
Cette partie est d'abord consacrée à l'analyse des éléments de l'économie romanesque qui renvoient à la structure. Ensuite, on y présentera le découpage concernant les parties et les chapitres de l'Honneur perdu. Puis, l'étude de la structure de ce roman prendra en compte le montage et la composition, deux procédés qui permettent de voir l'organisation des parties, le lien qui les unit, d'où le rapport de cause à effet. Le roman d'Amadou Ousmane est une oeuvre structurée, divisée en chapitres, à la fois différents et complémentaires, au sens où ils forment un ensemble logique. En effet, on note une certaine cohésion au niveau de la succession des chapitres, au point où, le narrateur fait non seulement des projections dans le futur, mais procède également à des retours en arrière pour rappeler les idées de l'auteur. De prime abord, on observe un prologue, à travers lequel le romancier récapitule les événements majeurs qui constituent la trame de l'oeuvre, sa structure même. D'ores et déjà, il débute par le voyage du Général Okala sur la Baule en vue d'assister à un sommet des chefs d'Etat. Mais il rejoint vite son pays à cause de la situation sociale délétère, qui s'est créée après lui, avec l'affrontement entre étudiants et forces de l'ordre, ayant abouti à la mort de Doudou, secrétaire général des étudiants. On note également la réaction de la société civile qui s'oppose au régime de Magama. Donc, en dehors de l'option de la démocratie adoptée par la réunion de La Baule, fait-il face aux pressions internes, avec les dignitaires même qui ne s'entendent pas au sujet de la démocratie. I.1 Montage et compositions réalistesIl apparaît que les chapitres de l'Honneur perdu étayent de façon logique les idées énoncées dans le prologue. Ils sont donc liés, puisque se rapportant tous à l'intrigue. Le premier chapitre intitulé L'Option, s'étend de la page 17 à la 24, le deuxième qui a pour titre l'officier tout terrain, ainsi que la déclaration (p.36-46) et l'affrontement (pp.47-50). Ces quatre chapitres évoquent le même thème. Ainsi, la situation de crise sociopolitique qui précède l'avènement de la démocratie y est développée de part et d'autre. Le colonel Workou remet en cause la décision du Général Okala. L'un désapprouve la démocratisation du Bamoul, parce qu'il est au pouvoir qu'il pense qu'il faut préserver et que, seuls les militaires sont aptes à gouverner ; alors que l'autre veut se conformer à l'aspiration de son peuple et de ses concitoyens. Malgré le refus du colonel Workou d'adhérer au multipartisme, le président Okala envoie des émissaires dans les régions, notamment à Gariko, pour prôner l'Etat de droit. Pendant que les émissaires étaient à pied d'oeuvre, les organisations syndicales et la société civile en général, réagissent contre le pouvoir en place. Tandis que la mission envoyée par le gouvernement travaille à sensibiliser le peuple afin de comprendre la démocratie, les leaders syndicaux expriment leur désarroi du fait de la lenteur du processus. On constate alors des bouleversements sociaux à Magama, la capitale du Bamoul, ainsi que des luttes syndicales, de plus en plus violentes, au point où les étudiants parviennent à séquestrer le ministre de l'éducation nationale. C'est ainsi que la police les persécute, d'où la détention de cinq étudiants. En juxtaposant les quatre premiers chapitres, Amadou Ousmane met en évidence un thème prépondérant du fait de sa récurrence dans son oeuvre romanesque : celui de la politique. L'Honneur perdu traite de l'avènement de la démocratie au Bamoul. Le découpage permet-il de dire que la structure du roman est de type réaliste ? Mais, on remarque une emphase à propos de la controverse qui divise les dignitaires du régime au sujet du multipartisme. Le narrateur affirme en ces termes que : « la décision du général Okala d'engager son pays dans la voie du multipartisme et de la démocratie ne fit (...) pas l'unanimité ni au sein du gouvernement, ni dans les hautes sphères de l'armée où elle apparaît comme une vaste entreprise de liquidation de tout ce que l'armée avait fait de positif depuis tant d'années. »18(*)En fait, Amadou Ousmane s'inspire des faits réels, tels que le déclin du régime militaro civil des années 90 au Niger et les foyers de tension ayant abouti à l'avènement de la démocratie. Par contre, le chapitre intitulé le fils caché est un renseignement exclusif sur Doudou. Il est le fils du colonel Workou et apparaît comme un militant engagé, en ce sens qu'il dénonce le pouvoir. On observe donc une certaine nuance entre ce chapitre et les précédents puisqu'il s'agit ici d'un thème accessoire relatif à la situation sociale d'un personnage. Malgré une telle nuance, il y a un lien de réciprocité qui les rapproche dans la mesure où le voyage de Doudou suscite une angoisse chez le politique. Tandis que le Colonel Workou fait obstacle au Général Okala quant à son projet d'instauration du multipartisme, son fils Doudou brise son espoir pour s'être opposé au régime militaire. Ainsi, on peut noter les pourparlers engagés par le gouvernement du Bamoul avec les étudiants afin de résoudre la crise sociopolitique représentant de ce fait, le noeud même de l'Honneur perdu. Le ministre d'Etat M Diboula lui, ne parvient à un consensus avec les syndicalistes qui réclament une amélioration de leurs conditions de vie, d'où la tension persistante. La Cinzala (pp.62-73) est un chapitre qui retrace les difficultés auxquelles font face les étudiants à la cité universitaire de Bamoul, ainsi que « la présence quasi permanente de la police dont la tâche n'est pas certainement d'assurer la sécurité des étudiant»19(*) affirme le narrateur. Le huitième chapitre a pour titre la convocation et se rapporte à l'intrigue principale. Il est question des mouvements sociaux précédent le multipartisme qui apparaît comme un gage de liberté et d'équité, du moins pour Amadou Ousmane. Il faut dire que le personnage qui s'exprime revendique une autonomie en disant : « Nous sommes désormais en démocratie. Et la liberté de la presse est un des fondements de la démocratie. »19(*) Il accuse le régime de la museler et de la bâillonner. En conséquence, les médias s'exposent à la censure dès qu'ils s'opposent au pouvoir. Le journaliste Bello a été démis de ses fonctions pour avoir interviewé un des manifestants qui revendiquent l'Etat de droit. Le chapitre 9 a pour titre Un taxi pour l'université (pp.91-98). Il montre la vétusté du parc automobile de l'institution et les conditions de vie drastiques. S'agissant du découpage, les chapitres suivants l'invitation, une si longue audience, l'aveu, puis, la Parole d'un sage et Un flic adorable, évoquent tous le voyage de Doudou Workou sur Gariko. Il est en effet invité par ses parents, notamment le colonel Workou, qui désire faire sa connaissance. Donc le motif de ce voyage est d'ordre familial. Ils veulent le persuader à renoncer au militantisme syndical. Après une discussion à huis clos, entre le colonel Workou, Akaya qui avouent leur culpabilité quant à leur passé commun, à savoir les conditions de naissance du jeune Doudou. Le père fait son mea culpa et reconsidère le jeune homme comme son fils légitime. Celui-ci passe du statut de paria à celui de prince quand le Colonel Workou le considère comme son fils : « dans un geste qu'il voulait paternel et chargé d'une tendresse longtemps contenue, le colonel lui tendit alors la main à cet enfant qu'il voyait pour la première fois d'aussi près. »20(*) En fait, le narrateur nous montre que le simple fait de lui tendre la main n'est pas fortuit. Cela exprime toute sa considération à l'endroit du fils qu'il souhaite rencontrer depuis tant d'années. Comme pour rassurer son interlocuteur, le préfet de Gariko continue en ces termes : « Tu es bien mon fils ! »21(*) Le point d'exclamation traduit ici toute la charge affective, l'émotion intense et la sympathie du père à l'égard de son fils. Il apparaît que le romancier introduit dans son oeuvre les péripéties, les histoires secondaires pour susciter l'envie de découvrir la suite du récit auprès du lecteur. A la stupeur de ses parents, Doudou réagit en leur disant : « Ecoutez (...) je ne voudrais pas vous décevoir (...) c'est là une chose impossible que vous me demandez. »22(*) Ainsi, il se montre ferme à propos de l'action syndicale, parce qu'il pense avoir déjà fait son choix. L'intitulé, un flic adorable est un chapitre dans lequel le narrateur exprime le désarroi du personnage au cours de son voyage sur Magama. Doudou se rend compte alors du péril qui le guette, car un agent des services secrets lui a révélé qu'il est sur ses traces depuis dix jours pendant lesquels, il finit par comprendre que le voyage du jeune homme est véritablement d'ordre familial. On peut dire ici que la situation se détériore, puisque le personnage est non seulement en désaccord avec sa famille, mais en plus, l'Etat de Bamoul le considère comme un anarchiste. Tandis que sa conscience s'ébranle et s'agite, l'atmosphère sociale se durcit dans la capitale. Doudou est également troublé par la persécution des leaders syndicaux à laquelle se livre la police. Il apparaît une interdépendance entre le 15è chapitre rapportant le retour de Doudou à Magama et le suivant, La chasse à l'homme, où il est question de la poursuite des militants de la société civile. On observe une confrontation entre les policiers et les étudiants. Il faut dire que Doudou rend l'âme dans ces circonstances, sous les coups des assaillants, le commissaire Zabari et deux hommes armés. La mort de ce personnage est symbolique, en ce qu'elle a occasionné l'accélération du processus démocratique au Bamoul. C'est sans doute pourquoi Amadou Ousmane a superposé les deux chapitres en évoquant le même thème. Dans le messager et les funérailles, il s'agit de l'envoi de deux émissaires chargés d'informer la famille d'Andilo et le Colonel Workou du décès de leur fils, Doudou. L'auteur de l'Honneur perdu rapporte les faits romanesques avec une certaine impression du réel, d'où les actions des personnages visent à donner sens au récit. On remarque un autre fait qui confère à sa structure les spécificités d'un roman réaliste. Il s'agit la dépendance des deux derniers chapitres qui achèvent le roman. Ils représentent le dénouement, d'où le narrateur dévoile ainsi les idées maîtresses de l'auteur. « J'ai décidé, annonça-t-il en appuyant sur les mots, à la lumière de tous les événements que nous venons de vivre ces derniers mois, et particulièrement ces deux derniers jours, de donner un coup d'accélérateur au processus démocratique. »23(*) On constate que le bras de fer qui oppose les syndicalistes aux forces de l'ordre a non seulement engendré des pertes en vies humaines, mais il est en revanche à l'avant-garde de l'instauration de la démocratie. L'avant-dernier chapitre ou la colère du président traduit la compassion et la pitié du président Okala envers ses concitoyens victimes de l'affrontement. Par conséquent, la prise en compte du meurtre par le Général Okala exprime son réel attachement au droit des citoyens du Bamoul et son engagement en faveur d'un Etat de droit. On pressent dans cette partie qu'Amadou Ousmane nous prépare à l'action finale, d'où la mise en scène du personnage principal qui exprime tout son chagrin suite à la disparition de Doudou. Grâce à sa perspicacité et son expérience, le Général Okala se déculpabilise en découvrant les auteurs de l'homicide. Il apparaît une logique dans la progression des idées, à travers les faits évoqués dans le roman. On voit ainsi la présence du personnage principal du début jusqu'à la fin de l'Honneur perdu. En amont, la crise sociopolitique qui sévit au Bamoul le contraint à y retourner. Il convoque ainsi un conseil des ministres pour débattre de la situation. En aval, les dernières pages de l'oeuvre révèlent l'idéologie de l'auteur qui est le multipartisme. Enfin, le vingtième et, pratiquement, le dernier chapitre est comme son titre l'indique des Révélations car le Général Okala parvient à déceler les difficultés qui freinent l'instauration du système démocratique. S'il ignore les manoeuvres de ses collaborateurs, en l'occurrence les lieutenants colonels Wako et Zebada, le Colonel Workou déjoue quand même le coup d'Etat fomenté. Donc il croit aussi à la démocratie, malgré son opposition au début de l'oeuvre. Le narrateur exprime en ces termes les convictions du préfet de Gariko : « Depuis deux ou trois ans, l'Afrique s'est résolument engagée dans un processus de libéralisation de la vie politique par l'organisation d'élections libres et démocratiques (...) Cette évolution doit se poursuivre et déboucher sur une démocratisation totale de la vie politique sur l'ensemble de notre continent. »24(*) Vue sa volonté de créer l'illusion du réel, Amadou Ousmane place ses personnages dans la même conception des faits, au point où les personnages de conceptions politiques opposées aspirent presque tous au fond à un régime fondé sur le droit et le libre choix du citoyen. En fait, la volonté de l'auteur de l'Honneur perdu est de créer l'illusion du réel en rapport avec l'avènement de la démocratie qui est apparue au Niger dans un contexte tumultueux. On peut déclarer, à l'instar du narrateur qu' « Il faut désormais oeuvrer résolument pour un changement dans la paix en tenant compte des nouvelles aspirations de nos peuples, par le multipartisme, le renforcement de l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme. »25(*) On est de plain-pied dans le dénouement, une forme d'épilogue qui apparaît tel le reflet définitif des idées de l'auteur. Autrement dit, on y retrouve toute sa vision du monde, une société débarrassée de toute contrainte et coercition. Il importe de dire que ce chapitre est consacré à l'action finale, parce que le romancier entend intensifier l'apparence du réel. Ainsi le découpage des parties est logique à cause de la progression des actions. Il ressort que le narrateur affirme le caractère irréversible et imminent du multipartisme : « Je vous annonce que (...) l'armée va se retirer de toutes les institutions politiques où elle est encore représentée pour se consacrer désormais et exclusivement à sa mission originelle, celle d'une armée républicaine, c'est-à-dire garante de la stabilité des institutions. »25(*) On se rend donc compte que l'armée qui est la seule force à faire obstacle au régime démocratique a décidé, enfin de le faciliter ; d'où sa prise de distance vis-à-vis de la gestion du pouvoir. En outre, l'Honneur perdu est à l'instar de Quinze ans ça suffit ! le premier roman d'Amadou Ousmane, une oeuvre dont la construction structurale est traditionnelle, comme en témoigne la succession linéaire des chapitres. Elle permet de voir un ensemble de parties qui se récapitulent comme suit : de l'ouverture du roman jusqu'au chapitre 9, on peut l'appeler première partie, car il est question d'une entrée en matière dans l'histoire racontée, à savoir la crise sociopolitique au Bamoul ; ensuite le voyage de Doudou constitue la seconde partie et marque un apaisement de la situation explosive - c'est pendant ce temps qu'on a tenté de le convaincre à renoncer au syndicalisme - ; puis, l'autre partie permet de voir une résurgence de la violence, telle que la persécution des syndicalistes ; et enfin c'est la tenue de la conférence nationale. L'étude de la structure de ce roman permet aussi de déceler la technique qu'utilise Amadou Ousmane dans la disposition des chapitres ainsi que l'organisation interne des thèmes basée sur la causalité. En définitive, le montage et la composition font de l'Honneur perdu un roman à structure traditionnelle, c'est-à-dire que l'organisation formelle des chapitres est conforme à la récurrence du thème principal en leur sein. Toutes les péripéties, tel que le voyage de Doudou, la crise sociale... sont liées à l'avènement de la démocratie au Bamoul. En conséquence, l'école réaliste naturaliste vers laquelle semble pencher Amadaou Ousmane entend « nous montrer la vérité, rien la vérité et toute la vérité.»26(*) Disons que la structure réaliste fait en effet de l'Honneur perdu un roman à travers lequel l'auteur recherche la vérité, ou du moins tend à la créer, d'où l'illusion référentielle qu'il suscite. * 1 BARTHES Roland, le Degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953. * 2 Honoré de BALZAC, la Comédie humaine, Paris, Dubochet Fume et Hetzel, 1901. * 3 F:/ la Comédie humaine. Wikipédia.mht. * 4 BONI Nazi, Crépuscule des temps anciens, Paris, Présence africaine, 1962. * 5 BOTO Eza, Ville cruelle, Paris, Présence africaine, 1954. * 6 FANTOURE Alioum, le Cercle des tropiques, Présence africaine, 1972. * 7 OUMAROU Idé, Gros plan, Abidjan, NEA, 1977. * 8 OUSMANE Amadou, Quinze ans, ça suffit !, Présence africaine, 1985. * 9 OUSMANE Amadou, le Nouveau juge, NEA, 1981. * 10 OUSMANE Amadou, l'Honneur perdu, Niamey, NIN, 1993. * 11 OUSMANE Amadou, Chronique judiciaire, Niamey, INN, 1987. * 12 OUSMANE Amadou, le Témoin gênant, Médis, 1994. * 13 ARON Paul, DENIS Saint Jacques, VIALA Alain, le Dictionnaire du littéraire, PUF, 2002. * 14 GOLDMAN Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1980. * 15 Idem, p338. * 16 L'Honneur perdu op. Cit., p36-37. * 17 La Baule, ville française où s'est tenu en 1989 un sommet des chefs d'Etat africains dans le cadre de la démocratisation du continent. * 18 L'Honneur perdu, op. cit.p.36. * 17 L'Honneur perdu, op. Cit., p.79. * 19 Idem, p.86. * 20 L'Honneur perdu, p.126. * 21 Idem, p.127. * 22 Idem, p.152. * 23 L'Honneur perdu, p.208. * 24 L'Honneur perdu, p.209. * 25 Ibidem, P.209. * 26 Guy de MAUPASSANT cité par HENRI Benac in `'Guide des idées littéraires, Hachette, 2003. |
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