Critique sociologique des cours d'appui à l'école élémentaire.( Télécharger le fichier original )par Abdou FAYE Faculté des sciences et technologies de l'éducation et de la formation (FASTEF) - Certificat d'aptitude aux fonctions d'inspecteur de l'enseignement élémentaire 2011 |
III. Suggestions et recommandationsLa fréquentation de l'école est devenue aujourd'hui plus qu'une nécessité pour tout citoyen. Elle est même un droit pour les enfants comme l'atteste la Convention des droits de l'enfant au sein de l'Organisation des Nations Unies (1989) en ces termes « L'accès à l'éducation est un droit fondamental reconnu à tous les enfants sans distinction de race, de sexe, d'ethnie, de religion ou de groupe socio-économique ». C'est pourquoi, les parents s'évertuent à inscrire leurs enfants dés l'âge de 6 ans dans les institutions publiques ou privées. Mais se limiter à les inscrire, ne suffit pas, l'apprentissage et ses modalités sont aussi importants que l'accès à l'éducation. Les enfants ont besoin dans leur parcours, d'être accompagnés par un suivi et un encadrement afin de surmonter les difficultés d'apprentissage auxquelles ils font quotidiennement face. Et quel que soit leur niveau de vie ou le prix à payer, les parents se soumettent à cette nouvelle donne et préfèrent payer cet encadrement de peur de voir leur progéniture échouer ou de connaître les aléas du redoublement. C'est pourquoi, la commune d'arrondissement de Yeumbeul-nord, dans la banlieue de Dakar, une zone à très forte population scolarisée, se présente comme un milieu très indiqué des cours d'appui ou cours de renforcement dans l'enseignement élémentaire, plus particulièrement au cm². C'est à la suite de nombreuses dérives constatées dans la tenue des cours d'appui et reconnues par toutes les parties prenantes que nous déclinons ci-dessous nos suggestions et recommandations, d'abord au plan de l'organisation sociale, ensuite au plan de l'organisation pédagogique afin que les difficultés d'apprentissages des élèves puissent avoir une issue salutaire à la place d'un fonds de commerce non codifié. - L'organisation sociale : Si nous nous fions aux paroles des différentes parties prenantes en l'occurrence les maîtres, les directeurs, les parents, les responsables d'APE/CGE et les élèves, nous nous rendons compte qu'il y a une nécessité impérieuse de donner de nouvelles orientations aux cours d'appui. L'implication de toute la communauté éducative reste une clé de réussite de ces cours. Contrairement à la gestion verticale menée par les maîtres eux-mêmes, il va être crée au sein du Comité de Gestion d'École, une commission qui aura la charge le volet organisationnel. Elle va jouer un rôle d'interface entre les parents et les enseignants et prendre des mesures incitatives à l'endroit des maîtres disposés volontairement à faire ces cours. Une culture de synergie, un esprit d'équipe, de collaboration et d'interconnexion entre les différents acteurs, vont être instaurés au sein de la commission afin que les cours d'appui puissent profiter aux apprenants et surtout aux parents. Pour ce faire, les acteurs pourront s'inscrire dans une perspective de projet où il s'agira de fédérer les synergies et les activités des cours d'appui dans le cadre d'un projet d'école ou d'un projet d'action éducatif dont l'objectif est de promouvoir le développement de l'établissement. Ainsi, la commission s'attèlera à fixer le montant et à récupérer les contributions financières des parents, à s'évertuer à identifier les cas sociaux afin qu'ils ne soient plus « objets de rejets » et de concert avec l'équipe pédagogique, déterminer les modalités visant à désintéresser les maîtres qui s'adonnent à ces cours. Toutefois, le sens de l'appui et du soutien, l'esprit d'aide, de l'entraide et les principes d'égalité et d'équité des chances vont prévaloir. Par ailleurs, les cours d'appui constituent une opportunité pour l'école de promouvoir l'approche partenariale où les ONG et les collectivités locales dans le cadre des compétences transférées, seront impliquées et pourront soutenir substantiellement en nature ou en espèce toute initiative allant dans le sens du renforcement des capacités des apprenants. Si les cours d'appui obéissent à une telle organisation sociale, ils pourraient permettre aux apprenants d'acquérir des savoirs et des compétences solides et indispensables pour venir à bout des épreuves scolaires dans l'élémentaire ou au niveau supérieur. Le Gall précisait à cet effet : À mesure que les enfants avancent dans leurs études, le nombre et l'importance des insuccès croient constamment : dés la première année de la scolarisation primaire 6% d'élèves sont en difficulté ; au cours moyen (2è année), c'est-à-dire à la veille de `entrée en 6è, 41% sont en retard : ils ont doublé une année au moins, ou ils se préparent à redoubler celle-là42(*). De ce point de vue, tout laisse croire que les enfants progressent avec des difficultés, d'où l'impérieuse nécessité de les bonifier d'un véritable encadrement en vue de leur permettre d'affronter l'enseignement moyen. Ce serait encore mieux de légaliser cette pratique pédagogique en l'officialisant et en l'étendant dans les autres cours de l'élémentaire comme le souhaitent vivement les parents, étant donné qu'elle est maintenant une partie intégrante de notre environnement éducatif. Les autorités scolaires que nous avons rencontrées à l'occasion des stages effectués à l'intérieur du pays partagent cet avis. Elles estiment que la légalisation allait libérer les énergies en responsabilisant davantage les parents d'élèves et pourrait positivement impacter le quantum horaire et permettre de disposer plus de temps pour terminer dans les délais et bien assimiler les contenus des programmes. Sous ce rapport, nous proposons que des études soient menées à cet effet pour bien restructurer la journée continue et faire des après-midis du Lundi et du Vendredi uniquement des moments de séances de renforcement et de remédiation. Cela permettra de relever le temps réel d'apprentissages et d'élargir la cible par la participation de toute la population scolaire sans discrimination aux cours d'appui. Le seul critère pour prétendre suivre les cours d'appui, va être les difficultés rencontrées dans les apprentissages. Si l'État estime que la motivation des enseignants va constituer pour lui une charge financière supplémentaire, elle peut toujours être laissée à l'appréciation des structures CGE/APE afin qu'elles puissent concrètement appuyer le Plan de développement des écoles, un cadre fédérateur qui met en synergie l'ensemble des actions et des interventions liées à l'amélioration de la qualité des apprentissages et initié par la communauté éducative dans son ensemble (équipe pédagogique, élèves, parents, autorités administratives et académiques, élus locaux, personnes ressources et partenaires). Ce plan de développement des écoles vise, entre autres, pour une durée à court, moyen ou long terme, d'aider les élèves à réussir leur scolarité et à s'insérer dans la société. Les cours de renforcement vont y être introduits pour régler un des multiples problèmes qui se posent à notre système éducatif, en l'occurrence, l'aide aux enfants qui sont en situation de difficultés d'apprentissages scolaires. - L'organisation pédagogique Ici, nous proposons un changement des contenus, d'objectifs et de méthodologie dans la conduite des cours d'appui. Autrement dit, ces cours ne feront plus l'objet de bachotage intensif dont la seule fin est d'arriver à réaliser un grand nombre d'admis à l'examen du cfee. Il sera plutôt question d'une véritable formation inscrite dans la durée où la réussite ne reposera plus sur des savoirs parfois éphémères, mais sur des compétences qui susciteront des vocations chez l'enfant et lui permettront de résoudre des problèmes de la vie. En clair, la démarche qui va être proposée, sera la démarche de résolution de problèmes à partir de la quelle « comment apprendre » sera un préalable au « comment enseigner ». Autrement dit, une grande part de responsabilité sera attribuée à l'élève dans la construction de ses connaissances qui va se faire dans une liberté d'esprit. Pour sa part, le maître va adapter sa pédagogie en fonction des potentialités de chaque élève. Il s'attachera à établir une bonne entente avec les élèves pour que la séance d'appui ou de soutien soit un moment agréable de motivation pour eux. En résumé, des apprentissages réellement créatifs et formateurs dont la qualité des résultats scolaires va être associée à la planification des cours, au diagnostic et à la prise en compte des difficultés des apprenants , à une évaluation régulière de leurs performances, à une correction sérieuse des devoirs et à une gestion efficace de la participation des partenaires externes, vont être privilégiés aux dépens du bachotage. C'est seulement dans cette perspective que les cours d'appui resteront en phase avec les objectifs d'un enseignement de qualité comme le suggère le PDEF. Quant aux contenus, leur choix sera déterminé par l'implication et l'engagement résolu de l'équipe pédagogique. En clair, il s'agira de faire un diagnostic des difficultés auxquelles les élèves se heurtent au terme de chaque apprentissage ponctuel, car tous les élèves n'ont pas la même facilité de tout assimiler en cours. Certains ont du mal à suivre, voire ne suivent pas lorsque l'on donne le cours formel, eux, ont besoin de plus d'explications et de temps pour comprendre et assimiler. De ce diagnostic seront triées les cibles et déterminés les contenus à proposer en séance de cours de renforcement ou de remédiation. Il sera évité autant que possible de faire participer tout le monde en séance de cours d'appui comme cela se fait présentement, et de limiter les interventions aux simples activités de dictées-questions, de problèmes-opérations et de questions de cours. Les apprentissages seront repris en adoptant une autre démarche différente de celle qui a été empruntée en séance de cours formel. De ce point de vue, toutes les activités vont obéir à une planification rigoureuse conçue par l'équipe pédagogique et exécutée par les maîtres concernés dans la perspective de soutenir les élèves qui ont des difficultés dans telle ou telle discipline. Cette option favorise l'enseignement individualisé dont l'objectif est de suivre chaque enfant en vue de renforcer ses capacités. Cette forme de pédagogie différenciée qui apparaît comme un moyen de faire face aux difficultés des apprentissages, se présente chez Célestin Freinet lorsqu' il met en place les plans de travail individuel, les fichiers autocorrectifs, les bandes enseignantes, en somme, un système d'évaluation par compétence43(*) basé sur les évaluations formative et critériée. Dans la même lancée, Philipe Mérieu propose : La mise en place d'une pédagogie différenciée autour d'objectifs communs et un accompagnement réellement efficace des élèves dont les situations sociales et personnelles sont les plus difficiles44(*) A ce titre, les cours de renforcement vont être inscrits dans un processus d'amélioration de la qualité des enseignements et des apprentissages à travers la réalisation de contrats d'objectifs, d'actions éducatives et didactiques entre l'école(enseignants) et le milieu (communauté) afin d'accroître les rendements scolaires. Pour ce faire, il faut se prémunir d'une méthodologie apte à faciliter le renforcement ou la remédiation chez les apprenants. C'est ainsi que nous suggérons aux maîtres de s'inspirer de la pédagogie différenciée qui respecte scrupuleusement les conditions dans lesquelles l'enfant apprend. Son souci est de réussir à mettre dans une classe un dispositif de traitement des difficultés des élèves pour faciliter les objectifs à atteindre. Toutefois, il ne s'agit nullement de différencier les objectifs, mais de varier les méthodes et les démarches afin de permettre à chaque élève d'atteindre les mêmes objectifs pour l'ensemble de la classe. Dans cette optique, le maître arrivera avec la pratique des cours d'appui à identifier dans sa classe les différences cognitives et socioculturelles des élèves qui constituent d'ailleurs une richesse, si cette hétérogénéité est évidemment prise en compte dans l'élaboration et la conduite des apprentissages. Sous ce rapport, le maître ou l'équipe pédagogique pourra en guise d'exemple, s'inspirer de ce dispositif de pédagogie différenciée, conçue par Sabine Laurent45(*) - Repérer un objectif à atteindre pour l'ensemble du groupe classe ; - Choisir une grille d'analyse des difficultés des élèves ; - Élaborer des stratégies pédagogiques en fonction de ces difficultés ; - Organiser sur une ou plusieurs classes les activités en regroupant les élèves par type de stratégies ou par groupe de besoin. En plus, la pédagogie de groupe mise en oeuvre par le travail de groupe, peut être convoquée dans les séances de cours d'appui soit comme une méthode pédagogique, soit seulement comme un moyen choisi pour son efficacité. En effet, les élèves assimilent mieux ce qu'ils apprennent quand ils ont l'occasion d'échanger entre eux sur l'objet d'étude46(*) en y développant de nombreux points de vue avec conflit sociocognitif. Cette approche fondée sur l'interaction, permet de diversifier les stratégies d'apprentissage et d'enrichir les méthodes de travail. Dans ce sens, il est souvent plus attrayant et moins angoissant de se trouver à plusieurs pour réaliser une tâche. De ce fait, on pourra observer une grande motivation des élèves qui développent une attitude plus positive envers les séances d'appui en faisant preuve de coopération et d'autonomie. Dans cette perspective, l'utilisation du tutorat, comme indiquée dans la revue critique de littérature, pourra être mise à contribution pour permettre aux élèves qui ont acquis la notion d'expliquer à ceux qui n'ont pas compris, ce qui renforce leurs acquis et développe leurs capacités métacognitives. Quant aux autres, ils comprennent souvent mieux car le vocabulaire employé est plus adapté que celui du maître. Cependant, il sera évité autant que possible de considérer le travail de groupe comme une juxtaposition de personnes, mais comme une force qui peut remodeler les relations sociales et de l'utiliser à bon escient. Barlow recommandait à ce propos de ne « jamais proposer aux élèves d'effectuer en groupe une activité qu'ils pourraient accomplir aussi bien sinon mieux isolément47(*)». Au total, l'application de la pédagogie différenciée en classe de cours d'appui, de même que celles du travail de groupe et du tutorat, sont une réponse aux difficultés que les élèves rencontrent pendant les premiers apprentissages. Elle combat les redoublements et l'échec scolaire. Sur un autre plan, le maître pratiquant le cours d'appui, doit être très exigeant sur les outils à mobiliser pendant les séances de renforcement ou de remédiation. C'est ainsi que les cahiers de cours du soir doivent faire l'objet d'une attention particulière et qu'ils ne fassent plus office de cahiers « fourre tout ». Ils doivent être bien entretenus, corrigés par le maître au même titre que les cahiers de devoirs. En outre, les séances de renforcement ou de remédiation doivent faire l'objet d'évaluations formative et sommative et de suivi pour mieux s'assurer de la réussite de chaque phase du projet où la prise en charge cognitive d'enfants vulnérables doit conduire au relèvement du seuil de maîtrise des disciplines instrumentales ( français, mathématiques, écriture) : ceci dans la perspective de les reverser dans le groupe de niveau d'origine. Globalement, le gain escompté à travers les cours d'appui, est le rétablissement de l'équité en éducation chez les élèves, l'égalisation et la démocratisation des chances de réussite, même si Perrenoud affirme au plan de la microsociologie scolaire qu' « il n'existe pas deux élèves qui soient traités exactement de la même manière de la part d'un enseignant48(*) ». * 42 LE Gall, A. (1954). Les insuccès scolaires. Collection Que sais-je ? Presses Universitaires de France. * 43 D'après Le Gal, J. (1996, octobre). C. Freinet, la construction d'une pédagogie populaire et d'un mouvement d'éducateurs engagés. * 44 Meirieu, P. (2008). Lutter contre l'échec scolaire : pourquoi ? Comment ? Site du Café Pédagogique * 45 fr.wikipedia.org/wiki/pédagogie différenciée * 46 Barlow, M. Le travail en groupe des élèves, Armand Colin, 1993. * 47 Voir 46 * 48 Perrenoud, P. (1995). La Pédagogie à l'école des différences. Paris : ESF |
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