La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais( Télécharger le fichier original )par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011 |
SECTION II : LA REFORME DE L'INSTRUCTION PREPARATOIREAussitôt réformée qu'on en demande encore. A juste titre bien sûr. Mais avant, il faudrait s'interroger sur certains points. Si l'on estime nécessaire une nouvelle réforme de notre système pénal pour les affaires complexes, celles qui aujourd'hui sont instruites par un juge d'instruction ou devraient l'être, une approche ponctuelle n'est plus permise. Une autre approche est possible, fondée sur un pragmatisme conciliant le respect des principes du droit à un procès équitable et l'efficacité dans la lutte contre la criminalité. Nous pouvons réfléchir à l'amélioration de la phase préparatoire au jugement en partant de quatre questions clés. Avec un juge d'instruction plutôt que sans, la procédure pénale est-elle plus efficace?, Les libertés sont-elles mieux garanties?, L'égalité des armes entre accusation et défense, et l'égalité des citoyens devant la loi sont-elles mieux assurées?, Les ingérences politiques dans l'établissement de la vérité judiciaire sont-elles limitées? Les réponses sont aussi variables que le sont les interrogations. D'abord, si l'on étudie les délais d'instruction, la réponse est non. Lorsque l'on analyse la valeur ajoutée du travail du juge d'instruction, la réponse est variable. Dans trop de dossiers, le juge d'instruction se contente de reprendre ou de compléter à la marge les investigations policières, voire de leur donner un cadre juridique pendant le temps de la détention provisoire. Pour une grande partie de ces dossiers qui passent actuellement par l'instruction, même pour des affaires criminelles susceptibles d'aboutir, il suffirait de saisir un juge d'instruction qui autoriserait les principaux actes portant atteinte aux libertés, ordonnerait des compléments d'enquête et des expertises, statuerait en premier ressort sur les détentions provisoires et les mesures de contrôle judiciaire et s'assurerait par un débat public et contradictoire entre le parquet, les parties civiles et les mis en cause, que l'affaire est en état d'être jugée. L'essentiel est que le juge du fond soit saisi rapidement pour une audience publique qui devra nécessairement prendre plus de temps aujourd'hui, puisqu'il faudra entendre les principaux témoins, procéder aux confrontations. L'oralité des débats, redeviendra la règle effective. Compte tenu du temps d'audience nécessaire, cela implique un redéploiement des moyens et des modes d'organisation moderne, que le système judiciaire peut intégrer si la pédagogie, les moyens humains et budgétaires précèdent et accompagnent la réforme. Egalement si par ailleurs pour dégager le temps d'audience, on traite selon le mode de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, en débat public, des affaires graves mais dans lesquelles les faits sont reconnus. A la deuxième question, on doit répondre aussi par la négative, du fait de « la justice de cabinet » à laquelle on doit toujours préférer le débat public qui empêche les pressions expresses ou diffuses. Ensuite pour la troisième préoccupation, on doit noter que dans un système de type inquisitoire comme le nôtre, le coût des procédures est à la charge de l'Etat, à la différence du système accusatoire de Common Law où les personnes modestes ne peuvent pas réellement assurer leur défense, ou documenter leur plainte en ce qui concerne les victimes. Beaucoup dépend de la qualité, des moyens et des prérogatives de la défense. Il faut donc créer un service public de défense pénale, financé sur le budget de l'aide juridictionnelle, intégrant des avocats seniors encadrant des plus jeunes avec un statut leur garantissant une totale indépendance. Le coût sera élevé, mais sans investissement lourd, l'égalité des armes ne sera qu'un leurre et seules les personnes disposant des moyens financiers suffisants pourront se permettre le recours aux services d'avocats spécialisés, l'appui d'experts et la mise en oeuvre de contre-enquêtes. Enfin pour la dernière interrogation, l'affirmative est requise car le juge d'instruction est celui qui peut conduire ses investigations lorsque des ``puissants'' sont en cause, notamment dans les affaires politico-financières. Nombre d'affaires de corruption, d'abus de biens sociaux, impliquant le pouvoir socio-économique ou des personnalités ayant les réseaux d'appui suffisants n'auraient jamais pu aboutir, voire n'auraient même pas été initiées si des juges d'instruction n'avaient pas été saisis. Là réside le principal risque si les Procureurs se voient confier l'initiative de toutes les investigations. Le garde des sceaux, encore plus depuis la loi du 9 mars 2004 en France et le Code de Procédure Pénale au Cameroun, veut s'affirmer comme « le chef des parquets »249(*). En tout cas, l'enthousiasme constaté qui anime les pays dit ``sous développés'' à adhérer au rang d'Etats de droit pour éventuellement bénéficier de quelques avantages de la communauté internationale250(*) a souvent conduit ces derniers à réformer leurs textes législatifs, et surtout sur le plan procédural. Voulant les arrimer aux normes internationales, on constate une avancée théorique qui ne rime pas toujours avec la pratique. Très nettement on peut pour le cas du Cameroun, et dans le cadre de notre analyse citer la réforme pénale de 2005 qui consacrait le Code camerounais de procédure pénale. Vraisemblablement très respectueuse des droits de l'homme au cours du procès, et, notamment à l'instruction préparatoire avec la contradiction et le double degré de juridiction, nous pouvons constater que l'aisance théorique n'est pas suivie sur le plan technico-pratique. Les surveillances judiciaires peuvent être citées en exemple. En France, elles s'accompagnent du port de bracelets électroniques par la personne sous surveillance. Il n'en va pas de même au Cameroun. Ce qui nous conduit à penser que les réformes, aussi belles soient-elles doivent prendre en compte les capacités techniques qui l'accompagnent. Aussi, l'instruction préparatoire et notamment le principe du double degré de l'instruction tels que prévus par la loi camerounaise ne nécessite-t-elle pas de nos jours une autre réforme qui, sans doute pourra s'ériger comme une panacée aux problèmes actuels de la phase préparatoire du procès pénal, quand on sait l'agitation qui anime cette phase, que l'on se retrouve en droit comparé251(*) ou en droit interne. Conscient du fait que le principe du double degré de l'instruction tend à corriger les erreurs du juge d'instruction, qu'il peut éventuellement être utilisé comme une manoeuvre dilatoire par les bénéficiaires, c'est à juste titre que nous pouvons prescrire une réforme. La perfection ne faisant pas partir de ce monde. Encore est-il vrai qu'une chose n'est parfaite que lorsqu'on n'a plus rien à retrancher, mais pas a augmenté. On estime cependant pour une lucidité de l'instruction, une célérité, un contrôle renforcé et une loyauté des actes d'instruction qu'il soit admis une collégialité dans la juridiction d'instruction du premier degré, question d'éviter les nombreuses erreurs commises à cause de la ``solitude'' du juge d'instruction. Cette collégialité pourrait se présenter sous plusieurs formes. On pourrait ainsi avoir une forme dite passive, et une autre qualifiée d'active. Leurs régimes juridiques (§I) et surtout la portée de cette collégialité de l'instruction au premier degré illustreront notre axe de réflexion (§II). §-I Les régimes juridiques de la collégialité de l'instruction au premier degréL'institution de la collégialité au premier degré de l'instruction peut présenter un double visage à notre sens. Dans une première approche, il sera question d'analyser une forme de collégialité que l'on pourra qualifier de passive (A), avant de voir dans la seconde hypothèse la forme de collégialité dite active (B). A- La collégialité passiveCette forme de collégialité découle d'une institution jadis existante dans le code d'instruction criminelle avant d'être modifiée et enfin supprimée par des lois subséquentes. Dans son organisation, on pouvait remarquer un bicéphalisme au premier degré de l'instruction. Il y avait d'un côté le juge d'instruction et de l'autre la chambre de conseil. Cette chambre composée de trois magistrats avait pour mission de rendre les décisions juridictionnelles. Le juge d'instruction avait ainsi pour rôle de diligenter la procédure. On pouvait très vraisemblablement reconduire cette pratique en remplacement de celle qui consiste pour le juge d'instruction de transmettre le dossier au Procureur. Les juges pouvaient ainsi être investis des mêmes pouvoirs que ceux dont jouissent les juges actuels, à l'exception du pouvoir juridictionnel. Il était, comme le pensait déjà certains auteurs «un simple agent d'information»252(*). Dans le même sens, l'institution avait déjà poussé Jeandidier à parler d'une «répartition des rôles qui procédait d'une ingénieuse conception proche dans l'absolu de la perfection»253(*). Cette conception de l'auteur qui tenait forcement au fonctionnement de cette forme de collégialité n'est pas du tout contestable. En effet, la chambre de conseil aussi permanente que le juge d'instruction lui-même était tout au long de l'information sollicitée par le ``juge du terrain''. Cependant, Il faut noter que l'article 127 du Code d'Instruction Criminelle prévoyait que le juge devait rendre compte au moins une fois par semaine à la chambre de conseil des affaires qui lui sont dévolues. Cette sollicitation de la chambre, d'une fréquence hebdomadaire, n'avait semble-t-il autre but que de purger les nullités pouvant faire grief à la clôture de l'instruction. Nullités qui, dans l'organisation actuelle de la procédure sont dévolues par voie d'appel ou d'ordonnance de transmission du juge d'instruction à une instance supérieure où ce dernier ne peut siéger. La conséquence logique ne pouvait être que d'éviter l'appel qui, au niveau de l'instruction a souvent pour but le ralentissement de la procédure et, surtout l'entrave à la bonne conduite de cette procédure. Ce que défendait déjà Faustin HELIE lorsqu'il pensait que «la justice pénale doit marcher sans repos. Mais elle ne doit pas se hâter». Cette institution dont on retrouve encore les bribes dans la procédure actuelle, notamment par la possibilité du juge d'instruction de saisir la Chambre de Contrôle de l'Instruction par une ordonnance de transmission présente un intérêt capital. On peut ainsi penser à l'exclusion du concept de l'appel voie de nullité de la procédure. Et, comme pour donner raison à Faustin HELIE dans le regret de l'élimination de cette organe, «peut être eût-il mieux valu, au lieu de renverser une institution mal organisée, lui donner une organisation nouvelle et plus efficace»254(*) . C'est aussi pour s'associer au regret de cet auteur que la seconde option de la collégialité proposé dans cette analyse mériterait une attention un peu plus particulière. * 249 L'ensemble de ces réponses découle des entretiens menés avec des avocats, juges et autres praticiens du droit. * 250 On peut entre autres citer les aides internationales et surtout la crainte de l'isolement et du confinement. * 251 On peut citer le cas du droit français qui a souvent tenter de basculer dans la procédure Anglo-saxonne, et, qui dans des débats récents émettait l'idée de passer d'un juge d'instruction à un juge de l'instruction probablement magistrat soumis au Garde des sceaux. * 252 Levasseur et Bouloc, Procédure pénale, D. 1984,12e éd, n°348. * 253 Jeandidier (W), «La juridiction collégiale d'instruction du premier degré», op.cit n°4, il faut tout de même reconnaître que cette appréciation n'était pas du goût de certains auteurs à l'image de Pradel. Pour lui, une telle institution n'avait d'autre but que le ``dépeçage'' de l'instruction. Cf. Pradel (J), Procédure pénale, 3e éd, Cujas, 1985, n°9. * 254 Cité par Jeandidier, ibid. |
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