La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais( Télécharger le fichier original )par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011 |
CHAPITRE II : LES FINALITES DU DOUBLE DEGRE DE L'INSTRUCTIONL'institutionnalisation de l'instruction à double degré dans le Cpp n'est pas sans objet, ni le fait d'un simple hasard ou d'une imitation quelconque. Mécanisme jadis existant dans le CIC, il fît l'objet d'une modification, justifiée par les circonstances de l'époque137(*). Si nous pouvons parler aujourd'hui d'un retour au statut quo ante, il est envisageable pour justifier cela de penser à tout le bonheur que procure un tel mécanisme dans un procès à la limite attentatoire aux droits et libertés individuels. Dès lors, il faut s'interroger sur la portée d'un tel mécanisme dans la procédure répressive camerounaise. Une portée qui certainement a reçu des qualificatifs différents selon les courants doctrinaux. D'aucuns penseront sans doute que le principe n'a rien amélioré dans la procédure pénale. Pour d'autres par contre, le principe est un véritable rempart contre la violation des droits et libertés des justiciables. A juste titre, nous devons admettre que le mécanisme du double degré de l'instruction, brillamment organisé par le législateur de 2005 se conçoit à la fois comme une garantie du droit à un procès équitable (section I) et surtout comme un moyen de préservation des droits fondamentaux et libertés individuelles (section II).
SECTION-I : LE DOUBLE DEGRE DE L'INSTRUCTION : UNE GARANTIE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLELe droit à un procès équitable suppose que soit suffisamment bien organisée la justice. L'organisation de la justice pénale passe aussi bien par le bon fonctionnement de la justice que par le respect des garanties propres à toutes personnes victimes, suspectées, inculpées, prévenues ou accusées. C'est cette idée qui est défendue dans l'article 26 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples qui dispose : « Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l'indépendance des tribunaux et de permettre l'établissement et le perfectionnement des institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte». La nécessité présentée par le législateur camerounais de respecter cette importante disposition internationale à laquelle l'Etat a adhéré s'illustre par l'institutionnalisation et l'organisation précise et minutieuse du principe du double degré de l'instruction, qui pourra être éventuellement suivi du principe du double degré de juridiction. Ce principe du double degré de l'instruction remis en surface par la loi de 2005 et matérialisé par la loi de 2006 corroborant avec le préambule de la constitution qui dispose : «tout prévenu est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie au cours d'un procès conduit dans le strict respect des droits de la défense», fait de ce principe un principe régulateur de la justice (§I), et surtout d'évitement de l'arbitraire des juges (§II). §-I Double degré de l'instruction : régulateur de la justiceLe terme aussi courant de bonne administration de la justice ne se résume pas seulement dans les actes d'administration que peut prendre l'autorité judiciaire. La bonne administration relevant de ces actes peut être taxée de secondaire ou d'accessoire dans la mesure où une telle prévision découle tout naturellement des textes de loi procédurale. Il en est ainsi par exemple, lorsque la loi pénale répartit les fonctions répressives entre les acteurs de la procédure pénale, lorsqu'elle réglemente les droits des parties au procès et le déroulement du procès lui-même. Il convient donc d'admettre le mécanisme du double degré de l'instruction comme un moyen de contrôle de l'indépendance et de l'impartialité des juges d'instruction, consacrant ainsi l'autonomie de la juridiction d'instruction. Cependant, une telle autonomisation doit se justifier par un besoin de justice crédible et de rationalisation des choses. Mais, son implémentation ne peut se réaliser effectivement que si elle est garantie par l'indépendance du juge d'instruction (A), indépendance qui elle aussi est garante de l'impartialité de la juridiction (B). A- L'indépendance du juge d'instructionIl importe ici d'analyser l'indépendance des juges d'instruction en tant que donnée fondamentale pour une justice véritablement garante des droits des justiciables et du droit à un procès équitable. L'idée était a priori consacrée. Une décennie avant la loi portant Code de Procédure Pénale au Cameroun, la loi fondamentale avait pris de l'avance sur la garantie d'indépendance des juges en admettant : «le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême, les Cours d'Appel, les tribunaux. Il est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Les magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions juridictionnelles que de la loi et de leur conscience »138(*). Cette disposition lourde de conséquence nous laisse un peu dubitatif sur le terrain de la pratique judiciaire. Si l'indépendance est admise comme « la qualité d'une personne ou d'une institution qui ne reçoit d'ordres ou même de suggestions d'aucune sorte, qui est donc seule à prendre les décisions qu'elle rend, et qui, en outre n'a pas à rendre compte, dans la mesure où rendre compte évoque la critique»139(*), on se doit de dire que l'indépendance ne vaut comme telle que si le juge est couvert par ce bouclier autant contre les parties au procès que contre les autres pouvoirs de l'Etat, susceptibles de s'introduire dans le domaine de la justice. Les parties étant plus à même de contrôler l'indépendance du juge140(*), il reste que cette indépendance pose un problème à l'égard des autres pouvoirs et surtout l'exécutif dans la mesure où c'est le chef de celui-ci qui est garant de celle-là. Pire encore, il nomme les magistrats dont la mention de leur inamovibilité n'existe dans aucun texte de loi. A s'en tenir à ceci, le doute peut se pérenniser. Mais, en se référent à la jurisprudence de la Cour Européenne de sauvegarde des Droits de l'homme, ce doute est très vite levé. L'indépendance du tribunal selon cette Cour peut s'apprécier suivant un critère organique, fonctionnel et psychologique141(*). L'indépendance la plus matérialisée à travers le double degré de l'instruction est celle du juge à l'égard de ses collègues. Cette garantie ne peut passer que par l'instruction devant une collégialité. Cette possibilité était déjà émise par Wilfried Jeandidier qui évoquait l'idée d'une instruction collégiale au premier degré. Cette idée qui visait plus de célérité dans la phase de l'instruction, dans la mesure où il «est dangereux de livrer le sort de l'inculpé à la discrétion d'un seul homme», sous-entend l'existence d'un contrôle mutuel des juges connaissant de la même affaire. C'est probablement dans cet ordre idée que l'article 27 alinéa 2 de la loi n° 2006/015 portant organisation judiciaire dispose : «l'appel est porté devant la Chambre de Contrôle de l'Instruction composée de trois magistrats». La composition collégiale garante de l'indépendance du juge d'instruction est aussi la garantie de son impartialité. * 137 Voir supra. * 138 Article 38 alinéa 2 constitution du 18 janvier 1996. * 139 Minkoa She, op.cit. n°379. * 140 Cette indépendance est facilement contrôlable et peut même faire l'objet de contestation par les mécanismes qu'offre la loi pénale. On peut ainsi citer la procédure de récusation et du renvoi d'un tribunal à un autre et même l'appel devant la chambre de contrôle de l'instruction. * 141 Le critère organique tient au mode de désignation et à la durée du mandat des juges. Du point de vue fonctionnel ou légal, contre les pressions extérieures susceptibles d'être subies par les juges. Le critère psychologique met en exergue les considérations d'apparence. Sur l'ensemble de la question lire (A) Minkoa She, op.cit. ; Cabrillac, Frisson Roche, Revet, Libertés et droits fondamentaux 9è édition, D. P. 413 et s. |
|