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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE D'AFRIQUE
CENTRALE INSTITUT CATHOLIQUE DE YAOUNDÉ Faculté de Sciences
Sociales et de Gestion
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LES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES EN ZONE RURALE : CAS DU MOULIN
À GRAINS
DANS LE DÉPARTEMENT DE TOMA AU BURKINA
FASO
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~~~~~~~ q w~i~~js~
En Sciences Socia~~s
Présenté par Sous la direction de
Jean cPau~~n R7 Séverin Céci~~
J4ÇBEÇJ4
Maître de conférences
SEPTEMBRE 2000
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2
SOMMAIRE
Sommaire 1
Dédicace 4
Remerciements 5
Sigles et abréviations 6
Introduction générale
7
1. Constat 7
2. Champ et objectif 8
3. Problématique et hypothèses
8
4. Méthodologie et approche du sujet
10
Chapitre 1 : approche théorique de la
technologie et des technologies appropriées 12
1. Approche notionnelle de la technologie.
12
2. Le rapport technologie et société
18
3. Problématique des technologies appropriées
28
4. Les aspects techniques des technologies appropriées
33
5. Les aspects socio-économiques des TA.
34
Chapitre 2 : présentation du site
d'étude : le département de Toma. 38
1. Le milieu naturel 41
2. Les aspects socio-démographiques et
économiques 44
3. Réalisations en matière de
développement 52
Chapitre 3 : techniques et technologies de mouture des
céréales 55
1. Les techniques et technologies anciennes de
mouture. 55
2. Les moulins, technologie nouvelle de mouture des grains
64
3. Le système de mouture des grains dans les villages
74
4. Les représentations sociales autour du moulin
79
Chapitre 4 : impact du moulin sur la vie des femmes
dans le département de Toma. 84
1. Impact d'ordre physico-biologique.
84
2. Le temps de travail féminin
88
3. Les aspects économiques de l'impact du
moulin. 95
3
4. Les aspects sociaux de l'impact du moulin.
105
Chapitre 5 : technologies appropriées pour
femmes et changement social 114
1. Les fonctions sociales du moulin
114
2. Le moulin, facteur de changement social
120
3. Le moulin, un enjeu des rapports sociaux de
sexe. 122
4. Technologies appropriées et promotion de la femme
126
Conclusion et perspectives 129
A n n e x e s 134
Liste des annexes 135
Bibliographie 147
Table des tableaux 156
Table des photographies 156
Table des cartes 156
Table des annexes 156
Table des matières 157
DÉDICACE
4
A MA MERE
« Femme noire, femme
africaine,
Ô toi, ma mère, je pense à
toi...
Femme des champs, femme des rivières
femme du grand
fleuve,
Ô toi, ma mère, je pense à toi...
Femme
simple, femme de la résignation,
Ô toi, ma mère, je
pense à toi... »
Camara LAYE, L'enfant noir, Paris, Plon
1953.
Je dédie ce travail à ma mère
CLOTILDE KOUROUMA TOE, qui, comme toutes les femmes du
département de Toma, a longtemps écrasé les grains sur la
meule de pierre, et maintenant utilise le moulin.
5
REMERCIEMENTS
« Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jn 1, 3).
Gloire à Dieu pour les siècles.
Le présent travail porte mon nom, mais en
réalité, il est le fruit d'une large collaboration. Il n'aurait
jamais vu le jour sans le concours d'un certain nombre de personnes et
d'institutions. J'adresse à travers ces lignes ma profonde gratitude
à toutes celles et à tous ceux qui, d'une manière ou d'une
autre, ont aidé à sa réalisation. Toutefois, quelques-uns
d'entre eux méritent d'être cités ici.
Ma reconnaissance va d'abord à mon évêque
Monseigneur Zéphirin TOE qui m'a envoyé aux
études et n'a ménagé aucun effort pour mettre à ma
disposition tous les outils nécessaires de travail.
J'adresse un merci particulier aux autorités
administratives et politiques de Toma, en l'occurrence le Haut-Commissaire et
le Préfet qui ont mis à ma disposition les sources
documentaires.
Ensuite, mon directeur de mémoire M.
Séverin Cécile ABEGA, guide immédiat dans la
conception et la rédaction de ce mémoire, a été
pour moi un maître de discipline et de méthode dans ces premiers
pas que je fais dans la recherche socio-anthropologique. Je lui en sais
gré pour sa patience, son souci du travail bien fait et pour ses talents
d'écrivain dont j'ai profités.
Aux autorités de l'Institut Catholique, j'adresse mes
remerciements pour les quatre années de formation passées dans
cette institution. Ma gratitude va spécialement au
Révérend Père Louis de VAUCELLES, Doyen
de la Faculté de Sciences Sociales et de Gestion, qui, dès mon
année de licence, a montré un intérêt particulier
pour mon thème de recherche.
Sur mes professeurs, en particulier M. Robert
NANTCHOUANG et les Révérends Pères Claude
PAIRAULT et Jacques FÉDRY, qui m'ont manifesté leur
amitié par leurs conseils et leur soutien, j'invoque la
bénédiction de Dieu.
Que tous mes amis, étudiants et collaborateurs, M.
l'Abbé Bernard FANSAKA, Etienne
DAFOGO, A. Martial DEUGOUE, Prosper
ABE'ELE, Amin IDRISS ADOUM, Bertrand
BAZEL, Yacouba SAMBORE, Michèle et
Célestin NKOA, Cyriaque PARE, Djim
NAOUSSENGAR, Ernest TAMINI, Kadjangaba
TAKOBO, Anata MAWATA, Albert
GAUTHIER, Abel MADENGUE, Sylvie
YAMEOGO, Emmanuel FORO, M. l'Abbé
Toussaint TIENDREBEOGO, M. l'Abbé Jean
KADENDE, Soeur Léontine POHO, Thomas
AIKO et Eric PARE trouvent dans ces lignes le
témoignage de mon amitié pour eux.
A ceux qui m'ont aidé à collecter les
informations : les abbés Abraham ZERBO, Lambert
KONATE et Emile SIMBORO, Dr Sabine
GIES, Michel KI alias le Moine, ainsi
qu'à mes informatrices et à toutes les femmes rurales du
département de Toma dont la condition m'a inspiré le thème
de ce mémoire, j'adresse mes sincères remerciements. Je remercie
les prêtres et les religieuses SAB de la paroisse de Toma
pour leur hospitalité et leur fraternité.
Enfin à mes parents, Danro Cyrille KI
et Kourouma TOE à Sien, Fidèle
TOE et sa famille à Ouagadougou, Soeur Marie
Cécile TOE, Supérieure Générale
des SAB, je termine en disant : « le Seigneur n'oubliera aucun de vos
bienfaits ».
6
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
ADRTOM : Association pour le
Développement de Toma.
AGR : Activité
Génératrice de Revenus.
APICA : Association pour la Promotion des
Initiatives Communautaires Africaines.
AVV : Aménagement des Vallées
des Voltas.
BMHN : Boucle du Mou-Houn.
CESAO : Centre d'Etudes économiques et
Sociales de l'Afrique de l'Ouest.
CFA : Communauté Financière
Africaine.
CICA : Commerce International pour le
Continent Africain.
CRDI : Centre de Recherche pour le
Développement International (Canada).
CRPA : Centre Régional de Promotion
Agro-pastorale.
CV : Cheval - Vapeur.
D.M.A. : Division du Machinisme Agricole
(Mali).
GVF : Groupement Villageois
Féminin.
i.e : id est
(c'est-à-dire)
INADES : Institut Africain pour le
Développement Economique et Social.
INSD : Institut National de la Statistique et
de la Démographie.
IPD / AOS: Institut Panafricain pour le
Développement / Région de l'Afrique de l'Ouest-Sahel.
IRD : Institut de Recherche et de
Développement.
ONG : Organisation Non Gouvernementale.
ONUDI : Organisation des Nations Unies pour
le Développement Industriel.
ORD : Organisme Régional de
Développement.
PEM-LON : Nom d'une association en langue san
signifiant « Dites : "Les femmes" ».
PME : Petites et moyennes entreprises.
PSP : Poste de Santé Primaire.
RGPH : Recensement Général de
la Population et de l'Habitat.
SAB : Soeur de l'Annonciation de
Bobo-Dioulasso.
SEMRY : Société de
modernisation de la riziculture de Yagoua.
TA : Technologie Appropriée.
UGPN : Union des Groupements Producteurs du
Nayala.
UNESCO : Organisation des Nations Unies pour
l'éducation, la science et la culture.
7
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Ce travail aurait pu être intitulé Femmes
rurales et innovation technologique. Le cas du moulin à grains.
Mais notre enquête nous a révélé que le moulin
n'est pas seulement l'affaire des femmes bien que celles-ci soient le plus en
contact avec cet outil de travail. De plus nous avons voulu prendre en
considération toute la problématique des Technologies
Appropriées (TA).
1. CONSTAT
Le milieu rural africain fait, depuis quelques
décennies, l'objet de préoccupation pour les Etats et divers
agents (particuliers, groupes et ONG) oeuvrant pour le développement. Et
pour cause : la campagne comparativement à la ville reste moins nantie
sur beaucoup de plans. Les efforts en matière de développement
visent ainsi à doter le milieu rural de certains moyens de
progrès économique, social et culturel. Il s'agit des
technologies dites appropriées au milieu rural.
Depuis les indépendances, le gouvernement du Burkina
Faso (alors Haute -Volta) intervient auprès des masses paysannes par le
biais des Organismes Régionaux de Développement (O.R.D) en les
dotant de technologies agricoles : techniques de production, matériel
agricole moderne (charrues, tracteurs, moto-pompes...), matériel de
transformation alimentaire, etc. Et pendant longtemps, ces technologies ont
beaucoup plus aidé les hommes que les femmes dans leurs conditions de
vie et de travail. En effet, malgré leur rôle capital dans la
chaîne alimentaire, les femmes rurales au Burkina ne sont toujours pas
bien équipées.
A partir de 1975, année de la femme1, les
préoccupations se font de plus en plus grandes pour la condition de la
femme rurale, condition présentée de plusieurs manières
selon les idéologies. Aujourd'hui de nombreuses ONG se battent au
Burkina pour la promotion de la femme rurale par l'introduction d'outils visant
à faciliter son travail domestique.
1 L'année 1975 a été
désignée « année de la femme » par
l'Assemblée Générale des Nations Unies.
8
Si dans le présent travail nous nous intéressons
aux moulins à grains, technologie moderne de transformation alimentaire,
c'est parce que nous constatons que malgré les efforts de l'Etat et des
agents de développement, la condition de la femme rurale au Burkina Faso
en général, et dans le département de Toma en particulier,
reste pénible et exige une réflexion. Qu'apportent les moulins
à la condition de la femme rurale à Toma ?
2. CHAMP ET OBJECTIF
Si le champ géographique de notre recherche est le
milieu rural et plus précisément le département de Toma,
dans la Province du Nayala, au Burkina Faso, le champ théorique en
anthropologie sociale se veut être la technologie culturelle
et le changement social. En effet, l'étude
comparée des techniques anciennes et modernes de mouture des
céréales nous permet d'observer et d'analyser les changements
socioculturels et économiques dans la région de Toma. En outre,
parce que la mouture des grains est une activité culturellement
réservée aux femmes dans la société san,
l'approche par le genre nous sera d'une utilité pour
interpréter les comportements féminins et masculins autour du
moulin.
L'objectif de ce travail est de connaître et de mettre
en relief les effets produits par l'introduction des technologies
appropriées dans le milieu rural afin de découvrir comment le
moulin modèle les conditions de vie des populations et quels
problèmes de développement il soulève. En ciblant les
femmes, notre recherche entend être une contribution à
l'étude des problèmes liés à la condition de la
femme en milieu rural. Ce faisant, l'étude intégrera les
questions du rapport de l'homme au travail, du rapport homme/machine et de la
modernité. En fait, il s'agit, à partir d'un cas d'innovation
technologique, de faire ressortir les dynamiques sociales nouvelles, indices
d'un processus de développement.
3. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHESES
Depuis les indépendances, les stratégies de
développement en Afrique ont suivi plusieurs voies afin de permettre, en
ce qui concerne le milieu rural, d'accéder à certaines conditions
de vie plus aisées. De plus, depuis ce temps la recherche des moyens
techniques adaptés au milieu rural a fait son chemin, donnant naissance
à l'expression de technologies appropriées dans les
années 1970. Le terme « appropriées » vise donc
à répondre aux besoins fondamentaux des populations
concernées : besoins en nourriture, logements, vêtements,
santé, éducation, etc.
9
Par technologies appropriées il faut entendre à
la fois technologies traditionnelles (locales) et technologies modernes
(souvent objet de transfert des pays développés vers ceux en voie
de développement).
Selon Marc Ecrement (1984 : 57), la technologie est «
l'ensemble de connaissances appropriées et de savoir-faire
ordonnés à la transformation de ressources en vue de la
production de biens ou de services ». L'appropriation dont il est question
se fait au sein d'une société donnée et demande du temps.
C'est la raison pour laquelle J.Perrin (1984 : 95) parle de la technologie
comme « apprentissage social ». Elle doit, pour être acquise,
« s'intégrer dans le système de représentation de
l'acquéreur » (1984 : 6).
L'innovation technologique produit toujours des
transformations sociales dont les effets directs ou indirects ne sont pas
toujours maîtrisés. Ces transformations touchent soit une
catégorie de la population, soit l'ensemble de celle-ci ainsi que le
souligne la Commission Internationale d'histoire des mouvements sociaux et des
structures sociales, (1989 :4è de couverture) : "l'utilisation d'une
technologie nouvelle peut transformer complètement l'aspect d'une
région et les coutumes de ses habitants". Dans le cas du moulin à
grains, notre question de départ est la suivante : Quel est
l'impact du moulin à grains sur la vie sociale et économique des
femmes du département de Toma ?
Quelques hypothèses de recherche servent de
réponses provisoires à cette question en attendant d'être
confirmées ou infirmées par les résultats de recherche
:
1. Le moulin allège le travail domestique des femmes.
2. Le moulin permet aux femmes de réaliser un gain de
temps tout en introduisant d'autres modalités de le gérer.
3. Le moulin réorganise les rapports humains au
village.
4. Le moulin faisant intervenir l'argent, restructure
l'économie villageoise et partant, induit des changements dans les
perceptions, faits et pratiques gestionnaires.
5. L'introduction et la présence du moulin apportent
des changements dans les rôles et les places des femmes au sein des
sociétés rurales et font apparaître de nouveaux
rôles.
10
4. METHODOLOGIE ET APPROCHE DU SUJET
Toute recherche scientifique doit suivre une
méthodologie. Celle que nous avons appliquée est celle des
sciences sociales où le chercheur s'applique à «
écarter systématiquement toutes les prénotions » sur
le sujet (Durkheim, 1895, 1988 : 125).
+ La recherche documentaire et l'enquête
Pour mener à bien cette recherche, nous avons
procédé d'abord (en juillet 1999) à une recherche
documentaire au Burkina Faso dans des bibliothèques (CESAO,
INADES-FORMATION, IPD/AOS et IRD). Ensuite, une synthèse des
différentes lectures nous a permis d'élaborer une
problématique provisoire et des hypothèses de recherche. Ce n'est
qu'après cela que nous avons pu procéder à une
première enquête à partir d'un questionnaire. Une
deuxième enquête de terrain fut effectuée du 16
décembre 1999 au 18 janvier 2000 afin de couvrir un échantillon
plus large. La nécessité d'une recherche documentaire plus
pointue nous conduisit en avril 2000 à l'APICA (Association pour la
promotion des initiatives communautaires africaines) à Douala.
+ L'échantillon
Un échantillon stratifié de 130 personnes dont
la majorité (100 personnes) composée de femmes nous a permis de
recueillir les données sur le terrain. La proportion importante de
femmes s'explique : ce sont elles qui sont les premières
concernées par les technologies de transformation alimentaire. Une
distinction est faite entre :
- les femmes n'ayant connu que la mouture à meule de
pierre (20 personnes).
- les femmes n'ayant connu que la mouture avec le moulin (50
personnes).
- les femmes ayant l'expérience de la mouture à
meule et du moulin motorisé (30 personnes).
Les hommes ne sont pas exclus de notre échantillon dans
la mesure où en matière de faits sociaux, ce qui concerne un sexe
concerne généralement l'autre aussi. Dans le département
de Toma, les chefs de ménages interviennent par exemple
financièrement dans la mouture par moulin. Une autre raison, c'est que
les meuniers sont tous des hommes. Enfin, à l'exception des
11
groupements féminins, les propriétaires de
moulins sont des hommes dans le département de Toma.
L'observation participante et l'entretien semi-directif sur base
de questionnaires nous ont
servi comme moyen de collecte des données. Quatre
questionnaires furent adressés aux
catégories suivantes :
- les propriétaires de moulin (particuliers et
associations)
- les meuniers
- les chefs de ménages.
- les femmes
Nous avons également consulté les personnes et
institutions (bailleurs de fonds et ONG)
oeuvrant pour la promotion de la femme.
+ Le cadre théorique
L'élaboration de ce travail fait enfin appel à
un corps de théories scientifiques utilisées par les sociologues
et les anthropologues. Ainsi à travers l'approche dynamique
(dynamisme), nous entrons dans une anthropologie qui se donne
l'innovation pour objet, une anthropologie attentive aux changements. Car
l'innovation (qu'elle soit religieuse, politique ou agro-alimentaire) est un
objet légitime pour les Sciences Sociales.
Le fonctionnalisme à travers la
théorie des besoins nous permet de comprendre les mobiles de
l'importation des moulins et, d'autre part, à travers la théorie
des rôles d'appréhender les fonctions sociales de ceux-ci.
Tandis que l'analyse stratégique aura
son importance dans l'appréhension des stratégies
déployées autour des moulins par les femmes, les meuniers et les
propriétaires de moulins, l'approche systémique
nous permettra, à travers la méthode comparative, de
situer le moulin par rapport à d'autres secteurs d'activités des
femmes afin d'en mesurer l'impact.
12
CHAPITRE 1 : APPROCHE THÉORIQUE DE
LA
TECHNOLOGIE ET DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES
Ce premier chapitre de notre travail consiste en une revue de
la littérature sur la technologie et les technologies
appropriées. Il s'efforce de mettre en relief différentes
approches d'auteurs sur le thème. Ce travail préalable nous
permettra en même temps de préciser notre approche et de
présenter la problématique qui est la nôtre.
Procédant par une démarche thématique, nous ferons le tour
du sujet en partant d'abord d'une approche notionnelle pour ensuite
considérer le rapport technologie et société. Par la
suite, une prise en compte de la problématique des technologies
appropriées, de leurs aspects techniques et socio-économiques
complètera cette revue de littérature.
1. APPROCHE NOTIONNELLE DE LA TECHNOLOGIE.
Cette approche prend successivement en compte les origines et
l'évolution du concept de technologie pour s'intéresser à
la distinction technologie ancienne et technologie nouvelle.
a). Aux sources du mot « technologie ».
Etymologiquement le mot vient du terme grec « technologia
» lui-même formé de la racine « technè »
(art, technique) et de « logos » (discours). La technologie serait
donc le discours sur la technique ou les techniques. En d'autres termes, la
technologie est la "science qui a pour objet les techniques" (Salomon, 1992 :
66). Mais qu'en est-il de la technique elle-même ?
Une technique n'existe que par rapport à une action. La
technique est inséparable de l'activité, car c'est elle qui
permet la réalisation de celle-ci. M. Weber (cité par J.Y.
GOFFI,1988 : 21-22) écrit en effet que « la technique d'une
activité est la somme des moyens nécessaires à son
exercice ». Mais la technique est une opération rationnelle. Cette
technique rationnelle est, toujours selon Weber, « la mise en oeuvre de
moyens intentionnellement et méthodiquement en fonction
d'expériences, de réflexions et - poussant la rationalité
à son plus haut degré - de considérations scientifiques
». Cette définition nous amène à conclure que toute
activité élaborée est le fruit d'une technique. La
technique met en relief l'aspect artistique de l'activité. Disons ici
que la technique correspond à l'ensemble des savoir-faire
déployés dans la
13
réalisation d'une oeuvre. Application concrète
d'un savoir-faire à une activité, la technique dans le sens
weberien se définit en terme d'action. D'où son dynamisme
intrinsèque. Au total, nous définissons la technique comme un
savoir-faire pratique.
La technologie, dans une première approche est la
théorie de ce savoir-faire pratique. Elle est un discours
organisé sur la technique, sur le savoir-faire humain. Leroi-Gourhan
(1988 : 1030) qui s'est beaucoup intéressé à la
technologie la définit justement comme « l'étude de tout ce
qui concerne l'action de l'homme sur la matière ». Cette
définition de Leroi-Gourhan laisse sous-entendre non seulement la notion
de savoir-faire déjà organisé mais aussi celle d'une
recherche sur l'impact de l'action humaine sur l'environnement physique. Une
telle approche tend à faire de la technologie une discipline. Sigaut
(1984 : 360) va dans la même ligne de pensée et dit que depuis
Marcel Mauss et même auparavant, "les ethnologues appellent technologie
la branche des sciences humaines dont la tâche est de décrire,
d'analyser et de comprendre les faits techniques". Mais la technologie ne
réussira pas à s'imposer comme discipline scientifique. Bien
plus, la compréhension du terme a connu une évolution avec le
temps.
b). Évolution du concept.
Nous ne sommes pas restés au premier sens du mot «
technologie ». "Le sens étymologique, nous dit Jean Jacques Salomon
(1992 : 66), a été renouvelé, d'un côté, par
l'histoire de l'industrialisation et, de l'autre, par l'usage
prédominant du mot dans son acception anglaise". Dès lors, la
technologie désigne à la fois des objets matériels et
immatériels.
+ La technologie comme un ensemble d'objets
matériels
Du point de vue de la langue anglaise qui selon Salomon (1992
:67) « ignore le substantif "technique", et parle des "arts techniques" au
sens de l'artisanat ou des arts et métiers », le mot
technologie peut désigner «des objets matériels,
des outils et des dispositifs simples (levier, marteau, charrue, etc.) et des
systèmes complexes (une usine, un réseau de chemins de fer,
d'ordinateurs, de satellites, etc.) ». L'auteur note d'ailleurs que la
frontière entre outils et systèmes plus complexes n'est pas nette
dans la mesure où ceux-ci peuvent faire partie de systèmes plus
larges ("roues et ailes d'un moulin, bielles et manivelles d'une machine") et
où il existe des systèmes plus complexes que d'autres.
14
Comme on le voit, la technologie tout en gardant son sens
originel théorique de discours, de science, de corps de connaissances et
de savoir-faire ordonné à la transformation de la matière
se confond ici avec cette matière. Une relation d'identité
s'établit ainsi entre la technologie et l'objet matériel, produit
d'un savoir-faire technique. Leroi-Gourhan (1971 : 316) appréhendait
d'ailleurs la technologie sous cet angle. Pour lui « la technologie, mot
précis dans le vocabulaire industriel moderne, s'étend
progressivement du poste de télévision au silex
éclaté ». En effet, nous pouvons dire que l'évolution
de la compréhension du terme est liée à la
révolution industrielle de la fin du XVIIIè siècle
(appelée, à juste titre, révolution technologique), qui a
permis de mettre progressivement sur le marché des produits et des
techniques sophistiquées appelés technologie de pointe.
Aujourd'hui la technique, telle que nous l'avons définie, et le produit
de la technique définissent la technologie. L'ensemble de
matériels et d'outils divers conduira par ailleurs à utiliser le
mot technologie au pluriel. On parle aujourd'hui des technologies :
technologies dans le domaine agricole, dans le domaine de l'information,
etc.
Les spécialistes du développement rural, en
Europe dans les années 1950, et du développement africain
à partir des années 1960, mettront davantage l'accent sur
l'aspect matériel de la technologie. Une conséquence de cela est
la tendance à voir dans ce que l'on appelle transfert de technologies
uniquement un ensemble d'outils et de matériels transportés
depuis l'Europe vers les pays en voie de développement. Mais il n'y a
pas que l'aspect matériel dans la technologie ; la technologie
désigne également un ensemble d'objets immatériels.
+ La technologie, ensemble d'objets
immatériels.
A côté du radical "technè" qui
renvoie au caractère matériel de la technologie se trouve le
suffixe "logos" qui en désigne l'aspect immatériel. En
effet, « le mot peut aussi désigner des objets immatériels,
des idées, des connaissances, des symboles, bref un savoir. C'est ce
sens que l'on retient, lorsqu'on parle du Massachusetts ou du California
Institute of Technology, c'est-à-dire de lieux où l'on enseigne,
transmet, renouvelle et crée un savoir sur la manière de produire
des dispositifs et des systèmes qui associent la science et le
savoir-faire, les coups de main de l'artisan, la pratique de l'ingénieur
et les théories du savant » (Salomon, 1992 : 67). Comme discours
sur les techniques, la technologie se voudrait d'abord une science, un savoir.
C'est ce savoir qui permettra la production du matériel technique.
15
Savoir enseigné et transmis en vue d'une
opération, la technologie comme science pose un autre problème,
celui de discipline ou branche de la science. En d'autres termes, si la
technologie est une science, cela suffit-il pour la considérer comme une
discipline scientifique ? A cette question Salomon répond que la
technologie comme discipline scientifique n'existe pas et ne peut exister en
tant que telle. Car "la « science des techniques », objet de
recherche et de pédagogie, capable de dresser la carte de toutes les
techniques et de tous leurs procédés, est demeurée un
projet sans avenir. Il y a, certes, des spécialistes ou des «
étudiants de la technologie » pour parler des techniques (de
Beckmann à Mumford, en passant par les Encyclopédistes, Marx,
Espinas, Reuleaux et tant d'autres), aucun toutefois n'a jamais
été ni prétendu être un « technologue »"
(1992 : 71). L'auteur ajoute comme raison à cela que la technologie en
tant que discours sur les techniques n'est pas à la technique ce que la
linguistique est au langage ou la biologie aux êtres vivants. Ceci
sous-entend qu'il n'y a pas de base commune des techniques ni de
critères déjà définis permettant au chercheur en ce
domaine de devenir technologue au sens de spécialiste des techniques. Il
y aurait donc difficulté à ériger la technologie en
discipline scientifique. Nous ne relèverons pas toutes les causes, mais
signalons qu'une des causes principales de cet état de fait pourrait se
trouver dans le développement du machinisme et de la révolution
industrielle. En effet, si au Moyen Age, le mot technologie renvoyait à
la "technique de la logique", au XVIIIè siècle le
concept oscille entre deux pôles : "d'un côté, celui d'une
entreprise universitaire qui vise à recenser, à codifier et
à réunir en un corps de doctrine cohérent tout ce que l'on
peut savoir des opérations de l'art ; de l'autre, celui d'une entreprise
politique qui vise à légiférer sur le rôle des
techniques dans l'univers économique et social" (Salomon, 1992 : 71). Ce
serait donc le poids de plus en plus croissant du deuxième pôle
qui fera de la technologie un "processus social". Ce processus est celui qui
établit le lien entre technologie et société prenant en
compte le politique, l'économique et le culturel. Nous
développerons cet aspect dans la deuxième section de ce travail
lorsque nous parlerons du rapport technologie et société.
Toujours au sujet de l'immatérialité de la
technologie, force est de reconnaître qu'une frontière rigide
entre ce qui est matériel et ce qui est immatériel semble
impossible. En effet, comme dit Salomon (1992 : 67) "de quel côté
situer le logiciel d'un ordinateur ?"
Il apparaît au terme de ce développement que les
objets matériels et immatériels doivent être
considérés non pas comme des éléments
séparés de la technologie mais comme un tout
16
formant la technologie. On définirait mal la
technologie en faisant abstraction d'un aspect. Traitant donc du moulin comme
technologie moderne, nous n'en resterons pas à son aspect
matériel qui relève uniquement de la production technique. Autour
du moulin gravite tout un ensemble de valeurs culturelles qui
intéressent notre sujet. Mais en attendant, essayons d'approfondir notre
connaissance des technologies à travers les différents vocables
existant à ce propos.
c).Technologies anciennes et technologies nouvelles.
La présentation des qualificatifs des technologies a
une double importance pour notre étude. D'abord, ces qualificatifs nous
permettent de voir comment les termes évoluent et/ou se précisent
avec le temps. Ensuite, ils rendent possible une certaine catégorisation
des technologies et nous permettent de choisir la catégorie de
technologies dont nous voulons traiter dans notre étude.
La qualification des technologies est née de la
dynamique même de l'évolution, de la prolifération et de la
diversité des matériels et des procédés ou
savoir-faire techniques. Grâce au progrès de la science, il est
difficile de nos jours de parler de technologie au singulier. Les technologies
modernes se disent au pluriel. Une certaine classification a donné lieu
aux terminologies suivantes parfois en couples d'opposition : technologies
anciennes / technologies nouvelles (ou technologies traditionnelles /
technologies modernes), technologies douces / technologies
sophistiquées, technologies appropriées (ou technologies
intermédiaires) / technologies conventionnelles. Signalons que cette
classification est liée au temps, mais aussi aux idéologies ayant
soutenu les politiques de développement ou d'aménagement de
l'espace rural. Dans ce dernier cas, les mêmes matériels et outils
peuvent se retrouver sous plusieurs attributs.
En Europe, c'est la révolution industrielle (1780-1950)
qui a permis de faire une distinction entre les technologies
considérées dorénavant comme anciennes ou traditionnelles
et celles dites nouvelles ou modernes. Ainsi se regroupent sous l'appellation
de technologies traditionnelles toutes les techniques, procédures,
savoir-faire et matériel à caractère essentiellement
artisanal sanctionnés par le machinisme de cette époque. Dans le
domaine économique par exemple, ces technologies se caractérisent
par leur faible capacité de production et de rendement. En outre, elles
font appel à la force humaine ou animale comme
17
source d'énergie, d'où le caractère
pénible de ces technologies. Il s'agit de toutes les technologies depuis
l'antiquité jusqu'à la révolution industrielle.
Les technologies nouvelles ou modernes quant à elles se
montrent plus efficaces par leur rapidité, leur grand rendement et par
le repos qu'elles procurent à l'homme dans l'exécution des
tâches. La raison en est que la plupart de ces technologies
bénéficient de la motorisation avec pour source d'énergie
la vapeur d'abord et par la suite le carburant et l'électricité.
Les technologies modernes sont essentiellement industrielles.
L'expression de "nouvelles technologies" est beaucoup plus
récente et date des années 1980. Elles sont fondées sur la
micro-électronique. Selon Ajit Bhalla (1992 : 458) "leur introduction
modifie la structure professionnelle de la main-d'oeuvre au
bénéfice de la programmation et des compétences
générales, et au détriment d'une spécialisation
trop poussée". Ces nouvelles technologies sont concentrées et
contrôlées par les grandes firmes multinationales.
Dans le contexte africain, sont considérés comme
technologies traditionnelles celles d'avant la période coloniale, et
modernes toutes celles issues du contact avec l'Occident. Les informations que
nous détenons sur les technologies traditionnelles grâce aux
historiens révèlent que les sociétés africaines,
comme les autres dans le monde, étaient techniquement bien
équipées et connaissaient une évolution technologique
intéressante. Nous lisons par exemple que le premier millénaire
de l'ère chrétienne, dans les sociétés de l'Afrique
subsaharienne, se caractérise par des changements fondamentaux dans tous
les domaines : "L'économie passe du stade du parasitisme à celui
de la maîtrise des moyens de production alimentaire
végétale et animale. De même la technologie rudimentaire,
en grande partie fondée sur l'utilisation de la pierre et du bois, fait
place à une technologie beaucoup plus complexe fondée sur
l'emploi de divers métaux parallèlement à celui de la
pierre" (Posnansky, 1987 : 503). Déjà dès ce premier
millénaire (+ 800) les sociétés africaines disposaient de
moyens techniques pour l'exploitation des minéraux (le cuivre, le fer,
le sel, l'or...).
De la colonisation à nos jours, l'Afrique
bénéficiera, pour son développement, de plusieurs
transferts de technologies occidentales. C'est de ce choc de cultures que les
technologies locales seront appelées traditionnelles et les nouvelles
venues modernes.
18
Un regard rétrospectif sur ce premier point du chapitre
nous permet de conclure que la technologie est polysémique et
multifonctionnelle : savoir et pratique, objets matériels et
immatériels. Symbole du progrès et de la dynamique des
sociétés, elle ne saurait être appréhendée
entièrement en dehors d'elles. C'est pourquoi il nous faut à
présent nous intéresser au rapport entre technologie et
société car c'est par et dans la société que toute
technologie existe et prend sens.
2. LE RAPPORT TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ
Un rapport intrinsèque existe entre
société et technologie. C'est pourquoi nous voulons traiter ici
de la technologie comme fait social. En effet, les procédés comme
les équipements ou outils sont des productions sociales. C'est pourquoi
Salomon (1992 : 67) ne manque pas de signaler qu'au-delà même du
savoir théorique qui a pu la produire, toute technologie renvoie aux
finalités, donc aux structures sociales (mentalités et croyances,
besoins et institutions économiques, politiques, culturels, etc.)
qu'elle a précisément pour fonctions de servir. Dans ce
deuxième point du chapitre, il sera essentiellement question de la
culture matérielle, du rapport technologie-pouvoir-société
et de l'innovation technologique.
a). Société et culture matérielle.
La question de la culture matérielle des
sociétés trouve son préalable dans celle du rapport de
l'homme à la matière. En effet, l'histoire des inventions et des
techniques nous présente l'homme au travail et nous le
révèle comme homo faber et animal technicus.
Ainsi, non seulement l'homme se sert des objets mais encore les fabrique pour
un usage durable. Présenté sous cet angle, le premier rapport de
l'homme avec la matière, et de façon générale
à son environnement physique, est celui qui consiste à le
modifier par le travail pour se réaliser, satisfaire ses besoins. Loin
d'être celui d'un seul individu, ce travail est, en définitive, un
travail social et sociétal, celui d'un groupe, d'une
société. L'accumulation des productions de cette
société forme alors, au fil du temps, sa civilisation
matérielle. D'où le paradigme du patrimoine culturel.
Selon cette théorie, toute société se
fait connaître d'abord à travers les éléments
matériels de sa culture. Les auteurs de la technologie culturelle, dont
Leroi-Gourhan, Mumford et Gille, ne manquent pas d'insister sur cette
réalité et le lien entre société et technologie.
19
L'établissement d'un rapport entre
société et culture matérielle, dans le cadre de notre
étude, vise avant tout à montrer que la technologie naît et
existe par et dans la société. Michaïlof (1984 : 127) le
fait remarquer déjà lorsqu'il écrit que "toute technologie
est avant tout le produit d'une société spécifique,
c'est-à-dire d'un environnement économique, social et politique
particulier". Et bien avant lui, Leroi-Gourhan (1945 : 347) insistait sur cet
aspect en parlant de milieu et techniques. Pour lui, il existe un groupe
ethnique et un groupe technique. "le groupe ethnique existe par la
présence dans son enceinte matérielle d'un milieu
intérieur continu et ce milieu se prête à des abstractions
de commodité (...). Comme le groupe ethnique est l'expression
matérielle du milieu intérieur, le groupe technique est la
matérialisation des tendances qui traversent le milieu technique". Il
est clair pour nous que le groupe ethnique dont parle Leroi-Gourhan renvoie
à la société d'où émergent les techniques et
les outils techniques. Cette approche nous permet de dire que de même
qu'il n'existe pas de société sans technologie, de même il
n'existe pas de technologie qui ne soit pas le produit d'une
société. Mais il nous faut d'ores et déjà signaler
que les techniques diffèrent selon les groupes. Il ne faudrait donc pas
s'étonner de voir que tel ou tel outil technologique existe chez un
peuple et n'existe pas chez un autre. Car, "Conçus par une
société, dit Ecrement (1984 : 57), pour la transformation de ses
ressources en vue de la satisfaction de ses besoins, procédés,
machines, produits, modes organisationnels de la production, sont
marqués du sceau des sociétés qui les ont conçus et
sont l'expression de leur niveau technologique". Le domaine de l'architecture
est un exemple frappant de cette réalité. Besoins et niveau
technologique expliquent bien les degrés divers d'avancement
technologique des sociétés à travers le monde. Mais la
technologie s'apprend et s'emprunte parce qu'elle est de l'ordre de la culture
et non de la nature, c'est-à-dire de l'acquis et non de
l'inné.
Le second paradigme mis en relief par les auteurs,
après celui qui fait de la technologie le patrimoine culturel des
sociétés, est celui de la technologie comme culture et
apprentissage. La technologie est un élément de la culture d'un
groupe social, d'une société. Elle entre d'abord dans le
patrimoine culturel du groupe technique qui l'a produite. Ensuite par diffusion
ou emprunt elle peut devenir élément culturel d'un autre groupe
qui se l'appropriera avec le temps. Cette question de l'appropriation a fait
voir la technologie, à des auteurs tels que J.Perrin (1984 :95), comme
un apprentissage social. En effet pour cet auteur, du fait que l'appropriation
nécessite du temps, la technologie doit, pour être acquise, «
s'intégrer dans le système de représentation de
l'acquéreur ». L'acquisition dit bien ici emprunt. Il y a un
processus de transmission qui se met en place. Et de fait, les technologies
modernes connaissent une plus
20
grande et rapide diffusion grâce aux progrès
techniques surtout dans le domaine de la communication et des transports.
Cette diffusion est en même temps diffusion de culture,
car les technologies renvoient aux sociétés qui les ont
produites. C'est pourquoi, diffusée dans une société autre
que la sienne, la technologie nécessite apprentissage et adoption. (Ce
disant, nous n'excluons pas le fait que la technologie s'apprend même au
sein de « sa » société d'origine). Ainsi en est-il des
moulins à grains importés. En outre, nous pouvons ajouter que la
technologie devient communication dans la mesure où, empruntée,
elle relie des sociétés différentes. Georges Balandier
(1971 :146) considère d'ailleurs la transmission des techniques comme un
problème de communication. En effet, pour lui, « il s'agit de faire
`passer' un complexe de techniques d'un système qui l'a conçu
à un système pour lequel il est, au départ, radicalement
étranger ». Ce processus implique nécessairement que soit
trouvé un langage qui établisse le lien entre les deux
systèmes et qui puisse être décodé ou traduisible
par les deux. Point n'est besoin d'insister ici sur l'importance de la
communication dans le processus d'apprentissage.
Les technologies circulent donc tout en diffusant les valeurs
et idées des sociétés qui les ont produites. Les
transferts de technologies de l'Europe qu'ont connus les différents pays
africains (sous forme d'emprunt et d'imposition) depuis la période
coloniale témoignent de cette réalité. C'est au regard de
cette réalité transactionnelle que des auteurs ont
appréhendé la technologie comme un instrument de pouvoir et de
domination. Mais la technologie n'est-elle pas neutre en soi ?
b) Technologie, pouvoir et société
Pour certains penseurs comme J. Ki-Zerbo, le postulat de base
de la relation entre technologie, pouvoir et société, c'est que
« la technologie n'est pas neutre ». En effet, pour Ki-Zerbo
(cité par Raulin, 1984 :340), « tout objet est un
précipité de valeurs ; une fois ingéré par une
société, et s'il ne déclenche pas un
phénomène de rejet, il développe dans cet organisme le
système même de valeurs qui a présidé à sa
création ». C'est dire combien la technologie ne laisse pas
indifférent et peut être utilisée à des fins
politiques. Comme nous le verrons à propos des technologies
appropriées, c'est la critique adressée au mouvement de transfert
de technologies durant les deux décennies de l'après guerre
(1955-1975).
21
Canal de communication, la technologie est, selon J.Perrin et
J.Mc.Ela, au centre des rapports de pouvoir et de domination. Ces auteurs se
montrent très critiques au sujet des transferts de technologies. Tandis
que Perrin (1984 : 7) considère que la technologie n'est pas une
ressource naturelle ni un patrimoine commun au service du développement,
J.Mc.Ela (1982 : 167), eu égard au contexte africain, pense que les
technologies sont la production d'un système de domination dont les
racines s'étendent progressivement jusqu'aux villages les plus
reculés de la forêt et de la savane. Ceci étant, «
toute injection d'une technologie `moderne' en milieu rural africain est une
courroie de transmission d'une énorme machine qui produit la
dépendance et la misère ». Ainsi, en est-il de même,
selon lui, des projets de développement imposés d'autorité
et qui finissent par entrer en conflit avec les intérêts des
groupes locaux (1994 : 239).
De ce qui vient d'être affirmé, il y a beaucoup
de choses à redire. Nous pensons que la pensée de Ela est
idéologique. Il n'est pas possible que les technologies dans leur
ensemble soient la production d'un système de domination. De plus, que
toute injection d'une technologie supposée moderne en milieu
rural africain soit une courroie de transmission d'une énorme machine
qui produit la dépendance et la misère, signifierait la mort des
communautés villageoises en pleine mutation. En quoi l'introduction de
la culture attelée, par exemple, produit-elle la dépendance et la
misère ? En outre l'usage du terme « injection » dénote
qu'Ela attribue une intention précise au phénomène de la
diffusion technologique. Ici, il n'y a pas d'injection ni
d'intentionnalités, mais diffusion.
Remarquons que ces auteurs sont quelque peu rigides dans leur
position. Cela s'explique par le fait qu'ils se situent dans le champ politique
et voient ainsi des firmes multinationales transférer dans les "pays
déshérités" « des équipements
`sophistiqués' dont l'entretien et la réparation posent de
nouveaux problèmes. Parfois il faut recourir à la
maison-mère pour remettre en marche le matériel importé
» (Ela, 1994 : 229). Ce sont toutes les politiques et stratégies du
développement des pays du Sud qui se trouvent remises en cause. Pour ces
auteurs, en particulier Jean Marc Ela, la conclusion est nette : d'abord les
technologies transférées sont inadaptées aux conditions
locales. Ensuite, les activités de recherche-développement sont
concentrées dans les pays d'origine des firmes multinationales. Enfin,
il faut noter la faiblesse des effets d'entraînement du transfert de
technologie sur l'économie locale. Mais il est une chose donc Ela ne
parle pas : c'est la possibilité donnée à chaque nation de
créer les voies et moyens de son développement. On peut regarder,
copier et même améliorer une technologie
22
d'un autre pays. Le cas japonais est le meilleur qui soit
toujours cité (cf. L'ère MEIJI : 18681912). En outre, ces auteurs
semblent voir le transfert technologique dans le sens d'une imposition. Mais
n'y a t-il pas lieu, au regard des souffrances et des besoins du monde rural,
d'appréhender ce transfert en termes d'importation et partant, d'emprunt
? D'autre part, transféré ou non, tout outil, surtout à
usage communautaire, occasionne une confrontation de stratégies
liées aux enjeux des différents acteurs et peut créer une
stratification sociale. L'exemple des moulins à grains dans le
département de Toma nous permettra de mieux approfondir cette
problématique.
Certes, nous reconnaissons que le mécanisme de la
diffusion suppose, dans sa forme simple, un décalage entre deux groupes
permettant à l'un de transmettre le produit de son innovation
technologique et à l'autre de le recevoir. Mais ce n'est pas à
chaque fois qu'il y a transfert de technologie qu'il faut y voir
nécessairement une domination. La position de Leroi-Gourhan nous
paraît plus souple lorsqu'il dit : « Ce matériel (celui
diffusé) est souvent guerrier et sa politique souvent
conquérante, mais il n'est pas moins fréquent que le commerce et
la politique commerciale, la culture intellectuelle et la politique d'expansion
civilisatrice soient en cause » (1945 : 429). Signalons que si la
technologie est perçue comme instrument de domination politique, cela
est essentiellement dû au contexte actuel des relations internationales
et de la situation de dépendance des pays africains qui n'ont pas encore
trouvé la formule de la déconnexion.
L'analyse de Sanjaya Lall (1994 : 312) n'est pas moins
pertinente. Pour lui le développement technologique a toujours recours
aux importations de technologies en provenance des pays avancés. «
Mais le degré de dépendance à l'égard des
technologies importées, et la nature des importations de technologie,
affectent le développement des capacités technologiques
nationales ». Ainsi, si l'on n'y prend garde l'absorption passive des
compétences, des connaissances et des technologies
étrangères, peut conduire à la stagnation à un
niveau peu élevé des capacités technologiques. Il se
trouve posé là le problème de la nécessité
d'une innovation technologique endogène sans laquelle la
dépendance vis-à-vis d'autres milieux techniques d'un niveau
technologique supérieur devient le passage obligé de tout
temps.
23
c). Société et innovation technologique : la
technologie comme facteur de changement.
La culture matérielle des sociétés et
leur équipement technologique se constituent et s'accroissent surtout
grâce à l'innovation technologique. C'est pourquoi nous donnons
à l'innovation technologique une importance particulière dans
cette recherche sur les moulins à grains. Elle est pour nous le nerf du
changement à tous les niveaux. De plus, le degré de
modernité d'une société s'évalue à sa
capacité d'innover. De cette capacité innovatrice dépend
aussi le développement économique. Comme dans un système,
la problématique de l'innovation dans la société reste
liée à la technique, au politique, à la culture et
à l'économique. D'abord quelle définition donner de
l'innovation ?
Précisons de prime abord la différence entre
l'innovation (surtout lorsqu'il s'agit de l'innovation technologique) et
l'invention qui est selon Leroi-Gourhan (1973 : 377) un acte de l'intelligence
et consiste en tout apport (un corps technique entier : l'agriculture, un objet
nouveau dans une technique : la charrue...) du milieu intérieur au
groupe technique. Ainsi, tandis que l'invention semble insister sur la
création matérielle et émerge de l'intérieur,
l'innovation va au-delà du matériel et peut être la
résultante d'une dynamique interne ou d'un emprunt. Ce qui importe dans
l'innovation, c'est la nouveauté. En effet l'innovation se
définit comme toute introduction dans un milieu d'un fait nouveau. Nous
pouvons retenir ici la définition de Rogers Shoemaker cité par
Roland Treillon (1992 :70) : «Une innovation est une idée, une
pratique ou un objet considérés comme nouveaux par un individu ou
un groupe. Il importe peu que cette appréciation de nouveauté
soit objective ou non, mesurée en termes de délai par rapport
à une découverte ou un premier usage. C'est la nouveauté,
telle qu'elle est perçue par l'individu ou le groupe, qui
détermine son comportement. Si l'idée semble nouvelle pour
l'individu et le groupe, c'est une innovation ».
Au-delà de cette approche conceptuelle de l'innovation,
il faut insister sur sa nature pratique. Et à ce sujet, la sociologie de
l'innovation, telle que nous en parle Michel Robert (1986 :95), a connu une
évolution sous l'influence des recherches américaines.
L'innovation est d'abord liée à l'idée du changement. La
mise en pratique des politiques de développement orientera ce changement
dans le sens de « reconstruction nationale » avec tendance à
rendre le fait nouveau matériel, technique ou technologique (cf.
l'exemple du maïs hybride ou du tracteur). Le changement lui-même
signifiera la transformation matérielle apportée ou ses
24
conséquences sur la vie du groupe social. La sociologie
de l'innovation finira par aboutir à l'identification de l'innovation
technologique avec le progrès technique qui devient lui-même le
progrès tout court. Comme on le constate, l'innovation dans la
sociologie du développement est restée au stade pratique
orientée sur la production économique. Elle est définie
dans ce sens par Shumpeter (cité par Jean Pierre Olivier de Sardan, 1995
: 78) comme « toute nouvelle combinaison de moyens de production ».
Olivier de Sardan lui-même va plus loin en intégrant le
côté immatériel de l'innovation, la considérant
alors comme « toute greffe de techniques, de savoirs ou de modes
d'organisation inédits (en général sous formes
d'adaptations locales à partir d'emprunts ou d'importations) sur des
techniques, savoirs et modes d'organisation en place ». Cette approche
rend mieux compte de la réalité que nous sommes en train
d'étudier. Car l'introduction des moulins à grains dans le
département de Toma comme innovation est le résultat d'une
importation et de greffe de savoirs et de savoir-faire, d'une technologie de
mouture sur une autre technologie, locale, de mouture.
Ce qui manque toutefois à ces différentes
approches de l'innovation et que nous intégrons à notre approche
c'est le résultat ou les répercussions de l'innovation sur
l'individu ou le groupe qui innove. C'est pourquoi nous nous intéressons
à la question de l'impact des moulins. Du point de vue de la technique
et du social, l'impact des technologies est très important et
mérite qu'on s'y arrête. Du côté social et culturel
par exemple, on sait que le rôle des acteurs qui introduisent la
nouveauté, que Olivier de Sardan (1995 : 86) appelle les « porteurs
sociaux », oriente les résultats de l'innovation. Les
résultats d'un moulin introduit par une ONG ou par l'Etat ne sont pas
les mêmes que ceux des moulins introduits par les commerçants.
Ce que nous tentons de montrer progressivement dans cette
sous-partie de notre travail, c'est que les technologies appropriées
(importées ou produites localement), comme innovation, sont des facteurs
de changement comme toute technologie. Beaucoup de recherches en
développement ont démontré cet aspect de la technologie
comme facteur de changement social.
Du point de vue économique et social, les études
de V. Paskaleva, L. Beron et M. Isusov (1989 : 93) sur le progrès
technique en Bulgarie du XVIIIè siècle à nos
jours montrent combien « les transformations de la structure sociale du
village bulgare et des rapports agraires ont été liées
à la mécanisation graduelle des activités agricoles
». Pour ces auteurs, tracteurs et moissonneuse-batteuses ont joué
un rôle très important dans ce processus de changement.
25
François Caron (1989 : 6) qui s'est penché sur
les aspects économiques de l'innovation technologique montre
également que l'innovation est le « canal des investissements
productifs, moteur principal de la croissance des nations et de la hausse des
niveaux de vie ». Cet auteur met bien en relief l'innovation technologique
qui est source d'un perpétuel bouleversement des structures sociales. En
effet, « la technologie est à la fois instrument de destruction et
de libération. Car la croissance est synonyme de changement et de
mobilité » (1989 : 9).
Somme toute, les technologies de production aident à
l'accroissement quantitatif des rendements de la production, tant au niveau
macro que microéconomique et quel que soit le domaine (agriculture,
entreprise...). Le changement à ce niveau semble avoir pour synonyme
l'évolution de variables quantitatives. Mais pour être plus
complète, cette définition doit intégrer celle des
variables qualitatives que comportent tous les aspects
socio-anthropologiques.
Ginette Kurgan-Van Hentenryk (1989 : 11), pour avoir
étudié les aspects sociaux de l'innovation technologique et le
rôle de l'Etat, insiste sur le changement des conditions de travail.
D'abord la pénibilité du travail est réduite. En effet, au
regard du cas de l'industrie textile lors de sa première
mécanisation en Europe comme en Outre-Atlantique, il apparaît que
« l'innovation technologique réduit le recours à la force
physique du travailleur, à tel point que dans certaines industries, les
ouvriers masculins sont remplacés par des femmes et des enfants ».
L'auteur signale aussi que selon plusieurs autres auteurs « l'introduction
de la machine modifie profondément le rythme du travail, exerce une
forte pression sur la main-d'oeuvre, déplaçant la tension
physique vers une tension nerveuse et psychique » (1989 : 12). En Afrique
également ces changements sont si importants qu'ils
accélèrent le rythme même de la modernisation. Les
études de Guy Belloncle (1985) et d'Isabelle Droy (1990), montrent
combien les expériences d'aménagements hydro-agricoles dans
plusieurs pays (Office du Niger au Mali, la SEMRY2 au Cameroun, les
AVV et le Sourou au Burkina, etc.) témoignent de véritables
transformations socioculturelles, économiques et même politiques.
Aujourd'hui dans les régions rurales, charrettes, charrues, moulins
motorisés, foyers améliorés, bornes-fontaines,...sont
autant d'outils technologiques apportant des changements tant au niveau de la
méthode de travail que de la condition de vie des populations.
2 SEMRY : Société de modernisation de la
riziculture de Yagoua (Nord Cameroun). - AVV : Aménagement des
Vallées des Voltas.
- Sourou est le nom d'un affluent du fleuve Mouhoun au
Burkina.
26
Par ailleurs, le changement social même reste une
réalité multiforme. « L'innovation technologique provoque
des changements sociaux dont l'ampleur et le processus selon lequel ils
s'introduisent, sont variables. A première vue, le changement
paraît d'autant plus radical que la résistance à
l'innovation a été plus forte » (Kurgan-Van Hentenryk, 1989
:18). A cet aspect l'auteur ne manque pas d'ajouter que l'impact social de
l'innovation technologique diffère selon les conditions conjoncturelles.
Cela sous-entend que les objectifs recherchés dans l'introduction d'une
technologie dans une région peuvent être biaisés et
l'innovation produire d'autres effets non attendus ou même produire les
effets escomptés plus tôt que prévus ou bien encore,
à retardement. C'est pourquoi l'auteur insiste pour dire que «
l'innovation technologique ne produit pas nécessairement des changements
spectaculaires, (...) par contre, de par sa nature, une innovation
technologique peut modifier rapidement en profondeur le caractère d'une
activité » (1989 : 84).
L'analyse de Ginette Kurgan-Van Hentenryk se situe au coeur
même de notre projet d'étude sur deux plans. D'abord parce qu'il
s'agit du rapport de l'homme à la machine (et pour notre cas il s'agit
du moulin motorisé) et ensuite des changements sociaux introduits par
l'utilisation de la machine, changements qui font l'objet même de notre
étude sur le moulin afin d'appréhender comment une
société est en progrès. C'est en cela qu'une approche
historique du groupe social se montre intéressante pour en observer les
différentes phases d'évolution. Car « les mêmes
innovations peuvent donc produire des résultats très
différents dans des cadres différents, ou à des moments
différents dans la même société » (Salomon 1994
: 7). Nous insisterons sur les différents aspects des transformations
apportées par l'introduction et la présence des moulins à
grains dans le département de Toma d'une manière
générale, mais plus particulièrement chez les femmes de ce
département, en nous appuyant sur les théories du changement
social.
Sur le plan politique, et dans le cadre d'une politique
nationale de développement, les expériences telles que celles des
aménagements hydro-agricoles ou de création d'entreprises
montrent une action de proximité entreprise par les autorités
politiques d'une nation auprès des populations. En effet, nous pensons
qu'en matière de développement, les deux principaux acteurs sur
la scène nationale sont d'abord l'Etat et les populations locales.
27
Il nous faut signaler enfin un autre aspect des changements
occasionnés par l'introduction d'une technologie dans un milieu : c'est
tout le jeu de pouvoir qui se déploie autour. Au plan national comme au
plan d'une communauté villageoise, des stratégies de
conquête et de gestion du pouvoir naissent toujours autour des
technologies chez les différents acteurs qui interviennent. Le cas des
moulins à grains ne fera pas l'exception.
Sur le plan environnemental, certaines innovations
technologiques influent nécessairement sur l'environnement physique et
modifient le rapport de l'homme à la nature ou au physique. Le rapport
de l'homme à l'environnement sera vu sous un double aspect de
transformation de cet environnement et d'adaptation de l'homme à
celui-ci. Ici, se déploient toutes les stratégies d'exploitation
de l'espace grâce aux outils technologiques. Les théories et les
politiques de développement du milieu rural en Europe dans les
années 1960 (cf. les travaux de H.Mendras) et en Afrique étaient
en termes de transformation, de restructuration du milieu rural.
L'environnement tient aussi une place dans notre étude dans la mesure
où les moulins produisent du bruit que l'on peut classer comme nuisance.
De plus, la présence des moulins diminue le nombre de meules et partant,
l'activité de taille des pierres. Enfin, il nous faut signaler cet autre
rôle de la présence des moulins dans la restructuration de
l'espace villageois. En effet, la construction des abris des moulins
intégrant des fûts vient donner une certaine configuration
à l'architecture villageoise (cf. photo 7, page 74).
La conclusion de cette sous-partie sur l'innovation
technologique et la technologie nous invite à une définition
claire du changement social dans le cadre d'un processus de
développement que nous entendons à la fois quantitatif et
qualitatif. Pour cela nous retenons la définition de Guy Rocher qui met
en relief quatre caractéristiques : le caractère collectif,
structurel, temporel et la durée (i.e. la permanence). Selon Rocher
(1968 :22), le changement social est « toute transformation observable
dans le temps, qui affecte, d'une manière qui ne soit pas que provisoire
ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de
l'organisation sociale d'une collectivité donnée et modifie le
cours de son histoire ». Les technologies appropriées ne sont pas
sans produire un tel type de changement que nous cherchons à analyser
dans le département de Toma au Burkina Faso. Mais avant cette
étape, il convient de faire un tour d'horizon de la problématique
et des enjeux des technologies appropriées.
28
3. PROBLÉMATIQUE DES TECHNOLOGIES
APPROPRIÉES
Les technologies appropriées (TA)3 sont
historiquement liées à un contexte social. Dans cette partie de
notre travail, nous voulons d'abord poser la problématique des TA,
ensuite présenter leurs aspects techniques et enfin faire l'état
des aspects socio-économiques. Ce tour d'horizon nous permettra ainsi de
réactualiser le débat sur les TA, dans le contexte des moulins
à grains.
Cette problématique prend en compte le contexte de
naissance et la philosophie des TA, les nuances terminologiques et la question
du développement.
a). Contexte de naissance et philosophie des TA.
Avant d'être celle des pays du Sud, la
problématique des technologies appropriées est apparue d'abord
comme celle des pays du Nord. En Europe, le contexte socio-économique de
la technologie appropriée est celui de l'après deuxième
guerre. En Afrique et dans les pays en développement, il consiste
à rattraper les pays occidentaux et à atteindre le même
seuil de développement par un transfert massif de technologies.
L'Europe de l'après deuxième guerre avait mis le
cap sur la production industrielle pour réaliser son
développement économique. Le capitalisme aidant, elle arriva
à la production de technologies (biens d'équipement et des
services annexes ) non seulement très chères mais dont les effets
tant sociaux, économiques qu'écologiques semblaient créer
beaucoup de risques pour la société. Les socialistes et les
écologistes ne manquèrent donc pas de rappeler l'objectif premier
de la production industrielle : servir les besoins des individus et de la
société.
Dans le même temps (1955-1975), dans les pays du Sud,
particulièrement en Afrique, où l'on avait voulu réduire
l'écart de développement qui séparait les deux pôles
par un transfert de technologies, se pose le problème de l'inadaptation
de ces technologies transférées. En effet, les stratégies
de développement qui avaient insisté sur la maximalisation de la
production industrielle connaissent quelques échecs. En outre ces
stratégies de développement étaient en faveur des villes
et au détriment des campagnes. Installée dans les régions
urbaines la grosse technologie moderne avait pour conséquence l'exode
rural.
3 L'expression « Technologie Appropriée
» s'écrira désormais TA.
29
Les critiques adressées aux technologies occidentales
« classiques », le constat de l'échec des expériences
industrielles et la question du développement des zones rurales sont
donc à l'origine d'une nouvelle approche de la technologie qui entend
replacer l'homme et la société au centre des
préoccupations. L'idée sous-jacente aux TA est, selon
Odeyé-Finzi et Berot-Inard (1996 : 10), celle de « promouvoir des
systèmes de production durables, respectueux des hommes et de
l'environnement, de parvenir à une véritable maîtrise
sociale des techniques ». Selon les membres du mouvement de la technologie
appropriée, "Technap", c'est l'utilité sociale réelle qui
est la caractéristique même de la technologie appropriée
par rapport à tout autre produit dont la fabrication est guidée
par les lois de la demande et du marché. A tout cela s'ajoute
l'idéologie de l'autopromotion. Les TA doivent permettre à la
société et aux différents utilisateurs de pourvoir
à leurs propres besoins. Elles-mêmes sont appropriées parce
qu'adaptées aux systèmes de production locaux et aux types
d'organisation sociale en place.
Cependant, on constate que d'un pays à l'autre (Inde,
Europe, Etats-Unis), la problématique des technologies
appropriées est élaborée différemment. Ainsi, si en
Inde depuis le siècle dernier « la réhabilitation et le
développement des industries rurales traditionnelles sous l'impulsion de
Gandhi prirent l'aspect d'une lutte de libération vis-à-vis des
structures sociales internes du pays » (Blanc, 1981 : 112), en Europe et
aux Etats-Unis « c'est d'abord dans le cadre du développement du
Tiers Monde que se sont élaborés les concepts fondamentaux de la
technologie appropriée et que se sont organisés les premiers
grands centres de TA (VITA, TAICH, TALC par exemple), surtout dans les pays
anglo-saxons » (Blanc, 1981 :113). Comme on le voit, la
problématique des technologies appropriées est fonction des
besoins et des intérêts des pays producteurs de ces technologies.
Il y a donc lieu de s'interroger sur les enjeux d'une telle production. Nous en
ferons cas dans la sous-section sur les aspects socio-économiques des
TA. Pour l'instant, examinons les nuances terminologiques introduites sous
l'effet des critiques adressées à la technologie moderne «
classique ». Selon les auteurs, ces nuances ont tendance à se
confondre aux TA.
b). Quelques nuances terminologiques
Nous trouvons dans la littérature sur les technologies
appropriées d'autres termes dont les plus courants sont : technologies
intermédiaires, technologies douces et technologies alternatives.
30
+ Technologies intermédiaires.
Pour l'ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le
développement industriel), l'expression technologie appropriée
veut dire « adéquate aux objectifs de développement
économiques et sociaux établis par les gouvernements et non pas
technologie intermédiaire ou simplifiée » (Bizec, 1981
:147). Nous épousons cette définition dans la mesure où
aucune technologie n'est appropriée en elle-même ; à moins
que l'appropriation ne signifie pas qu'il revient à l'acquéreur
de l'outil de devenir son véritable propriétaire par une
maîtrise suffisante dans l'utilisation. L'appropriation est tout un
processus d'adoption en vue de satisfaire un besoin. Ainsi la plus ou moins
grande satisfaction du besoin permettra de savoir si oui ou non l'outil est
adapté, donc approprié.
Dans le présent travail, nous entendons par technologie
appropriée un ensemble non séparable de matériel et de
savoir-faire que l'homme met au service de la satisfaction de ses besoins.
C'est dans ce cadre que la théorie fonctionnaliste nous sera d'un grand
apport pour comprendre et expliquer certains usages faits du moulin à
grain dans le département de Toma. Nous développerons à ce
sujet la problématique du rôle social du moulin.
Selon Christine Brochet (1981 : 8), les technologies
appropriées « ne sauraient être confondues avec les
technologies intermédiaires qui ne peuvent apporter que des solutions
partielles aux problèmes industriels des pays en développement
». Pour cet auteur, les technologies intermédiaires seraient des
succédanés fort limités de technologies industrielles qui
sont, elles, capables de promouvoir un véritable développement.
Treillon (1992 : 77) établit
également une distinction entre les deux termes. Pour lui
les technologies intermédiaires
illustrent dès le départ l'idéologie du
«small is beautiful» de Schumacher. Dans cette optique l'innovation
concerne préférentiellement des machines à échelle
de production réduite, à coût de capital faible, favorisant
la création d'emplois et respectant les modes de consommation
traditionnels. Les technologies intermédiaires sont une association de
modèles d'objets européens et de modèles des pays en
développement. La démarche d'innovation consiste à prendre
en compte les systèmes techniques traditionnels propres aux
économies en développement, tandis qu'à travers les
technologies appropriées on recherche la solution technique la mieux
adaptée face à un problème à traiter.
31
Treillon (1992 : 77) montre bien que les différentes
appellations relèvent des objectifs visés par les protagonistes
des technologies. En effet, objectivement la différence reste difficile
à établir entre les types d'objets que ces protagonistes
n'indiquent pas. Il en est de même des technologies dites douces.
+ Technologies douces
Les termes de technologies douces sont également
employés pour désigner les technologies appropriées ou
intermédiaires. Bizec (1981 : 139) souligne bien cette
réalité : «"Technologie appropriée" est un terme que
l'on utilise volontiers comme substitut de mots tels que "technologie
alternative","intermédiaire", "douce", etc., autant de concepts
désormais relativement précis mais dont l'application au
développement des pays du Tiers Monde soulève des querelles de
première grandeur, tant au Sud qu'au Nord.». Ces technologies sont
douces au regard de leur coût, de leur maniabilité et de leur
moindre impact sur l'environnement. Mais en réalité, il nous faut
tenir compte du contexte historique de la naissance de ces concepts qui cachent
certaines idéologies. La plupart des termes sont liés aux
mouvements de refus du monde industriel actuel : mouvement anticapitaliste,
mouvement des écologistes, etc. Le mouvement des écologistes par
exemple prône une technologie en harmonie avec la nature. Toujours selon
Bizec (1981), Robin Clark qui fut le premier à en codifier les principes
d'action disait ceci : "L'homme doit passer avant la machine, le peuple avant
l'Etat, la pratique avant la théorie (...), la campagne avant la ville,
la matière organique avant la matière synthétique, la
plante avant l'animal (...), la qualité avant la quantité".Tels
seraient donc les caractéristiques de la technologie douce, une
technologie qui ne détruit pas l'écosystème et respecte
l'homme dans sa pureté originelle. Cette définition de la
technologie douce est purement écologique et peut-être
idéaliste dans la mesure où il est difficile de savoir quelle est
la pureté originelle de l'homme. Qu'en est-il enfin des technologies
alternatives ?
+ Technologies alternatives
L'idéologie qui est derrière le concept de
technologie alternative s'inspire de l'exemple du Mahatma Gandhi en Inde pour
insister sur le fait que l'on doit compter sur les ressources locales. Quant
aux technologies intermédiaires, l'idéologie qui prévaut,
suite aux conséquences socio-économiques négatives des
transferts de technologies dans les pays en développement, est
32
celle de la simplicité et de la petitesse. Il s'agit
désormais de mettre au point "de petits équipements, de
technologies intermédiaires entre l'outil ancestral et le produit de la
technologie du monde industriel" (Bizec 1981 : 143). Il ne fallait plus
transférer de technologies sophistiquées mais "des technologies
se situant entre les technologies de pointe et les technologies
archaïques, relevant à la limite de l'artisanat" (Brochet, 1981 :
46). Ici, les technologies alternatives seraient les mêmes que les
technologies intermédiaires.
En conclusion, on se demande quel est l'intérêt
de tous ces termes. S'il y a un intérêt particulier pour les
protagonistes des technologies qui sont un monde professionnel
d'ingénieurs cherchant à écouler leurs produits sur les
marchés des pays en voie de développement, celui des ces pays en
développement reste secondaire. Car la démarche d'innovation part
du « Centre » vers la périphérie.
Odéyé-Finzi (1996) n'aurait-elle pas raison d'intituler un de ses
ouvrages Des machines pour les autres ? Toutes ces technologies
restent liées au véritable problème que connaissent les
pays du Sud : celui du développement.
c).TA et développement
Les TA sont dès leur origine en rapport direct avec le
développement économique et social. Ce développement se
définit selon Bernard Holzer (1989: 36) comme "un processus continu de
changement par lequel un pays, un peuple donné ou une population
donnée dans un milieu naturel, culturel, social donné et un
moment historique déterminé, dans un cadre de relations
internationales, transforme ses structures de production, établit de
nouveaux rapports sociaux, se donne des institutions politiques et
administratives adéquates, réélabore sa propre culture, en
vue de parvenir à une qualité d'existence
améliorée". Autant la réalité du
développement est complexe, autant l'est sa définition. C'est
pourquoi nous retiendrons pour notre part une définition simple du terme
comme étant une recherche et une oeuvre d'amélioration des
conditions de vie. Les TA sont dans cette dynamique des moyens, comme tant
d'autres, non de parvenir au développement qui n'est jamais atteint mais
d'améliorer ces conditions d'existence. Concernant l'action sur le
terrain, le développement rural semble se ramener, comme le font
remarquer Boiral et al. (1985 : 7), à « l'ensemble des
opérations volontaristes de transformation des sociétés
rurales, opérées à l'initiative d'institutions
extérieures à celles-ci ». C'est pourquoi Olivier de Sardan
(1995 :78) peint cette image caricaturale des « développeurs »
munis de moyens techniques et opérant « une greffe de techniques,
de savoirs ou de modes d'organisation ». Les technologies
appropriées, dans le
33
processus du développement des pays du Sud, donnent
l'impression d'être des machines pour les autres. Toutefois, cette
réalité ne leur enlève pas leur utilité pour ces
pays en développement, surtout dans les zones rurales où le
pouvoir d'achat est limité. Ces technologies bien qu'apparemment
construites pour les autres, aident à l'amélioration des
conditions de vie des populations bénéficiaires. Elles apportent
des changements que n'auraient pas autrement connus ces populations ou alors
avec davantage de retard. Car leur vulgarisation jusqu'ici a été
l'oeuvre d'ONG et non des gouvernements des pays du Sud.
La problématique des TA qui s'est constituée
à travers des évolutions terminologiques est donc
fondamentalement celle du développement des pays du Sud auxquels il
faudrait des moyens adaptés à leurs conditions de vie et à
leurs systèmes de production économique. L'idéologie du
développement ne risque t-elle pas de cantonner ces pays à un
mode de production qui ne connaîtrait jamais l'espoir d'atteindre celui
des pays du Nord ? Afin de mieux comprendre cette question il nous semble
important d'analyser les aspects techniques des TA.
4. LES ASPECTS TECHNIQUES DES TECHNOLOGIES
APPROPRIÉES.
Les indices semblent clairs. Les technologies
appropriées comportent des caractéristiques communes reconnues
par leurs promoteurs : « faible coût en capital, faible coût
par poste de travail, simplicité de l'organisation requise, très
grande spécificité d'un environnement social ou culturel
particulier, faible consommation en énergie et en matières
premières non renouvelables, faible impact sur l'environnement »
(Blanc, 1981 : 116). Tout est faible avec les TA, même leur rendement
qui, ici, n'est pas spécifié. Ceci pourrait sous-entendre aussi
un faible développement et par conséquent un maintien de
l'écart entre pays du Nord et du Sud. Alors, quelle typologie dresser
des TA, et sachant cela, quels problèmes techniques drainent-elles avec
elles ?
a) Typologie
Dans l'homme et la matière Leroi-Gourhan
(1971) classe les outils selon le geste d'emploi, par exemple percussion avec
préhension ou percussion avec jet. En ce qui concerne les TA, une
typologie reste difficile à dresser car les promoteurs de la technologie
appropriée n'ont jamais indiqué clairement l'éventail
d'outils couvert par l'expression. Les caractéristiques dont a
parlé Blanc restent généralement la
référence des TA. Toutefois on sait qu'il y a des TA
34
dans le domaine de la production, de la transformation et de
la conservation des produits. De plus, chaque société n'a-t-elle
pas son classement des outils ?
b) Problèmes techniques
Les problèmes techniques posés par les TA sont
de l'ordre de la conception, de la disponibilité des pièces de
rechange et de la qualité du produit. Toutes ces conditions sont-elles
réalisables ou disponibles chez les utilisateurs de TA ? A quelles
conditions peuvent-ils se procurer des outils de qualité et performants?
Et quels produits leur fournit-on ? Voilà un ensemble de questions qui
se posent lorsqu'on aborde le sujet des problèmes techniques des TA. Ces
problèmes sont en lien direct avec les objectifs qu'elles doivent
atteindre, c'est-à-dire en définitive avec l'objectif global de
développement.
En ce qui concerne les moulins à grains, certains
problèmes techniques trouvent leur résolution dans la
réparation et la fabrication locale des pièces par les artisans.
Nombreux sont aujourd'hui au Burkina les artisans qui fabriquent des moulins
par imitation (cf. annexe 5). Toutefois il se pose le problème de la
qualité par rapport aux moulins d'origine (industriellement
fabriqués). En fait, retenons que les problèmes techniques sont
étroitement en relation avec des questions non techniques relevant de
l'organisation sociale par exemple. C'est pourquoi il nous faut prendre en
considération les aspects socio-économiques des TA.
5. LES ASPECTS SOCIO-ÉCONOMIQUES DES TA.
L'analyse que nous faisons des aspects
socio-économiques des TA prend en compte, dans un premier temps, la
question des transferts, et dans un second, les effets sur la production, les
échanges et la consommation.
a). La question des transferts
Nous avons déjà considéré la
problématique des TA comme étant d'abord celle des pays du Nord
avant d'être celle des pays du Sud. La question du transfert de
technologies nous situe au centre de ce débat. Mais plutôt que de
focaliser le débat sur le mouvement lui-même qui est à sens
unique, nous nous intéressons ici aux acteurs des deux camps et aux
mobiles du transfert.
35
Les protagonistes du transfert de TA sont en amont, du
côté occidental comme des pays en développement, des
individus (généralement des ingénieurs, des
commerçants), des institutions (les Centres de recherche technologique)
et des associations (les ONG). Les Etats complètent cette liste par leur
rôle de facilitation du transfert. En aval, nous avons les
bénéficiaires constitués des populations des pays du Sud,
et plus particulièrement de la catégorie paysanne ou rurale. La
configuration présente d'un côté des offreurs (ou
vendeurs), ceux qui ont les moyens, et de l'autre des demandeurs (ou
acheteurs), ceux qui sont démunis et «
sous-développés ». Les objectifs des TA, où se
trouvent leurs aspects socio-économiques, seront différents selon
les sous-groupes de population. Pour le sous-groupe féminin par exemple,
il s'agit, ainsi que l'indique Christine Pomerleau (986 : 36) d'«
alléger leurs travaux, améliorer leur bien-être et celui
des membres de leurs familles en termes d'hygiène, santé et
nutrition, aussi bien qu'augmenter le temps consacré par les parents aux
besoins physiques, intellectuels ou émotionnels de leur famille
entière à l'intérieur de leur communauté ».
Ceci montre que les aspects socio-économiques des TA sont liés
aux conditions de vie des bénéficiaires et aux intentions des
promoteurs.
Les mobiles ne sont pas toujours connus de façon
claire. Michèle Odéyé-Finzi 1996 : 11) qui s'est
intéressée à la question écrit : « Ces
machines pour les autres restent un moyen privilégié de
concrétiser son souhait d'être solidaire des populations du Sud.
(...) Derrière ce souhait général d'être solidaire
des plus démunis, les motivations des promoteurs de technologies
appropriées restent du domaine du non-dit. Tant dans les motivations
classiquement non dites que dans l'idéologie portée par les TA,
il y a cette idée de relier les hommes par l'intermédiaire de la
technique ». Ainsi donc, les aspects socio-économiques des TA vont
plus loin que ce qui apparaît. Et les populations
bénéficiaires n'en perçoivent qu'un aspect : l'aide. Seuls
les promoteurs de TA , au regard de leurs situations personnelles, peuvent
déclarer les vraies intentions qui les animent.
Une réalité est certaine, c'est que les TA ont
des effets intéressants sur chacun des groupes cibles en ce qui concerne
la production, les échanges et la consommation.
36
b). Les effets sur la production, les échanges et la
consommation.
Introduites et adoptées dans un milieu où la
nécessité se fait sentir, les technologies appropriées ont
un apport positif. Mireille Lecarme (1992 : 303), parlant de la
commercialisation du poisson chez les Lebu à Dakar, signale par exemple
l'apport bénéfique de l'adoption d'outils modernes : «
L'adoption des techniques nouvelles, senne tournante (grand filet coulissant)
et pirogues à moteur, a augmenté la productivité dans les
années 60-70. (...) Quant au mareyage à distance, il est devenu
possible grâce à des camionnettes ». Cette augmentation de la
productivité ne peut rester sans effet sur la consommation et vice-versa
; en outre, l'augmentation de la consommation agira sur le flux des
échanges commerciaux. Il se crée ainsi, grâce à la
technologie appropriée, un cercle vertueux où toute la vie
sociale trouve un dynamisme.
Les effets des TA sur la production, la consommation et les
échanges s'étendent plus loin qu'on ne l'imagine souvent. Car
l'effet système s'étend toujours d'une petite échelle
à une grande : du village, par exemple, à l'échelle
internationale. En effet, « Un système de procédés
intégrés de production, de conditionnement et de transformation
des produits alimentaires agira nécessairement sur l'augmentation des
exportations du pays » (Moïse Nzemen, 1986 : 47). Le commerce de
poisson fumé ou séché entre le Burkina et le Mali en est
un exemple. Au total, les aspects socio-économiques des TA ne doivent
pas être perdus de vue, autant dans la recherche que dans l'action de
développement.
A ce stade, notre approche des technologies appropriées
nous aura permis de les appréhender comme un ensemble de moyens
techniques et de savoir-faire, aptes à la satisfaction des besoins
fondamentaux des populations en quête d'amélioration quantitative
et qualitative de leurs conditions de vie. Nous précisons bien que,
selon la définition que nous entendons donner au terme, les technologies
appropriées posent, en même temps que le problème de leur
adaptation aux conditions socio-économiques des pays en
développement, celui de l'appropriation des techniques par les
populations de ces pays.
Conclusion partielle
Ce premier chapitre sur l'approche théorique de la
technologie et des technologies appropriées nous a permis de faire le
tour de la notion de technologie et de poser la
37
problématique des technologies appropriées dans
le cadre du développement, c'est-à-dire, de l'amélioration
des conditions de vie des populations des pays du Sud. Ce travail est un
préalable nécessaire dans la mesure où le sujet a
été étudié par d'autres plus
expérimentés que nous. Dans le présent mémoire,
nous traitons des technologies appropriées. Nous entendons par-là
une association judicieuse des moyens techniques et savoir-faire locaux avec
d'autres moyens techniques et savoir-faire importés afin de
répondre, dans un milieu social donné, aux besoins fondamentaux
des populations en matière d'amélioration de leurs conditions de
vie. Comme nous l'avons développé plus haut, c'est le rapport
dynamique entre société et technologie qui permet d'atteindre un
tel objectif. Dans les pays du Sahel, le moulin à céréales
est, dans son aspect matériel comme dans ses modes d'usage, une
technologie appropriée conformément à la définition
ci-dessus donnée. Par ailleurs, faisant un choix de terminologie, nous
préférons parler de technologies locales plutôt que de
technologies traditionnelles. L'expression de technologie appropriée,
selon la problématique qui sous-tend l'étude du moulin, fait
appel à un processus dynamique. Il s'agit d'un processus d'innovation
continu dans le temps, constitué de renouvellement et d'adaptation afin
d'optimiser la satisfaction des besoins existentiels de groupes sociaux en
situation hic et nunc. C'est pourquoi il est d'une importance capitale
que soit pris en considération le rapport technologie et
société.
Au regard de ce rapport, notre problématique dans cette
étude sur le moulin en zone rurale est avant tout celle de l'innovation
technologique dans un contexte naturellement contraignant où la
nécessité de moyens de production et de transformation s'impose.
Le problème de fond ici est donc celui de l'évolution
technologique des sociétés en phase continuelle de modernisation.
C'est pourquoi les dynamiques sociales à la base de l'introduction des
moulins dans le département de Toma sont celles du changement. Mais le
changement ne vient pas du coup et n'affecte pas toutes les couches sociales de
la même façon. Le cas des femmes du département de Toma
nous permettra de vérifier l'hypothèse que le moulin leur apporte
une certaine libération par rapport aux activités
ménagères tout en créant de nouvelles contraintes.
CHAPITRE 2 : PRÉSENTATION DU SITE D'ÉTUDE
: LE
DÉPARTEMENT DE TOMA.
En introduction à cette partie, nous présentons
succinctement le contexte du Burkina Faso dans lequel se trouve le
département de Toma. Connu comme un pays à forte population
rurale (+ 90% de la population), le Burkina Faso (274 200 km2) se
trouve enclavé au coeur du Sahel entre le Mali (au nord et à
l'ouest), la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin (au
sud), et enfin le Niger (à l'est). Cet enclavement du pays a une
influence sur son économie et sa place dans le système monde. En
effet, l'une des caractéristiques essentielles du Burkina, souvent mise
en relief, est sa pauvreté en ressources naturelles qui le classe parmi
les pays « les plus pauvres » du monde. Le rapport de 1999 de la
Banque Mondiale (1999 : 212) sur le développement signale un produit
national brut (PNB) par habitant de 240 dollars4. Quant aux voies de
communication, le Burkina possède 560 km de chemin de fer, 13 070 km de
routes et de pistes dont près de 1500 bitumées (Jeune Afrique,
1993 : 69).Ces données montrent combien ce pays connaît
d'énormes problèmes de transport terrestre.
Par ailleurs, à cause des conditions climatiques rudes
(8 à 9 mois de saison sèche et 3 à 4 mois de pluies
aléatoires variant entre 400 et 1000 mm par an), ce pays
semi-désertique est souvent exposé à une perturbation du
cycle agricole. Le climat sahélien du Burkina induit donc la culture
d'un certain type de céréales (mil, maïs, sorgho, riz,
fonio, haricot...), alimentation de base de la population.
38
4 Ce chiffre est celui de 1997.
39
Carte 1 : Localisation de la province du Nayala au
Burkina Faso.
40
Carte 2 : Localisation du département de
Toma.
41
1. LE MILIEU NATUREL.
Le Département de Toma s'étend sur 600
km2 environ 5 dans la province du Nayala, elle-même
située au nord-ouest du Burkina Faso. Il est presque encerclé par
les départements de Yaba, Kougny, Yé et Gossina. Le
département de Toma fait, avec ceux de Yaba et Gossina, frontière
avec la province du Sanguié en pays Gourounsi.
A) Relief
Le relief du département de Toma, comme d'ailleurs
celui de toute la province du Nayala, se caractérise par sa monotonie
qui lui donne un visage plat. Quelques petites collines et rivières
rompent cette monotonie çà et là. Mais il faut vraiment en
être près pour s'en rendre compte.
B) Climat
Le climat correspond à celui du Burkina, un climat de
pays de Sahel caractérisé en saison sèche froide
(d'octobre à février) par un vent poussiéreux,
l'harmattan, et en saison sèche chaude (de mars à juin) par un
vent sec et brûlant. Les variations de températures vont de
15°C en janvier à 45°C en avril-mai pour connaître un
adoucissement autour de 35°C pendant l'hivernage (de fin juin à
septembre).
Quant à la pluviométrie, il faut dire que
l'ensemble de la province du Nayala est une zone à précipitations
moyennes variant entre 600 et 800 mm d'eau. Ces précipitations sont
réparties sur une période de 40 à 50 jours. Le tableau
suivant donne une idée de l'évolution de la pluviométrie
du département de Toma sur quatre ans.
5 Sur le département, nous tenons la plupart
des données statistiques du Haut Commissariat, de la Préfecture
et surtout d'une monographie faite par Amadou Kaba et Roland Modeste Toé
sur la province du Nayala en décembre 1998 sous la direction du
Ministère de l'économie et des finances.
42
Tableau 1: Répartition des précipitations
dans le département de Toma sur 4 ans.
Périodes
|
Mm d'eau
|
Nombre de jours
|
1993-1994
|
483
|
43
|
1994-1995
|
913,3
|
54
|
1995-1996
|
743,7
|
51
|
1996-1997
|
723,7
|
43
|
Source : CRPA-BMHN Dédougou.
Courbe 1: Courbe d'évolution de la
pluviométrie.
1993-1994 1994-1995 1995-1996 1996-1997
Hauteurs
1000
400
800
600
200
0
Périodes
Source : CRPA-BMHN Dédougou.
Suite à ce tableau, il faudrait signaler non seulement
le nombre réduit de jours de pluies, mais aussi le caractère
aléatoire du régime pluviométrique. Tout ceci n'est que
l'effet d'un climat régulièrement changeant avec des
années de « vaches maigres » et des années de «
vaches grasses ». On comprend alors la difficulté des paysans
même dotés de technologies modernes. Il est des années
où les paysans font les semailles quatre fois ; certaines cultures sont
abandonnées et les paysans sont à la recherche de
variétés hâtives de mil et de sorgho. Une dernière
conséquence de ce climat soudano-sahélien est l'obligation pour
les paysans de construire des réserves que sont les greniers (cf. photo
n°1).
43
Photo 1 : Greniers en pays san.
Photo Jn. P. Ki. Zouma, le 7/1/2000
c). Végétation, sols, hydrographie.
La végétation dans cette partie nord-ouest du
Burkina est clairsemée. Nous avons affaire à une savane arbustive
composée d'arbres comme le karité, le néré, le
tamarinier, le baobab, l'acacia, etc. La végétation constitue
également une savane herbacée. Il n'y a pas de forêt, mais
quelques bosquets près des villages. Les arbres sont clairsemés.
En outre, malgré les luttes contre la désertification,
près de 50% des superficies sont brûlées chaque
année par les feux de brousse.
Les sols sont composés des types suivants :
- Les sols argileux qui comprennent les sols bruns argileux et
les sols argileux sableux favorables à la culture des
céréales et du coton.
- Les sols gravillonnaires, presque incultes.
- Les sols ferrugineux favorables aussi à la culture
des céréales, du coton et de l'arachide.
En ce qui concerne l'hydrographie, les deux principaux cours
d'eau que sont les rivières de Koin et de Zouma (le Nayala6
dont le nom a été donné à la Province) traversent
le
6 Nayala signifie « la rivière mère
» en référence à son importance dans la
région.
44
département de Toma. Un barrage à Toma,
réalisé en 1996 (376 m de long sur 3 m de haut), et quelques
retenues d'eau existent dans l'un ou l'autre village.
En somme, sols ingrats, végétation
clairsemée, climat rude et pluies insuffisantes et aléatoires
sont les éléments d'ensemble de la condition de vie des
sahéliens en général et plus particulièrement de la
population du département de Toma. Dans un tel contexte, où la
nature impose des contraintes aux populations, l'usage de technologies
appropriées devient une nécessité ; surtout dans le
domaine agricole - aussi bien au niveau de la production que de la
transformation des produits - comme renfort aux capacités physiques des
humains.
2. LES ASPECTS SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES ET
ÉCONOMIQUES.
a). Population
Le Département de Toma compte 17 villages. Il totalise,
selon les résultats du Recensement Général de la
Population et de l'Habitat de 1996, une population résidente de 22 946
habitants, dont 11 460 hommes et 11 486 femmes, soit une densité de 38
hts/km2. Le recensement administratif de 1998 donne également
des chiffres du même ordre : une population totale de 22 613 habitants
dont 11 333 hommes et 11 280 femmes.
Nous donnons ici une idée de la répartition de
la population des villages où nous avons mené nos enquêtes,
pour l'ensemble des villages du département, on se
référera à l'annexe n°2.2.
Tableau 2: Répartition de la population des
villages de notre enquête.
Villages
|
Tranches d'âges
|
Total
|
|
0 - 3 ans
|
4 -15 ans
|
16 - et +
|
|
1. KOIN
|
326
|
1 074
|
1 412
|
2 812
|
2. NIEME
|
60
|
195
|
300
|
555
|
3. SAWA
|
76
|
262
|
372
|
710
|
4. SIEN
|
78
|
246
|
331
|
655
|
5. TOMA
|
866
|
3 247
|
4 879
|
8 992
|
6. ZOUMA
|
283
|
982
|
1 160
|
2 425
|
|
Total
|
1689
|
6 006
|
8 454
|
16 149
|
Source : Recensement administratif 1998.
45
Dans le département de Toma, comme d'ailleurs dans
toute la province du Nayala, le groupe ethnique majoritaire et autochtone est
constitué des Sanan (couramment appelés
Samo)7 dont la langue parlée est le San.
L'histoire révèle que les Sanan sont un groupe
mandé descendu du Mali avec qui le pays san fait d'ailleurs
frontière. Ce groupe d'agriculteurs se subdivise en trois principaux
sous-groupes à variances linguistiques : le premier groupe, celui de la
région de Kiembara se signale par l'expression "maya" en début
d'expression verbale. Le second groupe est celui de Tougan usant du terme
"makya". Ces deux groupent forment, de par leur position géographique
les Sanan du Nord, tandis que le troisième, celui de la région de
Toma constitue les Sanan du Sud qui se signalent par l'usage du terme "maka" en
début de phrases. Notre étude sur le moulin à grains se
situe dans cette région sud du pays san. (Cf. carte n°3
ci-dessous).
7 Le mot san
désigne le groupe social et la langue. Les membres de ce
groupe se désignent au singulier par san (ex. "Je suis un
san") et au pluriel par sanan (ex. "Nous sommes des
sanan"), contrairement à l'usage courant en français qui
les nomme "samo". Ce terme de samo est, il nous semble, une transcription du
terme samogo ou samogho (en dioula "gens de san") par lequel
les Mossi et les Dioula appellent les Sanan.
Carte 3 : Carte du pays san
46
Source : Héritier F. (1981 : 83).
47
b). Organisation socio-politique.
Les sociétés dont l'organisation socio-politique
diffère de celles dotées d'un gouvernement central sont
généralement considérées comme des
sociétés anarchiques ou sociétés
acéphales8. Mais, en réalité, il s'agit de
sociétés segmentaires à hiérarchie diffuse,
c'est-à-dire sans regroupement général autour d'un roi,
sans gouvernement central. Certaines de ces sociétés sont
à base villageoise comme les Sanan et les Bwa du Burkina et d'autres
à base lignagère comme les Lobi (Burkina) et les Nuer du
sud-Soudan à propos desquels Evans-Pritchard (éd 1994 : 22)
écrit :"En vérité, les Nuer n'ont point de gouvernement et
l'on pourrait caractériser leur Etat comme une anarchie
ordonnée". On peut aussi faire un rapprochement identique avec les Sanan
au sujet de qui Maurice Ky ( cité par Kaba A. et Toé R. M., 1998
: 37), écrit : "Les Samogho constituent une population agraire,
indépendante, belliqueuse et autosuffisante. Ils n'ont jamais
réussi à s'unir même devant un ennemi commun. A quelque
niveau que l'on observe cette société, il apparaît qu'elle
fait montre dans ses moindres comportements d'une méfiance instinctive
voire d'une allergie à toute hiérarchie autoritaire, à
tout système à caractère contraignant et unitaire,
à tout pouvoir qui ne peut être contrôlé à
tout instant et remis en cause. Ainsi donc tout l'édifice politique
repose-t-il sur l'autorité des villages. En effet, les Samogho vivent
dans des villages dont les familles se regroupent en quartiers plus ou moins
proches les uns des autres".
L'organisation sociale des Sanan révèle
cinq principaux groupes horizontaux de parenté dans chaque village san..
Chaque groupe, formant un quartier, est repérable à son patronyme
: Ki, Toé, Sô, Go, Parè. Chaque groupe exerce une fonction
sociale reconnue par les autres : les chefs de village (Ki), les chefs
de terre (Toé), les griots (Sô), les forgerons
(Go) et les juges (Parè). La place de la femme dans la
société san reste encore, comme dans la plupart des
sociétés villageoises africaines, celle de mère au foyer,
abandonnant la vie politique à l'homme.
Il est important de préciser ici que c'est le
sous-groupe des forgerons qui a la maîtrise de la fabrication des outils
de production agricole et de cuisson des aliments. Tandis que les
8 A propos des expressions « anarchique »
et « acéphale », Cf. Fortes (M.) , Evans Pritchard (E.E.),
1964, Systèmes politiques africains, Paris, éd. PUF,
1ère éd. en anglais 1940, 302 p. ;Clastres
(P.), 1974, La société contre l'Etat, Paris, éd.
Minuit, 188 p. ; Collectif, 1982, Nature et formes de pouvoir dans les
sociétés dites acéphales. Exemples camerounais,
Paris, ORSTOM, 172 p. ; Gresle (F.) et al., 1990, Dictionnaire des
sciences humaines. Sociologie, psychologie sociale, anthropologie, Paris,
Nathan, 384 p.
48
hommes s'attèlent à la forge, leurs femmes
maîtrisant l'art de la poterie fabriquent jarres, canaris, tasses et
pots.
c). Organisation économique.
D'un point de vue économique, l'activité du
département est essentiellement agricole. Les paysans font de la culture
céréalière. Ainsi, tandis que la production agricole
concerne le sorgho, le mil, l'arachide, le sésame, le
niébé (haricot), le coton, le piment et la culture
maraîchère, la production animale se compose de mouton,
chèvre, porc, boeuf et volaille. Il s'agit d'un type d'élevage
traditionnel servant plutôt au prestige social de l'éleveur que
d'une véritable exploitation économique.
Le système d'exploitation des terres est individuel.
Les descendants d'un même ancêtre héritent de la
propriété léguée par celui-ci. Ainsi, les membres
d'un même lignage exploitent à volonté leurs domaines
fonciers. Cependant les femmes, du fait de l'exogamie, ne peuvent avoir une
propriété foncière. Quant aux épouses, elles
exploitent, de façon générale pour les besoins de la
cuisine, les parcelles que leurs maris leur indiquent. Bien souvent ces
parcelles se trouvent aux alentours des concessions. Là, elles font des
jardins potagers et y cultivent du piment, légumes divers, parfois du
maïs. De nos jours le piment est beaucoup prisé par les femmes
parce qu'il s'achète bien et offre ainsi des possibilités d'une
indépendance économique. Selon nos enquêtes, plus de 80%
des femmes interrogées comptent sur les revenus du piment pour moudre
leurs grains au moulin..
La production agricole qui est familiale se fait sous
l'autorité du chef de famille. De tout temps les femmes en pays san
travaillent au champ avec leurs maris, et cela selon un rythme alternatif de
deux jours à cause de la préparation des repas. La ration
alimentaire (le mil) est donnée tous les deux jours à la femme
qui se débrouille pour trouver les condiments.
Jusqu'à aujourd'hui les instruments de production
agricole sont la pioche (sukun), la hache (sèmien), la
petite pioche pour les semailles (bambaran) et la houe appelée
couramment « daba » (kan). La caractéristique commune
de tous ces instruments aratoires est de faire adopter à l'homme au
travail une stature courbée. Les Sanan ne disposent pas d'instrument de
production agricole permettant de travailler debout ni même à
moitié courbé. Ceci pourrait avoir un effet quelconque sur la
colonne vertébrale. La production mécanisée est
inexistante dans
49
toute la province du Nayala à cause de la nature des
sols et de la pluviométrie qui ne permettent pas l'utilisation de
machines tels que les tracteurs couramment utilisés dans la
région de Solenzo et de Bobo-Dioulasso. Toutefois, à
défaut de mécanisation, la production agricole dans la
région bénéficie de l'apport de la culture attelée
avec le concours de l'ADRTOM (Association pour le Développement de la
Région de Toma) qui est une structure héritière du
"PROJET-TOMA" initié en 1968 par l'évêché du
diocèse de Nouna-Dédougou (dont Toma est la première
paroisse créée) pour introduire la culture attelée dans la
région.
Pendant la saison sèche, quelques paysans pratiquent le
maraîchage et les femmes s'attèlent au petit commerce et surtout
à la préparation de la bière de mil appelée
yo dans la langue san et couramment connue au Burkina sous le nom de
dolo.
D'une manière générale dans le pays san,
ce sont les activités agricoles qui rythment la vie économique
des habitants. Cette réalité est bien une des
caractéristiques de la zone rurale. A. Kaba et R.M. Toé (1998 :
44) ont essayé de dresser le calendrier agricole suivant pour l'ensemble
de la province du Nayala :
Tableau 3: Calendrier des travaux
champêtres.
- Avril-mai
|
Préparation des champs (nettoyage, labour, etc.).
|
- Juin au 15 juillet
|
Semis des céréales (sorgho, mil, maïs, riz)
ainsi que du coton et de l'arachide.
|
- Août
|
Semis du voandzou (pois de terre).
|
- Juin à septembre
|
Opérations d'entretien (sarclage, binage, resemis,
traitements des cultures, buttage).
|
- Septembre à octobre
|
Labour de fin hivernage, récolte des cultures
(maïs, arachide, mil sorgho, niébé, etc.).
|
- Novembre
|
Récoltes et transport des résidus de
récoltes pour animaux.
|
-Novembre à décembre
|
Préparation et mise en place des cultures
maraîchères, début de la commercialisation.
|
-Janvier à mars
|
Commercialisation des cultures maraîchères,
récolte du riz pluvial, fabrication de fumier, dressage des animaux de
trait, coupe des tiges de cotonniers, formation professionnelle des agents et
producteurs, bilan de la campagne agricole écoulée.
|
Source : Kaba A. et Toé R. M.(1998 : 44)
Le commerce semble avoir pris une place secondaire chez les
Sanan : il n'est pas très développé à cause de
certaines valeurs culturelles et obligations sociales. Dans plusieurs
50
villages, il existe des « marchés fictifs »
dont les jours sont pourtant bien connus de tous et qui servent de
référence aux jours de la semaine ; mais en réalité
dans ces villages il n'y a pas de place publique pour les échanges. Ces
marchés fictifs consistent surtout en des marchés de dolo
où la vente se fait à domicile. Cependant dans les gros
villages du département de Toma tels que Toma, Koin et Zouma, des places
publiques existent servant de marchés. Dans certains villages tel que
Sien, malgré la réhabilitation de l'ancienne place du
marché par les habitants eux-mêmes, ceux-ci n'y vont pas pour
échanger. Vendeurs et vendeuses font plutôt du porte à
porte. Les femmes font presque toutes de la préparation du dolo
leur principale activité commerciale. Quelques-unes cependant
ajoutent à la vente du dolo celle de légumes. Rares sont
les femmes qui possèdent une boutique. Leur éternel refrain c'est
qu'"il n'y a pas de marché" (au sens de secteur commercial portant)
"Pii bãbã min ta koe wa". En fait, la vente de la
bière de mil correspond plus à une activité sociale que
commerciale.
La situation économique des femmes du
département est précaire. En effet, les femmes sanan restent
dépendantes de leurs maris qui possèdent et contrôlent les
moyens de production. Et pourtant, elles jouent un rôle très
important dans le domaine de la production agricole9 et la gestion
des ménages. Leur emploi de temps, ainsi que l'indique le tableau qui
suit, leur donne très peu de repos.
Tableau 4: Activités de l'emploi de temps des
femmes sanan.
Tâches régulières
|
Supplément en hivernage
|
- Ménage (balayage, vaisselle...)
|
- Travaux champêtres
|
- Lavage de vêtements
|
- Jardinage (piments,
|
- Travaux de cuisine : pilage, décorticage, mouture du
mil
|
légumes)
|
collecte d'eau, de bois, cuisine ...
|
- Collecte de noix de karité.
|
- Soins des enfants.
|
|
- Filage du coton
|
|
- Petit commerce (préparation et vente de bière de
mil, etc.).
|
|
- Jardinage.
|
|
- Réunions de groupement.
|
|
- Voyages, fêtes et deuils.
|
|
Source : notre enquête.
Enfin pour terminer avec l'organisation économique, il
est bon de signaler l'absence d'industrie dans toute la province du Nayala.
Dans leur monographie, A. Kaba et R. M. Toé
9 Les femmes Sanan travaillent au champ avec leurs
maris et rentrent le soir pour s'occuper des tâches domestiques.
51
(1998 : 57) mettent cela en exergue : "L'industrie est presque
inexistante. Cependant il faut noter la présence de nombreux moulins
installés par les différents organismes de développement
intervenant au Nayala". En effet entre 1989 et 1994, l'ADRTOM a installé
20 moulins dans 20 villages de sa zone d'action, accordés à
crédit aux groupements villageois féminins (GVF). On compte dans
l'ensemble de la province du Nayala environ 221 moulins à grains
répartis comme suit par département :
Tableau 5: Nombre de moulins du Nayala par
département.
Départements
|
Nombre de moulins
|
1. Toma
|
57
|
2. Yé
|
48
|
|
3.Yaba
|
45
|
4. Gassan
|
27
|
5. Gossina
|
27
|
6. Kougny
|
17
|
|
Total
|
221
|
Source: Perception de Toma
Comme on le constate, le département de Toma vient en
tête de liste avec un nombre important de moulins.
d). Système de parenté chez les Sanan.
Lévi-Strauss, dans ses études sur la
parenté, avait identifié des systèmes
élémentaires et des systèmes complexes de parenté
désignant le sens de l'alliance ou la classe où prendre son
conjoint. F.Héritier (1981 : 74) a pu identifier des systèmes
semi-complexes de parenté parmi lesquels elle classe le système
de parenté des Sanan qu'elle a étudié. Ces systèmes
semi-complexes sont des "systèmes de parenté (filiation et
alliance) qui signalent, au moyen de prohibitions explicites, les groupes
sociaux définis par rapport à Ego ou les classes de consanguins
par rapport au même Ego ou à un parent tiers, à
l'intérieur desquels il n'est pas possible de choisir son conjoint
(...). Sachant qui ne pas épouser, tout individu est libre
d'épouser qui il veut ailleurs". Contrairement à certaines
sociétés où les interdits matrimoniaux se limitent
à un certain nombre de degrés en ligne directe ou en ligne
collatérale, chez les Sanan
52
ces interdits demeurent (du côté paternel comme
du côté maternel) sur plusieurs générations
jusqu'à oubli complet de l'origine commune. Cette rigueur de l'exigence
connaît, de nos jours, beaucoup de difficultés à cause de
la mobilité des gens.
Le système san de parenté est un
système segmentaire à lignages. Et comme Héritier (1994 :
160) le fait remarquer, il n'existe pas de clan au sens d' « association
qui dépasserait le cadre villageois en unissant des lignages qui
auraient même origine et même nom ». Cependant, une branche de
lignage peut décider d'aller s'établir ailleurs. De
manière générale, chez les Sanan tous ceux qui
appartiennent au même lignage se regroupent et forment ainsi un quartier.
On trouvera par exemple à Parpa (de Parè piè : le
domicile des Parè) tous ceux qui ont Paré pour patronyme et ainsi
de suite pour les Ki (Ki n piè), les Sô
(Sôpiè), Toé (Tonen piè), etc.
Signalons enfin que la filiation est patrilinéaire ;
les enfants n'appartiennent jamais au lignage maternel. En outre, la
résidence pour les femmes est virilocale. C'est ce qui explique que la
femme n'a pas droit à l'héritage paternel.
Dans la perspective de notre problématique, une telle
présentation permet au lecteur d'avoir non seulement une idée de
la société dont nous parlons (son organisation, ses modes de
production et ses réseaux de relations) mais encore de comprendre la
situation des femmes, échantillon majeur dans notre recherche.
3. RÉALISATIONS EN MATIERE DE
DÉVELOPPEMENT.
La région de Toma est une zone totalement rurale
malgré le découpage administratif qui fait de Toma le chef-lieu
d'une province (le Nayala) ; ainsi Toma fait figure de ville. Mais
jusqu'à présent Toma n'a ni eau courante, ni
électricité et manque de voie routière praticable.
Quelques forages existent dans les villages tandis que des plaques solaires
sont observables çà et là dans la ville chez quelques
particuliers et dans l'un ou l'autre service administratif. L'éclairage
est essentiellement assuré par des lampes à pétrole dans
l'ensemble des villages.
Quelques structures de développement existent et
interviennent auprès des couches sociales. On peut citer l'A.D.R.TOM
(Association pour le Développement de la Région de Toma), le
C.R.P.A (Centre Régional de Promotion Agropastoral), l'association
PEM-LON (« Dites les femmes »), et l'UGPN (Union des Groupements
Producteurs du Nayala).
53
Quant aux infrastructures scolaires, le département de
Toma possède 16 écoles primaires (en 1999) dont 7 dans la commune
de Toma même, un lycée provincial et un Centre d'Animation et de
Formation tenu par les Frères du Sacré-Coeur.
En matière de santé, il existe à Toma un
hôpital éclairé par plaques solaires et dont le bloc
opératoire est encore en construction. Dans chaque village, des femmes
formées à la fonction d'"accoucheuses villageoises" rendent
service aux autres femmes. Par contre, quelques-uns des villages seulement sont
dotés d'un P.S.P. (Poste de Santé Primaire).
Conclusion partielle.
Tel se présente le site de notre étude : un
milieu essentiellement rural. Les conditions climatiques défavorables
influent sur la végétation et la pluviométrie, rendant
ainsi le milieu naturel rude pour la population dont l'activité est
totalement agricole. En effet, les habitants du département de Toma
luttent pour produire, conserver et transformer les produits de leurs champs
avec des moyens technologiques assez rudimentaires. L'apport de certaines
technologies appropriées (charrettes, culture attelée,
moulins...) et d'infrastructures de développement reste un appui
important pour les populations.
La problématique sous-jacente à ce chapitre est
celle du rapport entre milieu et technique ou entre milieu et innovation
technologique. Toute innovation technologique est fonction du milieu
géographique comme du milieu social. Et tout apport de technologies
nouvelles dans un milieu vise à opérer un changement
significatif. Dans la mesure où notre étude s'inscrit dans cette
ligne, il importe d'abord de tenir compte de ce milieu pour mieux
évaluer les incidences de l'innovation en matière de moulins
à grains. Comme le fait remarquer Guy Rocher (1968 : 57), « On ne
peut apprécier l'influence réelle de la technologie sans tenir
compte du contexte culturel où elle se trouve...elle (la technologie)
relève en même temps du monde des choses et de l'univers de la
pensée, des attitudes et des valeurs ».
La présentation de la société san, dans
le contexte de l'étude des technologies appropriées, a son
intérêt dans la dynamique du rapport technologie et
société. Les technologies importées trouvent en place une
structuration sociale sur laquelle elles auront un impact :
54
l'organisation économique et politique, les rapports de
parenté, les rapports de genre en lien avec la division sexuelle du
travail, les places et les rôles sociaux en seront affectés. La
technologie nouvelle ne sera appropriée que lorsqu'elle aura pris place
au coeur de cette structuration sociale.
Le prochain chapitre nous présente les
différentes techniques et technologies de mouture des
céréales du département de Toma.
55
CHAPITRE 3 : TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES DE
MOUTURE
DES CEREALES
Le présent chapitre analyse le passage d'une
technologie à une autre dans le département de Toma. Il s'agit de
la technique de mouture traditionnelle à la meule dormante, puis de
celle avec le moulin motorisé. Nous accordons une importance
particulière à cette évolution, car elle nous permet de
comprendre, à travers une analyse dynamique, les changements intervenus.
Cette présentation s'articule autour de quatre points : Les techniques
et technologies anciennes, les moulins comme technologies nouvelles, le
système de mouture et les représentations sociales autour du
moulin.
1. LES TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES ANCIENNES DE
MOUTURE.
La mouture des céréales en pays san, comme chez
beaucoup de peuples dans le monde, s'est faite bien longtemps avant
l'arrivée du moulin grâce à des outils technologiques
tirés de l'environnement immédiat et du génie
créateur du peuple san. Chez les Sanan on trouve la meule en pierre
accompagnée d'autres instruments ménagers destinés aux
transformations alimentaires tels que le pilon, le mortier et le tamis. Ces
instruments sont surtout maniés par les femmes à qui revient
l'art de la préparation alimentaire. L'intérêt de ce
chapitre par rapport à notre problématique, c'est de nous
permettre de mieux évaluer l'impact du moulin dans la condition de vie
des femmes du département de Toma. Nous pensons en effet que c'est en
partant des technologies existantes que nous pouvons mieux évaluer
l'apport de celles qui sont importées.
a). Les origines de la technique de mouture des grains chez
les Sanan.
L'usage de la pierre par l'homme remonte à
l'antiquité. Première trouvaille technologique de l'homme, la
pierre, surtout le silex et le granite, s'est montrée depuis lors
efficace. "Il semble, dit l'historien et archéologue Posnansky (1987 :
507), que les minerais extraits étaient broyés au moyen de pilons
de pierre". Il serait très difficile de dresser un listing des
différents usages de la pierre. Mais pour le sujet qui nous concerne, il
reste clair toujours selon le même archéologue
56
que "la pierre était presque certainement extraite
à des fins variées, la plus importante étant la
fabrication d'outils de pierre polie et de meules. De nombreuses
sociétés utilisaient des meules dormantes et portaient leurs
graines jusqu'à un affleurement rocheux où elles pouvaient
à la fois faire sécher leurs provisions et moudre des graines ou
broyer des aliments végétaux". La pierre est donc très
importante dans l'histoire alimentaire des hommes.
A la suite des historiens de la technologie qui ont
tenté de trouver les origines de la technologie dans les mythes des
divinités grecques, nous nous sommes intéressé aux mythes
sur la mouture des grains chez les Sanan. Deux récits existent.
+ Premier récit.
Le récit suivant nous a été livré
par une femme de Koin.
"Un jour, un chasseur alla trouver un génie en
train de moudre du grain sur du granite. Il resta à l'observer. A son
retour au village, il en parla à son père. Celui-ci lui dit de
prendre prochainement son courage à deux mains pour mieux l'observer. Le
lendemain, le chasseur s'enquit de la mouture et de ses raisons auprès
du génie. Le génie lui posa alors cette question : "Vous les
Sanan, vous ne connaissez pas cela ? Et il lui expliqua : "Quand on pile le
mil, on l'écrase pour pouvoir le préparer en pâte". De
retour à la maison, le chasseur raconta à son père tout ce
qu'il avait vu et ce que le génie lui avait dit. Ils
décidèrent alors d'en faire pareillement. Depuis ce temps, les
Sanan savent moudre et préparer la pâte de
mil."10
+ Deuxième récit.
Ce récit nous a été fourni par un homme
de Toma. Il commence ainsi :
"Autrefois les Sanan ne connaissaient pas le wu
(pâte à base de farine de mil) et mangeaient le mil bouilli. Un
jour, une femme partit en brousse pour chercher des légumes. Elle eut
soif. Elle entra chez des génies et en trouva un. Elle lui demanda de
l'eau à boire. Le génie lui dit de s'asseoir. Elle s'assit. Entre
temps arrivèrent de leur promenade les enfants du génie qui
trouvèrent la femme. Ceux-ci demandèrent à leur
mère de leur donner à manger. Elle leur dit de patienter le temps
d'écraser des grains de mil. Alors elle prit les grains, les
déposa entre deux pierres et les écrasa. Elle ramassa la farine
obtenue, fit du feu et versa la farine dans la marmite quand l'eau bouillit.
Elle malaxa ensuite la farine avec une spatule pour obtenir une
10 Récit recueilli le 3/01/00 à Koin.
57
pâte. Lorsque la pâte atteignit un
degré suffisant de cuisson, elle l'enleva et fit des parts qu'elle donna
à ses enfants et à la femme san qui en mangea. Celle-ci trouva
que c'était bon. De retour à la maison, la femme imita le
génie en écrasant le mil et en le préparant. Depuis ce
temps, les Sanan connaissent la pâte de mil"11.
Si l'origine de la technologie ne se trouve pas dans la
mythologie mais plutôt les besoins de l'homme en face d'un environnement
à transformer, le mythe peut au moins aider à comprendre comment
les hommes et les sociétés se représentent la technologie
à travers leurs systèmes de valeurs et l'intègrent dans
leurs comportements et leurs attitudes. L'analyse de ces deux récits
semblables et dissemblables en quelques aspects nous conduit à dire que
si la source de certains savoirs peut se trouver en dehors du groupe social,
ici le groupe san, ces mêmes savoirs techniques peuvent faire l'objet
d'un apprentissage et surtout d'un emprunt, selon la théorie
diffusionniste. A travers ces deux mythes, il nous apparaît clairement
que les Sanan tentent d'expliquer non seulement l'origine de la mouture des
grains et de leur préparation en pâte, mais encore comment se
fonde leur culture technologique. Dans ces récits, les instruments
techniques sont la pierre, le feu, la marmite (ou le canari), le mortier et le
pilon. Les acteurs sont les génies et les humains
représentés par le chasseur, son père et la femme. Le
cadre de la rencontre entre ces acteurs est le cadre familial des génies
si on fait référence aux enfants du génie dont le second
récit parle. La communication et l'observation semblent être la
base de l'apprentissage et de l'imitation a posteriori. Enfin,
l'adoption et l'appropriation sont la phase finale du processus d'apprentissage
de l'art de la mouture et de la préparation culinaire, disons de toute
innovation technologique : "Depuis ce temps" (sous-entendu jusqu'à nos
jours) les Sanan savent faire... En définitive, ces mythes posent le
problème de l'innovation technologique en pays san. La forme de
l'innovation ici n'est pas l'invention du nouveau au sein du milieu social
technique lui-même, mais l'adoption d'un élément nouveau
pris ailleurs, à un autre milieu technique. En cela l'innovation
consiste en un enrichissement d'un savoir-faire culturel existant : le passage
du mil bouilli à sa transformation en farine puis en pâte cuite
avant de le manger.
Ces deux mythes ont une grande portée pour notre sujet.
Ils s'appliquent très bien au contexte de l'introduction et de
l'adoption des moulins comme processus d'emprunt d'une technologie nouvelle.
Une analyse comparative des deux contextes nous permet de faire
11 Récit selon Sô Benoît Kossonguin né
en 1931, recueilli le 12/01/2000.
58
l'interprétation suivante : à l'instar du
chasseur du premier mythe, quelqu'un est allé à l'aventure et a
découvert une nouvelle technologie : le moulin. Beaucoup d'innovateurs
sont, certes, ceux qui sont sortis de leur milieu quotidien de vie. Mais la
découverte seule ne suffit pas. Pour que le moulin soit une technologie
appropriée, adoptée dans la culture san, il faut bien observer et
apprendre ; au besoin, retourner comme ce chasseur sur les lieux une seconde
fois. C'est pourquoi le processus de l'innovation technologique, processus de
diffusion et d'emprunt culturel, demande du temps et de la
persévérance. Le moulin est venu. Les Sanan l'ont
préféré à la meule de pierre. Depuis lors, les
Sanan écrasent leurs grains au moulin pour la préparation des
repas.
Mais le moulin n'est pas sans impact sur les femmes sanan
(traditionnellement attelées à la mouture manuelle sur la pierre)
ni même sur l'ensemble de leur région. C'est cet impact et le
changement social apportés que ce travail veut étudier
Ces mythes nous invitent à présent à la
présentation des technologies et techniques de mouture des grains dans
le département de Toma.
b). Instruments et techniques de mouture.
Dans le département de Toma, comme dans tout le pays
san, ce sont les femmes qui ont la maîtrise des techniques et
technologies de mouture. La mouture des grains s'insère dans la grande
chaîne de transformation alimentaire qui commence par la
séparation des graines des épis, se poursuit par le
décorticage, le séchage, la mouture et se termine par la
préparation de la pâte de mil. Au pays san, broyer le grain est
l'une des tâches principales assignées à la femme dans sa
fonction de ménagère chargée de la cuisine. La meule est
l'outil principal auquel est associé le mortier à pilon. Divers
instruments sont utilisés à chacune des étapes de la
transformation alimentaire.
59
+ Le mortier et le pilon (cf. photo n°2)
Le mortier et le pilon sont des instruments en bois
taillé fabriqués et vendus généralement par des
artisans du village. Mortiers et pilons sont de tailles variables en pays san
pour des questions de commodité. Mais leur usage exige de la femme,
comme première technique, la stature droite du corps. Il faut remarquer
que si ces instruments servent essentiellement pour le décorticage et le
pilage chez les femmes sanan, ils sont très rarement utilisés
pour la mouture du mil. Les femmes font le broyage des céréales
au mortier lorsqu'elles ont du maïs ou lorsqu'elles veulent
préparer des galettes de mil. La technique de mouture au mortier est
utilisée surtout par les Peuls dans le département de Toma.
Comment se passe généralement l'opération
de pilage ? Bien souvent les femmes se mettent en groupe pour le pilage et le
décorticage. A tour de rôle et selon une certaine cadence,
rythmant et accélérant ainsi l'action de piler, chaque femme
lève et fait descendre son pilon dans le mortier. Parfois des
claquements de doigts au contact du pilon accompagnent cette activité.
De temps en temps une femme lance son pilon en l'air et le rattrape sans casser
le rythme de pilage.
Mais, le pilon et le mortier exigent de la femme, pour leur
maniement, de l'énergie et ont une incidence sur son physique. Ces
outils de travail laissent leur marque sur les paumes des femmes qui se
durcissent et forment des cals.
Signalons enfin que dans la culture san, le pilon remplit
d'autres fonctions que celle de piler. Nous savons par exemple qu'en cas de
profanation de la brousse12 par un acte sexuel, dont le manque
prolongé de pluies est supposé en être la
conséquence, les rites religieux de réparation nécessitent
une reprise symbolique et publique de l'acte sexuel par les coupables qu'on
fouette. A défaut des intéressés, les Sanan juxtaposent
deux pilons. Ceci explique que les Sanan attribuent un symbolisme au pilon
à partir de sa forme qui renvoie au phallus.
12 Les Sanan considèrent que la brousse est
sacrée.
60
Photo 2: Pilon et mortier
Photo Jn. P. Ki. Toma, le 21/8/1999
+ La meule en pierre. (cf. photos N°3 et 4)
Du point de vue des femmes lors de nos enquêtes, la
meule en granite telle qu'elle existe de nos jours encore dans le
département, fait elle-même l'objet d'une importation depuis les
régions de Kiembara (environ 60 km au nord de Toma) et de
Dédougou (90 km à l'ouest de Toma). Avant la pierre en granite,
existait la latérite taillée. Celle-ci avait pour
inconvénient majeur de s'effriter rapidement et de rougir la farine de
mil. On trouve encore des restes de ces pierres taillées dans certaines
concessions. L'avantage du granite c'est sa résistance.
La meule de granite se compose de deux éléments
: une partie principale, gii dan, la "meule-mère", de forme
rectangulaire (environ 45 cm sur 30 à 35 cm) fixée à peu
près à hauteur de 80 à 90 cm du sol sur une
élévation en terre battue, et une partie secondaire, gii
né, la "meule-fille", (une barre de granite de longueur à
peu près égale à la largeur de la meule-mère)
61
que la femme promène à la surface de la «
meule-mère » dans un mouvement de va-et-vient en exerçant
une pression sur les grains pour les écraser. Disons qu'il s'agit d'une
meule et d'un broyeur.
Ici, la femme adopte une position courbée et appuie de
toutes ses forces sur la "meule-fille". De temps en temps elle dépose
sur la « meule-mère » quelques grains à l'aide d'une
main pendant que l'autre continue de remuer la « meule-fille ». Le
broyage des céréales est une opération longue et
pénible durant laquelle la femme fait des pauses pour reprendre son
souffle.
Photo 3: Meules « mère » et « fille
» Photo 4: Mouture du mil.
Photos Jn. P. Ki. Toma, le 13/1/2000.
Les Sanan établissent un rapport de filiation entre la
meule et le broyeur. D'où les termes « meule-mère » et
« meule-fille » qui ont une signification symbolique. Ce symbolisme
est celui de la reproduction. En san, le mot gii donné à
la meule signifie aussi « multiplier, devenir beaucoup, germer ». En
outre, la position du broyeur par rapport à la meule rappelle l'enfant
au dos de sa mère.
+ Le balai et le tamis
A proprement parler, le tamis, tèmè,
n'est pas un instrument de mouture, mais il intervient aussitôt
après la mouture pour tamiser la farine obtenue et la débarrasser
de la balle ou d'éventuelles fourmis attirées par la farine et le
mil. Pendant et à la fin de la mouture, la femme utilise
régulièrement un petit balai, gii mèsè,
pour rassembler les grains dispersés et le restant de farine.
62
+ Le totoarè, instrument d'habillage de la
meule.
Le totoarè est une sorte de poinçon
emmanchée servant à donner à la meule et à la
meulette une surface rugueuse afin de faciliter l'écrasement des grains.
Le totoarè est un instrument indispensable à toute femme
qui dispose d'une meule, car son utilisation est régulière. De
plus, la femme se repose mieux si la meule est bien poinçonnée.
L'usage du totoarè exige une grande adresse et un savoir-faire.
En effet si la surface de la meule devient trop granuleuse, elle
n'écrase pas bien ; de même que si elle est trop lisse.
L'habillage des meules métalliques des moulins, qui consiste à
entailler leurs surfaces travaillantes d'une série de rayons, peut
être rapproché de cette technique locale du pays san.
Photo 5. Femme san poinçonnant la meulette avec un
totoarè
Photo Jn. P. Ki, Toma, le 13/1/2000
Ces instruments et ces techniques qui constituent une partie
de la culture matérielle des Sanan se trouvent aujourd'hui
sanctionnés par la révolution du moulin, et sont mis au rebut en
l'espace de dix ans. Dans certaines familles, on n'y recourt que quand le
moulin est en panne ; mais dans d'autres familles, les meules n'existent plus.
L'usage optimal de tous ces instruments nécessite certaines techniques
du corps auxquelles le socio-anthropologue doit s'intéresser.
63
+ Des techniques du corps
Nous limiter à une classification des formes d'outils
n'aurait pas une pertinence anthropologique. Car comme le dit Leroi-Gourhan
(1965 : 35) « l'outil n'est réellement que dans le geste qui le
rend efficace ». Les méthodes de transformation alimentaire
relèvent de tout un art chez les femmes sanan. Autrefois, dans certaines
concessions, un grand vestibule (à l'entrée) servait d'espace
commun à l'édification des meules individuelles des femmes
desdites concessions. Selon le nombre de femmes, on trouvait (même
aujourd'hui encore) un alignement de meules allant parfois jusqu'à huit
(Cf. Annexe 4.2). Ces vestibules étaient le lieu par excellence
où les femmes fredonnaient seules quelques chansons populaires et
où les cantatrices pouvaient avoir quelque inspiration pour des
prestations publiques ultérieures. Lorsque les femmes se retrouvaient
nombreuses au même moment, on assistait parfois à un
véritable concert composé de chants, scandés de
"yililili"13, traitant directement ou indirectement
d'actualité, de la condition féminine ou visant une personne
particulière. Nous pensons que ce plaisir lié au travail de
mouture soulageait, comme pour le pilage, la peine y afférant. En effet
malgré l'humeur joyeuse des femmes, toute l'activité s'accompagne
de grosses gouttes de sueur et se solde avec le temps par le durcissement des
paumes en une forme de cancérisation.
Dans cette activité de mouture, langage et geste
s'harmonisent pour créer un rythme rendant l'exercice agréable.
Les reprises de refrains en choeur par les femmes donnent à cette
activité toute sa dimension sociale. Il y a lieu de rappeler ici avec
Mauss (1950 :372) que « le corps est le premier et le plus naturel
instrument de l'homme. Ou plus exactement, sans parler d'instrument, le premier
et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de
l'homme, c'est son corps ». Le corps humain est la mesure de tout, c'est
pourquoi nous lui accorderons une place dans l'analyse de l'impact du moulin
sur les femmes au chapitre 4.
Nous récapitulons ces quelques indications en
précisant que la présentation des technologies locales de mouture
des céréales trouve son intérêt dans la
problématique de la technologie culturelle. Chaque société
fabrique les instruments en fonction de ses besoins et de son environnement.
Les formes, les modes d'utilisations et les symbolismes de ces instruments sont
l'expression de la culture de cette société.
13 Au pays san le yililili est un cri
d'acclamation que seul les femmes poussent à certaines occasions pour
encourager l'auteur d'une action, d'un discours, d'un chant, etc. pour
manifester leur satisfaction. Le yililili est une technique de
remuement de la langue dans le sens transversal (de gauche à droite) de
la bouche. Un yililili bien prononcé s'entend au moins à
200 mètres.
64
Cette section nous a permis de mettre en relief la
catégorie sociale qui, dès les origines mythiques, fait de la
mouture des céréales, sa part dans la division sociale et
sexuelle du travail. Les techniques du corps accompagnant le maniement des
outils montrent l'importance de la dimension corporelle dans toute
activité humaine. Loin d'être figées, ces techniques
changent et s'adaptent à l'environnement technologique. Ainsi en
sera-t-il au sujet des moulins dans le département de Toma.
2. LES MOULINS, TECHNOLOGIE NOUVELLE DE MOUTURE DES
GRAINS.
Comme connu, les moulins et les décortiqueuses sont
transférés d'Europe dans l'après deuxième guerre
mondiale (1950) vers les pays africains. Selon Treillon (1992 :13), en France,
ce matériel, oeuvre de quelques entreprises, est dans un premier temps
destiné aux exploitations agricoles pour la fabrication d'aliments pour
le bétail. « L'une de ces entreprises, Daly, a l'idée de
s'implanter sur le marché africain avec le même type de
matériel pour l'alimentation humaine. Par l'intermédiaire d'une
société d'exportation, Landes, elle diffuse son moulin à
céréales, Turbofix, vers le Sénégal ».
L'expérience étant concluante, d'autres constructeurs comme Olby
(entreprise danoise) suivront cet exemple. En présentant ce contexte
historique, notre objectif est de montrer que les moulins sont le fruit d'un
emprunt. Comment ont-ils été introduits ? Quelles marques sont
installées ? Et comment fonctionnent-ils ?
a). Présentation et répartition des moulins
dans le département de Toma.
Les modalités d'introduction des moulins dans le
département de Toma sont diverses. On note parmi ceux qui opèrent
le transfert, des acteurs privés (commerçants, anciens
combattants), l'Etat et des ONG servant de relais aux groupements et
associations.
Le premier moulin à mil fut installé à
Toma en 1962 par Joseph Korpãn Karambiri, originaire de Nimina et
premier commerçant de Toma à ouvrir une boutique. Le second sera
introduit quelques années après (2 ou 3) par Saturnin Ki, un
ancien combattant entrant en retraite. Et aujourd'hui le nombre de moulins
à grains dans la ville de Toma est de 22 dont une dizaine en panne
depuis au moins un an.
Il faut remarquer que la catégorie sociale des deux
pionniers est d'une portée significative dans l'introduction des moulins
à Toma. Ils sont, l'un commerçant et l'autre ancien
65
combattant. Ce sont des gens qui ont un statut social imposant
à cause de leurs moyens financiers, du savoir nouveau acquis en dehors
du terroir san. Tout ceci leur confère un certain pouvoir dans la
société, mais surtout leur permet d'être des
innovateurs.
Le nombre total des moulins dans le département est de
57 dont 35 dans les villages environnants, 45 moulins privés et 12
appartenant aux groupements villageois féminins (GVF). Le tableau
suivant donne une idée de la répartition par village et de leur
état actuel de fonctionnement.
Tableau 6: Répartition des moulins du
département de Toma par village.
Villages
|
Population Nombre de moulins Moulins
moulins individuels GVF
|
Etat actuel
|
Fonctionnel
|
En Panne
|
1. Goa
|
436
|
2
|
2
|
0
|
2
|
0
|
2. Goussi
|
425
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
3. Koin*
|
2 812
|
5
|
4
|
1
|
3
|
2
|
4. Kolan
|
791
|
3
|
2
|
1
|
2
|
1
|
5. Konti
|
275
|
2
|
2
|
0
|
2
|
0
|
6. Nièmè*
|
555
|
2
|
1
|
1
|
2
|
0
|
7. Nyon
|
485
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
8. Pankélé
|
1 357
|
3
|
2
|
1
|
2
|
1
|
9. Sawa*
|
710
|
2
|
1
|
1
|
2
|
0
|
10. Sien*
|
655
|
2
|
0
|
2
|
1
|
1
|
11. Sièpa
|
687
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
12. To
|
1 294
|
4
|
3
|
1
|
3
|
1
|
13. Toma*
|
8 992
|
22
|
19
|
3
|
12
|
10
|
14. Zouma*
|
2 425
|
7
|
6
|
1
|
5
|
2
|
15. Raotenga
|
219
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
16.Semba
|
368
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
17.Yayo
|
127
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Total
|
22 613
|
57
|
45
|
12
|
39
|
18
|
*. Villages où nous avons mené nos
enquêtes.
Source : Perception de Toma.
Comme on peut le constater sur ce tableau, le nombre de
moulins serait largement suffisant dans le département de Toma n'eussent
été leurs pannes fréquentes. Toutes les femmes
interrogées se plaignent de cette situation. Lorsqu'on considère
le cas de chaque village, on constate que 11sur 17 ont plus d'un moulin alors
que la moitié atteignent à peine 600 habitants. Or selon les
études de Treillon (1992 : 18) il faudrait une population minimale de
1200 habitants
66
pour qu'un moulin soit rentable dans un village. De plus,
selon Lemonnier (1991 : 97) ces moulins motorisés (qu'ils soient
à meules ou à marteaux) ont des capacités horaires
théoriques de 100 à 150 kg. On pourrait à la limite dire,
sauf pour les plus gros villages, qu'un moulin en bon état est suffisant
par village.
L'implantation des moulins connaît un succès dans
le département pour plusieurs raisons : d'un point de vue
économique et financier (il fait l'affaire des commerçants), du
point de vue de l'allègement de la fatigue des femmes et sous
l'influence de l'Etat et des ONG.14 Cependant, les habitants de
Raotenga, Semba et Yayo n'ont pas encore accès à cette nouvelle
technologie ; et s'ils y ont accès, ils devront se rendre dans les
villages voisins pour la mouture de leurs céréales.
Quant à l'état actuel des moulins, on note que
18 sur 57 moulins (soit 31,6%) sont en panne depuis au moins un an. Sur ces 18
moulins en panne six (6), sont des moulins GVF et douze (12) des moulins
individuels. Le tiers (1/3) de l'ensemble des moulins en panne est ainsi
constitué de moulins GVF. A considérer chaque catégorie
(moulins GVF et moulins individuels) à part, on remarque que sur
l'ensemble des moulins individuels (45) douze (12) sont en panne, soit 26,67%,
tandis que la moitié (50%) des moulins GVF n'est pas fonctionnelle
depuis au moins un an. L'écart qui s'élève à 23,33%
est important et donne à réfléchir. Pourquoi la
moitié des moulins GVF sont-ils en panne ? Et pourquoi, en terme de
pourcentage, y a-t-il plus de moulins communautaires que de moulins individuels
en panne ? Nous attribuons cette situation au problème de la gestion
collective des moulins par les femmes et au sens du bien commun. Mais la marque
des moulins et des moteurs est à prendre également en compte.
b). Typologie des moulins motorisés dans le
département.
Nous nous sommes aussi intéressé aux
caractéristiques techniques des moulins importés. A part quelques
anciens modèles de marque Blakstone et Nissan, on trouve les marques
suivantes : Lion, Anil, Lister pour le moteur et Nola Rex, Diamant, Amuda, pour
le moulin. Tous les moulins installés par l'ADRTOM (au total 20) sont de
marque Diamant et le moteur de marque Lister. En effet ces deux marques
semblent mieux s'adapter aux conditions climatiques à cause du
système de refroidissement à l'eau du moteur.
67
Nous pensons que la question des caractéristiques des
moulins est importante, car sur le plan technique c'est par-là qu'on
peut vérifier si une technologie est appropriée à un
milieu et à un usage. En effet, la marque de moulin conditionne
essentiellement trois choses : sa durée de vie, sa fonctionnalité
et sa rentabilité. Puisque la majorité des moteurs est Lister et
le moulin Diamant, nous allons dresser les caractéristiques de ces deux
marques.
+ Le moteur Lister et ses dérivées.
Le moteur Lister est d'abord d'origine anglaise. Mais de plus en
plus, on trouve sur le marché des fabrications indiennes du même
type portant d'autres noms tels que Amuda, Rajan. Le Nigeria fait
également des assemblages de Lister. Les caractéristiques du
moteur Lister sont : - Moteur Diesel
- Démarrage à manivelle : démarrage lent
avant que le moteur retrouve son régime normal : 1500 tr/mn.
- Système de refroidissement à eau. (On
constatera derrière les bâtiments qui abritent les moulins deux
citernes d'eau. Cf. Photo n° 7).
- Tuyauterie (généralement soumise à la
rouille).
- Puissance : 8 à 12 CV.
- Un ou deux cylindres.
- Consommation horaire en carburant excessive : deux litres de
gasoil pour 90% de la puissance selon le rapport du séminaire national
sur les moulins (Cf. Ministère du développement rural, 1984 :
28).
Le moteur Lister présente des avantages et des risques
pour la zone rurale. Parmi les avantages, on peut citer le coût assez bas
à l'achat (450 000 F CFA par rapport à d'autres allant
jusqu'à 600 000 F CFA), une durée de vie moyenne de 5 ans et des
pièces faciles à trouver. Selon Inga Nagel (1992 : 69-70) la
durée de vie du moteur Lister peut même aller jusqu'à dix
ans. Ses pièces sont interchangeables avec celles des moteurs Anil et
Rex.
14 En 1994 le gouvernement burkinabè
procédait à une opération dite "Opération mille
moulins" en accordant des moulins à crédit aux groupements
villageois féminins par le biais des ONG. La région de Toma
bénéficia de vingt moulins installés par l'ADRTOM dans
différents villages.
68
Quant aux inconvénients, on peut relever d'abord que le
système de manivelle est très dangereux pour la santé. Mal
maniée, la manivelle peut casser la clavicule ou le bras. Ce risque,
ajouté à l'effort physique nécessaire pour le
démarrage, fait que les femmes des GVF sollicitent toujours un meunier
qui est généralement un jeune homme de 20 à 25 ans
environ.
Ensuite, la transmission du mouvement par courroie
entraîne des dégâts et des accidents parfois mortels. Nous
avons été témoin d'une situation où la courroie
ayant accroché le pagne d'une jeune fille, l'a entraînée et
lui a labouré le ventre et le dos. En outre, l'échauffement fait
dilater la courroie qui peut se rompre et cingler les personnes se tenant
à proximité du moteur.
Enfin, signalons l'impact du moteur sur la santé. En
effet, malgré les filtres le moteur Lister est bruyant. A long terme, le
risque de surdité est important pour le meunier. Telles sont les
caractéristiques du moteur le plus généralement
utilisé en accouplement aux moulins à meules.
+ Les moulins à meules.
Les moulins à meules sont encore appelés moulins
à disques. Tous les moulins des villages où nous avons
mené nos enquêtes sont à meules. Et l'on rencontre deux
types de meules : les meules en pierre (moulin Diamant) et les meules
métalliques (autres marques de moulin). Des marques identiques de
moulins sont implantées dans l'ensemble du département de Toma.
La chambre de mouture comporte deux meules dont l'une est fixe et l'autre
mobile. Les moulins à meules sont intéressants à cause
d'un système de réglage de l'écartement des meules et de
variation de vitesse de rotation permettant d'obtenir un type de farine
souhaité par les femmes.
Les moulins à meules métalliques (fonte ou fonte
aciérée) sont polyvalents ; ils acceptent toute sorte de grains
et supportent la mouture par voie sèche comme par voie humide. Par voie
sèche, il s'agit des grains secs non décortiqués par les
femmes, qu'il s'agisse du mil, sorgho ou du maïs ; et par voie humide, il
s'agit des grains décortiqués traditionnellement au mortier et
apportés au moulin après un petit temps d'assèchement.
Cette seconde pratique est très courante chez les femmes du
département et même chez l'ensemble des femmes de la province du
Nayala. Elle est la résultante des habitudes de mouture à la
meule en silex. En outre, le décorticage selon les femmes leur permet
d'avoir non seulement de l'eau fermentée pour la
69
préparation de la pâte de mil, mais encore du son
pour l'alimentation des animaux15. Faites d'alliage d'acier et de
fonte, les meules métalliques s'usent sous l'effet du frottement et
exigent d'être aiguisées régulièrement.
Par contre, les moulins à meules en pierre
(formées d'un assemblage de pierres siliceuses proches du quartz) ne
supportent que la mouture par voie sèche mais non pas la mouture de
grains humides. La plupart des moulins Diamant sont de ce modèle. Ils
fournissent de la farine très bien écrasée qui, au sortir
de la chambre de mouture, est aussi très chaude. Lorsque les grains sont
humides, la farine se colle sur les parois de la chambre de mouture et sur les
meules et peut entraîner un blocage du système. Lors de nos
enquêtes nous étions obligé d'expliquer cela aux femmes du
groupement MISOLA16 de Toma qui ne comprenaient pas les raisons des
blocages de leur moulin et qui ont dû acheter une autre marque de moulin
de fabrication locale. Toutefois plus résistantes et plus
épaisses que les meules métalliques, les meules en pierre ont une
durée de vie également plus longue ; au moins deux ans.
En somme, les moulins à meules présentent
l'avantage d'accepter toutes sortes de grains, même l'arachide et le sel.
Cette polyvalence les adapte mieux aux pratiques locales. Ceci explique le
choix de plusieurs villages. De plus, les meules légères sont
facilement démontables et aiguisables plusieurs fois. Ce qui n'est pas
le cas pour les moulins à marteaux.
15 Il faut signaler ici que les femmes sanan sont
de grandes éleveuses de porcs auxquels elles accordent un soin
particulier. Une femme peut posséder à elle seule 5 à 10
porcs qu'elle vendra selon les nécessités pour subvenir à
ses besoins et à ceux de sa famille. Les hommes pratiquent très
peu l'élevage de porcs au pays san.
16 MISOLA désigne les termes mil, soja et
l'arachide. Il s'agit de la production de farine enrichie pour l'alimentation
des enfants manquant de vitamines. Cette farine est encore appelée
farine de sevrage.
70
Photo 6 : Moulin Diamant et moteur Lister.
Photo Jn. P. Ki. Sawa, le 7/1/2000.
+ Les moulins à marteaux (cf Broyeur, annexe
3)
Nous n'avons pas rencontré de moulin à marteaux
lors de nos tournées, mais comme ces modèles sont largement
répandus au Burkina, il pourrait aussi en exister dans le
département de Toma. A la place des meules se trouvent des lames sous
formes de marteaux. Ce sont ces marteaux qui, tournant à grande vitesse
(3000 tr /mn), écrasent les grains. Les broyeurs à marteaux sont
comme les meules en pierre : ils n'acceptent que la mouture sèche pour
laquelle ils sont conçus.
Les marteaux ont une durée de vie plus longue que les
meules mais leur utilisation est délicate. Or dans un contexte où
les femmes font le passage d'une technologie à une autre, de la mouture
humide avec des meules de pierres dormantes à la mouture sèche
exigée par le moulin motorisé, les comportements mettent du temps
à changer malgré les plaintes des meuniers. Déjà,
certaines femmes sont obligées de faire sécher le mil
décortiqué devant le moulin après le rejet du meunier. Les
moulins à marteaux exigent un changement et une adaptation des
procédés traditionnels des femmes.
71
Que les moulins soient à meules ou à marteaux,
tous présentent l'avantage du réglage de la vitesse de rotation
et du choix de la mouture en vue de différents types de mets. Une
comparaison entre les moulins à meules et les moulins à marteaux
montre que les moulins à meules sont plus avantageux au regard de la
consommation d'énergie et de la capacité à moudre sec et
humide, bien que les moulins à marteaux soient pourtant facilement
réglables et fournissent des farines plus fines. Les moulins à
meules par contre ne fournissent pas toujours de farines fines. Selon que les
meules sont mal aiguisées ou trop usées, la qualité de la
farine change. Nous avons vu des femmes remettre leur farine dans le moulin
pour une seconde mouture. Un tableau comparatif des deux types de moulins,
dressé par Denis Sautier et Michèle O'Deyé (1989 : 67-68)
peut aider à mieux comprendre ce dont nous parlons.
72
Tableau 7: Caractéristiques des moulins par
typologie.
Principes
|
Broyeur à marteaux
|
Moulin à meules métalliques
|
- Grains pulvérisés sous le choc de marteaux
tournant à grande vitesse (3000 t/mn).
- Granulométrie de la farine constante définie par
la grosseur des tamis de sortie.
|
- Grains écrasés entre deux meules
métalliques, l'une fixe l'autre en rotation (800 t/mn).
- Granulométrie de la farine définie par
l'écartement entre les meules et leur degré d'usure.
|
|
Utilisations
|
-Mouture des céréales sèches et de divers
produits secs non oléagineux.
|
- Mouture des céréales ou autres produits secs ou
humides.
|
Débit théorique
|
- 150 à 500 kg/h
|
- 120 à 350 kg/h
|
(Fonctionnement continu).
|
Avantages
|
- Granulométrie de la farine régulière.
Réglage par tamis.
- Peu d'usure, les marteaux peuvent être retournés 4
fois avant remplacement.
- Fabrication locale envisageable.
|
- Appareil polyvalent
- Peut fonctionner à vitesse lente actionnée par
l'énergie humaine, animale ou un moteur de faible puissance.
- Consommation spécifique plus faible que celle des
moulins à marteaux.
|
|
Inconvénients
|
- Exige une vitesse de rotation élevée et une
motorisation puissante. Utilisation de l'énergie animale exclue.
- Ne permet pas de faire des pâtes ni de traiter des
produits humides. - Entraîne un échauffement de la farine (50
à 70° C), légèrement plus élevé que
celui causé par les moulins à meules (50 à 60° C).
-Consommation spécifique plus élevée.
|
- Granulométrie moins régulière. - Usure
relativement rapide des meules qui peut nécessiter d'effectuer plusieurs
passages.
- Frais d'entretien (retaillage et remplacement des meules). -
Risque de retrouver des particules métalliques dans la farine.
|
|
Consommation spécifique
|
(Pour obtenir des farines sensiblement de même
finesse)
- Non adapté
- 83 à 112 kJ/kg (8 g gaz oïl /kg).
|
- 48 à 68 kJ/ kg (= 5 g gaz oïl/kg) - 54 à
68 kJ/kg (= 6 g gaz oïl/kg).
|
1. Mouture humide.
2. Mouture sèche.
|
Puissance requise
|
- 9 à 11 CV.
|
- 7 à 8 CV.
|
|
Source : DMA (1984) in Denis Sautier et Michèle
O'Deyé (1989 : 67-68)
+ Moulins individuels et moulins d'associations.
Notre analyse de la situation des moulins dans le
département de Toma ne se limite pas à leurs
caractéristiques techniques. Elle s'étend aussi aux
différents acteurs sociaux. On distingue deux catégories de
moulins : les moulins individuels qui appartiennent pour la plupart à
des commerçants et les moulins d'associations ou de groupements
féminins.
73
Selon le tableau n° 6 que nous avons dressé, on
trouve dans le département 45 moulins individuels. Certains
appartiennent à un même propriétaire qui les a
installés dans des villages différents afin d'en tirer du
bénéfice. Quant aux moulins de groupements féminins, ils
ont été installés avec l'aide d'ONG, tels que l'ADRTOM,
l'UGPN et PEM-LON. On en dénombre 12.
Les propriétaires des moulins individuels et les
membres d'associations ou de groupements poursuivent des buts différents
dans l'installation des moulins. Tandis que les premiers poursuivent des
objectifs purement financiers, les seconds ajoutent au financier d'autres
objectifs tels que l'apprentissage de la maîtrise des outils de gestion
et de comptabilité, la création d'un cadre de rencontre et de
solidarité, enfin le souci d'échapper à la dure
corvée de la mouture manuelle avec la meule de pierre. Nous avons
constaté que le fait pour les groupements féminins d'allier
objectifs financiers et sociaux a un impact sur la maintenance de leurs
moulins.
Parlant des moulins dans le département de Toma, nous
aurions pu orienter notre étude vers une catégorie de moulins,
comme il en existe déjà abondamment au Burkina sur les moulins
des GVF (groupements villageois féminins). Si nous n'avons pas
opté pour cette ligne, c'est que toutes les études existantes se
contentaient de signaler les besoins des femmes rurales en moulins et
s'intéressaient aux conditions d'implantation et aux modes de gestion
communautaire de ces moulins. Nous avons voulu apporter notre contribution
à la problématique des moulins et de la condition des femmes
rurales en nous penchant sur l'aspect technologique des moulins. Ce terrain,
à notre connaissance, n'est pas encore exploré et peut servir de
clé de compréhension aux phénomènes sociaux en lien
avec les moulins.
En conclusion, on peut dire que l'introduction et
l'installation des moulins dans le département sont
réalisées par plusieurs acteurs différents. En outre,
à part les moulins des GVF, la propriété des moulins est
assurée par les hommes. Cependant depuis un an, il existe à Toma
une femme propriétaire d'un moulin. Si d'une part l'introduction des
moulins par les commerçants répond à des
préoccupations financières, il reste d'autre part que la
problématique des moulins dans le département de Toma participe
en définitive du développement rural. Leur influence sur les
populations concernées mérite analyse. Mais avant cette analyse,
présentons le système de mouture moderne des
céréales.
74
3. LE SYSTEME DE MOUTURE DES GRAINS DANS LES
VILLAGES.
Cette présentation se base sur l'organisation que nous
avons trouvée dans les villages où nous avons mené nos
enquêtes : Toma, Koin, Nième, Sien, Sawa et Zouma (Cf. carte.
Annexe N°1). Mais, d'une manière générale le
système de mouture est le même dans tout le département de
Toma. Sont pris en compte ici les locaux, les heures de travail, l'ordre et le
rang, le rapport quantité-prix, et enfin l'organisation des mesures et
les stratégies des femmes.
a). Les locaux des moulins
Généralement, les locaux qui abritent les
moulins sont construits soit en banco avec des toits de terre battue ou
couverts de tôles, soit en semi-dur. Tandis que l'emplacement des moulins
des commerçants se situe dans leurs concessions, celui des moulins des
associations et GVF se trouve soit chez la responsable du groupement (comme
à Sawa et Zouma), soit dans une place publique choisie à dessein
(comme à Toma, Koin et Sien). Ces locaux sont généralement
de petites dimensions de 5,50 mètres sur 5,00 mètres (comme
à Koin). Un banc ou un hangar devant l'un ou l'autre moulin offre aux
femmes des commodités de conversation. Cependant, certains groupements
(comme à Sien et Nièmè) n'ont rien prévu dans ce
sens, laissant les femmes se débrouiller pour trouver ça et
là qui une pierre, qui un morceau de brique pour s'asseoir ; certaines
femmes s'assoient à même le sol, attendant leur tour de
mouture.
La question de l'emplacement du local d'un moulin
communautaire au village est souvent un véritable noeud de
vipères. Les nombreux problèmes que pose par exemple la
domiciliation chez la responsable de groupement finissent par aboutir à
un changement de lieu comme cela fut le cas à Sien. Ces
paramètres doivent être pris en compte dans l'analyse des
changements introduits par le moulin et de leur impact sur les femmes.
75
Photo 7. Abri d'un moulin à
Nième avec citernes d'eau de refroidissement.
Photo Jn. P. KI. Nième, le 7/1/2000.
b). Les heures de travail
Notre enquête auprès des meuniers a
révélé que chez les commerçants, il n'y a pas
d'heure d'ouverture ni de fermeture des moulins. Tout se fait au gré du
meunier qui juge s'il y a une quantité suffisante de grains à
moudre pour ne pas tourner à perte. Certains ouvrent le matin et
d'autres l'après-midi ou même le soir selon leur emploi de temps,
lorsqu'il s'agit de l'hivernage. D'autres propriétaires, eux-mêmes
meuniers, n'ont pas de choix d'heure comme ce commerçant qui
déclare : « Chaque matin jusqu'au soir, tant qu'il y a de la
clientèle, mon moulin tourne ». Il faut signaler que ce manque
de fixation d'heures d'ouverture et de fermeture est tantôt à
l'avantage comme au désavantage des femmes. Dans les villages où
il n'y a qu'un seul moulin, les femmes doivent subir les caprices du
meunier.
Les GVF, quant à eux, essaient d'indiquer des heures
d'ouverture à leurs meuniers. A Toma, ces heures varient entre 8h et 10h
tandis que dans les villages environnants où la sollicitation est
moindre, c'est l'après-midi qui est indiqué (autour de 14h /
15h). Chez les GVF également il n'y a pas d'heure de fermeture. Le
moulin ferme après le dernier client de la journée. Il est clair
qu'un tel rythme de travail provoque la surchauffe du moteur dont la
durée de vie finit par en pâtir.
76
c) Ordre et rang au moulin.
La mouture des grains au moulin exige des femmes d'aligner
leurs calebasses par ordre d'arrivée. Cette pratique a pour avantage
d'offrir aux femmes une égalité de chance, d'éviter les
bousculades et le favoritisme de la part des meuniers. Mais cette organisation
n'est pas toujours respectée partout avec rigueur et pour plusieurs
raisons. D'abord, les cas urgents. Les femmes sont très reconnaissantes
les unes envers les autres pour les cas urgents qui se présentent par
moment à chacune d'elles. Ainsi nous dit une femme : « Parfois,
ta camarade vient t'expliquer qu'elle doit amener de la nourriture à un
malade à l'hôpital par exemple. Tu ne peux pas refuser. Demain
c'est peut-être ton tour ». Il en est de même lorsqu'une
femme reçoit à domicile des étrangers de passage à
qui il faut préparer rapidement un repas. Ensuite, il y a les cas de
femmes qui allaitent : elles s'excusent à cause du bébé
qu'elles ont laissé à la maison. Notons enfin que les femmes
citent un certain nombre de cas sociaux pour ne pas se soumettre aux exigences
de l'ordre établi. Ces cas, bien expliqués, ne créent
généralement pas de tensions entre les femmes. La plupart du
temps, celle qui est pressée demande l'avis favorable de toutes celles
qui viennent après le niveau du rang où elle veut
s'insérer. Mais il y a aussi des femmes qui viennent et se donnent un
certain droit de passer avant les autres « parce qu'elles se croient
pressées » (« m'a asè yii n fuu »).
Ces personnes créent souvent des tensions qui vont jusqu'à la
bagarre avec le risque de briser des calebasses. Cependant, une
considération particulière est accordée aux vieilles
personnes qui arrivent. Mais bien souvent les enfants font facilement l'objet
de négligence. « Bè néan mèn yi a kaka wa,
a ka wasa men mãsin léa » (« Si un enfant
n'est pas éveillé, le soir peut le trouver au moulin »)
affirment les femmes. Les adultes ont toujours tendance à vouloir passer
avant les fillettes envoyées par leurs mamans.
Ces différentes attitudes existent dans tous les
moulins et sont vite observables lorsqu'on se rend au moulin. Les
différents comportements révèlent les stratégies
mises en place par les femmes pour pouvoir à la fois
bénéficier de la mouture sans perdre du temps et se soustraire
à un système social coercitif.
D) Rapport quantité - prix.
Avant de verser son mil dans la trémie du moulin,
chaque femme mesure, sous l'oeil contrôleur du meunier, la
quantité qu'elle a apportée à l'aide de boîtes dont
le contenu correspond à un tarif connu. Les prix varient selon la
quantité et selon le type de céréales
77
écrasées, de même que
légèrement d'un village à l'autre. De façon
générale, les prix sont sensiblement les mêmes. Les
différences proviennent du coût du transport du gasoil dont tous
les villages viennent s'approvisionner à Toma. Le tableau ci-dessous
nous permet d'apprécier le rapport quantité - prix.
Tableau 8: Moyenne des prix par mesure
dans les villages (en f. CFA).
BOITE
|
CEREALES
|
N°
|
Dimensions
|
Sorgho pilé
|
Mil
|
Maïs pilé
|
Maïs non pilé
|
Haricot
|
Sorgho non pilé
|
1
(Grande)
|
16 x 10 x24 cm
|
50 F
|
50 F
|
50 F
|
60 F
|
60 F
|
60 F
|
2
(Moyenne)
|
14,5 x 11,5 x 16 cm
|
35 F
|
35 F
|
35 F
|
45 F
|
45 F
|
45 F
|
3
(Petite)
|
14,5 x 11,5 x 10 cm
|
25 F
|
25 F
|
25 F
|
30 F
|
30 F
|
30 F
|
Source : Inspiré de Toni Doro T. (1992 : 24)
Les boîtes utilisées ne sont pas les mêmes
partout, d'où les différences de dimensions des bases et des
largeurs, les hauteurs étant diminuées volontairement pour avoir
les tailles désirées.
La différence des prix par type de
céréales s'explique par le fait qu'une catégorie (sorgho
pilé, mil, et maïs pilé) est moins dure à
écraser que l'autre parce qu'ayant été trempée dans
de l'eau. Le mil (nyanã) même non pilé entre dans
cette catégorie parce qu'il est, de nature, moins dur que les autres.
Dans ce tableau n'apparaît pas le tarif de la tine de sorgho germé
servant à la préparation du yo (bière de mil). La
tine de mil (10 à 15 kg) est tarifée à 1500 francs Cfa.
78
e). Organisation des mesures et stratégies. (Cf.
Photo n°8)
Les dimensions, telles que données plus haut, sont en
réalité déformées par les meuniers qui enfoncent
les côtés des boîtes en réaction à la
façon exagérée de mesurer des femmes qui cherchent
à maximiser le profit et à minimiser le coût. La
boîte déposée dans un récipient plus large
(généralement une bassine) est remplie jusqu'à
débordement ; cet ensemble est considéré par les femmes
comme une mesure. L'occasion nous a été donnée de peser
chez dix femmes leurs mesures. La moyenne de poids des quantités
retenues dans les boîtes donne 3,5 kg de mil tandis que celle des
quantités retenues par la bassine est de 4 kg. Ce qui veut dire que pour
un prix indiqué, le moulin moud deux fois la mesure correspondante
majorée de 0,5 kg. Pour amortir les baisses de recettes, les
propriétaires de moulins demandent aux meuniers de déformer les
boîtes.
Les mêmes comportements d'exagération des mesures
se retrouvent aussi dans les moulins des groupements villageois féminins
où les femmes, bien que membres du groupement, mettent en place d'autres
stratégies. Organisées par couple de manière à
surveiller les mesures et à recueillir l'argent de la mouture, les
femmes non seulement procèdent à des mesures débordantes
mais encore se font des faveurs en permettant la mouture à
crédit, voire gratuitement avec l'espoir de bénéficier
d'un comportement identique en retour. Le système de la surveillance
à tour de rôle nourrit et entretient un cercle vicieux de
comportements car chaque femme pense à sa situation plutôt qu'au
bien commun. En outre, dans la plupart des groupements ces femmes assurant le
service bénéficient chacune de la mouture gratuite soit de deux
mesures de la grande boîte (soit environ 7kg de mil), soit de la
totalité de leur ration familiale. Il en résulte que les moulins
des GVF font progressivement moins de rentrée d'argent, sont souvent en
panne et créent dans certaines localités plus de problèmes
aux femmes qu'ils n'en résolvent. Nous donnerons en détail
l'explication sociologique de ces comportements lorsque nous parlerons de
l'impact de l'introduction des moulins dans les villages par les ONG pour les
GVF. Ce qu'il importe maintenant de prendre en considération, ce sont
les représentations sociales sur le moulin.
79
Photo 8 : Mesure des grains.
Photo Jn. P. Ki, Nième, le 5/1/2000
4. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUTOUR DU
MOULIN.
Qu'est-ce qu'une représentation sociale ? Quelle peut
être son importance dans le contexte de notre étude ? La
représentation sociale est, selon Denise Jodelet (1989 : 36), « une
forme de connaissance, socialement élaborée et partagée,
ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une
réalité commune à un ensemble social ». Il s'entend
alors que les représentations sociales sont un « savoir de sens
commun », des systèmes de pensée et d'interprétation
organisant la vie sociale tant au niveau des conduites que de la communication
sociale. Ce faisant, les représentations sociales jouent un rôle
important « dans le maintien de l'identité sociale et de
l'équilibre socio-cognitif qui s'y trouve lié » (Jodelet
1989 :51). L'arrivée du moulin dans le département de Toma comme
nouvelle technologie ne manqua pas de donner lieu à la production de
représentations sociales.
Selon la première personne ayant introduit le moulin
à Toma en 1962, Joseph Korpan Ki, et les femmes interrogées,
autant le moulin suscita vite l'attrait et la curiosité des femmes,
autant il entraîna des résistances. En effet, « beaucoup
de personnes disaient que la pâte préparée à partir
de la farine sortie du moulin n'était pas bonne. EIles disaient que la
pâte avait un goût de gas-oil, qu'il y avait du fer dedans.
Certains hommes trouvaient que « sa
80
pâte» étaient gluante (« a wu a
zoron ») et qu'elle ne rassasiait pas ». Relevons ici que tout
changement de situation fait apparaître très vite les
différences avant le temps de l'adaptation. Ainsi en est-il du
goût du gas-oil et du fer. Le fait que la pâte soit
considérée comme « gluante » était dû
à la grande finesse de la farine obtenue au moulin. Le moulin
écrase fin, alors la pâte ne peut qu'être lisse
comparativement à la farine de la meule qui contient des débris
de granite. Tout ceci nourrit des représentations. Une relation est vite
établie entre la douceur de la pâte et sa digestion rapide. Ainsi
on peut dire alors que « la pâte du moulin » ne rassasie pas.
Ces premières réactions ont, selon les personnes
interrogées, poussé certains maris à interdire à
leurs femmes l'usage du moulin.
Par ailleurs, beaucoup de femmes trouvaient aussi que la
farine obtenue du moulin était difficile à préparer.
« A wu basii don goon nè » ( « Sa pâte
fuit dans la marmite ») disaient-elles ; ou bien encore « A
wu kokore » (« Sa pâte forme des boulettes farineuses
»). Le problème ici est clair, c'est celui de la
maîtrise de la préparation de la farine lisse. La
préparation de cette nouvelle qualité de farine nécessite
un apprentissage par des gens qui pourtant savent déjà
préparer. L'adoption d'une technologie nouvelle est synonyme ici de
changement des habitudes. C'est également là que le changement
peut être appréhendé comme une rupture. « Tout
apprentissage requiert rupture, tout changement véritable signifie crise
pour ceux qui le vivent ». (Crozier et Friedberg : 1972 : 400).
Une analyse plus approfondie de ces données
révèle que nous nous situons au niveau des étapes de
l'adoption des innovations. Comme élan de décision d'accepter
l'innovation et de modifier le comportement, l'adoption est définie par
Van Den Ban (1994 :115) comme un « processus mental par lequel l'individu
passe de la connaissance initiale d'une innovation à la décision
de l'accepter, de la pratiquer ou de la rejeter, cette décision
étant ultérieurement confirmée ». Les
représentions sociales participent de la disposition mentale des
populations au sujet de l'innovation. Nous retrouvons ici la dimension
culturelle de l'innovation technologique. Il y a nécessairement
rencontre de cultures ou acculturation qui peut réussir ou
connaître un échec. En effet, comme le souligne Treillon (1992 :
47) « toute innovation est confrontée à un ensemble
structuré de normes, de règles et de valeurs correspondant
à l'environnement symbolique propre à une communauté. A
défaut d'intégration possible à ce niveau, la
nouveauté a tendance à être rejetée ». Ceci
explique pourquoi au départ certains hommes interdisaient l'usage du
moulin à leurs femmes. Par ailleurs, le moulin est vu, aujourd'hui
encore, comme un outil des Blancs dont beaucoup de personnes dans les villages
ignorent le mode de
81
fonctionnement. Le moulin, comme d'autres engins
motorisés, est toute une mécanique qui échappe au commun
des villageois et de surcroît aux femmes qui ont peu d'occasion de les
manipuler. Et par rapport aux avantages du moulin, on entend facilement dire
« les Blancs sont venus nous donner du repos » («
Nansaran man ne da susui ko wo la »). Si la relation du moulin au
Blanc dit son origine, il reste dans les consciences un objet lointain, non
encore approprié mais dont on peut profiter des effets bienfaisants. Par
métonymie, les gens substituent le Blanc au moulin. Ainsi, le repos
procuré par le moulin est perçu ici comme le résultat
d'une action salvatrice du Blanc ou de l'Occident si on ne veut pas parler en
terme de race. La réalité sous-jacente de ces propos est celle de
la reconnaissance d'une supériorité technique qui
différencie les sociétés. Cette supériorité
technique s'évalue au rendement de l'outil ou de la méthode
utilisée. Selon Ecrement (1984 :60) citant Marglin (in Gorz A.
,Critique de la division du travail, Seuil, Paris , 1973, P.48),
« une méthode de production est dite technologiquement
supérieure à une autre si elle crée plus de produits avec
les mêmes facteurs (effectifs de main-d'oeuvre diversement
qualifiée, durée et intensité du travail, matières
premières, énergies, équipement de production ...) ou
encore si elle crée la même quantité de produits avec
proportionnellement moins de facteurs ». Ecrement donne ailleurs une autre
citation de Marglin complétant cette première définition
de la supériorité technique : « Une méthode de
production est dite technologiquement efficace s'il n'existe aucune autre
méthode technologiquement supérieure qui puisse lui être
substituée hic et nunc » (idem, p. 94). Les villageois
sont conscients de cette réalité dans le cas du moulin et de la
meule de pierre. Il y a supériorité technologique d'une culture
par rapport à une autre à partir du constat de la
différence d'efficacité des outils. Toutefois, signalons qu'en
vérité, les résultats s'évaluent par rapport au
contexte. Car ce qui semble supérieur ou efficace pour les uns peut ne
pas l'être pour les autres.
Par ailleurs, le caractère mécanique du moulin
fait croire à certaines personnes que ce dernier « ne se
fatigue pas ». Cette réflexion est d'ailleurs courante chez
les Sanan qui considèrent que le fer résiste à tout :
« Waa ne wé folo a ? ». Littéralement, cette
phrase se traduit par « Qu'est-ce qui peut faire souffrir le fer ?
». C'est ainsi que certaines personnes ne comprennent pas pourquoi
après deux ou quatre heures de fonctionnement, il faut laisser le moulin
« se reposer ». Le moulin incarne une puissance de travail
qui n'existe pas chez la personne humaine. En outre les femmes pensent que son
maniement convient aux hommes et non à elles. En fait, elles ne peuvent
penser autrement dans un contexte culturel où la métallurgie est
réservée à l'homme et le travail de la glaise à la
femme, si l'on se réfère à l'exemple du forgeron et de la
potière.
82
D'autres représentations naissent autour des moulins en
ce qui concerne la propriété. Les moulins individuels des
commerçants sont vus et considérés comme tels en rapport
au commerce et à la propriété privée tandis que les
moulins des groupements sont liés à l'aide et à la
propriété collective. Il s'ensuit alors des différences de
comportements selon que l'on est chez tel ou tel propriétaire ou au
moulin communautaire.
Pour nous résumer, les représentations sociales
nous permettent d'aller au coeur de la complexité des interactions entre
la diffusion des techniques et la dynamique du changement social. Et «
étudier ce que les utilisateurs font (et ne font pas), les
représentations mentales qu'ils associent à ces usages, c'est
éclairer les modalités d'appropriation de la technique par la
société » (Scardigli, 1992 :11).
Conclusion partielle
Dans ce chapitre il a essentiellement été
question des techniques et des technologies de mouture des
céréales. Nous avons vu que les technologies anciennes propres au
pays san remplissaient des fonctions techniques et symboliques en lien avec les
besoins et les représentations sociales. Ceci révèle que
la technologie n'est pas en dehors de la culture que nous définissons
comme l'ensemble des représentations et des manières de faire
d'une société. Au contraire, elle prend corps dans la
société et devient son expression culturelle. Ainsi, le mortier,
le pilon, la meule de pierre sont des éléments de la culture
matérielle des Sanan. Mais les sociétés évoluent
dans le temps avec leurs cultures. C'est pourquoi la culture matérielle
des Sanan s'est enrichie à un moment de son histoire par d'autres
éléments culturels étrangers que sont les moulins.
Ce passage d'une technologie à une autre constitue un
progrès et une innovation technologiques. A la lumière de la
théorie de la diffusion, selon laquelle un fait culturel
caractéristique d'une société donnée
pénètre dans une autre qui l'emprunte et l'adopte, nous pouvons
comprendre comment progressivement les moulins ont été introduits
et se sont répandus dans le département de Toma grâce
à des pionniers, des porteurs sociaux externes et internes. Comme
processus dynamique, l'innovation technologique a une profonde influence sur la
culture. Si le moulin remplit de manière rapide et efficace la
même fonction technique que les anciennes technologies de mouture du pays
san, il supprime cependant les fonctions symboliques et crée d'autres
représentations sociales. En outre il remet en cause l'ancienne
83
division sociale du travail. Ce faisant, il réorganise
les rapports sociaux. Les rôles et les places des femmes s'en trouvent
modifiés.
Le rapport de l'homme avec l'outil a été
également mis en relief dans ce chapitre à travers la question
des techniques du corps. Les techniques s'adaptent aux différents
outils. Le passage de la meule de pierre au moulin motorisé implique un
changement de technique et de logique. Tout cela révèle
finalement que l'être humain est un ensemble de possibilités,
capable de s'adapter et d'apprendre de nouvelles techniques.
Il importe cependant, par rapport aux différentes
couches sociales, d'étudier les incidences de l'innovation
technologique. C'est l'objectif du prochain chapitre consacré à
l'impact du moulin sur la vie des femmes du département de Toma.
84
CHAPITRE 4 : IMPACT DU MOULIN SUR LA VIE DES
FEMMES
DANS LE DEPARTEMENT DE TOMA.
Si dans le chapitre précédent nous nous sommes
intéressé aux technologies de mouture, il convient dans le
présent chapitre de présenter et d'analyser leur impact. Par
impact, nous entendons l'influence qu'exercent les technologies sur la vie des
populations qui les utilisent. Cette influence naît de la relation
dynamique entre l'homme et l'outil. Les effets des moulins, dans le
département de Toma, se manifestent au niveau de toutes les couches
sociales d'une manière ou d'une autre. Tout en ne négligeant pas
les autres composantes de la société, nous avons choisi
d'étudier l'impact sur les femmes à qui revient, à plein
temps, l'activité de transformation des aliments dans leur rôle de
ménagères. Procédant par la méthode comparative,
nous présentons ici les différents points de vue des femmes pour
mieux mettre en évidence l'impact du moulin par rapport à la
meule en silex. Notre présentation s'articule autour de quatre axes :
L'impact d'ordre physico-biologique, le temps de travail féminin,
l'impact sur la vie économique et l'impact sur la vie sociale. Les
données présentées ici sont celles de nos enquêtes
et observations de terrain.
1. IMPACT D'ORDRE PHYSICO-BIOLOGIQUE.
La culture a une composante biologique dans la mesure
où les activités sociales réagissent sur l'organisme
humain. C'est pourquoi, le sociologue et l'anthropologue ont aussi pour objet
l'étude des phénomènes physico-organiques car ceux-ci
concernent l'homme et son environnement. La prise en considération de
ces phénomènes, à travers une analyse croisée, leur
permet de comprendre certains comportements et institutions sociaux et de
rendre les interprétations pertinentes. L'impact physico-biologique du
moulin intègre les dimensions sanitaire et nutritionnelle.
D'un point de vue sanitaire, le repos et l'absence de fatigue
physique constituent les premières réponses de la totalité
des femmes à la question « quels sont, selon vous, les avantages du
moulin ? ». Les femmes disaient : « A na da susui ko wo la
» (« Il est venu nous donner le repos ») ou encore
« A na da noma bo wo mii ni » (« Il est venu
enlever de notre tête
85
la fatigue »). Littéralement
rapportées ainsi, ces expressions mettent bien en relief un rapport
entre la présence du moulin et le corps humain. Comparativement au
mortier et à la meule, le moulin présente des avantages pour
l'organisme humain. L'expression « enlever de la tête »
présente la fatigue occasionnée par la meule ou le mortier comme
un fardeau dont le moulin décharge les femmes. C'est bien d'ailleurs
dans ce sens que la plupart des études de cas sur les moulins signalent
que le moulin « allège » la fatigue des femmes dans leurs
travaux ménagers. A titre d'exemple, Marie-Christine Gueneau (1986 : 61)
écrit : « Le moulin prend en charge la phase de préparation
du mil la plus pénible, celle de la mouture des grains,
traditionnellement effectuée par écrasement entre deux pierres.
Le moulin est donc l'instrument d'une moindre pénibilité de
travail des femmes ». Les femmes interrogées ne manquent pas
d'exprimer leur douleur : « Le jour où tu écrases sur la
meule, nous dit une femme, elle te fatigue ; le lendemain tu ne peux
plus rien faire. Ta poitrine se contracte, ton cou se raidit, tu as mal aux
bras et aux épaules ; tes paumes chauffent ». Comme travail
manuel, la mouture à la meule demande une dépense
énergétique à tout l'organisme humain. Un effort excessif
demandé aux muscles finit par les endolorir. Il convient en effet de
signaler que dans l'ordre des étapes des travaux de la
préparation du mil en pâte, la mouture intervient en
cinquième position, soit en avant-dernière position, après
la séparation du grain de l'épi, le vannage, le nettoyage et le
décorticage. Cette chaîne d'activités occupe les femmes
pendant toute la journée de cuisine. Selon Sautier et
Odéyé (1989 : 51), « le rendement horaire moyen du
décorticage au pilon a été calculé au
Sénégal : de 9,3 à 13kg/h/femme (...). Le
CRDI17 (1983) donne un temps de pilonnage de 11à 21 minutes
pour 3kg de grains (...). Le décorticage manuel est donc une
opération longue et pénible (dépense
énergétique de 20à 62kJ/kg) ». En outre, signalons
qu'il n'est pas évident que les dépenses
énergétiques des femmes sont proportionnellement
compensées en calories et vitamines.
Si la pénibilité du travail de mouture doit
être mise en rapport avec la nature même de l'activité, elle
doit être également évaluée par rapport au nombre de
personnes à la charge de chaque femme par famille. Mahaman (1990 : 27),
étudiant le cas des femmes nigériennes, écrit à ce
propos : « Il est important de signaler à titre d'exemple que pour
nourrir une famille moyenne de cinq (5) personnes travaillant aux champs, il
faudrait moudre par jour environ 15 kilogrammes de grains, et dire que ces 15
kilos doivent être travaillés par une seule personne serait
vraiment une corvée ». Certes, la quantité de 15 kilogrammes
pour 5 personnes nous
17 CRDI : Centre de Recherche pour le
Développement International (Canada).
86
paraît une exagération. On imagine mal une
personne consommant 3 kilogrammes de nourriture par jour. Mais la taille des
familles est ici une donnée importante pour comprendre la souffrance des
femmes dans leurs activités ménagères. Les
résultats de notre enquête montrent, sur 20 familles, un effectif
moyen de 9 personnes à charge par femme. Il faudrait, pour la ration
journalière de 9 personnes, doubler la mesure d'une boîte de 3,5
kilogrammes de grains (soit 7 kilogrammes). Or, piler et moudre une telle
quantité de grains n'est pas une tâche facile pour une seule
femme. Nous convenons donc que la taille des familles, la quantité de
grains à travailler, la nature même de l'activité, le temps
de travail et l'état rudimentaire des outils concourent conjointement
à la pénibilité de la transformation des
céréales chez les femmes.
Par ailleurs, outre la question du repos et de
l'allégement de la fatigue, beaucoup de femmes à Toma, (où
il y a déjà une longue expérience du moulin), nous
montraient leurs paumes devenues lisses depuis qu'elles ne se servent plus de
la meule. La présence du moulin diminue les risques de courbatures, de
contraction de la poitrine et de cancérisation des mains. Cependant chez
certaines personnes, le pilon laisse encore une grosse croûte sur le
pouce (Cf. Photo n°9). Si, comme exercice physique, la mouture des grains
sur la meule peut constituer un sport, elle détériore plus vite
la santé des femmes de constitution fragile. Ce qui peut avoir des
répercussions sur leur vivre en société.
Déjà, la fatigue de la journée peut, à elle seule,
être cause d'incompréhension entre la femme et son mari face
à certaines exigences de ce dernier.
La prise de conscience de la pénibilité de
l'écrasement manuel des grains fait que, de nos jours, le moulin
devienne une exigence de mariage dans les villages du département de
Toma : « Par crainte de la souffrance et de la fatigue, dit un
jeune homme de Sawa, certaines filles te demandent d'abord si un moulin
existe dans votre village avant d'accepter de devenir ta femme. Toutes nos
filles vont se marier à Toma à cause du moulin ». Comme
pour attester cet état de fait, les femmes âgées, que leurs
brus ont relayées au foyer et qui n'ont connu que la mouture à la
meule, trouvent que le moulin est venu rendre les femmes paresseuses. «
Wosèn woa wara, dié ne n yiri kwè mãsin gana ?
Ma n boé do n da wosa mièn nè n wudi lè ko nla , aa
miè, n bii n ton woatan » (« De notre temps, qui
pensait au moulin ? Lorsque tu reviens du champ le soir, on te donne le mil et
le repas est prêt avant que les gens ne dorment »). On note une
certaine fierté chez ces femmes à raconter leur passé. Ces
propos nous semblent relever du phénomène de conflit de
générations. Car les femmes qui ont fait l'expérience de
la meule puis du moulin trouvent que leur situation était proche de
l'esclavage. « Nous nous tuions » disent-elles («
wo wo gwan ndini dii »).
87
A ce niveau, nous pouvons pour l'instant conclure que le
moulin permet aux femmes de conserver leur santé, en leur
épargnant la dure corvée de la mouture manuelle.
Du point de vue de la consommation, les femmes signalent la
finesse de la farine obtenue au moulin par rapport à la meule. Elles
évaluent cette qualité en fonction de l'absence des grains de
pierre dans la farine. Cette absence de grains de pierre est un avantage dans
la mesure où elle concourt à diminuer le taux de maladies de
ventre ou d'appendicite. De plus, le moulin sort une farine
hygiéniquement propre et dispense de l'usage d'un tamis pour
éliminer les saletés.
Au total, le moulin présente pour l'organisme humain
des avantages importants pour la santé, en lien direct ou indirect avec
la vie sociale. Tandis que la meule participe à la réduction
progressive et rapide de la force de travail, le moulin conserve l'individu. Un
homme de Toma nous disait : « Depuis que le moulin est là, nos
femmes sont regardables ; elles ont belle apparence ». Outre son
impact physico-biologique, le moulin garde une place importante dans le temps
de travail des femmes.
88
Photo 9: Marques laissées par le pilon sur la
main.
Photo Jn. P. Ki, Toma, le 27/8/1999.
2. LE TEMPS DE TRAVAIL FÉMININ.
L'emploi de temps des femmes rurales est une question
fondamentale aujourd'hui dans l'idéologie de promotion de la femme. Ce
temps dont on pensait que les habitants du milieu rural n'ont aucune notion,
est devenu aujourd'hui un enjeu important. Nous avons fait du gain de temps une
de nos hypothèses de recherche en nous basant sur le fait que les
techniques et technologies modernes, de façon générale,
présentent un avantage en terme de rapidité et, partant, font
gagner du temps. Cette hypothèse se vérifie-t-elle aussi avec le
moulin ou bien le moulin ne fait-il que déplacer le contenu de l'emploi
du temps des femmes ? Quelles nouvelles
89
contraintes le moulin impose-t-il aux femmes ? Les
réponses des femmes à ces deux principales questions nous
permettront de tester notre hypothèse.
a). Gain de temps par rapport à la meule.
Dans tous les villages parcourus où nous posions aux
femmes la question de savoir si le moulin était vraiment rapide par
rapport à la meule et quels étaient ses avantages, les femmes
répondaient à 100% que le moulin est rapide et leur permet de se
reposer. Elles relevaient par-là la différence entre un travail
manuel et un travail fait à la machine. Les réponses comme
celles-ci nous ont été données : « Le moulin
donne le repos, il est rapide. Même quand tu pars au champ, tu peux venir
et préparer la nourriture ». Ou bien encore : « Le
moulin ne fatigue pas ; si tu as un autre travail, tu peux aller le faire, tel
que aller chercher le bois par exemple ». Enfin d'autres femmes
ajoutent : « C'est quand tu as une grande quantité de mil que
tu connais la valeur du moulin ». Toutes ces réponses tendent
ainsi à montrer que le moulin est rapide et, partant, avantageux. Les
femmes le savent par rapport à leur propre rythme de travail, à
l'ensemble de leurs activités et au temps mis par le moulin pour
écraser les quantités de grains qu'elles y apportent.
Dans notre recherche, nous ne nous sommes pas contenté
du seul point de vue des femmes. Interrogés également, certains
maris affirment manger plus tôt le soir depuis qu'il y a un moulin dans
leur village. De plus, le souci de vérification de notre
hypothèse sur des bases objectives nous a conduit à
procéder le 13/1/2000 à une expérience de mouture en vue
de relever les écarts de temps. Le temps mis par le moulin pour
écraser 3,5 kg de mil (mesure d'une boîte)18 est de
quatre minutes (4 mn) tandis qu'une femme a mis 1h 25 mn pour écraser la
même quantité. L'écart en temps est bien grand et le serait
davantage avec une quantité plus grande qui finirait par épuiser
la femme.
Ainsi, il n'y a pas de doute que le moulin soit techniquement
plus rapide. Mais la mouture des grains au moulin fait partie de tout un
engrenage formant un système que les femmes n'ignorent pas. C'est
pourquoi, en même temps que les femmes affirment la rapidité du
18 La mesure d'une boîte est celle que les
familles nombreuses jusqu'à 7 personnes utilisent comme ration
quotidienne. Cette quantité se prépare chez la plupart des femmes
dans des marmites N°5 ou N°6 (12 à 14 litres). Les familles
plus nombreuses que 7 et qui atteignent 10 personnes, et même plus, sont
obligées de doubler la boîte, ce qui donne une quantité de
l'ordre de 7 à 10 kilos si l'on tient compte de la façon
exagérée des femmes de mesurer le mil au moulin. La mouture de
telles quantités à la meule occupe une large partie du temps des
femmes.
90
moulin, elles ajoutent à leurs réponses «
A condition que tu partes trouver que le moulin n'est pas rempli de mil
». Ceci veut dire que la question du gain de temps n'est pas
seulement liée à la rapidité mécanique du moulin.
Elle doit être perçue et analysée en rapport avec
l'ensemble du système de mouture et même du système social
: le temps mis pour se rendre au moulin et en revenir, l'alignement, etc. Le
système du rang en effet ne permet pas parfois aux femmes de constater
qu'elles gagnent du temps. Dans les villages où de façon
générale les femmes préparent la ration alimentaire pour
deux jours, il arrive souvent que presque toutes les femmes du village se
retrouvent à l'unique moulin lorsqu'il n'y en a pas deux. Les
premières reviennent tôt du moulin mais beaucoup accusent du
retard dans la préparation. Lorsque le moulin est rempli comme le montre
la photo N°10, les femmes qui tiennent la dernière position dans le
rang peuvent attendre entre 30 minutes à une heure avant que leur tour
de mouture arrive. Certaines affirment que leur mil a séjourné
plusieurs fois au moulin. Dans ce cas, la famille dort à jeun ces
jours-là. D'autres, de retour du moulin, constatent que leurs camarades,
qui ont utilisé la meule, ont fini de moudre et commencé la
préparation du repas familial. Parfois aussi, l'éloignement du
moulin crée du retard : surtout lorsque ce dernier est situé dans
un autre village. Au nombre des occasions de perte de temps des femmes au
moulin, il faut citer les nombreuses pannes qui créent des blocages
systématiques pour tout un village lorsqu'il n'y a qu'un seul moulin.
Les femmes n'ont alors le choix qu'entre aller écraser leurs grains dans
un autre village à pied (peut-être envoyer un enfant à
vélo) et retourner à la meule en pierre. Or la plupart des femmes
ont abandonné la mouture manuelle et arraché leurs meules depuis
l'installation des moulins. Elles attendent donc, espérant à
longueur de journée, que le moulin soit réparé.
Nous avons observé aussi que les femmes, pour gagner du
temps, confient leur mil à d'autres camarades qui se chargent de suivre
la mouture tandis qu'elles-mêmes vaquent à d'autres occupations.
Il en est de même lorsqu'elles envoient leurs enfants au moulin. Cette
délégation de service reste difficile dans le cas de la mouture
manuelle où c'est la femme elle-même qui devra suivre le processus
de mouture de bout en bout.
Ces quelques exemples montrent combien le moulin est
techniquement reposant, rapide et libère du temps pour les femmes. Mais
la distance, les pannes et l'abondance de mil au moulin sont des
paramètres dont il faut tenir compte dans une analyse systémique
du problème. Dans certains villages, deux moulins aideraient les femmes
à mieux résoudre le problème du temps. Mais le pari de la
rentabilité financière serait difficilement gagné,
à cause de la petite
91
taille de la plupart des villages. Ces derniers atteignent
à peine une population de mille habitants. Or selon le rapport du
séminaire national tenu en 1984 sur les moulins villageois
(Ministère du développement rural, 1984 : 20), il faudrait un
minimum de 1500 habitants pour implanter un moulin dans un village. Remarquons
ici que si le rapport population / consommation indique la rentabilité,
c'est surtout la quantité de grains écrasés qui est la
mesure de cette rentabilité19.
Selon les femmes et à partir de notre expérience
de chronométrage de l'activité de mouture, la
réalité est que le moulin libère du temps pour les femmes,
malgré le temps d'attente. En cela notre hypothèse se trouve
vérifiée. Les femmes elles-mêmes évaluent cette
libération du temps à partir du repos qu'elles ont
désormais au regard de leurs emplois de temps (dont nous avons
déjà construit le tableau au Chapitre II), de la
possibilité d'accomplir d'autres activités au cours de la
journée, et surtout de la quantité de mil à
écraser. C'est ce temps libéré qui leur permet
d'entreprendre des activités génératrices de revenus afin
de payer encore le prix de la mouture. Nous pensons que l'analyse du gain de
temps doit se faire à travers une approche systémique afin
d'être pertinente. Nous présentons dans le tableau suivant les
gains et pertes des deux systèmes de mouture.
Tableau 9 : Comparaison des gains et pertes des deux
systèmes de mouture.
|
Pertes
|
Gains
|
MEULE MANUELLE
|
- Fatigue corporelle.
- Perte en temps plus grande. - Isolement de la femme dans le
cadre familial.
- Remémoration des soucis et souffrances à travers
le chant.
|
- Avantage d'avoir l'outil de mouture à
domicile.
- Possibilité de mettre la marmite au feu pendant la
mouture.
|
MOULIN
|
- Attente plus ou moins variable.
- Distance (variable). - Pannes.
|
- Repos.
- Communication avec autrui.
- Informations.
- Ouverture à la vie du village.
- Oubli momentané des soucis de ménage et
personnels.
- Possibilité de relations commerçantes (kola,
arachides, sel, cube maggi...)
|
Source : Nos enquêtes
19 Selon le même rapport (1984 : 32) une activité
de 108 tonnes par an peut garantir cette rentabilité en ramenant les
tarifs à 12 F CFA le kilo. Une question demeure cependant : comment
évaluer les quantités écrasées au village ? Nous
avons proposé le système pesée des grains à
certains GVF et commerçants, mais les femmes trouvent cette
méthode désavantageuse pour elles car elles ne pourront plus
mesurer à déborder. Certains commerçants par contre
semblent favorables à cette idée.
92
Une analyse croisée de chacun des
éléments de ce tableau (qui interviennent tous dans la
problématique du gain global de temps) avec les autres, montre qu'il y a
un gain dans l'usage du moulin. Par ailleurs, cette comparaison des gains et
pertes des deux systèmes de mouture nous amène à conclure
que le moulin fait gagner plus de temps aux femmes qu'il ne leur procure du
repos. Le moulin fait travailler les femmes deux fois plus qu'auparavant. Car
le temps gagné dans la rapidité du moulin est investi dans
d'autres tâches ménagères, des activités
génératrices de revenus et même des travaux
champêtres (cf. infra la gestion du temps). C'est pourquoi il convient de
retenir avec Isabelle Droy (1990 : 162) qu'en zone rurale « contrairement
à une idée répandue, le temps libre est une denrée
rare et tout accroissement du temps de travail agricole doit s'accompagner d'un
allègement des autres tâches ». Cette dernière
proposition reste encore un idéal dans la plupart des communautés
villageoises. Le temps gagné grâce au moulin est loin d'être
un temps de repos ; toutefois, il est à l'avantage des femmes dès
lors que les activités génératrices de revenus par exemple
leur apportent une indépendance économique et
financière.
Du point de vue de la socio-anthropologie, peu d'auteurs se
sont intéressés à la question du temps (ou plutôt
nous n'avons pas trouvé de la documentation à ce propos).
L'importance du temps a été montrée par Benjamin Franklin
(cité par Max Weber 1964 : 44) à propos de l'esprit du
capitalisme : « Souviens-toi que le temps c'est de l'argent ». Mais
en dehors de l'esprit capitaliste et de son caractère mesurable, le
temps a des implications sociologiques importantes. Le temps est
précieux à plusieurs égards. D'abord, le temps est un
moment de l'action humaine permettant l'accomplissement d'activités pour
la vie. En disposer donc est très important. Ensuite, le temps est celui
des interactions sociales et des affaires.
Des données qui précèdent, il ressort que
les technologies modernes ont l'avantage de permettre l'acquisition d'un temps
supplémentaire à cause de leur rapidité. Notre
préoccupation à présent est de savoir quelle gestion les
femmes font du temps libéré par le moulin ?
93
Photo 10. Rang au moulin à
Koin
Photo Jn. P. Ki. Koin, le 2/1/2000. b). La gestion du
temps libéré
Afin de connaître la gestion que font les femmes de leur
temps, nous leur avons posé les questions suivantes : « Quels sont
les avantages du moulin ? Que fais-tu lorsque tu envoies ton mil au moulin ?
». Les réponses des femmes sont orientées dans deux
directions en fonction des réalités qu'elles vivent au quotidien.
Tandis que certaines disent qu'elles laissent leur mil au moulin ou le confient
à d'autres camarades pour aller vaquer à d'autres
activités ménagères (aller chercher de l'eau, du bois, des
légumes ...), pour d'autres cette pratique est difficile parce qu'on
vole le mil au moulin. Alors elles préfèrent rester auprès
de leur mil jusqu'à écrasement complet. Mais la question du temps
libéré est fonction de la rapidité du moulin.
Généralement lorsque les femmes reviennent tôt du moulin,
elles en profitent pour enchaîner avec les autres
94
activités ménagères afin de se
ménager un large temps de repos le soir. Nous constatons que les femmes
sont maintenant fréquentes dans les cabarets de yo
(bière de mil) le soir vers 17 h 30 - 18 h, heure à laquelle,
avant la venue de moulins dans certains villages, elles étaient
attelées à la préparation des repas. En effet, les femmes
reconnaissent que depuis l'arrivée des moulins dans les villages, elles
finissent de préparer avant la tombée de la nuit. Ceci indique
que le temps libéré par le moulin sert aussi aux loisirs tel que
boire une calebasse de yo en compagnie d'autres femmes ou même
rendre visite dans les familles amies. Disons que la gestion du temps
libéré par le moulin est liée à l'organisation
individuelle de chaque femme qui devra savoir le mettre à profit, car ce
temps tel que nous en parlons n'est jamais une suite continue d'heures libres.
Il est bien morcelé, reparti entre d'autres tâches
ménagères ; ces tâches sont loin d'être
supprimées par la présence du moulin. Enfin, face à la
contrainte financière imposée par le moulin, les femmes utilisent
également le temps libéré aux activités dites
génératrices de revenus (aspect que nous développerons
dans la prochaine sous-section).
En somme, les femmes emploient leur temps
supplémentaire à de multiples autres activités dans le
domaine ménager incluant la production et la transformation de produits
dont elles ne sont pas les seuls bénéficiaires. La
problématique du temps dans le cadre de notre étude
s'insère dans celle de la condition de la femme et dans celle de son
travail domestique. De nombreuses études (Riss,1989 ; Bisilliat, 1992 ;
Combes et Dévreux, 1992...) montrent que « le travail domestique
quotidien demande beaucoup de temps à la femme » (Riss, 1989 : 64).
Malheureusement, les données chiffrées permettant une
évaluation approximative du temps de travail domestique des femmes
manquent, comme cela l'est d'ailleurs pour l'ensemble de l'économie
domestique. Néanmoins, les travaux domestiques tels que la recherche
d'eau, de bois, le soin des enfants, la préparation des repas occupent
pendant de longues heures les femmes qui, de surcroît, s'adonnent aux
travaux champêtres pendant la saison des pluies. C'est au coeur de cette
réalité quotidienne que les technologies appropriées
prennent une importance comme moyen d'allégement du travail. De fait,
« la vie domestique de la femme connaît des améliorations
grâce à la vulgarisation des machines collectives » (Riss
1989 : 102). Cependant, ces améliorations ne sont pas sans influence sur
la vie économique de la femme.
95
3. LES ASPECTS ECONOMIQUES DE L'IMPACT DU MOULIN.
Notre étude des aspects économiques de l'impact
du moulin sur la vie des femmes prend en compte les contraintes
apportées par le moulin et la question de l'accès des femmes au
moulin et de l'appropriation de ce dernier.
a). Les contraintes du moulin
Il est clair que la plupart des changements apportés
par les technologies modernes exigent des moyens financiers. Le moulin exige
des femmes une participation financière, ce qui les oblige à
entreprendre des activités économiques.
+ Rapport rapidité - coût.
On gagne en temps, mais la pénibilité n'est pas
pour autant éliminée. Il y a quelque part un prix à payer.
L'expérience des technologies modernes montre qu'il est parfois
très difficile d'allier rapidité et moindre frais. Plus on va
vite, moins le temps est long et plus le prix de consommation est
élevé. L'exemple simple du transport terrestre et aérien
nous fait comprendre cette théorie. Le moulin ferait-il l'exception ?
Lors de nos enquêtes, les femmes nous disaient : «
Si tu utilises la meule tu économises ton argent mais tu ne finis
pas vite » ou bien encore « Le moulin est rapide mais
occasionne beaucoup de dépenses ». « Les moulins
n'enrichissent que leurs propriétaires ». Certaines femmes
allaient jusqu'à dire que depuis l'arrivée du moulin, elles
n'arrivent plus à s'acheter des pagnes. Le refrain courant est celui-ci
: « Mãsin lè woa woro tuma bii » (« le
moulin mange tout notre argent »). Les femmes affirment ne plus pouvoir
économiser suffisamment d'argent. Ceci est d'autant plus vrai que dans
les villages les maris ne donnent l'argent de mouture du mil que lorsqu'ils
engagent des ouvriers pour les travaux champêtres ou lorsqu'il y a des
fêtes ou des funérailles. Ils se contentent de dire à leurs
femmes que chacun doit contribuer à la nutrition de la famille ; ils
disent avoir donné le mil de leur grenier, alors la femme aussi doit
payer la mouture. Une analyse de ces données révèle bien
un changement de mode de vie qu'il faut désormais apprendre à
gérer. Cette évolution du mode de vie aboutit à la
pénétration des rapports marchands dans la vie familiale. Le
moulin vient poser avec acuité la question de l'argent dans la vie
domestique des femmes rurales. Cette vie, dans le contexte ancien,
96
n'exigeait ni de la femme ni du mari aucune contribution
financière. Il suffisait que l'homme donne à la femme le fruit de
son champ et que celle-ci apporte les légumes de son jardin potager pour
que le repas familial soit assuré. Aujourd'hui, avec le moulin, l'effort
de contribution doit s'accroître. La monétarisation de
l'économie familiale aura également une incidence sur l'espace
géographique de la femme dont nous parlerons de manière plus
approfondie dans la sous-section concernant les rôles et places des
femmes (Cf. 4. : les aspects sociaux de l'impact du moulin).
Sur un autre plan, la plupart des femmes des villages (80%)
signalent que depuis l'existence d'un moulin dans leur village, leur
participation aux travaux champêtres a augmenté. Nous donnons ici
à titre d'exemple la réponse d'une femme : « Le moulin
nous a apporté le repos, mais surtout les travaux des champs
». La logique de cette phrase semble incorrecte mais elle est
correcte dans la mesure où la présence du moulin n'a fait que
« changer le fusil d'épaule ». La pénibilité du
travail n'est pas supprimée mais transférée à un
autre pôle. L'évaluation en terme de gain révèle que
les femmes gagnent sur un plan en perdant plus sur d'autres. Avec la meule en
pierre, elles perdaient du temps, leur santé était quelque peu
atteinte, mais elles économisaient leur argent pour d'autres besoins,
même de santé. Maintenant avec le moulin, elles gagnent du temps
mais n'économisent plus, travaillent davantage au champ avec leurs maris
qui refusent de payer la mouture et enfin doivent travailler doublement pour
avoir l'argent de cette mouture. L'on se demande s'il s'agit de la pratique du
dicton « qui perd, gagne » ou bien « qui gagne, perd». En
tout cas, l'hypothèse que le moulin allége le travail des femmes
ne se vérifie pas ici. En terme de production, le moulin a plutôt
alourdi le travail des femmes. La preuve nous est donnée dans les
contraintes de travaux champêtres imposés par les maris sous le
prétexte de la rapidité du moulin à moudre les grains.
Dans le même ordre d'idée, il faut reconnaître que le moulin
joue à peu près le même rôle que la charrue quant
à l'augmentation des superficies des champs. Le moulin permettant la
mouture de grandes quantités de grains, les maris ont la
possibilité d'embaucher et de nourrir un nombre important d'ouvriers
pour les travaux des champs. Ce qui demande à la femme plus de travail
pour le pilage, le décorticage et la préparation de la
nourriture. Si à cela s'ajoute la régularité d'embauche
d'ouvriers comme cela se fait dans certaines familles à Sien et à
Toma, les femmes finissent par ne plus avoir de repos, tandis que le moulin
aura accru la superficie des champs grâce au travail des ouvriers. Une
autre preuve de l'alourdissement du travail des femmes, ce sont les multiples
activités entreprises en vue de trouver l'argent de la mouture. Il
ressort donc
97
que le moulin allège seulement l'activité de
mouture, mais non le travail domestique des femmes.
Du point de vue financier, le moulin appauvrit les femmes.
Dans un contexte de précarité économique, il les appauvrit
en augmentant leurs charges financières. Ceci est une piste
d'interprétation qui nous permet de comprendre leurs manières
exagérées de mesurer les quantités de mil et leur refus de
payer la mouture au kilogramme. En effet, le minimum des dépenses
quotidiennes de mouture par femme à Toma est de 50 F et de 25 F dans les
autres villages20 à raison de la mesure d'une boîte
pour la ration d'une famille de taille d'environ 5 personnes. Or, les effectifs
par famille atteignent parfois 15 personnes à charge. Ce qui double ou
triple le prix à payer. La dépense mensuelle minimum par femme
à Toma s'élève à 1500 F CFA si elle paie le prix
d'une boîte et à 3000 F si la mesure est doublée. Dans les
villages, cette dépense est réduite de moitié (750 F et
1500 F) à cause de l'alternance des jours de préparation (tous
les deux jours). On peut étaler ces dépenses sur l'année.
On aura alors pour Toma les sommes de 18000 F et 36000F par femme et pour les
villages 9000 F et 18000 F par femme. Ces données
présentées dans un tableau peuvent être mieux
observées.
Tableau 10: Dépenses mensuelles et annuelles de
mouture par femme à Toma et dans les villages environnants.
|
Toma
|
Villages alentours
|
Une mesure (50 F )
|
Deux mesures (100 F)
|
Une mesure (50 F)
|
Deux mesures (100 F)
|
Par mois
|
1 500 F CFA
|
3 000 F CFA
|
750 F CFA
|
1 500 F CFA
|
Par an
|
18 000 F CFA
|
36 000 F CFA
|
9 000 F CFA
|
18 000 F Cfa
|
Source : Nos enquêtes
Ces chiffres peuvent être insignifiants pour le citadin,
mais dans le contexte du village où l'activité commerciale est
réduite et où il n'y a pas de salaires, il n'est pas
évident de toujours trouver l'argent de la mouture sans endettement.
Signalons par ailleurs que dans un tel contexte, le risque est grand d'aboutir
à des arrangements entre le meunier et la femme (ou la fille) favorisant
le paiement de la mouture en nature, c'est-à-dire une compensation
sexuelle. Des cas ne nous ont pas été signalés lors de nos
enquêtes, mais nous ne devons pas oublier que
20 La base de ces chiffres est le régime de
préparation de la pâte de mil qui, dans les villages, est un
régime alternatif de deux jours tandis qu'à Toma ( qui fait
figure de ville), les femmes affirment préparer chaque jour et rares
sont les femmes qui préparent une quantité inférieure
à la mesure d'une boîte.
98
l'argent des femmes doit servir aussi à payer le sel,
le pétrole, l'huile, le savon, le balai et bien d'autres biens de
consommation pour le ménage. La question est alors la suivante :
où trouver de l'argent ? Cette situation contraint les femmes à
se mobiliser individuellement ou par groupe pour entreprendre des
activités génératrices de revenus.
+ Les activités génératrices de
revenus.
L'argent des femmes dans le département de Toma
provient essentiellement d'activités à but lucratif
appelées couramment activités génératrices de
revenus (AGR). Ces AGR sont de tous ordres et nous les classons ici en trois
groupes : les activités de production, les activités de
transformation et l'achat / revente d'articles divers.
Les activités de production englobent, dans le domaine
agricole, la culture communautaire de champs et l'horticulture d'hivernage ; et
dans le domaine artisanal, la poterie et la vannerie (kèssè,
tièrèen). Par groupes21 de quartier ou à
l'intérieur d'une même grande famille, les femmes cultivent les
champs des chefs de familles qui leur donnent soit de l'argent soit du mil pour
la préparation de certaines fêtes qu'elles organisent au courant
de l'année. Généralement, cet argent qui est communautaire
ne sert pas au paiement de la mouture individuelle des grains.
Les produits de l'horticulture d'hivernage22 sont
la tomate, le piment, le gombo, l'oseille, le haricot, les aubergines et
quelques pieds de maïs qu'on trouve dans les jardins des femmes. Ces
jardins sont prioritairement destinés au piment, car ce dernier rapporte
bien aux femmes en saison de pluies comme en saison sèche. En effet, si
en saison sèche (période après la récolte), le prix
du bol de piment est de 50 francs, en hivernage il varie entre 75 et 100
francs. Les femmes misent sur cette période pour vendre leurs sacs de
piment.
21 Concernant la culture, les femmes vendent leur
force de travail par groupe. On n'a jamais vu une femme se faire embaucher
seule dans un champ. Par contre, les hommes se font embaucher autant en groupe
qu'individuellement. De plus le travail féminin est socialement
dévalorisé lorsqu'il s'agit de la culture.
22 Nous parlons d'horticulture d'hivernage, car les
femmes du département ne font pas de jardinage en saison sèche,
non pas qu'elles ne le veuillent pas mais à cause de la divagation des
animaux. En effet, les hommes font garder les animaux en hivernage à
cause des champs et les libèrent après les récoltes. Le
contexte climatique et le système d'élevage rendent difficile la
garde des bêtes en saison sèche. De plus les Sanan ne sont pas un
peuple d'éleveurs comme les Peuls, mais bien un peuple
d'agriculteurs.
99
L'artisanat féminin, en ce qui concerne la production
et la vente de poterie (jarres, canaris, cruches, vases...), est une
activité spécifique à une catégorie sociale : les
femmes des forgerons qui constituent une caste23 dans la
société san.
L'élevage constitue également une source
importante de revenus pour les femmes. Mais il n'est pas diversifié.
Parmi tous les types d'élevage, les femmes pratiquent uniquement
l'élevage des porcs.
A ces différentes activités de production, les
femmes joignent la transformation des produits pour rendre leurs revenus plus
substantiels.
Les activités de transformation entreprises par les
femmes sont aussi nombreuses que les activités de production. Il s'agit
principalement de la transformation de produits d'agriculture, de cueillette et
de collecte à savoir la collecte de noix de karité
(koé wé), la cueillette de fruits, feuilles et fleurs de
plantes sauvages : les feuilles de baobab [Adansonia digitata], du
terba, les gousses de néré [Parkia biglobosa]
(kusi), les fleurs de kapokier [Bombax costatum]
(bèrè), du sèmèlè
[Balantes aegyptiaca] (sèmèlè-buu)
et les fruits d'autres plantes tels que le zamanè [Acacia
macrostachya] et le kwui. Les produits d'agriculture
transformés sont essentiellement le mil, le sorgho, le sésame, le
haricot et l'arachide qui servent à la préparation de la
bière (yo), de galettes (momo), de beignets
(krokro, kotoron, gnãsãn), de pâtes
(ziwu, ziduu) et de couscous (basi). Transformés sous
des modes divers (bouilli, séché, pilé ou moulu), ces
produits qui entrent dans l'alimentation locale procurent quelques centimes aux
femmes, suivant les saisons. De toutes ces activités la
préparation de la bière de mil est la plus pratiquée par
toutes les femmes et les filles. Il faut signaler ici que la préparation
du yo constitue l'activité commerciale principale et permanente
des femmes au pays san. Bien prisée, cette bière de mil est
consommée à n'importe quelle occasion, d'où sa
rentabilité financière pour les femmes. Nous pouvons ajouter que
la vente du yo est le meilleur moyen pour les femmes d'avoir
indirectement l'argent des hommes puisqu'ils en sont les plus grands
consommateurs.
Diverses autres activités que nous regroupons sous
l'appellation de « petit commerce » existent, permettant aux femmes
de se procurer des revenus. Il s'agit essentiellement de l'achat /
23 La caste se définit ici comme un
sous-groupe de la société, strictement circonscrit et
possédant des fonctions propres sur le plan juridique, rituel,
économique, etc. Les castes pratiquent l'endogamie en y adjoignant
l'hypergamie.
100
revente de produits en l'état, ou avec plus ou moins de
transformation. Nous citons ici la vente de fruits (mangues), de viande, de
liqueurs (surtout le pastis) et d'articles ménagers.
Cette revue des sources de revenus des femmes nous permet de
comprendre leur situation économique. Ces différentes
activités ont connu un développement impressionnant dans le
courant de l'arrivée des moulins. Comparativement aux sources de revenus
des hommes, elles restent insuffisantes. Car la société san est
une société à domination masculine où l'homme a le
contrôle des moyens de production. Les hommes se sont
réservé l'élevage du gros et petit bétail et de la
volaille, laissant aux femmes la tâche de les alimenter en eau.
Notre analyse après constat des différentes
activités, même génératrices de revenus, est que le
moulin est venu faire travailler les femmes sanan, et surtout faire de la
plupart d'entre elles de petites commerçantes. En effet, le commerce est
une activité que, de façon générale, les Sanan ont
jusqu'alors délaissée, la considérant comme propre aux
Mossi. Cette initiative d'entreprendre des AGR se trouve fortement
ancrée maintenant dans le coeur des membres des GVF. Signalons que ce
développement des AGR initie bien les femmes du département
à l'activité commerciale même s'il ne s'agit que du petit
commerce. L'apport positif du moulin à ce niveau est qu'il a permis
à la femme de ne plus attendre que l'homme lui tende la main
financièrement. En cela, il a donné une certaine
indépendance financière à la femme dans le
département de Toma. Signalons enfin que le moulin a permis aux femmes
l'apprentissage d'un type d'épargne forcée. Car bon gré,
mal gré, il faut mettre d'abord de côté l'argent de la
mouture avant de faire certaines dépenses. En réalité,
certaines exigences imposées par le moulin sont plutôt des
avantages que des contraintes. On note par exemple que le moulin impose et
développe l'esprit associatif dans les GVF. Cet esprit associatif
s'impose comme nécessité d'autopromotion. Buijsrogge (1989 :
51-52) exprime cette réalité en ces termes : « Les femmes
ont compris...Elles s'organisent pour réaliser leurs propres projets de
développement : une maternité, un moulin pour moudre le grain, un
puits. Mais pour y arriver les femmes entreprennent un champ collectif. Ce qui
prend sur leur temps ». Dans le fond, cet auteur pose le problème
de l'accès des femmes aux technologies appropriées, dont le
moulin.
b). Accès au moulin et appropriation par les
femmes.
Les modes d'introduction du moulin dans le département
tels que vus au Chapitre 3 nous ont révélé les
différents acteurs ou porteurs sociaux : commerçants, Etat et
ONG. Par ailleurs, la
101
faible rémunération des AGR face au coût
des moulins pose le problème de l'accès des femmes au moulin et
de son appropriation par celles-ci.
+ Un accès quasi limité
La situation financière des femmes par rapport au prix
de revient des moulins rend difficile leur accès au moulin et favorise
le monopole de cette technologie par les hommes. Lorsqu'on pose la question de
savoir pourquoi la totalité des propriétaires de moulins sont des
hommes, les femmes répondent : « Est-ce que nous avons de
l'argent ? Nous n'avons pas d'argent comme les hommes ». Et lorsqu'on
s'intéresse aux raisons de leur manque d'argent et à celles de la
richesse des hommes, on obtient les réponses suivantes : « Les
hommes ont des animaux, ils travaillent », « Nous n'avons que nos
jardins de piment » ou encore « Qu'avons-nous à part
la préparation de la bière de mil ? Rien. »
Parallèlement, certains hommes répondent aux mêmes
questions en ces termes : « La femme ne peut pas se débrouiller
de la même manière que l'homme ». « Nous faisons
l'élevage. C'est cela qui fait la richesse de l'homme au village, sinon
nous ne sommes pas salariés ». D'autres disent encore : «
Certaines femmes ont de l'argent mais pas toutes ».
Ces différentes réponses reflètent
certainement une réalité sociale : celle de l'inégale
situation économique et financière des deux sexes. Au regard des
sources de revenus dont nous avons parlés plus haut, le sexe
féminin semble être la catégorie la plus
défavorisée et la plus vulnérable. Nous hésitons
ici à parler de situation de pauvreté car cette notion est
beaucoup plus complexe et pourrait englober la situation des deux sexes en zone
rurale. En effet, dans Société civile et réduction de
la pauvreté, Abega (1999 : 107) écrit : « En termes
purement socio-économiques on peut parler de la pauvreté comme
l'impossibilité de satisfaire ses besoins fondamentaux (nourriture,
vêtement, logement, soins médicaux, éducation), approche
opposée à la relation entre les revenus d'un individu par rapport
à un autre ». Ou d'une catégorie par rapport à une
autre.
Il reste cependant vrai ici que les femmes rurales ont,
à cause de certaines conditions sociales (domination masculine), un
accès difficile à l'argent. Un discours tel que « La
femme ne peut pas se débrouiller de la même manière que
l'homme » révèle clairement les représentations
sociales sur les femmes et traduit la domination masculine existante.
Autrement, les femmes s'en sortent aussi bien que les hommes si les conditions
leur sont offertes. La
102
situation actuelle des femmes les exclut d'office du groupe de
ceux qui peuvent prétendre acheter un moulin. En effet, les principales
sources de revenus des femmes dans les villages san sont le petit commerce et
le jardin de piment. Cultivé autour des concessions sur de petites
parcelles que les hommes accordent aux femmes, le piment rapporte rarement 50
000 francs à une femme. La vente de la bière de mil comme
d'ailleurs tout ce qui est petit commerce sert aux dépenses quotidiennes
des femmes.
L'accès restreint au moulin provient surtout de son
coût sur le marché. Le moulin accompagné du moteur
coûte très cher selon les marques. Nous présentons dans le
tableau ci-dessous les prix des marques Diamant et Lister (qui sont fiables)
installés par l'ADRTOM.
Tableau 11: Tarifs des moulins installés par
l'ADRTOM.
Année d'installation
|
Villages
|
Montant du crédit (F.CFA)
|
Prix net du moulin (F. CFA)
|
1990
|
Koin
|
1 528 652
|
1 290 740
|
1993
|
Kolan
|
1 769 645
|
1 643 000
|
1994
|
Gossina
|
1 095 838
|
800 000
|
Source: ADRTOM (Toma).
Les moulins de l'année 1994 étaient des dons du
gouvernement burkinabè dans le cadre de l'opération Mille
moulins. Ceci explique la baisse du prix de revient à 800 000 francs.
Les tarifs actuels (juin 2000) des moulins à la CICA (Commerce
International pour le Continent Africain) se présentent comme suit selon
leurs puissances :
- Moulin Diamant : De 600 000 à 800 000 F CFA.
- Fabrication locale : De 300 000 à 400 000 F CFA.
- Moteur Diesel monocylindrique :
· 8 CV : 450 000 F CFA.
· 10 CV : 500 000 F CFA.
· 16 CV : 800 000 F CFA.
L'unique femme du département (Mme Awa PARE) à
acheter un ensemble neuf moulin-moteur en 1999, avoue l'avoir acheté au
prix d'un million deux cents mille (1 200 000) francs à la CICA à
Ouagadougou. Complétant ses économies faites en Côte
d'Ivoire avec un emprunt, elle a pu créer cette micro entreprise.
103
En somme, toutes ces données montrent une fois de plus
combien il est difficile pour une femme non sortie du milieu rural, ou
n'exerçant pas un métier bien rémunérateur, de
s'octroyer un moulin. La question de l'accès des femmes au moulin se
présente alors dans une première conclusion comme un
problème financier, en termes de manque de moyens. Mais nous verrons au
chapitre 5 que la cause profonde se trouve dans les rapports de force des deux
sexes où les femmes sont exclues des circuits économiques. Les
femmes ayant compris cela, tentent d'accéder au moulin en groupe.
+ Un accès par groupes
Face à la cherté des moulins et la
nécessité obligeant, les femmes sont obligées de passer
par d'autres relais pour obtenir des moulins. Ces relais sont les
différentes associations de ressortissants des villages se trouvant en
ville et les organismes d'aide au développement tels que l'ADRTOM,
l'UGPN qui s'adressent à leur tour à des bailleurs de fonds ou
à l'Etat. Tous les villages possèdent des groupements de femmes
dont certains existent depuis bien longtemps mais la plupart depuis 1990,
constitués avec l'appui des animateurs de l'ADRTOM.
L'accès par groupes aide les femmes à se
procurer et à installer le moulin mais les tarifs ne sont pas pour
autant diminués et le remboursement, bien qu'étalé
généralement sur une période de trois à cinq ans,
connaît des difficultés. Cette situation ne dit-elle pas non plus
la difficulté d'appropriation du moulin par les femmes ?
+ Difficile appropriation.
Les statistiques du chapitre 3 nous ont
révélé que les moulins des groupements de femmes
connaissent plus de problèmes que ceux des commerçants. Cela
montre que la gestion communautaire des moulins motorisés pose de
nombreux et divers problèmes techniques et sociaux rendant difficile
leur appropriation.
Du point de vue des aspects techniques, on peut relever,
primo, que le débit théorique de fonctionnement (120 à 350
kg/h) n'est jamais atteint à cause de la discontinuité dans la
mouture occasionnée par le remplissage de la trémie, les palabres
pendant lesquelles le moulin tourne à vide. Secundo, l'insuffisance ou
le manque de formation des meuniers fait que la manipulation
104
et le réglage empirique de l'appareil créent des
problèmes. Les meuniers, choisis au gré des commerçants et
selon des critères établis par les membres des GVF, ont pour la
plupart fait un apprentissage sur le tas, les uns auprès des autres.
Pour certains, cette formation a duré un ou deux jours mais n'a jamais
atteint une semaine. Quatre sur cinq des 10 meuniers contactés sont dans
cette situation et affirment ne rien connaître en mécanique bien
qu'ils tentent de réparer le moteur en cas de panne. Appel est fait
à un mécanicien en cas de panne grave. En outre, les meuniers
sont changés régulièrement dans les groupements. Certains
se sont à peine familiarisés avec l'outil de travail qu'ils
doivent partir soit à cause des exigences des femmes soit parce qu'ils
doivent aller en ville.
Tertio, la mauvaise installation de certains moulins (moteur
non ajusté au moulin), entraîne des pannes
régulières (la courroie quitte la poulie) et des pertes de temps.
Le moulin GVF de Nièmè est l'exemple type en l'occurrence. Les
moulins sont installés de façon empirique sans véritable
calcul d'ajustement.
Enfin, les oublis de pièces d'argent ou d'autres
pièces métalliques dans le mil à moudre occasionnent
également des pannes. Certaines femmes, ou bien les enfants qu'elles
envoient moudre, déposent leur argent ou la clé de leur porte sur
le grain. Une fois au moulin, elles oublient de les retirer. Ces pièces
créent le blocage du moulin, dès qu'elles passent entre les
meules. Ces cas, selon les femmes, sont fréquents. Tout ceci nous fait
dire que bien que la technologie soit appropriée au milieu et à
la mouture des céréales, sa maîtrise pose encore de
nombreux problèmes techniques.
Du point de vue des problèmes sociaux, nos recherches
ont révélé que leurs causes sont de plusieurs ordres.
D'abord elles sont structurelles. Sauf à Toma et à Sien (qui a
changé de système après une première
expérience non concluante), le local du moulin communautaire se trouve
être, dans la plupart des villages, le domicile de la présidente
du groupement. Avec le temps et les difficultés de gestion, les femmes
finissent par considérer le moulin comme l'affaire de la
présidente et se désengagent. Une telle situation crée un
blocage et pose un problème de fond, celui de la participation des
femmes à leurs propres projets de développement. Selon les
animatrices de l'ADRTOM, il arrive que dans certains villages « les
femmes ne sortent pas pour les réunions mensuelles, même les
membres du comité de gestion ». Signalons ici que si quelques
membres des comités de gestion ont reçu une formation en gestion
de moulin, les membres des groupements restent sans formation se contentant des
réunions
105
mensuelles qui ne connaissent que des résolutions de
problèmes du moulin. Le manque de dynamisme des membres de certains
comités nous fut signalé aussi par les femmes.
Ensuite ces causes sont liées à la mauvaise
gestion qui résulte elle-même du manque de maîtrise des
outils de gestion (système de comptabilité par exemple) ou de
stratégies d'exploitation profitant à quelques personnes. Ainsi,
« le montant sur le cahier ne correspond pas à l'avoir en
caisse », disent les animatrices. « Parfois, il y a plus de
dépenses que de recettes. Et pourtant elles affirment n'avoir pas
emprunté de l'argent; il y a eu donc des recettes qui n'ont pas
été inscrites ». A cela s'ajoute le fait, selon les
animatrices, que les femmes changent difficilement de comportements et
n'écoutent pas leurs conseils ou font semblant d'écouter. La
vérité d'une telle affirmation reste à démontrer,
dans la mesure où elle tente de montrer que les femmes, finalement, ne
savent pas ce qu'elles veulent ou ne mettent pas de la volonté dans ce
qui fait leur intérêt. Nous pensons que le manque d'écoute
des femmes est surtout lié à la pédagogie utilisée
par les animatrices pour se faire comprendre. Car la bonne gestion des moulins
relève plus d'une question de méthode que de volonté.
Enfin, la situation des moulins comme biens communs est aussi
cause de la difficulté d'appropriation par les femmes. La gestion
collective des moulins pèse sur les femmes. Tout cela nous introduit
dans les aspects sociaux de l'impact du moulin.
4. LES ASPECTS SOCIAUX DE L'IMPACT DU MOULIN.
Les aspects sociaux de l'impact du moulin sur la vie des
femmes prennent en compte les tensions et conflits, la différenciation
sociale, les nouvelles socialités et les rôles et places des
femmes.
a). Les tensions et conflits sociaux autour du moulin.
Les conflits autour du moulin se passent entre les femmes
elles-mêmes, entre maris et femmes, entre meuniers et femmes, et entre
enfants et adultes. Les conflits signalés par nos enquêtés
sont des conflits ouverts : bagarres, élévations de voix,
mécontentements manifestés par des comportements, etc.
106
Les raisons de la tension entre époux sont souvent
axées autour de la paie de la mouture. Les femmes réclament que
leurs maris participent au paiement de la mouture, mais ceux-ci font la sourde
oreille. Lorsque la femme n'a pas d'argent et qu'elle se trouve dans la
nécessité de moudre, elle vend une partie de la ration familiale
soit au meunier soit à d'autres femmes en quête de mil pour
préparer le yo. Cette pratique est très courante dans le
milieu au point que dans certains moulins, un sac est déposé,
destiné à ce genre de trafic. La ration alimentaire ne suffisant
plus, la famille se trouve vite à court de nourriture. Et le mari se
plaint, car il devra gérer son grenier jusqu'à la période
de soudure (août - septembre) avant les récoltes. D'autre part, le
fait que parfois le mil séjourne au moulin, soit pour raison de panne,
soit à cause de la très grande quantité de grains à
moudre, est aussi source de tensions.
Entre les femmes, les tensions autour du moulin concernent
surtout la formation du rang dont nous avons parlé plus haut, mais aussi
les modes de gestion de l'argent généré pour ce qui
concerne les membres des GVF. « La bagarre ne finit pas au moulin,
déclare une femme. Quand je pars, j'attache bien ma ceinture.
Les gens bousculent et renversent le mil des autres, on déchire les
vêtements et des calebasses se brisent ». Signalons que les
vols de mil créent des occasions d'injures publiques. Enfin, l'argent du
moulin communautaire est toujours source de soupçons de
détournements, de critiques, de diffamation, etc.
Les tensions pouvant exister entre les meuniers et les femmes
se situent au niveau de la tendance des dernières à mesurer
exagérément les grains, du recouvrement des dettes, des heures
d'ouverture et de fermeture du moulin. « Les gens se bagarrent, cela
fait que le meunier ferme le moulin », nous dit une femme.
Par ailleurs, tandis que des enfants se plaignent d'être
trop souvent envoyés au moulin pour la mouture du mil, leurs mamans se
plaignent qu'ils s'amusent au moulin plutôt que de revenir tôt, et
les grondent ou les frappent le jour où ils viennent à verser la
farine sur le chemin du retour.
Il nous faut signaler enfin comme conflit de
générations le fait que les enfants soient brimés au
moulin par des adultes voulant avoir droit de préséance sur eux
lorsqu'il s'agit de se mettre en rang. « On bouscule les enfants qui
ne peuvent pas se défendre » nous informe une autre femme. A
ce sujet on pourrait dire que le moulin a introduit l'inégalité
là où il était
107
question de solidarité de type « mécanique
» comme dirait Durkheim. Même dans les GVF, le moulin n'a-t-il pas
développé un certain individualisme plutôt que l'esprit
associatif ?
Une analyse des données sus-citées laisse
apparaître que les différents conflits naissent des
stratégies des acteurs en interaction. En effet, selon la théorie
de l'analyse stratégique développée par Crozier et
Friedberg (1972 : 469), les acteurs essaient de défendre des objectifs
et intérêts individuels. Chaque acteur joue les cartes du pouvoir
qu'il détient selon une dimension rétrospective et prospective.
Ainsi, « l'orientation stratégique des acteurs (...) procède
d'une évaluation de leurs possibilités d'action,
c'est-à-dire d'un bilan anticipatoire, où la situation
présente est analysée en termes d'atouts et de ressources
mobilisables à l'avenir ». Ces atouts et ressources mobilisables
sont ici le statut social, l'ancienneté, l'autorité que femmes,
meuniers et maris exploitent.
Puisque l'analyse stratégique a pour
intérêt de permettre d'observer les conflits et le fonctionnement
du pouvoir à l'intérieur d'un groupe social, il nous faut, avec
Lewis Coser (1982 : 24) faire une distinction entre le conflit et les attitudes
antagonistes ou hostiles. « Le conflit social, dit-il, implique toujours
une action sociale réciproque tandis qu'attitudes et sentiments sont des
prédispositions à l'entrée en action ». Selon les
femmes qui ont été interrogées, les conflits qui ont lieu
au moulin se terminent au moulin sans rebondissement ultérieur. Mais une
analyse fine nous permet de dire que si les conflits ouverts s'arrêtent
au moulin, il n'est pas évident qu'ils ne se transforment pas en
conflits latents. Enfin remarquons que les conflits ne sont pas toujours
mauvais, qu'ils peuvent contribuer à maintenir la cohésion
sociale ou la protéger contre la désintégration totale de
la société. Les conflits autour du moulin sont normaux si l'on
admet qu' « il y a des occasions de conflit dans toutes les formes de
structure sociale car les individus et les sous-groupes sont toujours
susceptibles de se plaindre de manquer de ressources, de prestige ou de pouvoir
» (Coser 1982 : 84).
En conclusion, dans une société dynamique les
conflits sociaux sont légitimes pour rythmer le cours de la vie sociale
et permettre le progrès. Le moulin, loin d'être cause de conflits,
nous semble plutôt être un lieu d'expression de la dynamique
sociale. Et il n'est pas que cela, la différenciation sociale trouve
aussi en lui sa manifestation.
108
b). La différenciation sociale.
Quels que soient les porteurs sociaux par qui la technologie
du moulin a été introduite (commerçants, Etat, ONG), nous
avons pu constater sur le terrain que le moulin crée une
différenciation sociale entre les femmes et les hommes et entre les
femmes elles-mêmes. Le point de départ de la
différenciation se trouve déjà même dans le fait
d'introduire cette technologie dans un milieu. Car tout le monde
n'achète pas un moulin et le mari de toute femme n'en possède
pas. Différence est faite sur cette base entre ceux qui ont les moyens
financiers et par conséquent un certain pouvoir et ceux qui n'ont pas
ces moyens ni ce pouvoir. Dans le département de Toma ce sont les
hommes, à l'exception d'une femme, qui sont des propriétaires de
moulins.
Entre femmes la différenciation se remarque au niveau
des quantités de grains qu'elles apportent à moudre. A la
question de savoir de quoi parlent les femmes au moulin, nous avons reçu
les réponses suivantes : « Nous comparons la quantité de
nos céréales », « Nous félicitons
celles dont la ration familiale est abondante », « Nous
parlons des problèmes de femmes, de nos soucis et nous critiquons nos
maris qui ne paient pas l'argent de mouture ». La
différenciation sociale entre les femmes s'étend sur leur avoir
(vêtements, argent,...) et leurs comportements. Il est clair que tout le
monde ne peut pas se payer le luxe d'aller au moulin chaque jour. C'est
pourquoi lorsque nous posons la question : combien de fois allez-vous au moulin
par semaine ? Certaines femmes disent que le manque d'argent les oblige
à alterner les jours, tantôt elles utilisent la meule,
tantôt le moulin. Le commerce d'une partie de la ration familiale au
moulin est aussi un indicateur de différenciation sociale. La vente de
la ration familiale au moulin est une pratique courante chez les femmes qui
n'ont pas l'argent de la mouture. Cette différenciation entre les femmes
avait été relevée par Herzog (cité par Treillon,
1992 : 18) qui l'exprimait en ces termes : « Etant donné la faible
disponibilité monétaire des femmes rurales, d'une part, et les
nombreuses obligations familiales qui leur incombent, d'autre part, la plupart
d'entre elles éprouvent des difficultés à trouver les
moyens financiers pour le paiement de l'usinage. Du coup, dans la plupart des
cas, la mouture mécanique n'est accessible qu'à un nombre
très restreint de femmes ».
Disons donc qu'au village toutes les femmes n'ont pas un
accès facile à cette nouvelle technologie dont les objectifs sont
pourtant connus de tous : alléger le travail, augmenter la production
des femmes, améliorer la qualité alimentaire, sauvegarder les
forces physiques et la
109
santé des femmes, etc. La différenciation
déborde le niveau individuel et s'étend à des groupes et
ensembles tels que la famille, le couple conjugal, les femmes de tel village,
etc. Néanmoins la différenciation créée par le
moulin ne doit pas nous empêcher d'observer l'apparition de nouvelles
socialités.
C) Les nouvelles socialités.
Dans un contexte où selon Riss (1989 :113), «
l'accaparement de la femme par les travaux domestiques et familiaux reste le
premier frein à l'amélioration de sa condition de vie », il
est important de relever les nouvelles socialités apportées par
le moulin. Ce dernier n'apporte pas que des conflits. Il a
développé au niveau des groupements villageois féminins un
esprit associatif. Les femmes d'un même village s'entendent pour
travailler ensemble, réfléchir sur leurs problèmes et se
venir mutuellement en aide. Par la même occasion, elles participent,
à travers diverses activités et fêtes, en tant que groupe
de femmes à la vie du village. De ce fait le moulin communautaire est
facteur de cohésion sociale. De plus les services gratuits de mouture
que les femmes se rendent au moulin sont des signes de socialité qui se
traduit en terme de convivialité entre les femmes. Ces nouvelles
socialités en dehors du cadre familial aident les femmes à
intégrer des savoir-vivre communautaires : manières de penser, de
sentir et d'agir en société. Enfin, les retrouvailles de moulin
sont à considérer comme des moments de loisirs pour les femmes
rurales. Ainsi, les nouvelles socialités apportées par le moulin
participent à l'épanouissement des femmes en milieu rural. Les
rôles et les places des femmes dans la société seront
affectés dans ce contexte.
D) Les rôles et places des femmes.
Nous parlons des rôles et des places des femmes
contrairement à l'usage courant et à l'idéologie «
développementiste » qui usent de l'expression « le rôle
et la place de la femme rurale ». Pour nous, il n'y a pas un modèle
unique de femme rurale, ni un rôle, ni une place unique de celle qu'on
nomme femme rurale. Cette vision nous paraît caricaturale et fixiste.
C'est pourquoi nous avons choisi l'expression « les rôles et places
des femmes ». Ceci étant, vu la diversité des rôles
des femmes dans la société, nous traiterons ici des rôles
par rapport à la transformation alimentaire et des rôles
économiques. Par places nous entendons les lieux géographiques et
les différents statuts des femmes dans les différentes
communautés villageoises.
110
+ Les rôles.
Par rapport aux rôles, culturellement
féminins, de transformation des aliments, on observe que la mouture et
même le pilage (dans les villages comme Sien et Toma où il y a une
décortiqueuse) deviennent des activités masculines à cause
du moulin. Ceci pour trois raisons principales. D'abord à cause de
l'instrument de mouture qui est un assemblage d'objets mécaniques.
Signalons que les femmes, surtout en zone rurale, ont
généralement été écartées de la
manipulation de tout ce qui est engin mécanique. Il en résulte
que dans tout le département de Toma, les manipulateurs des moulins que
sont les meuniers sont tous des hommes. Et pourtant, culturellement chez les
Sanan tout le monde sait, lorsqu'il s'agit de la meule, que moudre des grains
est un tabou pour les hommes et entre dans l'ordre des interdits sociaux.
Ensuite une autre raison de ce transfert d'activité des
femmes aux hommes est la technique même de mouture qui bien que pouvant
être apprise par les femmes reste encore l'apanage des hommes. Ceci est
tellement frappant dans le département que même les moulins des
groupements villageois féminins (GVF) fonctionnent sous la houlette de
garçons recrutés par les femmes elles-mêmes. Lorsqu'on
interroge les femmes sur les raisons de cela, elles répondent tout
simplement « wo a boéla ? » (« Est que nous
pouvons ? » ou bien « wa boéla wa » (« nous
ne pouvons pas »). Ces réponses, selon nous, relèvent
peut-être d'un manque de confiance des femmes en leurs capacités.
D'où l'abandon de la mouture entre les mains des hommes qui la plupart
du temps ignorent quelle qualité de farine les femmes veulent. Lorsqu'on
se rend au moulin on observe que pendant que le meunier s'attèle
à la mouture, les femmes ont régulièrement leurs doigts
dans la farine contrôlant la qualité de farine sortant de la
chambre de mouture du moulin. Et pourtant dans la société san ce
sont les femmes les mieux habilitées pour la technique de mouture.
Désormais dans le département de Toma les femmes ont pour
rôle de mesurer les quantités de grains qu'elles apportent et de
tester la qualité de la mouture.
Enfin, la dernière raison du transfert de
l'activité de mouture aux hommes est d'ordre financier. Au cours de nos
entretiens plusieurs femmes nous ont déclaré ceci : «
Bè ma woro n'a tã, woa ne ma kurii mãsin dwa gana
?» (« Si j'avais de l'argent, qu'est-ce qui m'empêcherait
d'installer un moulin ? »).
Le moulin a non seulement fait passer l'activité de
mouture aux mains des hommes, mais il a également fait passer cette
mouture aux groupes de femmes, dans le cas des GVF et
111
des associations féminines, qui en déterminent
les moments et organisent la surveillance des mesures des quantités de
grains par couple rotatif de femmes.
En conclusion, nous constatons que le moulin a introduit dans
le département de Toma une répartition des rôles de mouture
des céréales à plusieurs intervenants ou acteurs des deux
sexes. Il s'opère avec le moulin une division à la fois sociale
et sexuelle d'un rôle qui pour des raisons non toujours avouées
était jusque là attribué uniquement aux femmes. Nous
approfondirons cette problématique dans le prochain chapitre lorsque
nous parlerons de la « masculinisation » à travers l'approche
par le genre. Enfin, le moulin n'est pas non plus sans effet sur les places des
femmes dans les communautés villageoises du département de
Toma.
+ Les places
Par places nous entendons aussi bien l'espace
géographique que l'espace social (statut ou rang) au sein desquels des
mobilités sont possibles.
Ainsi, si la meule en silex manuelle avait pour
caractéristique principale de garder les femmes au foyer, le moulin les
en retire faisant désormais d'une activité domestique,
privée, une activité publique dont le contrôle et la
responsabilité sont transférés à quelqu'un d'autre
(le meunier, le groupement féminin et le propriétaire du moulin).
Ce contrôle extérieur et nouveau a pour implication la
dépendance de la femme non seulement vis-à-vis d'autrui mais
encore de l'homme. D'un autre côté, la mouture des grains hors du
cadre familial constitue un changement de place qui rend l'alimentation des
familles dépendante d'un système communautaire contraignant. De
plus, ce que prépare telle ou telle famille est connu d'avance par
autrui dans le village. C'est pourquoi, de même qu'il est
intéressant d'étudier le rapport temps-moulin, il est bon de
tenir compte du rapport moulin-espace. Car, le site même du moulin est
soit la propriété privée de quelqu'un, soit la
propriété du village. Et les rapports des femmes avec les
différents propriétaires ainsi que l'usage qu'elles peuvent faire
de ces espaces sont importants dans l'analyse des changements qu'introduit la
nouvelle technologie de mouture. La distance même parcourue par la femme
avant d'arriver au moulin l'expose au regard d'autrui, susceptible de donner
à la femme une certaine image. Les femmes le savent et se
préparent en conséquence. On va au moulin comme on part au
marché après une toilette soignée et un type d'habillement
choisi à cause du regard et des « langues ».
112
La problématique de fond ici est celle de l'espace
féminin et du travail domestique hors domicile. En nous appuyant sur
Riss (1989 : 37), nous convenons que « la femme appartient à un
univers géographique qu'elle utilise, qu'elle exploite, qu'elle
transforme. Cet espace régit sa vie et, par l'introduction
d'éléments nouveaux dans son univers quotidien, la vie
traditionnelle de la femme se transforme. La diffusion des techniques nouvelles
et d'équipements collectifs, l'éducation et la formation des
femmes dans le domaine social et sanitaire, l'importance croissante de l'argent
dans l'économie domestique sont autant de points susceptibles de changer
le comportement de la femme dans son milieu traditionnel ». Le moulin
vient consacrer l'évolution d'une activité traditionnelle et
apporte un agrandissement de l'espace géographique de la femme. Ainsi
nous pouvons affirmer que la vie domestique de la femme connaît une
certaine amélioration grâce au moulin dont la présence fait
apparaître de nouveaux rôles et statuts sociaux.
Le moulin crée aussi des mobilités sociales
(surtout au sein des groupements) attribuant à l'une ou l'autre femme,
une place dans une organisation. Ainsi, on note que le pouvoir de la
responsable du comité de gestion d'un moulin de groupement ne se limite
pas qu'au groupement mais s'étendra selon les circonstances
au-delà, à tout le village s'il le faut. Etre responsable,
secrétaire ou trésorière sont des postes conférant
des statuts sociaux que les bénéficiaires n'avaient pas avant
l'arrivée du moulin. L'accession à ces postes est
conditionnée par des critères bien définis tel que savoir
lire et écrire par exemple pour le poste de secrétaire. Le
rôle de responsable de groupement donnera également lieu à
des rencontres avec des responsables d'autres villages ou des responsables
d'ONG. On pourrait continuer la liste des exemples.
Enfin, disons que parler de rôles et de places c'est, en
définitive, parler de nouvelles stratifications sociales introduites par
le moulin dans les communautés villageoises. De même que le moulin
a réorganisé les rapports sociaux tant à
l'intérieur du cercle familial qu'à l'extérieur, de
même il donne une nouvelle configuration à la structure sociale en
transférant certains rôles d'un sexe à l'autre et en
faisant apparaître de nouveaux statuts. L'impact du moulin sur les
rôles et les places des femmes traduit bien le fait d'une
société en mutation dans son ensemble.
113
Conclusion partielle
Dans ce chapitre il a essentiellement été
question de l'impact des moulins sur la vie des femmes dans le
département de Toma. Partie centrale de notre travail, cette section
nous a permis de faire ressortir que le moulin libère pour les femmes un
temps supplémentaire de travail et leur permet de s'occuper d'autres
activités ménagères ou commerciales en vue de leur
indépendance économique vis à vis des hommes. Toutefois,
la différenciation et les conflits sociaux ont vite fait d'accompagner
le moulin qui met à l'épreuve la capacité de chaque femme
de passer de la mouture individuelle avec sa meule de pierre à la
mouture collective. D'impact multidimensionnel, le moulin fait apparaître
de nouvelles socialités en réorganisant les rapports sociaux ;
tandis qu'il restructure la société à travers de nouveaux
rôles.
Par ailleurs, la question de l'accès des femmes
à l'argent vient conditionner également leur accès au
moulin qui n'est possible qu'en s'associant. Cette gestion communautaire ne va
pas non plus sans impact sur l'appropriation par les femmes. Finalement, le
moulin aura été un vrai facteur de changement social, comme il
arrive pour toute innovation technologique. C'est ce changement que nous
analyserons au prochain chapitre.
114
CHAPITRE 5 : TECHNOLOGIES APPROPRIÉES
POUR
FEMMES ET CHANGEMENT SOCIAL
Suite à tout ce qui précède dans les
chapitres antérieurs, ce chapitre voudrait s'appuyer sur quelques
théories socio-anthropologiques pour approfondir la problématique
du moulin et des technologies appropriées pour femmes. Quelle approche
sociologique peut-on faire finalement du moulin à grains dans l'objectif
de la promotion des femmes rurales ? Les technologies appropriées pour
femmes leur profitent-elles ? Dans le contexte actuel des
sociétés en mutation que faut-il faire pour améliorer la
condition des femmes rurales ? Voilà autant de questions auxquelles ce
chapitre tente d'apporter des esquisses de réponses. Trois approches
théoriques, à savoir les théories fonctionnaliste,
dynamique et celle du gender, nous permettront d'analyser la
réalité du moulin dans le contexte actuel du département
de Toma. Les conclusions de cette analyse nous permettront de répondre
à la deuxième question et de donner des perspectives sur les
technologies appropriées pour femmes.
1. LES FONCTIONS SOCIALES DU MOULIN.
Partant des données présentées au
chapitre IV, l'analyse de l'impact du moulin sur les femmes peut se faire
à partir de sa fonction sociale. Pour ce faire, la théorie
fonctionnaliste de Malinowski nous servira comme grille d'analyse. En effet le
fonctionnalisme permet de saisir une réalité sociale par rapport
à sa fonction ou à son utilité. L'idée de fonction
a une importance dans la mesure où elle permet de constater comment une
institution fonctionne au sein du système social où elle joue un
rôle et par-là se rend indispensable. « Dans tous les types
de civilisation, chaque coutume, chaque objet, chaque idée, chaque
croyance remplit une fonction vitale, a une tâche à accomplir,
représente une partie indispensable d'une totalité organique
» (Malinowski, 1926, « Anthropoly » in Encyclopedie
Britanica, p.132, Cité par Descola, 1988 : 99).
L'intérêt de cette théorie est de permettre de tenir compte
des interdépendances entre éléments à
l'intérieur d'un système.
115
a). Le moulin comme outil
Nous appréhendons le moulin dans ses fonctions, d'abord
comme un outil. Un outil selon le dictionnaire Robert (1988), est un
« objet fabriqué qui sert à agir sur la matière,
à faire un travail ». Nous disions au premier chapitre de ce
travail que la problématique de la technologie culturelle nous situait
au coeur du rapport de l'homme à la matière et de l'homme au
travail. Dans cette ligne de compréhension, l'outil a pour but de
permettre l'action. Il joue un rôle intermédiaire entre l'homme et
la chose sur quoi porte l'action. En ce sens l'outil « n'est ni cause ni
effet et dans la chaîne : force-outil-matière, il n'est que le
témoin de l'extériorisation d'un geste efficace »
(Leroi-Gourhan, 1971 : 318). Ceci sous-entend bien que c'est l'homme qui anime
l'outil. Le moulin actionné par le meunier sert à la production
de la farine des céréales. Son rôle comme outil de travail
est de permettre cette obtention de la farine.
Comme intermédiaire, l'outil a un rôle de
prolongement de la main de l'homme qui cherche à satisfaire ses besoins.
La théorie des besoins, développée par Malinowski (1944),
nous permet de comprendre les raisons de la fabrication, de l'usage et de
l'adoption de tel ou tel outil. Les membres de l'homme ne lui suffisent pas
à la satisfaction de tous ses besoins dans un milieu naturel parfois
contraignant. L'outil joue ainsi un rôle de suppléance aux
carences humaines. D'où la nécessité de la technologie et
des techniques. En réalité, la question du rôle du moulin
renvoie, d'une façon plus générale, à celle du
rôle de la technologie dans la société. Ainsi, dans la
culture san l'acquisition de la meule en silex est un premier degré de
technologie permettant de ne plus se nourrir de grains à l'état
non transformé, tandis que l'acquisition du moulin vient rendre optimale
la satisfaction de ce besoin. La recherche de satisfaction du besoin
crée une interdépendance entre l'homme et l'outil. C'est pourquoi
Abe'ele (1999 : 92), écrit : « Au-delà des
propriétés physiques les outils entretiennent des rapports
spécifiques avec leurs usagers ».
Ces rapports varient avec la nature de l'outil. Ainsi, le
rapport des usagers du moulin sera différent de celui qu'ils
entretenaient avec la meule en pierre en raison de leur différence de
nature. En effet, comparativement à la meule de pierre que nous appelons
« technologie froide », le moulin est une machine et peut être
appelé « technologie chaude » parce que
génératrice d'énergie, d'une énergie
supérieure même à celle de l'homme. Faut-il en
déduire que les « technologies chaudes » satisfont mieux les
besoins humains que les « technologies froides » ? En tout cas le
moulin à grains économise l'énergie des femmes qui jadis
s'épuisaient
116
sur la meule de pierre. Les technologies chaudes ont une
fonction d'économie d'énergie humaine plus grande que les
technologies froides. C'est en cela que se trouve vérifiée notre
deuxième hypothèse qui consiste à affirmer que « le
moulin introduit une certaine qualité et une rapidité dans la
chaîne de transformation alimentaire : il libère du temps et
amène les femmes à une autre gestion de leur temps ».
En conclusion à ce rôle d'outil du moulin nous
nous résumons en ces termes : le moulin comme machine (ayant aussi ses
contraintes) est un outil de libération de la femme d'une corvée
qui la rendait esclave dans l'exercice d'une fonction sociale (celle de la
mouture des grains). Mais le moulin n'est pas qu'un outil ; sociologiquement,
il est bien plus.
b). Le moulin, moyen de la rencontre
Le second rôle social important que joue le moulin dans
les villages est sa fonction de rassemblement, de communication. Le moulin est
comme le puits. Au moulin les femmes du village se rencontrent, communiquent
entre elles en se donnant les nouvelles des unes et des autres, commentent les
derniers événements du village et de leur vie : vie familiale,
expériences personnelles, etc. En somme le moulin est un lieu
d'interactions.
Au coeur de ces rencontres se produit également un
certain apprentissage social que nous désignons par le terme de
socialisation, s'il est vrai que le processus de socialisation est toujours
continu dans la société et que ses lieux de réalisation
sont multiples (famille, quartier, équipe de football, tontine,...). Guy
Rocher (1968 :132) nous donne une définition complète de la
socialisation comme « le processus par lequel la personne humaine apprend
et intériorise tout au cours de sa vie les éléments
socio-culturels de son milieu, les intègre à la structure de sa
personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux
significatifs et par là s'adapte à l'environnement social
où elle doit vivre ». L'apprentissage social ici a pour but «
d'augmenter la solidarité entre les membres du groupe » (Boudon R.,
1990 : 181). Auparavant, il suppose une intériorisation de normes et de
valeurs culturelles, grâce à laquelle l'individu a obligation et
droit d'attente envers les autres. L'exemple de la pratique du rang au moulin
rend bien compte de cette théorie de la socialisation. Il en est de
même des différents services de suivi de la mouture que les femmes
se rendent en l'absence de leurs camarades. Même s'ils engendrent la
réciprocité, ces services prônent la serviabilité,
la charité et la solidarité comme étant des valeurs.
117
Dans les groupements villageois féminins (GVF), les
moulins exercent une fonction de regroupement permettant ainsi aux femmes de
vivre une certaine solidarité. La fonction de rencontre du moulin y est
encore plus explicite. Certains groupements féminins comme ceux de Sawa
et de Zouma se sont donnés des noms tels que : « kukon'a pan
» « la calebasse commune »24 et « Ta
konli a koonè » « Il est bon d'être ensemble
». La constitution du groupement ou de l'association est même un
critère important sur lequel s'appuient les ONG pour l'octroi des
moulins aux femmes. La promotion de l'idéal communautaire se situe au
coeur même de la vie des villages dont le mode d'organisation se calque
sur ce que Durkheim (1893) a appelé sociétés
traditionnelles où la conscience collective est très forte ; ce
qui vaut à ces sociétés le nom de sociétés
à solidarité mécanique. Les groupements villageois «
redynamisent » et tentent de pérenniser cette conscience collective
dans un contexte de mutations socioculturelles où l'individualisme tend
à prendre le dessus. L'observation d'une telle réalité
fait dire à Buijsrogge (1989 : 105) au sujet de la dynamique paysanne au
Sahel : « La dynamique des populations rurales et paysannes veut
préserver et privilégier son caractère villageois, donc
communautaire...Pour le moment, le paysan des savanes ne se voit pas en dehors
des dynamiques villageoises ». Le même constat fait par Georges
Kossi Kenkou (1994 : 751) dans la région nord du Togo et sud du Burkina
Faso au sujet des coopératives de pêche l'amène aux
conclusions suivantes : « Elles (les communautés rurales
africaines) favorisent la conscience de l'intérêt communautaire au
détriment de l'égoïsme lié à
l'évolution des intérêts individuels et particularistes.
Dans cette optique, elles entretiennent un ensemble de réseaux
d'obligations sociales, chargées d'amener l'individu ou les groupes
d'individus à matérialiser les formes de solidarité
requises par les coutumes locales ». La gestion communautaire de moulins
se présente bien comme un domaine de réseaux d'obligations en vue
de la bonne marche du projet.
A la fonction de rencontre s'ajoute celle de réaliser
une interdépendance entre les villages qui finit par s'étendre
à la ville.
24 L'expression « kukon'a pan » est une
abréviation du proverbe san « kukon'a pan ma'a tii, ma'a nyan yu wa
» qui se traduit par « La calebasse commune peut se salir mais ne
doit pas se briser ». Ce proverbe traduit le souci de l'entretien et de la
protection du bien commun entendu comme objet matériel (ex. le moulin)
ou valeur (la solidarité, l'unité...). La calebasse symbolise la
fragilité du bien commun qui nécessite protection.
118
c) Interdépendance entre villages.
C'est la mobilité géographique
occasionnée par le moulin en vue d'accéder à la mouture
mécanique qui crée les relations entre individus de villages
différents. Il n'est pas rare de constater au moulin que, de
façon informelle ou organisée, une considération est faite
à l'égard de ceux qui viennent de loin. C'est ainsi qu'à
Sien où un moulin fut implanté avant des villages alentours tels
que Nyon (4 km) et Nième (2 km) la priorité était
accordée aux femmes venant de ces villages avant les ressortissantes de
Sien. Cette pratique de solidarité attirait davantage les femmes de ces
villages et créait surtout un climat d'entente entre les villages. Bien
sûr, avoir un moulin est aussi signe d'indépendance vis à
vis des autres villages. Mais nous ne devons pas perdre de vue cette fonction
d'intégration inter-villages du moulin. La gestion des moulins par les
femmes a créé des rapprochements entre différents
groupements féminins à travers des échanges
d'expériences de gestion.
Par ailleurs, au regard de Toma faisant office de ville par sa
fonction administrative et sa taille par rapport aux autres villages du
département, nous pouvons dire que le moulin établit un rapport
entre ville et campagne. En effet, les réparateurs de moulin, le
gas-oil, les pièces des moulins se trouvent dans cette ville. D'autre
part c'est dans cette même ville que les femmes parties pour moudre leurs
grains profitent en même temps pour s'approvisionner de produits pour
leurs foyers.
Tous ces exemples nous montrent combien est important le
rôle social du moulin dans les communautés villageoises. Le moulin
réalise le lien social. Les aspects économiques de cette fonction
complètent l'analyse socio-anthropologique que nous faisons du
rôle du moulin.
D) La fonction économique du moulin.
La présentation des données sur les
activités génératrices de revenus et les échanges
commerciaux au moulin, nous a permis d'apprécier combien ceux-ci lui
donnent une fonction économique importante. Un aspect central de notre
problématique de l'impact du moulin sur la vie des femmes s'en
dégage : celui de l'accès des femmes à l'argent. Le
moulin, tout en exigeant de l'argent des femmes, leur donne également
accès à l'argent en leur faisant entreprendre des initiatives
commerciales (Cf. Chapitre 4).
119
La question de l'accès des femmes à l'argent est
une question fondamentale dans la plupart des pays en développement, en
particulier dans les zones rurales. Bien souvent nous avons tendance à
confondre les termes accès et accumulation lorsqu'il s'agit de ce sujet.
Abega (cité par Abe'ele, 1999 : 117) établit la distinction
suivante entres ces expressions : « L'accumulation a trait aux sommes ou
plutôt à l'importance des sommes, l'accès simple ouvre la
voie à l'échange monétaire et permet de se procurer les
produits manufacturés indispensables : sel, savon, pétrole, frais
médicaux, frais de transport ». Nous pouvons penser que le moulin
rend les femmes pauvres si nous nous engageons sur la piste de l'analyse
prenant en compte l'accumulation. Les femmes elles-mêmes font cette
analyse lorsqu'elles affirment ne plus pouvoir économiser leur argent.
Mais de quoi les femmes ont-elles besoin au village ; d'accumuler ou bien de
trouver régulièrement le nécessaire pour résoudre
leurs problèmes financiers ? Au village, ainsi que notre observation de
terrain nous a permis de le constater, les femmes souhaitent avoir de l'argent
qui leur permette de faire face à leurs problèmes quotidiens tel
que l'argent de la mouture des grains. Le bon déroulement des AGR est
une solution à la question de l'accès des femmes rurales à
l'argent. Ces AGR, bien que de faible rémunération, apportent un
changement à la condition des femmes. Toutefois, il reste vrai que les
mutations technologiques du monde rural sont plus
accélérées que l'évolution de la condition
féminine qui est conditionnée par le système social, les
représentations, etc.
Toujours dans ce volet économique, une autre fonction
du moulin est de créer de l'emploi. Des mécaniciens de moulins
aux gardiens des locaux, en passant par les meuniers, le moulin crée de
nouveaux rôles sociaux et réalise l'intégration sociale de
plusieurs personnes. Rappelons que la question de l'emploi était, dans
les années 70, au coeur de l'idéologie des technologies
appropriées et constituait un motif de leur promotion. Bien qu'il
s'agisse d'emplois à petite échelle, leur importance en milieu
rural n'est pas moindre. Mais le moulin comme technologie appropriée
pour femmes ne crée que des emplois masculins et non pas d'emplois
féminins.
Somme toute, les fonctions sociales du moulin le mettent au
coeur de la réalité sociale quotidienne du monde rural comme un
facteur de changement.
120
2. LE MOULIN, FACTEUR DE CHANGEMENT SOCIAL.
Notre revue de littérature au chapitre I nous a
déjà préparé à cette section de notre
travail, en traitant de la problématique de l'innovation technologique
dans la société et en présentant la technologie comme
moteur principal du changement. La présente analyse qui s'appuie sur les
théories du diffusionnisme et du dynamisme se recentre sur le moulin
afin de l'appréhender comme facteur de changement : un changement qui
s'apprécie du point de vue de la technique et de la structure
sociale.
L'introduction des moulins a d'abord apporté des
changements techniques. Le passage de la meule de pierre au moteur en
témoigne. Ce passage entraîne un certain nombre de manières
de faire obligatoires : l'exigence de la mouture de grains secs oblige les
femmes à sécher les grains après le décorticage. Le
rendement en qualité de granulométrie est également
différent (grains bien moulus au sortir du moulin).
Ensuite un changement de modes d'organisation s'est aussi
imposé avec l'adoption des moulins. Le moulin oblige à la mouture
publique et commune par rapport à la meule. Les femmes doivent mieux
organiser leur temps. De plus, par cette action commune, chaque femme devra
réussir le passage de la responsabilité privée de sa meule
à celle, commune, du moulin. Ainsi que l'a montré Nicolas Bricas
(Cité par Treillon 1992 : 15) « l'introduction des moulins
artisanaux correspond à l'apparition d'une économie marchande
dans le système traditionnel domestique. Avec le broyage
mécanique, une opération est désormais faite à
l'extérieur de carré familial. Il y a d'une part transfert
d'argent en échange du service et d'autre part, transfert de
responsabilité dans le contrôle de la mouture ». Et Treillon
de compléter : « D'un procédé entièrement
maîtrisé par les femmes, on est passé à une
opération maîtrisée par les hommes ». Le moulin, comme
nouveauté ou encore modernité, introduit de nouvelles situations
et de nouveaux rapports de travail. Un système se trouve ainsi
touché. En effet, l'approche dynamique du changement fait appel à
la modernité qui est selon Balandier (1985 : 14) « le bougé,
la déconstruction et la reconstruction, l'effacement et l'apport neuf,
le désordre de la création et l'ordre des choses encore en place.
Elle bouleverse en même temps que la relation aux objets, aux
instruments, aux hommes, les systèmes de valeurs et de repérage,
les codes et les dispositifs inconscients qui règlent la
quotidienneté ». L'organisation des groupements en vue de la
gestion des moulins, l'apparition de nouveaux rôles et statuts sociaux,
l'organisation même de la mouture sont là des exemples qui
montrent que non seulement le système de
121
transformation des aliments a changé grâce au
moulin mais encore d'autres éléments du système social san
sont affectés. La plupart des innovations technologiques produisent cet
effet. Un projet de mécanisation pour la fabrication du beurre de
karité au Mali (les presses à karité), a donné
l'occasion à Anne Biquard (1992 : 177) d'observer que les femmes, depuis
cette innovation, « doivent acquérir de nouvelles
compétences en mécanique, écriture et calcul, faire face
aux nouvelles fonctions de travail (service non échangeable donc
à rémunérer ), aux rapports différents avec l'outil
de travail (son entretien coûte de l'argent de façon
régulière) ». L'analyse systémique nous aide à
comprendre cet entrecroisement de situations ; cette théorie selon
laquelle le système social est une totalité dont les
éléments sont en interaction. Ainsi le moulin n'a pas un impact
sur les femmes seules mais également sur les hommes mis à
contribution dans la paie de la mouture, impact touchant les familles et
finalement tout le village et le département engagé dans un
processus de développement.
C'est au regard de ces différents aspects que nous
pouvons dire avec Crozier et Friedberg (1972 : 383) que le changement est
d'abord la transformation d'un système d'action. En d'autres termes,
« pour qu'il y ait changement, il faut que tout un système d'action
se transforme, c'est-à-dire que les hommes doivent mettre en pratique de
nouveaux rapports humains, de nouvelles formes de contrôle social ».
Cette théorie trouve bien son champ d'application avec le cas des
moulins et nous avions déjà vérifié que le moulin
réorganisait les rapports humains. En ce qui concerne les nouvelles
formes du contrôle social leurs manifestations transparaissent dans la
formation des rangs (afin d'obliger les déviants), le contrôle de
la mouture et la gestion du produit du moulin à savoir l'argent. Les
femmes contrôlent le meunier pour voir s'il écrase bien, le
propriétaire du moulin contrôle le meunier par rapport à la
collecte des sommes de mouture ; le meunier, les femmes, et ainsi de suite.
Dans les groupements le système même de gestion est
essentiellement contrôle. Les cahiers de comptes ne sont pas des outils
de gestion mais des moyens (pour la plupart de ces femmes rurales
analphabètes) pour dissuader les femmes de détourner l'argent de
la mouture. A tour de rôle et en couple, les femmes surveillent la
mouture et assurent les mesures ; à deux toujours elles doivent se
rendre chez la trésorière-caissière pour l'enregistrement
et tiennent informée la présidente ou son adjointe, etc. Dans un
tel système, il est difficile d'amener les femmes du village à
épouser les logiques comptables et de gestion. Un souci des femmes
consiste par exemple à chercher à comprendre pourquoi le groupe
précédent n'a pas fait autant de rentrée d'argent en
caisse. Ce qui occasionne, bien entendu, des soupçons, des critiques et
des
122
médisances. Nous en concluons alors que le moulin
produit un système de contrôle social général,
verticalement et horizontalement.
Par ailleurs, les rapports sociaux conflictuels sont
également au coeur de l'anthropologie dynamique. Nous avons
déjà fait une analyse du conflit social dans la quatrième
sous-section du Chapitre 4. Sans y revenir signalons que les conflits ont des
fonctions dans la société ; il est alors vain de rechercher une
société sans conflits. Ce serait tomber dans l'ancienne approche
des sociétés traditionnelles considérées par
certains anthropologues comme statiques par rapport aux sociétés
modernes dont le conflit était facteur d'évolution.
Il est un autre fait social qui accompagne les moulins et qui
mérite analyse : c'est le phénomène d'une «
masculinisation » de la mouture.
3. LE MOULIN, UN ENJEU DES RAPPORTS SOCIAUX DE
SEXES.
Les rapports sociaux de sexes identifiés comme tels par
les sociologues et anthropologues font partie intégrante de
l'organisation sociale. En effet, les différentes sociétés
du monde ont, dans leur mode d'organisation, réparti les rôles
sociaux sur la base de critères (sexe, classes, âge,...)
constituant une construction catégorielle qui réalise
l'équilibre et la cohésion sociale. La meule en pierre, le moulin
et l'activité de mouture n'échappent pas à ce
modèle d'organisation. Aussi le constat de terrain nous a-t-il permis de
nous rendre à l'évidence que le moulin est au coeur des relations
de genre. Dans cette sous-section, nous exposerons la théorie du genre
puis nous l'appliquerons à la réalité observée afin
d'en dégager une grille de lecture.
a). La théorie de base : l'analyse
déterminée par le genre (gender analysis).
Le concept de genre est utilisé en
référence à l'expression anglo-saxonne gender qui
renvoie au sexe social, c'est-à-dire à la construction sociale de
catégories « femmes » et « hommes » (féminin,
masculin) à partir de la différence des sexes biologiques. Cette
catégorisation des sexes a une implication directe ou indirecte sur
l'ensemble de la vie sociale : les rapports sociaux de travail (division
sexuelle du travail), les habitudes alimentaires (interdits féminins),
rituels, etc. Selon Boudon (1993 : 108), le terme de genre « a l'avantage,
sur le mot sexe, de souligner la nécessité de séparer les
différences sociales des différences biologiques ».
123
Les constructions ou théories sociologiques des
catégories de sexe que nous appelons approche par le genre
ou analyse déterminée par le genre (gender
analysis) ont connu, depuis 1960, une évolution énorme
avec la montée du mouvement féministe. « Pour les
sociologues d'orientation féministe, la division sexuelle des
tâches, loin d'être la conséquence naturelle de
différences biologiques, a été construite et maintenue par
la société » (Boudon 1993 :108). Selon cette théorie,
le genre est une dimension fondamentale de toute organisation sociale.
L'analyse déterminée par le genre est une
démarche méthodologique de distinction des comportements
masculins et féminins dans l'étude d'une réalité
sociale. En effet le concept de genre focalise notre attention sur la
répartition différentielle des rôles sociaux et des
responsabilités entre les hommes et les femmes. Il s'agit avant tout
d'une méthode comparative. Pour Florence Pinton (1992 : 202) « le
genre apparaît donc comme un outil analytique efficace si l'on cherche
à rendre compte de la différence des comportements au sein d'un
groupe social et d'un groupe social à un autre ». Son avantage est
d'éviter toute référence à un modèle
normatif unique. Pour le cas que nous étudions, quelle analyse faire du
passage de la mouture des grains des mains des femmes aux hommes ?
b). « Masculinisation » d'une activité
féminine ?
Conformément à l'idéologie sous-tendant
les technologies appropriées, le moulin est un outil conçu pour
les femmes en vue d'alléger leur travail et de sauvegarder leurs forces
physiques et donc leur santé. Seulement, sur le terrain la
réalité est telle que ce sont les hommes qui sont
propriétaires des moulins et qui vendent le service aux femmes.
Les moulins dans le département de Toma, comme dans la
plupart des régions du Burkina, ont fait de la mouture des
céréales une activité masculine. Les hommes se sont
accaparé les moulins et opèrent la mouture. Le cas le plus
intéressant est celui du moulin du groupement villageois féminin
de To récupéré en 1996 par le groupement des hommes sous
le prétexte que les femmes n'arrivent pas à s'entendre pour son
exploitation.
Les causes de l'appropriation des moulins par les hommes
peuvent être de plusieurs ordres. Parlant de l'accès des femmes au
moulin au chapitre précédent, nous avons évoqué la
raison financière et économique comme première explication
au phénomène. Les femmes n'ont
124
pas d'argent et doivent, pour posséder un moulin, se
mettre en groupe afin de bénéficier de l'appui d'une ONG. A
présent, il nous faut aller plus loin pour comprendre le
phénomène même du passage de la mouture des femmes aux
hommes. Car même lorsque les femmes possèdent un moulin, c'est un
homme qui exerce la fonction de meunier. Au-delà des questions
mécaniques évoquées dans le cadre des
représentations sociales, il nous faut interpréter ce fait social
en rapport avec les relations de genre dans la société. La
mouture des céréales est-elle ad aeternum le fait d'un
seul et même sexe ou peut-elle, selon les circonstances, passer aux mains
de l'autre sexe ou encore être pratiquée par les deux à la
fois ?
Dans la ligne de l'approche par le genre, moudre du grain n'a
rien de masculin ni de féminin. L'attribution de cette activité
à une catégorie relève purement d'une organisation sociale
mise en place. Sur la base de cette organisation, la mouture des grains, comme
l'ensemble des travaux ménagers, est culturellement attribuée
à la femme dans presque toutes les sociétés à
céréales. En ce qui concerne la société san, la
lecture des deux mythes que nous avons présentés au chapitre 3,
peut nous aider à comprendre l'organisation de celle-ci. On constate que
tandis que l'un présente la mouture des grains comme une affaire entre
hommes (le chasseur et son père), l'autre la présente comme une
activité essentiellement féminine. Dans tous les cas nous pouvons
supposer que les deux mythes font de l'activité de mouture une affaire
de femme dans la mesure où le contexte du premier mythe est un contexte
familial qui suppose la présence d'une mère puisqu'il y a un
père et un fils. Ainsi, si dans la culture san les femmes
écrasent les grains c'est en raison de leur fonction de mère
nourricière comme cela est présenté dans le second mythe.
Chez les Sanan, la meule comme la cuisine sont le domaine privé de la
femme. Elles sont généralement situées au même
endroit (Cf. Photo en annexe N°4). L'homme n'y a pas de place.
Aujourd'hui avec les moulins, l'homme est aux commandes de la
mouture sans que cela ne choque personne dans la même
société san. Ce transfert de la mouture aux mains des hommes peut
être expliqué par la théorie de la domination masculine qui
a, comme d'habitude, écrasé les femmes surtout en milieu rural.
Cette piste d'analyse s'appuie également sur les raisons
économiques et attribue aux hommes le fait de ne rechercher que des
opportunités laissant à la femme les tâches les plus
pénibles. Déjà en 1948 Margaret Mead (éd. 1966 : 9)
s'interrogeait en ces termes : « Comment en ce vingtième
siècle où tant d'idées anciennes appellent une
révision, l'homme et la femme peuvent-ils concevoir leur virilité
et leur féminité ? L'homme est-il surdomestiqué,
spolié d'un esprit d'aventure conforme à sa nature,
enchaîné à
125
des machines ne représentant après tout qu'un
perfectionnement des instruments - fuseaux et métiers à tisser,
mortiers et pilons, bâtons à fouiller - caractérisant jadis
le travail de la femme ? ». Le progrès dans la technologie des
moulins à grains, (depuis les moulins à vent dont les meules
étaient deux grosses pierres horizontales jusqu'au moulins
motorisés dont certains conservent encore des meules de pierre), semble
confirmer cette thèse de Mead. Le problème de fond est un rapport
de sexes où la domination se manifeste à travers la recherche
d'intérêts économiques.
Dans ce rapport de sexes, l'un, le sexe féminin, est
toujours perdant à cause du patriarcat25. Ces relations de
genre marquées par la domination posent le problème de
l'invisibilité économique de la femme à tous les niveaux.
Même lorsqu'elles initient des activités
génératrices de revenus, les femmes n'ont pas une bonne position
sur le plan économique par rapport aux hommes parce que n'ayant pas la
maîtrise des sources de revenus. Cette dernière s'explique aussi
par l'accès limité des femmes aux moyens de production.
Aujourd'hui encore en pays san, pour qu'une femme use d'une pioche ou d'une
houe elle doit s'assurer que le mari ne l'utilise pas au même moment. Les
instruments de production agricole sont exclusivement la
propriété de l'homme qui en assure le contrôle.
Par ailleurs, du moment que la mouture mécanique fait
entrer un travail domestique dans une sphère marchande, il est
récupéré par les hommes qui vendent le service aux femmes.
Le moulin renforce donc la dépendance des femmes vis-à-vis des
hommes. Même dans le cas des moulins GVF, les femmes sont obligées
de recourir aux hommes qui exercent dans la société les
métiers de mécaniciens ou d'aiguiseurs de meules. C'est pourquoi
nous disons que l'étude des relations de genre montre une
évolution vers un modèle de domination masculine sinon de
marginalisation des femmes. Cette réalité interroge
profondément sur l'apport des technologies appropriées
conçues pour les femmes.
En conclusion, il apparaît clairement que l'introduction
de certaines technologies n'est pas sans entraîner ses propres
problèmes. Le cas des moulins à grains dans le département
de Toma est un exemple parmi tant d'autres en Afrique de l'Ouest où l'on
constate une récupération par les hommes. La commission
économique des Nations Unies pour l'Afrique (1996 : 120) fait le
même constat : « L'introduction de certaines techniques de
production visant
126
à alléger les corvées des femmes a
souvent conduit à un transfert d'emplois, de la gestion
économique et du revenu potentiel des femmes vers les hommes ».
Nous expliquons ce phénomène par la domination masculine
très forte dans les sociétés concernées. Cette
situation nous conduit à nous interroger sur la contribution des
technologies appropriées à la promotion de la femme.
4. TECHNOLOGIES APPROPRIÉES ET PROMOTION DE LA
FEMME.
L'étude des dynamiques de changement du milieu rural
révèle que les conditions sociales et économiques de
l'homme et de la femme évoluent à des rythmes différents.
Bien plus, de nombreuses études sur les innovations technologiques dans
le domaine agricole montrent que l'homme bénéficie de ces
innovations plus que la femme. La plupart de ces études soulignent la
marginalisation économique de la femme (A titre d'exemple Cf. les
études de cas dans Bisilliat J., 1992, Relations de genre et
développement. Femmes et sociétés, Paris, ORSTOM, 328
pages). Les exemples de la charrue, de la charrette puis du moulin actuellement
nous semblent les plus pertinents dans le département de Toma. Cette
appropriation des TA par les hommes signifie donc que le changement de
technique peut participer du changement des rapports de domination et de
soumission. Pourtant, il est évident aujourd'hui comme le note Riss
(1989 : 37) que « la promotion de la femme passe par la révolution
technologique qui lui laissera du temps libre, utilement employé pour
parfaire sa culture, s'initier aux nouvelles méthodes d'exploitation du
milieu et participer davantage à la vie publique du village ou de la
ville ». Car aucune activité traditionnelle n'est immuable.
L'évolution du mode de vie en relation avec la modernisation induit
nécessairement des changements dans toutes les couches de la
société depuis les villes jusqu'aux villages.
L'exigence d'amélioration de la situation de la femme
introduit le concept de promotion féminine. Le terme de promotion
comprend ici un ensemble d'actes et d'attitudes visant à donner à
la femme un statut et des conditions d'existence plus honorables que ceux qui
sont actuellement les siens dans les différentes sociétés
où elle fait face à la domination masculine et à
l'invisibilité économique. Parmi les actes à poser
à l'endroit des femmes rurales, le programme d'action de la
conférence mondiale de la décennie des Nations Unies pour la
femme (14 - 30 juillet 1980) [Cf. Division de l'Information économique
et sociale 1980 : 18],
25 Sociologiquement le patriarcat est une forme de
famille fondée sur la parenté par les mâles (famille
agnatique) et sur la puissance paternelle.
127
recommandait aux gouvernements de « mettre au point des
techniques appropriées pour alléger la tâche des femmes
», de « rechercher les moyens d'améliorer les conditions des
femmes des campagnes et d'accroître leur rôle dans la
collectivité ». Sont à noter dans la même ligne,
l'exécution des programmes d'alphabétisation et de formation
ainsi que l'amélioration des possibilités d'emploi. Ainsi,
au-delà de la promotion des droits de la femme, - que l'on brandit
souvent - la problématique de la promotion couvre la condition
féminine dans toutes ces formes. S'agissant du sujet que nous traitons,
l'action en faveur de la femme consiste à doter celle-ci de moyens
technologiques dans le cadre de son travail domestique. Pour nous,
établir un lien entre les technologies appropriées et la
promotion de la femme c'est poser le problème de l'intégration
des activités de la femme au processus global de
développement.
Les activités de développement doivent,
aujourd'hui, apporter avec elles de nouvelles technologies capables de soulager
la femme afin de diminuer le temps et l'énergie consacrés
à son travail de femme. Autrement, ces activités nouvelles
deviennent des contraintes supplémentaires sans bénéfice
réel pour elle. Le moulin produit déjà suffisamment de
contraintes pour les femmes rurales. C'est pourquoi, toute promotion de
technologie appropriée devra tenir également compte de la
question des sources de revenus.
Il est cependant observé que les technologies
existantes appropriées pour femmes participent déjà,
à un certain degré, à l'amélioration de leurs
conditions de vie et à leur émancipation. Buijsrogge (1989 :73)
le fait remarquer quand il écrit au sujet des femmes sahéliennes
: « Les femmes sont favorisées. Elles ne portent plus sur la
tête. Il y a le moulin qui remplace la meule à bras ; avec les
marmites en fonte, la cuisine est plus rapide ». Mais pour Buijsrogge le
problème fondamental de la promotion des femmes demeure celui des
relations de sexes : « Malgré tout, écrit-il, les
problèmes restent toujours entre l'homme et la femme ». A la suite
de cet auteur, nous affirmons que la promotion des femmes rurales passe surtout
aujourd'hui par l'acquisition de nouveaux modes de connaissance que leur
imposent les nouvelles technologies : savoir lire, écrire et s'initier
à un nouveau système de gestion par la tenue de comptes.
L'acquisition de ces nouvelles connaissances et nouveaux savoir-faire conduit
les femmes à d'autres manières de penser, et les libère
des carcans traditionnels de la domination masculine.
Mais la promotion des femmes ne se fera jamais sans leur
propre participation. Une certaine prise de conscience, individuelle ou
communautaire, par les femmes de leur propre
128
situation les conduit nécessairement à vouloir
l'améliorer. Ainsi en est-il, dans le cas du moulin, de l'insistance des
femmes pour que leurs maris participent à la paye de la mouture des
grains. En outre, le cadre associatif est un lieu possible de cette prise de
conscience de la condition féminine ainsi que le soulignent Agulhon M.
et Bodiguel M., (1981 :95) : « A la campagne, l'association est un moyen
d'émancipation individuelle et collective » . Les associations sont
un véritable cadre d'expression des femmes.
Enfin la question de la promotion des femmes rurales reste
liée également à celle du choix technologique. Ce choix
doit être fait en fonction des contextes socioculturels et des
nécessités. Les femmes de Sien disposent par exemple d'une
décortiqueuse pour maïs alors qu'il leur faut une
décortiqueuse pour petits grains (mil, sorgho). La conséquence
est claire : cette machine ne fait que se rouiller et prendre de la
poussière depuis son installation (au moins 4 ans) sans que personne ne
propose de la revendre et de la remplacer par une autre plus adaptée au
besoin des femmes. En somme, le choix du type de technologie peut la rendre
appropriée ou pas.
Conclusion partielle
Pour terminer avec ce chapitre, retenons que les technologies
appropriées pour femmes, comme outil de travail, opèrent de
véritables changements sociaux dont les avantages ne sont pas pour les
femmes seulement. Le contexte actuel de la domination masculine conduit
à une appropriation des TA au détriment des femmes. En effet, le
moulin a engendré une nouvelle division sexuelle du travail non plus en
fonction du biologique ou de valeurs culturelles, mais sur la base
d'intérêts économiques et financiers. C'est au coeur d'une
telle réalité que la question de la promotion des femmes rurales
se pose avant tout comme un problème de rapports sociaux avant
d'être celui d'une dotation des femmes de moyens technologiques
appropriés. Sortir du joug de la domination masculine et participer
à leur propre autopromotion sont des nécessités qui
s'imposent aujourd'hui aux femmes rurales.
129
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
1. CONCLUSION
Lorsqu'on a déjà regardé le film Les
dieux sont tombés sur la tête de Jamie Uys (1981), on
comprend mieux comment un objet introduit dans un groupe social apporte les
transformations les plus inattendues. Ces transformations affectent autant la
structure de la société que les relations interpersonnelles et
les comportements individuels. Dans un tel contexte, la taille de l'objet
ingéré importe peu. Ce sont plutôt les fonctions que lui
attribuent ses différents utilisateurs qui feront de lui un facteur de
changement et lui donneront une importance dans la société.
L'introduction et la présence des moulins dans le département de
Toma s'appréhende dans la logique de la dynamique des
sociétés qui sont de tout temps en mutation.
La réflexion sur les technologies appropriées
à partir du cas des moulins à grains prend sa source dans le
constat de la condition de travail et de vie difficile des femmes rurales. Des
efforts sont, certes, faits à plusieurs niveaux (ONG, Etat,...) pour
améliorer cette condition de vie, mais il nous a semblé opportun
de réfléchir sur les conséquences des technologies
appropriées mises à la disposition des femmes pour leur
promotion. D'où la question de départ qui a motivé cette
recherche : Quel est l'impact du moulin à grains sur la vie
sociale et économique des femmes dans le département de Toma
?
Nous sommes partis des hypothèses suivantes :
1. Le moulin allège le travail domestique des femmes.
2. Le moulin permet aux femmes de réaliser un gain de
temps tout en introduisant d'autres modalités de le gérer.
3. Le moulin réorganise les rapports humains au
village.
4. Le moulin faisant intervenir l'argent, restructure
l'économie villageoise et partant, induit des changements dans les
perceptions, faits et pratiques gestionnaires.
5. L'introduction et la présence du moulin apportent
des changements dans les rôles et les places des femmes au sein des
sociétés rurales et font apparaître de nouveaux
rôles.
Les résultats de la recherche révèlent
plusieurs situations. Par rapport au travail domestique des femmes, il ressort
que le moulin y introduit des mutations. D'abord le moulin transporte sur la
place publique une activité jusque là exercée dans un
contexte privé. Ensuite, il transforme l'économie domestique en
une économie marchande. Quant au temps de travail, le
130
moulin fait gagner du temps aux femmes à cause de sa
rapidité. Toutefois, il n'allége pas leur travail domestique,
bien qu'il diminue la pénibilité du broyage des
céréales. Au contraire, le moulin augmente la charge des femmes
dans la mesure où le temps libéré est consacré aux
multiples tâches ménagères et occasionne plus de travaux
champêtres qu'auparavant. En outre, le moulin contraint les femmes
à entreprendre des activités génératrices de
revenus plus ou moins rémunérateurs.
Sur le plan économique et financier, si le moulin par
l'intermédiaire des activités génératrices de
revenus, apporte une certaine autonomie financière aux femmes, il reste
cependant vrai qu'il n'améliore pas leurs sources de revenus dans un
contexte culturel où elles ne possèdent ni ne contrôlent
les moyens de production. Toutefois, il a accru leur rôle productif. Ce
qui confirme, une fois de plus, l'importance du rôle économique
des femmes rurales. Mais ces dernières restent perpétuellement
confrontées à des problèmes financiers, même pour
pouvoir écraser les grains. Ainsi, le moulin, comme la plupart des
nouvelles technologies de transformation agricole, produit dans les zones
rurales des déséquilibres importants. Somme toute, ce dernier
augmente les charges financières des femmes. De surcroît, il exige
un investissement lourd et une gestion rigoureuse difficile à
maîtriser par les groupements villageois féminins.
Du point de vue des rapports sociaux, le moulin est une source
de conflits et d'inégalités, mais il est aussi un facteur
d'intégration sociale. Il renforce la solidarité et l'esprit
communautaire au sein des groupements féminins. Réorganisant les
rapports interpersonnels, le moulin apparaît comme un enjeu des rapports
sociaux de sexe à l'avantage de la domination masculine. C'est là
qu'il importe de s'interroger si le moulin est bien une technologie
appropriée pour les femmes. Cette interrogation vaut autant pour
d'autres technologies introduites en milieu rural, mais accaparées par
les hommes. Dans un contexte où la lutte pour promotion des femmes prend
de l'ampleur, le moulin, et généralement les technologies de fer,
consacrent la soumission des femmes et la domination des hommes. Le moulin pose
avec acuité la question de la libération des femmes dans une
société construite par et pour les hommes.
Comparativement à la meule de pierre, le moulin marque
une évolution non seulement de la technologie mais encore de l'ensemble
du département de Toma. Ce passage d'une technologie non
mécanisée à une autre mécanisée constitue un
véritable progrès dans la modernité que nous
définissons ici comme un mouvement perpétuel de transformation
131
consistant à apporter du nouveau. Quels que soient les
inconvénients du moulin, il n'y a plus de retour en arrière. Le
département de Toma, comme tant de régions des pays du Sud, est
engagé dans un processus de changement social à la fois
technologique et culturel. C'est pourquoi nous considérons que cette
recherche sur les technologies appropriées doit être ambitieuse
pour aller au-delà du moulin à grains et embrasser toute la
problématique du développement rural. Cette vision prospective
nous conduit à faire quelques propositions.
2. PERSPECTIVES
L'historique des moulins (Chapitre 3) montre que ceux-ci n'ont
pas été construits au départ dans l'objectif
d'alléger le travail domestique des femmes, et leur diffusion
obéit jusqu'à aujourd'hui une logique commerciale. Même
dans les groupements féminins, on voudrait encore que le moulin
réalise des objectifs financiers. Mais, la récupération
des moulins par les ONG au profit des femmes impose aujourd'hui des choix
stratégiques. En effet, si l'on veut que les moulins allègent le
travail domestique des femmes, ils doivent être construits pour les
femmes et en fonction des contextes sociaux locaux. C'est pourquoi, la simple
reproduction du moulin par imitation est insuffisante. Il faut modifier sa
conception en l'adaptant. Ceci dit, nous proposons quelques pistes de
réflexion.
+ Par rapport à la mécanique.
Nous avions déjà relevé que le
système de démarrage à la manivelle est difficile et
dangereux pour la santé. Il faudrait maintenant concevoir un
modèle de moteur pouvant démarrer à clé ou par
contact. De tels modèles existent déjà au Tchad et sont
largement diffusés en milieu rural sahélien. Il s'agit notamment
de la marque indonésienne ANDOURIA.
Nous avions également constaté que le
système de transmission (la courroie) comportait des risques. Il est
possible de couvrir la courroie afin d'empêcher que les gens s'y
accrochent ou qu'elle les cingle en cas de rupture. En outre, dans la mesure
où le mouvement se transmet de plusieurs manières (courroie,
chaîne et engrenage), nous proposons un système de transmission
à engrenage avec embrayage permettant d'établir ou de supprimer
le contact moteur-moulin. Ceci à pour avantage d'éviter que le
moulin tourne à vide. La transmission à engrenage et le
132
démarrage à clé iraient ensemble. Les
ingénieurs devront revoir à ce moment la question de la vitesse
de rotation et de la puissance.
Puisqu'il arrive que des objets (pièces de monnaie,
clés ...), enfouis par mégarde dans les céréales,
soient broyés et occasionnent le blocage du moulin, on peut envisager de
mettre un tamis sur la trémie.
Jusqu'ici, les petits modèles de moulins sont
inexistants à Toma, faute d'électricité pour les
alimenter. Mais, il n'empêche qu'on puisse amorcer une réflexion
sur la possibilité de les mettre au service des ruraux, car ils sont
intéressants pour l'exploitation familiale. En outre,
l'électrification des zones rurales est aujourd'hui une urgence de
développement.
Enfin par rapport à la mécanique, le choix des
moulins de qualité importe dans l'aide au développement de la
zone rurale.
+ Par rapport à la gestion dans les GVF
:
Les ONG promoteurs de moulins imposent et insistent sur la
gestion communautaire non pas pour aider les femmes, mais pour s'assurer du
remboursement de leurs prêts avec intérêts (l'ADRTOM
appliquait un taux de 7%). Mais nous signalons que la gestion communautaire
n'est pas un passage obligé pour permettre aux femmes d'alléger
leurs tâches. C'est même conditionner les femmes. Nous pensons
qu'il faudrait faire un choix de priorité entre les aider à
alléger leurs tâches et les amener à maîtriser les
outils de gestion. Vouloir à tout prix une gestion communautaire se
soldant en échecs, peut rendre une technologie inappropriée ;
pourtant celle-ci peut s'avérer appropriée au contexte. C'est
pourquoi, considérant la condition des femmes rurales, nous proposons
que les ONG aident des individus parmi les femmes à acquérir les
moulins, comme elles le font déjà pour les charrues et les
charrettes des hommes.
Dans le cas où ces deux objectifs seraient visés
: gestion communautaire et service social de mouture, il faudrait revoir
l'organisation des GVF et le système de gestion en exploitant les
valeurs socioculturelles quant à la vie communautaire, au bien commun et
aux moyens locaux de contrôle social. Ceci a pour avantage de les
assouplir et de débarrasser les femmes, majoritairement
analphabètes, de la kyrielle de papiers de gestion.
133
+ Par rapport aux sources de revenus
Les ONG devront aider les populations qu'elles encadrent
à trouver et à créer des sources de revenus. C'est
pourquoi tout projet d'innovation technologique doit insister sur les moyens de
fonctionnement, d'entretien et de prise en charge. Sans cela, l'aide au
développement risque de ne pas atteindre son objectif premier qui est
d'améliorer les conditions de vie des populations. Elle créerait
plutôt des problèmes.
+ Par rapport aux fabricants de moulins
On observe que les fabricants locaux de moulins se
débrouillent individuellement dans l'informel sans grands moyens
d'innover. Nous pensons qu'il est possible, dans le cadre des programmes de
soutien aux PME, de les regrouper et de leur donner les moyens
nécessaires (formation, finance et matériel) à la
fabrication des modèles adaptés aux besoins locaux. Il est
également opportun d'organiser des journées technologiques,
à l'instar des semaines nationales de la culture, afin de promouvoir
l'innovation technologique. De telles solutions permettent de stimuler
l'initiative locale et de répondre aussi bien aux besoins de la zone
rurale et que de la ville. Ce faisant, on consolide le tandem technologie
appropriée - développement.
+ En vue du changement social
De nos jours, la nécessité d'oeuvrer pour le
développement rural devrait conduire les chercheurs et les agents de
développement à une lutte contre les inégalités
sociales, et à une recherche plus approfondie en vue de
l'intégration des activités des femmes au processus global de
développement.
134
A N N E X E S
135
LISTE DES ANNEXES
ANNEXE 1 : Région d'intervention de
l'ADRTOM.
ANNEXE 2 : 1. Population du Nayala par
département 2.Répartition de la population par village.
3. Population de la Commune de Toma par secteur.
ANNEXE 3 : Broyeur à marteaux.
ANNEXE 4 : 1. Cuisine de femme en pays san.
2. Alignement de meules dans un vestibule.
ANNEXE 5 : SIDI, le tourneur.
ANNEXE 6 : QUESTIONNAIRES.
1. Questions adressées aux femmes.
2. Questionnaire / chefs de ménages.
3. Questionnaire-meuniers.
4. Questionnaire / propriétaires de moulins.
136
Annexe 1 : Région d'intervention de l'ADRTOM
Annexe 2 :Répartition de la population
1.Population du Nayala par département
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01 L s I 4 1 I t
E ET DE LA-SECURTTE
PROVINCE DU NAYALA
RECENSEMENT ADMINISTRATIF DE LA POPULATION (mars 1998
Nourrissons; Enfants 1 Adultes 11
Population
· n ' F M 1 1-- 1 F
520
GASSAN :1 Population ! Pppi, otalttotale:9:324!
C + Apt : ! Commune 29 850 !
!Département
'Population !totale :
!. 20 526
! ! ! ! ! !- 1
576 r1 740!1 6041!2 470! 2 414! 4 73014 594r--
94r- ! ! ! ! 1 !
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1 168 !4 039r3 401t5 379! 5 353!10 604t 9 922!
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S/Total..! 29 850
|
1 ! ! ! ! ! ! !
1 706 ! 1 744 15 77915 00517 849! 7 767115.334!1 5161
! r r ! r ! r !
|
|
! Pop. Totale!
GOSSINA ! 15
·776 !1 030 ! 925 !3 30513 134f3 221! 4
155!7556 -38 2141
4
! ! ! ! ! ! ! f
438 ; 428 :1 692!1 5552 427! 2 452!4 557 !4 435!
798 2 742!2 512:3 229! 3 535!6 776 16 845!
! ! ! ! ! !
! ---! ! ! ! !
1 226 ; 4 434; 4 067; 5 656; 5 907;11 333;11280;
I- -! ..____-! ! !
5 395;6 338! 7 543i14 1581147411
t -!- ï i
5 75417 3891 8 007115 8201158191
!! ! ! _!
71 591!71855!
!
26035134t
i Pop. Tot6le1 2 166 1 1 978 #177; 6 265+
Fait à +, . bre 1998
LE
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L.
137
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i .YE
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Î.... 1 - -N-i -
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IPROVINCE ! r ! !
! Total ! 143 446 !8 819 ! 8 498 !28733!
· ! r 1 !
· ! !
138
2.Répartition de la population par
village.
3. Population de la Commune de Toma par
secteur.
RÉSULTATS DU RECENSEMENT ADMINISTRATIF DE LA
POPULATION DU NAYALA TENU DU 1ER AU 30 MARS 1998
COMMUNE DE TOMA
fie[ ; REPARTTION DE Lk POPULATION PAR I TOTAL I TAUX
DE
TRANCHE D4AGE I
!CROISSANCE
. I
n1 I !
01 SECTEUR I
|
0 - 3 ANS
223
|
14 - 15 ANS 1 16 ANS ET +1
7321 986
|
1
|
941
|
!02 SECTEUR II-
|
137
|
|
435
|
|
791
|
|
1
|
363
|
|
|
J
|
|
|
|
|
|
|
I 1
|
|
!
|
|
J
|
|
I
|
|
|
'03 SECTEUR III
|
88
|
|
403
|
|
661
|
|
1
|
152
|
1 !
|
|
!
|
|
I
|
|
I
|
|
|
! 1
|
|
!
|
|
!
|
|
J
|
|
|
J04 SECTEUR 1V J
|
77
|
I
|
412
|
I
|
592
|
!
|
1
|
081
|
I J
|
|
!
|
|
!
|
|
|
i
|
|
105 SECTEUR Ar
|
115
|
I.
|
390
|
J
|
582
|
!
|
1
|
087
|
!06 SECTEUR VII
|
55
|
!
|
203
|
!
|
338
|
I
|
|
596
|
I07 SECTEUR VII
|
171
|
1
|
672
|
1
|
929
|
I
|
1
|
772
|
J TOTAL 07 I
|
866
|
13
|
247
|
!4
|
879
|
!
|
8
|
992
|
I
I
Fait Toma, 10_-06 Avril 1998
/ ~J1NCf
LE HAUT C,OMMTSSATR '
Administra `éur
139
ro
140
Annexe 3:Broyeur à marteaux
Annexe 4 : Meules de pierre et cuisine.
1.Cuisine de femme en pays san
Photo Jn. P. Ki. Sien, le 3/9/1999.
On remarque au fond à gauche la meule de pierre ; au
fond à droite, les marmites pour la préparation ; à
droite, le foyer.
2. Alignement de meules dans un vestibule.
Photo Jn. P. Ki. Sien, le 3/9/1999.
141
142
Annexe 5 : SIDI, le tourneur.
Photo Jn. P. Ki. Bobo-Dioulasso, le 24/8/1999.
NB. : Sidi est fabricant de moulins depuis 1983.
Ici, il tient en mains l'axe d'un moulin qu'il vient de fabriquer.
143
Annexe 6: Questionnaires.
1. QUESTIONS ADRESSEES AUX FEMMES
1.a) Nom et Prénoms b) âge .
c) Profession ..d) Statut : Mariée ? Célibataire
?
e) Nombre d'enfants f) Nombre de personnes à charge
2. Quels sont, selon vous, les étapes de la
préparation alimentaire au pays san (ex: le tô) ?
3. Combien de temps peuvent prendre le pilage du mil et le
décorticage?
4. Combien êtes-vous d'habitude à piler ?
5. Quelle quantité pilez-vous d'habitude ?
6. Quel numéro de marmite utilisez-vous ?
7. Quels moyens existent au pays san permettant à la
femme de broyer les grains ?
8. Quel est le moyen le plus rapide ?
9. Quels sont les avantages du pilage ?
10. Quels sont les inconvénients du pilage ?
11. Quels sont les avantages de la meule ?
12. Quels sont les inconvénients de la meule ?
13. Quels sont les avantages du moulin ?
14. Quels sont les inconvénients du moulin ?
15. Quel moyen utilisez-vous habituellement pour moudre vos
grains ?
- Uniquement la meule ? - Uniquement le moulin ?
- La meule et le moulin ?
16. Depuis combien d'années utilisez-vous ce moyen ?
17. Pourquoi utilisez-vous ce moyen ?
18. Combien de francs dépensez-vous à chaque
mouture au moulin ?
19. Qui paye habituellement la mouture ?
20. Que faites-vous pour avoir l'argent de la mouture des grains
?
21. Combien de fois apportez-vous des grains au moulin par
semaine ?
22. Qu'avez-vous remarqué ou entendu qui se passe souvent
au moulin ?
23. Depuis qu'un moulin existe dans le village, quels
changements avez-vous remarqués ?
24. Etes-vous satisfait du fonctionnement de votre moulin ou des
moulins dans le village ?
25. Pourquoi ?
26. Depuis combien d'années existe-t-il un moulin dans le
village ?
27. Depuis quand avez-vous cessé d'utiliser la meule ?
144
2. QUESTIONNAIRE / CHEFS DE
MENAGES
1. Nom Prénoms .Age
Profession Statut : Marié ? Célibataire ?
Nombre d'enfants Nombre de femmes
Nombre de personnes à charge
2. Quels sont selon vous les avantages du moulin à grains
?
3. Quels sont ses inconvénients ?
4. Aidez-vous votre femme à payer la mouture du grain au
moulin ?
5. Combien donnez-vous par semaine ?
6. Pensez-vous que les femmes ont suffisamment d'argent pour
payer elles-mêmes la mouture des grains ?
7. Quels changements avez-vous remarqués chez les femmes
du village ?
8. Pensez-vous que le moulin soit uniquement l'affaire des
femmes ?
9. Quels problèmes le moulin crée-t-il au niveau
de votre famille ?
10. Quels changements avez-vous remarqué chez votre femme
depuis l'arrivée du moulin dans le village ?
145
3. QUESTIONNAIRE / MEUNIERS
1. Nom . Prénoms Age
2. Niveau d'études
3. Depuis quand es-tu meunier ?
4. As-tu reçu une formation de meunier ?
5. Où et quand ?
6. Quelle a été la durée de cette
formation ?
7. Sur quoi a porté cette formation ?
8. Quelles sont tes difficultés dans ce travail de
meunier ?
9. Combien te paie-t-on par mois ?
10.Que fais-tu d'abord quand tu viens chaque
jour au moulin ?
11. Quand le moulin tombe en panne, que fais-tu ?
12. Que font les femmes quand elles viennent au moulin ?
13. Selon toi, que devraient-elles faire pour la bonne marche
du moulin ?
14. Qu'y a t-il de dangereux au moulin pour toi et pour les
gens pendant la mouture ?
15. A quelle heure ouvres-tu et fermes-tu le moulin ?
146
4. QUESTIONNAIRE / PROPRIETAIRES DE
MOULINS
1. Nom Prénoms Profession
Sexe Age
2. Depuis quand possédez-vous un moulin ?
3. Quelles les marques du moulin et du moteur ?
4. Connaissez-vous d'autres marques ?
5. A combien avez-vous acheté l'ensemble moulin-moteur
?
6. Quels sont selon vous les avantages du moulin ?
7. Quels sont ses inconvénients ?
8. Avez-vous déjà pensé à peser un
jour les quantités que votre moulin écrase ?
9. Que font les gens quand ils viennent au moulin chez vous ?
10. Quels problèmes techniques votre moulin a-t-il
régulièrement ?
11. Quels sont les critères de choix de votre meunier
?
12. A t-il reçu une formation ?
13. Quelle a été la durée de cette
formation ?
14. Si vous deviez acheter un autre moulin, choisiriez-vous la
même marque ?
15. Pourquoi ?
16. A qui profite votre moulin ?
17. Quelles sont vos heures d'ouverture et de fermeture du
moulin ?
18. Avez-vous un mécanicien précis ?
147
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156
TABLE DES TABLEAUX
Tableau 1: Répartition des précipitations dans
le département de Toma sur 4 ans. 42
Tableau 2: Répartition de la population des villages
de notre enquête. 44
Tableau 3: Calendrier des travaux champêtres.
49
Tableau 4: Activités de l'emploi de temps des femmes
sanan. 50
Tableau 5: Nombre de moulins du Nayala par
département. 51
Tableau 6: Répartition des moulins du
département de Toma par village. 65
Tableau 7: Caractéristiques des moulins par typologie.
72
Tableau 8: Moyenne des prix par mesure dans les villages (en
f. CFA). 77
Tableau 9 : Comparaison des gains et pertes des deux
systèmes de mouture. 91
Tableau 10: Dépenses mensuelles et annuelles de
mouture par femme à Toma et dans les
villages environnants. 97
Tableau 11: Tarifs des moulins installés par l'ADRTOM.
102
TABLE DES PHOTOGRAPHIES
Photo 1 : Greniers en pays san. 43
Photo 2: Pilon et mortier 60
Photo 3: Meules « mère » et « fille
» Photo 4: Mouture du mil. 61
Photo 5. Femme san poinçonnant la meulette avec un
totoarè 62
Photo 6 : Moulin Diamant et moteur Lister. 70
Photo 7. Abri d'un moulin à Nième avec citernes
d'eau de refroidissement. 75
Photo 8 : Mesure des grains. 79
Photo 9: Marques laissées par le pilon sur la main.
88
Photo 10. Rang au moulin à Koin 93
TABLE DES CARTES
Carte 1 : Localisation de la province du Nayala au Burkina
Faso. 39
Carte 2 : Localisation du département de Toma.
40
Carte 3 : Carte du pays san 46
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 : Région d'intervention de l'ADRTOM.
Erreur ! Signet non défini.
Annexe 2 :Répartition de la population 137
Annexe 3:Broyeur à marteaux 140
Annexe 4 : Meules de pierre et cuisine. 141
Annexe 5 : SIDI, le tourneur. 142
Annexe 6: Questionnaires. 143
157
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE 1
DÉDICACE 4
REMERCIEMENTS 5
SIGLES ET ABRÉVIATIONS 6
INTRODUCTION GÉNÉRALE
7
1. CONSTAT 7
2. CHAMP ET OBJECTIF 8
3. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHESES
8
4. METHODOLOGIE ET APPROCHE DU SUJET
10
CHAPITRE 1 : APPROCHE THÉORIQUE DE LA
TECHNOLOGIE ET DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES
12
1. APPROCHE NOTIONNELLE DE LA TECHNOLOGIE.
12
a). Aux sources du mot « technologie ».
12
b). Évolution du concept. 13
+ La technologie comme un ensemble d'objets matériels
13
+ La technologie, ensemble d'objets immatériels.
14
c).Technologies anciennes et technologies nouvelles.
16
2. LE RAPPORT TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ
18
a). Société et culture matérielle.
18
b) Technologie, pouvoir et société
20
c). Société et innovation technologique :
la technologie comme facteur de changement 23
3. PROBLÉMATIQUE DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES
28
a). Contexte de naissance et philosophie des TA.
28
b). Quelques nuances terminologiques 29
+ Technologies intermédiaires. 30
+ Technologies douces 31
+ Technologies alternatives 31
c).TA et développement 32
4. LES ASPECTS TECHNIQUES DES TECHNOLOGIES APPROPRIÉES
33
a) Typologie 33
b) Problèmes techniques 34
158
5. LES ASPECTS SOCIO-ÉCONOMIQUES DES TA
34
a). La question des transferts 34
b). Les effets sur la production, les échanges et
la consommation 36
CHAPITRE 2 : PRÉSENTATION DU SITE D'ÉTUDE
: LE
DÉPARTEMENT DE TOMA. 38
1. LE MILIEU NATUREL. 41
a). Relief 41
b). Climat 41
c). Végétation, sols, hydrographie.
43
2. LES ASPECTS SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES ET ÉCONOMIQUES
44
a). Population 44
b). Organisation socio-politique. 47
c). Organisation économique. 48
d). Système de parenté chez les Sanan
51
3. RÉALISATIONS EN MATIERE DE DÉVELOPPEMENT
52
CHAPITRE 3 : TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES DE
MOUTURE DES CEREALES 55
1. LES TECHNIQUES ET TECHNOLOGIES ANCIENNES DE MOUTURE
55
a). Les origines de la technique de mouture des grains
chez les Sanan 55
+ Premier récit. 56
+ Deuxième récit 56
b). Instruments et techniques de mouture. 58
+ Le mortier et le pilon (cf. photo n°2) 59
+ La meule en pierre. (cf. photos N°3 et 4) 60
+ Le balai et Le tamis 61
+ Le totoarè, instrument d'habillage de la meule.
62
+ Des techniques du corps 63
2. LES MOULINS,
TECHNOLOGIE NOUVELLE DE MOUTURE DES
GRAINS. 64
a). Présentation et répartition des
moulins dans le département de Toma 64
b). Typologie des moulins motorisés dans le
département. 66
+ Le moteur Lister et ses dérivées. 67
159
+ Les moulins à meules. 68
+ Les moulins à marteaux (cf Broyeur, annexe 3)
70
+ Moulins individuels et moulins d'associations. 72
3. LE SYSTEME DE MOUTURE DES GRAINS DANS LES
VILLAGES. 74
a). Les locaux des moulins 74
b). Les heures de travail 75
c). Ordre et rang au moulin. 76
d). Rapport quantité - prix 76
e). Organisation des mesures et stratégies. (Cf.
Photo n°8) 78
4. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES AUTOUR DU MOULIN
79
CHAPITRE 4 : IMPACT DU MOULIN SUR LA VIE DES
FEMMES DANS LE DEPARTEMENT DE TOMA.
84
1. IMPACT D'ORDRE PHYSICO-BIOLOGIQUE.
84
2. LE TEMPS DE TRAVAIL FÉMININ
88
a). Gain de temps par rapport à la meule.
89
b). La gestion du temps libéré
93
3. LES ASPECTS ECONOMIQUES DE L'IMPACT DU MOULIN.
95
a). Les contraintes du moulin 95
+ Rapport rapidité - coût. 95
+ Les activités génératrices de
revenus. 98
b). Accès au moulin et appropriation par les
femmes 100
+ Un accès quasi limité 101
+ Un accès par groupes 103
+ Difficile appropriation. 103
4. LES ASPECTS SOCIAUX DE L'IMPACT DU MOULIN.
105
a). Les tensions et conflits sociaux autour du moulin
105
b). La différenciation sociale. 108
c). Les nouvelles socialités 109
d). Les rôles et places des femmes.
109
+ Les rôles. 110
+ Les places 111
160
CHAPITRE 5 : TECHNOLOGIES APPROPRIÉES POUR
FEMMES ET CHANGEMENT SOCIAL 114
1. LES FONCTIONS SOCIALES DU MOULIN.
114
a). Le moulin comme outil 115
b). Le moulin, moyen de la rencontre 116
c). Interdépendance entre villages.
118
d). La fonction économique du moulin
118
2. LE MOULIN, FACTEUR DE CHANGEMENT SOCIAL
120
3. LE MOULIN, UN ENJEU DES RAPPORTS SOCIAUX DE
SEXE. 122
a). La théorie de base : l'analyse
déterminée par le genre (gender analysis). 122
b). « Masculinisation » d'une
activité féminine ? 123
4. TECHNOLOGIES APPROPRIÉES ET PROMOTION DE LA
FEMME. 126
CONCLUSION ET PERSPECTIVES 129
A N N E X E S 134
LISTE DES ANNEXES 135
BIBLIOGRAPHIE 147
TABLE DES TABLEAUX 156
TABLE DES PHOTOGRAPHIES 156
TABLE DES CARTES 156
TABLE DES ANNEXES 156
TABLE DES MATIERES 157