développement local
Les apports des migrants au développement local sont
des faits confirmés par les multiples projets et infrastructures mis en
place dans les zones rurales d'origine. Selon Guillaume Lanly, « c'est le
cas des associations de migrants sénégalais originaires de la
vallée du fleuve Sénégal qui constituent l'un des premiers
agents de développement dans cette région qui fait partie des
zones les plus pauvres du Sahel occidental». Déjà en 1991,
une étude réalisée par l'institut Panos auprès de
105 associations regroupant des ressortissants de cette région indiquait
334 réalisations diverses en un peu plus de 10 ans. (G. Lanly, 1998).
Sur un financement total de 43,5 millions de francs CFA, les migrants avaient
apporté 38,5 millions francs CFA de leur épargne et les ONG et
autres bailleurs de fonds avaient donné 5 millions de francs CFA. (G.
Lanly, 1998). Les initiatives sont souvent développées en
fonction des besoins et des aspirations des communautés d'origine. Ce
sont des actions habituellement centrées sur la construction
d'infrastructures, la mise en valeur des ressources agricoles, pastorales et
halieutiques et la préservation de l'environnement, avec l'implication
de toutes les personnes concernées. Toutefois, Guillaume Lanly
précise que « les initiatives des associations d'immigrés
seraient condamnées à l'échec sans l'appropriation par les
populations locales des projets ». Un des facteurs explicatifs du
succès de ces associations repose sur le fait qu'elles soient parvenues
à impliquer d'amont en aval les populations locales dans la mise en
oeuvre et la gestion des projets de développement initiés en
faveur des villages et
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de la région. (G. Lanly, 1998). La mobilisation locale
a pu être obtenue grâce à la volonté des
immigrés d'intégrer les villageois dans leurs actions afin qu'ils
deviennent eux aussi acteurs de leur développement et, surtout,
grâce à leur maîtrise de l'échelle locale qui
confère aux associations de migrants un avantage certain sur les autres
acteurs du développement.
Le développement local est lié à la
recherche d'une méthode moins dirigiste, pour un système plus
souple encourageant une mise en oeuvre et une gestion concertée des
initiatives. C'est une approche qui privilégie une démarche
volontariste et dynamique articulée autour de la mise en oeuvre de
projets à l'échelon local. Pour Katalyn Kolosy, « c'est une
approche volontariste, axée sur un territoire restreint, qui
conçoit le développement comme une démarche partant du
bas, privilégiant les ressources endogènes ». Dotées
de leviers et de compétences plus solides, les régions
s'associent à présent aux départements et aux communes
pour intervenir, coordonner et jouer un rôle primordial dans
l'aménagement du territoire dans un pays comme la France. Katalyn Kolosy
observe que dans les faits, « la région s'affirme comme
l'échelon de référence du développement industriel,
de certains services, poste et transports notamment, comme niveau administratif
de coordination et d'action ». Le développement local
résulte donc d'une prise de conscience de la nécessité de
mobiliser à la base l'ensemble des initiatives locales. Dans le
développement local, la concertation et l'association entre les pouvoirs
publics, la société civile, les entreprises, les groupes et les
individus jouent un rôle majeur. Ce qui amène le BIT (bureau
international du travail) à le considérer comme « un outil
de consultation et de dialogue social dans lequel la participation de tous les
acteurs, tant de la société civile que du tissu
socio-économique s'avère essentielle ». En outre, il fait le
constat que « plus le consensus sur les buts à atteindre sera large
et les mesures de soutien étroitement coordonnées, et plus les
stratégies de développement local et la mise en oeuvre de ces
derniers seront un succès ».
Reconnaître les efforts fournis inlassablement par les
migrants pour participer au développement des localités d'origine
déshéritées revient précisément à les
reconnaître comme des acteurs du développement là-bas
à partir d'ici. En outre, cet apport collectif des migrants peut parfois
entraîner des recompositions démographiques et territoriales non
négligeables. Dans le but de capter pour leur localité la manne
migratoire, les acteurs locaux tentent de mettre en place de nombreux
micro-projets. De façon générale, les
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investissements des migrants sénégalais vers
leur pays d'origine sont orientés exclusivement vers les secteurs de
l'immobilier, du commerce et des services. Dans ses travaux consacrés
aux investissements immobiliers à Dakar réalisés par les
migrants internationaux, Serigne Mansour Tall (1994, 2009) montre l'engouement
des migrants à injecter une partie des moyens financiers
accumulés à l'étranger dans la construction d'une maison.
Il démontre comment « les retombées indirectes de
l'immobilier sont perceptibles à travers la relance des autres secteurs
et son potentiel créateur de travaux à forte intensité de
main-d'oeuvre164 ». En fait, « toute une kyrielle de
nouveaux métiers dans le bâtiment et la construction
bénéficie des retombées de la manne financière des
émigrés » remarque-t-il fort justement. A ce titre, «
les investissements immobiliers de l'émigré donnent un coup de
fouet aux entreprises informelles du bâtiment ». La forte propension
des migrants à investir dans le bâtiment et la construction
témoigne de leur attachement à leur pays d'origine, mais aussi de
l'importance du projet immobilier dans l'ensemble du projet migratoire. En
effet, faute de pouvoir compter sur les structures défaillantes d'un
État dont la boulimie foncière a pris des proportions
insensées, les migrants prennent en charge individuellement, le plus
souvent, le souhait affiché par de nombreux ménages
sénégalais de disposer de leurs propres logements. Les
investissements sont effectués d'abord pour la construction du logement
familial, puis d'un logement destiné à la location.
Parallèlement, Issa Barro constate que cet intérêt des
migrants pour le secteur de l'habitat « s'oriente de plus en plus vers la
création de petites et moyennes entreprises (PME) de construction
immobilière »165.
9.1.1 Les TIC, alternative pour une nouvelle forme de
coopération entre le Nord et le Sud ?
C'est un truisme que de faire remarquer que les pays du nord
ont depuis longtemps, non seulement mis à la disposition des pays du sud
des ressources financières, mais également ils ont
procédé à des transferts de compétences et de
connaissances dans le
164 TALL, Serigne Mansour. La migration internationale
sénégalaise : des recrutements de main-d'oeuvre aux pirogues. In
DIOP, Momar Coumaba (Dir.). Le Sénégal des migrations.
Mobilités, identités et sociétés. Paris :
CREPOS-Karthala-ONU Habitat/Hommes et sociétés, 2008, pp.
37-67.
165 BARRO, Issa. Émigrés, transferts financiers
et création de PME dans l'habitat. In DIOP, Momar Coumaba (Dir.). Le
Sénégal des migrations. Mobilités, identités et
sociétés. Paris : CREPOS-Karthala-ONU Habitat/Hommes et
sociétés, 2008, pp. 133-152.
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cadre de la coopération bilatérale ou
multilatérale. La coopération internationale se manifeste dans
des domaines aussi divers et essentiels pour les populations, tels que la
santé, l'éducation, l'agriculture, l'élevage, la
pêche, les nouvelles technologies... Et pourtant, en dépit de tout
cela, les difficultés des populations ne cessent de croître. Car
depuis longtemps, cette coopération d'État à État a
fait preuve de son inefficacité, du moins pour ce qui concerne la large
majorité des pays africains. Cette forme de coopération par le
haut ne fait que le nid de la corruption et des enrichissements illicites, au
détriment de l'amélioration des conditions de vie de la plus
grande partie de nos populations. Plus généralement, les aides
financières attribuées aux États africains n'arrivent aux
destinataires que sous forme d'échos. Elles ont très rarement des
effets positifs sur les conditions de vie des populations. En fait, ces aides
sont la plupart du temps détournées en particulier par des
responsables politiques en vue d'entretenir une clientèle politique et
une certaine oligarchie maraboutique. Cette forme de coopération est
révolue. Elle n'a fait que mener nos États dans une impasse.
Une nouvelle forme de coopération entre les pays
pauvres et les pays riches est aujourd'hui possible grâce aux
technologies de l'information et de la communication. Cependant, elle
procède avant tout d'une véritable prise de conscience du
rôle extrêmement important des acteurs non étatiques dans le
développement des pays pauvres, notamment leurs populations migrantes,
et d'une réelle volonté d'exploiter les nombreuses
potentialités des TIC, en vue de l'avènement d'une forme de
coopération impliquant davantage tous les acteurs d'en bas. Les
dynamiques qui se développent sur Internet augurent d'une vraie
coopération Nord-Sud construite dans l'exigence de transparence et de
résultats à court ou moyen termes au bénéfice
d'abord des couches sociales les plus défavorisées. L'essor des
TIC exhorte tous les partenaires au développement à prendre en
compte davantage les nombreuses potentialités que recèlent les
diasporas et les technologies de l'information et de la communication.
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