4.4 Une utilisation collective du
téléphone fixe et du téléphone
mobile
Les migrants originaires de la vallée du fleuve
Sénégal et une bonne partie des migrants commerçants
partaient essentiellement des milieux ruraux sénégalais où
le téléphone était un objet quasi inconnu pour les
populations. Parmi ceux qui venaient dans les zones déjà
équipées, le téléphone était souvent un
objet rare, voire inaccessible. Selon les témoignages recueillis en
France comme au Sénégal, les périodicités d'appels
étaient le plus souvent relativement longues (une fois par mois et
même plus pour certains) en raison non seulement du coût
élevé des tarifs de communication, mais aussi du fait que leurs
interlocuteurs dans leur pays d'origine étaient rarement
équipés en appareils téléphoniques. Le
réseau téléphonique se limitait essentiellement à
la capitale Dakar, et à certaines zones dans les milieux urbains, et
était globalement concentré dans le centre-ville94.
94 Le centre-ville était le centre
d'activités et aussi le lieu de résidence des cadres de
l'administration. Or ces derniers exigeaient un certain confort et un certain
nombre d'équipements pour leur standing de vie. L'Etat allait par
conséquent financer l'équipement de ces zones tout en oubliant de
se préoccuper du sort d'une bonne partie du territoire national, et
notamment des quartiers périphériques. Ces quartiers
périphériques sont désormais investis par les migrants qui
ont ainsi consenti, avec néanmoins l'aide de l'Etat et parfois
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Le téléphone a d'abord été une
affaire de privilégiés et de nantis au Sénégal.
Toujours, d'après les témoignages recueillis au cours de nos
enquêtes effectuées auprès de certains migrants originaires
des régions de Diourbel, ce sont les grands marabouts et les grands
dignitaires qui ont été les premiers à se doter de lignes
téléphoniques personnelles dans la région. Pour
communiquer donc par téléphone avec les membres de leurs familles
restés dans la localité d'origine, les migrants avaient recours,
la solidarité aidant, aux numéros de téléphone de
ces personnes équipées. Le migrant appelait dans un premier temps
pour convenir d'un rendez-vous avant de rappeler une deuxième fois pour
joindre cette fois-ci la personne avec qui il désirait parler.
Dans son étude consacrée
précisément aux émigrés sénégalais et
les nouvelles technologies de l'information et de la communication, Serigne
Mansour Tall souligne l'usage communautaire du téléphone portable
de Khady Diagne par tous les habitants (150 personnes) du village de Gade
Kébé dans la région de Louga. Le téléphone
portable de Khady Diagne dont le mari est émigré en Italie sert
non seulement de « point de réception d'appels domestiques pour
tous les villageois », mais aussi c'est à la fois un instrument de
diffusion d'informations ayant trait aux cérémonies et un outil
de travail pour les jeunes filles du village à la recherche d'un emploi
domestique de même que pour les commerçants établis dans le
village. Ainsi donc, même si l'utilisation du téléphone
mobile s'est très largement répandue aujourd'hui au
Sénégal comme un peu partout en Afrique d'ailleurs, les relations
sociales sont façonnées de telle sorte que les usages
communautaires ont encore de beaux jours devant eux. Et à notre avis,
c'est cela qui va faire le succès des technologies de l'information et
de la communication au Sénégal en particulier et en Afrique en
général. Au Sénégal, le migrant pouvait appeler
chez n'importe quel voisin du quartier proche ou lointain équipé
en ligne personnelle, il était quasiment sûr que son message
allait bien arriver à son destinataire.
celle des collectivités locales, de gros efforts
financiers pour y construire des maisons et aussi doter ces espaces
d'infrastructures en eau, en électricité, en
téléphone, etc.
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