9.3 Un rôle important dans la réduction
de la fracture
numérique
D'une manière générale, l'accès
aux technologies de l'information et de la communication est fortement
marqué par des disparités à l'échelle mondiale. Ce
sont des inégalités dans les accès et les usages de
certains outils modernes de communication et plus particulièrement
d'Internet surtout et des téléphones mobiles à des
degrés moindres. Ce schisme est visible d'une part entre les populations
des pays du nord et celles des pays du sud à l'échelle mondiale
et, d'autre part entre les populations des zones urbaines et des zones rurales
au sein d'un même pays. Avec l'apparition et le développement du
smartphone ou téléphone intelligent dans les pays
industrialisés, le fossé risque d'être encore un peu plus
accentué. La fracture numérique a été
employée pour désigner ce
397
fossé « face aux possibilités
d'accéder et de contribuer à l'information, à la
connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des
capacités majeures de développement offertes par les TIC
»170 comme l'écrit Michel Elie. Ces disparités
résultent principalement de la logique exclusive de rentabilité
marchande et financière qui a accompagné
précisément l'évolution du réseau Internet. Depuis
leur avènement, les infrastructures de télécommunications
sont essentiellement tournées vers les États-Unis qui sont
d'ailleurs devenus aujourd'hui la plaque tournante du trafic mondial. On
constate que dans de nombreux pays, les plus gros opérateurs de
télécommunications se contentent tout simplement de faire
transiter une bonne partie de leur trafic à travers les réseaux
des États-Unis. Partout dans les pays du nord, la fracture
numérique est devenue une réalité concrète. Dans
ces pays, les personnes âgées de plus de 60 ans, les personnes peu
diplômées et les personnes vivant dans des foyers aux revenus
modestes représentent la grande majorité des populations
défavorisées dans l'accès à Internet. Sur
Wikipédia, il est indiqué que 80 à 95% de la population ne
se connectent jamais après 60 ans. Les personnes vivant dans des foyers
modestes constituent 65% des personnes rencontrant des problèmes
d'accès à Internet. Ce sont là des caractéristiques
que l'on trouve fréquemment auprès d'un certain nombre de
migrants ou de personnes issues de la migration.
Au sein de la diaspora sénégalaise en France, il
existe des différences notables dans l'accès et l'usage
d'Internet. Généralement, les étudiants et les migrants
hautement qualifiés sont les principaux utilisateurs d'Internet. Non
seulement, ils utilisent Internet pour divers usages numériques, mais
ils peuvent aussi être des producteurs de contenus sur le web. En dehors
de quelques membres qui ont les compétences requises pour se connecter,
on observe que les migrants commerçants et les migrants originaires de
la vallée du fleuve Sénégal ont bien souvent des
difficultés pour accéder et utiliser les ressources d'Internet.
N'ayant pas ou ayant peu fréquenté l'école
française, ils n'ont pas de ce fait une bonne maîtrise du
français pour savoir l'utiliser.
Quoi qu'il en soit, tous ces acteurs de la migration
sénégalaise entretiennent des relations extrêmement fortes
avec le pays d'origine. Chacun sait par exemple l'importance des transferts de
fonds effectués par les migrants vers le pays d'origine. Comme nous
l'avons évoqué précédemment, ces fonds contribuent
indéniablement à
170 ELIE, M., Le fossé numérique. L'Internet,
facteur de nouvelles inégalités ? Problèmes politiques
et sociaux,
398
subvenir aux besoins vitaux des familles et aussi à
soutenir les efforts de développement dans certains cas. Il s'agit
là de l'apport de la diaspora contre la fracture économique et
sociale qui sévit de façon profonde dans le pays d'origine entre
une minorité (élites politique et maraboutique) et
l'écrasante majorité de la population ployant sous le fardeau de
la pauvreté. Cependant, la participation des migrants au
développement du Sénégal ne se limite pas seulement
à l'aspect financier. Il faut ajouter en effet leur rôle
considérable dans la réduction de la fracture
numérique.
Il apparaît à travers les réponses
collectées que les migrants sénégalais en France jouent un
rôle important dans l'équipement des familles restées dans
le pays d'origine. Parmi les outils de communication amenés au
Sénégal, le téléphone mobile est sans aucun doute
l'outil de communication le plus introduit. Ils sont 37% à soutenir
avoir amené un téléphone mobile au Sénégal.
Quand on voit aussi que 12% des répondants ont amené un
téléphone fixe au Sénégal, on peut vraiment dire
que le téléphone est l'outil indispensable qui permet
précisément de maintenir et de renforcer le contact avec le pays
d'origine. On remarque également le rôle important des migrants
dans l'équipement des ménages sénégalais en
ordinateur portable. Près de 25% de nos répondants
déclarent avoir amené un ordinateur portable au
Sénégal. Cela peut s'expliquer par les possibilités
actuelles de téléphoner gratuitement via Internet. L'utilisation
d'Internet pour communiquer avec les enfants résidant à
l'étranger commence à se développer peu à peu
auprès de certains ménages dakarois en particulier. C'est pour
cela d'ailleurs que l'on a presque le même pourcentage au niveau des
migrants ayant amené un casque multimédia au
Sénégal.
Ces réponses mettent en évidence l'importance
croissante des migrants dans l'insertion et la diffusion des TIC au
Sénégal. C'est en effet grâce à eux essentiellement
qu'une frange importante de la population, même dans les coins les plus
reculés du pays, parvient à accéder à ces
technologies modernes de communication. Sans l'apport considérable des
migrants, l'accès aux outils modernes d'information et de communication
sur l'ensemble du territoire national serait encore beaucoup plus
limité. Généralement, les migrants mettent à profit
leur séjour au pays pour intégrer les TIC dans le cadre familial.
On remarque aussi qu'ils remplissent habituellement une fonction
pédagogique auprès des parents et amis en leur donnant au
quotidien des indications et
n° 861, La Documentation française, Paris, août
2001.
399
des conseils précis pour une utilisation
adéquate du matériel. A travers ses initiatives, la diaspora
participe non seulement aux actions visant à réduire la fracture
numérique entre les pays du nord et les pays du sud, mais aussi
contribue à la dynamique pour combler le fossé numérique
entre les zones urbaines et les zones rurales dans le pays d'origine. Il faut
aussi ajouter que ce sont souvent eux également qui équipent les
cybercentres.
Graphique 30. Outils de communication ramenés par
les migrants au Sénégal
![](Dynamique-des-reseaux-et-des-systemes-de-communication-des-migrants-senegalais-en-France97.png)
|