II.4. La société des nations
Pour Kant, l'avons-nous dit, « le problème de
l'édification d'une constitution civile
parfaite est lié au problème de
l'établissement d'une relation extérieure légale entre les
Etats, et ne peut être résolu sans ce dernier
»59. Cette relation légale entre les Etats permet
à toute communauté de jouir d'une liberté sans frein et
que, par suite, un Etat doit s'attendre à subir de la part d'un autre
exactement les mêmes maux qui pesaient sur les individus particuliers et
les contraignaient à entrer dans un état civil conforme à
la loi.
C'est ainsi que la nature se sert de ce caractère peu
accommodant des hommes, et même des grandes sociétés afin
de forger, au sein de leur antagonisme inévitable, un état de
calme et de sécurité. C'est-à-dire, explique l'ermite de
Konigsberg,
C'est par le truchement de guerres,(...), par la
détresse qui s'ensuit finalement à l'intérieur de chaque
Etat( même en temps de paix), que la nature pousse les Etats à
faire des tentatives au début imparfaites, puis, finalement,
après bien des désastres, bien des naufrages, après
même un épuisement intérieur exhaustif de leurs forces,
à faire ce que la raison aurait aussi bien pu leur dire sans qu'il leur
en coûtât d'aussi tristes expériences, c'est-à-dire
à sortir de l'absence de loi propre aux sauvages pour entrer dans une
Société des Nations dans laquelle chaque Etat, même le plus
petit, pourrait attendre sa sécurité et ses droits, non de sa
propre force ou de sa propre appréciation du droit, mais uniquement de
cette grande Société des Nations (Foedus ampphictyonum),
c'est-à-dire d'une force unie et de la décision légale de
la volonté unifiée. »60
58 E. Kant, Projet de paix
perpétuelle, p.371.
59 E. Kant, H.U., p.197.
60 E. Kant, idée d'une histoire universelle
d'un point de vue cosmopolitique, p. 197.
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Kant est donc convaincu que la Société des
Nations constitue l'issue inévitable de la détresse en laquelle
les hommes se plongent eux-mêmes, et qui doit contraindre les Etats
à prendre précisément la même décision que
celle que l'homme sauvage avait été contraint de prendre tout
aussi à contrecoeur. Car, poursuit Kant,
Toutes les guerres sont autant de tentatives (...) pour mettre
en place de nouvelles relations entre les Etats, pour former par la destruction
des anciens, ou tout au moins par leur morcellement, de nouveaux corps qui
cependant ne peuvent à leur tour se maintenir, soit en eux-mêmes,
soit les uns à coté des autres (...) ; jusqu'à ce que,
finalement, (...), un état de choses s'instaure qui, semblable à
une constitution civile, pourra se maintenir de lui-même comme un
automate61.
Cette évocation révèle à
suffisance l'impérieuse nécessité de l'institution d'une
Société des Nations, laquelle assurera le calme et la
sécurité tant des individus que des Etats dans leur rapport
d'indépendance réciproque, et c'est de cette seule façon
que se dessine l'avènement de la paix perpétuelle dans le genre
humain.
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