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2.2.3 L'apport des sciences humaines
L'enquête s'est efforcée de donner la parole
à l'enfant malade, avec le souci constant de limiter l'implication et la
subjectivité du chercheur.
L'analyse des résultats et l'interprétation, nous
interpellent:
Il est important que l'élève puisse exprimer son
propre sentiment. L'herméneutique nous invite à nous interroger
sur le sens des avis recueillis. Cette enquête faite il y a quinze ans
aurait sans doute produit des réponses d'un autre type «Parce
qu'on est obligé.... on m'a dit de venir...». L'école a
perdu une partie du caractère normatif et disciplinaire, qu'elle
compense aujourd'hui par de la flexibilité, source d'instabilité
pour l'individu, tenu de choisir de façon quasi permanente ses modes de
conduite. Nos sociétés font appel à une forte mobilisation
personnelle de l'individu pouvant aboutir selon Alain Ehrenberg à une
« Fatigue d'être soi « ou conduire à une
pathologie moderne, le stress.
(Sciences humaines H.S. 38, 2002 p. 57).
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Pour faciliter le passage à la distanciation , il est
fait appel aux sciences humaines.
Ces disciplines vont nous aider à interpréter les
résultats :
1° quant aux motivations des
élèves
- Les empiristes pensent que l'homme est
dominé par une aspiration vitale «à
connaître» qui serait intrinsèque à sa nature. Ce
paradigme ne trouverait-il pas son acception dans le cas d'un pronostic vital
incertain?
- Pour les constructivistes et cognitivistes et selon P.
Meirieu.
« il n'y a de savoir authentique que par
l'élaboration de réponses aux questions qu'on se
pose »
- Les sociologues parlent du rapport au savoir et de la
réalisation de soi.
Pour sortir de la dépendance passive des soins,
l'enfant-sujet, entre en confrontation,
«être confronté à un
apprentissage, à un savoir, à l'école, c'est
engager son identité et la mettre à l'épreuve
» 75
76
- Bernard Charlot décrit ainsi l'élève
«il est sujet, en relation avec d'autres, pris dans
une dynamique de désir, parlant, agissant, se
construisant dans une histoire, une famille, d'une société, de
l'espèce humaine elle-même, engagé dans un
monde* où il occupe une position et
où il s'inscrit dans des rapports sociaux »
- Marcel Mauss écrit « Le don appelle le
contre-don, ce ne sont pas les biens échangés qui comptent, mais
l'entretien du lien social »77 Essai sur le don.
- Paul Ricoeur évoque la nécessaire
réciprocité« Soi-même comme un
autre»,
l'altérité prend source dans l'égo, elle
est constitutive de l'ipséité.
En résumé, la motivation
à travailler répond au besoin de confrontation du sujet acteur.
Tandis que la motivation à apprendre, répond à une
aspiration vitale de recherche aux questions qu'on se pose. Motivations
à travailler et apprendre traduisent la dyna-
74 Bézille H., questions d'éthique, dans
Méthodes qualitatives, op.cit, p. 175.
75 Charlot B., Bautier E., Rochex J.Y., École et
savoir dans les banlieues et ailleurs, Bordas, Paris, 2000, p. 30.
76 Charlot B., Du rapport au savoir, op.cit.
p. 102.
77 Il s'agit de la position morale « être
l'obligé de » qui signifie faire plaisir: Grevisse 1986 p. 1331.
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mique de désir. La recherche de connaissance inscrit
l'élève, même malade, dans un
*
projet humain auquel il participe par le don et le contre-don
«pour faire le monde ».
Ces motivations sont le reflet du passage de l'enfant-patient
à l'enfant-élève.
2° quant à la prise en compte de la souffrance de
l'enfant malade
Sartre estime que « l'existence précède
l'essence » nous complétons sa position en écrivant
« le temporel procède de l'existentiel
» ce qui s'accorde avec celle de Maslow : on ne peut satisfaire le
temporel (scolaire) que si les besoins de sécurité sont
satisfaits.
Nous résumons le point de vue de M. Heidegger pour
expliquer le vécu hospitalier:
Le sens de la vie d'après Martin
Heidegger
L'homme est un être en devenir qui a conscience de
cette particularité. Elle lui permet de se situer temporellement par
rapport au monde selon les modalités de la compréhension
grâce à l'affectivité et à travers la parole.
L'angoisse, sentiment d'inquiétude dû à l'isolement de
l 'individu face à lui même, ôte toute
signification à la temporalité*.
La temporalité, (le moi) est une entité à
trois dimensions :
Le passé, qui n'est pas le révolu, contribue
à se définir et se situer,
Le présent résulte du passé, permet d'agir
en faisant des projets,
L'avenir, correspond à ce qui est envisageable et
possible.
Dépasser la temporalité permet de se
dépasser soi-même, d'exister authentiquement
de s'observer dans l'espace temps, et paradoxalement, d'agir sur
moi-même.
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Nota : Les aborigènes d'Australie
dépassent la temporalité considérant qu'ils appartiennent
à la terre (et au temps).
*
Notre propos se rapporte à la phase de «crise
existentielle * » 78 génératrice d'angoisse .
L'enfant aux prises avec cette réalité, ne peut
que se détourner du temporel quotidien.
79
Le rôle de l'enseignant consiste à estomper les
effets de la crise et soutenir les moti-
vations de l'élève:
· par le rapport qu'il entretient avec un être
«conscient», en tant que disposant de ce qu'il vit en
conformité avec ce qu'il a à être [...] et conjugue son
sentir, son désir, son savoir aux divers
80
temps de ses possibilités Henry Ey
· par la prise en compte de ses disponibilités
effectives «les transitions vont de la fermeture de la conscience
endormie à l'ouverture de la conscience éveillée, ce sont
mille manières pour le sujet d'être à son
monde*[...] être conscient, c'est
disposer d'un modèle personnel de son
monde* [...] la conscience est
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au temps ce que le corps est à l'espace»
Henry Ey .
82
· par la restructuration identitaire, l'identité est
définie selon Fernando Gil par sept dimensions:
La continuité, l'intégration, l'autonomie, la
dualité, l'unicité, l'action et la production.
Les deux premières conditionnent les autres, la
continuité permet à l'élève de se situer dans le
temps et l'espace afin qu'il intègre sa personnalité par
maîtrise d'une conduite adaptée. Ce qui compte en
définitive c'est que l'élève s'assume:
«La constance de soi ne consiste pas à
maintenir une identité,
84
mais à soutenir une tension
dialectique83 et à maîtriser des crises
périodiques.»
78 Notion due à Kierkegaard concernant l'homme
prenant la mesure de sa situation dans le monde.
79 Selon D.E. Jacobson, la crise est une survenue soudaine et
limitée, menace importante pour le bien être.
80 Propos rapportés dans le style de Husserl, Structure de
la conscience, dans Encyclop3/4dia Universalis CD ver. 8.
81 Ey. H. (dir), La Conscience, Desclée de
Brouwer, Paris, 3e éd. 1983.
82 Gil Fernando est directeur d'études à
l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.
83 C'est à dire désignant un mouvement mettant en
rapport des situations existentielles.
84 Mounier E. citation rapportée par J.M Domenach,
Identité et psychologie, dans Encyclop3/4dia Universalis CD
ver. 8.
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