LAKHAL NADIA
Quelles sont les dérives dont il faut se
méfier dès lors qu'on utilise des incentives pour
rémunérer la performance ?
Master 1 Gestion
Majeure : Contrôle de gestion et système
d'information
UE 301 - Approche Stratégique du Contrôle de
Gestion 2008/2009SOMMAIRE
INTRODUCTION
3
I. LIER LA RÉMUNÉRATION
À LA PERFORMANCE
4
I.A. OBJECTIFS STRATÉGIQUES DES
INCENTIVES
4
I.A.1. THÉORIE DE L'AGENCE
4
I.A.2. INSTRUMENT DE MOTIVATION ET DE COHÉSION
4
I.A.3. INSTRUMENT DE FIDÉLISATION ET DE SÉLECTION
5
I.A.4. ATOUT FISCAL
6
I.B. MESURE DE LA PERFORMANCE
6
I.B.1. ASSIGNATION DES OBJECTIFS AUX CADRES
6
I.B.2. CONTRÔLABILITÉ
7
I.B.3. INDICATEURS
7
II. INCONVÉNIENTS DE LA
RÉMUNÉRATION INCITATIVE
8
II.A. RÉFLEXION
« COURTERMISTE »
8
II.B. LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES
9
II.B.1. COHÉSION
9
II.B.2. MOBILITÉ DES MANAGERS
9
II.C. L'ETHIQUE
10
II.C.1. CHANGEMENT DE COMPORTEMENTS DES CADRES
10
II.C.2. MANIPULATION DE L'INFORMATION
11
II.D. LES INCENTIVES NE
PÉNALISENT PAS LA MAUVAISE PERFORMANCE
12
II.E. COÛTS SUPÉRIEURS AUX
BÉNEFICES
12
CONCLUSION
14
BIBLIOGRAPHIE
16
INTRODUCTION
La rémunération des différents acteurs de
l'entreprise et notamment, celle des dirigeants est aujourd'hui de plus en plus
contestée. Dans un contexte où l'économie mondiale est en
récession à cause de la crise bancaire, impulsée par la
crise des sub-primes, les « parachutes dorés » dont
bénéficient les dirigeants malgré les mauvais
résultats de leur entreprise sont mal perçus. Et les incentives
sont donc remis en cause.
Les incentives sont un outil managérial de motivation
des salariés, né aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ce terme
anglo-saxon peut être traduit par « motivation » en
français. Il englobe tous les bonus que peuvent recevoir les
salariés, cadres et dirigeants : les stocks options, les primes
individuelles ou collectives, les voitures de fonction ...
La structure de la rémunération est
divisée en deux composantes qui ont deux objectifs distincts : une
partie fixe qui a pour objectif de sécuriser et une partie variable qui
constitue une rémunération incitative. Nous nous
intéresserons dans notre travail à la partie variable de la
rémunération.
Les incentives servent à récompenser la
performance au sein de l'entreprise. A l'origine, cette pratique concernait
l'animation des réseaux de ventes, mais aujourd'hui, ce modèle
s'étend à l'ensemble des fonctions de l'entreprise. Toutefois,
cette rémunération est plus simple à mettre en oeuvre pour
les cadres supérieurs et les dirigeants que pour l'échelon
intermédiaire où l'on essaie de privilégier
l'égalité. Durant notre étude, nous nous
intéresserons d'ailleurs qu'à la situation du top management.
Dans ce contexte de remise en cause des incentives, nous
pouvons donc nous demander quelles sont les dérives dont il faut se
méfier dès lors qu'on utilise des incentives pour
rémunérer la performance. Nous étudierons tout d'abord
pourquoi et comment peut-on lier la performance à la
rémunération puis nous aborderons les limites de l'utilisation
des incentives.
I. LIER
LA RÉMUNÉRATION À LA PERFORMANCE
I.A. OBJECTIFS STRATÉGIQUES DES
INCENTIVES
I.A.1. THÉORIE
DE L'AGENCE
Nous allons nous intéresser aux entreprises ayant un
capital dilué. Dans ce cas, la problématique de la
rémunération des cadres dirigeants est liée à la
théorie de l'agence développée par Jensen et Meckling en
1976. Dans ce type d'entreprises, une asymétrie d'intérêts
et d'information existe entre les actionnaires qui apportent les ressources et
qui en contrepartie recherchent la création de valeur, en particulier la
performance boursière et les dirigeants qui prennent les
décisions managériales. Les actionnaires doivent alors inciter
les dirigeants à s'aligner sur leurs intérêts. Une
politique de rémunération incitative peut être mise en
place.
Les dirigeants sont ainsi incités à prendre les
décisions les plus créatrices de valeur pour les actionnaires en
se voyant offrir un ensemble d'incitations de nature à rapprocher leurs
intérêts financiers de ceux des actionnaires, en particulier par
l'attribution d'options de souscription d'actions. En effet,
l'amélioration du cours de l'action profite également aux
dirigeants. Selon l'enquête de C. Alcouffe de 2004, cette politique de
rémunération est d'autant plus pratiquée dans les grands
groupes, plus difficile à contrôler. Elle constitue un outil de
délégation.
I.A.2. INSTRUMENT DE
MOTIVATION ET DE COHÉSION
L'avantage premier des incentives est que les cadres vont
travailler plus pour pouvoir améliorer leur résultat et leur
rémunération. Dans ce cas, la rémunération de la
performance est simplement la rétribution a posteriori d'un
résultat constaté.
Cependant, la rémunération incitative
possède plusieurs intérêts pour la gestion des ressources
humaines. Dans le Contrôle de gestion social, B. Martory
souligne qu'elle constitue « l'instrument, le levier, qui incite,
motive et agit sur les ressources pour atteindre les résultats
prévus ». Elle permet d'inciter les managers à exercer
le bon niveau d'effort, et de s'impliquer plus en rendant une partie de leur
rémunération liée aux résultats économiques
de l'entreprise. La rémunération à la performance est
également une façon de « développer le sentiment
d'appartenance à l'entreprise » (B.Martory) en leur
transmettant et faisant internaliser les objectifs de l'entreprise.
Il ressort d'une enquête mondiale, «Global Equity
Incentives», réalisée par Price waterhouse Coopers, ayant
pour but d'analyser les «equity incentives plans», que les
entreprises estiment de plus en plus que ce type de «plans» a une
influence positive sur la motivation des top managers.
I.A.3. INSTRUMENT DE
FIDÉLISATION ET DE SÉLECTION
La rémunération incitative constitue
également pour gérer les ressources humaines un instrument de
fidélisation et de sélection.
Bien qu'ils récompensent en théorie l'atteinte
des objectifs, les incentives peuvent être considérés
parfois disproportionnés par rapport à la performance. En effet,
ces « larges » rétributions sont un bon moyen
d'attirer et de fidéliser les top-managers performants au sein de
l'entreprise, rares sur le marché du travail. Cet argument est d'autant
plus avancé dans un contexte actuel marqué par la mondialisation
et la mobilité des « bon-managers »
français susceptibles d'êtres débauchés par les
firmes américaines où les rémunérations sont
censées être plus attractives. Les incentives ne sont donc pas
uniquement un instrument de rétribution. Ils constituent un mode de
sélection caché.
Dans l'article intitulé « La
rémunération des dirigeants sous forme d'actions et de
stock-options », Philippe Desbrières explique que
l'attribution des plans d'actions est une stratégie permettant de
retenir les bons managers. « La perspective de réaliser un gain
financier si les actions prennent de la valeur les retient dans
l'entreprise. La revente des actions acquises ne s'effectuant
généralement qu'après plusieurs années (d'autant
plus que des périodes d'indisponibilité des stock-options et
d'incessibilité des actions détenues sont imposées), les
managers doivent demeurer en fonction dans la firme pour réaliser ce
gain ». Ce mécanisme les "menottes dorées" (golden
handcuffs) consiste donc à retenir le bon dirigeant par
l'argent.
I.A.4. ATOUT
FISCAL
Le développement des incentives s'explique aussi par
une optimisation fiscale pour la société. De nombreuses lois ont
été créées comme la loi du 30 décembre 2006
pour le développement de la participation et de l'actionnariat
salarié permettant l'allègement fiscal. L'entreprise peut, par
exemple, déduire certaines charges dues à l'attribution des
stock-options ou des actions gratuites (S. Guimbert et J-C Vallat,
« La fiscalité des stock-options : une perspective
internationale »). De plus, les incentives ne rentrent pas tous dans
la rémunération brute et aucune cotisation patronale n'est
à payer.
I.B. MESURE DE LA PERFORMANCE
La mise en place de la
rémunération incitative implique l'assignation d'objectifs clairs
et précis aux cadres. Ils doivent pouvoir maîtriser leurs actions.
Finalement, la performance est mesurée et de son niveau dépend la
rémunération.
I.B.1. ASSIGNATION DES OBJECTIFS AUX
CADRES
Si la mesure de la performance s'avère difficile et
imparfaite, l'assignation d'objectifs censés représenter la
performance peut être également parfois aléatoire et
imparfaite. Ceci constitue une première difficulté dans la mise
en place des incentives. Selon Daniel Held, la fixation d'objectifs est
imparfaite car elle porte souvent uniquement sur des axes financiers, en
conséquence, elle réduit la motivation à s'engager pour
une cause, pour une finalité. Or il s'agit de la seule motivation viable
à long terme.
De plus, des objectifs mal assignés sont sources de
conflits, les objectifs peuvent être perçus comme injustes et
ainsi entraînés l'insatisfaction voire la démotivation.
Lors de l'adoption d'un système de rémunération lié
à la performance, la première difficulté résulte
donc dans la fixation d'objectifs qui doit être effectuée avec
précision.
I.B.2. CONTRÔLABILITÉ
Le manager doit pouvoir contrôler les actions dont il a
la responsabilité. Or l'environnement économique est souvent
instable, incertain comme le montre la période de crise
financière que nous traversons actuellement. En conséquence, les
résultats peuvent se trouver affectés par la crise et les
objectifs fixés ne peuvent donc plus être atteints.
Une rémunération fondée sur des
données boursières est pour partie sans lien avec les efforts du
dirigeant car la valeur de l'action en bourse dépend elle-même de
plusieurs facteurs qui sont hors de son champ de contrôle. La performance
individuelle des dirigeants n'a qu'un faible effet sur ces variations. On peut
alors se poser la question si on rémunère l'atteinte des
objectifs ou l'attitude du manager.
I.B.3. INDICATEURS
Préalablement à la mesure de la performance, il
faut déterminer les objectifs et les responsabilités de chacun.
Les objectifs peuvent être financiers (chiffre d'affaires,
création de valeur, réduction des coûts) ou non financiers
(part de marché, satisfaction clients).
On retient alors comme notion de performance le fait que le
cadre a atteint les objectifs qui lui ont été assignés. Il
faut donc mettre en place des indicateurs qui serviront à
rémunérer cette performance.
Selon B. Roman, les systèmes de mesure de la
performance doivent être pertinents, simples et connus de tous pour
servir de base à la rémunération variable. La mesure de la
performance doit prendre en compte différents niveaux : la performance
individuelle, la performance de l'équipe ou du métier et la
performance générale de l'entreprise.
Comme on se focalise sur le top management, la performance
s'analyse principalement à travers des indicateurs financiers. Les
actionnaires cherchent en effet à mesurer la rentabilité
économique (ROI) ou la création de valeur (EVA). Mais il se pose
déjà le problème de la pertinence des indicateurs retenus.
Ce sont des indicateurs comptables. En outre, le ROI est pertinent sur une
périodicité de cinq ans alors que généralement
l'horizon retenu est annuel.
II. INCONVÉNIENTS DE LA RÉMUNÉRATION
INCITATIVE
II.A. RÉFLEXION
« COURTERMISTE »
La rémunération incitative peut entraîner
un manque de réflexion stratégique sur le long terme, qui
découle directement des indicateurs et des seuils retenus pour mesurer
la performance. En effet, ils vont guider le choix des actions des managers.
Si le bonus court terme peut être motivant pour le
dirigeant, il n'en demeure pas moins que le système de
rémunération incitative peut conduire à des conduites
déviantes, néfastes pour l'intérêt de l'entreprise
à moyen et long terme. En effet, la course effrénée
à la rentabilité pour répondre aux exigences des
actionnaires peut entraîner une prise de risque
inconsidérée par les managers qui prennent des décisions
à horizon d'un an en occultant ainsi les plans de réflexion
stratégique qui s'inscrivent sur le long terme (cinq à dix ans).
Dans l'étude « Une expérimentation sur
l'impact des systèmes d'incitation sur la création de valeur
actionnariale », Nicolas Mottis & Philippe Zarlowski
soulignent que certains dirigeants, averses au risque, refuseraient de
procéder à certains investissement générateurs de
gains trop éloignés dans le temps ou trop risqués.
Pour contrer ces effets néfastes, il se
développe une tendance d'attribution de bonus sur le moyen terme. Ainsi
le dirigeant a le droit à l'erreur et a suffisamment de temps pour
mettre en place des actions longues et puis lancer des actions correctrices. La
continuité de la performance est ainsi récompensée.
Sur ce thème,
Sofiane
Aboura et
Antoine
Renucci, maîtres de conférence à l'université
Paris-Dauphine, dans une interview accordée à l'agefi concernant
les bonus alloués aux traders, préconisent d'étendre la
période sur laquelle la performance est évaluée :
« L'horizon sur lequel on juge la performance des traders (un an) est trop
court. Il faudrait calculer les bonus sur des périodes de trois ou
quatre ans pour éliminer le facteur chance, comme un cycle haussier par
exemple.»
II.B. LA GESTION DES
RESSOURCES HUMAINES
II.B.1. COHÉSION
Les incentives sont essentiellement touchés par les
cadres. Toutefois, l'entreprise est un tout. Les managers ne travaillent pas
seuls. Les processus sont de plus en plus transversaux. Les bons
résultats de l'entreprise reposent donc sur le bon travail des
différentes fonctions (commerciaux, productions, marketing, ...) et
l'ensemble du personnel.
Deux problèmes se posent. D'une part, comment
récompenser un manager sur des résultats qui ne dépendent
pas uniquement de lui. La question de la contrôlabilité du cadre
se retrouve. D'autre part, un sentiment d'injustice et un risque de
démotivation des opérationnels peuvent se produire. Eux
également contribuent à la performance de l'entreprise mais ils
ne se verront pas aussi bien récompenser que les managers.
Les inégalités de salaires se creusent, surtout
que l'accès aux formes les plus dynamiques de rémunération
(stock-options) reste le plus souvent réservé au top management.
En 2006, la rémunération globale des patrons du CAC 40
représente en moyenne 380 SMIC. Ainsi ce système de
rémunération privilégiant les managers peut engendrer de
l'incompréhension et surtout un manque de cohésion. Des scissions
entre les cadres dirigeants et les opérations au sein de l'entreprise ne
sont pourtant pas favorables à une bonne remontée de
l'information et à une bonne productivité. En outre, pour
atteindre les objectifs de performance imposés par les actionnaires, les
dirigeants imposent des objectifs encore plus élevés à
leur subordonnées. Or cela contribue à démultiplier la
pression au fil des échelons hiérarchiques ce qui est
néfaste pour une bonne cohésion au sein de l'entreprise.
C'est la raison pour laquelle il faut instaurer des objectifs
clairs et proposer une politique de rémunération plus
transparente et plus équitable pour l'ensemble du personnel.
II.B.2. MOBILITÉ DES MANAGERS
Selon Daniel Held, un autre problème majeur est celui
de l'impact négatif des incentives sur la mobilité des
dirigeants. Selon lui, « c'est surtout l'impact sur la
mobilité des collaborateurs et sur les politiques de management
développement qui nous semble le plus préoccupant dans le
contexte actuel caractérisé par une croissance faible ou
négative des effectifs, et surtout un aplatissement significatifs des
structures hiérarchiques » (Daniel Held (1997), « La
rémunération à la performance : un art
délicat », Persorama, n°3).
En effet, les incentives permettent aux managers très
compétents et à haut potentiel de prouver leurs
compétences et d'atteindre rapidement des niveaux de
rémunération élevés. Mais ces managers ont alors
tendance à vouloir rester dans la fonction où ils sont
compétents, leur carrière reste linéaire, ils
n'acquièrent pas d'expériences à l'étranger ou dans
une autre fonction. Or, pour pouvoir occuper des fonctions de Direction
Générale, le manager doit avoir une vision globale de
l'entreprise et des compétences étendues à toutes les
fonctions de l'entreprise.
Les incentives n'encouragent pas la mobilité, car si le
manager décide de travailler dans une autre fonction ou, du moins au
départ, il sera moins compétent et moins performant que dans son
actuelle fonction, sa rémunération risque de baisser. De plus,
les conditions de retour à son ancien poste ne seront jamais claires au
vue des nombreuses restructurations dans les entreprises. Le manager
préfèrera donc se spécialiser dans la fonction où
il est le plus performant. Les équipes de direction, ayant des
compétences polyvalentes et qui ont une vision des différentes
fictions de l'entreprise, sont donc de plus en plus difficile à
constituer, ce qui est problématique pour le bien de l'entreprise
à long terme.
II.C. L'ETHIQUE
II.C.1. CHANGEMENT DE COMPORTEMENTS DES
CADRES
D'après C. Prendergast, la rémunération
à la performance entraîne un changement de comportements des
cadres. Ils vont se focaliser sur les tâches récompensées
et délaisser d'autres obligations. En effet, les cadres effectuent de
nombreuses tâches et les mesures de performance ne peuvent pas prendre en
compte tous les aspects de leur métier. La bonne mesure de la
performance est primordiale pour que le système d'incentives soit
efficace. Sinon les cadres vont agir pour leur propre intérêt,
délaisser le travail d'équipe et ce comportement peut nuire
à l'entreprise à long terme.
II.C.2. MANIPULATION DE
L'INFORMATION
Les dirigeants produisent les résultats comptables et
financiers remis aux actionnaires qui servent de base à leur
évaluation dont dépend ensuite leur rémunération.
Or il s'agit d'un instrument de pouvoir mis entre leurs mains. C. Alcouffe
parle de « marge discrétionnaire des dirigeants ».
Les dirigeants ont connaissance des données exactes et pourrait les
dissimuler aux actionnaires afin de présenter par tous les moyens un
état favorable de leur performance au détriment de la
qualité de l'information. En d'autres termes, ils sont
évalués sur la base d'indicateurs qu'ils influencent ou
produisent eux-mêmes, ce qui n'est pas sain. Les actionnaires doivent
donc avoir un regard pertinent sur les informations fournies et les
connaissances nécessaires.
Le cas le plus emblématique est le scandale Enron qui a
fait faillite en 2001, suite à des pertes occasionnées par des
opérations spéculatives. Elles avaient étés
dissimulées par des manipulations comptables.
Ces défaillances soulèvent la
nécessité de contrôles réalisés par des
autorités indépendantes représentant un contrôle
fiable des données et qui n'auraient aucun intérêt à
influencer les résultats à produire. Dans l'affaire Enron,
l'auditeur des compteurs, l'entreprise Arthur Andersen a également fait
faillite n'ayant pas révélée ses manipulations.
Mais, comme l'explique Edith Ginglinger, dans
« L'actionnaire comme contrôleur », (Revue
française de gestion, pp39), « plus l'actionnariat
est dispersé moins le contrôle des dirigeants est
effectif » puisque les coûts de contrôle sont
élevés et supportés totalement par l'actionnaire qui le
met en oeuvre alors qu'il n'en bénéficiera qu'à la hauteur
de sa participation au capital. Au contraire, un actionnaire qui n'engage pas
d'efforts de contrôle ne supportera pas de coûts, et
bénéficiera des efforts des autres actionnaires. Ceci renvoie
à la théorie du passager clandestin.
II.D. LES INCENTIVES NE PÉNALISENT PAS LA MAUVAISE
PERFORMANCE
Certes, les incentives récompensent la bonne
performance, mais ils ne sanctionnent pas forcément la mauvaise
performance du dirigeant. En effet, des erreurs de gestion ou de choix de
projets prises par le dirigeant entrainant de mauvaises performances n'ont pas
le même impact sur sa rémunération. Selon B. Roman, la
rémunération à la performance doit pourtant être
réellement variable, comme la performance elle-même pour motiver
le dirigeant à créer d'avantage de valeur.
Les parachutes dorés sont l'exemple parfait
d'incentives ne pénalisant pas la mauvaise performance. Les
détracteurs parlent de « prime à
l'échec ». A l'origine, ces indemnités de départ
sont censées remercier la bonne performance du dirigeant dans
l'entreprise et payer la clause de non-concurrence. Or depuis quelques
années, ils assurent à certains dirigeants de recevoir plusieurs
millions d'euros, même si l'entreprise connaît une situation
difficile. On peut citer le cas de Patricia Russo, directrice
générale de l'équipementier Alcatel-Lucent qui va recevoir
un parachute dorée de six millions d'euros alors que le groupe subit une
perte de plus d'un milliard d'euros au second semestre 2008 (Le Point.fr). Ces
parachutes dorés entraînent des scandales au niveau de l'opinion
publique. Les pouvoirs publics ont donc menacé de
légiférer. Les grands groupes ont ainsi adopté le code de
bonne conduite du Medef, qui stipule que les parachutes dorés seront
versés que si l'entreprise n'est pas en position d'échec et que
la somme versée ne dépassera pas deux ans de salaires.
II.E. COÛTS SUPÉRIEURS AUX
BÉNEFICES
La rémunération à la performance peut
générer une hausse des coûts salariaux qui n'est pas
compensée par la meilleure performance permise par les incentives.
Les cadres reçoivent des actions ou des stocks options
en fonction de la performance de l'entreprise. Pour les actionnaires, ce
système revient à donner une part du résultat futur et du
contrôle de l'entreprise aux cadres pour les inciter à
améliorer le cours de l'action et le bénéfice. Mais il est
difficile de connaître l'efficacité de ce mode de
rémunération. D'après les études recueillies par C.
Prendergast, le versement de stocks options peuvent représenter
jusqu'à trois années de salaires. Le coût de l'incitation
est énorme. De plus, le cadre, détenteur de stock-options peut
gagner beaucoup d'argent en cas de hausse du marché boursier en
général alors que la performance de l'entreprise est
inchangée. Le problème de la contrôlabilité se pose.
Le salarié doit pouvoir contrôler les éléments dont
dépend sa rémunération. Pour réduire les
coûts, les stock-options devraient dépendre de la performance de
la société par rapport au marché et non du cours de
l'action de la société.
De manière générale, les incentives
peuvent paraître coûteuses puisque leur efficacité est
parfois difficile à prouver. Ils sont efficaces au moment de leur
création, puis ils se banalisent et perdent leur utilité.
L'entreprise doit donc mettre en place d'autres systèmes d'incentives.
Toutefois, l'accumulation des dispositifs entraîne des surcoûts et
peut annuler les effets désirés. L'entreprise doit donc pouvoir
modifier ou supprimer les incentives pour atteindre les objectifs
souhaités.
CONCLUSION
Dans les modèles anglo-saxons, la tradition de lier la
performance à la rémunération est ancienne. Malgré
de fortes réticences, ce système de rémunération
tend à s'imposer au niveau des cadres en France. Selon l'Association
pour l'emploi des cadres (Apec), 71 % des cadres français
reçoivent un élément variable dans leur salaire en 2005
contre 56 % en 1994. Or les outils sont juxtaposés (salaire variable,
intéressement ou participation, stock-options, plan d'actionnariat, plan
de retraite, ordinateur portable, ...).
L'objectif premier des incentives est d'aligner les
intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires, à savoir
améliorer la performance de l'entreprise et les dividendes. Pour une
politique de rémunération incitative efficace, il faut assigner
des objectifs clairs, précis et atteignables. Comme la mesure de la
performance est annuelle, les dirigeants sont pousser à adopter des
décisions court-termistes qui ne peuvent être que néfastes
pour le développement à moyen et long terme de l'entreprise. Pour
contrer ces effets, les dirigeants devraient plutôt être
évalués sur le moyen terme. Mais sont-ils prêts à
voir différer leur bonus ?
Toutefois, un système de contrôle est
nécessaire en raison de l'asymétrie d'informations. Les
dirigeants peuvent être tentés de manipuler les données
comptables pour améliorer les données boursières, qui sont
fortement aléatoires et parfois sans lien avec les efforts des
dirigeants. Bien que coûteuses, les mesures d'audit sont utiles.
Toutefois, trop de contrôle peut tuer l'initiative, démotiver les
dirigeants, et aboutir à terme à réduire la performance de
l'entreprise.
Au niveau des ressources humaines, la politique des incentives
peut conduire à des effets inverses à ceux initialement
souhaités, à savoir la motivation, la cohésion et la
fidélité. Récompenser les
« meilleurs » peut générer un mauvais climat
social dans l'entreprise en frustrant, démotivant et
générant des conflits plus qu'en créant une réelle
cohésion au sein des équipes. Pour une bonne cohésion, il
faut mieux développer la rémunération variable collective,
par le biais de l'intéressement, de la participation, de l'actionnariat
salarié.
La rémunération des top-managers a connu une
telle dérive, qu'elle a fait naître de nombreuses
polémiques sur leur bien-fondé et sur leur faible relation avec
la performance boursière de l'entreprise gérée.
Début 2008, la plupart des grandes entreprises se sont engagés
à ne plus verser ces parachutes dorés en cas de mauvaise
performance de l'entreprise. Comment demander aux salariés de faire plus
d'efforts pour sauver l'entreprise alors que les dirigeants qui l'ont
amenés en situation d'échec quittent l'entreprise avec des
millions d'euros, comme A. Zacharias, PDG de Vince treize millions
d'euros ? Ainsi les incentives censés rémunérer la
bonne performance ne jouent plus leur rôle et sont
considérés comme une rémunération
« fixe ». Les coûts engendrés par ce
système sont alors très importants sans améliorer la
performance de l'entreprise.
Finalement, lier la rémunération à la
performance nécessite de fixer des objectifs possibles, un bon
système d'information, un bon système de contrôle et la
prise en compte des aléas de l'environnement pour satisfaire les cadres
et les actionnaires. Sinon ce système de rémunération peut
sérieusement nuire à l'entreprise au niveau des coûts
salariaux, sur le climat social et à la survie de l'entreprise à
long terme.
BIBLIOGRAPHIE
Ø Ouvrages
o B. Martory (2005), Contrôle de gestion
sociale, Vuibert, 5ème édition.
o B. Roman (2006), Bâtir une stratégie de
rémunération, Système de rémunération et
management de la performance, Paris, Dunod, 1ère
édition.
Ø Revues et
articles
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rémunération des dirigeants en France, fondements et
pratiques », les notes du LIRHE, n°399.
o Philippe Desbrières (2000), « La
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stock-options ».
o S. Guimbert S. et J-C. Vallat (2001), « La
fiscalité des stock options : une perspective
internationale »), Economie et statistique, n°
344.
o Daniel Held (1997), « La
rémunération à la performance : un art
délicat », Persorama, n°3.
o Nicolas Mottis & Philippe Zarlowski (2000),
« Faire des dirigeants des actionnaires, pour quelle
efficacité ? Une expérimentation sur l'impact des
systèmes d'incitation sur la création de valeur
actionnariale ».
o C. Prendergast (8 juin 2000), « Encourager la
performance », Les Echos, l'Art de la stratégie,
n°12.
o Edith Ginglinger (2002), « L'actionnaire comme
contrôleur », Revue Française de Gestion,
n°141, pp 37 à 55.
Ø Sites Internet
o « La rémunération des top managers
de plus en plus liée aux objectifs de l'entreprise », RH Tribune,
n° 124, Novembre 2008.
o Patrick Bonazza (29/07/2008), « Patricia Russo et
Serge Tchuruk quittent la direction d'Alcatel-Lucent », Le
Point.fr
o S. Leboucher (31/10/2007),
« Rémunération des cadres : toujours plus
d'individualisation», JDN Management.
o Fauconnier F. (31/10/2007),
« Rémunération : faut-il vraiment aller vers
l'individualisation ? », interview de Bruno Fourage
co-responsable activité conseil en capital humain chez Mercer, JDN
Management.
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