Les cours d'appui au CM2: critique sociologique d'une pratique pédagogique. à‰tude de cas à Yeumbeul- Nord au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Abdou FAYE Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Certificat d'aptitude aux fonctions d'inspecteur de l'enseignement élémentaire 2011 |
III. REVUE CRITIQUE DE LITTERATUREC'est pourquoi certains auteurs ont beaucoup réfléchi sur la question : Luc Villepontoux, dans son ouvrage, Aider les enfants en difficulté à l'école, a abordé cette question d'aide ou de soutien scolaire au profit des élèves qui rencontrent des obstacles ou des difficultés majeures dans la construction des savoirs et principalement, dans la construction du lire-écrire. Ainsi a-t-il affirmé que : Toutes les difficultés que rencontrent les enfants à l'école ne sont pas annonciatrices d'échec scolaire et qu'il est normal que dans son cheminement, un enfant, n'importe quel enfant, même le meilleur, rencontre des obstacles, n'apprenne plus au même rythme, avec autant d'efficacité et parfois même d'intérêt. Ce ralentissement, ce fléchissement ne sont pas en eux- mêmes inquiétants car l'apprentissage est un processus discontinu même s'il apparait plus régulier pour certains enfants que pour d'autres.6(*) Toutefois, il reste entendu que si « ce fléchissement, ce ralentissement et cette difficulté » perdurent, ils risquent alors de s'installer et là peut commencer à s'établir un véritable contexte d'échec, irréversible dans certains cas. Villepontoux propose dans son ouvrage plusieurs procédés de nature à aider les enfants à dépasser des difficultés d'apprentissage de toutes sortes et à retrouver le chemin du succès et des plaisirs qu'il procure. Dans un contexte fortement marqué par de faibles performances dans l'apprentissage du français, l'ouvrage pourrait servir de référence pour éradiquer les lacunes que les élèves traînent en lecture et en écriture. La différence entre les deux conceptions résiderait peut être au niveau des conditions d'élaboration de telles pratiques aussi bien au plan social que pédagogique. Autrement dit, pour leur mise en oeuvre, l'auteur se limite aux heures de l'emploi de temps officiel, à la différence de notre étude qui se rabat sur des horaires extrascolaires pour des raisons diverses. Pierre VIANIN réalise un ouvrage7(*) qui aborde la problématique de la lutte contre l'échec scolaire en définissant précisément le rôle que peuvent jouer les enseignants et les parents dans l'aide aux élèves en difficulté. Son originalité tient dans la synthèse de tous les aspects importants du travail de « l'enseignant d'appui » et propose des réponses concrètes et des pistes d'intervention pour aider les enfants en difficulté d'apprentissage. Par ailleurs, la volonté de l'entraide pédagogique par le biais du tutorat ne date pas d'aujourd'hui. Cette idée que l'on puisse apprendre en enseignant se trouve déjà chez Comenius, au 17ème siècle. Dans sa conception éducative, qui a trouvé son couronnement dans son ouvrage, La Grande Didactique ou l'art d'enseigner tout à tous (1657), le grand penseur soutient que : « la seule relation au maître transmetteur du savoir n'est pas suffisante pour garantir un enseignement solide ; il faut également développer la capacité à assimiler les connaissances ». Pour ce faire, Comenius insiste sur l'enseignement basé sur le tutorat, car qui « enseigne aux autres s'instruit lui-même ».En clair, que les élèves, en un moment donné, soient en situation d'enseigner à leurs pairs ce qu'ils ont déjà appris est un moyen de fixation des connaissances et d'appropriation. En somme, c'est une manière de rendre l'élève plus actif dans la maîtrise des savoirs, de lui « apprendre à apprendre ; Berthet et Rigard (1991). Pour Philippe Meirieu, dans son ouvrage, Apprendre en groupe ?(1984) reconnait l'existence de plusieurs formes de tutorat, mais écrit-il : L'une des plus intéressantes me semble être celle qui met en relation deux élèves ; autrement dit, l'expert et le novice. Pour le premier, c'est une expérience très valorisante et une excellente façon de s'approprier les savoirs. Et pour le second, c'est un bon moyen de reprendre pied et de gagner de la confiance en soi sans être jugé. C'est une forme d'entraide et de solidarité qu'il faut vivement encourager. En effet, cette approche pédagogique n'a pas pour but de remplacer le maître par l'élève. Au contraire, elle permet de placer ce dernier au centre des apprentissages, conformément à l'esprit de la présente loi d'orientation de l'éducation 91/22. Quant à l'enseignant, il gardera son statut de guide, de facilitateur d'émergence, de médiateur, d'impulseur et favorisera un climat affectif et un respect mutuel, tout en prévenant d'éventuelles dérives. Gaëtan Gabriel, dans son oeuvre, Coaching scolaire. Augmenter le potentiel des élèves en difficulté, fait remarquer ceci dans son préambule : (...) Nous avons constaté le nombre important d'élèves qui abandonnent l'école, faute d'être entendus. Nous avons noté le nombre tout aussi élevé d'élèves que l'école fait doubler, recommencer une année, alors que la plupart des études montrent l'inefficacité de cette mesure. Nous avons constaté le pourcentage alarmant de jeunes qui terminent leur cursus scolaire avec un, deux, trois ans de retard. Nous avons rencontré un nombre important de jeunes découragés, voire meurtris par l'école, si ce n'est en colère contre elle .Tous ces jeunes ne sont pas des incapables. De la même manière, nous avons rencontré des professeurs ou des intervenants scolaires découragés, dépassés par des situations ou des conditions de travail parfois pénibles8(*). Peu importe la forme, le lieu ou le moment de l'acte d'apprentissage, ce qui compte, c'est que l'élève constate qu'il occupe une place centrale dans son cursus, que ses activités scolaires constituent une véritable recherche d'optimisation orientée vers leurs performances qualitatives, que son attitude traduise le dynamisme et le plaisir d'être à l'école, l'enthousiasme et la soif d'apprendre. C'est dans ce cadre, d'un travail d'aide aux élèves en difficulté d'apprentissage scolaire qu'est née notre idée de recherche. Chez Philippe Perrenoud, dans Le soutien pédagogique, une réponse à l'échec scolaire ? Estime que « la forme la plus connue de la lutte contre l'échec scolaire est le soutien pédagogique, généralement mis en oeuvre lorsque l'élève a de grosses difficultés ». Autrement dit, l'auteur pense qu'on ne peut plus aujourd'hui analyser l'échec scolaire sans prendre en compte les stratégies qui prétendent le combattre, parmi lesquelles les pédagogies de soutien. Cette option du sociologue reste en phase avec l'article 3bis de la loi d'orientation du système éducatif sénégalais qui rend la scolarité obligatoire de 6 à 16ans. Ce qui signifie en clair, qu'elle ne milite pas en faveur de l'abandon, de l'échec scolaire ou du redoublement, d'où l'impérieuse nécessité d'élaborer des stratégies qui consistent à permettre aux élèves les plus fragiles de mieux maîtriser les connaissances scolaires. Cela nous semble possible si des cours de renforcement ou cours d'appui sont mis à contribution. Le seul regret qui pourrait résulter de ces formes de soutien est l'émergence d'injustices et d'inégalités qui s'opèrent dans la manière dont les élèves sont traités. A ce titre, l'organisation de cours d'appui dans l'environnement scolaire sénégalais est un exemple suffisamment illustratif. Sous ce rapport, des sociologues comme Bourdieu, Passeron, Perrenoud, Coleman et tant d'autres, ont montré comment l'École, par son indifférence aux différences, transforme les inégalités sociales et culturelles en inégalités de résultats scolaires. Dans les Héritiers (1964), oeuvre de référence dans le domaine de la sociologie de l'éducation, instituant l'école comme objet central de l'analyse sociologique ; Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron (2002) se sont particulièrement distingués « sur les mécanismes scolaires de reproduction sociale ». Le fonctionnement du système scolaire n'est pas l'objet central de leurs travaux. Ils sont plutôt préoccupés par « le rôle de l'École dans la reproduction des inégalités sociales à l'intérieur de celle-ci ». La sélection sociale et scolaire opérée par le système scolaire est l'un des points focaux sur lesquels ils fondent leurs études. En plus, ils soutiennent l'idée selon laquelle « la réussite scolaire de l'enfant est tributaire de son origine sociale et de son héritage culturel » (1969). Autrement dit, les enfants issus des milieux privilégiés réussissent mieux à l'école que ceux des couches sociales défavorisées. Ce phénomène n'épargne pas le système formel sénégalais, encore moins l'organisation des cours de renforcement. Cette pratique pédagogique à caractère privé, s'érige en terreau fertile en matière d'injustice, d'iniquité dans le champ scolaire, en ce sens qu'elle perpétue les inégalités des chances entre élèves en admettant certains à suivre les cours d'appui et en les privant en même temps à d'autres. Enfin, Ronald Dore, dans son important ouvrage intitulé « La maladie du diplôme », analyse le phénomène sous un autre angle. Il centre son oeuvre sur les liens existant entre l'éducation, la qualification et le développement et met en évidence la domination absolue exercée dans les systèmes scolaires d'un grand nombre de pays dont le Sénégal par les examens et par les diplômes, et non par de plus amples processus éducatifs. Dore l'explique dans la préface de son ouvrage en ces termes : Malheureusement, la scolarité n'est pas entièrement consacrée à l'éducation. Elle n'est dans une large mesure et de plus en plus qu'une course aux diplômes. Partout, en Grande-Bretagne comme en Inde, en Russie comme au Venezuela, elle se réduit davantage à cette compétition (...). Et plus la scolarité devient une course aux diplômes, plus elle ne se résume qu'à une simple course : ritualiste, fastidieuse, empreinte d'inquiétude et d'ennui, destructrice de la curiosité et de l'imagination en bref, anti éducative9(*). Si l'on se situe dans le contexte du système éducatif sénégalais, l'organisation des cours d'appui semblent traduire en actes concrets les propos de DORE. En effet, comme nous l'avons indiqué précédemment, les maîtres de cm² se livrent souvent à un bachotage intensif, pour faire réussir le maximum d'élèves au cfee, sans prendre assez en considération, dans bien des cas, la diversité des personnalités, des intérêts, des préoccupations, des capacités, et des aptitudes de chaque enfant. Ainsi, nous remarquons une forte tendance à mettre l'accent sur le seul critère des « résultats standards »au détriment d'une formation durable. Cela veut dire que même si une classe entière réussit au cfee ou à l'entrée en 6è, la durée de vie des études au collège peut être fugace car le « bourrage » aura déjà pris le dessus sur la compréhension. En somme, la lecture de quelques oeuvres nous a permis de comprendre le statut qu'occupe le soutien à l'école. Elle nous a permis aussi de le situer par rapport à trois niveaux : l'école, la société et l'institution. L'analyse de concepts et d'approches relatifs à l'assistance à l'élève en difficulté scolaire a éclairé notre lanterne. Au-delà de ce qui a été fait par ces auteurs évoqués, nous nous proposons d'approfondir la réflexion et de descendre jusque dans les classes pour vérifier les problèmes auxquels sont confrontés les cours d'appui à l'école primaire. Mais avant cela, voyons d'abord ce qui justifie le choix de ce thème. * 6 Luc Villepontoux, 1997, P : 187 * 7 Pierre Vianin, Contre l'échec scolaire. L'appui pédagogique à l'enfant en difficulté d'apprentissage, 2007, Boeck Université, 2è édition. * 8 Gaétan Gabriel, Coaching Scolaire, 2008, p 13 * 9 Ronald DORE, La maladie du Diplôme, 1976, |
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