CHAPITRE I : LA
DETERMINATION PAR LE JUGE DU CONTENU DES NORMES DE DROIT INTERNATIONAL DE
L'ENVIRONNEMENT
Le rôle du juge dans la détermination des normes
du droit international trouve son fondement dans l'article 38
alinéa 1 (d) du statut de la Cour International de Justice.
Selon cet article, « la Cour, dont la mission est de
régler conformément au droit international les différends
qui lui sont soumis applique : (...) sous réserve de la disposition
de l'article 59, les décisions judiciaires.
(...) ». Par ailleurs, ce rôle normateur du juge est aussi
justifié par la difficulté face à laquelle se trouve ce
dernier de rendre justice avec de normes juridiques inexistantes,
incomplètes ou obscures. Pourtant, « juger, c'est faire
application à une situation concrète d'une norme juridique
préexistante. Une telle application suppose que le juge soit
parfaitement fixé sur le sens de la norme à appliquer
»49(*). Face
à des normes de droit international de l'environnement
imprécises, le juge de la Cour Internationale de Justice a tenu à
jouer son rôle en matière de développement du droit
international, ceci à travers un exercice de clarification conceptuelle
d'une part (Section 1) et la consécration des principes de protection
d'autre part (Section 2).
Section 1 : Les
clarifications conceptuelles
L'introduction de la notion d'environnement dans le
contentieux international a fortement contribué à l'affirmation
du droit international de l'environnement. Elle apparaît comme une
réponse tranchée de la jurisprudence face au balbutiement de la
doctrine sur la question. Le contentieux international de l'environnement a
ainsi permis à la Cour Internationale de Justice de parvenir à
une détermination jurisprudentielle de l'autonomie conceptuelle de
l'environnement (paragraphe 1) en même temps qu'il a
débouché sur une reconnaissance de la valeur normative des
règles de droit international de l'environnement (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La
détermination jurisprudentielle de l'autonomie conceptuelle de
l'environnement.
L'analyse des arrêts de la Cour Internationale de
Justice dans le domaine de l'environnement montre bien que la
détermination de l'autonomie conceptuelle de l'environnement s'est faite
de façon évolutive avec des moments de consécration et de
confirmation (A). Mais, dans un cas comme dans l'autre, elle a eu pour effet de
consacrer « l'espace » comme
l'élément constitutif de l'environnement (B).
A. L'évolution dans
la consécration du concept d'environnement
C'est à travers son avis consultatif rendu le
08 juillet 1996 sur la licéité de la menace
ou de l'emploi d'armes nucléaires que la Cour Internationale de
Justice a circonscrit le concept d'environnement en lui attribuant une
définition précise (1). Par la suite, la Cour s'est
employée dans ses décisions ultérieures à affirmer
« l'unité et la cohésion de sa propre
jurisprudence » en confirmant sa conception de la notion
d'environnement, notamment à travers l'arrêt Gabcikovo-Nagymaros
(2).
1- L'avis du 08 juillet 1996 comme point
de départ de la définition
Il faut tout d'abord rappeler que la Cour Internationale de
Justice a eu à rendre deux (2) avis consultatifs en date du 08 juillet
1996 sur la même question à savoir la licéité de la
menace ou de l'utilisation des armes nucléaires à la demande de
l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d'une part50(*) et l'Assemblée
Générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU) d'autre
part51(*). Pour ce qui est
de la demande d'avis de l'Organisation Mondiale de la Santé, la question
posée à la Cour s'énonçait ainsi qu'il suit :
« compte tenu des effets des armes nucléaires sur la
santé et l'environnement, leur utilisation par un Etat au cours d'une
guerre ou d'un autre conflit armé constituerait-elle une violation de
ses obligations au regard du droit international, y compris la constitution de
l'Organisation Mondiale de la Santé ? ». Pour ce qui
est de l'Assemblée Générale des Nations Unies, la question
était libellée comme suit : « Est-il
permis en droit international de recourir à la menace ou à
l'emploi d'armes nucléaires en toute
circonstance ? ». C'est l'avis consultatif rendu pour cette
seconde demande d'avis qui sera étudié ici, car dans le premier
avis, la cour a refusé de répondre à l'Organisation
Mondiale de Santé parce qu'elle est « parvenue à la
conclusion que la demande d'avis consultatif présentée par
l'Organisation Mondiale de la Santé ne porte pas sur une question qui se
pose dans le cadre de l'activité de cette organisation
conformément au paragraphe 2 de l'article 96 de la charte52(*) ».
C'est au paragraphe 29 de son second avis que la Cour
Internationale de Justice consacre la définition de la notion
d'environnement. Selon elle en effet, « l'environnement
n'est pas une abstraction, mais bien l'espace où vivent les êtres
humains et dont dépend la qualité de leur vie et de leur
santé, y compris pour les générations à
venir ». Cette prise de position par la Cour Internationale de
Justice marque la réponse de la jurisprudence face à la
multiplicité de définitions retenues par la doctrine. Elle est
aussi une affirmation de l'activité normative occasionnelle du juge
international lorsque ce dernier fait face à une norme inexistante (vide
normatif) ou obscure. Certes en principe, « la Cour applique le
droit, elle ne le crée pas ; en tout cas, elle ne le crée
presque jamais53(*) ». Mais on peut dire que la
relativisation ainsi apportée au rôle principal de la Cour
Internationale de Justice intègre bien son rôle dans le
développement du droit international en général et du
droit international de l'environnement en particulier.
Le traitement par la Cour des questions environnementales
à travers son avis du 08 juillet 1996 amène à constater
que l'arrêt Gabcikovo- Nagymaros ne marque pas
« l'irruption du droit de l'environnement dans la jurisprudence
de la Cour Internationale de Justice54(*) ». Pour le juge Bedjaoui, cette
irruption remonte même à l'affaire du détroit de Corfou. En
effet, pour lui, « La Cour Internationale de Justice (...) a eu,
relativement tôt, des préoccupations concernant les
problèmes de l'environnement. (...) la cour a eu à aborder ces
problèmes d'environnement avec l'affaire que vous connaissez tous :
celle du détroit de Corfou55(*) ». C'est dans cette affaire que la
C.I.J. consacre pour la première fois le principe de l'utilisation non
dommageable du territoire, principe considéré aujourd'hui comme
faisant partie des normes du droit international de l'environnement. Elle
affirme en substance que « Les obligations qui incombaient aux
autorités albanaises (...) sont fondées non pas sur la convention
VIII de la Haye, de 1907 (...) mais sur certains principes
généraux et bien reconnus, tels que (...) l'obligation, pour tout
Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d'actes contraires aux
droits d'autres Etats ». On peut donc en déduire que
plutôt que d'être considéré comme l'irruption de
l'environnement dans la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice,
l'arrêt Gabcikovo -Nagymaros doit représenter la confirmation par
la Cour de l'intérêt qu'elle a pour les préoccupations
environnementales.
* 49 Ibid. P.2O7
* 50 Résolution WHA
46.40 de l'Assemblée Mondiale de la Santé
* 51 Résolution 49N175 K
de l'Assemblée Générale de l'ONU
* 52 Cour International de
Justice, Rec. 1996 P.66, Paragraphe 31
* 53 Bedjaoui (M),
« Le développement durable, quel profit pour le
tiers-monde ? », in Les Nations Unies et la protection de
l'environnement : la promotion du développement durable,
Sandrine Maljean- Dubois et Rostane Mehdi, (dir) Paris, Pédone, 1999
P.39.
* 54 Jochen Sohnle,
« irruption du droit de l'environnement dans la jurisprudence de la
Cour Internationale de Justice », RGDIP, 1998-1, P.85
* 55 Bedjaoui (M),
« Le développement durable, quel profit pour le
tiers-mode » op.cit. P.37
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