CHAPITRE 2 : LA NECESSAIRE
CONCILIATION ENTRE PRUDENCE ET HARDIESSE DU JUGE DANS LE TRAITEMENT DU
CONTENTIEUX ENVIRONNEMENTAL
La prudence a toujours caractérisé
l'activité du juge international, compte tenu de la complexité du
cadre dans lequel il opère. En effet, « la Cour
s'insère dans un cadre marqué du sceau de la complexité
tenant à la diversité et à la pluralité des acteurs
- dont elle est - qui interviennent sur la scène juridique
internationale »226(*).
Elle n'a pas la compétence exclusive dans le traitement du contentieux
international et sa compétence dépend de la volonté de
l'Etat, car la justice n'est pas obligatoire dans l'ordre international. Le
juge international fait donc souvent preuve de beaucoup de prudence afin
d'assurer l'adhésion des Etats à la juridiction de la Cour.
Mais dans le domaine du contentieux international de
l'environnement, la prudence des juges peut trouver son fondement dans le souci
de préserver la stabilité de la structure normative et
institutionnelle existante (section 1). Ce souci nait du fait que le droit
international de l'environnement remet profondément en cause les
règles traditionnelles, notamment en matière de
responsabilité internationale227(*). Mais il ne faut pas perdre de vue tout
l'intérêt que présente actuellement le droit international
de l'environnement qui, de l'avis de Maurice Kamto, « remet
l'humanité au coeur du droit international (...) avec en prime une prise
en compte hardie des préoccupations et des inquiétudes des temps
actuels »228(*). L'importance de ce nouveau droit contraste
encore avec sa relative jeunesse et son développement peu poussé,
ce qui rend nécessaire l'implication du juge dans le
développement du droit international de l'environnement (section 2)
Section 1 : La
préservation de la solidité de la structure institutionnelle et
normative existante
La crédibilité d'une institution judiciaire
dépend largement de la prévisibilité de ses
décisions. Les parties auront davantage recours à la juridiction
de la Cour si elles sont certaines de la prévisibilité de la
procédure et de la jurisprudence. Sur ce point, la C.I.J.
bénéficie d'une certaine crédibilité en raison de
sa riche expérience en matière d'interprétation et
d'application des traités internationaux. L'ouverture sur les
considérations écologiques pourrait remettre en cause
l'édifice institutionnel et normatif existant, dont l'efficacité
a été éprouvée au fil du temps (paragraphe 1). De
plus, l'absence d'autonomie et la précision relative des normes de droit
international de l'environnement sont de nature à limiter leur prise en
compte dans le contentieux international (paragraphe 2).
Paragraphe 1 :
L'efficacité éprouvée des techniques contentieuses
traditionnelles
Comme le fait remarquer le professeur Kamto,
« le droit traditionnel dispose de puissants outils
théoriques susceptibles d'être adaptés à la
protection et à la gestion de l'environnement »229(*). Ainsi sur le plan
institutionnel, il ne fait aucun doute que l'organisation institutionnelle
classique de la Cour permet de régler les différends
environnementaux (A). De même, les normes classiques de droit
international permettent d'apurer le contentieux environnemental, du moins en
son état actuel (B).
A. L'aptitude de
l'organisation institutionnelle de la Cour à régler les
différends environnementaux
L'institution par la Cour d'une chambre spéciale pour
les questions d'environnement traduit une sorte d'audace institutionnelle,
certainement justifiée par l'intérêt que la haute Cour
porte aux questions d'environnement. Certes, l'option pour une chambre
spéciale met fin aux hésitations de la Cour portant sur le choix
entre la constitution d'une chambre de l'article 26 paragraphe 1 et le recours
à une chambre ad hoc de l'article 26 paragraphe 2 de statut. Mais compte
tenu du bilan fort mitigé des activités de la chambre
spéciale - soit aucune affaire traitée après treize
années d'existence -, on pourrait conclure à un désaveu de
la chambre par les Etats. Tout le contentieux portant sur les questions
environnementales reste traité en dehors de la chambre spéciale
et selon la procédure classique, notamment le recours à la
formation plénière. Le souci pour la Cour de s'adapter au
contentieux environnemental en s'écartant quelque peu du cadre
institutionnel existant semble ne pas avoir suffisamment tenu compte de
l'aptitude de l'organisation institutionnelle traditionnelle à
régler les différends environnementaux. Plus encore,
« la mise en place d'une juridiction spéciale et nouvelle
- la chambre spéciale - résulte d'un choix essentiellement
politique dans lequel la préoccupation des juristes professionnels a
joué un rôle de catalyseur d'opinion et de
pression »230(*).
Mais l'acharnement des juristes pour la création de la
chambre spéciale s'est heurté à l'importance du
consensualisme dans le contentieux international, notamment pour ce qui est de
la composition de la juridiction. En effet, « à la
différence d'une chambre ad hoc, une chambre spéciale
représente une formation permanente dont la direction relève de
la plénière de la Cour : à celle-ci revient
l'appréciation discrétionnaire de sa constitution (...) Par
ailleurs, la composition est entièrement entre les mains de la seule
Cour (...) »231(*). Le recours à la chambre spéciale
est donc assez contraignant pour les Etats, ce qui peut justifier leur
préférence pour les autres formations de jugement existantes. En
effet, « le facteur psychologique est peu favorable à la
réalisation de telles initiatives, notamment si elles sont
perçues comme une tentative de détournement de la règle de
la primauté du consentement juridictionnel »232(*). L'organisation
institutionnelle traditionnelle de la Cour prend en considération ce
nécessaire consentement à la juridiction, notamment à
travers la liberté reconnue aux parties de constituer des chambres ad
hoc et de recourir à la désignation des juges ad hoc en l'absence
d'un juge de leur nationalité. Bref, la création de la chambre
spéciale ne paraît pas nécessaire, compte tenu de
l'aptitude de la structure institutionnelle de la Cour à régler
les différends environnementaux. En témoignent tous les
différends réglés par la Cour dans lesquels les questions
environnementales étaient examinées. On comprend dès lors
toutes les hésitations qui ont précédées la
création de cette chambre, car la Cour doit faire preuve de prudence en
tenant compte de l'environnement dans lequel elle opère. La Cour devrait
privilégier le renforcement des mécanismes institutionnels
existants qui ont déjà fait leurs preuves et qui semblent
susciter l'adhésion des Etats, plutôt que de se lancer dans une
sorte d'aventure institutionnelle233(*). Cette option permettra de mieux préserver la
stabilité de la structure institutionnelle existante.
* 226 Bufferne (J-P), Op.
Cit., P.143.
* 227 Dupuy (P-M), Op. Cit.,
P.8.
* 228 Kamto (M),
« Les nouveaux principes du droit international de
l'environnement », Op. Cit., P.11.
* 229 Kamto (M), Droit de
l'environnement en Afrique, Op. Cit., P.19.
* 230 Ranjeva (R),
« Les potentialités des modes juridictionnels internationaux
de règlement des différends », Op. Cit., P.274.
* 231 Ranjeva (R),
« L'environnement, la Cour internationale de justice et sa chambre
pour les questions d'environnement », Op. Cit., P.434.
* 232Ranjeva (R),
« Les potentialités des modes juridictionnels internationaux
de règlement des différends », Op. Cit., P.274.
* 233 La chambre
spéciale pose aussi un problème dans le fonctionnement de la
Cour, notamment la possibilité d'un conflit de compétence entre
la chambre et la plénière. Pour plus de détails sur la
question, lire Ranjeva (R), « L'environnement, la Cour internationale
de justice et sa chambre pour les questions d'environnement », Op.
Cit., P.441.
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