PARTIE II:
LA DIFFICULTE POUR LE JUGE INTERNATIONAL A S'AFFRANCHIR DES
TECHNIQUES TRADITIONNELLES DE TRAITEMENT DES QUESTIONS CONTENTIEUSES
En dépit des spécificités qui lui sont
reconnues, le droit international de l'environnement reste une branche du droit
international public et il recourt à la panoplie des sources classiques
du droit des gens180(*).
C'est dans ce cadre qu'il côtoie d'autres disciplines notamment le droit
des traités ou encore le droit de la responsabilité. Mais
contrairement à ces deux dernières disciplines, le droit
international de l'environnement se caractérise par sa relative
jeunesse. Par conséquent, c'est aussi la discipline dont les normes se
caractérisent par un degré de précision variable, ce qui
fait appel aux pouvoirs normatifs du juge et à son rôle dans la
construction du droit. En effet, lorsqu'il est appelé à combler
les lacunes d'une norme, le juge peut procéder par deux
méthodes : il peut le faire « soit en
s'élevant des dispositions particulières jusqu'au principe qui
les fonde, soit en tirant des notions abstraites une solution répondant
aux particularités du cas d'espèce. En d'autres termes, le juge,
pour compléter le droit en vigueur, pourra soit systématiser les
solutions particulières, soit individualiser les notions abstraites du
droit international »181(*). Si pour la consécration des normes du droit
international de l'environnement le juge fait recours à la
première méthode, la mise en oeuvre de ces normes fait intervenir
essentiellement la deuxième méthode. Dans la pratique en effet,
on note une certaine difficulté pour le juge international à
s'émanciper des techniques traditionnelles en matière
contentieuse. On peut s'en rendre compte à travers le recours
quasi-systématique aux règles du droit judiciaire et du droit des
traités (chapitre 1). Cet état de fait n'est pas de nature
à favoriser l'essor du droit international de l'environnement, ce qui
rend nécessaire une conciliation entre prudence et hardiesse du juge
(chapitre 2).
CHAPITRE 1 : LE RECOURS
QUASI SYSTEMATIQUE AUX TECHNIQUES TRADITIONNELLES DE TRAITEMENT DES QUESTIONS
CONTENTIEUSES.
L'irruption du droit international de l'environnement dans la
jurisprudence de la Cour Internationale de Justice est une illustration du
mouvement sans cesse évolutif de juridictionnalisation du droit
international. Cette juridictionnalisation ne se fait pas sans
difficultés « en raison de la structure
interétatique de la société internationale et du primat
reconnu au consensualisme comme principale source formelle du droit
positif182(*) ». Mais sa qualité
d' « organe judiciaire principal des Nations
Unies » et son rôle dans le règlement des
différends internationaux ont amené la Cour à se doter de
mécanismes judiciaires propres à contribuer à la
réalisation de ses missions. C'est à ces mécanismes
traditionnels que la Cour a recours pour le traitement du contentieux
environnemental, même si elle opère souvent quelques
acclimatations ou adaptations. En effet, on note à ce sujet une
adaptation des mécanismes traditionnels de la Cour (section 1). Par
ailleurs, pour ce qui est de l'adaptation aux règles du droit des
traités, la jurisprudence de la Cour révèle une prise en
compte restrictive des considérations écologiques dans l'examen
des règles du droit des traités (section2).
Section 1 : L'adaptation des
mécanismes judiciaires traditionnels au contentieux environnemental.
La Cour reconnaît une certaine spécificité
au contentieux environnemental lorsqu'elle aménage ses mécanismes
judiciaires afin de les rendre compatibles à ce type de contentieux. Ces
aménagements passent par des ajustements institutionnels d'une part
(paragraphe 1) et une évolution remarquable des méthodes de
travail de la Cour d'autre part (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Des ajustements
institutionnels.
Les ajustements institutionnels opérés par la
Cour pour connaître du contentieux environnemental font jaillir une
certaine contradiction. En effet, malgré la mise sur pied d'une chambre
spéciale chargée de statuer sur les questions environnementales
(A), le traitement du contentieux environnemental continue à
s'opérer en dehors de ce cadre institutionnel spécialement
prévu (B).
A - La mise sur pied d'une
chambre spéciale pour les questions d'environnement.
C'est par un communiqué de presse du 19 juillet 1993
que le greffe de la Cour Internationale de Justice a annoncé la
constitution d'une chambre spéciale pour les questions d'environnement.
Cette création illustre bien l'intérêt sans cesse croissant
que présentent les problèmes environnementaux pour la Cour et son
souci de jouer un plus grand rôle dans le règlement des
différends y relatifs. De l'avis du juge Ranjeva, « la
création d'une chambre pour l'environnement a constitué la
réponse apportée par la Cour à la double question relative
à son rôle éventuel dans le règlement des
différends concernant l'environnement et le développement durable
d'une part et à un aménagement possible de sa méthode de
travail d'autre part183(*) ». Par ailleurs, il ajoute que la
chambre spéciale pour l'environnement a été établie
suite aux propositions faites à Rio de Janeiro en 1992 et à
l'évolution des idées quant à la place et au rôle de
la Cour Internationale de Justice dans le règlement des
différends environnementaux184(*).
Pour ce qui est du fondement de cette création, c'est
l'article 26, paragraphe 1 du statut de la Cour qui donne compétence
à la cette dernière pour constituer une ou plusieurs chambres
chargées de connaître de catégories
déterminées d'affaires. De plus, l'article 16 du règlement
de la Cour précise que lorsque cette dernière décide de
constituer une ou plusieurs des chambres prévues à l'article 26,
paragraphe 1, du statut, elle détermine la catégorie d'affaires
en vue de laquelle chaque chambre est constituée. C'est donc sur la base
de ces textes qu'a été décidée la constitution
d'une chambre spéciale pour les questions d'environnement.
La chambre spéciale se distingue de la chambre ad
hoc prévue à l'article 26, paragraphe 2 du statut de la
Cour, d'abord du point de sa permanence. En effet, la chambre ad hoc
est constituée pour connaître d'une affaire
déterminée et celle-ci est dissoute une fois l'affaire
réglée, ce qui n'est pas le cas de la chambre spéciale qui
elle, est permanente. Les deux chambres se distinguent également du
point de vue du titulaire de l'initiative de constitution. Tandis que la
chambre ad hoc est constituée par la Cour de sa propre
initiative, la chambre spéciale est constituée à la
demande des parties.
La constitution d'une chambre spéciale pour les
questions d'environnement est donc un aménagement institutionnel qui
illustre bien l'importance et la spécificité du contentieux
environnemental. Mais, on pourrait s'interroger sur la nécessité
d'un tel ajustement, le traitement du contentieux environnemental
s'opérant jusqu'ici en dehors de la chambre spéciale.
* 180 Delbez (L), Op. cit.,
P. 92.
* 181 Daillier (P) et Pellet
(A), Droit international public, Paris, LGDJ, 2002, 7e
édition, P. 1282.
* 182 Ranjeva (R),
« Les potentialités des modes juridictionnels internationaux
de règlement des différends », in
L'effectivité du droit international de l'environnement.
Contrôle de la mise en oeuvre des conventions internationales,
Op.cit. P. 271.
* 183 Ranjeva (R),
« L'environnement, la Cour Internationale de Justice et sa chambre
spéciale pour les questions d'environnement », Op.cit. P. 434.
* 184 Ranjeva (R),
« Les potentialités des modes juridictionnels internationaux
de règlement des différends », Op.cit. P. 274.
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