La thématique de l'environnement dans la jurisprudence de la cour internationale de justice.( Télécharger le fichier original )par Serge ITOUROU SONGUE Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) - Master II 2011 |
Paragraphe 2 : Les obligations négativesLes obligations négatives sont celles qui interdisent aux Etats d'adopter certains comportements. Il en est ainsi par exemple de l'interdiction d'utiliser son territoire à des fins contraires aux droits des autres Etats (A), ou encore de l'interdiction d'emploi de moyens et méthodes de guerre dommageables pour l'environnement (B). A - L'interdiction d'utiliser son territoire à des fins contraires aux droits des autres Etats.Comme le fait remarquer A. Kiss, il s'agit là d'une règle générale qui ne s'applique pas qu'aux dommages écologiques133(*). Cette règle présente deux variables qui permettent de l'expliquer (1). Mais, sa compréhension est souvent rendue difficile par les interprétations jurisprudentielles, tel que cela ressort de la distinction opérée entre la construction et la mise en service dommageables (2). 1 - Les variables de l'interdiction.«... Les Etats (...) ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres Etats...134(*) ». La règle ainsi énoncée laisse apparaître deux obligations : d'une part, l'obligation pour l'Etat d'utiliser son territoire de façon non dommageable et d'autre part, l'interdiction de laisser utiliser son territoire à des fins dommageables. - Dans le contexte du droit international de l'environnement, l'utilisation non dommageable du territoire renvoi aux questions de pollution transfrontalière. L'interdiction faite aux Etats de polluer l'environnement des autres Etats a été consacrée pour la première fois dans l'affaire de la Fonderie du Trail135(*) (Etats-Unis C., Canada), considérée comme « un contentieux écologique international de référence136(*) ». Dans cette sentence arbitrale, le tribunal arrive à la conclusion selon laquelle « aucun Etat n'a le droit de faire usage, ou de permettre qu'il soit fait usage de son territoire, de manière à causer des dommages, par des émanations de fumées sur le territoire d'un Etat voisin à ce territoire ou aux biens se trouvant sur ce territoire137(*) ». C'est ainsi que le Canada fut jugé responsable des dommages causés par des fumées nocives provenant de son territoire. Cette consécration va avoir une confirmation dans la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice à travers l'arrêt du 9 avril 1949 en l'affaire du Détroit de Corfou. Certes, les questions environnementales ne sont pas directement abordées ici, mais cet arrêt établit un lien entre l'interdiction formulée dans l'affaire de la Fonderie du Trail et le droit international général. En effet, la Cour constate que « les obligations qui incombaient aux autorités albanaises (...) sont fondées non pas sur la convention VIII de la Haye, de 1907 (...) mais sur certains principes généraux et bien reconnus, tels que (...) l'obligation, pour tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d'actes contraires aux droits d'autres Etats138(*) ». Ce n'est que plus tard, dans son arrêt du 25 septembre 1997 que la Cour, pour la première fois en matière contentieuse, va considérer cette obligation comme faisant partie intégrante des normes de droit international de l'environnement139(*). Une question demeure cependant, notamment celle de savoir si l'utilisation qu'un Etat fait de son territoire peut être dommageable pour lui-même, sans pour autant engager sa responsabilité internationale. En d'autres termes, la conduite d'un Etat qui porte atteinte à l'environnement peut-elle être punie en elle-même ou seulement lorsque des dommages ont été subis par un autre Etat ? Jorge Vinuales semble opter pour la seconde hypothèse lorsqu'il estime que: « It seems, in fact, very difficult to infer from either one of these two cases the idea that the environment has an intrinsic value that must be protected irrespective of whether or not a state is injured». Il semble qu'on ne peut séparer les deux hypothèses compte tenu de l'universalité de l'environnement, notamment des interconnexions qui existent entre les milieux et les espèces. Toute pollution interne présente un risque pour les Etats tiers, ce qui pourrait suggérer que l'interdiction s'applique dans les deux hypothèses. Cela correspondrait bien à la notion de patrimoine commun de l'humanité applicable à l'environnement dans son ensemble. - Le principe de l'utilisation non dommageable du territoire implique aussi une interdiction faite à l'Etat de poser personnellement des actes qui auraient pour conséquence de causer des dommages à l'environnement. En réalité, l'interdiction va au-delà des utilisations dommageables qui pourraient en être faites par des personnes autres que l'Etat. Cela suppose non seulement une obligation d'abstention qui s'illustre bien à travers le principe de l'utilisation non dommageable du territoire, mais aussi une obligation de ne pas laisser faire qui se dégage de l'interdiction faite à l'Etat de laisser utiliser son territoire à des fins dommageables. Il s'agit là d'un cas de responsabilité du fait d'autrui dont il est nécessaire de déterminer les fondements mais aussi les conditions. Relativement au fondement de la responsabilité, la Cour dans l'affaire Gabcikovo-Nagymaros parle des activités exercées dans les limites de la juridiction des Etats140(*). On peut en déduire que c'est le fait que l'Etat exerce sa juridiction sur un territoire qui fonde sa responsabilité pour les activités réalisées sur ce territoire. Mais le fondement de la responsabilité de l'Etat pour les activités exercées sur son territoire peut aussi être trouvé dans la notion de souveraineté qui suppose le contrôle de l'Etat sur tout son territoire. C'est donc le défaut d'exercice d'un tel contrôle qui fonde la responsabilité de l'Etat. Pour ce qui est des conditions de la responsabilité, la sentence arbitrale dans l'affaire de la Fonderie du Trail précise qu'aucun Etat n'a le droit de faire usage, ou de permettre qu'il soit fait usage de son territoire141(*). Cela veut dire que l'Etat doit être informé des activités qui sont entreprises sur son territoire afin de ne pas les permettre si elles sont dommageables pour l'environnement. C'est ce que semble révéler la Cour lorsqu'elle déclare que « l'obligation de l'Albanie de signaler à la navigation l'existence de mines dans ses eaux dépend de la connaissance qu'elle aurait eu avant le 22 octobre142(*) ». L'Etat peut donc se prévaloir de son ignorance pour se dégager de toute responsabilité. Mais, même s'il n'est pas informé des activités dommageables exercées sur son territoire, l'Etat ne peut se dégager de toute responsabilité que s'il a pris toutes les dispositions nécessaires pour faire cesser de telles activités. Une obligation de diligence s'impose donc à l'Etat143(*). Toutefois, on constate dans l'affaire Gabcikovo - Nagymaros une distinction faite entre la construction et la mise en service dommageables. * 133 Kiss (A), « L'Etat du droit de l'environnement en 1981 : problèmes et solutions », J.D.I., N°3, Juillet - Août - Septembre, 1981, P 505. * 134 Principe 21 de la déclaration de la conférence de Stockholm des Nations Unies sur l'environnement humain. * 135 Sentence arbitrale, 16 avril 1938 et 11 mars 1941. * 136 Tchikaya (B), Mémento de la jurisprudence du droit international public, paris, hachette, 2001 - 2002 P. 48. * 137 Affaire de la Fonderie du Trail (Etats-Unis C. Canada.), 3 Report of international Arbitration Awards (« R.I.A.A. ») 1905 (1941) P. 1965. Dans le même sens, Sentence arbitrale du 16 novembre 1957, affaire du Lac Lanoux (France C., Espagne). * 138 Affaire du Détroit de Corfou, Op.cit P. 22. * 139 Affaire Gabcikovo - Nagymaros, Op.cit Par. 53. * 140 Projet Gabcikovo- Nagymaros, Op. Cit., Par. 53. * 141 Fonderie du Trail, supra note 114. * 142 Détroit de Corfou, Op.cit P. 22. * 143 Voir dans ce sens l'arrêt du 24 Mai 1980, affaire du personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Iran c. Etats-Unis). |
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