CHAPITRE 2 : LA
FORMULATION D'OBLIGATIONS PRECISES ET DES CONDITIONS D'EXCLUSION DE L'ILLICEITE
DU FAIT ETATIQUE
Au sens large, l'obligation est le
« lien juridique par lequel un sujet de droit international est tenu
envers un ou plusieurs autres, d'adopter un comportement
déterminé ou de s'en abstenir102(*) ». Cette définition nous renseigne sur le
caractère de l'obligation, car selon la citation, l'Etat qui souscrit
une obligation est tenu de se comporter en conséquence. C'est dire que
l'obligation a un caractère contraignant pour les parties
concernées. Ce caractère contraignant soulève certaines
difficultés en droit international de l'environnement où les
normes ont une substance « tellement peu contraignante que
l'obligation de l'un et le droit de l'autre deviennent presque
insaisissables103(*) ».
C'est certainement la raison pour laquelle la Cour a procédé
à la précision de ces obligations (section 1).
Par ailleurs, la Cour
procède à un examen des questions de responsabilité. Elle
affirme que c'est au regard du droit de la responsabilité des Etats
qu'il y a lieu d'apprécier dans quelle mesure la suspension ou la
dénonciation d'une convention qui serait incompatible avec le droit des
traités engage la responsabilité de l'Etat qui y a
procédé104(*). Mais
les considérations environnementales sont prises en compte ici, non pas
pour déterminer les conditions dans lesquelles la responsabilité
internationale d'un Etat peut être engagée pour un fait illicite,
mais plutôt pour examiner les conditions d'exclusion de
l'illicéité d'un acte (section 2).
Section 1 : La formulation
d'obligations précises à la charge des Etats
Une obligation peut avoir pour objectif d'amener un sujet de
droit international à adopter un comportement déterminé ou
à s'en abstenir. La Cour Internationale de Justice fait bien cette
distinction dans sa jurisprudence lorsqu'elle met à la charge des Etats
des obligations positives (paragraphe 1) et des obligations négatives
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les obligations
positives.
L'obligation positive est considérée ici comme
celle qui prescrit un comportement déterminé à un sujet de
droit international. Il s'agit d'une obligation de faire pouvant trouver son
fondement dans une convention internationale ou dans une norme
coutumière. Jochen Sohnle parle de
« principes procéduraux105(*) » devant
être respectés par les Etats. Il s'agit notamment de l'obligation
d'évaluer l'impact environnemental des projets (A) et de l'obligation de
coopération entre les Etats (B).
A - L'obligation
d'évaluer l'impact environnemental des projets.
L'obligation qu'ont les Etats d'évaluer l'impact sur
l'environnement des projets et activités qu'ils mènent peut
être considérée comme faisant partie des normes
fondamentales du droit international de l'environnement (1). Toutefois, son
affirmation dans la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice pose
encore des difficultés, notamment celles qui ont trait à la
détermination du responsable de l'étude d'impact environnemental
et à la sanction pour manquement à l'obligation d'évaluer
(2).
1 - L'évaluation de l'impact environnemental
comme norme fondamentale du droit international de l'environnement
« La conscience que l'environnement est
vulnérable et la reconnaissance de ce qu'il faut continuellement
évaluer les risques écologiques se sont affirmées de plus
en plus dans les années qui ont suivi la conclusion du
traité »106(*). L'évaluation de l'impact
environnemental dont l'importance est ainsi consacrée revêt deux
formes : lorsqu'elle s'applique à un projet de création
d'entreprise ou d'exercice d'une activité, elle est qualifiée
d'étude d'impact environnemental et se rapproche du principe de
prévention. Par contre, si elle intervient lorsque l'entreprise est
opérationnelle ou lorsque l'activité est déjà
exercée, elle prend le qualificatif d'audit environnemental et se
présente comme une forme de mise en oeuvre du concept de
développement durable.
- Le principe de prévention a été
clairement consacré par la Cour dans son arrêt du 25 septembre
1997. Elle affirme en effet que « dans le domaine de la
protection de l'environnement, la vigilance et la prévention s'imposent
en raison du caractère souvent irréversible des dommages
causés à l'environnement »107(*). C'est donc la nature
du risque environnemental qui impose l'adoption des mesures de
prévention au premier rang desquelles figure l'étude d'impact
environnemental.
L'étude d'impact environnemental s'entend de toutes
mesures appropriées et efficaces ayant pour but de prévenir
l'effet qu'une activité pourrait avoir sur l'environnement. C'est ce qui
ressort de l'article 3 de la convention d'Espoo (Finlande) du 25 Février
1991 sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte
transfrontière. Aux termes de cet article, « la partie
d'origine veille à ce que, conformément aux dispositions de la
présente convention, il soit procédé à une
évaluation de l'impact sur l'environnement avant que ne soit prise la
décision d'autoriser ou d'entreprendre une activité (...), qui
est susceptible d'avoir un impact transfrontière préjudiciable
important ». De même, le principe 17 de la
déclaration de Rio sur l'environnement et le développement
énonce qu' « une étude d'impact sur
l'environnement, en tant qu'instrument national, doit être entreprise
dans le cas des activités envisagées qui risquent d'avoir des
effets nocifs importants sur l'environnement et dépendent de la
décision d'une autorité nationale
compétente ». Lorsqu'elle n'est pas bien menée,
l'étude d'impact environnemental ne permet pas de prévenir
efficacement les risques d'atteinte à l'environnement que
présentent certaines activités. Cet argument a été
mis en avant par la Hongrie pour prouver l'incertitude face à laquelle
elle se trouvait et qui justifiait la terminaison du traité. Elle
soulevait en effet que les études menées avaient
été insuffisantes et que l'état des connaissances à
l'époque ne permettait pas d'évaluer pleinement les incidences
écologiques du projet Gabcikovo-Nagymaros108(*).
- Contrairement à l'étude d'impact
environnemental qui intervient avant la création d'une entreprise ou
l'exercice d'une activité, l'audit environnemental intervient lorsque
l'entreprise est déjà opérationnelle ou lorsque
l'activité est déjà exercée. La Cour a
expressément reconnu la nécessité qu'il y a
d'évaluer « continuellement » les risques
écologiques des projets déjà actifs. Elle précise
aussi la prise en compte de nouvelles normes et exigences pour la
réalisation de l'audit environnemental. En effet, « ces
normes nouvelles doivent être prises en considération lorsque les
Etats envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu'ils
poursuivent des activités qu'ils ont engagées dans le
passé. Le concept de développement durable traduit bien cette
nécessité de concilier développement économique et
protection de l'environnement109(*) ». De l'avis de la Cour,
l'étude d'impact environnemental et surtout l'audit environnemental
permettent de parvenir au développement durable. Mais, la Cour
Internationale de Justice ne fait pas une distinction claire entre
l'étude d'impact environnemental et l'audit environnemental. Elle fait
simplement allusion à une étude continue qui suppose à la
fois une étude préalable à un projet et une étude
pendant la réalisation du projet. Mais cette distinction ressort
clairement de l'opinion dissidente du juge Weeramantry. Ce dernier affirme en
effet que: « Environmental law in its current state of
development would read into treaties which may reasonably be considered to have
a significant impact upon the environment, a duty of environmental impact
assessment and this means also, whether the treaty expressly
so provides or no, a duty of monitoring the environmental
impacts of any substantial project during the operation of the scheme
...110(*)».
L'utilisation des termes «assessment » et «monitoring »
montre bien la distinction entre l'étude d'impact environnemental et
l'audit qui sont les deux variantes du plan de gestion environnemental. Mais,
l'obligation d'évaluer l'impact environnemental ainsi affirmée
pose des problèmes pour ce qui est de la détermination du
responsable de l'étude et de la sanction pour manquement.
2 - Le problème de
la détermination du responsable de l'étude et de la sanction en
cas de manquement.
L'arrêt du 25 septembre 1997 suscite des interrogations
quant à l'Etat qui a la charge de l'étude d'impact
environnemental, mais aussi pour ce qui est de la sanction en cas de manquement
à l'obligation d'évaluer l'impact environnemental d'un projet.
- Aux termes de l'article 2 (1) de la convention sur
l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte
transfrontière, « les parties prennent, individuellement
ou conjointement, toutes mesures appropriées et efficaces pour
prévenir, réduire et combattre l'impact transfrontière
préjudiciable important que des activités proposées
pourraient avoir sur l'environnement ». Cette disposition ne
précise pas cependant les hypothèses où les mesures
d'évaluation peuvent être individuelles ou conjointes ; bref
elle ne permet pas de savoir, dans une situation concrète, qui a la
charge d'évaluer l'impact environnemental d'un projet. Mais le principe
17 de la déclaration de Rio sur l'environnement et le
développement apporte plus de précision sur la question lorsqu'il
énonce qu' « une étude d'impact sur
l'environnement, en tant qu'instrument national, doit être entreprise
dans le cas des activités envisagées qui risquent d'avoir des
effets nocifs importants sur l'environnement et dépendent de la
décision d'une autorité nationale
compétente ». C'est dire que l'étude d'impact
environnemental incombe unilatéralement à un Etat dès lors
que les activités envisagées dépendent de la
décision d'une autorité nationale compétente. A
contrario, lorsque les activités envisagées dépendent
de deux ou plusieurs autorités nationales, on pourrait s'attendre
à une étude d'impact conjointe. C'est la position que semble
avoir adopté la Cour lorsqu'elle rejette l'argument de la Hongrie selon
lequel « les recherches concernant l'impact du projet sur
l'environnement incombaient à la Tchécoslovaquie111(*) ». Selon la
Tchécoslovaquie, « les recherches concernant l'impact du
projet sur l'environnement n'incombaient pas exclusivement à la
Tchécoslovaquie, mais à l'une ou à l'autre des parties,
selon l'emplacement des ouvrages112(*) ». La Cour va dans le même sens
que la Tchécoslovaquie en affirmant que « la
responsabilité d'agir de la sorte était une responsabilité
conjointe113(*) ». Elle va plus loin dans la partie
normative de son arrêt lorsqu'elle prescrit aux parties d'examiner
à nouveau ensemble les effets sur l'environnement de l'exploitation de
la centrale de Gabcikovo114(*).
L'étude d'impact environnemental est donc à la
charge des parties à un projet conjoint et elle incombe
unilatéralement à un Etat lorsqu'il s'agit d'un projet national.
Mais, même dans le cas d'un projet national pouvant avoir un impact
au-delà des limites territoriales de l'Etat, une étude conjointe
peut être menée entre la « partie
d'origine » et la « partie touchée
» à condition que cette dernière accepte de participer
à la procédure d'évaluation115(*).
- La convention sur l'évaluation de l'impact sur
l'environnement dans contexte transfrontière et le principe 17 de la
déclaration de Rio sur l'environnement et le développement
renseignent également sur le moment de l'étude d'impact
environnemental116(*).
C'est dire, à la lecture de ces dispositions, que l'absence de mesures
appropriées et efficaces de prévention de l'impact sur
l'environnement d'un projet envisagé est une violation de
« ...l'obligation de procéder à une étude
d'impact sur l'environnement complète et objective117(*) ». Mais bien
que la Hongrie et la Tchécoslovaquie aient reconnu les risques
écologiques que présentait le projet
Gabcikovo-Nagymaros118(*), la Cour n'a pas cru devoir s'attarder sur le
manquement à une obligation de droit international de l'environnement
mais plutôt, sur la conformité au droit des traités des
mesures de suspension et d'extinction du traité de 1977 prises par la
Hongrie.
Par ailleurs, la conclusion à laquelle aboutit la Cour
résulte d'une interprétation restrictive des conditions de
suspension des traités prévues par le droit des traités.
En effet, la Cour estime que même si la construction et l'exploitation du
barrage étaient de nature à créer des risques graves, la
Hongrie avait à sa disposition des moyens, autres que la suspension et
l'abandon des travaux, et par conséquent, du traité liant les
parties119(*). La Cour
entend par là la possibilité pour les parties de modifier le
traité. Mais, compte tenu de l'insuffisance des études
disponibles et de l'irréversibilité des dommages causés
à l'environnement, il ne peut être attendu des parties qu'elles
puissent efficacement adapter leur traité aux circonstances nouvelles.
Il serait plutôt plus réaliste pour les parties de suspendre les
travaux et d'engager des études complètes et appropriées,
ce qui reviendrait à reconnaître une certaine particularité
au risque écologique comme condition de suspension des traités.
En insistant sur la possibilité qu'avaient les parties d'adapter leur
traité conformément aux articles 15 et 19 relatifs respectivement
à la protection de la qualité des eaux et à la protection
de la nature, la Cour semble privilégier l'audit environnemental
à l'étude d'impact. On pourrait en tirer la conclusion selon
laquelle l'absence d'une étude d'impact complète et
appropriée n'empêche pas aux Etats d'engager certaines
activités, à condition que ces dernières puissent
être plus tard adaptées aux exigences environnementales.
Même si cette solution présente l'avantage de maintenir le lien
conventionnel entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie, elle ne permet pas
de sanctionner la violation de l'obligation d'évaluer l'impact sur
l'environnement des projets envisagés, ce qui suscite des interrogations
quant au caractère contraignant de cette obligation. Qu'en est-il de
l'obligation de coopération ?
* 102Salmon (J) dir.,
Dictionnaire de Droit International Public, Bruxelles Bruylant /ACIF,
2001 P.765.
* 103 Weil (P),
« Vers une normativité relative en droit
international ? » Op.cit. P. 7
* 104 Par. 47, al.1.
* 105 Sohnle,
« Irruption du droit de l'environnement dans la jurisprudence de la
C.I.J. : l'affaire Gabcikovo-Nagymaros », Op.cit P. 115.
* 106 Projet
Gabcikovo-Nagymaros, para 112 Al. 5
* 107 Projet
Gabcikovo-Nagymaros Par. 140 Al.3
* 108 Par. 57 Al. 3
* 109 Par. 140 Al.4.
* 110 Projet
Gabcikovo-Nagymaros (opinion individuelle du juge Weeramantry).
* 111 Projet
Gabcikovo-Nagymaros, Par. 41.
* 112 Par. 45 Al. 1.
* 113 Par. 112 Al. 3
* 114 Par. 140 Al. 5
* 115 Lire dans ce sens le
texte de la convention sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement
dans un contexte transfrontière, Article 3 (4).
* 116 Pour le premier
texte, l'article 3 précise que l'Etat d'origine veille à ce qu'il
soit procédé à une évaluation de l'impact sur
l'environnement avant que ne soit prise la décision d'autoriser ou
d'entreprendre une activité. Quant au principe 17, il pose qu'une
étude d'impact doit être entreprise dans le cas des
activités envisagées qui risquent d'avoir des effets nocifs
importants sur l'environnement.
* 117 Usines de
pâtes à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine C. Uruguay),
demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 23 Janvier 2007,
P2.
* 118 Par. 38 Al. 2 et
3.
* 119 Par. 55 Al.
3.
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