Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
SECTION II : L'AMENAGEMENT DE L'APPLICATION DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE et du DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L'HOMME A L'ADMINISTRATION DIRECTE DE L'ONUL'administration directe d'un espace terrestre par les Nations Unies constitue une catégorie particulière de Missions internationales conduites par l'organisation dans le domaine du maintien de la paix. La coexistence d'un volet militaire et d'un volet civil au sein de la même opération appelle à s'interroger sur les conditions de l'applicabilité à l'administration internationale de certains régimes juridiques, à savoir le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme. Paragraphe 1 : La question de l'intégration du DIH aux opérations de paix des Nations UniesLes fonctions classiques des forces des Nations Unies consistent en l'interposition entre belligérants ou en la garantie de la mise en oeuvre d'un cessez-le feu ou d'un accord de paix209(*). Dans ce type d'action, le recours à la force n'est autorisé qu'en cas de légitime défense. Toutefois, dès le début de la décennie 90, les fonctions des forces onusiennes s'élargissent pour inclure entre autres, la reconstruction des infrastructures économiques, sociales et administratives. Les forces ici n'interviennent plus seulement dans le cadre d'un conflit international, mais également dans les conflits internes, dans des contextes où les institutions gouvernementales se sont effondrées. Dès cet instant, les questions sur l'applicabilité du DIH à ces opérations. Se font pressantes. Il s'agit de déterminer si les Nations Unies peuvent être titulaires des droits et obligations issus du droit humanitaire. D'abord, nous établirons les fondements juridiques avant d'envisager les modalités de l'application du DIH à l'ONU. A. Les fondements juridiques de l'application du DIH à l'ONUCertains actes des Nations Unies révèlent les atteintes au DIH par l'ONU. Par exemple, la résolution 377 de 1950 autorise l'emploi de « tous les moyens nécessaires ». Ce qui ne rentre pas dans le vocabulaire des gens de l'humanitaire. La mise en place des Opérations de Maintien de la Paix (ci-après OMP) comme la Force d'Urgence des Nations Unies (FUNU) en 1956 ou la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) en 1978, donne l'occasion au Comité International de la Croix Rouge (ci-après CICR) d'attirer l'attention de l'ONU sur la nécessité d'assurer l'application des conventions de Genève par les forces mises à leur disposition. Un mémoire adressé aux Etats parties auxdites conventions en 1961, une lettre du président du CICR à l'attention du Secrétaire général, clarifient la position du CICR. Cependant, l'ONU hésite à répondre favorablement à ces interpellations. Elle invoque à sa décharge, les impossibilités juridiques, politiques et pratiques. L'organisation soutient ne pas être « partie aux conventions de Genève, et que celles-ci ne prévoient pas la ratification par les organisations internationales »210(*). L'ONU dit défendre l'intérêt commun de l'humanité et donc ne peut être considérée comme une partie à un conflit, encore moins soumise au DIH. Or, d'après le CICR, le policier face au délinquant, doit faire montre d'un comportement exemplaire. Néanmoins, l'intégration du DIH dans les activités des Nations Unies se fera de façon progressive jusqu'à l'émission de la circulaire de 1999 du Secrétaire général. Les fondements d'une telle incorporation peuvent se recruter dans la capacité internationale de l'ONU, la Charte des Nations Unies, la circulaire du 6 août 1999 et la pratique des Nations Unies. 1- La capacité internationale et la pratique des Nations Unies Suite aux événements en Palestine de 1949, le Comte BERNADOTTE, médiateur de l'ONU est assassiné. L'Assemblée générale présente à la Cour une demande d'avis en vue de déterminer si l'organisation a qualité pour émettre une réclamation internationale contre le gouvernement responsable. La Cour considère à titre préliminaire que « l'organisation [des Nations Unies] possède une large mesure de personnalité internationale et la capacité d'agir sur le plan international »211(*). Les intentions des fondateurs de l'organisation universelle présument que l'organisation peut, par exemple agir en matière de maintien de la paix, jusqu'à instituer « une armée des Nations Unies » prévue par l'article 43 de la Charte. De même, elle doit pouvoir conclure des accords de tutelle et superviser la gestion des puissances tutrices. De telles fonctions ne sauraient être mises en application si l'organisation n'est pas dotée une personnalité distincte de celles de ses membres. La cour conclut ainsi que l'ONU a la capacité d'être titulaire des droits et devoirs internationaux212(*). A la différence des Etats qui possèdent la souveraineté, la personnalité internationale onusienne n'est pas plénière car autant les pouvoirs d'attribution de l'ONU sont larges, autant ils sont intrinsèquement limités. De ce fait, certains auteurs ont contesté qu'il soit possible de parler de personnalité juridique, car ce concept ne couvrirait que des pouvoirs pléniers, à l'instar de ceux que possède l'Etat. Ce n'est cependant pas la conception de la majorité des auteurs, qui reconnaît qu'il peut exister une personnalité juridique à plusieurs degrés, selon l'épaisseur des compétences possédées213(*). L'Avis consultatif du 8 juillet 1996 sollicité par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), sur la licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, est une autre occasion pour la Cour d'affirmer quoique de manière incidente, la personnalité internationale de l'ONU214(*). L'essentiel du raisonnement de la Cour sur la condition de recevabilité prévue par l'article 96, paragraphe 2 in fine, de la Charte des Nations Unies, permet d'affirmer que les Nations Unies, en tant que telles, peuvent être sujet destinataire de normes du droit international humanitaire, en d'autres termes qu'elles en ont la capacité subjective. Par ailleurs, la première phase de la pratique onusienne des OMP (Proche-Orient, Congo et Chypre), indique que dans ces cas, « la Force observe et respecte les principes et l'esprit des conventions internationales générales applicables à la conduite du personnel militaire ».215(*) Les Nations Unies réitèrent leur soumission à ce domaine normatif en reconnaissant à plusieurs reprises que les troupes déployées sous leur autorité devaient respecter les principes et l'esprit des conventions de Genève de 1949, aux protocoles additionnels de 1977 et à la convention de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Le Modèle d'accords qui fait office de matrice des relations entre l'ONU et les Etats membres fournisseurs des contingents contient une clause sur l'observation et le respect des « principes et de l'esprit » des conventions applicables au personnel militaire. Le paragraphe 28 de ce texte prévoit que : « [L'opération de maintien de la paix des Nations Unies] observe et respecte les principes et l'esprit des conventions internationales générales applicables à la conduite du personnel militaires. Il s'agit en l'occurrence des quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels du 8 juin 1977, ainsi que de la Convention de l'UNESCO du 14 mai 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. [L'Etat participant] veille en conséquence à ce que les membres de son contingent national affecté à [l'opération de maintien de la paix des Nations Unies] connaissent parfaitement les principes et l'esprit de ces conventions »216(*). La clause sus-évoquée est introduite en 1992 dans les accords sur le statut des forces de l'ONU, signés avec les Etats hôtes. L'on peut en outre s'interroger sur l'applicabilité directe du droit international humanitaire conventionnel aux Nations Unies ou mieux, la capacité de l'organisation de conclure des traités. Pour cela et pour mieux l'illustrer, l'on s'appui sur la Convention des Nations Unies sur le droit de traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, signée à Vienne le 21 mars 1986217(*). Cette convention réaffirme la reconnaissance de la personnalité juridique internationale d'une organisation comme l'ONU, faisant ainsi écho à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice en la matière. La Convention intègre de manière explicite la théorie de la compétence « fonctionnelle ». Son Préambule déclare que, les organisations internationales « jouissent de la capacité de conclure des traités qui leur est nécessaire pour exercer leurs fonctions et atteindre leurs buts ». Mais un raisonnement au cas par cas avec pour référence le traité constitutif de chaque organisation, s'impose. L'évolution de la position onusienne est notoire, puisque les éléments qui précédent sont explicites sur l'application du DIH aux forces de l'ONU. Mais que disent à ce sujet la Charte des Nations Unies et les autres actes qui encadrent les OMP. 2- La Charte des Nations Unies, la Convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, et la Circulaire du Secrétaire général du 6 août 1999 Les opérations coercitives des Nations Unies, en l'occurrence l'administration transitoire d'un territoire s'inscrivent dans le système de sécurité collective de la Charte établit par la Charte. Pour elles, la Charte ne fait pas que prévoir les contours de la validité du recours à la force armée, mais délimite en outre le champ des règles qui s'appliquent au déroulement des éventuelles hostilités. Bien que dépositaire de la responsabilité de maintenir la paix et la sécurité internationales218(*), l'ONU a l'obligation en vertu de la Charte, de développer et encourager le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous.219(*) « Le corps juridique qui permet de trouver une commune mesure entre ces deux objectifs est précisément le droit des conflits armés, qui propose des règles de protection de la personne humaine spécialement adaptées aux situations de guerre »220(*). La prétention d'un maintien de la paix et la sécurité internationales oublieux de la nécessité de soumettre les forces chargées de cette mission au droit des conflits armés, heurte l'équilibre voulu par la Charte221(*) en même temps qu'elle choque la logique humaine. * 209 Voir les missions de l'Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la Trêve (ONUST) et du Groupe d'observateurs militaires des Nations Unies en Inde et au Pakistan (UNMOGIP) * 210 RYNIKER (A.), « Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies. Quelques commentaires sur la circulaire du Secrétaire General des Nations Unies du 6 août 1999 », Revue internationale de la croix rouge, N° 836, vol. 81, décembre 1999, p. 798 * 211 CIJ, « Réparations des dommages subis aux service des Nations Unies », Op. Cit., p. 179 * 212 Ibid. * 213 KOLB (R.), « Une observation sur la détermination de la subjectivité internationale », Zeitschrift für öffentliches Recht, vol. 79, 1997, p. 593ss. * 214 CIJ, « Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé », Avis consultatif du 8 juillet 1996, Recueil 1996, par. 25 * 215 Voir par exemple Règlement de l'UNEF, ST/SGB/UNEF/1 (1957), art. 44, Règlement de l'ONUC, ST/SGB/ONUC/1 (1960), art. 43, Règlement de l'UNFICYP, ST/SGB/UNFICYP/1 (1964), art. 40, in Basic Documents on United Nations and Related Peace-Keeping Forces, R.C.R. Siekmann (ed.), Dordrecht/Boston/London, 1989 (2nd ed.). Voir à ce sujet SHRAGA (D.), ZACKLIN (R.), « L'applicabilité du droit international humanitaire aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies: questions conceptuelles, juridiques et pratiques », Symposium sur l'action humanitaire et les opérations de maintien de la paix, U. Palwankar (éd.), Genève, CICR, 1994, pp. 46. * 216 Projet de modèle d'accord entre l'Organisation des Nations Unies et les Etats membres qui fournissent du personnel et de l'équipement à des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, Doc. NU A/46/185, 23 mai 1991, annexe, par. 28; GREENWOOD (C.), « International Humanitarian Law and UN Military Operations », YIHL, 1998, vol. 1, p. 21. * 217 Doc. NU A/CONF.129/15. * 218 Art. 1 par. 1. * 219 Art. 1 par. 3. * 220 KOLB (R.), L'application du droit humanitaire et des droits de l'Homme aux organisations internationales, Op. Cit., p. 53 * 221 Ibid. |
|