Le régime de l'administration transitoire des territoires en droit international.( Télécharger le fichier original )par Luc Yannick ZENGUE Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en droit international public et communautaire 2007 |
CHAPITRE II : UN REGIME CONSECRANT UNE ADMINISTRATION DIRECTE PAR LES NATIONS UNIESIl a pu exister dans le passé, des formes d'administration internationale de certains espaces terrestres. Mais les formules employées dans la pratique, marquent l'incapacité de l'O.N.U. à exercer des prérogatives de puissance publique. Même le régime de la tutelle qui pourtant était déployé sous l'égide des Nations Unies, ne s'éloigne pas de cet état de chose. Les Nations Unies ont été « empêchées d'exécuter leur mandat à Jérusalem et à Trieste, puis réduites à administrer fictivement, parce ce que sans appui territorial, le Sud-ouest africain ».172(*) Toutefois, la prétendue inaptitude de l'O.N.U. à administrer directement un territoire s'avère mal ou mieux, non fondée. L'administration transitoire des territoires en droit international telle qu'observée aujourd'hui, est une démonstration suffisante de la capacité onusienne en matière d'administration directe d'un territoire. Il reste cependant que l'affirmation de l'aptitude des Nations Unies à administrer directement un espace terrestre (SECTION I) appelle l'application à une telle activité, des normes originairement destinées aux Etats, notamment le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits de l'Homme (DIDH) (SECTION II). SECTION I : L'ELOQUENCE DE LA CAPACITE ONUSIENNE EN MATIERE D'ADMINISTRATION DIRECTE D'UN TERRITOIRECertains juristes rejettent de manière catégorique la possibilité pour l'organisation mondiale d'administrer directement un territoire. Selon la tête de prou de ce mouvement Monsieur Hans KELSEN, « the organisation is not authorised by the Charter to exercise sovereignty over a territory which has not the legal status of a trust territory »173(*). Monsieur Boris KONDOCH174(*) quant à lui, pense que cette position aurait été incontestée et incontestable « if the UN Charter allows only UN governance under the trusteeship system ». D'après cet auteur, en indiquant l'application du régime de la tutelle aux Etats membres de l'O.N.U., l'article 78 de la Charte n'exclut pas la mise en place d'un autre mécanisme d'administration directe d'un territoire par les Nations Unies. C'est donc dire que d'autres auteurs reconnaissent la capacité onusienne en matière d'administration directe d'un territoire même en dehors du cadre du chapitre XII de la Charte. Pour Monsieur LAUTERPRACT, « both the words of the charter and the practice of United Nations [...] clearly suggest that the United Nations has the power to undertake duties of a governmental character »175(*). La pratique des Nations Unies dans le domaine du maintien de la paix semble trancher ce débat en faveur de leur aptitude à administrer directement un territoire. Avant de décliner la structure au niveau des Nations Unies de l'administration directe d'un territoire (Paragraphe 2), nous analysons les éléments concourant à une possible administration directe d'un territoire par les Nations Unies (Paragraphe 1). Paragraphe 1 : Les éléments concourant à une possible administration directe d'un territoire par les Nations UniesDe 1962 (l'AETNU) à 1999 (la MINUK et l'ATNUTO), les administrations internationales contemporaines illustrent la prégnance de l'O.N.U. dans le système de sécurité collective, puisqu'elle en a fait la principale puissance administrante. A notre avis, le poids et l'autorité actuels de l'O.N.U. (A) sont favorables à ce fait, autant que l'article 81 et les autres dispositions de la Charte (B). Les premiers éléments jouent au niveau de la légitimité alors que les seconds agissent davantage sur la légalité. A. Les éléments de la légitimité : Le poids et l'autorité actuels des Nations UnieLe rêve d'une société internationale organisée s'est concrétisé au XXéme siècle à travers la création d'une organisation internationale à vocation universelle. La réalisation dudit rêve est d'abord inachevée avec la Société Des Nations (S.D.N.) en 1919, puis parfaite avec l'avènement de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) en 1945176(*). De manière concrète, l'on passe progressivement « de l'inorganisation d'une société internationale non institutionnalisée à l'institution d'une société internationale organisée »177(*). Fille de la guerre parce que née à la suite de la guerre de 1914-1918, la S.D.N. est aussi victime de la guerre, puisque c'est le déclenchement de la deuxième guerre mondiale qui sonne son glas. De ce fait, naît la nouvelle organisation internationale destinée à maintenir la paix et la sécurité après les hostilités : C'est l'O.N.U. qui commence à fonctionner dès le début de 1946. Dès lors l'on assiste à une montée en puissance progressive de l'organisation comme en témoignent d'ailleurs l'adhésion massive aux idéaux de l'O.N.U., puis l'attribution à son compte de la personnalité internationale objective. 1- L'adhésion massive aux idéaux des Nations Unies Le déclenchement de la deuxième guerre mondiale marque l'échec de la S.D.N. dans l'entreprise de la « soustraction des rapports internationaux de la sphère martienne en vue de leur projection dans la sphère vénusienne »178(*). Cependant, c'est de la combinaison de l'échec de la S.D.N. et de son expérience, que découle la nécessité d'une organisation permanente de sécurité. Cette organisation qui, contrairement à sa devancière, doit être d'une efficacité exemplaire. A cet effet, elle devait être universelle et s'assurer de la présence en son sein des grandes puissances à l'instar des Etats -Unis ou de l'Union soviétique179(*) dont le consensus devrait être le fondement de toute action. Le projet de l'O.N.U. est mis sur pied par le gouvernement américain en étroite collaboration avec son homologue britannique. La France libre d'abord, et le gouvernement provisoire d'Alger ensuite envoient des délégués aux conférences techniques. Mais il faut attendre le stade final de la rédaction de la Charte de San Francisco pour que la France ainsi que les moyennes et petites nations aient la possibilité de faire entendre leurs voix. Il reste cependant que l'O.N.U., dès sa création, se veut fédératrice des composantes de toute la société internationale. Ainsi, l'Union soviétique, qui n'a pas pardonné à la S.D.N. de l'avoir exclu en 1939, accepte de participer, accompagnée par les autres Républiques socialistes, à une nouvelle organisation internationale, ce qui est capital pour la légitimité de l'organisation. L'Assemblée générale des Nations Unies est le lieu par excellence, d'expression de l'adhésion massive aux idéaux de l'O.N.U., puisqu'elle comprend tous les Etats membres et s'ouvre même aux entités non étatiques à l'instar de l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP). Ladite Assemblée se présente comme un « lieu de rencontre international »180(*) où les représentants de tous les Etats membres prennent contact, s'expriment et discutent. Les membres de l'Assemblée disposent chacun, sur le fondement de l'égalité souveraine d'une voix. Les ratifications de la charte sont rapidement obtenues. Le 24 octobre 1945, la moitié des membres et les « Cinq Grands » ratifient la charte qui entre alors en vigueur. La pratique des Etats modernes témoigne d'un phénomène quasi automatique de création d'un Etat-adhésion à l'O.N.U. Il faut relever que cette dernière étend ses tentacules même au niveau des Etats non membres, car la Cour Internationale de Justice est « d'avis que cinquante Etats représentants une très grande majorité des membres de la communauté internationale avaient le pouvoir de [...] créer une entité possédant une personnalité internationale objective »181(*), c'est-à-dire reconnue par tous. Le poids et l'autorité des Nations Unies sont en outre, renforcés par la personnalité internationale objective dont dispose l'organisation. 2- La reconnaissance de personnalité internationale objective à l'O.N.U. Les fondateurs de l'O.N.U. l'ont destiné à exercer des fonctions sui generis et à jouir des droits particuliers. Ces intentions seraient vaines si l'organisation était dépourvue de la personnalité internationale182(*). C'est l'Avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 11 Avril 1949 qui établit claire ment l'existence pour le compte de l'O.N.U. d'une personnalité internationale. Dans l'espèce, la Cour était priée de se prononcer sur la question ainsi conçue : « Au cas où un agent des Nations Unies subit, dans l'exercice de ses fonctions, un dommage dans des conditions de nature à engager la responsabilité d'un Etat, l'organisation des Nations Unies a-t-elle qualité pour présenter contre le gouvernement de jure ou de facto responsable une réclamation internationale en vue d'obtenir la réparation des dommages causés [...] »183(*) En concluant sur une personnalité internationale de l'organisation, il ne restait plus à la Cour que de déterminer si la somme des droits internationaux des Nations Unies découlant de cette personnalité comprend notamment, le droit de présenter une réclamation internationale. La qualité de présenter une réclamation de cette nature renvoie « à la capacité de recourir aux méthodes habituelles reconnues par le droit international pour l'établissement, la présentation et le règlement des réclamations ». Il s'agit d'une prérogative qui « appartient assurément à l'Etat »184(*). De la titularité onusienne d'un droit relevant normalement du patrimoine d'un Etat, l'on peut déduire la titularité d'un autre droit typiquement étatique : l'exercice des prérogatives de puissance publique sur un territoire donné. Le droit de présenter une réclamation internationale et celui d'administrer directement un territoire peuvent être liés, puisqu'en administrant un territoire, l'organisation peut directement ou indirectement subir un préjudice pouvant faire l'objet d'un contentieux international. Au demeurant la personnalité internationale de l'O.N.U. n'est autre chose qu'une personnalité internationale objective, c'est-à-dire liée aux fonctions exercées par l'organisation. Elle découle du nombre important des Etats adhérant au projet onusien, mais n'est pas reconnue par les Etats membres. Ces Etats représentant une majorité de la communauté internationale, ont conformément aux principes démocratiques, le droit, voire le devoir d'imposer leur vision du monde aux autres Etats. L'on peut maintenant aborder la question des éléments légaux. * 172 LAGRANGE (E.), Ibid., p. 335 * 173 KELSEN (H.), The law of the United Nations, London, Stevens and Sons, 1950, p. 651 * 174 KONDOCH (B.), Op. Cit., p. 254s * 175 LAUTERPACHT (E.) «Contemporary Practise I: Capacity of the United Nations to Administer a territory», I.CL.A. 1956m vol. 5, p. * 176 GERBET (P.), MOUTON (M.R.) et GHEBALI (V.Y.), Le rêve d'un ordre mondial : De la SDN a l'ONU, Imprimerie nationale Edition, Paris, 1996, p. 7 * 177 MOUELLE KOMBI (N.), Op. cit., p. 14 * 178 MOUELLE KOMBI (N.), Op Cit., p.11 ; Selon le Professeur Narcisse MOUELLE KOMBI, la mythologie grecque raconte que Mars est le dieu de la guerre, le symbole du bellicisme ; alors que Venus, incarnation de la beauté et icône de l'amour, symbolise le pacifisme. * 179 GERBET (P.), MOUTON (M.R.) et GHEBALI (V.Y.), Ibid., p. 129 * 180 GERBET (P.), Ibid, p. 139 * 181 « Réparation des dommages subis au service des Nations Unies », Op. Cit., p.185 * 182 Ibid , p. 179 * 183 Ibid., p. 180 * 184 « Réparation des dommages subis au service des Nations Unies », Op. Cit.p. 177 |
|