II. CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
2.1. Problématique
La question de la gestion des ordures ménagères
se pose comme un problème incontournable accompagnant le
développement urbain de tous les pays du monde. Mais
Connaissances conceptuelles et théoriques
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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comme l'écrit Pierre-Marie Tricaud (1996 : 46) «
il est connu que la plupart des problèmes d'environnement, notamment
ceux auxquels font face les pays en développement, se pose d'une
manière particulièrement aiguë en milieu urbain ». Il
s'agit très généralement de la collecte, du tri, du
stockage, du recyclage et/ou de la destruction des déchets de
consommation domestique des communautés urbaines.
L'insalubrité de la ville de N'Djaména, le cas
qui nous préoccupe ici, est un fait qui relève d'une pure
banalité pour tout observateur. Banales également les nombreuses
plaques portant l'écriteau : « Il est strictement interdit de
déposer des ordures ici sous peine de poursuite judiciaire »
au pied desquelles s'amoncellent continuellement des déchets de
consommation ménagère. On note également l'existence de
quelques bacs à ordures autour desquels s'entassent des monticules
d'ordures alors même que ces derniers sont encore vides ou pleins mais
non enlevés. Ce qui n'est d'ailleurs pas une spécificité
ou encore une caractéristique exclusive de la ville de N'Djaména;
ces deux constats nous semblent valables pour la plupart des villes du
Tiers-Monde. A N'Djaména, l'insalubrité de l'espace urbain et en
l'occurrence celle de l'espace public touche davantage les vieux quartiers du
centre de la ville où se concentre la majeure partie de la population.
Pour expliquer le développement de ces tas d'ordures qui jalonnent les
rues, les emballages plastiques noirs communément appelés
lédas qu'emporte le vent et, les eaux sales jetées dans
les rues, les rigoles et les caniveaux et qui y stagnent, plusieurs
thèses sont avancées. Ce sont autant d'approches plus ou moins
différentes de la question des ordures ménagères en milieu
urbain.
D'abord, selon une thèse communément
partagée par les techniciens (agents des communes chargés de
l'hygiène et de la santé publique) et certains auteurs notamment
Evelyne Wass (Enda, 1990) le développement de l'insalubrité
résulte du déséquilibre entre les moyens (financiers,
matériels et institutionnels) dont dispose le service public
chargé du ramassage des ordures et l'augmentation de la production des
ordures ménagères dans la ville. C'est d'ailleurs cette
thèse qui est soutenue au Tchad pour expliquer l'insalubrité de
ces villes et que rapportent les différents rapports d'étude du
BCEOM. Selon ces études, le service d'hygiène et de la
santé publique qui assure la collecte des ordures
ménagères ne dispose pas de matériel propre. Il utilise le
matériel du garage municipal qui est composé de :
- « une pelle chargeuse Caterpillar 930, acquise en 1984
;
- deux camions [de marque] Fiat à benne basculante de 6
à 8 m3 acquis en 1984 ;
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ménagères à N'Djaména (Tchad)
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- un camion [de marque] Fiat à benne basculante de 5
à 6 m3 donné en 1997 par la mairie de Toulouse ;
- un camion multi-benne à trois caissons donné en
1997 par la mairie de Toulouse ;
- trois camions [de marque] Mercedes à benne basculante
de 9 m3 acquis d'occasion en 1999 » (BCEOM, 2000 : 52).
Grâce à ce matériel, le service
d'hygiène et de la santé de la voirie assure le ramassage des
ordures dans une ville qui, selon Dobingar Allassembaye (2001, 61) «
s'étend de l'Est à l'Ouest sur une trentaine de kilomètres
et du Sud au Nord sur près de vingt (20) kilomètres » et
couvre une superficie d'environ 8000 hectares. Techniquement ce matériel
ne permet pas de collecter quotidiennement les 600 tonnes d'ordures
ménagères produites par jour par une population dont le nombre
total est estimé à 800.000 habitants (BCEOM, 2001).
Quant au budget que le chef de ce service situe entre
800.000.000 et 1.000.000.000 F CFA, il semble que le service n'en
bénéficie pas pour son fonctionnement. C'est ce que regrette le
chef du service d'hygiène et de santé publique de la voirie. Ce
dernier affirme ce qui suit : « A ma connaissance, il n'y a aucun budget
car, je prépare les prévisions budgétaires chaque
année, elles sont adoptées mais je n'ai jamais reçu cela
pour exécuter les travaux ».
C'est en ces termes que sont posés les problèmes
majeurs de la gestion des ordures ménagères par le service public
à N'Djaména. On peut donc y lire une des manifestations de ce que
nous appelions la crise de la gestion urbaine au Tchad. Mais cette crise de la
gestion urbaine et des ordures ménagères-ajoutons-nous-
suffit-elle à expliquer le développement de l'insalubrité
à N'Djaména ? L'observation suivante nous impose une prudence
dans la formulation d'une quelconque hypothèse.
Au Cameroun par exemple Anne-Sidonie Zoa (1995) soutient que
le problème résulte non pas d'un manque effectif de moyens pour
la gestion des ordures ménagères mais plutôt « d'une
quasi indifférence, d'une insouciance et d'une tolérance par
lesquelles l'État au Cameroun réagit face à l'ampleur des
ordures ménagères dans la ville de Yaoundé où, la
croissance urbaine contribue à empirer la situation notamment par
l'accroissement de la production des ordures ménagères.» Ce
que Anne Sidonie Zoa met ainsi en exergue comme l'une des problématiques
de l'assainissement urbain sinon la plus importante à ses yeux peut
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ménagères à N'Djaména (Tchad)
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être rapproché à l'explication de la
gestion des ordures ménagères au Tchad. Les
éléments de preuve de cette évidence sont formés
par les statistiques ci-dessus énumérées. Mais une
problématique de l'assainissement urbain énoncée en ces
termes perdra de vue le rôle que joue la population dans
l'assainissement. Ensuite même si la volonté politique est une
condition nécessaire dans l'assainissement urbain, elle n'est pas
suffisante cependant. A la volonté politique il faut associer la
volonté des populations de participer aux activités
d'assainissement du milieu urbain.
Et, pour le cas précis de N'Djaména, si
l'insalubrité de la ville résultait uniquement de
l'incapacité de la mairie à assurer le service public de
ramassage des ordures ménagères, celles-ci devraient être
moins importantes dans les quartiers dits « résidentiels » qui
bénéficient plus régulièrement de ce service et
régresser dans tous les quartiers où la mairie a construit des
bacs à ordures. Cette insalubrité n'est certes pas
homogène sur l'ensemble de la ville : les quartiers
périphériques ne sont pas aussi insalubres que ceux centraux qui
le sont plus que ceux dits « d'affaire ou résidentiels »
ci-évoqués mais la présence du service officiel dans
certaines régions ne permet pas d'opérer hélas, une
distinction sensible sur le niveau de salubrité ou d'insalubrité
des différents quartiers.
Ensuite, le contexte de crise qui caractérise l'univers
de la gestion urbaine au Tchad a favorisé l'apparition à
N'Djaména, de nouveaux acteurs qui ont conquis une part importante du
pouvoir de management des politiques publiques en matière de gestion des
ordures ménagères. Il s'agit des entrepreneurs privés et
des comités d'assainissement autour desquels se constitue une galaxie
d'acteurs, notamment les ONGs qui les financent dans leur action en
matière de gestion des ordures ménagères. On s'attend donc
à ce que l'émergence de ces différents acteurs dans ce
secteur délaissé par l'Etat améliore notablement le visage
de l'espace urbain.
En revanche, on remarque qu'un certain effort de
propreté de l'espace considéré comme privé se
maintient au détriment de celle de l'espace public. Les ordures
ménagères en effet sont régulièrement
enlevées dans les cours des concessions pour être jetées
dans la rue par-dessus les clôtures, ou abandonnées non loin des
bacs à ordures, ou encore des décharges brutes individuelles, la
devanture des domiciles. De façon générale, on peut
observer deux types de comportements opposés vis-à-vis des
rapports des individus avec les ordures d'une part dans l'espace public et
d'autre part dans l'espace privé. C'est pourquoi, nous avons fait
évoluer notre question de départ pour poser le problème en
termes d'effort
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ménagères à N'Djaména (Tchad)
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conscient d'assainissement de l'espace privé et
de défaut d'attention pour celui public. Au demeurant, nous ne
suggérons nullement, à travers cette dialectique que les espaces
privés sont des territoires qui sont parfaitement salubres et
régulièrement assainis par tous les ménages à
N'Djaména.
Entre le problème ainsi posé et notre question
de départ à savoir comment la perception de l'espace
public et celle de l'espace privé structurent les rapports de l'homme
avec les ordures ménagères en milieu urbain, il y a un
lien qu'assure le paired concept espace public/espace
privé (qu'on peut encore nommer : dehors/dedans,
extérieur/intérieur), si tant est que les individus
opèrent une distinction tangible entre ces deux entités en milieu
urbain. L'explication de ce lien est suggérée par nos
hypothèses de recherche énoncées ci-dessous.
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