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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à  N'Djaména au Tchad

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par Emmanuel Ngueyanouba
Université catholique d'Afrique Centrale - Maà®trise en sciences sociales- socio- anthropologie 2005
  

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II. CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

2.1. Problématique

La question de la gestion des ordures ménagères se pose comme un problème incontournable accompagnant le développement urbain de tous les pays du monde. Mais

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comme l'écrit Pierre-Marie Tricaud (1996 : 46) « il est connu que la plupart des problèmes d'environnement, notamment ceux auxquels font face les pays en développement, se pose d'une manière particulièrement aiguë en milieu urbain ». Il s'agit très généralement de la collecte, du tri, du stockage, du recyclage et/ou de la destruction des déchets de consommation domestique des communautés urbaines.

L'insalubrité de la ville de N'Djaména, le cas qui nous préoccupe ici, est un fait qui relève d'une pure banalité pour tout observateur. Banales également les nombreuses plaques portant l'écriteau : « Il est strictement interdit de déposer des ordures ici sous peine de poursuite judiciaire » au pied desquelles s'amoncellent continuellement des déchets de consommation ménagère. On note également l'existence de quelques bacs à ordures autour desquels s'entassent des monticules d'ordures alors même que ces derniers sont encore vides ou pleins mais non enlevés. Ce qui n'est d'ailleurs pas une spécificité ou encore une caractéristique exclusive de la ville de N'Djaména; ces deux constats nous semblent valables pour la plupart des villes du Tiers-Monde. A N'Djaména, l'insalubrité de l'espace urbain et en l'occurrence celle de l'espace public touche davantage les vieux quartiers du centre de la ville où se concentre la majeure partie de la population. Pour expliquer le développement de ces tas d'ordures qui jalonnent les rues, les emballages plastiques noirs communément appelés lédas qu'emporte le vent et, les eaux sales jetées dans les rues, les rigoles et les caniveaux et qui y stagnent, plusieurs thèses sont avancées. Ce sont autant d'approches plus ou moins différentes de la question des ordures ménagères en milieu urbain.

D'abord, selon une thèse communément partagée par les techniciens (agents des communes chargés de l'hygiène et de la santé publique) et certains auteurs notamment Evelyne Wass (Enda, 1990) le développement de l'insalubrité résulte du déséquilibre entre les moyens (financiers, matériels et institutionnels) dont dispose le service public chargé du ramassage des ordures et l'augmentation de la production des ordures ménagères dans la ville. C'est d'ailleurs cette thèse qui est soutenue au Tchad pour expliquer l'insalubrité de ces villes et que rapportent les différents rapports d'étude du BCEOM. Selon ces études, le service d'hygiène et de la santé publique qui assure la collecte des ordures ménagères ne dispose pas de matériel propre. Il utilise le matériel du garage municipal qui est composé de :

- « une pelle chargeuse Caterpillar 930, acquise en 1984 ;

- deux camions [de marque] Fiat à benne basculante de 6 à 8 m3 acquis en 1984 ;

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- un camion [de marque] Fiat à benne basculante de 5 à 6 m3 donné en 1997 par la mairie de Toulouse ;

- un camion multi-benne à trois caissons donné en 1997 par la mairie de Toulouse ;

- trois camions [de marque] Mercedes à benne basculante de 9 m3 acquis d'occasion en 1999 » (BCEOM, 2000 : 52).

Grâce à ce matériel, le service d'hygiène et de la santé de la voirie assure le ramassage des ordures dans une ville qui, selon Dobingar Allassembaye (2001, 61) « s'étend de l'Est à l'Ouest sur une trentaine de kilomètres et du Sud au Nord sur près de vingt (20) kilomètres » et couvre une superficie d'environ 8000 hectares. Techniquement ce matériel ne permet pas de collecter quotidiennement les 600 tonnes d'ordures ménagères produites par jour par une population dont le nombre total est estimé à 800.000 habitants (BCEOM, 2001).

Quant au budget que le chef de ce service situe entre 800.000.000 et 1.000.000.000 F CFA, il semble que le service n'en bénéficie pas pour son fonctionnement. C'est ce que regrette le chef du service d'hygiène et de santé publique de la voirie. Ce dernier affirme ce qui suit : « A ma connaissance, il n'y a aucun budget car, je prépare les prévisions budgétaires chaque année, elles sont adoptées mais je n'ai jamais reçu cela pour exécuter les travaux ».

C'est en ces termes que sont posés les problèmes majeurs de la gestion des ordures ménagères par le service public à N'Djaména. On peut donc y lire une des manifestations de ce que nous appelions la crise de la gestion urbaine au Tchad. Mais cette crise de la gestion urbaine et des ordures ménagères-ajoutons-nous- suffit-elle à expliquer le développement de l'insalubrité à N'Djaména ? L'observation suivante nous impose une prudence dans la formulation d'une quelconque hypothèse.

Au Cameroun par exemple Anne-Sidonie Zoa (1995) soutient que le problème résulte non pas d'un manque effectif de moyens pour la gestion des ordures ménagères mais plutôt « d'une quasi indifférence, d'une insouciance et d'une tolérance par lesquelles l'État au Cameroun réagit face à l'ampleur des ordures ménagères dans la ville de Yaoundé où, la croissance urbaine contribue à empirer la situation notamment par l'accroissement de la production des ordures ménagères.» Ce que Anne Sidonie Zoa met ainsi en exergue comme l'une des problématiques de l'assainissement urbain sinon la plus importante à ses yeux peut

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être rapproché à l'explication de la gestion des ordures ménagères au Tchad. Les éléments de preuve de cette évidence sont formés par les statistiques ci-dessus énumérées. Mais une problématique de l'assainissement urbain énoncée en ces termes perdra de vue le rôle que joue la population dans l'assainissement. Ensuite même si la volonté politique est une condition nécessaire dans l'assainissement urbain, elle n'est pas suffisante cependant. A la volonté politique il faut associer la volonté des populations de participer aux activités d'assainissement du milieu urbain.

Et, pour le cas précis de N'Djaména, si l'insalubrité de la ville résultait uniquement de l'incapacité de la mairie à assurer le service public de ramassage des ordures ménagères, celles-ci devraient être moins importantes dans les quartiers dits « résidentiels » qui bénéficient plus régulièrement de ce service et régresser dans tous les quartiers où la mairie a construit des bacs à ordures. Cette insalubrité n'est certes pas homogène sur l'ensemble de la ville : les quartiers périphériques ne sont pas aussi insalubres que ceux centraux qui le sont plus que ceux dits « d'affaire ou résidentiels » ci-évoqués mais la présence du service officiel dans certaines régions ne permet pas d'opérer hélas, une distinction sensible sur le niveau de salubrité ou d'insalubrité des différents quartiers.

Ensuite, le contexte de crise qui caractérise l'univers de la gestion urbaine au Tchad a favorisé l'apparition à N'Djaména, de nouveaux acteurs qui ont conquis une part importante du pouvoir de management des politiques publiques en matière de gestion des ordures ménagères. Il s'agit des entrepreneurs privés et des comités d'assainissement autour desquels se constitue une galaxie d'acteurs, notamment les ONGs qui les financent dans leur action en matière de gestion des ordures ménagères. On s'attend donc à ce que l'émergence de ces différents acteurs dans ce secteur délaissé par l'Etat améliore notablement le visage de l'espace urbain.

En revanche, on remarque qu'un certain effort de propreté de l'espace considéré comme privé se maintient au détriment de celle de l'espace public. Les ordures ménagères en effet sont régulièrement enlevées dans les cours des concessions pour être jetées dans la rue par-dessus les clôtures, ou abandonnées non loin des bacs à ordures, ou encore des décharges brutes individuelles, la devanture des domiciles. De façon générale, on peut observer deux types de comportements opposés vis-à-vis des rapports des individus avec les ordures d'une part dans l'espace public et d'autre part dans l'espace privé. C'est pourquoi, nous avons fait évoluer notre question de départ pour poser le problème en termes d'effort

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conscient d'assainissement de l'espace privé et de défaut d'attention pour celui public. Au demeurant, nous ne suggérons nullement, à travers cette dialectique que les espaces privés sont des territoires qui sont parfaitement salubres et régulièrement assainis par tous les ménages à N'Djaména.

Entre le problème ainsi posé et notre question de départ à savoir comment la perception de l'espace public et celle de l'espace privé structurent les rapports de l'homme avec les ordures ménagères en milieu urbain, il y a un lien qu'assure le paired concept espace public/espace privé (qu'on peut encore nommer : dehors/dedans, extérieur/intérieur), si tant est que les individus opèrent une distinction tangible entre ces deux entités en milieu urbain. L'explication de ce lien est suggérée par nos hypothèses de recherche énoncées ci-dessous.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld