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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à  N'Djaména au Tchad

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par Emmanuel Ngueyanouba
Université catholique d'Afrique Centrale - Maà®trise en sciences sociales- socio- anthropologie 2005
  

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2.2. Gestion des espaces, gestion des ordures ménagères : au croisement des
contraintes géologiques.

A partir des ordures ménagères, on peut tenter d'apprécier le niveau de vie des ménages par le truchement de leur consommation alimentaire en fouillant dans leurs poubelles dès lors qu'on s'accorde pour considérer le contenu des poubelles tant par sa qualité que par sa quantité comme un indicateur de niveau de vie des ménages ; ou encore, étudier des phénomènes sociaux comme la souillure ou les dualités propreté/saleté, pureté/impureté telle que le fait si brillamment Mary Douglas dans De la souillure (1986), la stratification sociale, le tabou, etc. Ce sont là, autant de choses autour desquelles les individus établissent des rapports de proximité, de mise à l'écart avec les ordures ménagères.

Les facteurs structurant les représentations des espaces urbains et rapports aux ordures

Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à N'Djaména (Tchad)

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Il est probable qu'on nous reproche en revanche de préférer l'étude des représentations socio-culturelles des espaces urbains à ces aspects sociologiques des ordures. Il est bien vrai que les espaces urbains sont incontestablement du ressort de la géographie urbaine, de l'urbanisme voire de l'éthologie mais grâce à l'Ecole de Chicago, ils sont aujourd'hui un domaine très fécond en sociologie urbaine. L'une des premières problématiques de cette Ecole avait d'ailleurs porté sur les interactions mutuelles qu'il y a entre « les deux principaux éléments de l'écosystème urbain » que ses théoriciens distinguent à savoir « la structure matérielle de la ville d'une part (bâtiments, rues, automobiles, métro, téléphone, ascenseurs, etc.) [qui n'est rien d'autre que ce que nous appelons dans notre terminologie espaces urbains] et l'organisation morale d'autre part (les règles de comportement) » (B.Valade et al., 1996 : 454). Evidemment l'hypothèse sous-jacente à cette problématique énonce que l'afflux de nouveau habitants à Chicago conduit à une expansion de la structure matérielle de la ville, laquelle entraîne des processus de décomposition (délinquance par exemple) et de recomposition (par le développement des moyens de communication urbains, l'émergence des zones résidentielles dans lesquelles la population se stabilise ou enfin, the last but not the least, le mode d'occupation de l'espace urbain. (B.Valade et al., 1996 : 454)

Et si nous avons choisi d'étudier les représentations des espaces urbains (publics et privés), c'est d'abord compte tenu d'une sorte de discrimination dont sont l'objet les espaces publics urbains et qui a pour conséquence majeure le développement de son insalubrité au profit de la salubrité plus ou moins relative de l'espace privé. Tel est le tout premier pont que nous établissions entre représentations des espaces urbains et gestion des ordures ménagères. Mais nous avons réalisé, lors de notre descente sur le terrain dans la ville de N'Djaména que les représentations des ordures ménagères sont tout aussi importantes que celles des espaces urbains dans la compréhension de la gestion des ordures ménagères et de l'insalubrité attestée de la ville de N'Djaména. Les représentations des espaces urbains ne suffisent pas en effet à rendre compte de la manière dont les ordures sont gérées dans les espaces urbains publics comme privés. D'où la formulation de notre première hypothèse où nous coordonnons désormais représentations des ordures ménagères et représentations des espaces urbains pour rendre compte de la G.O.M. Et, comme nous avons tenté de le montrer, dans les chapitres précédents comment les représentations des espaces urbains instruisent à la fois leurs usages et leur investissement par les ordures, il reste à montrer comment les représentations des ordures ménagères déterminent leur propre gestion dans ces espaces.

Les facteurs structurant les représentations des espaces urbains et rapports aux ordures

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2.2.1. L'ambivalence du NIMBY

Ces représentations sont perceptibles à travers les définitions des ordures ménagères et leurs fonctions. Les ordures sont des saletés, des impuretés et souillures que les hommes choisissent généralement de mettre hors de porté de mains. Mais à N'Djaména, les ordures ménagères ne sortent pas toujours des demeures des individus compte tenu de la fonction qu'elles y remplissent. Les ordures en effet servent de remblais dans un environnement où la pédologie favorise les inondations. On achète des ordures lorsque l'habitation est située dans une zone de forte dépression lorsqu'on n'en produit pas assez pour cela. Il y a finalement dans la G.O.M à N'Djaména deux cas de figures qui traduisent un va-et-vient entre les ordures et les espaces publics et privés :

1. les ordures telles que nous l'avons montré précédemment partent du « chez » vers les espaces publics ;

2. les ordures ménagères partent ensuite des espaces publics vers le « chez ». Celles produites par les ménages dans ce cas de figure ne sortent pas de « chez » eux. Il existe même des ménages qui autorisent les voisins à jeter leurs ordures soit dans un coin de leur maison, soit devant leur concession. Ce deuxième cas de figure est exactement l'inverse du mouvement précédemment décrit. Cette situation est à l'origine d'un développement du marché des ordures ménagères. Et la mairie est l'un des grands fournisseurs de cette marchandise.

Il transparaît ici une mise en oeuvre de logiques d'acteurs qui consiste dans leur préférence des ordures comme remblais donc ayant une place dans le « chez » lieu où, en principes elles ne sont pas désirées. Ceci permet de dire une fois de plus que le rejet n'est pas une caractéristique fondamentale de la définition des ordures. Les ordures ne sont pas nécessairement ce dont l'individu se débarrasse. La preuve, à N'Djaména c'est bien ce que les individus définissent comme ordures qu'ils conservent « chez » ou achètent et rependent dans leurs cours. Une forme originale de la revalorisation des ordures ménagères, qui trahit en fait la mise en oeuvre d'une logique d'acteurs, donne sens à un comportement qui est des moins banals. Il faut tirer profit des biens de consommation à tous les niveaux, de leur consommation (notamment alimentaire) jusqu'à la valorisation de leurs éléments résiduels non directement consommables.

Tout ceci ne doit pas être minimisé dans cette recherche des facteurs explicatifs de l'insalubrité ou comme le dira Anne-Sidonie Zoa « le développement des cités-poubelles » car

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non seulement en occultant cet aspect on ne réussira jamais à fournir une explication satisfaisante aux comportements développés par les individus envers les ordures ménagères dans un environnement dont la pédologie est si défavorable comme N'Djaména mais surtout il apparaît que tout projet d'assainissement qui ne le prend pas en compte sera voué à l'échec. En termes clairs, les individus refusent d'envoyer leurs ordures dans les bacs à ordures parce qu'elles leurs servent à résoudre un problème d'inondation du sol. Il faut craindre que les bacs à ordures construits actuellement par la mairie et qui attendent d'être opérationnels (voir tableau et ci-dessous ainsi que la planche de photos à l'annexe 3) ne servent pas aux populations à stocker leurs ordures. Il faut nécessairement tenir compte de cette contrainte spatiale dans la gestion des ordures à N'Djaména.

Tableau : n°11 Répartition des bacs à ordures par arrondissement : première phase

Arrondissements

Nombre de bacs à ordures

Premier arrondissement

7

Deuxième arrondissement

12

Troisième arrondissement

9

Quatrième arrondissement

10

Cinquième arrondissement

7

Sixième arrondissement

11

Septième arrondissement

2

Huitièmement arrondissement

2

Total

60

Source : Nos enquêtes juillet 2004

Tableau n°12 : Répartition des bacs à ordures par arrondissement : deuxième

phase

Localisation

Nombre de bacs à Ordures

Marché Choléra

2

Marché de Farcha

2

Marché central

2

Marché de Dembé

2

Marché à Mil

2

Marché du champ des fils

2

Marché de Diguel

2

Gare routière

1

Marché Dombolo

1

Marché Diguel Est

2

Présidence

1

Commissariat central

1

Brigade

1

Hôpital

2

Total

23

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Source : nos enquêtes (juillet 2004)

Aussi paradoxale que cela puisse paraître, la notion de NIMBY entendu Not In My Back Yard ne se vérifie pas toujours dans la gestion des ordures ménagères. Des pratiques contraires à celles qui sont définies par le sigle NIMBY sont observables dans un milieu urbain comme N'Djaména qui d'ailleurs en fournit l'explication. Il faut rappeler que le NIMBY que G. Bertolini (1987) évoque de façon sommaire dans Le marché des Ordures renvoie à la situation de refus par les individus que soient installés près de leur demeure des infrastructures accueillant les déchets urbains. Déjà au 12e siècle, à défaut de contester le stockage des ordures ordonné par l'autorité royale dans leur voisinage, les bourgeois décident de louer les services des entreprises qui les en débarrassent (voir supra chapitre I ou G. Bertolini, 1987). On peut également observer le NIMBY au niveau macro social notamment celui des Etats africains lorsque ceux-ci choisissent de ne pas (ou de ne plus) accepter sur leur territoire les déchets industriels des pays développés (voir supra chapitre I ou A-S Zoa, 1996).

A N'Djaména, un comportement qu'on peut décrire approximativement comme représentatif du NIMBY est celui qui consiste pour les individus, non pas à exprimer leur désaccord quant au stockage des ordures ou à l'installation des infrastructures dans leur voisinage mais à détruire celles que la mairie construit. Selon le Chef du service d'Hygiène et de Santé Public de la voirie de N'Djaména, 2/3 des bacs à ordures de la ville ci-dessus présentés ont été détruits par les habitants voisins. Cet acte de vandalisme vise ici tout simplement à mettre un terme à l'usage des bacs qui sont soit hors d'usage, soit qui ont disparus sous les ordures non (ou jamais) enlevées par le service officiel. C'est dire que l'on peut accepter les ordures dans son voisinage lorsqu'elles sont accueillies dans un récipient destiné à sa gestion. Elles ne sont pas désirées au contraire lorsqu'elles débordent leur territoire pour investir les espaces privés des individus. Evidemment ce que André Le Bozec (1994) qualifie de « syndrome du NIMBY » à propos de la gestion des ordures en France n'est pas, dans le cas des populations n'djaménoises, une manifestation du refus systématique d'installation des infrastructures.

L'ambivalence du NIMBY vient en revanche du développement d'une rationalité contraire à celle du NIMBY tel que nous venons de le voir. Ce que révèle l'enquête de terrain en fait se trouve être l'attribution d'une fonction de remblais que les individus ont assignée aux ordures ménagères. L'ordure, qui est utilisée ici comme remblais, est très généralement

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les résidus des déchets de consommation qui ont été soit entassés et brûlés à l'angle de la cour ou devant la concession, soit qui ont subi une biodégradation par le temps. Mais il existe également des ménages qui utilisent pour remblayer leur cour les ordures qu'ils ne soumettent à aucune transformation. La règle d'ailleurs est de transformer en décharges toutes les crevasses de la cour de la concession. Il faut ajouter que les ménages utilisent les ordures pour remblayer aussi les rues ou plus exactement les devantures de leur concession.

Ainsi, à cause de l'inégalité du relief, les ordures sont répandues aussi bien dans les espaces privés que dans les espaces publics. Selon le chef du service d'hygiène et de santé publique de la voirie, en réalité très peu d'ordures sortent effectivement de la ville du fait d'abord de la non effectivité de la collecte des ordures par le service officiel ; ensuite par l'usage des ordures précédemment décrit. Il note par conséquent que tout ceci conduit à la contamination de la nappe phréatique par les microbes « ce qui a conduit la STEE (Société Tchadienne d'Eau et d'Electricité) à aller plus loin sous la terre chercher de l'eau ». Il observe avec regret que tous les puits d'eau de N'Djaména ne sont plus des sources d'eau potable (s'ils ne l'ont jamais été38), pour la population. Allassembaye Dobingar nous offre une description d'une pédologie plutôt propice aux inondations :

« N'Djaména, fut construit ... dans une zone marécageuse. Etaient alors exondés l'espace sur lequel a été construit le fort militaire et les logements des colons, espaces qui deviendra plus tard le centre ville. Tout autour s'étendaient de grands marécages que drainaient plusieurs petits affluents du Chari. Avec la croissance urbaine, ces zones marécageuses ont été progressivement investies par les populations pour bâtir leurs habitations... » (Allassembaye, 2001 : 21). A ceci il faut rappeler le fait que la ville de N'Djaména se construit sur un sol essentiellement argileux, ce qui pose un problème d'infiltration et de ruissellement des eaux de pluies, bref de leur rétention. Du coup, tous les ménages cherchent à élever le niveau du sol de leur concession de façon à le rendre exondé. D'où l'usage des ordures ménagères.

Finalement, les ordures remplissent pour les N'Djaménois une fonction qui est immédiatement perçue et utilisée par la plupart d'entre eux. Evidemment cela enrichit les représentations que ceux-ci ont des ordures et par ricochet marque les rapports aux ordures et à leur lieu de gestion. Ceci mobilise tout simplement des actions, réactions et interactions autours de ces données (ordures ménagères, espaces urbains). Aussi, au risque de nous répéter si l'on ne comprend pas ces dimensions, on s'étonnera de ce que les individus choisissent de

38 C'est nous qui soulignons.

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répandre dans leurs espaces privés et dans ceux publics des ordures que tout le monde attend en principe provisoirement dans les poubelles, ou définitivement dans les décharges finales.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams