3.2. Les comités d'assainissement
Nous notons d'entrée de jeu qu'après la G.O.M
réalisée par les ménages ci-haut décrite, c'est la
pré-collecte qui est l'activité de G.O.M la moins mal
assurée au Tchad. Le contrôle des décharges de transit ou
provisoires , la collecte des ordures des décharges de transite vers les
décharges finales, la mise en oeuvre d'une filière des ordures
visant leur réintroduction dans le circuit économique notamment
par le tri, le recyclage, bref la revalorisation, restent très peu
développés. De plus au regard des actions déployées
dans les différentes activités de G.O.M, les ordures sont
gérées davantage comme une chose nuisible, négative que
comme une matière susceptible d'être revalorisée. On
pourrait postuler que la faiblesse d'investissement et de professionnalisation
de la filière ordures résulte entre autre chose de cette
perception des ordures. Mais ce qui reste en vue somme toute est la
pré-collecte que réalisent tant bien que mal les C.A de
façon plus effective. Mais qu'est-ce qu'un C.A et comment celui-ci
réalise la pré-collecte des ordures dans les ménages ?
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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50
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3.2.1. Contexte de création des comites
d'assainissement
Les C.A sont des associations de quartiers. Il s'agit de
structures d'assainissement issues d'initiatives locales dont on situe la
création vers la fin des années 1980. Ils sont
créés essentiellement pour pallier ce que beaucoup d'auteurs
considèrent comme la démission des autorités de
l'assainissement de la ville. On peut en effet parler d' « Etat
démissionnaire » dont la désertion en matière de
politiques publiques sert de fenêtres d'opportunité à
l'émergence d'un certain nombre d'acteurs de la société
civile sur la scène publique. Ceci explique, entre autres,
l'émergence des écoles communautaires. C'est également ce
qui explique l'action des jeunes de différents quartiers de
N'Djaména en matière de sécurité et de
salubrité. Il s'agit en fait des jeunes qui s'entendent pour curer
sporadiquement les caniveaux, balayer les rues de leurs quartiers ou encore -
et pour ce qui concerne la sécurité - de traquer les malfrats et
les voleurs qui opèrent dans les quartiers la nuit en y faisant la
ronde.
Mais en matière d'ordures ménagères comme
dans d'autres aspects des politiques publiques, il s'agit essentiellement d'une
concession de pouvoir puisque l'action de ces acteurs reste fortement soumise
à une réglementation de l'Etat. Mais l'apparition du premier C.A
en 1987, celui du quartier Ambassatna dans le deuxième arrondissement de
N'Djaména, est propulsée par l' Organisation Non Gouvernementale
(ONG) humanitaire INTERMOM OXFAM. Le soutien financier, matériel et
technique accordé par cette ONG a permis au C.A d'Ambassatna de fournir
un service gratuit aux populations de ce quartier. Ce qu'on appelle
Ambassatna-nadif ou encore Ambassatna propre (le mot nadif en
arabe tchadien signifiant propre ) va servir d'exemple à plusieurs
autres quartiers qui vont se lancer dans cette initiative. Et au départ
ces initiatives étaient fortement encouragées par les ONGs et les
organismes présents à N'Djaména afin qu'elles prennent
à leur compte l'assainissement de la ville (A Dobingar, 2002). Dix ans
plus tard, et selon les enquêtes de la mairie de N'Djaména, le
nombre de ces C.A d'après le répertoire des C.A de la ville de
N'Djaména (Mairie de N'Djaména, 1998) s'élève
théoriquement à plus de quarante cinq. L'étude plus
récente du BCEOM (2000) que celle qui permit la publication de ce
répertoire, nous permet d'apprécier l'évolution de la
reconnaissance officielle de quarante C.A étudiée dans cette
étude.
Figure 1: Reconnaissance officielle des comités
d'assainissement entre 1987 et 1998
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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Reconnaissance officielle des comités
d'assainissement entre 1987 et 1998
1
2
3
2
10
6
4
3
6
1987 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998
12
10
8
6
4
2
0
Nous n'avons pas pu obtenir des chiffres concernant la
période qui va de 1999 à nos jours. Ce qui, en revanche est
important à relever est qu'aujourd'hui, tous les quartiers de
N'Djaména disposent d'au moins un C.A. C'est donc un
phénomène qui est constatable à l'échelle de la
ville entière et qui a permis, par voie de conséquence à
nombre d'analystes d'affirmer qu'il rend compte d'une prise en charge populaire
des problèmes d'assainissement à N'Djaména. Mais cette
affirmation mérite d'être relativisée puisque les
statistiques relatives à l'abonnement des ménages aux services
des C.A par quartiers présentés ci-dessous sont loin d'être
homogènes et situées toutes au moins au-delà de la moyenne
des concessions des zones d'action des C.A. Il s'agit des données du
2e et 3e arrondissement issus de l'étude du BCEOM
et qui sont les moins incomplètes comparativement à celles des
autres arrondissements. Il est en effet regrettable qu'aucune étude
n'ait présenté de façon exhaustive les données sur
les taux d'abonnement des concessions dans tous les quartiers. C'est ce que
reflète le résultat de l'étude du BCEOM ci-haut
citée, commandée par la mairie. Les données des C.A du
2e et 3e arrondissement sont présentées à titre
illustratif.
Il faut noter que les taux d'abonnement situés au-
delà de la moyenne des concessions par quartier (Mardjan Djaffack :
premier tableau ; Ambassatna, Ardep Djoumal : deuxième tableau) doivent
être rattachés aux variables telle que l'ancienneté des
C.A.
Tableau 2: Répartition des comités
d'assainissement par quartier dans le 2e arrondissement.
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
|
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|
Nom de quartier
|
Nombre de concessions
|
Nombre de concessions abonnées
|
Frais d'abonnement mensuel
|
Pourcentage
(%)
|
Bololo
|
302
|
112
|
500 F CFA
|
37.08
|
Mardjan Djaffack
|
1453
|
865
|
500 F CFA
|
59.53
|
Djambal bahr
|
-
|
200
|
1000 F CFA
|
-
|
Goudji Amral-Goz
|
1375
|
350
|
1000 F CFA
|
25.45
|
Klémat
|
1106
|
286
|
500 F CFA
|
25.85
|
Total
|
4236
|
1813
|
-
|
42.79
|
Source : BCEOM 2000
Tableau 3:Répartition des comités
d'assainissement par quartier dans le 3e arrondissement.
Nom de
|
Nombre de
|
Nombre de
|
Frais
|
Pourcentage
|
quartier
|
concession
|
concessions abonnées
|
d'abonnement
|
(%)
|
Gardolet
|
751
|
600
|
-
|
7.98
|
Ambassatna
|
805
|
600
|
500 F CFA
|
74.53
|
Kabalaye
|
374
|
150
|
500 F CFA
|
40.10
|
Ardep Djoumal
|
11111
|
8000
|
200 F CFA
|
72.00
|
Sabangali
|
641
|
264
|
250 F CFA
|
41.18
|
Total
|
13682
|
9074
|
-
|
66.32
|
Source : BCEOM 2000
On remarque à travers ce tableau que les frais
d'abonnement varient selon les C.A et donc selon les quartiers puisque les
territoires d'intervention des C.A coïncident avec les limites des
quartiers dans lesquels ils sont compétents. Dans le quartier couvert
par le C.A dénommé Service d'Assainissement du Quartier
Résidentiel, Administratif et Commercial (SAQRAC) par exemple, les frais
d'abonnement des nationaux s'élèvent à 1500 F CFA par mois
tandis que celui des expatriés est de 3000 F CFA par mois pour un
service de ramassage des ordures dont la fréquence est de trois fois par
semaine. Mais la moyenne des frais d'abonnement est de 500 par mois.
Les C.A nous intéressent dans ce travail pour leur
action en matière de gestion des ordures ménagères qui est
principalement la pré-collecte des ordures dans les ménages
abonnés à leur service avec une fréquence moyenne de 2
à 3 fois par semaine. Selon A. Dobingar (2002 : 3) « 69% des
comités y travaillent de façon permanente ou
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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sporadiquement ». Il faut quand même préciser
que les C.A investissent également des
domaines qui touchent directement ou indirectement à la
salubrité urbaine. On distingue :
- l'entretien des ouvrages de drainage pour l'évacuation
des eaux usées ;
- la désinfection des puits d'eau;
- la distribution d'eau potable ;
- la gestion des latrines publiques dans les marchés ;
- la sensibilisation ;
- les opérations de reboisement de quartier ;
- les manifestations culturelles.
Pour ce qui concerne directement la G.O.M, il faut
préciser que ce sont les éboueurs de ces C.A qui réalisent
la pré-collecte à l'aide des pousse-pousses pour les acheminer
vers les décharges autorisées ou les bacs à ordures
construits par la mairie à cet effet. Certains C.A initient d'une part
des techniques de tri visant la récupération de certaines
matières notamment des bouteilles en plastique et en verre et, d'autre
part une forme de recyclage qui consiste à transformer les emballages en
plastique communément appelées lédas en
ardoise.
De ce qui précède, on constate que le territoire
d'intervention concret des C.A en matière de ramassage des ordures est
essentiellement constitué par les zones où les ordures des
ménages situés dans les concessions abonnées sont
stockées. Les C.A ne participent donc pas à l'assainissement des
espaces autres que ceux privés des ménages situés dans les
concessions abonnées. Ainsi l'action des C.A et celle des ménages
se conjuguent pour assurer l'assainissement d'un espace précis, à
savoir l'environnement immédiat que Harday et Satterthaite appellent
l'indoor environnement ou l'environnement à
l'intérieur des concessions (Mohamadou Sall ,1996).
Il apparaît, dans cette présentation de la G.O.M
et des espaces privés par les ménages et les C.A qu'il existe
effectivement un effort d'assainissement et de maintien de la salubrité
des espaces privés en milieu urbain comme le souligne déjà
Evelyne Waas (Enda, 1990).
Il faut noter que les C.A. ont perdu leur ardeur et leur
activisme en matière de pré-collecte des ordures
ménagères. Il est vrai que les C.A. émergent comme un
nouveau pôle de pouvoir qui a tenté de conquérir l'espace
économique de la G.O.M. Ce nouveau pole de pouvoir économique
puisque nous choisissons de les qualifier ainsi, a été
présenté au Tchad
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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comme une structure mise en oeuvre par les populations locales
en vue d'apporter une solution au crucial problème de
l'insalubrité urbaine. Cette proposition est tout à fait
discutable au regard des facteurs qui ont présidé de façon
effective à l'émergence des comités d'assainissement. En
effet, si l'initiative C.A a échoué, les causes efficientes
méritent d'être recherchées dans le projet lui-même.
C'est dire que l'échec des C.A était plus ou moins
prévisible dès le départ. Voici deux
éléments d'explications :
Le premier se trouve être
l'exogénéité du projet. Selon les études du BCEOM,
c'est OXFAM qui fut le premier organisme de développement à
provoquer la création du premier comité d'assainissement de
N'Djaména, en l'occurrence le C.A d'Ambassatna-nadif. Les C.A sont donc
une forme d'association exogène à la population de
N'Djaména. L'idée tout comme les moyens matériels viennent
de l'extérieur. En effet OXFAM a fourni au C.A d'Ambassatna-nadif du
matériel pour son lancement. On peut lire dans un rapport d'étude
du BCEOM (2001 : 13), ce qui suit :
« La première expérience fut menée
en 1986 dans un quartier ancien appelé Ambassatna. C'est à
travers elle qu'est apparu pour la première fois le terme «
comité d'assainissement ». Le projet « Ambassatna-nadif »
fut mené par OXFAM. C'est à cette ONG que fut confié le
pilotage de l'opération aux côtés des habitants du quartier
et de la municipalité. Ce projet avait pour objectif d'améliorer
le niveau de salubrité du quartier en y associant la population.
»
Tout ceci porte à croire que les C.A sont loin d'avoir
été une invention des populations de N'Djaména alors
même que la situation critique de l'insalubrité et la
désertion du service public pouvait inspirer une telle invention.
Deuxièmement, à son origine, le service des C.A
était offert gratuitement aux populations qui se plaignaient
déjà du défaut de la mairie à réaliser la
collecte des ordures ménagères. Il a donc été
considéré comme un service qui est offert en réparation de
celui que la mairie était censée leur fournir. Aussi sont-elles
constituées consommatrices passives de ce service ou tout au moins elles
l'ont considéré comme étant fourni en contrepartie du
paiement de la taxe sur l'habitat prélevée par la mairie. C'est
ici que nous identifions le deuxième élément d'explication
de l'échec des C.A. Il s'agit de l'erreur qui consiste à
présenter, dès le point de départ le service des C.A comme
étant fourni gratuitement aux individus et initié par une ONG de
développement communément appelé organisme au
Tchad. Or dire organisme
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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55
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signifie pour les populations fourniture gratuite de service
ou tout au moins, à moindre frais. Aussi la monétarisation de ce
service qui intervient plus tard a été reçue comme
abusive. Actuellement, les C.A qui fonctionnent normalement sont ceux qui sont
soutenus par la municipalité à l'exemple de SACRAQ, et de ceux
qui sont situés dans les quartiers résidentiels où seuls
les expatriés en sont les meilleurs clients.
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