CHAPITRE II GESTION DES ORDURES MENAGERES A
N'DJAMENA
« Tout travail, tout choix d'études et de
méthodes en sociologie suppose une théorie du progrès
scientifique. Tout progrès scientifique est cumulatif, il n'est pas
l'oeuvre d'un homme mais d'une quantité de gens qui révisent,
critiquent; qui ajoutent et qui élaguent. Pour faire date, il faut
associer son travail à ce qui
Gestion des odures ménagères à
NDjaména
a été fait et à ce qui se fait. Il le
faut pour dialoguer, il le faut pour
l'objectiver » (C. W. Mill, 1983 :130).
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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La gestion des ordures ménagères (G.O.M.) est
une notion dont il n'est pas aisé de repérer la définition
dans la littérature. En effet, les techniciens et même les
chercheurs en gestion urbaine qui s'intéressent aux ordures
ménagères dans les milieux urbains ne proposent pas
expressément une définition de la gestion des ordures
ménagères. Ils s'attachent en revanche à définir
avec soin les termes qui s'apparentent à celles-ci [Supra, chapitre I].
Le sens de la gestion des ordures ménagères se décline
à travers les activités d'assainissement du cadre de vie.
De ce qui précède, la gestion des ordures
ménagères apparaît moins comme un concept qu'un terme
descriptif et surtout technique, indiquant à chaque étape
l'activité à réaliser pour assainir le milieu de vie et
pour revaloriser, le cas échéant, les déchets. Une telle
acception ne renseigne pas sur les moyens de cette gestion des ordures.
Pourtant, gérer c'est assurer l'adéquation entre les
ressources disponibles pour ainsi dire les moyens (humains, matériels,
organisationnels, techniques...), et les objectifs qu'on se fixe ou les
missions qu'on doit remplir.
I. GENERALITES
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
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1.1 Un petit historique de la gestion des ordures
ménagères dans les espaces
publics18.
De l'avis de Bertolini (1987 :19) jusqu'au XIIe
siècle, les fosses sceptiques étaient inconnues en France. Les
habitants rejetaient « à la rue - véritable
dépotoir - tous leurs déchets, où de nombreux animaux
trouvent leur nourriture. » Selon lui, « Le passage [des
déchets] de la sphère domestique à l'espace public
constitue la forme première ou primitive de
l'élimination, c'est-à-dire en réalité un
transfert au détriment d'un premier type d'espace faible en particulier
parce que sa propriété ne peut être revendiquée par
un individu. La pratique du « tout-à-la-rue » se traduit par
une dispersion et une crise généralisée de l'espace urbain
» (p.10). Il cite Mumford qui montre que « jusqu'au XIX
e siècle, le porc demeura un auxiliaire précieux de la
salubrité publique même dans les villes qui se piquaient de
modernisme comme New York et Manchester. » Cet auxiliaire ne s'est
pas arrêté de fouiller dans les poubelles des hommes,
jusqu'aujourd'hui et ce, dans bon nombres de villes encore. A l'observation, il
apparaît que l'homme est aujourd'hui - s'il ne l'a pas toujours
été - un concurrent attesté de cet auxiliaire. Un
commensalisme de poubelle entre d'une part les chiens, les porcs et d'autre
part des malades mentaux, mendiants, enfant de la rue et que nous observons
tous les jours dans nos villes. (Voir Photo en annexe 3).
Avant le XIIe siècle en France, les villes
ne recevaient aucune toilette. Les rues étaient couvertes de boue.
« La méthode de tassage des ordures ménagères,
écrit Bertolini, est naturelle ; elle résulte du
piétinement des animaux et des passants, et des roues de charrois.
» (P.19) Bertolini conclut cette description en indiquant que « dans
la cité médiévale aux habitations de chaume et de bois, le
plus radical des bactéricides urbains est, de temps en temps,
l'incendie. » (p.20). C'est avec le souverain Phillipe-Auguste au
XIIe siècle que se manifestent en France les premières
velléités de nettoyage de la ville. En effet « c'est en 1185
qu'on situe la scène qui en constituerait le point de départ : le
souverain Philippe-Auguste est tellement incommodé par l'odeur
dégagée par la boue lors du passage d'une charrette qu'il ne peut
rester à la fenêtre de son palais. Il ordonne aussitôt que
les rues et voies de la cité soient pavées (Girard, 1923 :8).
Cette réalisation a été appelée le carreau du roi ;
jusqu'à l'avènement des Valois, elle ne concerne guère que
les deux artères principales, qui traversent la ville et se coupent vers
le Châtelet. Après cette réalisation, son entretien est
ordonné. » (P.21)
18 Cette partie est traitée grâce au
livre de G. Bertolini (1987)
Gestion des ordures ménagères à
N'Djaména
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
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L'auteur précise que le pavage à grande
échelle interviendra beaucoup plus tard au XVe siècle
en Allemagne ; ainsi Augsbourg fut la première ville à
l'entreprendre vers 1415. On voit, comme Bertolini ne manque pas de le
souligner, que l'élément déclencheur des premières
interventions fut le « nez du roi », début de ce que A. Corbin
qualifiera d'offensive contre l'intensité olfactive de l'espace
public19.
Ensuite la décision émane du pouvoir central au
bénéfice de la capitale, une décision qui tient lieu de
règlement. « Les ordonnances énoncent des interdictions, ou
édictent des obligations de résultat ; elles sont assorties de
sanctions très lourdes : amendes, privation de propriété,
emprisonnements, châtiments corporels. » (P.20)
La gestion des espaces urbains se traduit, à cette
époque tel qu'il suit : l'entretien du carreau est à la charge
des habitants. L'autorité publique n'intervient au départ, que
pour veiller à sa réalisation. Selon un « règlement
de 1270, relatif au nettoyage, les rues seront nettoyées lorsque le
Voyer en publiera l'ordre, en faisant crier le ban ». Plus
explicitement,
l' « autorité royale se contente de prescrire aux
habitants d'enlever des chaussées les boues et autres encombrements, et
leur laisse la charge de s'en débarrasser20. Ils les
entreposent dans leurs cours et jardins, devant la porte du voisin (...) ou sur
la place publique. Mais certains bourgeois vont prendre l'initiative de louer
en commun un tombereau pour faire transporter hors de la ville les immondices
accumulées autour d'eux. Cette action est symptomatique de ce que
beaucoup d'auteurs ont appelé le virus de NIMBY (Not In My Back Yard)
que nous décrirons plus loin.[Infra, chapitre IV].
Ce que nous venons de décrire ce sont des tâches
réalisées individuellement ou collectivement par les habitants ou
confiées par ceux-ci aux particuliers (entreprises privées) qui
le font moyennant paiement. Progressivement, l'administration ordonnera le
dépôt hors de la ville des boues et immondices. Ensuite, vu que
l'ordre donné à chacun de nettoyer devant sa maison
n'étant pas respecté, le nettoyage de la ville sera
progressivement remplacé par un service public municipal, assorti de la
perception des taxes.
A partir de 1532, du fait notamment du refus des nobles et
gros bourgeois de payer la taxe, « on dut en venir à un
système mixte qui consistait à recourir à nouveau aux
habitants
19 Note de Bertolini (1987) voir notamment Le miasme et la
jonquille, l'odorat et l'imaginaire social, XVIIe et XIXe
siècle, aubier, 1982.
20 Note de Bertolini (1987)
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pour effectuer le balayage des rues et la mis en tas des
immondices alors que l'autorité royale restait seulement chargée
du transport et prélevait une taxe dans ce but » (p.21).
S'agissant du balayage des rues, « une ordonnance de
police de 1799 impose à tous les propriétaires ou locataires
d'habitation (de Paris) bordant la voie publique de balayer tous les jours
devant leur habitation : au droit de façade et jusqu'au milieu de la
chaussée, dans les rues à doubles ruisseau et jusqu'au ruisseau
du milieu dans les autres, et la surface angulaire comprise entre les
prolongements des deux façades pour les maisons d'angle. Ce balayage
doit être terminé à sept heures du matin depuis le premier
avril jusqu'au premier octobre, et à huit heures, les autres mois de
l'année. Des hommes parcourent les divers quartiers de la ville pour
rappeler aux habitants que l'heure est venue de balayer, durant l'hiver,
l'obligation de mettre la neige en tas et de casser la glace des ruisseaux
»
A cette même époque, existaient des compagnies de
balayage public, chargées « de nettoyer les places, marchés,
les quais et les parties de voies publiques qui ne sont pas bordées par
aucune propriété particulière ». Ainsi apparaissent
pour la première fois en France des prestataires de service
privés d'assainissement. Ceux-ci vont, dans un premier temps s'entendre
avec « les propriétaires ou les locataires pour exécuter
à leur place, moyennant une somme assez modique, le balayage auquel ils
sont astreints par les règlements de police. » Mais ce type de
contrat va générer un désordre sur la voie publique... Et
vu que les mesures prises par le préfet de police en 1873 pour redresser
cette situation ne favorisaient pas les compagnies privées, la plupart
d'entre elles durent se retirer : « l'administration municipale se
substitue à celles qui disparaissent, et crée des abonnements au
balayage facultatif .» Mais l'abonnement n'étant pas obligatoire,
une taxe de balayage a été instituée.21
L'état actuel de la réglementation du nettoiement des voies
publiques retracé par l'Association Générale des
Hygiénistes et Techniciens Municipaux (AGHTM) que rapporte G. Bertolini
donne un aperçu de la gestion de l'assainissement des espaces publics
dans divers pays européens.
Au regard des réglementations des pays cités par
Bertolini, se dessinent deux modèles de nettoyage des espaces
publics.
21 Bertolini cite la loi du 26 mars 1873 instituant
la taxe de balayage à Paris ; la loi du 31 juillet 1880 à Alger
et a Oran, la loi du 05 avril 1884 autorisant les communes de France et
d'Algérie à prendre des décrets pour instaurer une telle
taxe.
Gestion des ordures ménagères à
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Le premier modèle, dominant d'ailleurs, qu'on retrouve
en Allemagne fédérale, au Danemark, aux Royaumes Unis, en Suisse
et en France est celui où la responsabilité de l'assainissement
de l'espace public incombe aux services municipaux. Dans certains de ces pays
(Danemark, Pays-Bas, France) le service municipal conserve la
possibilité d'imposer une taxe de balayage des rues aux riverains ou
encore l'obligation de nettoyage « des trottoirs, (seulement)
jusqu'à dix mètres de largeurs ».
Le deuxième modèle est celui où, en
Autriche, en Italie et au Pays-Bas par exemple le nettoyage des rues incombe
entièrement aux riverains. Il s'agit du nettoyage de la devanture des
immeubles, des trottoirs en plus d'un paiement de frais de ramassage des
ordures (comme au Pays-Bas) une taxe de nettoyage des espaces se trouvant hors
de la responsabilité des riverains (comme en Italie).
Mais la tendance, comme le note Bertolini « est de
décharger les riverains de ces tâches pour le reporter sur le
service public. » A titre d'exemple, la loi des 16 et 24 août 1790
réglemente pour toute la France le nettoyage, et en confie la
responsabilité aux maires ».
Gérard Bertolini témoigne tout d'abord d'une
construction historique de l'espace public comme territoire distinct sinon
à distinguer de l'espace privé par son assainissement. Et,
même si Bertolini ne le relève pas, il est clair que
l'élément distinctif de cet espace est sans conteste son
accessibilité publique tel que nous l'avons montrée avec J.
Habermas.[Supra, chapitre I].
Ce qui consacre la spécificité de ce territoire
est son assainissement dont l'organisation a connu tant de changements avant
d'arriver à sa forme actuelle c'est-à-dire celle qui,
particulièrement en France institue le service communal comme
l'autorité suprême de la gestion des ordures
ménagères. La réglementation française de la
gestion des ordures ménagères dans les espaces publics est en
tout point comparable à celle du Tchad. Evidemment cela n'est pas
étonnant vue que le Tchad comme toutes les anciennes colonies
françaises a hérité des instruments juridiques de
l'administrateur colonial. La réglementation juridique ainsi
copiée ne s'est pas accompagnée de son application dans les
villes coloniales. Le service public, de façon générale et
celui d'enlèvement des Ordures Ménagères en particulier
était exécuté uniquement dans les quartiers dits
résidentiels22 qui étaient en fait les
22 Le terme de quartiers résidentiels est une
aberration dans la mesure où il sous-entend que seuls les habitants de
ces quartiers résident en ville. Tout se passe en tout cas comme si les
populations qui habitent les quartiers que Gestion des ordures
ménagères à N'Djaména
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quartiers des administrateurs européens. A cette
discrimination dans la prestation du service public vont s'ajouter d'autres
problèmes (d'ordre démographique, financier et politique ...) qui
rendent bien particulière la gestion des ordures ménagères
dans les pays en voie de développement.
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