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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à  N'Djaména au Tchad

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par Emmanuel Ngueyanouba
Université catholique d'Afrique Centrale - Maà®trise en sciences sociales- socio- anthropologie 2005
  

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CHAPITRE II GESTION DES ORDURES
MENAGERES A N'DJAMENA

« Tout travail, tout choix d'études et de méthodes en sociologie suppose une théorie du progrès scientifique. Tout progrès scientifique est cumulatif, il n'est pas l'oeuvre d'un homme mais d'une quantité de gens qui révisent, critiquent; qui ajoutent et qui élaguent. Pour faire date, il faut associer son travail à ce qui

Gestion des odures ménagères à NDjaména

a été fait et à ce qui se fait. Il le faut pour dialoguer, il le faut pour

l'objectiver » (C. W. Mill, 1983 :130).

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La gestion des ordures ménagères (G.O.M.) est une notion dont il n'est pas aisé de repérer la définition dans la littérature. En effet, les techniciens et même les chercheurs en gestion urbaine qui s'intéressent aux ordures ménagères dans les milieux urbains ne proposent pas expressément une définition de la gestion des ordures ménagères. Ils s'attachent en revanche à définir avec soin les termes qui s'apparentent à celles-ci [Supra, chapitre I]. Le sens de la gestion des ordures ménagères se décline à travers les activités d'assainissement du cadre de vie.

De ce qui précède, la gestion des ordures ménagères apparaît moins comme un concept qu'un terme descriptif et surtout technique, indiquant à chaque étape l'activité à réaliser pour assainir le milieu de vie et pour revaloriser, le cas échéant, les déchets. Une telle acception ne renseigne pas sur les moyens de cette gestion des ordures. Pourtant, gérer c'est assurer l'adéquation entre les ressources disponibles pour ainsi dire les moyens (humains, matériels, organisationnels, techniques...), et les objectifs qu'on se fixe ou les missions qu'on doit remplir.

I. GENERALITES

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1.1 Un petit historique de la gestion des ordures ménagères dans les espaces

publics18.

De l'avis de Bertolini (1987 :19) jusqu'au XIIe siècle, les fosses sceptiques étaient inconnues en France. Les habitants rejetaient « à la rue - véritable dépotoir - tous leurs déchets, où de nombreux animaux trouvent leur nourriture. » Selon lui, « Le passage [des déchets] de la sphère domestique à l'espace public constitue la forme première ou primitive de l'élimination, c'est-à-dire en réalité un transfert au détriment d'un premier type d'espace faible en particulier parce que sa propriété ne peut être revendiquée par un individu. La pratique du « tout-à-la-rue » se traduit par une dispersion et une crise généralisée de l'espace urbain » (p.10). Il cite Mumford qui montre que « jusqu'au XIX e siècle, le porc demeura un auxiliaire précieux de la salubrité publique même dans les villes qui se piquaient de modernisme comme New York et Manchester. » Cet auxiliaire ne s'est pas arrêté de fouiller dans les poubelles des hommes, jusqu'aujourd'hui et ce, dans bon nombres de villes encore. A l'observation, il apparaît que l'homme est aujourd'hui - s'il ne l'a pas toujours été - un concurrent attesté de cet auxiliaire. Un commensalisme de poubelle entre d'une part les chiens, les porcs et d'autre part des malades mentaux, mendiants, enfant de la rue et que nous observons tous les jours dans nos villes. (Voir Photo en annexe 3).

Avant le XIIe siècle en France, les villes ne recevaient aucune toilette. Les rues étaient couvertes de boue. « La méthode de tassage des ordures ménagères, écrit Bertolini, est naturelle ; elle résulte du piétinement des animaux et des passants, et des roues de charrois. » (P.19) Bertolini conclut cette description en indiquant que « dans la cité médiévale aux habitations de chaume et de bois, le plus radical des bactéricides urbains est, de temps en temps, l'incendie. » (p.20). C'est avec le souverain Phillipe-Auguste au XIIe siècle que se manifestent en France les premières velléités de nettoyage de la ville. En effet « c'est en 1185 qu'on situe la scène qui en constituerait le point de départ : le souverain Philippe-Auguste est tellement incommodé par l'odeur dégagée par la boue lors du passage d'une charrette qu'il ne peut rester à la fenêtre de son palais. Il ordonne aussitôt que les rues et voies de la cité soient pavées (Girard, 1923 :8). Cette réalisation a été appelée le carreau du roi ; jusqu'à l'avènement des Valois, elle ne concerne guère que les deux artères principales, qui traversent la ville et se coupent vers le Châtelet. Après cette réalisation, son entretien est ordonné. » (P.21)

18 Cette partie est traitée grâce au livre de G. Bertolini (1987)

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L'auteur précise que le pavage à grande échelle interviendra beaucoup plus tard au XVe siècle en Allemagne ; ainsi Augsbourg fut la première ville à l'entreprendre vers 1415. On voit, comme Bertolini ne manque pas de le souligner, que l'élément déclencheur des premières interventions fut le « nez du roi », début de ce que A. Corbin qualifiera d'offensive contre l'intensité olfactive de l'espace public19.

Ensuite la décision émane du pouvoir central au bénéfice de la capitale, une décision qui tient lieu de règlement. « Les ordonnances énoncent des interdictions, ou édictent des obligations de résultat ; elles sont assorties de sanctions très lourdes : amendes, privation de propriété, emprisonnements, châtiments corporels. » (P.20)

La gestion des espaces urbains se traduit, à cette époque tel qu'il suit : l'entretien du carreau est à la charge des habitants. L'autorité publique n'intervient au départ, que pour veiller à sa réalisation. Selon un « règlement de 1270, relatif au nettoyage, les rues seront nettoyées lorsque le Voyer en publiera l'ordre, en faisant crier le ban ». Plus explicitement,

l' « autorité royale se contente de prescrire aux habitants d'enlever des chaussées les boues et autres encombrements, et leur laisse la charge de s'en débarrasser20. Ils les entreposent dans leurs cours et jardins, devant la porte du voisin (...) ou sur la place publique. Mais certains bourgeois vont prendre l'initiative de louer en commun un tombereau pour faire transporter hors de la ville les immondices accumulées autour d'eux. Cette action est symptomatique de ce que beaucoup d'auteurs ont appelé le virus de NIMBY (Not In My Back Yard) que nous décrirons plus loin.[Infra, chapitre IV].

Ce que nous venons de décrire ce sont des tâches réalisées individuellement ou collectivement par les habitants ou confiées par ceux-ci aux particuliers (entreprises privées) qui le font moyennant paiement. Progressivement, l'administration ordonnera le dépôt hors de la ville des boues et immondices. Ensuite, vu que l'ordre donné à chacun de nettoyer devant sa maison n'étant pas respecté, le nettoyage de la ville sera progressivement remplacé par un service public municipal, assorti de la perception des taxes.

A partir de 1532, du fait notamment du refus des nobles et gros bourgeois de payer la taxe, « on dut en venir à un système mixte qui consistait à recourir à nouveau aux habitants

19 Note de Bertolini (1987) voir notamment Le miasme et la jonquille, l'odorat et l'imaginaire social, XVIIe et XIXe siècle, aubier, 1982.

20 Note de Bertolini (1987)

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pour effectuer le balayage des rues et la mis en tas des immondices alors que l'autorité royale restait seulement chargée du transport et prélevait une taxe dans ce but » (p.21).

S'agissant du balayage des rues, « une ordonnance de police de 1799 impose à tous les propriétaires ou locataires d'habitation (de Paris) bordant la voie publique de balayer tous les jours devant leur habitation : au droit de façade et jusqu'au milieu de la chaussée, dans les rues à doubles ruisseau et jusqu'au ruisseau du milieu dans les autres, et la surface angulaire comprise entre les prolongements des deux façades pour les maisons d'angle. Ce balayage doit être terminé à sept heures du matin depuis le premier avril jusqu'au premier octobre, et à huit heures, les autres mois de l'année. Des hommes parcourent les divers quartiers de la ville pour rappeler aux habitants que l'heure est venue de balayer, durant l'hiver, l'obligation de mettre la neige en tas et de casser la glace des ruisseaux »

A cette même époque, existaient des compagnies de balayage public, chargées « de nettoyer les places, marchés, les quais et les parties de voies publiques qui ne sont pas bordées par aucune propriété particulière ». Ainsi apparaissent pour la première fois en France des prestataires de service privés d'assainissement. Ceux-ci vont, dans un premier temps s'entendre avec « les propriétaires ou les locataires pour exécuter à leur place, moyennant une somme assez modique, le balayage auquel ils sont astreints par les règlements de police. » Mais ce type de contrat va générer un désordre sur la voie publique... Et vu que les mesures prises par le préfet de police en 1873 pour redresser cette situation ne favorisaient pas les compagnies privées, la plupart d'entre elles durent se retirer : « l'administration municipale se substitue à celles qui disparaissent, et crée des abonnements au balayage facultatif .» Mais l'abonnement n'étant pas obligatoire, une taxe de balayage a été instituée.21 L'état actuel de la réglementation du nettoiement des voies publiques retracé par l'Association Générale des Hygiénistes et Techniciens Municipaux (AGHTM) que rapporte G. Bertolini donne un aperçu de la gestion de l'assainissement des espaces publics dans divers pays européens.

Au regard des réglementations des pays cités par Bertolini, se dessinent deux modèles de nettoyage des espaces publics.

21 Bertolini cite la loi du 26 mars 1873 instituant la taxe de balayage à Paris ; la loi du 31 juillet 1880 à Alger et a Oran, la loi du 05 avril 1884 autorisant les communes de France et d'Algérie à prendre des décrets pour instaurer une telle taxe.

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Le premier modèle, dominant d'ailleurs, qu'on retrouve en Allemagne fédérale, au Danemark, aux Royaumes Unis, en Suisse et en France est celui où la responsabilité de l'assainissement de l'espace public incombe aux services municipaux. Dans certains de ces pays (Danemark, Pays-Bas, France) le service municipal conserve la possibilité d'imposer une taxe de balayage des rues aux riverains ou encore l'obligation de nettoyage « des trottoirs, (seulement) jusqu'à dix mètres de largeurs ».

Le deuxième modèle est celui où, en Autriche, en Italie et au Pays-Bas par exemple le nettoyage des rues incombe entièrement aux riverains. Il s'agit du nettoyage de la devanture des immeubles, des trottoirs en plus d'un paiement de frais de ramassage des ordures (comme au Pays-Bas) une taxe de nettoyage des espaces se trouvant hors de la responsabilité des riverains (comme en Italie).

Mais la tendance, comme le note Bertolini « est de décharger les riverains de ces tâches pour le reporter sur le service public. » A titre d'exemple, la loi des 16 et 24 août 1790 réglemente pour toute la France le nettoyage, et en confie la responsabilité aux maires ».

Gérard Bertolini témoigne tout d'abord d'une construction historique de l'espace public comme territoire distinct sinon à distinguer de l'espace privé par son assainissement. Et, même si Bertolini ne le relève pas, il est clair que l'élément distinctif de cet espace est sans conteste son accessibilité publique tel que nous l'avons montrée avec J. Habermas.[Supra, chapitre I].

Ce qui consacre la spécificité de ce territoire est son assainissement dont l'organisation a connu tant de changements avant d'arriver à sa forme actuelle c'est-à-dire celle qui, particulièrement en France institue le service communal comme l'autorité suprême de la gestion des ordures ménagères. La réglementation française de la gestion des ordures ménagères dans les espaces publics est en tout point comparable à celle du Tchad. Evidemment cela n'est pas étonnant vue que le Tchad comme toutes les anciennes colonies françaises a hérité des instruments juridiques de l'administrateur colonial. La réglementation juridique ainsi copiée ne s'est pas accompagnée de son application dans les villes coloniales. Le service public, de façon générale et celui d'enlèvement des Ordures Ménagères en particulier était exécuté uniquement dans les quartiers dits résidentiels22 qui étaient en fait les

22 Le terme de quartiers résidentiels est une aberration dans la mesure où il sous-entend que seuls les habitants de ces quartiers résident en ville. Tout se passe en tout cas comme si les populations qui habitent les quartiers que Gestion des ordures ménagères à N'Djaména

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quartiers des administrateurs européens. A cette discrimination dans la prestation du service public vont s'ajouter d'autres problèmes (d'ordre démographique, financier et politique ...) qui rendent bien particulière la gestion des ordures ménagères dans les pays en voie de développement.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote