La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Ariane Lidwine NKOA NZIDJA université de Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008 |
§2 : Les manquements administratifs au cours de la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publiqueSelon l'article 544 du Code Civil, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et ceci moyennant une juste et préalable indemnité. L'expropriation pour cause utilité publique constitue alors une atteinte au caractère absolu du droit de propriété et se définit comme « une opération administrative par laquelle l'Etat oblige un particulier à lui céder la propriété d'un immeuble dans un but d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnisation »78(*). Parce que l'expropriation est une « opération attentatoire à la propriété privée »79(*), elle est prévue aussi bien que par les textes nationaux qu'internationaux. En ce qui concerne les textes internationaux, il s'agit des articles 7 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, de l'article 1er du protocole additionnel de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.80(*) Pour ce qui est de la législation nationale, on relève dans le préambule de la constitution Camerounaise, certaines dispositions relatives à cette procédure, ainsi que certains textes spéciaux, notamment l'ordonnance 74/3 du 06 juillet 1974, modifiée et complétée par la loi n°85 - 09 du 04 juillet 1985 et le décret n°87/1873 du 16 décembre 1987. Cet important arsenal juridique n'empêche cependant pas des irrégularités dans la procédure d'expropriation et des atteintes graves au droit de propriété. Comme le déclarait fort opportunément un auteur, l'expropriation est « le domaine par excellence de l'illégalité, notamment du détournement de pouvoir, de l'incompétence et du vice de forme »81(*). Il s'agit en consequence, de rendre compte des fautes commises par l'administration tout aussi bien lors des formalités préalables à l'expropriation (A) qu'après le transfert de propriété (B). A- Les fautes commises lors des formalités préalables à l'expropriationL'expropriation est une procédure instruite en plusieurs phases préalables à la cession de propriété, notamment du déclenchement de la procédure, suivi par une enquête préalable. 1- L'illégalité de l'action administrative lors du déclenchement de la procédure Aux termes de l'article 2 du décret n°87/1872 du 16 décembre 1987, la procédure d'expropriation est déclenchée à la demande de tout département ministériel ; elle est constituée d'un dossier préliminaire qui revèle de manière détaillée l'objet de l'opération, les terrains concernés et les moyens financiers prévus pour l'instruction de l'opération82(*). Ledit dossier d'expropriation est déposé chez le Ministre chargé des domaines qui apprécie le bien fondé du projet, et prend un arrêté déclarant l'utilité publique. Seul le Ministre des domaines est compétent pour apprécier les dossiers d'expropriation. Il apparaît en conséquence que les expropriations à l'initiative des Préfets ou de toute autre autorité sont illégales. De même, le texte déclaratif d'utilité publique est un arrêté, ainsi, toute circulaire, instruction ou note de service déclarant d'utilité publique un projet n'obéissent pas aux formes, et sont constitutifs de vices de forme. Ainsi est- il paradoxal d'assister à des expropriations sur simple circulaire préfectorale. Cette exigence de formalisme s'inscrit dans une logique de protection du droit de propriété, car en effet, l'expropriation est une opération lourde de conséquence sur le patrimoine des personnes privées. Par ailleurs, un arrêté ministériel déclarant d'utilité publique un projet sans avoir au préalable vérifier la conformité et la régularité des pièces versées au dossier, constitue une action fautive de l'autorité administrative. C'est sur la base de la régularité et de la conformité des pièces versées au dossier que découle la pertinence du projet, et par conséquent l'opportunité ou non de l'utilité publique. La déclaration d'utilité publique en elle-même, est lourde de conséquence d'autant plus qu'il n'existe aucune définition légale. Ainsi sur quelle base le Ministre appréciera-t-il l'utilité publique ou non d'un projet ? Il parait évident que cette déclaration peut servir de base à des desseins personnels, et comme le disait M. Tchientcheu Njiako, « l'expropriation est une occasion pour certaines personnalités du monde des affaires ou de la politique, d'acquérir à vil prix des parcelles de terres arrachées, au nom de l'intérêt général, à des paisibles citoyens pour une poignée de francs CFA d'indemnisation ». Le constat clair qui résulte des affaires FOUDA MBALLA Maurice et ONO NGAFOR Albert, est celui selon lequel, l'expropriation est l'occasion des manifestations des abus administratifs. Dans la première espèce, le juge administratif déclare expressément que « sont d'utilité publique les opérations destinées aux besoins de l'ensemble de la population d'une collectivité territoriale ou tendant à réaliser un objet d'utilité publique ». Subséquemment la construction d'une cité, d'un club et d'un terrain de sport ne sert que l'intérêt de quelques particuliers et « dès lors, ces travaux ne présentent pas le caractère d'utilité générale pouvant justifier une déclaration d'utilité publique »83(*). Dans la seconde espèce, l'Assemblée Plénière de la Cour Suprême déclare que, l'arrêté préfectoral pris à l'encontre du sieur Albert ONO NGAFOR, en démolition du collège dont il est propriétaire, est illégal, car il a été pris « pour donner satisfaction à un tiers, dans l'arbitrage d'un litige foncier au détriment du sieur ONO NGAFOR ; cet acte constituant un détournement de pouvoir »84(*). 2- La faute administrative au cours de l'enquête préalable Les enquêtes préalables sont des recherches ordonnées par le Ministre des domaine par arrêté, et elles ont pour but d'informer la population et de s'informer sur l'opération ; elles sont menées par la commission de constat et d'évaluation, publiquement et contradictoirement, en présence des propriétaires des fonds concernés, des populations et des notabilités du lieu afin que toutes les prétentions, observations ou droits des tiers sur les immeubles à exproprier soient pris en compte. Cette exigence de publicité a pour objectif de délimiter le terrain, recueillir l'avis des personnes occupant ou exploitant le terrain, des propriétaires dudit terrain ; il s `agit de les identifier, de quantifier leur mise en valeur. De ce constat, toutes les enquêtes non publiques, obscures, sans publicité préalable, ou même l'absence d'enquête avant toute expropriation sont constitutives de faute. En outre, selon M. Tchientcheu Njiako, on distingue deux types d'enquêtes, la première étant l'enquête préalable et la seconde, l'enquête parcellaire. L'enquête préalable a pour objet d'inventorier, non seulement les droits des propriétaires, mais aussi les droits de tout autre nature. En clair, elle permet d'identifier les personnes et victimes de l'expropriation à projeter. L'enquête parcellaire, pour sa part, intervient dans la détermination de la nature juridique du terrain ; elle permet d'évaluer le terrain, de le faire borner s'il ne l'est pas encore. Si l'enquête préalable est relative aux personnes victimes de l'expropriation, on peut affirmer que l'enquête parcellaire concerne le terrain, objet de l'expropriation. En tout état de cause, ces enquêtes permettent de lever les équivoques et dresser l'état de lieux, afin que la procédure soit exempte de vices. Contrairement à ces exigences, l'administration se laisse aller à certains manquements, spécialement des sous-évaluations ou surélévations des biens, des omissions pures et simples, ou des ajouts fictifs des noms de propriétaires, des immixtions intempestives d'autorités incompétentes dans le but de favoriser des personnes qui leur sont proches comme dans l'affaire TESSA. Dans cette espèce, le sieur TESSA, commis d'administration au service départemental des domaines de Bamboutos, a au cours de la phase des enquêtes, et ceci dans le procès verbal identifiant les titulaires et propriétaires des terrains, inséré frauduleusement le nom de son père dans la liste des victimes de l'expropriation, pour lui faire allouer l'indemnisation85(*). De ce qui précède, c'est une certitude que les irrégularités administratives entachent la procédure d'expropriation. Elles sont relatives à l'arrêté de déclaration, à l'opportunité ou non de l'utilité publique, et au déroulement de l'enquête préalable ou parcellaire. Il tient présentement de systématiser les dysfonctionnements administratifs, après le transfert de propriété (B). * 78 André de Laubadaire, Traité de droit administratif, LGDJ, Paris, 1970 p.221 ; Joseph OWONA Droit administratif spécial de la République du Cameroun, EDICEF, Paris, 1975, 256 p.p. André Tchientcheu Njiako, Droits fonciers urbains au Cameroun, PUA, Yaoundé 2003 p383 * 79 Jeanne Lemasurier, « La cacophonie juridique du contentieux de l'expropriation » in Mélanges en hommage à Roland Drago ; l'unité du droit, p.428 * 80 « Toute personne, physique ou morale a droit au respect de ses biens, nul ne peut être privé de sa propriété, que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international » art 1 du protocole additionnel. V. SUDRE (F), La protection du droit de propriété par la cour européenne des droits de l'homme ; D.S 1.8 38 chr. 71 * 81 Jeanne Lemasurier op. cit. * 82 « Tout département ministériel désireux d'entreprendre une opération d'utilité opération d'utilité publique saisit le ministre chargé des domaines d'un dossier préliminaire en deux exemplaires comprenant : - une demande assortie d'une note explicative indiquant l'objet de l'opération art 2, décret N°187-1872 du 16 décembre 1987 - une fiche dégageant les caractéristiques principales des équipements à réaliser et précisant notamment : a) la superficie approximative du terrain sollicité dûment justifié b) l'appréciation sommaire du coût du projet y compris l'indemnisation c) la date approximative de démarrage des travaux d) la disponibilité des crédits d'indemnisation avec indication de l'imputation budgétaire ou de tous autre moyen d'indemnisation » * 83 CS/CA, arrêt n°160/CS/CA du 08 juin 1970, affaire FOUDA MBALLA Maurice c/ Etat fédéral du Cameroun, obs. François-Xavier MBOUYOM, in Recueil des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative de la Cour Suprême du Cameroun 1970 à 1975, Ydé, éd KENKOSSON, 1975, PP329-334 * 84 CS/AP arrêt du 16 août 1990, in Juridis périodique n°46 avril-mai-juin 2001 pp39-45, note Célestin keutcha Tchapnga * 85 TGI Dschang, chambre criminelle, jugement n°38/CRIM du 28 juillet 1986, .inédit. V. André Tchientcheu Njiako, op. cit. p 413 |
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