La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron( Télécharger le fichier original )par Théodore Temwa Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008 |
3- les régimes de parti monopolistiqueLes sociétés industrielles modernes sont construites autour de deux systèmes politiques principaux autour desquels gravitent des dérivées. Nous avons d'un côté les régimes constitutionnels-pluralistes et de l'autre, ceux qu'il convient d'appeler régimes de parti monopolistique pour les raisons qu'Aron donne ici : Par opposition au régime constitutionnel-pluraliste, on distingue trois types de régime. Le premier serait opposé au pluralisme des partis plutôt qu'à la constitutionnalité. Le deuxième type serait hostile au pluralisme des partis mais favorable à un parti révolutionnaire, confondu avec l'Etat [...]. Enfin, un troisième type serait, comme le précédent, hostile au pluralisme des partis et favorable à un parti révolutionnaire, mais l'objectif de ce parti révolutionnaire-monopoliste serait, en théorie, l'unification de la société en une classe unique.65(*) Cette remarque nous offre du coup une typologie de régimes de parti monopolistique dont les principales variables sont le refus du pluralisme, le refus du libéralisme et la conscience de classe. Le premier type tend à créer une représentation différente de la représentation parlementaire ; il n'accepte pas une constitution de type parlementaire mis s'efforce de limiter les pouvoirs de l'Etat. Il exclut la rivalité des partis, mais affirme que les gouvernants n'ont pas et ne doivent pas avoir la toute-puissance, qu'ils sont subordonnés aux lois, à la morale, à la religion. Il prétend éliminer l'agitation des partis et du parlement, mais sans aboutir à une confusion de la société et de l'Etat. De l'avis de Raymond Aron, c'est un régime qui voudrait être libéral sans être démocratique, mais qui ne parvient pas à être libéral. Il peut aussi arriver qu'un régime de parti unique rejette les idées démocratiques et les pratiques parlementaires mais que, loin de « dépolitiser » les hommes comme le précédent, il les « politise » ou les « fanatise » au contraire, par la promotion d'un parti d'Etat. Ce deuxième type de régime monopolistique correspond au mussolinisme, à l'hitlérisme et dans une commune mesure au franquisme ; puisque tous ont en commun la condamnation des idées démocratiques et libérales de 1789. Selon Aron, le modèle le plus pur et le plus adéquat de ce type de régime est le régime national-socialiste qui était manifestement antilibéral et antidémocratique. Il était aussi purement révolutionnaire puisqu'il s'employait à détruire les structures sociales et idéologiques de la république de Weimar. En effet, le principe d'unité du nazisme n'était pas l'Etat, comme dans le fascisme italien, mais la nation ou plus encore la race. Il peut encore arriver qu'un régime supprime la pluralité des partis mais ne dise pas ouvertement s'acharner contre la démocratie. C'est le cas du régime communiste qui présente ainsi une première différence fondamentale du deuxième type. Pour Aron, Bien loin de renier les idées démocratiques-libérales, il prétend les accomplir, en éliminant la compétition des partis. Il justifie ces affirmations par une analyse des régimes pluralistes, il affirme que les régimes constitutionnels-pluralistes ne sont que le camouflage d'une oligarchie capitaliste, donc qu'il faut supprimer l'oligarchie capitaliste et établir une société unitaire sans classes pour que l'on réalise la vraie liberté et la vraie démocratie.66(*) Il s'ensuit que dans l'objectif poursuivi par le régime communiste, le monopole du parti ne lui paraisse pas contraire à la liberté et à la démocratie. Le pouvoir absolu d'un parti n'est que l'expression de la classe prolétarienne et constitue ainsi un moyen indispensable pour la réalisation d'une société sans classes. Cette classification générale faite, on peut procéder à une classification secondaire suivant les affinités ou les différences. S'il faut les classifier suivant l'idéologie, on aura deux systèmes révolutionnaires, les types 2 et 3, opposés au premier système qui, lui, est conservateur et restaurateur de la société traditionnelle. Mais s'il fallait les classifier par rapport aux idées libérales, nous aurions les types 1 et 2 opposés au type 3. Car, comme le découvre Aron, les régimes autoritaires-conservateurs ou révolutionnaires-fascistes sont « anti-1789 », « anti-rationalistes ». Ils se réclament d'une doctrine autoritaire tandis que le régime communiste dit vouloir incarner les idées libérales dont se réclament les régimes constitutionnels-pluralistes. On pourrait donc résumer en disant que le régime 1 est la négation non dialectique du régime constitutionnel-pluraliste, alors que le régime 3 se veut la négation dialectique, c'est-à dire une manière de nier et de conserver à la fois. Quant au régime 2, il conserve à vrai dire une particularité sans précédent ; et si on insistait justement sur les particularités, on obtiendrait une autre classification. Les régimes de parti monopolistique ne se grouperaient pas par 2 contre 1 mais constitueraient chacun un type particulier, opposé comme tel au régime constitutionnel-pluraliste. Aron prend la peine de préciser que cette classification des trois types n'est pas exhaustive ; car, il ne saurait manquer, comme c'était le cas pour les régimes pluralistes, des régimes mixtes, composites ou même équivoques. Toujours en rapport avec les régimes constitutionnels-pluralistes qui, on peut le constater, ont du mal à être appliqués, il se développe des régimes qui sont définis par le fait qu'un groupe impose sa volonté aux autres. Un tel groupe n'est pas évident à catégoriser. Cette équivoque est assez bien adaptée au monde actuel où l'idéal démocratique est diversement mal appliqué. C'est, dit Aron, les pays arabes et les ceux de l'Amérique du Sud qui fonctionnent sous un modèle qui n'appartient nettement à aucune des trois catégories idéologiques et institutionnelles sus-présentées. En Amérique latine, explique-t-il, nombre de régimes ne sont ni fascistes ni conservateurs, ils représentent simplement des prises de pouvoir par un groupe d'hommes armés à la faveur des circonstances. Ces régimes sont généralement dirigés par des chefs militaires, acclamés et tyranniques. Cette militarisation du pouvoir politique s'étend aux pays arabes. Selon Aron, l'Egypte des années 60 offrait l'exemple d'un tel régime. Plutôt révolutionnaire que conservateur, le régime se réclamait d'une grande tâche à accomplir, l'unité arabe. Le chef était acclamé et « charismatique » selon l'expression wébérienne. Officier, il ne se veut pas militaire ; civil, il se donnerait un grade militaire, comme Staline ; ancien officier, il est chef d'Etat. On peut donc remarquer avec Aron que malgré la multiplicité des régimes antidémocratiques, la caractéristique principale et commune est le parti unique ou le parti monopolistique. C'est d'ailleurs autour de ce monopole que se greffent les autres caractéristiques du régime monopolistique que nous avons évoquées au tout premier chapitre de ce travail lorsque nous esquissions l'étude comparée des régimes politiques. Nous en donnerons davantage de caractéristiques lorsque nous étudierons dans le chapitre suivant, le système totalitaire et, tel que nous le verrons, ces caractéristiques sont toujours en rapport avec le monopole du parti. Autant rappeler que le concept de ``parti'' joue un rôle important aussi bien dans les régimes de partis multiples que dans les régimes de parti monopolistique. Une autre remarque non moins importante, c'est qu'Aron parle d' « un régime de parti monopolistique » et non pas des régimes de parti monopolistique. Ce choix du singulier, apparemment délibéré, implique une exigence méthodologique. D'abord, il lui permet de centrer son étude sur une société industrielle qui a une relation directe avec le régime politique, et en plus, la nature du régime soviétique dont il est question se veut simultanément démocratique et totalitaire. Aron donne lui-même la raison de ce choix : Je m'intéresse avant tout aux régimes politiques qui constituent la superstructure de la civilisation industrielle. De plus, je m'attache aux régimes qui se déclarent démocratiques ; les régimes fascistes avec une franchise ou une brutalité de moins en moins pratiquée, affirmaient qu'ils n'étaient pas démocratiques, qu'ils ne voulaient pas l'être. Le mouvement historique, le mouvement de pensée était tout autre que ce que nous voulons analyser.67(*) Ainsi, nous pouvons par l'analyse de la nature du régime soviétique analyser les rapports existant entre la démocratie et le totalitarisme et saisir par là même leur filiation paradoxale. Mais nous n'allons pas en faire une étude détaillée ici, nous regrouperons simplement les multiples caractéristiques données dans les chapitres précédents, en une entité opposable au modèle démocratique. * 65 Ibid., p.230. * 66 Ibid., p. 232. * 67 Ibid., pp.235 - 236. |