Les processus migratoires des migrants via Paris. Le cas des nouveaux arrivants dans deux lotissements pavillonnaires d'Eure et Loire( Télécharger le fichier original )par Audrey LELONG Université de Rouen - Master politique locale et développement 2008 |
II La désillusion du pavillon et recommandationsurbanistiques47 2.1 La désillusion du bonheur promisPour développer ce point, je prendrais en compte seulement les avis des habitants du lotissement de Hanches puisque le lotissement de Saint-Rémy-sur-Avre n'étant pas terminé, aucun de ses futurs résidents franciliens n'y habite. Avant d'évoquer les désillusions qu'ont eues les migrants à leur arrivée dans le lotissement, rappelons qu'avant de s'y installer, ils étaient un petit peu moins motivés que ceux qui vont s'installer dans le lotissement de Saint-Rémy-sur-Avre par les dimensions « nature -- campagne » (21 % contre 29 %). Ces derniers n'ayant jamais quitté la région ont peut-être d'avantage besoin de cette dimension pour se décider, parfois avec une vision un peu plus idéalisée. Ils ont par ailleurs une demande plus exigeante au niveau des services et des commerces disponibles sur le territoire d'accueil (21% contre 13%), peut-être parce que la problématique de la disparition du commerce de proximité, fréquente dans différentes régions de France, est plus connue et donc a été plus anticipée par les résidents de Hanches. Lorsque nous regardons les réponses données par les classes moyennes du lotissement de Saint-Rémy-sur-Avre à la question sur les « appréciations concernant le lieu et mode de vie souhaités », nous nous apercevons que la proximité de la nature et les services et loisirs pour les enfants sont des critères importants. Ces familles sont d'abord soucieuses de réussir leur pari et d'offrir à leur enfant une qualité de vie qui leur apporterait tous les avantages de la ville comme les écoles et commerces à proximité, tout en étant à la campagne associée à l'air pur, les relations de proximité avec les enfants des voisins... leur critère de satisfactions se restreignant à un périmètre réduit autour de leur habitation. Il serait alors intéressant de comparer dans quelques années si leurs déceptions sont les mêmes que ceux qui résident à Hanches, vu que les critères n'étaient pas les mêmes à leur départ d'Ile-de-France. Pour les habitants assez favorisés du lotissement de Hanches, il y a une réelle déception quant au produit vendu, de plus qu'ils n'étaient pas favorables au départ à acheter en lotissement. En effet, s'ils souhaitaient être plus isolés et plus proches socialement de leurs voisins, leur budget ne leur permettait pas d'avoir accès à une « maison ancienne relativement isolée » et les agents immobiliers leur ont aussi vendu le pavillon en lotissement comme étant la source de leur bonheur et de celui de leur enfant. La vie à la campagne induit des avantages qui sont idéalisés et les personnes arrivantes ayant acceptées d'habiter dans ce lotissement pour se retrouver « entre-soi » vont très rapidement être déçues par rapport à la vie dans ce quartier. Ces déceptions qui n'ont pas toutes été perçues à cause de l'engouement pour le bien proposé vont se densifier au fil du temps dont voici les exemples répertoriés : APPRECIATIONS PLUTOT NEGATIVES DU CADRE ET MODE DE VIE ACTUEL TRANSPORT ET DEPLACEMENT Etroitesse / Faiblesse des axes routiers locaux / Mauvais état des routes Longueur pénible des trajets automobiles vers le lieu de travail en IDF Insuffisances / insatisfaction concernant la desserte SNCF, notamment : 4 Obligation de prendre voiture, train, car, RER pour aller travailler 4 Coût des trajets élevés pour aller à Paris 4 Problèmes de régularité horaire 4 Incompatibilité avec les horaires des travailleurs 4 Pas de fréquence tardive des trains Insuffisances / inexistence des transports par bus vers les grandes villes du département ou gares Faiblesse des transports scolaires / Dépendance des enfants à la voiture des parents Nuisances routières proches des habitations sur certains axes, avec notamment circulation importante de poids lourds Faiblesse des aménagements / cheminements piétons SERVICES JEUNESSE Manque ou absence de crèches / de parc pour enfants / d'activités pour les enfants Manque ressentis d'activités / de loisirs pour les adolescents relatif, notamment : 4 Pas de cinéma / patinoire / bowling 4 « Encore pire pour le soir », peu ou pas de sorties possibles 4 Manque d'équipements ou d'accueil sportifs ... Faiblesse du niveau scolaire COMMERCES Faiblesse du choix à proximité dans l'habillement, l'alimentation / nécessité de se rendre « assez loin » Prix élevés dans les commerces de proximité Faible ouverture tardive des commerces Offre de proximité qui se restreint / commerces « qui ferment » OFFRE CULTURELLE Manque d'activités culturelles / spectacles / concerts / expositions Offre locale limitée / peu intéressante / « pour les vieux » SERVICES MEDICAUX Médecins éloignés, ne se déplacent pas ou peu Spécialistes encore plus éloignés / long délais d'attente « Mauvais médecins » en campagne CALME DE LA COMMUNE Manque de dynamisme / de vie dans la commune Manque de « fêtes », d'animations diurne ou nocturne (« On vit ici, on s'amuse ailleurs ») RELATIONS HUMAINES ET SOCIALES Population locale 4 Paysans « péquenauds » « bouseux » « bosserons » « campagnards » 4 Touchée par l'alcoolisme : « picolos », « pochtrons » 4 Pas très « évoluée », « limitée », manque de sujets de conversations 4 Pas agréable, très fermée, sectaire, « pas chaleureuse » 4 Les « locaux » ont des a priori négatifs sur les « parigos » Relations de proximité 4 Voisins « un peu trop envahissants » 4 « Tout le monde critique tout le monde » 48 Famille ou amis d'IDF 4 Loin des amis / Ont du mal à venir / IDF parait « infranchissable » 49 LOGEMENT Difficultés d'entretenir un jardin Maison « trop grande » (notamment quand les enfants sont partis) Après l'évocation de tous ces thèmes, nous avons établi un classement des insatisfactions les plus évoqués:
Sur les différents motifs d'insatisfaction cités, nous avons retenu, que les principales déceptions sont tout d'abord relatives aux enfants puisqu'il n'y a aucune activité pour les jeunes qui sont pourtant nombreux depuis quelques années. Ce fait est d'autant plus important qu'il n'y a pas de transports en communs, mis à part deux fois par jour pour aller et revenir de l'école. Extrait d'entretien sur les manques sur le territoire d'accueil « En arrivant ici, les enfants nous ont fait des reproches. Y avait pas de bus pour aller dans une « vraie ville », au cinéma, à la patinoire, en boite... Il fallait les emmener partout et les ramener, donc ils ont pas été indépendants dans leur jeunesse. Vous comprenez, la mère à 5h du mat' à la sortie de la boite, bon... Maintenant qu'ils sont partis de la maison, ils sont dans de grandes villes universitaires et ne travaillent pas trop parce qu'ils profitent de tout ce qu'ils ont manqué ici, on ne peut pas leur en vouloir. Quand ils rentrent certains week-ends, des copains d'Orléans les appellent pour sortir à 22h, pour nous ça paraît fou de sortir à 22h ! Et nous maintenant, on est là, loin de tout. On pense revendre pour aller vers une ville qui a plus d'atouts et qui bouge plus. » (Rambouillet 78 -- Hanches 28 -- Mme S. statisticienne). Le manque de commerces et de services est aussi à déplorer selon les résultats de l'enquête. Seul un bar-tabac-presse est disponible et de nombreux kilomètres sont à parcourir pour avoir des petits commerces (boulangerie, boucherie, services publics...) et encore plus pour une grande surface. L'utilisation obligatoire de la voiture est toujours citée dans les manques sur le territoire d'accueil. Pourtant, la présence d'un petit centre-ville avec quelques commerces permettrait aux personnes du lotissement de s'y rendre et de créer des liens. 45% des interviewés nous ont dit qu'ils s'y rendraient si leur création était effective et que cela pourrait améliorer les liens entre les anciens et nouveaux habitants. Les autres personnes affirment cependant qu'ils n'en n'auraient pas l'utilité car ils font leurs achats en rentrant du travail mais n'omettent pas la possibilité de changer leur habitude s'ils avaient une offre en petits 50 commerces au sein de la commune. La tentative de création commerciale peut être risquée pour cette raison: les habitants du lotissement sont rarement à leur domicile en journée et comme nous l'avons évoqué dans la partie consacrée à l'entre-soi, ce quartier est un quartier dortoir. Ceci induit aussi un problème relationnel. De plus, les femmes au foyer ne familiarisent pas, chacune restant chez elle. Et quand les actifs rentrent à leur domicile, ils préfèrent rester chez eux. Ces déceptions du point de vue relationnel sont renforcées chez les personnes « atypiques » du lotissement, c'est-à-dire celles qui sont venues pour d'autres raisons que la recherche d'entre-soi. Elles se sentent ainsi lésées. C'est ainsi le cas du couple dont nous avons tiré un extrait ci-dessus car au moment où leurs enfants sont partis, ils ont pris conscience qu'ils n'avaient plus leur place dans le lotissement et qu'ils envisageaient alors de partir. De même, si la « proximité de la nature » est souvent un souhait qui est réalisé, l'accès à la culture est en contrepartie plus difficile. En région parisienne, même dans les départements les plus proches de la frontière, les personnes mentionnent qu'ils ont eu en Ile-de-France la chance d'avoir un large choix culturel proche de chez eux. Le basculement de « proximité de la culture » à « proximité de la nature » est regretté dans le sens où il faut toujours qu'il y ait un recours à la ville pour les ex-franciliens, pour la culture mais aussi pour les commerces et services. Rappelons-nous que dans la première partie, ces mêmes ménages disaient qu'à leur arrivée ils étaient conscients de ces manques et qu'ils étaient là pour justement « être au calme » car ils pouvaient toujours retourner en Ile-de-France pour tout ce qui leur manquait sur le territoire d'accueil. Or, ce qui est problématique est le manque de transport puisque les enfants sont totalement dépendants des parents et réciproquement comme nous avons pu le voir dans l'extrait d'entretien cité ci-dessus. De nombreuses déceptions ont été évoquées par les nouveaux arrivants et notamment la faiblesse des commerces et des services de proximité puisque les communes d'accueil ont parfois des difficultés à mettre en place toutes les infrastructures nécessaires aux nouveaux arrivants à cause du coût que cela engendre pour celles-ci. Les études déjà menées sur les manques en commerces et services dans les petites communes portent plutôt sur celles qui voient leur population décroître. Or, nous sommes dans un cas similaire pour des communes qui connaissent a contrario une forte croissance démographique due au développement des lotissements pavillonnaires. L'évocation de la difficulté d'entretien d'un jardin est aussi très intéressante pour l'aménagement du territoire puisqu'au départ la maison individuelle est tant désirée principalement pour avoir « son coin jardin » mais elle pourrait avoir un impact moins important sur l'étalement urbain si les attentes des habitants étaient plus écoutées. En effet, la plupart des migrants qui orientent leur trajectoire résidentielle en fonction de leur besoin de nature, ne demande pas obligatoirement de grands jardins. 83% disent qu'ils auraient même préféré un jardin plus petit pour avoir moins d'entretien. Mais dans la plupart des cas, l'offre d'un petit jardin ou même simplement moyen était simplement absente du territoire ou du marché de la vente du moins. C'est un état de fait qu'il est nécessaire de prendre en compte puisque l'étalement urbain est amplifié par les normes d'habitat imposées aux accédants à la propriété. Comme nous l'avons vu pour le lotissement du vieux Château de Saint Rémy sur Avre, la taille des parcelles ont été augmentées car le nombre de constructions a réduit de moitié mais la surface de terrain achetée par les promoteurs devant être obligatoirement utilisée, la conséquence est que les acheteurs sont devant une situation où ils ont le choix entre des parcelles de 1000 à 1500m2, ce qui est très important et rarement demandé. Dans la plupart des cas, les futurs résidents auraient souhaité un « coin jardin » de moins de 500m2 pour se livrer à des moments de détente. 51 Nous sommes dans un cycle pervers dans le sens où les ménages souhaitent acquérir une maison individuelle souvent à moindre coût. Pour cela, ils s'éloignent de la région parisienne mais ont des terrains beaucoup trop grands. Leur modèle de maison plus approprié avec un terrain plus petit serait plutôt disponible en Ile-de-France mais pour un prix plus élevé. Cette même maison (modèle « Myrope ») est proposée par le promoteur « La Maison Sésame » (implanté notamment à Mantes) : - à un prix de 258 000 € sur un terrain de 1510 m2 à La Heunière (dans la C.A des Portes de l'Eure / Vernon) - à un prix de 370 000 € sur un terrain de 380 m2 à Conflans-Sainte-Honorine (commune « cotée » des Yvelines) Le prix au m2 d'habitation est, dans cet exemple, certes plus cher côté Ile-de-France, mais retenons que : - la différence de prix du logement est multipliée par 1,4. - la différence de taille du jardin est par contre divisée par 4 ! (3,97 exactement) (Sources: www.maisonssesame.fr) De plus, environ 30% de nos interviewés auraient admis habiter dans une maison mitoyenne avec un petit jardin et même dans un appartement si l'environnement alentour était assez vert. Des efforts de sensibilisation sont encore à faire pour que les mentalités évoluent et ainsi faire baisser les demandes de pavillons. Par rapport au mode de vie recherché, les ménages pensent tout de suite aux avantages que la maison individuelle pourrait leur procurer or, c'est ici que l'erreur est faite puisque d'autres formes d'habitats pourraient satisfaire leurs attentes et même plus que la la maison individuelle qui peut être source de déception et de mauvaise surprise. |
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