Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
IVLe problème de la liberté et de la justice.Là oû il y a liberté,il y a justice ;là oû il n' y a pas de liberté,il n'y a pas de justice..les deux mots sont liés étroitement l'un à l'autre :ils sont indissociables et indissolubles,bien qu'ils soient séparables..Ils sont comme deux jumeaux dont les traits physiques de l'un sont foncièrement confondus dans ceux de l'autre.. Mallarmé,bien qu'il n'ait pas parlé assez ni de la liberté ni de la justice,éprouvait cependant en lui-même l'étendue de signification de l'une comme de l'autre,avec la même égalité sans distorsion ni discrimination .. Il est vrai qu'il n'a pas fait étalage de la vision toute particulière qu'il se faisait de la notion de liberté,car pour lui,celui qui devait parler de la liberté et pour qu'il y ait vraiment une expression authentique de la liberté,c'est à coup sûr celui qui en était frustré partiellement ou totalement92(*). Mais Mallarmé,en tant qu'homme libre,amateur dévoué de poésie et ardent partisan de l'art ne se sentait pas pris du désir de parler ouvertement de cette liberté dont il par ailleurs avait goûté les charmes magiques. Toutefois ,à certains moments,cela ne l'empêchait pourtant pas de brandir la liberté comme le flambeau de la gloire et du triomphe : Tout son col secouera cette blanche agonie Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie ; Mais non l'horreur du sol oû le plumage est pris. Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne, Il s'immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l'exil inutile le cygne. La liberté dans la sphère étroite oû l'on vit..C'est aussi une libertté,mais une liberté plutôt amputée de l'essentiel :mais le poéte,libre et toujours plein de courage et d'énergie,saura défier tous les obstacles,anéantira par son silence la défiance des autres pour triompher en fin de compte de tous les infortunes et les revers d'autant plus que ,quand on est dans l'embarras,oû l'on étoufferait mortellement,on pense toujours que la délivrance imminente est en perspective...H.Michaux,descendant en droite ligne de Mallarmé,lance ce cri qui fait écho à celui de son Maître : Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire Loin des mers.. Vidé de l'abcés d'être quelqu'un Je boirai à nouveau l'espace nourrissier ; Michaux cultive la poésie de la liberté et comme tout poéte,vrai héritier de Mallarmé,son amour pour la liberté est sacré et infaillible,comme on a l'occasion de le constater même chez P.de la Tour de Pin Et je me dis :je suis un enfant de septembre Moi-même,par le coeur,le fiévre et l'esprit, Et la brûlante volupté de tous les membres, Et le désir que j'ai de courir dans la nuit Sauvage,ayant quitté l'étouffement des chambres L'esprit ne s'élargit qu'en proportion de l'étendue de liberté et de justice dont bénéficierait l'individu ;le fait de quitter un lieu pour un autre,sans gêne et sans contrainte,suppose en effet un acquis de liberté,soutenue par la justice. La brûlante volupté,que nous poursuivons nlassablement,ne s'acquiert absolument que par cette liberté et c'est elle seule qui procure la paix de l'esprit et qui fait naître en même temps cette douce effervescence dans les sens de l'âme. :Ecoutons Verlaine qui s'exclame avec enthousiasme : Ivre de soleil Et de liberté Un instinct me guide à travers cette immensité. Qui mieux que Verlaine a connu le sens de la liberté ?Ce François Villon du 19e siécle,sombrait délicieusement dans l'euphorie,dans une véritable extase interminable,lorqu'il parlait de la liberté,sans jamais être amené à lui attribuer une portée politique quelconque..pour lui,la liberté,c'est de vivre,de s'étaler dans le vague,dans la nature,vivre avec soi-même,dans le sein de l'enthousiasme et de la plénitude charnelle93(*). Mais il lui est arrivé-comme il arrive souvent à tout le monde-de se sentir gravement frustrer de cette liberté et c'était l'effondrement de tout son moral,le désarroi de son âme et l'effritement de tout espoir,en particulier lorsqu'on s'apercevait que l'on n'était pas loin de l'espace libre et qu'on gémissait en solitaire dans un cachot infect. Mon Dieu,mon Dieu,la vie est là Simple et tranquille Cette paisible rumeur-là Vient de la ville. C'est l'horreur et l'épouvante que l'on éprouve justement à l'idée d'être privé de sa propre liberté,de cette liberté que l'on brûle d'épuiser jusqu'à l'extrême dégré,s'en désaltérer pleinement,jusqu'au dernier terme de la vie. Donnons-nous encore le plaisir d'écouter ce Charles Cros,un fervent admirateur de Mallarmé, qui nous confie ses sentiments dans cette strophe éminemment suggestive : La course effarée et sans but de ma vie Dédaigneux des chemins déjà frayés,trop longs, J'ai franchi d'âpres monts,d'insidieux vallons, Ma trace avant longtemps,n'y sera pas suivie. Contemporain de Mallarmé,Charles Cros estimait que l'homme sans liberté est un homme sans vie :vaincre le monde,abattre les difficultés,écraser la tyrannie,d'oû qu'elle vienne,voilà pour Charles Cros,ce qui confère à l'homme libre son vrai sens.Mais vivre en esclave,voir l'espace,le vaste espace du monde,sans le sentir et s'abaisser pour mourir passivement,sans réagir énergiquement ni montrer de la résistance,cela n'est pas du ressort de l'homme libre,c'est plutôt l'attitude d'un esclave-né : Tel,nu,sordide,affreux,nourri des plus vils mets l'esclave... La liberté,tout comme la justice,est l'essence de la vie humaine.. Mallarmé,pour purifier l'humanité des maux séculaires dont elle souffrait et conférer un sens à l'humaine condition ,avait été comme secoué par une nouvelle vision de la vie,une intuition profonde de tout ce qui existe,et sachant d'avance que nul progrés de l'humanité ne pouvait absolument être réalisé,sans l'instauration permanente du régne de la justice et de la liberté,il a entrepris dés lors d'éveiller les esprits,d'aiguillonner,de dynamiser les mentalités et d'affermir du même coup la suprêmatie de l'homme ,unique représentant de Dieu sur la terre,ainsi que le souligne béatement Paul Eluard dans cette strophe : C'est la douce loi des hommes de changer l'eau en lumière Le rêve en réalité Et les ennemis en frères. Ainsi,Paul Eluard,avec une ingéniosité extraordinaire,avait,en ces vers,traduit fidélement les sentiments du maître,qui était un homme attaché infailliblement et sans aucun artifice au sens réel de la justice et de la liberté.
* 92 pour plus `ýd'informations,consulter l'ouvrage de J.Soulairol:Les quatre éléments poétiques. (Le divan,1945) voir aussi,traitant la même question avec plus de tact ,l'ouvrage de Claude-LOUIS Estève intitulé:Etudes philosophiques sur l'expression littéraire.(Vrin,Paris,1938) * 93 -Cf.H.Mondor:Propos sur la Poésie de Stéphane Mallarmé.(ed.du Rocher.1945) |
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