Contribution à l'étude des origines de la poésie mallarméenne( Télécharger le fichier original )par Mohamed Dr Sellam Université de Bordeaux - Doctorat 1981 |
La gloire et la mort.La conquête de la gloire par le biais de la poésie.Quel auguste destin !Mallarmé,lorsqu'il s'était engoué de la chère Muse ne pensait nullement à la gloire...Et même plus tard,après son évolution progressive à travers l'univers de la poésie,il croyait tout simplement que sa réputation ne dépassait guère le petit cénacle80(*) qu'il avait organisé avec des amis et disciples fiidéles. La gloire,pour Mallarmé,est un mot qui n'exprime absolument rien...C'est un mot creux,stérile et il n'y pensait que pour le rejeter avec mépris. Or tout ce qu'il fit pour s'éloigner de cette image fascinante,qui préoccupait d'ailleurs tous les poétes du temps,ne put que le rendre aigre contre tout ce qui semblait lui assurer,malgé lui,l'immortalité.. Lune,O salle d'ébène oû,pour séduire un roi, Se tordent dans leur mort les guirlandes célèbres, Vous n'êtes qu'un orgueil terni par les ténèbres Aux yeux du solitaire ébloui par sa foi. La gloire n'est qu'une sorte d'orgueil,une sorte de vanité et rien de plus...La gloire,c'est un bruit éphémère,évanescent..une rumeur qui apparaît momentanément pour s'évanouir dans le néant...la gloire enfin,c'est la mort et la mort c'est la gloire : Maigre immortalité noire et dorée, Consolatrice affreusement laurée, Qui de la mort fais un sein maternel Le beau mensonge et la pieuse ruse Qui ne connaît et qui ne les refuse Ce crâne vide et ce rire éternel.. Valéry,au même titre que son maître,s'était formé une vision très claire sur le sens de la gloire..pour l'un pour comme l'autre,la gloire ne constitue en aucune façon l'aboutissement final,le terme de la vie,malgré les infortunes et les terribles mésaventures que le destin leur avait infligés81(*).. Verhaeren se rallie à ses illustres confrères pour dire de son côté à propos de la gloire : Qu'il sache avec quel violent mouvement de joie S'est,à travers les cris,les révoltes,les pleurs, Ruée au combat pur et mâle des douleurs, pour en tirer l'amour ,comme on conquiert sa proie.. Verhaeren,beaucoup moins doué que Mallarmé,conçut de son côté une vision toute particulière de la gloire..La gloire se perpétue dans le temps,incarne l'éternité,mais pour qu'elle ait vraiment un sens,il convient de la conquérir au prix de grands sacrifices82(*).. Mallarmé,naturellement,n'était absolument pas prêt à sacrifier tout à cet éclat éphémère...Il lui déplaisait profondément de s'astreindre à des tâches coercitives en vue d'atteindre ce but,mais cela ne l'empêchait pas néanmoins de s'ingénier avec persévérance pour produire quelque chose qui pût réjouir l'esprit et aérer le coeur..non pas à cause de la gloire,mais tout simplement pour sentir son être s'épanouir à travers cette béatitude suprême que lui procurerait son extraodinaire génie en le rapprochant de la divinité. Et dans mon âme inassouvie Verse le goût de l'éternel. D'autre part,si Baudelaire s'était intéressé--particulièrement dans sa jeunesse--à ce phénomène étrange que l'on appelle gloire,Mallarmé,au contraire,n'y attacha aucune importance et travailla-indifférent à tout-dans un climat hostile,engendré par l'envie et la haine83(*).. Certes,le grand maître aspirait à la gloire,mais à une gloire qui le réconfortât dans l'au-delà,qui assurât sa revanche contre le temps,contre son entourage,contre la société et contre le monde.. A la très chère,à la très belle, qui remplit mon coeur de clarté ; A l'ange,à l'idole immortelle, Salut en l'immortalité. Baudelaire immortel,il le concevait lui -même,il en était totalement certain et sa conviction l'encourageait encore à foncer inlassablement plus avant dans la masse hostile qui déchirait à coups de dents sa personne et son honneur. Mais riez,riez de moi Hommes de partout surtout gens d'ici Car il y a tant de choses que je n'ose pas dire Tant de choses vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi.. Cette ultime supplication,ce cri déchirant,jaillis du coeur opprimé de G.Apollinaire,le disciple éloigné mais récalcitrant de Baudelaire,prouvent bien que pour lui ,comme pour l'auteur des « Fleurs du Mal »le triomphe et la victoire sont en perspective,déjà estompés à l'horizon de l'avenir.84(*). De même,l'expérience de Mallarmé,son combat perpétuel contre les éléments hostiles,son désir profond de vouloir à tout prix franchir les frontières de l'impossible,sa résignation à toutes les adversités et les contre-temps,tout cela,pourtant,aurait pu contriibuer à former dans son esprit l'idée que bientôt le parfum de l'apothéose embaumerait à jamais son nom,ainsi que l'avait prédit Leconte de Lisle : Montez,montez rumeurs,paroles surhumaines, entretien lent et doux de la terre et du ciel ! Montez et demandez aux étoiles sereines S'il est pour les atteindre un chemin éternel. Courir après la gloire,poursuivre la gloire jusqu'à la dernière limite du monde,cela n'était pas du ressort de Mallarmé,qui,comme nous l'avions indiqu é plus d'une fois,aspire seulement à la purification de soi et de l'humanité. : Que d'hommes n'ont pas eu le suprême destin ! Avait insinué J.M.de Hérédia avec une pointe d'ironie,mais qui n'est toutefois pas dépourvue de sérieux...Mais Mallarmé pouvait assurer sa propre survie à travers son oeuvre,et rien que dans son oeuvre,le reflet de son âme pacifique et de tout son être..et Albert Samain,sur un ton élogieux,prononça cet ultime acte de reconnaissance qui traversera pour toujours les siécles à venir : Et soudain,dans le calme immense de la nuit, Sous un souffle venu des siécles jusqu'à lui,il suit, plein d'un bonheur que nul verbe ne nomme, Le grand frisson du sang dans son coeur d'homme. Et l'oeuvre seule constituait pour l'auteur de l'Aprés-midi d'un Faune le commencement et la fin de toute entreprise,de quelque nature qu'elle fût,car rien ne saurait réduire l'oeuvre à un résultat obtenu au prix de quelque effort,mais au contraire,l'oeuvre est la dernière réalisation issue des pires sacrifices,c'est le miroir de l'âme du poéte.85(*).Or évoquant à certains moments son poéme d'Hérodiade oû il affirmait avoir déployé d'ingénieux efforts,Mallarmé déclara : «Je m'étais mis tout entier dans ce poéme sans le savoir,d'oû mes doutes et mes malaises. »Il préférait être insaisissable,dans sa pensée aussi bien que dans son comportement,ayant par instinct horreur de la gloire et de ses futiles tapages.. Toutefois,entre Mallarmé et les poétes ses contemporains,même les plus célèbres à l'époque,la postérité a dû choisir et seul Mallarmé a conquis de haute main la première place dans l'esprit des générations des lettrés et des poétes comme nous l'affirme cette strophe de René Char,sur qui l'influence mallarméenne fut déterminante et irréversible. Rien que le vide et l'avalanche La détresse et le regret, Tous les troubadours mal-aimés, Ont vu blanchir dans un été Leur doux royaume pessimiste. * 80 cf.Edmond Bonniot:Les mardis de Stéphane Mallarmé (Les marges,1936) * 81 -cf.Edmond Jaloux:Mallarmé (Les Nouvelles Littéraires,8juin 1935) voir égalemen du même auteur :l'anniversaire de Mallarmé (Le gaulois,13 octobre,1923) * 82 -cf.Jules Lefranc Un masque anonyme (Revue palladéenne 1945) * 83 cf Albert Mockel :Stéphane Mallarmé:un héros (Mercure de France,1899) * 84 -voir remy de Gourmont :Stéphane Mallarmé (Mercure de France,1896) * 85 -cf.Jules Huret:Enquête sur l'évolution littéraire.(ýCharpentier 1891) |
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