VIII
La poésie mallarméenne et la prose de
l'époque;
L'ère classique,grâce à ses pionniers
puissants de la pensée,est restée de nos jours le modèle
de la perfection artistique,le parangon idéal que tout écrivain
authentique doit songer à atteindre ou tout au moins imiter ;tandis
que l'ère romantique,bien qu'elle ne diffère en rien de celle du
classicisme,tant par la surabondance des mouvements de l'esprit que par
l'élargissement du champ de la pensée,est regardée par
contre comme de moindre importance..
Le classicisme explora ingénieusement et en toute
objectivité le coeur de l'homme,aidés en cela par la seule raison
comme instrument exclusif à la quête et à l'explication
des passions,tandis que le romantisme,qui avait pris le contre- pied du
classicisme,érigea en principe fondamental le subjectif,qu'il explora
dans les moindres détails,s'épuisant en effusions sentimentales
sans bornes,-tout en faisant délibérément fi de la
raison..
L'Ecole Parnassienne,en réagissant à la fois contre
le classicisme et le romantisme,a brandi hautement le dogme de
l'impersonnalité et la peinture objective des choses
extérieures,non sans rejoindre en cela le classicisme,qu'elle
prétendait par ailleurs avoir répudié
irréversiblement..
Cependant,quant au symbolisme qui,après avoir
expérimenté la doctrine parnassienne,et l'ayant repoussée
comme étant inepte et oiseuse,se lança hardiment dans une
nouvelle expérience plus fructueuse et plus originale,du moins au niveau
de la structure métrique,qu'il avait enrichie par des modifications
substantielles,en libérant le vers de ses contraintes
séculaires,tout en approfondissant en même temps l'image du sens,
rendue dès lors plus souple et plus fluide par l'harmonie et le rythme..
La poésie parnassienne et la poésie
symboliste,s'étant mêlées,sinin confondues dans tout un
univers de productions romanesques,complexes et enchevêtrés,se
sont cotoyées pour coexister pendant un certain temps,pour finir enfin
par se dissocier en deux grands mouvements chacun jouissant de ses propres
particularités.
D'autre part,le réalisme,comme je l'ai déjà
noté précédemment,ayant atteint
l'apogée,grâce au génie de Flaubert,qui s'est
attaqué au romantisme,qu'il stigmatisait sans faiblesse pour avoir
corrompu le goût des générations,en faisant cependant
l'éloge des traditions et des coutumes des sociétés
révolues,commencçait déjà,coîncidant avec la
chute imminente de l'Ecole Parnassienne,à s'effondrer..
Or les parnassiens et les écrivains réalistes
avaient quasiment pratiqué la même méthode de
travail :un style rigide,dur,cassant,insensible et se mouvant comme un
fleuve dans sa course infernale ;des emprunts systématiques et tous
azimuts dans les histoires et les mythologies gréco- romaines et les
sociétés disparues,tout cela n'était d'ailleurs qu'un
retour au classicisme,qu'ils croyaient ,eux,avoir tout à fait
enterré et enseveli dans le passé..
Par contre le naturalisme,dont le vrai pionnier était
E.Zola,a contribué,grâce à l'introduction dans la
littérature des principes basés essentiellement sur
l'expérience scientifique,à l'épanouissement et à
l'évolution des méthodes romanesques rigides et
étroites..
Le symbolisme qui s'était attaché à modifier
radicalement les systèmes poétiques traditionnels,tout en
puisant à profusion dans les sources du classicisme,s'est donné
comme tâche principale de réhabiliter la poésie,de lui
conférer la majesté et la grandeur auguste qu'elle avait
perdue,avec le déclin de la période classique,et ce qui est
frappant dans cette rénovation,c'est que Mallarmé,comme la
plupart de ses contemporains,ne s'est pas empêché
d'émailler ses vers de réminiscences à la fois classiques
et romantiques,comme si le symbolisme,en tant que bloc
monolithique,n'était que le résultat d'une fusion de ces deux
tendances universelles
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