UNIVERSITE DE BORDEAUX 3
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Contribution à l'étude
des origines
de la poétique mallarméenne.
Thèse de doctorat de Troisième Cycle
Présentée par
Mohamed Sellam.
En vue de l'obtention du grade
de
Docteur de Troisième Cycle
============
Sous la direction du Professeur Robert Escarpit
===========
Année universitaire.
1980-1981
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N°41
UNIVERSITE DE BORDEAUX 3
==============
M.MOHAMED SELLAM.
Contribution à l'Etude des Origines
de la poétique mallarméenne
Thèse de Doctorat
de
Troisième cycle
Année Universitaire.
1980-1981
Soutenance prévue
pour la session de Septembre 1981
DEDICACE
au Professeur R.Escarpit.
Vous qui aviez su créer une révolution
dans la pensée littéraire contemporaine!
Vous qui aviez remué à la fois,grâce
à une
intelligence profonde et sagace,
le passé,le présent et le futur,
en y explorant tous les mystères.!
Vous qui aviez guidé mes pas dans le monde
du symbolisme et m'aviez insufflé la volonté
de pénétrer avec confiance et amour ce monde
complexe.!
Vous qui m'aviez largement prodigué vos vastes
lumières
et m'aviez investi d'une prévenance toute
particulière,
A vous cher maître,je vous dédie ce modeste
travail
que vous aviez toujours soutenu par votre grandeur
d'âme et par vos lumières!
Bordeaux le 20/04/1981
M.MOHAMED SELLAM
UNIVERSITE DE BORDEAUX 3
**********************
Contribution à l'étude
de la
Poétique mallarméenne.
Thèse de Doctorat
de
Troisième cycle.
Année Universitaire.
1980-1981
INTRODUCTION
1
Le Parnasse et le symbolisme ne sont pas du tout deux courants
poétiques contradictoires;au contraire,ils sont plutôt deux
courants qui se complètent intimement,puisque les deux tendances sont
issues à peu près de la même source.
Charles d'Orléans,père spirituel des parnassiens
et précurseur potentiel des symbolistes,fut incontetablement l'objet de
respect et de vénération de ses contemporains,en particulier
les lettrés et les poétes.
Au lendemain de sa délivrance de la longue
captivité qu'il avait subie en Angleterre,il publia ses
« poésies »:tout un florilège de
poémes ingénieux oû il a exploité d'une
manière originale la structure de l'allégorie.;
Ainsi,en dépit de ses souffrances morales et même
physiques ,conséquences immédiates de sa captivité,Charles
d'Orléans,faisant taire ses tourments et ses douleurs,se plaisait
à écrire des poémes à traves lesquels il
s'adonnait à souligne des faits fictifs et baroques,mais
singukièrement suggestifs,sous la forme d'une allégorie subtile
et amphibolgique,sans se soucier le moins du monde du sort qu'on
résevera à son oeuvre..
De cette hardiesse exceptionnelle et singulière,de cet
aventurisme inattendu,naîtra quelques siécles plus tard,la
plasticité ou de préférence l'impersonnalité
typique qui se fera jour dans la poésie,oû l'expression de l'objet
extérieur l'emporte sur l'expression des sentiments,en d'autres
termes,l'objectivisme rigoureux triomphe du subjectivisme sentimental:
Or l'usage de l'allégorie dans la poésie de Charles
d'Orléans n'est pas un caprice,une lubie de poéte farfelu,peu
soucieux de la valeur matérielle de sa poésie,mais plutôt
un devoir dicté par les contingences de l'époque..C'est un
procédé emprunté à priori du siécle
précédent et que Charles d'Orléans trouva justement
conforme à sa nature et à son goût de poéte
authentique..
Depuis le Roman de la Rose jusqu'à Guillaume de Machaut
et Alain Chartier,l'allégorie demeura le seul recours pertinent en usage
en poésie.
Ainsi,selon le même procédé et la même
stratégie,le symbolisme,trouva son expression dans l'allégorie,
et c'est encore de l'allégorie que le Symbolisme puisa sa substance
propre,puisque l'allégorie,ayant subi au fil des siécles,de
profondes transformations ,s'est expurgée des scories de la
mythologie,s'est assouplie,bref s'est notablement spiritualisée ,pour
devenir à son terme final,ce symbolisme ,que
Mallarmé,grâce à une tactique ingénieuse,a
édifié sur les ruines de la pensée romantique..
Pour la première fois,dans la poésie
française,depuis des siécles,Charles d'Orléans s'insurgea
contres les conventions et les normes liés essentielllement aux codes
de la structure poétique et prit le contre-pied -du moins au niveau de
la forme- de la tradition et de l'usage courant..
D'ordinaire,la clarté est inhérente à une
compostion poétique saine et sokide,particulièrement dans le
cadre de la ballade,du rondeau et même de l'élégie,genres
très en vogue à l'époque de la Renaissance..Mais Avec
Charles d'Orléans,le cadre structuel et sémantique du
poéme sera bouleversé et arbitrairement modifié dans le
sens de l'énigmatique et du mystérieux,pour lui conférer
davantage de rythme,d'élégance et d'hartmonie et par là le
soumettre à une prosodie exclusive,nette et adéquate ,conforme
à l'esprit français..
Le poéme,de quelque nature qu'il soit,est désormais
pour Charles d'Orléans,une vraie source de plaisir à la fois
intellectuel et psychique:lire un poéme,ce n'est plus pour recueillir
des informations,encore moins pour se laisser bercer par ces vagues
émotions sentimentales exprimées par le poéte,c'est au
contraire pour égayer la vue et l'oreille,c'est pour prêter notre
coeur à l'écoute de cette harmonie divine et suave qui se
dégage comme un parfum captieux du poéme.. C'est pour se sentir
pris dans ce lacis inextricable de mots qui distillent lentement la joie et
le plaisir et non pour exprimer la douleur et la souffrance vécues ou
même imaginaires...
Tout poéme doit être né d'une fiction,car la
fiction,plus que la réalité,provoque plus de puissance,plus de
satisfaction dans le coeur du lecteur..
La création poétique procède de l'Absolu, du
désintéressement total et ne doit pas être assujettie
à des régles ou des lois arbitraires et ineptes.
Charles d'Orléans,en se révoltant contre la
tradition,ne savait pas qu'il trouverait,quelques siécles plus tard,un
disciple ardent,un dévôt qui poursuivrait inlassablement l'oeuvre
ébauchée et la ferait parvenir au plus haut degré de
perfection..
François Villon,en dépit de sa fréquentation
quiasi constante de la cour de Blois,demeura rétif et impassible et ne
contribua en rien à cette évolution (le mot révolution
eût été apparemment trop hyperbolique et même
inadéquat dans ce contexte,car les caractéristiques de la
nouvelle poésie sont très proches de celles de
l'allégorie,bien que cette dernière ait été
proprement dominante et n'a rien perdu de sa mainmise sur la poésie de
l'époque..
Et ce qui nous semble paradoxal,c'est que plus Charles
d'Orléans et ses disciples c'est-à-dire les poétes qui
s'inspiraient de sa nouvelle méthode -et ils étaient nombreux
à cette époque,dont aucun d'ailleurs ne nous est
parvenu-s'écartent délibérément de la voie
traditionnelle dans leur inspiration poétique,plus Villon s'y
rallie..Car entre Charles d'Orléans,et Villon,il existe pour de bon une
différence majeure,c'est que le premier est un dur aristocrate,un grand
seigneur féodal,libéré d'une longue
détention,reprend de nouveau son rôle influent dans sa petite
cour et par là n'a nul besoin de faire étalage de ses ennuis
ou de ses tourments ,parce qu'il n 'en a pas eu et qu'il en a
été épargné ,même durant son emprisonnement
arbitraire..
Alors que Villon,sorti du peuple,ayant traversé des crises
et des misères de toutes sortes,accablé d'infortune et de revers
cruels,éprouvait au contraire le besoin de s'épancher
,d'exprimer ses douleurs contenues,d'étaler ses sentiments,de crier tout
haut qu'il avait vraiment souffert et que les souvenirs de ses souffrances
sont encore vivaces..
De Charles d'Orléans est issu le Symbolisme ,mais un
symbolisme tout différent de celui qu'il a pratiqué
volontairement,un symbolisme qui,dans le tissu des mots,le réseau des
expressions symboliques,on devine à fortiori des choses latentes,des
choses plus évocatrices et qui nous mettent en contact avec une
réalité souvent angoissante alors que de Villon est issu le
romantisme ,un romantisme timide,il est vrai,à ses débuts,mais
qui,une fois la voie ouverte,s'engagea plus hardiment dans l'expression et
l'analyse frénétique de soi,mais auquel,comme par une
coïncidence étrange, s'opposeront plus tard les symbolistes et
à leur tête Mallarmé.
Dès lors,on peut dire désormais qu'entre Charles
d'Orléans et François Villon,avait subsisté effectivement
un conflit réel,un conflit de caractère poétique et
même dogmatique,et Mallarmé,grâce à son génie
trancha de manière énergique ce conflit et opta ,en l'amplifiant
démésurément ,le procédé de Charles
d'Orléans...
En outre,ce dernier n'était pas seul dans ce dédale
qu'il avait créé lui-même ..L'Ecole lyonnaise qui vit le
jour,pour être en opposition manifeste à l'état de
misère auquel était réduite la poésie et pour
ranimer,raviver la poétique d'antan et celle surtout de Clément
Marot,tout en y insérant à son insu des modifications
bénéfiques,les fondements d'un renouveau poétique dans la
lignée de Charles d'Orléans,s'est lancée vigoureusement
dans la poursuite de cette entreprise immense.
Maurice Scève et son amie Louise
Labé,étaient en effet à la tête de cette oeuvre
rénovatrice...Mais pour enrichir la poésie ,pour la revigorer et
lui donner un sens vital,lui insuffler une substance différente,mais
plus efficace,il fallait,selon Maurice Scève,lui imprimer une nouvelle
tournure,un nouvel aspect susceptible d'en transformer le contenu et
même la structure..
C'est alors que l'esprit de Chales d'Orléans est
passé d'office dans cette Ecole jeune et en particulier Maurice
Scève,va plus loin et au lieu de considérer la poésie
comme un moyen de culture spirituelle mis à la portée du
public,de tout le public sans discrimination,rompt avec cette
idée,dépasse ce stade et élève la poésie
à un haut degré ,à tel point qu'elle n'est plus accessible
que par une élite d'initiés.
Maurice Scève et Charles d'Orléans furent avant
tout non pas seulement les précurseurs du symbolisme,mais aussi les
véritables pionniers de la poésie du XXe siécle et nul
avant eux et après jusqu'à Mallarmé n'a mieux compris les
aspects multiples et infiniment complexes que pouvait prendre l'univers
poétique...
Ce qui est intéressant,c'est que l'Ecole lyonnaise se
trouve à cheval entre Marot et la pléiade..Cete
dernière,dans son oeuvre de réforme
générale,entendait rénover non seulement dans l'art de la
versification,mais aussi et plus encore dans la langue..
Or de considérables apports sont venus dans ce sens
contribuer à accroître le vocabulaire et à enrichir la
langue d'heureuses trouvailles d'expressions..
Ce n'est pas tout,la Pléiade et à sa tête
Ronsard,se place dans la lignée de Charles d'Orléans et de
l'Ecole lyonnaise,élévant la notion de poésie à
une forme d'art qui doit demeurer loin du vulgaire et inaccessible à
lui..
Mais si le style de Charles d'Orléans ainsi que celui de
Maurice Scève était un style émaillé seulement par
des saillies et des pointes fines et pittoresques,incompréhensibles pour
le lecteur normal,le style de Ronsard,hérissé de termes
antiques,de néologisme baroque,puisés pour la plupart dans la
mythologie gréco-latine,reste cependant hermétique pour celui
qui n'a aucune connaissance de l'antiquité;;
C'est à ce niveau que l'on détermine la
différence entre la poésie de Charles d'Orléans ou de
Maurice Scève et celle de Ronsard qui,lui aussi,pour esquiver le
vulgaire,avait délibérément usé d'un langage
difficile,afin de conférer à la poésie un halo de
mystère et d'inconnu..
Ce qui est encore étrange à plus d'un titre,c'est
que Maurice Scève,qui fut un dévôt de
Pétrarque,jusqu'à l'idolâtrie,au point d'organiser des
rites et des cérémonies paiennes autour du tombeau de la
mystérieuse Laure,suivit méthodiquement les pas de Charles
d'Orléans et embrassa de bonne foi sa doctrine ,marquant par là
un contraste profond entre sa nature humaine et sa création
poétique.
Tandis que Ronsard,cultivant la religion de la
poésie,voulut l'éléver au rang du sacré,au rang de
la pureté la plus absolue,dédaignant par là le public en
contribuant davantage à en aliéner la sympathie.
Mallarmé,qui avait lu et relu les poétes de la
pléiade ainsi que ceux du XVe siécle,a puisé dans ce riche
trésor,tout un ensemble de principes qui lui serviront dans la mise au
point de sa nouvelle doctrine, ,enrichie,expurgée et largement
amplifiée par une vision universelle.
Ainsi la poésie entre les mains des symbolistes,a
quasiment cette finesse,cette spontanéité,qui lui est propre,pour
devenir artificielle,lourde,guindée,mais cependant lucide,d'une
lucidité clairvoyante et profondément naturelle...
2
.
Peindre non la chose ,
l'effet qu'elle produit.
La poésie symboliste n'était pas l'oeuvre de
Mallarmé....Elle était au contraire l'oeuvre d'un grand nombre
de poètes contemporains,issus tous de Poe et de Baudelaire...
Mais,Mallarmé,grâce à une vive
intelligence,alliée à une intuition quasi
extraordinaire,était résolument déterminé à
prendre un chemin jamais battu jusqu'alors...et à ses risques et
périls,il s'engagea,en solitaire,courageusement,dans la réforme
de la poésie.
Ainsi conscient de sa force et de sa puissance à faire
sortir la poésie,malgré l'émergence encore timide de
quelques nouvelles idées,du marasme intellectuel où elle
pataugeait,il se sentit en effet de taille à se lancer dans cette
avanture,excitante mais cependant jalonnée d'obstacles
infinis. « Le plus bel effort des
humains est de changer leur désordre en ordre et la chance en
pouvoir.C'est là la véritable merveille.J'aime que l'on soit dur
pour son génie.(Valéry »
le principe de l'art,l'essence de l'art et la puissance divine de
l'art..tout cela formait dans l'esprit de Mallarmé,une seule vision,une
illumination éblouissante qui l'avait guidé tout au long de son
ascension progressive vers la grande découverte.
« Tout ce qui est dans la nature est dans
l'art .(V.Hugo). »
Aucun poéte,à l'époque,n'a eu une telle
vision,et aucun poéte,excepté évidemment Baudelaire,n'a
mieux compris le prestige de l'art autant que Mallarmé...L'art au
service d'une idée,d'un schéma d'images à l'état
embryonnaire...L'art exalte et ravive la poésie et oriente la
pensée vers le sublime et le pathétique,pour infuser à la
poésie un pouvoir infaillible .« Une paysanne bien
née s'épanouit sans effort à la poésie des psaumes
latins,même non chantés,et plus d'un enfant a goûté
la première églogue avant de l'avoir
compris.(Brémond) »..
Le génie de la poésie,son magnétisme tenace
et sa grandeur,ne se conçoivent nullement sans cette force
mystérieuse,que le poéte,tel que Mallarmé,sentait
naître en lui ; « Soit !J'accepte que des
vers merveilleux aient cette absurdité,je défie qu 'elle les
prive de leur pouvoir et celui-ci sera d'autant plus grand qu'ils seront
chargés de « mystères »
Mallarmé,avec un courage et une hardiesse indomptables,a
pu donc réaliser le grand miracle du siécle :créer
une poésie difficile et abscons certes,mais une poésie qui,loin
de s'engager dans la routine et le banal,fût capable d'affronter
l'inconnu et l'impénétrable, si bien que,sans risque de se
tromper,l'on pourrait justement appliquer à Mallarmé,les mots si
élogieux que Baudelaire avait adressés dévotement
à son incomparable précurseur Edgar Poe « Il ne
doit se glisser un seul mot qui ne soit une intention ,qui ne tente à
parfaire le dessein prémédité. »
Mallarmé n'était pas seulement original dans sa
conception de la nouvelle poésie,mais il est encore inimitable,car il a
su avec un don exceptionnel rendre au mot son énergie et sa
vitalité :« Aussi longtemps qu'ils (les mots)se
trouvent à exprimer ou à suggérer,la main qui les choisit
et qui les ordonne ,n'est pas la main d'un poéte »
Le germe des images poétiques,comme l'illustration des
concepts ou visions issus en quelque sorte du subconscient,se réalisent
chez Mallarmé,à la suite d'une impulsion salutaire,tel un flux
électrique,parcourant fiévreusement tous les replis obscurs de
son être..chose que l'on n'a jamais vu chez aucun poéte
moderne,quel qu'en soit le pays oû il est né,exception faite bien
entendu pour les mages ou visionnaires des époques
médiévales. Il est vrai que l'expérience
poétique elle-même se passe dans cette joie de
l'âme,oû ne sont produits ni les idées,ni les sentiments,ni
les images,mais dés qu'il s'agit de traduire ,de communiquer cette
expérience,en d'autres termes,dés qu'il s'agit de réaliser
,d'écrire un poéme,force est bien de recourir à ces divers
éléments .
L'expansion de l'image,son étendue et sa dimension,la
vision expressive des choses,la réalisation d'un univers de
mystères et de rêves , l'extériorisation des sentiments
étranges et surnaturels,tout cela en vérité
s'achève sous la poussée extraordinaire des
phénomènes exogènes à la nature du
poéte...Certes il n'est pas question du tout d'inspiration,car
Mallarmé désavoue carrément avoir été
« saisi » par cette
« force » inconnue,mais qu'il recourait au
contraire ,comme on s'en apercevra judicieusement tout au long de la
présente thèse,à la création consciente,sans
médium et sans miracle et c'est justement là,la
vraie,l'authentique réalisation des choses de l'esprit,sans ambages ni
grandiloquence,..Avec la simplicité et l'assurance d'un génie
profondément réaliste..
D'ailleurs créer le pathétique,se baigner dans la
nature émouvante de l'esprit,s'acharner à la recherche d'un
idéal parfait pur et mystérieux,autant d'aventures dont
Mallarmé avait connu l'expérience
une expérience réussie,dont on apprécie
aujourd'hui l'effet surnaturel et le caractère
génial..« Le sublime lasse,le beau trompe,le
pathétique seul est infaillible dans l'art. »
Plus ardent que Baudelaire,le Maître qu'il
vénérait jusqu'à l'idolâtrie,plus enthousiaste que
Poe,dont le caractère si sombre avait provoqué en lui autant
d'admiration que d'embarras,Mallarmé s'est attaché en toute
exclusivité à devenir,au prix de durs sacrifices et de grands
efforts,l'égal de ses prédecesseurs inoubliables..
Il conçoit que le poème ,non seulement doit
être empreint de musique et de beauté,mais aussi le reflet
d'idées et de sentiments,s'opposant manifestement à ce qu'on
affirmait à l'époque que le poéme,en tant que produit
esthétique,ne devait pas nécessairement ëtre l'expression de
sentiments ou véhiculaire d'idées..Au contraire le poème
pour Mallarmé,transfigure la réalité et c'est là sa
fonction principale ; ;il s'extirpe de l'inconnu obscur pour
s'exhiber dans sa nudité mystérieuse aux yeux du lecteur la
formule de Valéry « une préparation de
poésie à l'état pur »peut avoir un sens.IL
peut s'agir d'une préparation chimique dont le résultat serait
un poème ou tout simplement d'une préparation métaphysique
,c'est-à-dire abstraite,.La première serait l'oeuvre d'un
poéte,la seconde d'un philosophe.Quelle que soit la pensée de
Valéry,je ne crois pas pour ma part,à la possibilité d'un
poéme d'oû serait exclue toute espèce d'idées,de
sentiments ou d'images.
Le contenu de la poésie mallarméenne n'est pas le
produit d'une influence,encore moins un ramassis touffu de réminiscences
ou de vagues intuitions,recueillis en vrac dans de lointains souvenirs,mais
c'est plutôt le résultat d'un effort,d'un travail
acharné,des tentatives à la fois inépuisables et
infiniment innombrables,accomplis par un homme qui se prenait cependant pour un
dilettante en poésie et non un poéte de carrière..
La situation de la poésie vers la fin du XIXe
siécle,une situation très proche en vérité de
l'anarchisme intellectuel,oû chaque poéte,pataugeant dans la
routine,les clichés et la réitération perpétuelle
des thèmes romantiques,ne pensait avant tout qu'à
reconquérir un public de lecteurs plus large,sans jamais se
préoccuper du sort que l'avenir réservera à son
oeuvre...
Mallarmé,ayant en horreur cette catégorie de
poétes,qu'il avait déjà pris en grippe ,depuis même
sa tendre enfance,s'engagea dans la voie tracée par son Maître
Baudelaire,tout en s'aventurant dans un univers encore intact,vierge et
insoupçonné,sans se soucier le moins du monde de la
réaction hostile de ses contemporains..
Ce genre de poésie qu'il avait relevé par son
génie,était en effet la vraie poésie,purifiée des
stéréoypes et des images monotones et insigtnifiantes,pour lui
conférer un pouvoir profond et
inaccessible .« Aujourd'hui nous ne disons plus : dans
un poéme ,il y a de vives peintures,des pensées ou des sentiments
sublimes,il y a ceci et il y a cela,puis de l'ineffable !Nous
disons :il y a d'abord et surtout de l'ineffable étroitement uni
,d'ailleurs,à ceci et à cela.Tout poéme doit son
caractère proprement poétique à la présence du
rayonnement,à l'action transformante et unifiante d'une
réalité mystérieuse que nous appelons poésie
pure.(Brémond) »
C'est évidemment la poésie mallarméenne et
nulle autre poésie,qui avait inspiré à Brémond
cette fameuse affirmation.La poésie mallarméenne,sortie du
néant pour exprimer un fait profondément ancré dans
l'être,s'élève au-dessus de toute poésie,d'abord par
son originalité incontestable,ensuite par l'impact profond qu'elle a
exercé et qu'elle exerce encore sur toutes les
générations de poétes et de simples lecteurs.
La postérité,qui raffole d'ordinaire d'une
poésie originale,portant le sceau non pas de la clarté ou de
l'intelligibilité,mais le sceau du mystère et du
fantastique,s'attache ingénieusement à instaurer la tradition de
la poésie symboliste dans un cadre plus vaste et plus rayonnant..
La poésie mallarméenne ne déconcerte
nullement par son caractère obscur et ténébreux,mais au
contraire éveille des sentiments de quiétude ,de douceur et de
langueur extatique,rien que par la musique onctueuse et divine,et par le rythme
agréable de chaque vers...
« L'émotion que vous cause la
méditation de la mort..le vent qui gémit à travers les
ruines ou sur les tombeaux,l'harmonie des sons...la rêverie,le
frémissement intérieur de l'âme , oû viennent se
rassembler et comme se perdre,dans une confusion mystérieuse,toutes les
puissances des sens et de la pensée »C'est
là en effet la vraie fonction de la poésie
mallarméenne,qui,s'élevant vers les espaces célestes ou se
repliant sur les coins noirs de l'intérieur de l'âme,enchante et
ensorcelle toutes les sensibilités..
Ce cheminement lumineux qu'a pris la pensée de
Mallarmé pour déclencher et faire évoluer encore plus
intensément la réforme en poésie..ne s'arrête
néanmoins pas là,il a dû poursuivre son
développement ,pour embrasser l'avenir...
« Mais le terme de poésie pure,la
catégorie de poésie pure,offre aussi un antre sens...Je pense
à Poe,à Mallarmé et à Valéry,...à
l'idée d'inspiration s'oppose celle de fabrication,à
l'idée du génie qui souffle du dehors,celle du génie qui
s'attache à une matière,mais une matière pure,à
l'idée de de facilité aérienne,celle d'une
difficulté qui s'applique.(A.Thibaudet) »
La poésie de Poe,de Mallarmé ou de
Valéry,qui s'allient ;s'unissent et se fondent en une seule
poésie ,sans discrimination entre elles...marquée à tout
jamais par le cachet indélébile de l'omnipence intellectuelle et
visionnaire,son faites pour voguer indéfinément à travers
le temps,pour échouer sur les rives du havre de l'intelligence et des
lumières infinies ;
« O Pan !Fais de ma voix la trompette
fidèles
qui jette à l'univers au milieu des
éclaires
U n éclat de ta voix ,un peu de
lumière.(Mallarmé ) ? » CHAPITRE
PREMIER
Mallarmé,un vrai parnassien.
I
De la pension d'Auteuil au lycée de Sens.
Ce qu'il nous faut,à nous ,c'est l'étude
sans trêve,
c'est l'effort inoui,le combat non pareil
c'est la nuit,l'âpre nuit de travail, d'oû se
lève,
lentement,lentement,l'oeuvre ainsi qu'un
soleil !
Verlaine.
Stéphane,le jeune enfant aux yeux brillant d'intelligence
et de candeur,s'orienta,un de de ces jours splendides d'octobre,vers un
pensionnat situé à Auteuil ,aux environs de la ville de
Paris..
Le père du petit Stéphane,soucieux de
l'éducation de son enfant,s'entêta,en dépit de l'opposition
farouche de la mère1,à le faire inscrire dans ce
pensionnat,et c'était lui qui,conscient de la haute mission qu'il devait
accomplir,emmena et remit le jeune élève à la direction
du pensionnat,après avoir bien entendu pris soin de prodiguer ses
conseils judicieux à sa progéniture...
Ainsi l'enfant,peu habitué à vivre dans un milieu
agité,se trouva soudain propulsé dans un monde d'enfants
turbulents et espiégles,spectacle effarant dont il revivra plus tard,une
fois devenu à son tour éducateur des jeunes âmes,les
tristes souvenirs ,et c'est ainsi que,pour lui,se succèdent les
générations,et avec elles,leurs vices,leurs habitudes et leurs
turpitudes invétérées...sans le moindre changement
positif..
Cependant,malgré son manque de disposition à
s'adapter à un tel milieu2,non seulement
hermétique,mais encore rendu incommode par une discipline
intransigeante,le petit élève se rappela les conseils paternels
et se laissa,après quelques réticences,entrainer par le courant
auquel d'ailleurs il ne pouvait plus résister...
Peu à peu,il finit par s'accoutumer à ce
gâchis,à ce désordre et à cette
incohérences,hérissée de contradictions multiples,dont il
éprouvait un grand malaise,mêlé de résignation..
Ce monde de désordre incongru et
hétéroclite,lui communique à son insu l'image
obsédante du phénomène
métaphysique..,c'était une mosaïque d'etres impossibles
à saisir,de lutins ou de sylphides ou de faunes
fugitifs3...L'enfant à l'esprit lucide et clairvoyant croyait
un instant qu'il descendait dans un univers fantasmagorique 1(*)s'acheminant,emporté
irrésistiblement sur des nuages opaques,vers un abîme d'ombres et
de fantômes...Et brusquement,comme s'il était mordu par une
bête infâme,s'arracha à ces rêves nébuleux
pour se sentir soulagé ,tel un voyageur qui atteint sa destination
après un pénible périple ..
le maître du pensionnat,un homme borné et
conservateur des traditions vétustes,ne 3(*)connaissant de son métier que les
méthodes disciplinaires,des méthodes strictes et rigides,ne
semblait en aucune manière deviner ou percevoir ce qui se passait dans
la tête de cet enfant.....
Au contraire,il le relégua au fin fond du local,le
laissant parfois seul ,en lutte avec des êtres mystérieux,avec
lesquels il semblait en communion perpétuelle et qu'il tentait
d'amadouer avec son génie d'enfant au comportement bizarre...
Alors rien,chez cet enfant fourvoyé dans ce pensionnat,ne
semblait réveiller la curiosité du maître,rien ne semblait
l'exciter à se rapprocher de l'enfant et de comprendre ses penchants et
ses goûts étranges pour des choses imaginaires..
L'enfant,tout au long de son séjour dans ce triste
pensionnat,demeura méconnu,inconnu,perdu dans des pensées
vaporeuses et éphemères,qui n'avaient de consistance que dans sa
petite cervelle de gosse à la recherche de l'impossible...et c'est
justement avec lui-même qu'il paraissait alors plus à
l'aise,surtout lorsqu'il s'adonnait à l'envi à évoquer
ses rêves enfantins et à explorer au moyen de son imagination
anodine,des ombres volatiles qui dansaient la sarabande sous ses yeux
extasiés..
Ainsi au pensionnat,l'enfant hérita le goût amer de
la vanité de ce monde..la fin inéluctable de rêve de la vie
et le morose déchirement du destin..
Dès que le père remarqua que le pensionnat n'est
plus désormais indispensable pour le jeune enfant et que,suivant la
tradition de l'époque,il lui fallait aller plus loin dans son
apprentissage pour la vie,il le plaça dans un lycée,le
lycée de Sens,selon son appellation commune..
C'est ainsi que l'enfant,après son expérience du
pensionnat,se trouva tout à coup mêlé à une nouvelle
foule d'élèves,un nouvel univers dont il ignorait tout,mais dont
il commençait cependant à assimiler les lois et la
discipline,plus souple et beaucoup moins draconienne que celle du
pensionnat..
Son adaptation fut aisée et il ne rencontra pas de
difficultés pour se faire aimer et comprendre par ses condisciples.Sa
raison d'être,c'est dêtre à la hauteur de la confiance du
père et d'être obéissant et docile avec tout le
monde..
Cependant il se rendait compte ,de temps en temps,qu'il n'est pas
fait pour obéir à des régles,et des
coutumes4...Il éprouvait le besoin,un besoin tenace ,de dire
à tout le monde que tout ce qu'il voyait le révoltait et
provoquait en lui indignation et malaise..Mais le jeune garçon,qui
n'avait pas encore atteint quinze ans,se refugiait dans le silence,un silence
impénètrable,en cachant dans le fond de son coeur tous les maux
qu'il en ressentait..
Alors il préféra ne rien dévoiler de ce
qu'il souffrait intérieurement .La discipline,bien qu'elle fût
moins austère qu'elle ne l'était au pensionnat,le scandalisait et
s'y plier,c'eût été pour lui un vrai supplice :par
là tout son souci était de l'esquiver par quelque moyen que ce
fût...
Pour lui la liberté en tout est la première
condition de l'existence,la liberté de choisir comme la liberté
de penser est la preuve éclatante d'une maturité et d'un
civisme ,d'un savoir-vivre authentique...
Choisir ses auteurs,s'absorber librement dans leur lecture,sans
être gêné par d'importuns conseillers qui chercheraient
à vous imposer des contraintes ;écrire ce qui se passait
par la tête sans s'astreindre à des régles qui
entraveraient la liberté de cré ation:voilà pour lui
le principe idéal de tout progrès humain5...
Un jour,aux environs de midi,et pendant que le jeune
Stéphane était en classe avec ses camarades,le proviseur fit son
entrée ;tous les garçons se turent et un silence
effrayant,terrible s'installa au sein de la salle..
Le proviseur,homme dégingandé,pataud et à
l'air sévère,après avoir promené ses regards sur
les visages des garçons,s'arrêta à la hauteur du jeune
Stéphane et d'une voix ironique ,laissa tomber..
« ah !oh ! Mallarmé...mais qu'est-ce
que vous lisez là ?...Euh !Je vois bien..c'est de la
poésie de Charles d'Orléans...c'est un auteur qui se
caractérise par la complication du style et le culte du
mystère..Es-tu en mesure de comprendre cela ? S'insurgea le
proviseur,sous l'hilarité étouffée des jeunes potaches
que la scène parut avoir émoustillés
jovialement...Cependant le jeune garçon ,mis dans l'embarras par une
telle question,baissa les yeux et les mains frémissantes,à peine
étalées sur les pages du livre ,prononça avec une
extrême obséquiosité
.. « -Oui,Monsieur,certainement ..je crois que j'ai tout saisi
,malgré l'orthographe ancienne ...d'autant plus que j'ai eu l'occasion
de le lire en compagnie de mon père,qui s'était donné
beaucoup de peine pour m'eclaircir quelques détails sur la vie de cet
auteur génial...d'un autre côté,un auteur authentique
n'aspire jamais à dévoiler ses idées..il doit s'attacher
à cultiver le mystère et..
« Assez.. ! assez.. !J'entends mon
petit...interrompit ironiquement le proviseur,l'air incrédule,..mais
c'est un auteur qui n'est pas dans le programme...D'ailleurs il parait qu'il
est inaccessible pour un enfant de ton âge.. ----Oui,monsieur,vous avez
mille fois raison,mais je vous l'ai déjà dit..j'adore ce qui est
difficile et le sommet le plus rude me parait le plus facile à
atteindre..
« --Assez de niaiseries !proféra le
proviseur calmement,qui connaissant par ailleurs l'esprit étrange et
abscons de cet enfant précoce,ne put s'empêcher un instant de
méditer ces mots dits d'une manière spontanée et avec un
sérieux sans faille..
Et sous le murmure étouffé des enfants,il se
dirigea hâtivement vers la sortie,pour disparaître en un tournemain
dans les longs couloirs du bâtiment..
Stéphane,après être calmé de cette
commotion inattendue,se résigna et poursuivit sa lecture avec plus
d'acharnement..
Au bout de quelques moments,il leva les yeux et s'aperçut
à son grand étonnement que les yeux de ses camarades
étaient braqués sur lui,en silence,l'air narquois..
Ebauchant un sourire forcé,il baissa de nouveau les yeux
et poursuivit sa tâche non sans grommeler quelques mots inaudibles..
La vie au lycée,avec ses tracas et ses tapages infinis,ses
contraintes et ses obligations impératives,lui avait inculqué le
goût de la patience et de la persévérance dans tout ce
qu'il entreprenait..Le lycée de Sens,pour Mallarmé,est un univers
dont il a mesuré les limites et dont il a sondé les carences au
même titre que les avantages,qui ont totalement transformé sa
vision du monde et de l'existence et contribué à lui ouvrir le
chemin vers la gloire et la liberté.. ;
II
Séjour en Angleterre.
.Après son long séjour au lycée,au cours
duquel il a appris beaucoup de choses sur la vie aussi bien que sur le savoir
intellectuel,le jeune Stéphane entra de plain-pied dans le monde,ce
monde mouvementé oû l'esprit matérialiste s'étant
développé intensément sous le second Empire,continuait
cependant son régne en dominateur implacable,infestant presque tous les
domaines,même celui de la conscience.
Ainsi ayant atteint à la fois sa majorité et la
maturité nécessaire pour affronter la vie,le jeune homme,pris
soudain d'une ambition sans bornes,se décida de faire son chemin dans
l'enseignement6..
Après avoir exploré et examiné
munitieusement tous les faits et les données qui s'étaient
présentés à son esprit,il prit finalement le parti de
poursuivre son apprentissage dans la langue de Milton,langue à laquelle
il s'était par ailleurs suffisamment initié et dont il
s'était par la suite engoué de façon toute
particulière,au point qu'il commença dès lors à
considérer comme la seule arme qui pût lui permettre de faire
face en toute sécurité aux problèmes de la vie
Ainsi,on rema rque justement que la décision prise
à ce sujet,non pas pour satisfaire un caprice ou une fantaisie,mais pour
s'assurer à lui-même un gagne-pain honnête et digne..
On croyait probablement que ce goût pour la langue
anglaise est né en lui,à la suite de la lecture de quelques
poémes de Byron,pour lequel d'ailleurs il avait une grande
admiration..
En réalité,ce n'était ni Byron ni
Shakespeare non plus qui avaient forgé le goût de Mallarmé
pour l'anglais ;mais il s'agissait de tout autre
poéte,américain cette fois et non pas anglais,qui avait
exercé pour de bon une forte influence sur l'esprit du jeune adolescent
alors qu'il était encore au lycée :c'était en effet
Allan Edgar Poe,poéte macabre et émouvant,que le monde
littéraire n'avait pas encore découvert à l'époque
oû Mallarmé,à la suite de Baudelaire,s'acharnait à
en approfondir le génie par de nombreuses lectures et traductions,et
c'était justement pour continuer à déceler les
mécanismes mystérieux de l'oeuvre de Poe,qu'il avait entreprise
de connaître à fond la langue anglaise..
La lecture de Poe,jointe à celle de
Baudelaire,était sa principale préoccupation durant son
séjour au lycée qui devait avoir quitté vers 1857,alors
âgé de 15 ans à peine ,pour se lancer dans les
méandres de la vie,d'une vie laborieuse et intense.
Et pour être en mesure de répondre parfaitement
à cette inclination juvénile,le futur poéte des
« fenêtres7 » s'embarqua pour le pays de
l'immortel Shakespeare,pays dont il n'avait pas cessé de
rêver,savourant d'avance le plaisir de contempler les splendides
monuments,legs d'une longue histoire jalonnée de troubles ,de
vicissitudes et de révolutions..
Dès son installation dans un quartier de Londres,sur la
partie gauche de la Tamise,il s'aperçut que quelque chose d'obscur se
mouvait en lui,qu'un tourbillon de sentiments inexprimables se
déclenchait dans tout son être...
nous sommes en 1862,Stéphane venait d'avoir vingt
printemps,couronné d'un beau mariage,un mariage de raison,oû toute
forme d'extravagance était exclue :il avait pris pour
épouse,une femme douce,affable,prête à tout sacrifier pour
lui assurer le calme et la quiétude indispensables...
Dans son modeste studio,situé au coeur de Londres,il
songea,au milieu de ce tohu-bohu qui montait jusqu'à lui..
Paris est trop loin d'ici...Paris s'estompe dans les horizons de
son imagination ardente..Paris avec son beau monde,ses extravagances,ses
colifichets ineptes,ses grandioses paysages et son vaste ciel...Paris n'est
plus qu'une image terne,opaque,releguée au coin de son inconscient
pour être substituée à ce vaste univers londonien oû
il se trouvait tout d'un coup plongé et dont les vibrations
musicales,telle une cascade se déferlant sur un roc solitaire,submergent
et pénètrent tout son être....
Pour lui,rien en apparence n'avait prévu cette grave
métamorphose qui s'est opérée en lui en si peu de
temps..Il se sentait comme sous l'emprise d'un acte de sorcellerie,de magie
incompréhensible,tellement il était comme secoué par la
beauté,le chrame de cette ville dont il garda plus tard des souvenirs
émouvants..
Grâce à la souplesse de son intelligence et à
la capacité d'assimilation dont il est doué,il parvint,au bout
d'un temps record,à appréhender les secrets de la langue
anglaise et à en maitriser à peu près parfaitement les
mécanismes complexes ; ;
Rien ne pouvait être difficile pour ce jeune garçon
si bien doué,au point que,stimulé par un désir ardent de
faire à tout prix d'énormes progrés,il avait
déjà commencé à s'exprimer impeccablement dans
cette langue étrangère-si souvent inaccesible pour la plupart de
ses concitoyens-avec un accent aisé et sans la moindre
complication..
De temps en temps,il se baladait dans les rues,histoire de
contempler les gens affairés et de jeter,par curiosité ,des
regards furtifs dans les vitrines des magasins des bouquinistes dont Londres
regorgeait à l'époque..
Un jour il tomba par hasard sur une édition
complète d'Edgar Poe et se rappela aussitôt avec ferveur les
nuits qu'il avait passées à lire ce poéte
américain dans une traduction de Baudelaire...et sans hésiter,en
dépit de ses ressources assez limitées,il décida
d'acquérir cette édition qu'il emporta avec lui à son
retour en France..
Au bout de quelque temps,à l'issue de ce stage pratique,le
jeune Mallarmé,s'accoutuma à la langue anglaise comme à
sa langue maternelle et ce qui est étonnant,il est devenu aussi habile
dans l'une comme dans l'autre..Las enfin de vivre loin de sa patrie,pour
laquelle il a commencé déjà à éprouver de la
nostalgie,une nostagie irrésistible,il prit le chemin du retour,heureux
de revoir ses coins familiers et de revivre dans
l'atmosphère oû s'était douillettement
baignée sa tendre enfance...
III
Retour en France et accession au professorat.
De son court séjour en Angleterre,le jeune Mallarmé
a appris à faire prévaloir ses idées avec tact et
sérénité...Il a appris encore à être
plutôt visionnaire,un visionnaire qui explore non pas le passé ou
le futur,mais qui regarde en lui-même,dans son intérieur le plus
intime3(*)..Il s'est
habitué à descendre dans les abîmes profonds de son
être pour y sonder ce qui se passe ,comme le naturaliste qui cherche
avec acharnement à comprendre l'origine d'un typhon ,et pour ce faire,il
s'aventure,au risque de se faire taxer de fou,en quête du
« centre » oû évolue ce
phénomène étrange...
Il en est de même pour Mallarmé,qui a
déjà pris l'habitude d'être en communion avec les
profondeurs de son être intime..Lui-même,sans qu'il en sache
pourquoi,s'étonne du pouvoir tenace de cette manie absurde,dont il
éprouve le besoin,un besoin impérieux,de se défaire
totalement,mais en vain :la descente par la pensée dans les
méandres de son inconscient est devenu comme un devoir ,une obligation
et une nécessité dont il est impossible désormais de se
débarrasser....
L'exploration du moi latent,du moi inconnu et mystérieux
se fait chez Mallarmé un peu par étapes :il descend
les étages multiples de son être pour arriver enfin,comme pour
s'amuser,dans le gouffre noir oû gît l'origine de la
vérité,de la vie de toute pensée et de l'espoir de toute
création divine ;Poe,dans ses moments les plus cruciaux,en faisait
de même,lui qui,sans partis pris,se laissait volontairement
émouvoir par sa propre imagination jusqu'à l'extase..
Mais,cependant,le seul moyen pour éviter de sombrer tout
à fait dans ce tourbillon bizarre et pour se délivrer de cette
hantise mortelle,c'est de s'occuper d'autre chose,d'entrer dans la
société et de travailler,chose dont il a un grand besoin pour
pouvoir gagner de quoi vivre,lui et sa petite famille...
D'ailleurs,depuis son retour d'Angleterre,il attendait
d'être nommé quelque part dans une des villes de France...A cette
idée,l'idée de pouvoir enfin être nommé en
qualité de professeur,il vibre d'enthousiasme et de soulagement,qu'il
essaie cependant de camoufler sous l'apparence d'un sourire empreint de
pessimisme et de doute....
Finalement,son attente n'a pas trop duré et la nouvelle de
sa première nomination à Tournon en Provence,le
décontenance quelque peu,car il aurait aimé être
nommé à Paris,ville à laquelle il sembla être
attaché par des liens intimes,par des souvenirs ionoubliables et
communs et même par une affinité intellectuelle,très
chère à son coeur...
Ainsi,après être installé à
tournon,son inquiétude d'être séparé de son milieu
familier s'accrut mais qui finit,quelques mois plus tard,par s'évanouir
lorsque le futur poéte d' « Apparition »
rencontra non sans émotion,deux jeunes poétes
régionalistes,Aubanel et Mistral,pour lesquels il n'a pas manqué
d'éprouver beaucoup d'attachement et de sympathie.
Grâce à ces deux poétes familiers,qui
deviendront plus tard les pionniers intellectuels de la
Provence,Mallarmé s'accoutuma à son nouveau milieu sans plus se
réchigner ,car pour lui,comme pour ses nouveaux amis,la vie en Provence
est plus poétique que celle de Paris oû il y a trop de tracas et
de tapage difficiles à supporter....
dans la petite ville de Tournon,le jeune poéte paraissait
désormais plus à l'aise et,son chagrin s'étant
volatilisé,grâce à la présence quasi permanente de
ces deux héritiers illustres des bardes et des troubadours,il se
plaisait et se résignait volontairement à ses médiocres
conditions de professeur dont les appointements dérisoires
n'étaient pas compatibles avec la corvée dont il se sentait
écrasé....
Trois ans dans cette ville,oû il a connu à la fois
la détresse et quelques moments de joie et de satisfaction
intellectuelle ....trois ans au cours desquels il n'a écrit que
très peu,tellement il était complétement absorbé
par son accablante besogne au lycée et les tracasseries des cancres qui
ne manifestaient aucun respect ni pour son intelligence ni pour sa position en
tant qu'éducateur..Cette foule de garnements
irrévérencieux,de trouble-fête malveillants suscitaient en
lui le dégoût et une envie terrible de fuir ailleurs de
s'évader et de quitter ces lieux insupportables..mais,se repliant sur
lui-même,il concevait que tout cela est un mal nécessaire..et que
nul métier au monde n'est dépourvu de ce
mal,intrinsèquement inhérent à la tâche que nous
sommes condamnés à accomplir...car c'est là la
destinée humaine..soudain une vague de paix mêlée à
un effluve tonifiant traversa son cerveau en fiévre...
Et le cycle des mutations commence pour le jeune professeur....Il
passa un an à Besançon,un an d'ennui et de désarroi,dont
il a failli mourir ;puis l'année suivante,il était
muté à Avignon,ville dans la ville il se sentit plus à
l'aise,en présence de ses deux amis félibres,qu'il avait
retrouvés après une longue séparation..
Avignon,la ville historique,la ville si pleine de gaieté
et de sourire l'a accueilli pendant sept ans sans interruption..Mais ce long
séjour,au lieu d'être démoralisant,avait,au
contraire,renforcé en lui l'idée de la liberté et l'amour
de la poésie :il n'a jamais senti qu'il était
dépaysé ;au contraire,il a cru un instant qu'il
pouvait y vivre toute sa vie sans le moindre regret..
Être professeur d'anglais à Avignon,cela n'a
pourtant pas été facile :Les cancres son toujours
là,à l'affût,prêts à tuer en vous toute
volonté,inlassablement gênants,tapageurs et volontairement
agressifs.Alors Ecrire,ce n'était pas non plus une affaire
aisée:écrire et se perdre corps et âme dans
l'écriture,cela relève encore de l'impossible...Le jeune
professeur est trop obsédé par ce tumulte,par ces souris
voraces,ces vermines qui rongeaient et usaient toute vigueur et
énergie...
Il sentait que sa veine poétique tarissait
,s'épuisait dans le désordre de la vie scolaire..
Il éprouvait dés lors des moments d'abattement et
de désespoir,tellement la vie au milieu de ce monde
insouciant,frénétique et inepte,cruel et espiégle,le
mettait dans un état de désolation inconcevable..
Et pour se remettre de cette situation d'agitation et de
désarroi,il se rappelait souvent son enthousiasme d'antan lorsqu'il
était au lycée de Sens surtout le défi qu'il
s'était lancé à lui-même dans un moment
d'euphorie :tel un Vivtor Hugo enfant qui,plus d'un
demi-siécle plus tôt,ensorcelé par le poéte de
René et d'Atal,s'écria,tout en martelant la table à coups
de poings « Etre Chateaubriand ou rien »lui ,le petit
Mallarmé,à peine alors àgé de treize
ans,écrivit d'une main hardie,au lendemain de la mort de
Béranger,ce chansonnier qui avait le don magique de séduire les
jeunes de son temps »Etre Béranger ou rien »,comme
si Béranger,pour le petit Stéphane,avait déjà
atteint l'apogée du prestige et de la grandeur dans l'univers de la
poésie..
Mais pour le futur créateur de
« Divagations »le chemin à parcourir est fort
long,abrupt,rocailleux et presque impraticable..
Ainsi au bout de ces sept ans de stérilité relative
et de gêne matérielle,mallarmé fut muté à
Paris...
IV
Tentative et essai poétique.
Mallarmé,dans son modeste logis de la rue de Rome,se
souvenait avec délices les nuits fécondes oû il
écrivait des poémes sur des thèmes pour le moins
fantaisistes..Il se rappelait ces circonstances oû il accomplissait
gaiement des petits voyages dans son imagination et exprimait les effets de
l'amour et de la nature dans des termes pleins de sens et
d'ingéniosité..
Il a déjà collaboré au Parnasse
Contemporain,mais ses poémes n'avaient fait l'objet d'aucune
curiosité,ils étaient plutôt passés inaperçus
parmi tout une kyrielle de poémes divers,écrits pourtant avec le
même ton et le même esprit,comme s'ils étaient conçus
par le même poéte...
Aujourd'hui,dans cette sorte de bonbonnière solitaire et
froide,par cette nuit hivernale du mois de janvier 1874,il s'est mis
paresseusement à griffonner des poémes ,tout en méditant
sérieusement sur la valeur de ce qu'il est en train
d'écrire..Pourtant pour lui écrire de la poésie est
délassement avant tout,une manière d'évasion loin du
poids des soucis matériels qui ne cessèrent de le harceler,en
dépit de la tempérance et de la frugalité oû il se
refugiait pour éviter de se faire accabler davantage par des dettes
qu'il ne pouvait jamais honorer...
Mais il écrit pourtant..et c 'est avec une
réelle passion..un goût et une persévérance
étonnants..
..Dans chaque vers qu'il traçait sur la feuille
vierge,il criyait y avoir mis une petite tranche de lui-même..il croyait
y avoir enfermé ses propres tribulations,les tiraillements atroces de
son coeur,déjà assoiffé d'espace et de
liberté...Tout en écrivant avec émotion,mais avec une
humilté apparente,il se sentait comme libérer des entraves de la
vie et planer dans un ciel lointain,en regard des paysages immenses et radieux
et une nature qui nage dans une splendeur divine....
Ainsi pour lui,en cette période d'hiver,oû la pluie
tambourinait légèrement sur les vitres et faisait un bruit doux
s'accordant avec les saccades de ses idées..la poésie est le
parfum,le baume qui revigore et galvanise son âme meurtrie dans une
société qui brandit l'opulence et la richesse comme le symbole
exclusif de la réussite...
Après avoir vidé son coeur dans des poémes
à thèmes divers et soulagé sa soif ardente dans des
explorations infinies au fond de son âme déchirée,il se mit
encore à refléchir sur la nécessité de tout ce
travail..de tout ce flux d'émotions et de pensées
étalées sur ces papiers fragiles..Mais n'ayant pas trouvé
d'issue à toute cette méditation,qu'il jugeait justement frivole
et enfantine,tout en regardant les rideaux plissés aux festons
entrecroisés qui lui cachaient la vue de la rue de Rome,il s'approcha
à pas lents,tellement ses jambes étaient légèrement
engourdies,d'un petit guéridon installé dans un coin de la petite
salle et prit une photo en miniature,une photo qu'il avait trouvé un
jour chez un libraire célèbre et qu'il avait,moyennant une somme
modique,achetée et installée là sur ce guéridon,en
guise de relique précieux...
Avec des yeux pleins d'émotions,il s'est mis à
contempler cette photo,déjà à bordures
élimées et en partie noircie par un long usage,floue et sans
aucun attrait.Emu jusqu'aux larmes,il la faisait tourner dans sa main avec une
extrême douceur,puis humblement il la remit à sa place et s'en
retourna se coucher....
V
Un pauvre professeur itinéraire.
A Paris,la ville de ses rêves et de
ses passions intellectuelles,Mallarmé mène une vie
paisible,jalonnée de temps à autre par une évasion dans le
monde des bibliothèques et des librairies4(*)..
Il est assoiffé de lecture,de savoir et de tout ce qui se
produit dans le domaine de l'esprit..On eût dit qu'il se préparait
pour de bon à cette carrière de poéte,brève
certes,mais triomphale et éternelle à
jamais ; ;
Mais son amour pour la lecture ne lui dicte jamais l'idée
de former des projets pour l'avenir ou même de concevoir une autre vie
que celle d'un pauvre professeur d'anglais qui vit avec le peu qu'il
reçoit5(*) avec
sobriété et patience..
A Paris,en ce Paris de 1873,deux ans s'étaient
déjà écoulés depuis la chute du Second
Empire,Mallarmé de par le type de sa profession,continue à
être l'objet de mutations d'un établissement scolaire à un
autre ,comme s'il eût été réellement
condamné à ce perpétuel déplacement ou si
quelqu'un dans les services ministériels,se complaisait à le
faire mouvoir sans répit...
Ainsi,après le lycée Condorcet,oû il
séjourna pendant plus de six ans,toujours en lutte avec les
problèmes d'une population scolaire imbécile et indolente,passa
au fameux lycée Janson de Sailly pour être muté vers
l'année 1892,au collège Rollin,dernière et ultime phase
de ces longues et agaçantes mutations..
Mais,bien qu'il ne dispose que d'un très peu de
temps,absorbé qu 'il était par des préoccupations
infinies,il en profite parfois pour se plonger dans quelques méditations
poétiques,comme fruit de ses absorbantes lectures...Menant ainsi une vie
presque terne,entre le lycée et ses livres,Mallarmé,en homme
mûr qu'il était devenu,se sentait pris de dégoût et
aspirait à sortir de cette monotonie effrayante..
Un jour,occupé à dépister les
méandres érotiques de cette oeuvre géniale
« les fleurs du mal »assis dans sa petite chambre,il se
rappelait avec tristesse,ce jour oû,étant alors à
Avignon,il avait appris par une lettre d'un de ses amis,la mort de poéte
et écrivain infatigable Théophile Gautier..Il se rappelait alors
ce jour mélancolique oû il croyait avoir perdu un être
cher,dont il commençait à apprécier le génie et la
vigueur de l'expression,sans parler de sa hardiesse à vouloir sortir
des sentiers battus et concevoir une autre forme de poésie plus
originale et qui répondît à l'évolution du
temps..
Il pensait alors à ce jour fatidique et se sentait
boulerversé d'émotion et de deuil..
Il croyait pouvoir tenter l'impossible et être en mesure
,à force de reflexion et de travail,d'être du moins l'émule
de ce célèbre poéte,..Et soudain il éprouvait un
vertige intense,mêlé à une vague de pensées
incohérentes et dont il ne parvenait pas à percer
l'origine,tellement elles étaient abstruses et profondément
voilées par des nuages compactes et impénètrables...
Théophile Gautier,le vétéran,le
génial pionnier de la langue française,Th.Gautier,pour lui,est un
surhomme inimitable..Car tout penseur doué de talents surnaturels est
un être qui reste en dehors de l'orbite de l'humanité et n'en
fera aucunement partie...Pour Mallarmé donc,Th.Gautier,créateur
de `l'art pour l'art » et styliste divin,ne saurait être une
créature ordinaire,née pour mourir et être ensevelie dans
les oubliettes du temps,Th.est un être divin et immortel,il survivra
à tous les vicissitudes et à tous les temps..Il est immortel
autant que l'éternité même.. !
Alors l'immortalité serait-elle un piége pour
Mallarmé,Le désir d'être immortel comme Th.Gautier ne
s'est-il pas emparé de lui ?Lui faudrait-il dès lors
se mettre à l'oeuvre et montrer à ses contemporains que lui
aussi,la nature l'avait effectivement nanti des facultés aussi
éminentes ,aussi sublimes que celles de n'importe quel autre
poéte dont les recueils de vers faisaient alors des tapages universels
mais éphemères ,pour sombrer ensuite dans le fond de
l'oubli. ?
Ecrire,il est vrai,est une tâche pleine d'embûches et
pour Mallarmé,cela suppose en effet des risques graves et des
déappointements cruels...Il est profondément conscient de cet
état de choses et entre rester amateur en poésie ou se faire
publier,à ses risques et périls,Mallarmé,d'ordinaire
d'esprit aventureux et bien qu'il ait été farouchement
attaché à ses propres principes,n'en balança pas et avec
courage et détermination,s'engagea dans le monde des lettres,avec
l'espoir bien sûr de pouvoir exprimer publiquement ses idées et de
suivre de près les traces de celui qu'il avait pris pour modèle
dans ses premières mais modestes productions6(*)./..
VI
Premières Publications dans des revues
(1874)
En ce temps-là,il y a eu une profusion de revues de
tendances diverses..mais des revues malheureusement
éphèmères,car,en dépit de la vugarisation intensive
de la culture,la population cultivée,après l'abondante production
romantique et la propagation des idées sentimentales dont on avait
commencé à se lasser pour de bon,s'intéressaient à
des domaines autres que poétiques..
La philosophie positiviste,qui avait fait fureur à ses
débuts,commençait déjà à subir un
déclin évident et n'était plus un objet d'attraction que
pour une minorité d'écrivains,qui fouillaient encore dans ses
méandres à la recherche des traces intactes susceptibles de lui
épargner une décadence imminente en lui insufflant une nouvelle
énergie..
De plus,les revues qui traitaient du problème de la
poésie et de sa propagation se faisaient rares,et celles qui existaient
alors étaient exclusivement réservées à une
catégorie de lecteurs de couches sociales bourgeoises et presque au
courant des réformes en gestation...
Pire encore,les quelques revues d'obédience
littéraire et qui s'attachaient à publier,non seulement des
poémes,mais aussi des articles à caractère
critique,étaient souvent de vie éphémère
Les écoles réaliste et naturaliste,dont
l'apparition et le développement ont coïncidé avec le
Parnasse et le Symbolisme,ont donné lieu à une profusion de
revues et de journaux mensuels,la plupart axés sur la critique et
l'étude du nouveau roman ; ; ;
L'Ecole Parnassienne,par exemple,qui avait commencé
à émerger sur la scène,s'alignait presque sur les
mouvements réaliste et naturaliste,s'inspirant de la même
philosophie et de la même vision des choses,ce qui a fait
que,l'apparition des revues autonomes,dans ce tumulte extraordinaire
d'idées et de pensées,semblait à première vue loin
d'être effective,quoique chaque mouvement,obéissant au
désir de vouloir garder son indépendance vis-à-vis de
l'autre,et de s'élever au-dessus de cette confusion apparente,eût
tenté plus d'une fois de faire publier son organe propre..
Mallarmé,ayant écrit quelques poémes de
circonstances qu'il a jugé dignes d'être publiés7(*),se hasarda à les envoyer
sans retouche à une revue sérieuse et pour laquelle il avait
beaucoup de sympathie.Quelques jours plus tard,parmi le nombre de poémes
envoyés,il n'en fut publié que deux,sans que cela ait
froissé le moins du monde l'amour-propre du futur poéte
d '«Apparition ».IL écrivit encore d'autres
poémes ,mais en raison de saon attachement indéfectible à
la perfection,il dédaigna de les faire publier...jugeant que le moment
n'était pas encore propice pour le faire..
En dépit de nombreux poémes insérés
dans différentes publications de l'époque,Mallarmé
était toujours resté dans l'ombre et rien ne prouvait que son
nom s'acheminait progressivement vers la gloire..La majorité des
lecteurs de ces publications n'avaient même pas fait attention à
ses vers,malgré le lyrisme et la verve dont ils n'étaient pas
tout à fait dépourvus;c'est peut-être,pouvons-nous
dire,à cause des sujets traités dans ces poémes,des sujets
apparemment anodins et insignifiants,souvent même rebattus par les
poétes du temps,que les lecteurs s'étaient montrés
quasiment indifférents au nom de Mallarmé..Leur dédain ne
se confinait pas aux sujets abordés ,mais aussi à la
manière,à la technique de versification,banale et
désuete,avec laquelle ces sujets étaient en effet
traités....D'ailleurs,pour tout dire,la poésie de
l'époque,avait pris un autre tournant,un tournant
irréversible,carrément opposé à la
« dictature » du romantisme,dont l'influence s'est
effondrée juste au lendemain de la mort de Balzac en 1850...
Dès lors,les lecteurs étaient comme
assoiffés d'une nouvelle forme d'expression ,de nouvelles idées
et d'une philosophie de la poésie toute neuve et originale....Et
Mallarmé,dans son for intérieur,était convaincu de ces
légitimes aspirations ;il croyait que la poésie
,malgré sa métamorphose durant ces dernières
décennies,nécessitait encore une nouvelle révolution,une
libération totale surtout de ces scories et de ces entraves
héritées du passé et qui pesaient encore sur son
destin,en l'empêchant de progresser et de s'épanouir dans des
limites appropriées ..Et pour cela,il eut le courage de sortir des
paysages des mots sonores,pour se lancer dans des cogitations
intérieures traduites dans des plaquettes d'une vigueur
insoupçonnée8(*)...
Enter-temps,et pendant que Mallarmé se préparait
à approfondir ses expériences du passé tout en se
persudant de la nécessité de se libérer totalement de
toutes les contraintes en matière poétique ,il eut la stupeur de
constater que le monde intellectuel et surtout la jeunesse qui
répugnait à patauger dans la routine,s'était emparé
de son nom comme le symbole de la réforme...
VII
Le nom de Mallarmé dans « A
rebours » de Huysmans.
Comment cela a -t-il pu se produire ?
Mallarmé,bien qu'il ait été digne
d'être célèbre,dès le début même de son
lancement dans le monde de la poésie en tant qu'amateur,resta pour
longtemps un poéte méconnu..sans avoir jamais pour autant
aspiré à la célèbrité...
Cependant,la jeunesse poétique était
déjà fort lasse de rabâcher toujours les mêmes
thèmes sur les mêmes rythmes..elle tendait alors à une
réforme de régénération ,de rajeunissement et de
renouvellement de la matière poétique,tant au niveau de la forme
que celui du fond..
Cette aspiration légitime poussait dès lors toute
la jeunesse assoiffée du rythme et de l'harmonie à se lancer
dans la recherche des thèmes hardis exprimés au moyen d'une
technique poétique pure et suprêmement originale..
On était las des romantiques comme des
parnassiens ;on était en quête d'un nouveau
système poétique,une pure conception de la
poésie,susceptible à la fois d'émouvoir et d'enrichir
l'esprit et l'âme,loin de cette platitude et de ces trivialités
mesquines qui régnaient alors9(*)...
Une poésie plastique,brute,crue et
matérielle avait fini en effet par lasser..mais une poésie
marquée par l'empreinte musicale ,fluide et souple,tel un fleuve dans sa
course effrénée,qui draine avec lui le bruit doux ,le clapotement
douillet sur les berges rudes et escarpées,telle était en effet
la nouvelle poésie que Mallarmé,en créateur
conscient,entendait concevoir dès le commencement de sa
carrière,et qu'il poursuivait avec la même audace,défiant
énergiquement toutes les oppositions..
Le roman naturaliste,qui avait pris son essor,grâce
à la plume pleine de verve et de force d'un Emile Zola et même de
ses disciples,et qui se répandait à gogo tant par sa nouvelle
forme que par son contenu
souvent grossier ,au sein de la jeunesse intellectuelle,qui
trouvait dans ce nouveau genre de roman,un appât savoureux pour leur
soif de renouvellement et une satisfaction suprême de leurs
désirs charnels...
Ce type de roman était devenu universel et rien ne
semblait cependant présager son effondrement progressif..
Karl Joris Huysmans,disciple fidèle de Zola,homme plein de
puissance d'imagination,de profondeur et d'exubérance,a fait publier un
jour un beau roman intitulé »A rerours »,lequel,tant
par le thème traité que par le style pathétique,attira
une foule de lecteurs hétérogènes..
L'auteur,par esprit de solidarité mais aussi
peut-être par complaisance avait laissé volontairement courir
sous sa plume le nom de Mallarmé,tout en faisant l'éloge de ce
poéte inconnu et méconnu jusqu'alors..Par ce geste
inattendu,Huysmans,sans le savoir,a scellé pour de bon la
destinée poétique de Mallarmé,vers qui depuis lors
commençait à affluer toute une jeunesse ,troublée et
extrêmement intrignée par la nouvelle technique poétique
pratiquée par le locataire de la rue de Rome10(*)..
VIII
La vie loin de Paris:les vraies tribulations d'un
professeur déçu.
Pourquoi Mallarmé a-t-il abandonné la technique du
Parnasse, ?
Mallarmé,qui, par la technique et la conception du
vers,était un parnassien jusqu'au bout des ongles,se
révèla par hasard être jaloux de son indépendance
intellectuelle..
L'alignement sur le système du Parnasse,système
devenu déjà au bout de moins d'une décade
sclérosé et stérile,ne suscitait plus désormais en
lui que réticence et une volonté à toute épreuve
d'émancipation..
Cet affranchissement s'opéra cependant graduellement
,lorsque à un certain moment,il s'écarta quelque peu de la
poétique du Parnasse pour adopter une nouvelle méthode qui
confirmât ingénieusement son attachement à sa propre
originalité..
Or,en dépit de ces aspirations vers une
émancipation totale vis-à-vis de ses amis parnassiens,qu'il
aurait pris justement en son âme et conscience pour une
défection ou une désertion déloyale,il se sentait
néanmoins comme enchainé malgré lui à leurs
traditions pratiques et même à leurs manières souvent
routinière et ressassées jusqu'à la
satiété...
Il sentait renaître en lui ce talent,ce désir
tenace,cette volonté invincible,cette tentation coriace de vouloir
réaliser quelque chose qui répondît en premier lieu
à la soif intellectuelle d'une jeunesse exubérante et
farouchement attachée à toute nouveauté,quelle qu'en
fût l'origine...
Il se rappelait un jour,lorsqu'il n 'était qu'un
amateur à la recherche de sa voie,avoir été reçu
par ce fameux éditeur Lemerre,sous les auspices de qui, le Parnasse
Contemporain était largement publié et diffusé et de but
en blanc,il lui a proposé de lui réserver dans cette fameuse
anthologie une place privilégiée,aux côtés non
seulement de Th.Gautier,mais aussi de ce maître incontestable et sublime
qu'il avait aim é et estimé jusqu'à
l'idolâtrie :Baudelaire.
Cette proposition submergea d'enthousiasme le jeune
Mallarmé,qui pensait dans dans son exaltation bruyante,qu'il allait
désormais être couronné de lauriers,devenir presque
l'égal de son maître duquel il gardait toujours
précieusement une petite photo usée constamment posée
sur un minable guéridon dans son petit appartement de la rue de
Rome..
Il s'empressa dès lors de faire exhumer les modestes
tentatives qu'il avait réalisées en poésie et les remit
à Lemerre,qui les publia intégralement dans le Parnasse de
186611(*),première
parution de cette brochure qui avait connu,malgré les atermoients dus
à la guerre et les difficultés majeures de tous genres,une
expansion honorable et une large diffusion parmi la jeunesse
cultivée..IL se rappelait alors cette exultation,gagnée au prix
de quelques poémes éphémères et dont la
technique,manquant en vérité d'originalité,ne gagnait
guère la faveur du lecteur du Parnasse..
C'était alors qu'il commença à chercher sa
voie dans ce monde complexe de la poésie..Baudelaire,qui régnait
en maître absolu,n'a rien encore perdu de son prestige et de sa
domination :c'était le seul génie ,l'unique virtuose
qui le charmât et le bouleversât jusqu'aux entrailles..
CHAPITRE DEUXIEME.
MALLARME,DISCIPLE DE BAUDELAIRE
N'est-ce pas ?Nous irons,gais et lents,dans
la voie
Modeste que nous montre l'espoir,
Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie.
Verlaine
I
La technique de Baudelaire et son influence.
Par une journée ensoleillée de 187612(*) et pendant que
Mallarmé,insouciant et distrait s'affairait gaiement dans son petit
studio de la rue de rome,,il entendit des coups répétés
sur la porte et,se dressant brusquement,se précipita pour
ouvrir :devant lui se profila une silhouette
dégingandé,maigrichonne et triste
Mallarmé,croyant d'abord qu'il s'agissait d'un pauvre
chemineau en quête d'une tranche de pain ou d'un gîte
provisoire,un de ces gueux qui pullulaient dans les coins sombres du vieux
Paris et dont le nombre,déjà spectaculaire ,s'était
considérablement accru après la guerre de 1871..
L'homme,aux regards pourtant intelligents mais sournois,sembla
deviner la réaction et l'embarras de mallarmé et d'un geste
furtif,il lui laissa entendre qu'il n'était qu'un visiteur en
quête d'un entretien amical..
Mallarmé,scrutant le visage émacié et la
barbe barbouillée de jaune de ce visiteur étrange,s'écarta
prestement pour lui laisser passage et l'inconnu,d'une démarche
titubante,pénètra dans le studion,suivi des regards
étonnés de Mallarmé,et,s'installant lourdement sur une
chaise en face du vieux guéridon,il déclara à
brûle-pourpoint...
---je suis Paul Verlaine13(*)..J'ai l'impression que vous n'avez jamais entendu
parler de moi.. !
---Mais..si..si..bafouilla Mallarmé ,tout en faisant des
gestes dénotant la courtoisie ,mêlée à une
stupéfaction évidente,qu'il cherchait cependant à
dissimuler derrière un sourire affable...
---J'ai voulu,reprit Verlaine d'un ton fluet,cherchant à
atténuer la confusion oû se trouvait Mallarmé,j'ai voulu
vous rendre cette visite impromptue pour vous dire que j'ai
déjà entamé l'élaboration d'un livre et dans
lequel je me propose de brosser un portrait de vous ,un portrait
véridique et sincère et,pour ce faire,j'ai encore besoin de
quelques information vous touchant de très près...
...Je suis,interrompit Mallarmé avec
empressement,entièrement à votre disposition et ce n'est pas un
service que je vous rends,mais plutôt un devoir,une obligation..
Merci,cher confrère,retorqua Verlaine,tout en souriant
béatement et se tournant soudain vers le guéridon oû se
tenait majestueux le portrait de Baudelaire..
---Ah !ah !Je vois qu'il est
là !S'exclama-t-il d'un ton bourru,Je vois que vous en
possédez un portrait
remarquable !Ah !Ah !Continua-t-il sur un ton
devenu soudain plutôt mélancolique,le grand ami...disons
plutôt notre maître à tous... !La dernière
fois que je l'ai vu,c'était un peu avant son départ à
bruxelles oû il comptait donner des conférences sur les
dernières transformations en littérature et oû il est mort
à la suite d'une paralysie cardiaque ...Ses restes étaient
aussitôt rapatriés..mais je n'ai pas assisté à ses
funérailles,ce que je regrette énormément..et puis je suis
parti en Angleterre en compagnie du jeune Rimbaud,dont je me suis
séparé en Belgique,après un conflit insignifiant qui m'a
opposé à lui,et à l'issue duquel j'ai écopé
trois ans de prison,d'oû je venais de sortir il y a quelques jours,..et
c'est pour cela que vous me voyez dans de telles conditions,et baissant
légèrement la voix,..c'est d'ailleurs un état dont je ne
me débarrasserai désormais plus jamais...
Après un long entretien,axé principalement sur les
débuts de Mallarmé en poésie ainsi que sur les divers
aspects de la nouvelle réforme,Verlaine,le poéte de la
grâce et de l'amour,s'empressa de prendre congé du pionnier du
symbolisme,lequel,après ce départ,se mit à revivre chaque
trait,chaque attitude et chaque geste de ce poéte étrange,tout
en se remémorant en même temps chacun des propos qu'il avait
avancés au cours de cette brève conversation..
Il n'avait pas vu Verlaine auparavant..mais il avait
déjà lu quelques poémes de lui dans le Parnasse,de courts
poémes qui se caractérisaient par une souplesse,une
ingéniosité,une hardiesse et une finesse ingénue,qui ont
étonné profondément le poéte de
« Divagations ».Il savait que nul mieux que Verlaine n'a
chanté l'amour,la tendresse sur un ton parfois puéril,mais qui
s'affirme par la finesse,l'élégance et
l'ingénuité...
Verlaine,au talent robuste,exubérant,poéte à
l'art consommé et prestigieux,..Verlaine,pour Mallarmé, est le
chantre des petites choses,des choses triviales en quelque sorte,mais qui
deviendront sous sa plume enchanteresse des choses divines et
extraordinaires..
II
Les thèmes traités
dans la poésie baudelairienne.
A la mort de Baudelaire,Mallarmé était
encore à Tournon14(*),pauvre
enseignant d'anglais,menant une vie ordinaire et paisible,mais heureux
d'être près de ses amis Félibres,mistral et Aubanel,et
même Roumanille,pour lesquels il vouait une sympathie et une admiration
sans bornes et en compagnie desquels il eut de nombreuses balades à
travers champs,débattant sans cesse des problèmes de la tradition
et du modernisme ; ;
Mais le rôle qu'a joué Baudelaire dans la
vie littéraire de Mallarmé est tout à fait exceptionnel et
déterminant et nul n'a exercé autant d'influence que lui sur le
jeune homme avide de poésie et de culture..et Mallarmé,sans
vouloir en aucune manière cacher cette influence
bénéfique sur son esprit,donnait plus d'une fois la preuve de
reconnaissance et de gratitude à l'endroit de celui qui lui avait
ouvert un nouveau chemin dans le monde de la poésie..
Quand les « fleurs du
Mal »parurent,Mallarmé ne croyait pas que romantisme,qui
était encore très en vogue en ce temps-là,et maintenait
jalousement sa mainmise sur le développement littéraire,allait
bientôt s'eclipser à l'apparition d'une nouvelle technique du
vers acompagnée de tout un arsenal d'idées et d'images ,que l'on
considérait à l 'époque comme autant de tabous et
qui allaient être librement exploitées dans la poésie..
Pendant qu'il était encore simple potache au lycée
de Sens,et dès qu'il fut initié à la poésie
baudelairienne15(*),par
une lecture distraite de quelques vers épars,Mallarmé
sentit,grâce à la condensation artistique et à
l'architecture géniale du vers,qu'une révolution presque
égale à la révolution politique de 1794 ne tardait pas
à se faire jour et à faire éclater en même temps
toutes les traditions séculaires,auxquelles il allait devoir substituer
une nouvelle forme de pensée et de créativité...
D'autant plus que,par la netteté,l'effusion
poétique,l'élégance du vers et le charme
pathétique du vers « Les fleurs du Mal » constituait
désormais un vade-mécum important pour la formation
poétique de Mallarmé..
Même l'étalage de l'expression pessimiste,l'angoisse
devant les problèmes de la vie,la fuite de ce monde vain et
grossier,l'amour de la solitude et la terrible détresse de l'existence
terrestre,tout cela trouva un écho profond dans le coeur et l'esprit du
futur maître du symbolisme..
Baudelaire,disciple et émule de Poe,ne cultive pas
seulement le sombre et le macabre,mais aussi le êrve idéaliste,et
son idélisme n'est pas figé et inerte,mais c'est un
idéalisme actif et sensible,c'est un idéalisme
mystique,profondément ancré dans un univers libidineux d'une
étonnante singularité..
Le culte du sexe,comme la vanité d'ici-bas,sont
inhérents à la nature de l'esprit de Baudelaire.
III
Le Parnasse est-il l'héritier de Baudelaire?
Baudelaire,en homme d'esprit et de talent,avait
entièrement renouvelé les thèmes romantiques,qu'il avait
sciemment dédaignés en raison de leurs banalités et de
leurs pleurnicheries outrancières...
Le thème de l'amour,qui avait été pour les
romantiques,le thème central de toute création
poétique,n'était plus désormais pour Baudelaire qu'une
notion vaporeuse et vide de tout sens logique...
Ainsi au lieu de suivre les traces des maîtres du
romantisme,en traitant l'amour sous son aspect sentimental et courtois,comme un
stimulant énergique,des bas instincts ou comme un élément
secondaire des désirs charnels refoulés,Baudelaire traita l'amour
comme un phénomène dépouillé de tout
sentimentalisme pur et hypocrite,susceptible non pas de revigorer les
esprits,selon les prétentions mesquines des romantiques,mais de jeter
l'homme dans un tourbillon d'illusions,de doutes et de mystifications
fallacieuses...
l'amour,pour Baudelaire,comme pour son fervent disciple
Mallarmé,était donc une imposture flagrante,une horrible
tromperie,un acte mensonger,enfin un prétexte trivial investi d'une
ombre de sortilège et d'aliénation arbitraire..
Le pessimisme mortel,effarant et sombre,dans la vie d'ici-bas,ce
pessimisme que l'on rencontre dans chaque vers de ce grand
réformateur,n'était pas en réalité dû
à sa haine du sexe faible,provoquée par le remariage de sa
mère après la mort subite de son père,c'était
plutôt une des conséquences de sa vie d'enfant orphelin,qui
semblait même regretter sa venue en ce monde de pourriture et de
débauche,c'était encore dû à l'environnement social
qu'il répugnait et l'effarouchait terriblement..
Ce pessimisme,en apparence distillé par une poésie
pure,mais chaotique,un coeur déchiré ,torturé et meurtri
par la déception de la vie,en un mot,son expression scintillante se
dissipe peu à peu derrière le voile de l'amertume et de la
douleur..
Mallarmé,pour qui les « Fleurs du
Mal » était la seule et unique source
d'inspiration,s'aperçut cependant qu'il y avait eu une étonnante
affinité,une communion profonde entre lui et son
maître,rapprochement au niveau des aspirations,comme au niveau de la
pensée et de la technique poétique..
Et pourtant,la contemplation de la nature moribonde ou de la
nature en pleine floraison,l'enthousiasme euphorique que l'on éprouve
en face de la beauté ou de chaque objet inanimé ou
animé,la satisfaction intérieure et la joie sublime qui font
reculer les frontières de la vie,le bonheur divin et intarissable que
l'on puise même dans le sein de la nature..tout cela est resté
dans l'ombre ou à peu près dans la poésie
baudelairienne ; ;rien de tout cela ou presque n'a
été scruté par la plume -si pleine pourtant de fiel et
d'angoisse-de Baudelaire :rien n'a été peint suivant
la manière des romantiques qui n'avaient pas cessé en fait
d'exalter la nature hospitalière et immortelle..
Mais,par contre,l'angoisse devant la mort,l'agonie des valeurs
humaines,l'ennui hideux que respire chaque chose de la vie,le règne du
mal et de la souffrance humaine,voilà les thèmes favoris de
Baudelaire et par là même,ceux que Mallarmé,avec un
génie tout particulier et un don original,a dû exploiter avec
vigueur et une verve inépuisable..
Mallarmé,attaché toujours au pas du
Maître,acheva,selon la conception artistique de ce dernier,de très
courtes piéces que l'on a jugées à juste titre comme
étant impeccablement travaillées..
les thèmes du Maître,toujours présents dans
l'esprit de Mallarmé,nourrissaient et galvanisaient constamment toutes
ses productions poétques.ýDe plus la technique du vers,qui
était le point essentiel et la régle fondamentale de ses
productions en matère poétique,est toujours celle du
Maître,sans jamais avoir le courage de s'en émanciper..du moins
pour un temps..considérant de bonne foi que c'est en effet la raison
d'être notamment de tous les poétes encore au seuil de leur
carrière... !
IV
Comment Baudelaire a-t-il rompu avec le romantisme?
L'Ecole Parnassienne ,issue d'une réaction contre la
platitude et la désuétude des clichés littéraires
du mouvement romantique,est une tentative heureuse de renouvellement et de
rajeunissement des lois inhérentes à la création
poétique..
En vérité,le Parnasse n'avait pas seulement
été émergé à la suite de la fameuse
théorie de Th.Gautier,illustrée en particulier par un petit
poéme ingénieux à quatrains intitulé l 'Art et
dont nous reproduisons les strophes les plus significatives :
Tout passe-l'art robuste
seul a l'éternité,
Le buste
Survit à la cité,
Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
demeurent
Plus forts que les airains ;
mais aussi avait trouvé sa source authentique dans la
poésie baudelairienne,laquelle,forcément a joué un
rôle de premier plan dans l'émergence et l'essor de ce mouvement
rénovateur...
De plus,le positivisme,alors en pleine
évolution,grâce au génie d'un Auguste Comte,était en
quelque sorte l'assise sur laquelle s'était érigé le
Parnasse avec toute une armature de principes et de préceptes..
Si la notion de l'art pour l'art était une notion
magique,qui avait séduit toute une génération de jeunes
poétes bouillant du désir de renouvellement et
d'originalité,elle n'en avait pas moins réduit l'état de
la poésie à une création empreinte
d'insensibilité et comme dépourvue de chaleur humaine..
En tout cas,bien que la perfection artistique et la beauté
de la forme,demeurent pour longtemps le crédo invulnérable des
parnassiens,ce qui avait contribué à les éloigner de la
masse des lecteurs qui étaient souvent avides d'une poésie qui
entretenait les ressorts des sentiments,les parnassiens,du moins les moins
fanatiques de la notion exclusive de l'art pour l'art,ont commencé
à répondre aux critères d'une réalité
poétique difficile à méconnaître..et peu à
peu,ont été amener à abandonner partiellement mais non pas
totalement,les aspects rigides et abstrus de leur technique,pour embrasser,sous
l'impulsion de quelques modérés,une forme poétique plus
souple et plus malléable à l'esprit du temps..
Les « Fleurs du Mal » ou encore
« Emaux et Camées » n'étaient en
réalité rien d'autre qu'un même instrument technique
visant à rénover et à élargir le système de
versification qui était alors en usage...Or,la pratique
du vers,était,avant l'apparition de la nouvelle
technique parnassienne,sous l'influence dominante de l'expression des passions
exubérantes ,et des idées fugitives,puisées dans
l'expérience sentimentale ou même l'imagination fulgurante du
poéte16(*)...
L'école Parnassienne était donc un
système,une doctrine,qui,au lieu de faire appel,pour son
développement, à la réalité
contemporaine,s'enfonça plutôt dans l'histoire lointaine du
passé oû elle s'étaity ingénié à
recueillir des thémes déjà révolus et
usés,mais auxquels elle avait donné,par un détour peu
ordinaire,vie et éclat profond...Les thèmes,légendaires ou
imaginaires,véhiculés par une longue tradition et conservatisme
culturel tenace,étaient en effet repris et traités de
nouveau,selon la technique nouvelle,oû l'on tenait compte rien que de la
forme,sans se préoccuper le moins du monde du contenu significatif ou
non17(*)..
Et c'est alors que l'on se rend compte de toute
évidence,lorsqu'on se remémore nos anciennes lectures,que les
thèmes abordés dans les « Fleurs du Mal »
sont caractérisés spécifiquement par une
pathétique et un regain de pessimisme humain..alors que ceux des
parnassiens,bien qu'ils nous rappellent en grande partie les thèmes
classiques,en raison des multiples survivances antiques et le rejet
déjà catégorique de la notion du
« moi »,sont loin de pouvoir s'apparenter ou de
s'identifier à tout ce qui touche aux souffrances de
l'humanité..
Mallarmé,tout comme Verlaine,au début de sa
carrière poétique,avait déjà embrassé cette
conception singulière de la poésie..
La Venus de Milo
n'était-elle pas de marbre ?
S'exclama ironiquement Verlaine,qui n'y croyait d'ailleurs
nullement,puisque toute son oeuvre fut marquée particulièrement
par le sceau de la transparence et de la clarté toute
simple..combinée subrepticement aux aspects multiples de la notion du
« moi »18(*).
Une poésie impassible,plate et manquant de sève
vitale et même foncièremenr dépourvue de tout stimulant
à la tendresse et à l'amour..
Promène qui voudra son coeur ensanglanté
Sur ton pavé cynique,...O plèbe
carnassière !
Je ne vendrai pas mon coeur ou mon mal,
Je ne livrerai pas ma vie à tes
huées !
Leconte de Lisle,dans un moment d'indignation,s'est
rebiffé pour de bon contre le romantisme larmoyant et lança cette
tirade si pleine de courroux et même de mépris à son
endroit..bien qu'il ne semble pas avoir oublié tout à fait que
l'empire du romantisme ait été encore plus fort,plus tenace
qu'il ne l'avait cru auparavant..et il se laissa plus tard-peut-être
instinctivement- prendre dans le traquenard du romantisme et à exprimer
ouvertement les troubles de son âme en révolte contre le temps
et la société,tout en dévoilant peut-être avec plus
de courage que ne l'avaient fait les romantiques ,les passions latentes qui
minaient son coeur d'homme gravement désappointé.19(*)..
On remarque dès lors que,plus que les parnassiens,qui
s'étaient spontanément engoués de la philosophie
positiviste20(*) dont ils
s'étaient inspirés pour édifier une conception peu
commune de la poésie,Verlaine et Mallarmé en
particulier,n'étaient pas du tout satisfaits de leurs conditions de
poétes satellites ou de sectateurs minables d'une politique et d'un
système poétique voués inéluctablement à
l'échec..
Leur dévouement pour la cause de la poésie et leur
attachement à des principes originaux,susceptibles de faire dynamiser la
poésie et à lui garantir une nouvelle renaissance fondée
sur les piliers de la raison et de la logique,enrichies et alimentées
par la mesure,le rythme et la musique,décidèrent carrément
de leur rupture inattendue et de leur défection vis-à-vis du
mouvement parnassien .
V
Comment Mallarmé a-t-il pris connaissance de
Baudelaire?
Si Baudelaire,tant par son style que par sa
technique,était resté romantique jusqu'à la fin de sa
vie21(*),malgré son
reniement manifeste,Gautier,quant à lui,s'en était violemment
détaché,pour poursuivre sa carrière de poéte,sur
une nouvelle voie,celle qu'il s'était tracé à
lui-même,en dépit de la nostalgie du passé vécu et
de son incursion éblouissante dans le
romantisme ; ;
Baudelaire,en s'affranchissant délibérément
de la banalité des thèmes romantiques,a
élargi,condensé le sens du vers,pour le rendre authentiquement
véhiculaire d'un monde de pensées et de sentiments
réalistes et vécus,sans le pouvoir de l'imagination qui souvent
déforme et exagère amplement la réalité des
choses..
Dés lors,il convient d'avancer sans risque de se tromper
que Baudelaire,quoiqu'il ait de la volonté de s'écarter du chemin
du romantisme,on s'aperçoit qil ne s'en était pas
écarté tout à fait et que toute son oeuvre,si monumentale
fût-elle,était en effet dominée par l'influence
obsédante du romantisme..
Toutefois,on doit à Baudelaire l'initiative hardie
d'élargir et de fructifier les thèmes traités par les
poétes romantiques,en leur insufflant un nouvel élan
énergique..
Et Mallarmé,dans ses premières tentatives
poétiques,s'est acheminé vers la même
conception, :exploiter les thèmes romantiques au moyen d'une
technique,d'une stratégie pratique,nouvelle,au point de faire oublier
catégoriquement tout vestige des romantiques..
C'est ainsi qu'il nous est loisible toutefois d'affirmer que
Baudelaire,en raison de sa nature physique,de son éducation,de son
environnement psychologique et social,a largement développé les
thèmes traditionnels ,en y introduisant une liberté,une force et
une atmosphère qui frise la perversité ,le libertinage et
l'érotisme charnel..
Dans l'oeuvre baudelairienne,on respire non sans
émotion,le parfum de l'amour meurtri,comme le sadisme
frénétique des âmes en quête de la volupté,de
la concupiscence extatique,enfin rien n'a été
épargné dans cette oeuvre,même le flambeau spectral de la
mort se dresse de temps en temps pour semer la panique dans les
coeurs22(*)..
Le rêve effrayant ou le cauchemar des âmes
nues,brutes,se promene librement dans la nuit profonde de la solitude
,l'image de l'horreur, alliée à celle de l'ennui morbide ,est
incrustée dans chaque vers des « Fleurs du Mal » et
si cet aspect funèbre de la poésie ne fut pas exploité
avec force détails par les romantiques,Baudelaire,par contre,qui a
puisé tout son génie dans les caveaux funèbres d'E.Poe
s'est laissé griser par la volupté,une volupté farouche
de tout ce qui respire le cadavre et la pourriture terrestre..
C'est cet aspect de sa poésie qui a fait que Baudelaire
fût avant tout un novateur et un profond visionnaire d'un monde encore
inexploité et vierge,un vaste paysage couvert d'ombres
épaisses,rudes et impénètrables,qu'aucun poéte
français avant lui n'avait eu l'audace d'y accéder...
VI
Mallarmé s'est-il laissé influencé
par Baudelaire.
Dès le commencement de sa carrière de poéte
et bien avant même de sentir naître en lui ce penchant vague pour
la poésie,Mallarmé,nous l'avons bien dit,éprouva un
engouement irrésisitible pour le poéte des « Fleurs
du Mal »dont il n'avait pas pu se départir même
à l'apogée de sa gloire.
Dès son enfance,il trouva que la lecture de
cette oeuvre immortelle constitue pour lui une étape primordiale dans
sa vie..et trouvant toujours un plaisir constant à se
désaltérer dans les méandres de ces vers vigoureux,qui
charriaient incessament des rêves et des ombres fantasmagoriques des
revenants,mêlés à des impressions de douleur
éternelle,il s'attachait exclusivement à ce poéte de
génie et ,de même que V.Hugo dans son enfance,qui avait
naîvement juré de devenir l'égal de
Chateaubriand,Mallarmé,oubliant presque son exclamation d'antan ainsi
que le nom de Béranger,se complaisait à imiter le
maître,sans jamais chercher à atteindre son génie..
ëtre l'émule du maître,c'est le seul
voeu que Mallarmé exprima dans son âme résignée..
à aucun moment,il n'avait mis en tête qu'un jour il serait investi
du même prestige et du même laurier que le grand
maître...
Les poémes contenus dans les « Fleurs du
Mal » avaient pour le jeune homme,toujours assoiffé du
plaisir de la vie et de la volupté immatérielle et fugitive-un
empire inexorable,un pouvoir d'attraction invincible,d'autant plus qu'ils
étaient devenus au fil des jours,une source constante oû se
retrempait spirituellement sa force défaillante et de renaître
de nouveau de cet avachissement ,de ce désarroi mortel que lui grava
dans le coeur le pénible labeur de l'enseignement,au milieu d'une horde
de garnements insolents et sauvages..
Après les séances de classe,il rentrait,fourbu de
fatigue,et le coeur avide d'un moment de répit,pour s'adonner ensuite
à la lecture de l'oeuvre baudelairienne,qui demeura pour toujours son
seul compagnon dans la solitude et l'ennui...
C'est dans cette oeuvre qu'il puisa l'exaltation de son
âme juvénile,et oû il trouva encore l'apaisement charnel,la
jouissance qu'il cherchait avec fureur par le biais du rêve et de
l'illusion...
Pendant que des Mortels,la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir,ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur,donne-moi la main,viens par ici..
C'est là en effet une consolation évidente,un baume
tonifiant répandu sur la blessure douloureuse qu'il traînait avec
lui,durant presque toutes les années qu'il avait passées en
dehors de Paris,assumant la minable sinécure de professeur
d'anglais,s'abritant dans des logis parfois vétustes et
délabrés..
ýCependant Baudelaire était toujours
là,à guetter et à prévenir ses désirs et
c'était lui seul,en qui Mallarmé cherchait et trouvait le grand
réconfort dont son âme tourmentée avait besoin23(*)...
VII
Le réalisme exotique dans la poésie
baudelairienne.
Le pessimisme sombre qui s'exhale spontanément de la
poésie baudelairienne,la puanteur fétide et
cadavérique,mêlée à de continuelles
jérémiades d'un coeur sous l'empire du désespoir et du
déchirement : tout cela avait entraîné
forcément Mallarmé dans un vaste univers,plein de pensées
et d 'image fantastiques,oû il se baignait avec ivresse...
Baudelaire,par son oeuvre peu commune, qui exprime un
érotisme vertigineux,allié à la haine et au mépris
vengeur d'un monde vil et malsain,exalte et exulte le futur géniteur
d'«Igitur » :
Mais,hélas ;Ici-bas est
maître :sa hantise
Vient m'écoeurer parfois jusqu'en cet abri
sûr,
Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l'azur.
Cet écoeurement,cette haine profonde de la Bêtise
et de tout ce qui est mesquin et bas,sont nés chez
Mallarmé,à la suite de la lecture de l'oeuvre
baudelairienne..
La métamorphose de l'esprit
mallarméen,apparaît d'emblée au niveau du choix des termes
poétiques,de leur usage méthodique et de leur exploitation
rigoureuse,en vue de l'expression des sentiments ,non pas fictifs ou
factices,mais nés dans le coeur même du poéte...
Donc son évolution,de disciple ardent,émule d'un
maître chevronné et vétéran éminent de la
pensée humaine, s'est cristallisé autour du désir de
rejoindre le maître jusqu'au faîte de la perfection
artistique.24(*).
Constatant que la conception d'une nouvelle forme poétique
était devenue effectivement une réalité
concrète,grâce au génie surnaturel de
Baudelaire,Mallarmé s'est évertué ingénieusement
à vouloir coûte que coûte aller plus loin que le
Maître...
Il avait alors déployé d'immenses efforts pour
sortir du sillage du maître et concevoir une méthode plus
personnelle et réellement appropriée à la nature de son
esprit...
Ainsi,après avoir longtemps suivi les pas de
Baudelaire,Mallarmé était parvenu,au prix de rudes
labeurs,à se rendre compte qu'il n'était pas loin de se
rapprocher de l'originalité,bien que ses productions,si minimes
fussent-elles,aient été encore tributaires de la pensée du
Maître ; ; ;
La nature est un temple oû de vivants
piliers....
Ce sonnet qui avait de prime abord séduit l'esprit de
Mallarmé,ne lui a jamais suggéré l'idée d'une
nouvelle stratégie poétique,mais cependant,par sa vision
étrange,par la pensée exprimée,Mallarmé sentait
peu à peu renaître en lui un éclair,une sorte
d'illumination vaguement prophétique,mêlée à une
force suprême,irrésistible,qui le poussa malgré lui
à fouiller hardiment dans la contexture de ce sonnet un simple
indice,susceptible de le mettre sur la voie d'une nouvelle réalisation
poétique.
Il avait beau chercher,examiner méticuleusemernt chaque
parcelle d'idées,péser chaque vers,jauger chaque
césure,pénètrer plus à fond dans le sens de chaque
expression,mais en vain,..Rien ne s'estompait avec clarté dans les
horizons de sa pensée ý,au contraire,plus il se sentait comme
stimulé par une volonté inflexible,plus il s'apercevait avec
regret que ses multiples soins n'aboutissaient en fait à rien,sinon
à le rendre davantage malade et désespéré..
mais un jour,après avoir achevé la mise au point
d'un poéme,il se rendit compte que la tactique ,l'inspiration,la
chaîne des significations,le choix expressif des termes,employés
cette fois dans ce fragment ,ne ressemblaient en rien à ceux
employés par le Maître et comme pour s'assurer davantage de cette
trouvaille ingénieuse,il se pencha sur son poéme,qu'il se mit
à déchiffrer avec une munitie impeccable,un pointillisme
extrême,comme s'il n'en avait pas été l'auteur et une fois
de plus,il remarqua avec stupeur que le poéme ou plut$ot le morceau qui
est sous ses yeux et entre ses mains,était entièrement
élaboré d'une manière tout à fait originale, et
ne s'identifiant en aucune manière à la tecnique
baudelairienne,ni non plus à celle qui était plus
particulièrement en usage parmi less poétes contemporains..
Et d'un geste,il s'essuya le front,d'oû
perlèrent quelques gouttes de sueur..Enfin,la persévérance
a produit ses fruits25(*). !
VIII
Le prestige de Baudelaire et sa présence dans la
poésie mallarméenne.
Une des multiples qualités de la poésie
baudelairienne,c'est à coup sûr son exotisme fantastique,son
parfum obsédant des terres lointaines,qui se dessinaient insensiblement
dans les régions obscures de son cerveau en ébullition..Cet
exotisme ou plutôt ce goût rare,cette tendance à faire des
tentatives mêmes aléatoires dans les paysages marécageux
dans l'au-delà des frontières d'un autre univers,avait amplement
nourrit sa poésie d'une saveur encore plus stimulante et plus
énergique..ce qui a conféré à cette oeuvre un sceau
particulier et une renommée sans démenti..
De plus,rien n'a échappé au poéte des
« Fleurs du Mal »qui a su exploiter avec adresse la nature
pittoresque d'un autre univers que celui dans lequel se baignaient indolemment
les poétes de son temps..
Il a fait éclater les limites du temps et de
l'espace..Toute démarcation est désormais abolie..tout tabou est
abattu,pour jouir librement et sans vergogne de tout ce qui lui offrait son
génie créateur...
S'il a lâché ainsi la bride à son
imagination,qui est très puissante et fertile en images
poétiques,c'est qu'il voulait en réalité dévoiler
un secret longtemps obscur et inaccessible pour sa
génération.. :mettre en relief les aspects multiples
et complexes d'un monde luxuriant d'images érotiques,estompées
sur un vaste paysage exotique..
Ce réalisme exotique,qui avait vivifié plus d'une
l'imagination pittoresque de Mallarmé,a répandu un engouement peu
commun parmi les poétes parnassiens,qui se sont ausstôt
penchés avec zèle sur ce phénomène nouveau,quils
ont cultivé à profusion sans jamais réussir à
atteindre le génie de Baudelaire..
Mallarmé,s'engagea plus tard dans la même voie,pour
se dévouer en quelque sorte à une poésie sans
stéréotypes ni banalités..la sublimation de ce
thème s'affirma essentiellement dans « l'après
-midi d'un Faune 26(*)» oû le poéte donna libre
carrière à ses facultés créatrices...
Néanmoins,en dépit de sa volonté de
s'émanciper du maître,Mallarmé est toujours resté
attacher,non seulement aux principes rigoureux qui avaient prévalu dans
l'oeuvre baudelairienne,mais aussi à ce goût étrange de
vouloir remuer délibérément les entrailles du lecteur,
attisant en lui les flammes de la luxure et la recherche passionnée du
plaisir de la chair..
Baudelaire a entrepris des périples lointains dans son
imagination,pour découvrir d'autres terres et d'autres cieux,qu'il s'est
attachéà peindre avec amour et exubérance,comme s'il
voulait leur imprimer une vie réelle,une existence authentique pour
séduire et fasciner le lecteur..
Et dans ce cas,on peut juger à juste titre que
Mallarmé avait effectivement succombé sous le charme influent de
cette poésie exotique,d'oû il a dû puiser sans jamais
s'être assouvi..tellement,tel Baudelaire sous l'empire de la drogue,dont
il avait fait l'éloge maintes fois dans maints articles
divers..Mallarmé crut un instant n'avoir pas la force nécessaire
pour y résister..
L'exotisme baudelairien a implacablement exercé tant
sur Mallarmé que sur les poétes du temps une attraction,un
magnétisme qui frise la sorcellerie.C'est en fait un envoûtement
irrésistible et pathétique,qui a profondément
bouleversé Mallarmé,lequel,malgré lui,s'est laissé
prendre dans ce déluge incommensurable,sans omettre toutefois de rendre
-du moins indirectement-hommage au maître,pour l'avoir initié sans
le savoir à un phénomène dont il n'aurait jamais
pensé...
La valeur de cet exotisme réside toute entière dans
la peinture mouvante d'une réalité crue..d'un
événement exceptionnellement surnaturel qui s'incruste
forcément dans la mémoire des hommes ..C'est en effet cet
exotisme irréel et fictif que Mallarmé a ingénieusement
développé avec d'amples détails dans la majorité
de ses minces élucubrations poétiques..
IX
Grandeur et prestige de la poétique
baudelairienne.
L'extase lubrique oû se baigne la poétique
mallarméenne,le parfum captieux qui sourd de chaque vers du
poéte de « L'après-midi d'un faune »ainsi que
la morosité morbide,jointe à une désespérance
existentielle,tout cela nous conduit à déduire avec justesse que
Mallarmé était comme mû ou hanté par des
reminiecences baudelairiennes...
La fameuse oeuvre de Baudelaire « Les Fleurs du
Mal » avait marqué de son empreinte indélébile
toute une génération de poétes,qui y ont trouvé
leur inspiration,en exaltant leurs sentiments juvéniles et provoquant
en eux un enthousiasme profond pour une poésie
sérieuse,vigoureuse ,pleine de sève et de vivacité,loin
des pleurnicheries grotesques et les épanchements larmoyants des
poétes romantiques..
Baudelaire,tant pour sa génération que pour celle
qui lui succédera,demeura un modèle de génie,un
vétéran sans pareil dans le monde l'innovation poétique,et
dont l'imitation n'est pas accessible pour les prosélytes,mais
plutôt pour une poignée d'initiés,rompus dans l'exaltation
des sens physiques comme dans les aspects métaphysiques de l'âme
et au premier rang mallarmé,dont l'attachement,l'engouement infini,la
dévotion même pour ce grand maître,demeureront constants et
immuables...
Baudelaire,tiraillé et même honni par une
catégorie de critiques virulents,qui avaient trouvé dans sa
poésie une conception non conforme à la tradition
française,avec en plus une évocation inépuisable d'images
de ribauderie orgiaque et de basse immoralité ,et qui l'ont
attaqué dans des pamphlets d'une truculence mordante,ne se
désespéra nullement pour continuer-avec une obstination quasi
cynique- à démontrer la justesse de sa nouvelle conception de la
poésie..En outre,sachant à bon escient qu'il avait affaire
à des folliculaires coriaces et ignares,qui n'avaient même pas
pris la peine de comprendre et de goûter à loisir son oeuvre et
qui préfèreraient par contre se confiner dans une ignorance
aveugle et incurable,a dédaigné pourtant de réagir avec
vigueur et déclara placidement que :
Le poéte est semblable au prince des
nuées
Qui hante la tempête et se rit de
l'archet ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de
marcher...
C'est une réponse sincère et calme faite
à ses détracteur..
Mallarmé,quant à lui,alors qu'il était
encore à Avignon,éprouva du mépris pour une telle
catégorie bornée et qui ne voyait pas au-delà de leur
bout de nez..Il n'avait pas encore la faculté ni la disposition
nécessaire pour défendre le maître,déjà
vieilli et au terme de sa vie mouvementée..
Ainsi,faisant la sourde oreille à ces dénigrements
et à ces attaques inspirées par l'envie et la mauvaise
foi,Mallarmé,semblait trouver chaque fois qu'il relisait les vers de
Baudelaire,une vitalité,une énergie ,un aiguillon vivace,qui
galvanisaient davantage sa veine poétique..
Pour lui,bien qu'il ait pris plus tard ses distances
vis-à-vis du maître,pour pousuivre le labeur de réforme de
la poésie française,en vue de la faire sortir-comme l'avait
déjà fait son maître au commencement de sa
carrière-de la routine ,du marasme rébutant,de son système
monotone et rigide,bref de cette inertie déconcertante oû elle
se trouvait enlisée : cependant les principes et les
régles du Maître sont pour lui autant de flambeaux qui lui
éclaireront la voie oû il s'est engagé...L'image de
Baudelaire resta constamment présente dans son esprit et toute sa
poétique,avec son atmosphère de musique magique,d'élixir
psychique,de fascination érotique et d'apparitions cauchemardesques et
spectrales,respire l'influence obsédante des « Fleurs du
Mal »27(*)
CHAPITRE TROISIEME
MALLARME ET LA POESIE CONTEMPORAINE.
Non,il fut gallican,ce siécle,et
janséniste !
C'est vers le Moyen Âge énorme et délicat
Qu'il faudrait que mon coeur en panne naviguât,
Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste.
VERLAINE
I
Mallarmé est-il poéte de vocation?
Le talent poétique de Mallarmé est
incontestable...Sa verve,jointe à un pouvoir réel sur les
mots28(*),se
déchaine avec souplesse et rigueur..
Lorsque son inspiration est en fureur,il connaît le moyen
de la tempérer et de l'orienter avec justesse vers le but qu'il s'est
proposé..
Cette vocation,bien qu'elle ait été innée et
naturelle 29(*)chez
lui,n'en fut pas moins polie et galvanisée à force de travail et
d'application..
Mallarmé,il est vrai,est né poéte et nul
n'osa affirmer le contraire,même ses détracteurs les plus
féroces, il est né poéte,en ce sens que,de très
bonne heure,il se sentait comme poussé par le désir de dire des
vers,..il est né poéte,par le fait que,tout tout ce qui se
mouvait en lui,les idées comme les sentiments,étaient
enveloppés d'un nimbe de paroles rythmiques et modulées..il est
né poéte enfin,par cette inclination naturelle et puissante,et
à laquelle il obéissait bien volontiers dès sa prime
enfance,vers la lecture avide de tout ce qui est poésie et grâce
à laquelle,une révélation fulgurante émergea des
profondeurs de son inconscient pour se cristalliser en ces trois vers
significatifs :
j'errai donc l'oeil rivé sur le pavé
vieilli,
Quand,avec du soleil aux cheveux,dans la rue
Et dans le noir,tu m'es en riant apparue...
Cette extase,aux dimensions surnaturelles,éclata dans les
abîmes de l'inconscient,pour apparaître ensuite,tel un revenant
à l'aspect familier,devant ses yeux éblouis.....
Cette vision paisible et sereine,dans le fond des rêves
divins,avait pris,aux yeux de « l'enfant
gâté » une forme matérielle,éclose et
épanouie,pour atteindre enfin la nature d'un astre pétillant de
splendeur et de clarté,l'une des caractéristiques fondamentales
de la poésie mallarméenne..
Car la poésie, pour Mallarmé,est la sève de
la vie,c'est le sang même de l'univers et son expression la plus
pure..d'oû il apparaît que le poéte de
« Divagations »ne semblait pas du tout exclure de la
poésie toutes les déviations ou perversions mentales,même
la folie,qui, se traduisant en fait par le délire
intellectuel,incohérence verbale,psychique ou inconsciente,demeure en
dernier ressort une des formes de la poésie pure...
Cette impression réaliste,il l'a recueillie sous la plume
de son Maître Baudelaire,qui était loin de renier son penchant
à faire l'apologie de la folie..
Donc, pour tout dire, son amour pour la poésie n'est pas
accidentel ,né en quelque sorte de quelques circonstances
aléatoires,il est au contraire né avec lui,mais il s'est
manifesté avec plus de force au contact de l'oeuvre baudelairienne..
Plus il lit,plus son amour et son attachement pour la
poésie s'accroissent et s'affirment au point que,à certains
moments,un flux de vers déferle spontanément de son esprit en
feu.,brûlant d'exhaler le poids qui pèse sur son coeur de jeune
homme,condamné malgré lui à faire le triste métier
d'enseignant pour pouvoir subvenir à ses besoins ..Alors
l'écriture,alliée au désir profond de se faire
prévaloir par son esprit et son talent peu commun,lui conféra
la garantie d'une vie oû l'on aura du moins la possibilité de
pouvoir exprimer les mouvements de son âme en peine...
II
Mallarmé et les poétes du temps.
Leconte de Lisle,pour lequel Mallarmé ne manqua pas
d'ailleurs d'avoir de l'admiration,pour avoir régné par son
génie inlassable,sur toute une génération de jeunes
poétes,avec presque autant de constance que Baudelaire,était lui
aussi résolument déterminé à préserver le
prestige de la poésie française,en l'affranchissant des scories
et des clichés idéalistes des romantiques..
Ainsi à la tête des parnassiens,qu'il
éclairait par sa volonté et sa persévérance
imbattables, de Lisle entama un retour vers le classiscisme,d'oû il
puisa largement les principes universels de l'art...Dès lors,tous les
parnassiens,de J.M.de Herédia,qui s'était acharné à
produire de petits chefs-d'oeuvre admirables qu'il avait réuni sous le
titre évocateur « Les trophées » à
Sully Prudhomme,lequel cependant,par moments,s'est délibérement
écarté de la voie tracée par le maître,pour se
dévouer aux effusions larmoyantes des romantiques,avaient suivi les pas
de Leconte de Lisle,dans sa technique aussi bien que dans sa conception de la
poésie,oû la peinture de l'objet,tel qu'il se présentait
à l'oeil nu,devait être faite en toute objectivité,sans y
introduire le moins du monde les sentiments..
Cette munitie,cette précision ingénieuse,jointe
à cette rigueur dans la forme,étaient autant
d'éléments principaux qui avaient consacré la valeur de la
poésie parnassienne..
Même le rythme et la discipline stricte qui frise le
fanatisme intellectuel,dans l'ordre des idées et la disposition sans
accroc des strophes,sans être alourdies ni par des enjambements ou des
cesures ni par aucune entorse aux canons essentiels de la poésie
classique--avaient contribué à rendre l'autorité des
parnassiens plus insigne et plus crédible,se conformant ainsi
strictement aux injonctions contenues dans le fameux quatrain de
Th.Gautier.
Sculpte,lime,cisèle,
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant..
Mais en dépit de leur culte de la perfection artistique,et
de leur désir ardent de rendre à la poésie sa
suprêmatie qu'elle avait toujours conservée durant des
siécles,en lui conférant une mission plus haute et plus
humaine,les Parnassiens n'avaient pas réussi à conquérir
le suffrage général de leurs contemporains..
La vision philosophique du monde,qui d'ailleurs
n'intéressait qu'une élite initiée,et qui de plus
n'expliquait en rien les phénomènes surnaturels qui
préoccupaient perpétuellement l'humanité,est une vision
irréelle et dépendra bien plus de l'imagination que de la
réalité cosmique..
Tout cela a fait que la poésie parnassienne,malgré
sa rigueur et ses multiples appels à l'esprit,la profondeur de
l'expression et l'exactitude des idées,qu'étayait constamment
une métrique savoureuse et sans tache,impeccablement riche de toutes les
sonorités harmonieuses,n'ait pas séduit le coeur du
public,toujours avide par ailleurs de la nostalgie romantique et mû par
un penchant naturel vers tout ce qui flattait sa sensibilité et
réveillait en lui les sentiments d'amour et de pitié..
C'est alors que,au milieu de cette métamorphose
spectaculaire,de ce vaste mouvement poétique,qui n'avait pourtant pas
encore atteint le pinnacle de l'apothéose,mais qui luttait
inlassablement pour y parvenir,seuls deux poétes,en l'occurrence
Mallarmé et Verlaine,très sceptiques quant au succés du
Parnasse,dont ils avaient d'ailleurs adopté les principes et qui
sentaient alors comme par intuition que le Parnasse s'acheminait vers un
déclin imminent,décidèrent dans un moment de lassitude de
s'émanciper de ce mouvement,pour réaliser eux-mêmes leur
propre conception de la poésie et essayer en même temps
d'atteindre un large public..
III
Mallarmé s'applique à suivre la mode du
temps.
La poésie parnassienne,qui avait évolué sous
la férule de Leconte de Lisle,a conquis du moins pendant un certain
temps un public intelletuel,déjà blasé par les effusions
lyriques des romantiques mais toujours avide de la noblesse classique,trouva
en effet dans la poésie parnassienne le parfum envoûtant des
âmes et des choses révolues..
Mallarmé,alors fidèle au Parnasse et à la
stratégie parnassienne,se lança,lors de sa première
production poétique dans le sillage de ses augustes
prédecesseurs,sans pour autant succomber à cette fasination
magique qu'exerça sur les esprits la nouveauté originale du
Parnasse..
Cependant,en dépit de sa haute contribution à la
poésie parnassienne,Mallarmé,qui avait d'ailleurs publié
un petit nombre de poémes au charme attachant et impeccable dans le
Parnasse contemporain,demeura dans l'ombre,sans jamais réaliser la
moindre parcelle de notoriété..
Cette contradiction,ou pour mieux dire cette déveine
inattendue n'entama en aucune façon sa persévérance
,nourrie de patience et du sens de la résignation..
Tout comme Verlaine,qui regardait la poésie comme un
délassement intellectuel salutaire et non pas un moyen
lucratif,Mallarmé n'aspirait pas à la gloire ni au profit
matériel tout au moins au début de sa carrière..
Le puritain Mallarmé,encore tout ébahi des tirades
spectaculaires de Baudelaire,n'était pas encore pret à imiter le
maître,lequel grâce à une imagination ardente,avait
longtemps pataugé dans la fange de la luxure et de la
lubricité.
L'ivresses des sens,la rumination des images sensationnelles et
pittoresques,la conception d'une poésie qui parle au coeur et à
l'intelligence,tout cela n'était qu'un projet en état de
gestation dans son esprit ; ;
Le positivisme et ses effets pittoresques,étayés
par un idéalisme purement intellectuel,l'imitation abrupte des arts
plastiques,avec çà et là,l'introduction d'un parfum
d'exotisme lointain et caduc,la rigueur dans l'élaboration de chaque
vers,comme un laboureur méthodique qui suit avec une extrême
vigilance la symètrie des lignes,tout en y répandant une semence
pure et fertile,voilà encore les régles précises
auxquelles Mallarmé,au début de sa vie littéraire,avait
donné une importance notable,sans toutefois dédaigner de suivre
de plus près son humble génération qui se cramponnait,tel
un lierre autour d'un arbre suranné,à la doctrine
parnassienne...
Ses amis,tels que Léon Dierx,qui sera plus tard
élu « Prince des poétes »Catulle
Mendès,l'ami de toujours,celui qui savait tout sur Mallarmé
L.X.de Ricard,qu'il ne voyait cependant pas toujours,en raison de ses multiples
préoccupations liées à son métier d'enseignant,
tous avaient pour Mallarmé beaucoup de respect et de sympathie
Ainsi,au milieu de cette foule de poétes,qui
s'ingéniaient vainement à se faire prévaloir aux yeux de
la masse des lecteurs,Mallarmé,toujours réticent et
éperdu,sans pouvoir avoir assez de courage pour rompre la corde
ombilicale qui l'attachait à ses amis parnassiens ,poursuivait de temps
à autre ses petites productions à la mode du temps...
Cependant H.Cazalis et même V.de Lisle Adam,avaient un jour
flairé l'indice d'une défection prochaine de la part de
Mallarmé,mais ils n'étaient pas tout à fait sûrs de
leur vague intuition et sans manifester de jalousie à l'égard de
celui qui évoluait en silence au milieu d'eux,continuaient à
entretenir avec lui des relations d'amitié sans ombre...
IV
Le régne et l'influence dominante du
Parnasse;
Le Parnasse,comme je l'ai souligné à maintes
reprises dans les pages précédentes,est issu,d'une part de
l'oeuvre maitresse de Th.Gautier « Emaux et Camées »
dans laquelle généralement les poétes du temps avaient
largement puisé la technique rigide de la structure du vers ainsi que
le goût pour une thématique exotique,liée plus
particulièrement à l'univers physique et d'autre part de
Baudelaire et spécialement de son chef-d'oeuvre les « Fleurs
du Mal »,oeuvre qui a profondément marqué cette jeune
génération,d'ailleurs toujours en quête du sublime et du
spectaculaire...
Or,ce qui a le plus particulièrement séduit les
futurs parnassiens dans l'oeuvre baudelairienne,c'est ce raffinement
harmonieux,cette luxuriance verbale,ce déluge houleux d'un monde
d'idées fantastiques et universelles..
Les emprunts multiples qu'ils avaient faits alors tant dans
l'oeuvre de Th.Gautier que dans dans celle de Baudelaire et leur combinaison
parfaite,ont conféré à l'oeuvre parnassienne une haute
valeur intellectuelle et pratique,qui lui assuré la reconnaissance de
la postérité..
Après le déclin du prestique romantique,qui fut
accéléré par les frasques et les fades galimatias de
quelques imitateurs maladroits de Lamartine et de Musset,l'essor de l'Ecole
Parnassienne semblait à coup sûr assuré,tant par la
présence sur la scène de grands poétes philosophes,tels
que Leconte de Lisle lui-même,Sully Prudhomme et François
Coppée,que par d'autres poétes de moindre importance,mais qui
étaient néanmoins très soucieux de la
perfectibilité et de la rigueur de la discipline métrique..
Ainsi,cette expansion de la poésie
parnassienne,n'était pas,comme on a pu le voir,le fait du hasard,elle
était au contraire munitieusement préparée et la
transition entre un romantisme en décrépitude et une
poésie parnassienne vivifiante et vivace,fut achevée sans trop
d'accrocs ou de pénibles controverses,car l'état désuet et
moribond du romantisme a rendu plus aisée cette transition qui fut
d'ailleurs irréversible pour toute une génération de
poéte..Mais la grandeur et la décadence du classicisme,qui
continua cependant,telle une âpre obsession,à péser de tout
son poids sur l'esprit de cette génération,à tel point
que,nourris qu'ils étaient des valeurs impérissables de cette
culture et de ces traditions immémoriales,ils restèrent
fidélement attachés à l'essentiel des principes de de
leur jeunesse,de ces principes qui avaient éclairé l'histoire de
la France depuis des siécles et qu'ils avaient eux- mêmes
défendus énergiquement contre l'incursion de nouvelles habitudes
et de nouveaux dogmes qu'ils jugeaient comme étrangers et nuisibles
à l'esprit français..
C'est en effet pour concilier les deux pôles :la
préservation des principes séculaires et l'enrichisement
continuel de ces principes ;que les parnassiens avaient fondu dans leurs
vers l'essentiel des idées classiques ; ;
Les parnassiens étaient certains que leur oeuvre de
réforme et de rénovation séduirait le public
intellectuel,lequel,de par sa formation,était souvent sujet à
cette nostalgie du passé glorieux de la France
littéraire ; ;et si l'on va encore plus loin dans notre
analyse,nous remarquons que cette fusion-et dans ce cas du moins les
parnassiens ne s'étaient pas trompés-a constitué la
garantie fondamentale de leur renommée et de leur survie pendant plus
d'une décennie tout au long de laquelle ils avaient joui d'un prestige
éblouissant...
CHAPITRE QUATRIEME
MALLARME,PIONNIER DU SYMBOLISME
Tu marchais,l'oeil tourné vers la vie
étoilée !
Leconte de Lisle
I
Les illuminations de Mallarmé.(Agitation et
vision cauchemardesque.)
Une poésie sur le modèle parnassien,oû la
peinture des choses vagues,des objets au contour imprécis et les
spectacles aux ombres ondoyantes et ténébreuses,
hérissée de phénomènes pris dans l'histoire
mythique et légendaire30(*) d'un univers révolu,cette peinture à
laquelle la poésie parnassienne avait institué des bornes
infranchissables s'est avérée pour Mallarmé impuissante
à faire sortir la pensée de la sphère étroite
oû elle languissait.
La hantise,l'unique objet des soucis constants de
Mallarmé,c'était de pouvoir aller au-delà des
frontières de cette poésie,harmonieuse et universelle
certes,cela est incontestable,mais qui porte inéluctablement le germe
de son mal,sinon de sa ruine,à savoir son caractère impassible et
hautain,sa nature rigide et ankylosée,qui dénote,selon
Mallarmé,une défiance manifeste,une incompréhension
réelle du génie humain,sujet à l'émotion,et qui ne
pouvait jamais passer outre du langage dans des limites logiques ni non plus
de l'expression des souffrances sempiternelles de la condition humaine...
Pendant longtemps et surtout depuis son invitation par
l'éditeur Lemerre à participer et à collaborer à
la parution de la première série du « Parnasse
Contemporain »Mallarmé n'a jamais cessé de se
tourmenter par ce problème crucial,à savoir la conception d'une
poésie qui dépassât en raffinement et en valeur la
poésie des parnassiens...une poésie enfin qui fût le
miroir authentique et l'expression vraie des luttes internes que livrait
sourdement le poéte moderne contre les affronts du temps et les
tourments d'une destinée implacable..
Par une de ces nuits pluvieuses de 188431(*),alors que le vent
gémissait et hurlait inlassablement à travers les interstices de
la seule fenêtre de la chambre oû il dormait,harassé par
une journée de travail routinier au lycée
Fontanes,Mallarmé,dans un état d'inconscience totale,s'agitait
vertigineusement dans les draps de son lit,alors que son esprit,traversé
par des éclairs intermittents,sombrait dans la contemplation d'un point
vague,estompé dans les horizons lointains de s rêves extatiques
et,comme guidé par une force mystérieuse,il tendit la main,pour
s'emparer,dans un effort ultime,de ce point étrange,qui s'est
métamorphosé auusitôt en une étoile
scintillante,pour disparaître rapidement derrière le rideau
nuageux des nuits infinies...
Soudain,dans un sursaut,il s'arracha à son sommeil,et se
remémorant ce qui s'était passé dans le méandre de
ses rêves fantastiques,il se hâta de déduire qu'il venait
justement de saisir la clef de l'énigme,et ces rêves dans lesquels
son esprit venait de se baigner,n'était en aucune façon des
rêves évanescents,fantasques,dus à un changement latent
d'un état psychique à un autre,mais au contraire c'était
des rêves à travers lesquels il avait aperçu une
réalité concréte,tangible,irréfutable,enfin une
image lumineuse qui lui revélât avant de s'éteindre dans
les ombres mouvantes des nuits,la solution ultime aux graves
préoccupations qui lancinaient son esprit depuis belle lurette32(*)..
Ce qu'il avait senti en réalité,c'était
effectivement une illumination ,une illumination divine et
mystérieuse,qui ne ressemblât en rien à celle de
Pascal,mais une illumination de nature toute particulière,embellie par
l'invocation spontanée du visage tourmenté et ridé de
Baudelaire,déclamant à voix haute le fameux sonnet
« Correspondance »dont l 'écho se prolongeant
indéfinément dans les nuits touffues,revenait lentement pour
frapper intensément son cervau en feu...
Maintenant que,en cet instant fatidique qui a scellé la
carrière poétique de Mallarmé,un nouveau courant est en
gestation et s'achemine,grâce à cette vision pittoresque et
céleste,vers la concrétisation des aspirations de toute une
génération..
Le Parnasse, dont le régne,en dépit des
détracteurs,fut très riche,grâce à la
prolifération de nouvelles idées et de nouvelles régles
pratiques,se replie désormais sur soi-même,pour céder le
pas à ce fulgurant météore,qui est le symbolisme.
II
Mallarmé,créateur d'une nouvelle
poésie
Plus qu'une innovation,issue d'une révolte
intellectuelle tenace,le symbolisme fut une vraie création,une
manifestation originale,dans le domaine de la réforme
poétique..
Autant que dans le roman,qui s'affranchissait peu à peu du
réalisme raffiné et élégant,pour tomber encore
sous le coup d'une nouvelle révolution oû le
« Naturalisme » est érigé au rang d'une
théorie idéaliste et pragmatique propre à assurer son
développement et son essor naturels,la poésie,sous l'impulsion
opiniâtre de Mallarmé,dépassant toutes les cogitations
spéculatives et les déclamations rythmiques des parnassiens,et
même s'affranchissant hardiment de la mainmise dominatrice des tirades
délirantes d'un Baudelaire,prit un chemin tout
différent,profondément illuminé par la clarté
radieuse que le futur pionnier du symbolisme avait,au cours d'une nuit
mouvementée,entrevue en rêves...
Je me mire et me vois ange !Et je meurs et j'aime
...........................................................................
A renaître portant mon rêve en diadème
Au ciel antérieur oû fleurit la
Beauté !33(*)
Ainsi,avec une impression de recueillement et d'admiration,on
assiste à l'ascension majestueuse de
Mallarmé de l'imitation creuse et stérile vers la
virtuosité poétique,scellée profondément dans le
creuset de l'originalité et du génie.
Le rêve qu'il avait eu et qui s'était
déployé jusqu'à une dimension universelle,pour atteindre
le champ de la réalité vivante,avait pris une forme
matérielle et intellectuelle,vêtue d'un habit de lumière
pailleté d'éclats d'or...
Jamais dans l'histoire de l'évolution de la
poésie,une révolution aussi extraordinaire n'a soulevé
autant de controverses paradoxales dans les milieux culturels...
La poésie mallarméenne,par le ton aussi bien que
par la sobriété dans le choix des images et des idées,qui
n'avaient pourtant rien de surprenant,était largement
apprécié par le public,déjà las des fadeurs
parnassiennes et des peintures fastidieuses et séches,comme elle fut
aussi la cible de toute une foule de critiques,nostalgiques de la tradition,de
l'esthétique et de la clarté classiques..
Mais quoi qu'il en fût,le symbolisme,dès son
apparition sur la scène poétique,était
imprégné aussi bien du parfum romantique qui lui insufflait
à certains moments une sève tonifiante et lui donnait,sans
l'affaiblir aucunement,un poids de sentimentalité grave et majestueuse
que d'un rayonnement musical,oû l'harmonie s'exalte er s'intensifie
à mesure que le vers se développe sous nos yeux..
Ces qualités éminentes ou si l'on veut,ces codes
vitaux qui étaient scrupuleusement observés dans l'oeuvre
poétique de Mallarmé,ont assuré et assurent encore
pendant plusieurs générations la pérénnité
du symbolisme..
En dépit de l'enthousiasme captieux provoqué
par cette poésie toute neuve au sein d'une population
cultivée,qui ne fut guère effrayée par son
caractère obscur et abscons,des écrivains et poétes,comme
G.Vicaire et C.Mauclair,ont fait paraître une brochure intitulée
« les déliquescences d'Adoré Floupette »pour
satiriser et stigmatiser les tendances ténébreuses de la
poésie mallarméenne.. Ni Mallarmé,ni ses disciples ne
furent déconcertés par les assauts cruels de l'envie et de
l'ignorance..au contraire,n'éprouvant aucun malaise,ils poursuivaient
leur chemin en silence..
Cependant,plus tard,ces poétes,comme leurs acolytes et
congénères,se refugient dans le bercail symboliste et s'y
accommodent à plaisir jusqu'à devenir les défenseurs les
fougueux..
. c'est le commencement du régne du symbolisme et son
hégémonie dans le monde littéraire s'affirme de jour en
jour et Mallarmé,en dépit de sa sagesse et de sa bonne foi, se
trouvait toujours en butte à des assauts croissants d'une critique
difficile à amadouer,grincheuse et grognarde,à l'affût
d'une proie facile comme Mallarmé,Verlaine et leurs disciples,qui,par
ailleurs, s'étaient expressement solidarisés pour affronter de
telles attaques virulentes,déclenchées dans le but évident
de torpiller leur détermination et par là étouffer
à jamais la révolution qu'ils avaient fait naître sur la
scène littéraire...
Ce succés incontestable du symbolisme,reconnu même
publiquement par es plus farouches adversaires,qui n'avaient rien trouvé
de mieux que de s'astreindre obligatoirement à cette nouvelle
révolution,ne cessa de s'accroître au fil des jours et des
mois,pour devenir après une persistance opiniâtre,un fait
authentique,une réalité vivante,qui a
étonné,effarouché les plus sceptiques..
De même que Brunetière qui s'est insurgé
contre la méthode du roman naturaliste,se joignant en cela à ce
censeur fougueux qui est Barbey d'Aurevilly lequel,lui aussi,s'est
érigé en adversaire implacable de Zola et de ses
disciples,versant sur eux,dans des articles abondants,tout son fiel,de
même les critiques,comme je l'ai souligné plus d'une fois,se sont
fait un devoir de s'attaquer impitoyablement au symbolisme,en tant que
nouvelle doctrine littéraire,préconisant comme dogme essentiel
l'obscurité au niveau du sens,et le relâchement de la discipline
métrique.
Cet écart ou cette déviation brusque de la voie
séculaire traditionnelle,a provoqué en effet l'ire des critiques
contemporains qui voyaient,suivant leurs points de vue étroits et
hostiles,dans toute réforme en matière poétique,une sorte
de conspiration contre la rationnalité et la clarté de la langue
de Descartes34(*)..
Cette opposition cependant n'a pas manqué de
trouver écho au sein d'une catégorie de
lecteurs,qui,intrigués et même ahuris par l'esprit touffu et
impénètrable d'un Mallarmé,avaient l'impression comme
s'ils étaient rebutés et mortellement blasés par cette
nouveauté incongrue..
A ce scepticisme,à cette
perplexité,A.Thibaudet35(*) a esquissé la réponse
escomptée « Dans la poésie pure de
Mallarmé,l'initiative est laissée aux mots,comme dans la mystique
du pur amour l'initiative est laissée à Dieu,.Au principe d'un
poéme,il y a bien un schème,un ton émotif,un vide
réceptif,une disponibilité,comme au principe du pur amour il y a
toujours l'individu.Sur ce schème,pour le faire passer à
l'être, agissent l'incantation et la magie transfiguratrice des mots,que
le poéte convoque et à l'opération de qui il
s'abandonne.Mais tandis que les mots débordaient chez Hugo en un fleuve
puissant,s'épandaient chez Banville en une rivière facile,ils
gouttent chez Mallarmé sous un climat inhumain,forment lentement les
stalactites d'une poésie miraculeuse . »
Avant même que le roman réaliste eût acquis
droit de cité dans l'univers littéraire,au sein duquel il
finissait d'ailleurs par s'imposer,grâce à la détermination
d'un Gustave Flaubert et des Goncourt,une horde de critiques
malveillants,animés par la volonté de nuire et de détruire
l'oeuvre flaubertienne, avaient pris d'assaut le réalisme et de ses
partisans,excitant contre eux,dans des articles violents et
blasphématoires,toute une fraction de lecteurs naïfs...Mais leur
agitation hystérique
n'avait abouti qu'à accroître la faveur universelle
pour cette innovation hardie dans l'univers romanesque..
Il en fut de même pour Mallarmé,Verlaine
et tous ceux qui les avaient suivis dans le mêm chemin :les
attaques continuelles des critiques n'exerçaient aucun effet contraire
sur l'enthousiasme febrile de la majorité des lecteurs,qui semblaient
s'épanouir,comme dans une béatitude extatique,à la lecture
des vers subtils d'un Mallarmé ou ceux capricieux et printaniers d'un
Verlaine..Téodor de Wyzéwa,élucidant l'énigme du
vers mallarméen et soulignant la portée universelle du sens qu'il
véhicule,avait conclu en ces mots « A
chacun de ses vers Mallarmé s'est efforcé d'attacher plusieurs
sens superposés.Chacun de ses vers,dans son intention,devait être
à la fois,une image plastique,l'expression d'une
pensée,l'énoncé d'un sentiment et un symbole
philosophique ;il devait être comme une mélodie et aussi un
fragment de la mélodie totale du poéme ;soumis avec cela
aux règles de la prosodie la plus tricte,de manière à
former un parfait ensemble,et comme la transfiguration artistique d'un
état d'âme complet »
Ainsi tout comme pour le roman réaliste et le roman
naturaliste,incompris d'abord,en raison bien entendu du réseau complexe
de leur sens,mais qui avaient fini,après une résistance
coriace,par s'imposer pour toujours et qui pésent à
présent de tout leur poids dans l'histoire littéraire,le
symbolisme,nourri d'une sève juvénile,et comme galvanisé
par le génie mallarméen,a creusé sa place dans l'esprit de
tous les temps..
Mais ce qui est vraiment contradictoire,et qui se prête au
doute,c'est que le symbolisme,comme le Parnasse d'ailleurs,a produit peu et
l'on est allé jusqu'à dire que la stérilité du
symbolisme serait inhérente congénitalement au type psychique
de cette poésie et ne pourrait être imputée à
l'absence de génie ou à l'incapacité de reproduction des
poétes symbolistes...
Mallarmé,cependant ,dont l'oeuvre est en effet très
réduite,en raison précisément,non pas d'une
indifférence manifeste à l'endroit de l'écriture
poétique,mais à cause probablement de son attachement à la
perfection et à la structure de chaque vers,dont la réalisation
exige maints efforts et de multiples remaniements,afin de le rendre apte
à suggérer le sens voulu...
En ce sens,Paul Valéry,ému devant l'oeuvre
mallarméenne,éprouva une sorte d'affinité intellectuelle
avec l'auteur de « l'Après-midi d'un faune »,en qui
il trouva les mêmes aspirations et le même goût pour une
poésie anti-conformiste ,non-conventionnelle et dont la technique
s'est avérée révolutionnaire :
« Ses petites compostions,dira plus tard
Valéry36(*) en
parlant de Mallarmé dans VariétésII, merveilleusement
achevées s'imposaient comme des types de perfection,tant les liaisons
des mots avec les mots,des vers avec les vers,des mouvements avec les rythmes
étaient assurés ;tant chacune d'elles donnait l'idée
d'un objet en quelque sorte absolu,dû à un équilibre de
forces intrinsèques,soustrait par un prodige de combinaisons
réciproques à ces vagues velléités de retouches et
de changement que l'esprit,pendant ses lectures,conçoit inconsciemment
devant la plupart des textes »
IV
La poésie obscure de Mallarmé;
L'Ecole Parnassienne qui a coïncidé
étrangement avec l'avènement de l'Ecole réaliste,suivie
plus tard par l'Ecole naturaliste qui enterra pour ainsi dire le
réalisme en tant que doctrine littéraire,avait trouvé sa
véritable source dans les principes de la philosophie kantienne,mais
que,tant par la souplesse de ses régles que l'étendue de la
vision qu'elle se faisait du monde,l'école parnassienne a
suscité pour de bon un engouement irrésistible parmi les
romanciers du temps,qui ne ne se sont pas empêchés d'inclure dans
la composition de leurs romans tout un tas d'idées et de concepts
très proches de ceux du Parnasse..
L'impersonnalité stricte dans le style et la structure
rigide et massive de la forme,étaient devenus dès lors les
crédos irrécusables de ces romanciers et à leur tête
G.Flaubert,qui,doué d'un génie incontestable dans l'architecture
du tissu des événements romanesques qu'il bâtissait
systématiquent au moyen de matériaux syntaxiques solides,s'est
appliqué ingénieusement à l'exploitation et au
développement des régles parnassiennes dans le roman
contemporain..
Mais si la poésie parnassienne avait manifestement et
vigoureusement influé sur le roman-tant sur le roman réaliste
que sur le roman naturaliste,il n'en fut pas de même pour le
symbolisme,lequel,par sa nature et son caractère,n'eut pas d'heureuses
repercussions sur le roman..
Il serait cependant nécessaire de signaler que
le symbolisme,né seulement pour être appliqué à la
poésie,qui se prête aisément à la
présentation d'une image brève mais profondément
suggestive,à travers laquelle la virtuosité intellectuelle et
imaginaire du poéte s'affirme hautement,ne saurait être
justement appliqué au roman,dont les composantes et les lois
diffèrent largement de la poésie..
Cela nous conduit à déduire que l'usage des signes
brefs au point de vue sens,ou symboles,requiert avant tout une
compétence et une habileté à toute épreuve..
C'est pourquoi l'on se rend compte que,la performance
géniale soit d'un Mallarmé soit d'un Rimbaud,ne saurait
être l'apanage de tous les écrivains ou poétes
contemporains..
Surtout la structure mallarméenne dans la structure d'un
poéme,oû il échafaude tout un système
d'idées,jetées habilement çà et
là,intentionnellement et même avec parti pris,que le lecteur est
invité à enchaîner pour pouvoir reconstruire la
cohérence sémantique du poéme..Or cette stratégie
audacieuse n'était nullement à la portée d'aucun des
poétes contemporains,exception faite pour Rimbaud,qui,en dépit de
son jeune âge,a su maitriser génialement les mécanismes
secrets de la poésie symboliste..
Cette obscurité délibérée,alors
née à la suite d'une révolte contre les banalités
et les mesquineries poétiques du temps, ne manqua pas néanmoins
de trouver son chemin dans le monde intellectuel ; ;
Mallarmé n'est pas un auteur indéchiffrable,c'est
un auteur qui,contrairement à la plupart de ses contemporains qui
s'attachaient bassement au trivial,au banal et au facile,s'astreignait
forcément à surmonter et à soumettre sous sa
volonté les régles et les pratiques abruptes et
épineuses..H.de Regnier37(*) qui croyait suivre le même chemin que celui de
Mallarmé,mais qui effrayé justement par le style
énigmatique de l'auteur de « Un coup de dé n'abolira
jamais le hasard » s'écarta de lui et prit un virage plus
conforme à la tradition classique ,ne manqua pas toutefois de
déceler et de mettre en relief les spécificités de la
poésie mallarméenne : »Certes,
affirma-t-il dans un de ses articles sur le symbolisme,Stéphane
Mallarmé est un auteur obscur.Il le serait par la nature même de
son génie qui est tout de transposition,et de symboles,s'il ne
l'était pas par le style hautement rationnel qu'il s'est
créé en dehors et au-dessus de l'usage ambiant.L'entente avec
lui est longue,difficile et délicate ;Il y a dans un vers de
Mallarmé tous les éléments nécessaires à sa
clarté ;seulement ils s'y trouvent épars,situés au
lieu exact de leur utlité pour l 'élégance graphique
de la phrase.Il faut apprendre Mallarmé aux dépens de certaines
habitudes dont il exige qu'on se départisse envers lui ...Tout
être a sa mimique individuelle comme tout esprit ses gestes
alphabétiques dont il faut savoir la convention.Tout livre contient une
langue à épeler.Qu 'on lise Racine ou Shakespeare il en est
ainsi...Il n'est rien d'iilisible à qui veut
lire. » Ainsi cette assertion suffit à nous faire croire
que Mallarmé,très conscient d'ailleurs de l'âpreté
de son écriture,voulait justement faire participer activement le
lecteur au processus de découverte.
D'autre part,en s'adonnant consciemment à cette pratique
ambiguë et complexe,Mallarmé a amplement rénové la
matière poétique,..Etre obscur et ne pas être compris,pour
lui,est une nécessité,un honneur que nul ne lui
contesterait..Car toute création,quelle qu'elle soit,doit être
entachée d'incompréhension et de mystère,sinon elle perd
fondamentalement le privilège d'être une création..la
banalité n'est pas découverte ou création..
Le sens trop précis rature
Ta vague littérature.
.
Pour lui encore,pour que la chose créée soit
durable et éternelle,il faut qu'elle soit enveloppée d'une ombre
opaque et impénètrable et il appartiendrait à celui qui
voulait découvrir ce mystère,de s'ingénier pour faire
dissiper cette ombre,tâche qui n'est pas d'ailleurs du tout aisée.
« Les Parnassiens,déclara Mallarmé à
J.Huret,prennent la chose entièrement et la montrent..nommer un
objet,c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poéme, qui
est faite du bonheur de deviner peu à peu..le suggérer
voilà le rêve.C'est le parfait usage de ce mystère qui
constitue le symbole.. »
V
Stratégie et technique de la poésie
mallarméenne.
La poétique mallarméenne,qui avait
évolué sous l'impulsion d'une nouvelle conception de la
poésie,conçue et mûrie depuis longtemps dans le cerveau de
Mallarmé,a commencé à voir le jour,lorsque ce
dernier,blasé par la platitude obsédante des clichés
poétiques,très en usage à l'époque,décida
de produire,après de longues nuits d'accouchements pénibles,des
piéces qui n'ont aucune ressemblance de près ou de loin avec la
production contemporaine38(*)..
La publication dans le Parnasse Contemporaiin des sonnets et des
fragments de poémes,conçus et mis au point selon la technique
baudelairienne,fut passée presque inaperçue,car,dans la multitude
des poétes divers,qui jouissaient plus ou moins d'une grande
notoriété dans les milieux culturels et
raffiinés,Mallarmé,quant à lui,échoué
à Paris,après avoir séjourné,en tant
qu'enseignant,dans quelques villes de france,n'a pas encore réussi
à attirer l'admiration et la sympathie du lecteur,encore sous le charme
dese poétes déjà célèbres,tels que Leconte
de Lisle,J.M.de Hérédia ou même F.Coppée..
Mais,quelques temps plus tard,au lendemain de la parution d'une
petite plaquette,contenant quelques vers,insignifiants en apparence,mais qui
avaient dû frapper d 'étonnement tous les confrères de
Mallarmé,tellement la technique que ce dernier avait suivie dans la
structure du poéme,tant au niveau du fond que de la forme,était
en fait une technique qui s'est caractérisée principalement par
l'originalité et l'étendue d'une stratégie
esthétique idéale,le poéte de
« L'après-midi d'un Faune » est entré de
plain-pied dans la gloire39(*)..
Ainsi avec le retour à l'usage de
l'alexandrin,système privilégié des classiques aussi bien
que des romantiques,Mallarmé répondit à un voeu
très cher des traditionnalistes,qui avaient vu dans le laxisme de
quelques poétes libertaires,une sorte de rebellion manifeste contre
l'une des plus grandes réalisations des siécles
littéraires français,ainsi qu'une tentative de destruction de
toutes les valeurs poétiques universelles.
De plus,Mallarmé,en réalisant ainsi un style tout
à fait personnel et d'une consistance robuste,ouvrit le chemin à
toute une une génération qui le suivit avec plus ou moins de
succés...
Car la technique mallarméenne,si elle
procède par suggestions et analogies,entre les phénomènes
extérieurs et son état d'âme,n' a fait qu'accroître
davantage l'intérêt et le goût pour tout ce qui est
psychologique..
L'exploration de l'inconscient,au moyen d'un lexique et d'une
terminolgie réservée jusque-là à des domaines qui
leur sont propres,est une tâches des plus ardues et des plus
pénibles,tant il est vrai que,plus on pénètre dans les
profondeurs intimes de l'âmes,plus on se sent enlisé dans un
paysage touffu de vocabulaire biscornu,loin de celui qu'on a jugé
pertinemment propre à la poésie conventionnelle..
Ce n'est pas tout,Mallarmé,au début de sa
carrière de poéte,n'avait pas l'intuition que ses vers ,à
la symètrie ponctuelle,mais au message codifié de manière
enchevêtrée à l'extrême,allaient néanmoins
exercer un effet incantatoire sur sa génération...Cependant
continuant inlassablement de produire de minces fragments,de petits joyaux
destinés en vérité à la postérité,il
se sent semblable à l'un des « Conquérants »
de Hérédia :
...Ivres d'un rêve héroïque et brutal..
Chaque soir,espérant des lendemains
épiques ;
Ils regardaient monter en un ciel ignoré,
Du fond de l'océan des étoiles nouvelles..
Mallarmé,grâce à sa méthode si
ingénieuse et à sa technique si singulière,il a su
conquérir,en si peu de temps,non pas la masse des lecteurs,dont la
plupart répugnaient en effet à faire des efforts pour le
comprendre,mais tout au moins un certain nombre d'initiés restreint,il
est vrai,mais suffisant pour conférer à Mallarmé
l'apothéose qu'il méritait..Et pourtant de par son
caractère et sa modestie,il n'avait jamais aspiré à cette
ascension fulgurante :
Je fuis et je m'accroche à toutes les
croisées,
D'oû l'on tourne l'épaule à la
vie,et,béni,
Dans leur verre,lavé d'éternelles
rosées,
Que dore le matin chaste de l'Infini..
VI
Mallarmé et les symbolistes contemporains.
Mallarmé entre tous ses confrères,était bien
le seul symboliste,le seul qui eût l'idée de faire usage des
symboles en poésie..Cette rénovation ou plutôt cette
invention en matière poétique avait suscité des
controverses et polémiques interminables,si bien que la scène
poétque n'était occupée pendant longtemps que des
poémes de Mallarmé et ceux surtout de Rimbaud,d'ailleurs
toujours absent de la scène.40(*).
Les symbolistes donc et à leur tête
Mallarmé,par cette révolte contre tout ce qui est trivial et
banal,furent traités d'abord de
« Décadents »,terme qui n'avait par ailleurs rien de
péjoratif,mais qui supposait pour le lecteur du temps une connotation
toute particulière,mais J.Moréas,fidèle
mécène des symbolistes et défenseur infatigable du
symbolisme,voyant dans ce terme quelque chose de choquant et voulant lui
substituer une appellation plutôt rationnelle et moderne ,a eu
l'idée géniale de forger et d'opter pour la dénomination
« Symbolistes » pour qualifier les nouveaux
poétes..
Ainsi le nouveau procédé des symbolistes,si ardu et
impénètrable qu'il fût,n'a pas pour autant réduit la
poésie à une sphère étroite
réservée,comme on a pu le croire de prime abord,à un
nombre infime d'initiés,secondés par des clés mises
à leur portée pour le déchiffrage et la
pénètration parfaite du sens de ce grimoiire poétique,bien
au contraire,si mallarmé,qui avait fait des tentatives
d'affranchissemebnt et de renouvellement de la poésie,déjà
exsangue et épuisée par l'usage excessif des
stéréotypes et de fades clichés,fut amené ainsi
avec clairvoyance,à enrichir la matière
poétique,c'était vraisemmblablement pour répondre
à un voeu longtemps exprimé par l 'élite
intellectuelle...
La poésie mallarméenne était donc une
réforme profonde,une vraie révolution,surgie au coeur même
d'un monde littéraire ,oû la platitude des idées,les
effusions fastidieuses ,les facilités imbéciles et naïves
et enfin le rabâchage sempiternel du même coq-â-l'âne
poétique étaient des codes inviolables,des citadelles
inexpugnables oû prospéraient aisément toute une foule de
poétes ineptes..
D'ailleurs,pour être plus juste,ni Verlaine,ni Rimbaud non
plus,n'étaient du nombre de ces déclamateurs
insignifiants :Tous les deux étaient en effet au-dessus de ce
beau monde,qui ne savait que gribouiller des vers anodins pour les jeter
ensuite à une populace inculte et passive.
En outre,Verlaine,grâce à un génie singulier
et visionnaire,s'il n'avait pas atteint le zénith au même titre
que Mallarmé,il devait se glorifier tout au moins d'avoir accompli une
oeuvre éternelle,superbe et savoureuse,par la sobriété et
la rigueur expressive,autant de qualités d'ailleurs qui sont l'apanage
exclusif de ce poéte vagabond,qui lui assurent l'immortalité et
l'admiration des générations successives,comme J.Lemaître
qui,avec beaucoup de tact et de pénètration l'a bien
affirmé dans l'étude qu'il lui avait spécialement
consacrée »C'était un barbare,un sauvage,un
enfant...Seulement,cet enfant a une musique dans l'âme,et à
certains jours,il entend des voix que nul avant luii n'avait
entendues..Poésie vague,très naïve et très
recherchée...la poésie de M. Verlaine représente pour moi
le dernier dégré soit d'inconscience,soit de raffinement que mon
esprit infirme puisse admettre »C'est ainsi que ce
maître de la critique moderne avait si bien percé le secret de
cette âme dolente et cynique..
De même ,presque vers le même
temps,Ch.Maurras41(*), qui
prisait si bien le jeune Verlaine,qu'il jugeait justement comme
français de race,n'a pas manqu é de faire écho
à ce critique éminent et dans un article émouvant
consacré à ce F.Villon du 19 eme siécle,il laissa courir
sous sa plume. »P.Verlaine laisse un grand nom ;mais
je ne sais s'il laisse une oeuvre..Il faut garder de Verlaine quelques vers
isolés qui sont admirables..Les romantiques réclamaient la
liberté de l'art :il l'a pratiquée,lui et d'un zèle
sauvage et fou.Il a perdu la langue,abîmé le style et
réduit à rien la pensée.D'un si profond
dégré d'humiliation,tout esprit généreux n'a pu que
rebondir vers la lumière,l'ordre,la force,la grâce virile et
les autres disciplines de la beauté. » Et Paul
Valéry d'un ton plus affectueux,renchérit de plus
belle. »Tout le vice possible avait respecté,et
peut-être semé ou développé en lui cette puissance
d'intention suave,cette expression de douceur,de ferveur,de reueillement
tendre,que personne n'a donnée comme lui,car personne n'a su comme lui
dissimuler ou fondre les ressources d'un art consommé,rompu à
toutes les subtilités des poétes les plus habiles dans des
oeuvres d'apparence facile,de ton naïf,presque enfantin ;Ce naïf
est un primitif organisé,un primitif comme il n'y avait jamais eu de
primitif et qui procède d'un artiste fort habile et fort
conscient. » Et nul mieux que Valéry n'a eu la force
intellectuelle de sonder le génie de Verlaine.
Quant à Rimbaud,le petit chenapan qui ne se soumettait
à aucune régle ni à aucune discipline,et qui dans sa
quête angoissante de la liberté, a dû abandonner sa
chère « Muse » pour se refugier dans des
terres lointaines et s'enliser dans des transactions mercantiles plus ou moins
louches,ce jeune visionnaire ou si l'on peut dire ainsi,cet habile artisan,ce
créateur insoupçonné d'une poésie dont la
hardiesse et le pittoresque,alliés à une vraie puissance
évocatrice,ne cèdent en rien à celle d'un Mallarmé
ou d'un Verlaine,ainsi que l'a si bien défini quelque part le
critique Jules de Gaultier «Il a la sincérité du
génie.Il n'a pas envisagé la poésie comme un moyen de
parvenir.Elle a été pour lui un exutoire du malaise que lui
causait la vie sociale.il a cherché à se libérer par
elle d'une souffrance physiologique et cette houle déferle à
travers les strophes du Bateau Ivre ;c'est une houle intérieure
dont le ressac sur sa sensibilité le blessait et qui a trouvé
dans l'appareil prosodique un moyen de s'épandre au
dehors »
Sa défection de la poésie et sa mort
prématurée,étaient autant de pertes irréparables
pour l'humanité, « L'homme est en dehors en quelque sorte
de l'humanité,et sa vie en dehors et au-dessus de la commune vie,tant
l'oeuvre est géante,tant l'homme s'est fait libre,tant la vie passa
fière,si fière qu'on n'a plus de ses nouvelles et qu'on ne sait
pas si elle marche encore .Le tout simple une forêt,vierge et beau comme
un tigre.Avec des sourires et de ces sortes de gentillesses »Qui
plus que Verlaine a connu le jeune homme,l'a cotoyé de très
près pendant des années pour le sentir très proche de son
coeur et de son âme. ?
Rimbaud,pour Mallarmé,est un jeune poéte en
cavale,toujours à la recherche d'un idéal qu'il n'a pu trouver
nulle part,jusqu'au jour oû,las d'errer dans le vide des
déserts ;il échoua tristement sur la grève
marseillaise oû,entre les bras de sa pauvre soeur,il expira sans songer
le moinsdu monde au vaste héritage intellectuel qu'il léguait
à l'humanité ..
La lune s'attristait.Des séraphins en pleurs
Rêvant,l'archet aux doigts,dans le calme des
fleurs,
Vaporeuses,tiraient de mourantes violes,
de blancs sanglots glissant sur l'azur des
corolles.
On eût dit que Mallarmé,par une invocation
prophétique,empreinte de recueillement et de deuil,se laissa guider par
une main divine pour lancer cette strophe funèbre sur le jeune
disparu..
Cependant,plus la poésie mallarméenne s'estompait
dans le temps et dans l'espace,plus sa formule s'assouplissait et s'affinait
graduellement pour se plier enfin aux exigences d'une génération
de lecteurs,toujours assoiffés de nouvelles diciplines poétiques
et d'une nouvelle sève,robuste et tonifiante,susceptible de faire sortir
la poésie du bourbier oû elle s'était enlisée avec
cette catégorie de poétes anarchistes et médiocres qui
écumaient sur la scène intellectuelle.
L'enrichissement de la matière,allié à
l'emploi d'une expression pertinente,appuyé sur le recours constant
à la pratique d'une métrique profondément
enracinée dans la tradition,le tout comme fondu miraculeusement dans
un amalgame musical du meilleur ton,pour composer au bout du compte,une
symphonie purement virginale qui s'exhale fébrilement dans une
ambiance intellectuelle ravie et enchantée ; ;
Telle est,en un mot,la poésie mallarméenne par
rapport à cette poésie, monotone ,effroyablement banale et tout
à fait dépourvue de toute beauté musicale,qui était
en usage à l'époque..
VII
La valeur intellectuelle de la poésie
mallarméenne.
.La poésie mallarméenne,par sa nature si limpide et
si étincelante,par sa fluidité gracieuse,exerça un
envoûtement suprême sur les esprits,en offrant à l'esprit
humain universel une sorte de viatique divin,grâce auquel les
facultés se revigorent et se retrempent,comme dans un bain
aphrodisiaque..
Cette poésie,si elle demeure en effet jusqu'à nos
jours inaccessible pour une catégorie de gens,elle n'en demeure pas
moins pour nous d'une attraction,d'une fascination étrange,par la magie
profonde de chaque strophe qui se dissout insensiblement en un effluve
sensuel magnétique..
D'autre part,si Mallarmé,qui était toujours
soucieux de la perfection esthétique de ses vers plus que du choix des
idées,n'a pas élargi le champ de sa production à l'instar
d'un grand nombre de ses illustres contemporains,c'est que pour lui son
attachement à la poésie n'a été dicté,non
pas par des ambitions matérielles ou des gains
pécuniaires42(*),mais plutôt par un esprit d'ameuterisme sans
équivoque .
Et d'ailleurs,grâce à ce désinteressement
manifeste,à cette indifférence évidente à
l'égard de tout ce qui est profit,malgré l'indigence oû il
végetait vaillamment,sans jamais oser se plaindre de son
état,Mallarmé a pu réaliser,luttant seul dans la
tempête et sans aucun secours,la poésie la plus originale et la
plus magnifique qui ait jamais été tant au niveau de la forme
que celui du fond..
Ainsi Mallarmé,par de pénibles efforts
intellectuels et des quêtes infinies dans les fonds insondables de
l'inconscient,a produit alors une forme de poésie qui fait appel,non pas
aux bas instincts,mais en premier lieu à l'intelligence et à
l'esprit du lecteur,qui devait naturellement déployer un minimum
d'efforts pour pouvoir pénètrer dans la contexture de la
pensée mallarméenne et à en dévoiler les profonds
secrets,ce qui lui procurera ensuite une jouissance,une satisfaction
réelle ; ;
Or un lecteur,habitué pour ainsi dire à consommer
sans faire le moindre effort pour percer le secret de ce qui se mijote dans
l'arrière-fond de la pensée de Mallarmé,ne saurait,il est
vrai,réussir à se familiariser et à nouer des liens
d'affinité réciproque entre lui et la poésie
mallarméenne,qui a tendance à réquérir
d'emblée de la clairvoyance,de la persévérance et un
solide bon sens,nourri de volonté infaillible..
Le coeur de Mallarmé est,à bien lire, «
L'après-midi d'un Faune » tout étalé sans la
moindre retouche dans cette oeuvre maitresse,oeuvre que le lecteur
moderne,fuyant d'ordinaire tout ce qui est énigmatique et
mystérieux,considère comme une sorte de rébus ou puzzle
littéraire impossible à percer,quelque effort qu'on y fasse..
Cette croyance,due en effet à un esprit moins mûr,
contribue davantage à élargir le fossé entre
Mallarmé et le public..
La poésie mallarméenne devait être
lue,non pas comme la poésie de Lamartine ou même celle de Hugo,au
contraire,elle devait être abordée avec la rigueur d'un
mathématicien à la recherche d'une solution à un
problème ardu...De plus,si l'on ne s'ingéniait pas à
comprendre ce que cachait la pensée de Mallarmé,de creuser autant
que possible le sens de chaque vers,on n'arriverait absolument pas à
apprécier intellectuellement l'apport génial et la valeur
authentique de cette poésie...Et par là on afficherait comme
tout naturellement une attitude injuste envers ce vétéran de
l'esprit symboliste...
Faire appel,par le biais de l'écriture,à
l'intelligence et non pas au coeur,comme ce fut le cas pour les romantiques et
leurs descendants,cela nécessite de prime abord un effort intellectuel
surhumain,une recherche infiniment pénible et angoissante,que nul n'est
capable d'assumer..
Mallarmé,tout comme Rimbaud
alors au stade des premiers feux de son éclosion poétique,a
tenté cette aventure extraordinaire et toute sa
poésie,accumulation géniale de sens d'ordre différent
,comme une stratification ingénieuse,avec des idées et des images
singulières,est la preuve qu 'elle est conçue uniquement
pour répondre aux exigences tortueuses de l'esprit..
VIII
La poésie mallarméenne et la prose de
l'époque;
L'ère classique,grâce à ses pionniers
puissants de la pensée,est restée de nos jours le modèle
de la perfection artistique,le parangon idéal que tout écrivain
authentique doit songer à atteindre ou tout au moins imiter ;tandis
que l'ère romantique,bien qu'elle ne diffère en rien de celle du
classicisme,tant par la surabondance des mouvements de l'esprit que par
l'élargissement du champ de la pensée,est regardée par
contre comme de moindre importance..
Le classicisme explora ingénieusement et en toute
objectivité le coeur de l'homme,aidés en cela par la seule raison
comme instrument exclusif à la quête et à l'explication
des passions,tandis que le romantisme,qui avait pris le contre- pied du
classicisme,érigea en principe fondamental le subjectif,qu'il explora
dans les moindres détails,s'épuisant en effusions sentimentales
sans bornes,-tout en faisant délibérément fi de la
raison..
L'Ecole Parnassienne,en réagissant à la fois contre
le classicisme et le romantisme,a brandi hautement le dogme de
l'impersonnalité et la peinture objective des choses
extérieures,non sans rejoindre en cela le classicisme,qu'elle
prétendait par ailleurs avoir répudié
irréversiblement..
Cependant,quant au symbolisme qui,après avoir
expérimenté la doctrine parnassienne,et l'ayant repoussée
comme étant inepte et oiseuse,se lança hardiment dans une
nouvelle expérience plus fructueuse et plus originale,du moins au niveau
de la structure métrique,qu'il avait enrichie par des modifications
substantielles,en libérant le vers de ses contraintes
séculaires,tout en approfondissant en même temps l'image du sens,
rendue dès lors plus souple et plus fluide par l'harmonie et le rythme..
La poésie parnassienne et la poésie
symboliste,s'étant mêlées,sinin confondues dans tout un
univers de productions romanesques,complexes et enchevêtrés,se
sont cotoyées pour coexister pendant un certain temps,pour finir enfin
par se dissocier en deux grands mouvements chacun jouissant de ses propres
particularités.
D'autre part,le réalisme,comme je l'ai déjà
noté précédemment,ayant atteint
l'apogée,grâce au génie de Flaubert,qui s'est
attaqué au romantisme,qu'il stigmatisait sans faiblesse pour avoir
corrompu le goût des générations,en faisant cependant
l'éloge des traditions et des coutumes des sociétés
révolues,commencçait déjà,coîncidant avec la
chute imminente de l'Ecole Parnassienne,à s'effondrer..
Or les parnassiens et les écrivains réalistes
avaient quasiment pratiqué la même méthode de
travail :un style rigide,dur,cassant,insensible et se mouvant comme un
fleuve dans sa course infernale ;des emprunts systématiques et tous
azimuts dans les histoires et les mythologies gréco- romaines et les
sociétés disparues,tout cela n'était d'ailleurs qu'un
retour au classicisme,qu'ils croyaient ,eux,avoir tout à fait
enterré et enseveli dans le passé..
Par contre le naturalisme,dont le vrai pionnier était
E.Zola,a contribué,grâce à l'introduction dans la
littérature des principes basés essentiellement sur
l'expérience scientifique,à l'épanouissement et à
l'évolution des méthodes romanesques rigides et
étroites..
Le symbolisme qui s'était attaché à modifier
radicalement les systèmes poétiques traditionnels,tout en
puisant à profusion dans les sources du classicisme,s'est donné
comme tâche principale de réhabiliter la poésie,de lui
conférer la majesté et la grandeur auguste qu'elle avait
perdue,avec le déclin de la période classique,et ce qui est
frappant dans cette rénovation,c'est que Mallarmé,comme la
plupart de ses contemporains,ne s'est pas empêché
d'émailler ses vers de réminiscences à la fois classiques
et romantiques,comme si le symbolisme,en tant que bloc
monolithique,n'était que le résultat d'une fusion de ces deux
tendances universelles
Néanmoins,il reste à dire qu'il est vrai
que toute comparaison entre la poésie et le roman est
généralement vouée à l 'échec..En ce
sens que la poésie a sa propre technique,sa propre stratégie et
sa réserve d'idées et d'images,qui étaient loin
d'être similaires à celles du roman ; ; ;Et
ceci,malgré l'imitation manifestement égale et parallèle
des parnassiens et des réalistes de l'antiquité
gréco-latine,qu'ils avaient cependant pris comme recours pour esquiver
les thémes plats de la société matérialiste
contemporaine ; ;
La prose de Zola,des Goncourt et même d'A.Daudet est une
prose impeccablement façonnée,ciselée avec la
précision d'un joaillier,apte même à rivaliser avec la
poésie,qui avait atteint avec Mallarmé le dernier
dégré de perfection....
CHAPITRE CINQUIEME
L'ESPRIT ET LA POESIE DE MALLARME.
...Que la vitre soit l'art,soit la mysticité...
Mallarmé
I
La poésie mallarméenne est une
poésie exploratrice de la psychologie et de la psychanalyse.
Mallarmé,de par sa propension à vouloir
pénètrer dans les intimes recoins de l'âme,et d'en
étudier,au moyen d'un style ondoyant et vague ,tous les aspects
changeants,eût-il été vraiment un psychologue avisé
et sagace,se dissimulant derrière des arguments et allégations
poétiques sybillins,échappant toujours à la prise de
l'esprit ?Et pourtant la psychologie,chez lui,comme on a tendance à
le croire,est un domaine qui ne fait pas parti de sa stratégie
poétique,qui est fondé essentiellement sur la magie des mots et
de la musique,une musique pleine de pensées obscures et d'idéal
pour le moins naïf et singulier.
A vrai dire,c 'est un jugement assez curieux et
erroné,qui dénote de prime abord une incompréhension
totale de la poésie mallarméenne,car pour le poéte de
« Hérodiade. »,être psychologue est une
condition première pour être pédagogue et lui,étant
effectiivement homme d'éducation,ne saurait ignorer ou faire fi de la
psychologie..
C'est,si l'on peut s'exprimer ainsi,un fait impératif que
d'être psychologue dans de telles conditions et c'est ainsii que,chaque
fois que l'on se penche sur son oeuvre,poémes en vers ou en prose,on a
l'impression que l'homme y était tout entier,tellement les
éléments moteurs psychiques-surgissant soudain à l'oeil
nu-s'élucident et s'éclaircissent spontanément dans
notre esprit ,pour nous mettre en présence des phénomènes
psychologiques peu ordinaires..
Même les plus infimes parcelles de notre âme
étaient mises à nu,à travers un examen munitieux,soutenu
par un langage poétique exceptionnel que l'on devait
impérativement saisir dans ses tours les plus ambigus..
D'autre part,plus que Baudelaire,dont la psychologie apparemment
confondue avec le sens ordinaire du vers,s'exhibe spontanément et sans
détours,Mallarmé,quant à lui, à l'esprit sournois
et retors,cachant toujours ses pensées derrière un voile de
ténèbres,n'a jamais laissé apparaître les diverses
composantes psychologiques de sa poésie,qui demeure pour nous
intimement et étroitement liée à sa propre vie..
Le problème déconcertant qu'il continue à
poser à tout lecteur moderne,d'ordinaire avide de connaître
réellement le sens psychologique de cette poésie,si investie de
mystères,est un problème avant tout psychanalytique ,un
probléme plutôt freudien,en ce sens que
Mallarmé,s'étant exclusivement consacré à la
recherche de trouvailles ingénieuses dans un univers aussi
ténèbreux que cette poésie , qu'il s'était
attaché au prix de durs sacrifices,à mettre sur pied,sembla y
trouver un malin plaisire à fourvoyer le lecteur dans les
méandres de délires viscéraux et des radotages
indéchiffrables,qui nécessitent,pour être
éclaircis,des facultés puissantes,profondes,initiées aux
phénomènes même de l'occultisme..
Plus qu'une psychologie donc,la poésie
mallarméenne est un vrai réceptacle d'indices
psychanalytiques,dus à des incohérences morbides et des
« Divagations » sombres et insaisissables..
Dès lors nul n'a été aussi capable de
déchiffrer cette masse compacte de la poésie mallarméenne
qu P.Valéry,lequel,grâce à une perspicacité
extraordinaire,y a dévoilé un monde psychanalytique aussi
étrange qu le monde mallarméen lui-même..car le
poéte de « L'après-midi d'un Faune »en
produisant ses poémes,pesait avec un soin
méticuleux,jusqu'à la manie,la valeur et la portée
psychologique de chaque terme,comme s'il entendait préparer le lecteur
à des surprises pleines d'angoisses et de graves déboires.
Psychologie et psychanalyse,deux composantes fondamentales de la
poésie mallarméenne,dont l'architecture,aussi monumentale
qu'elle soit,est intégralement édifiée en fonction de
ces critères essentiels43(*)..
Or l'étude psychologique ou psychanalytique
d'un vers ou d'une strophe,requiert,en raison de l'enchevêtrement
compliqué de la pensée de Mallarmé,un savoir,une puissance
intellectuelle infatigable,capable de disséquer et d'analyser le sens de
chaque terme ,de diagnostiquer chaque strophe afin de pouvoir dépister
les multiples significations qu'elle implique intrinsèquement..C'est ce
qu'exige ordinairement la compréhension profonde de la pensée
de Mallarmé.
II
Art et mysticisme dans la poésie
mallarméenne.
La notion d'art chez Mallarmé est une notion riche de
sens...Pour lui,le créateur du poéme «
Igitur »l'art consiste avant tout,non pas dans la
transformation du réel en irréel ou vice-versa,mais dans la
manière de communiquer le plaisir à d'autres personnes que l'on
ne connaît pas mais qui seront très proches de nous,grâce
à la magie de l'art..
L'art est donc une tactique,une méthode susceptible de
rendre concret ce qui est abstrait,l'inconnu en connu,de changer l'ombre en
lumière éclatante...Ce n'est pas là une sorte de
prestgiditation,apanage de quelques sorciers des mots qui pullulaient dans le
monde des lettres,c'est plutôt une action,résultant d'un effort
intellectuel et mental laborieux et profondément enraciné dans la
réalité vécue..
Par l'art,ce qui est loin,inaccessible à
l'humanité,devient à sa portée et par l'art encore,on
atteint à l'ineffable et au divin,par l'art enfin,comme par un
procédé d'alchimie,on transforme le beau ou le laid en un
phénomène légendaire et en demi-dieu,mais nous sommes dans
l'impuissance de réaliser ce grand miracle,un miracle
irréalisable en quelque sorte puisque,comme il l'a déjà
noté dans une lettre à C ;Mauclair. «Mais
ratés,nous le sommes tous,Mauclair !Que pouvons-nous être
d'autres ?Puisque nous mesurons notre fini à un infini ?Nous
mettons notre courte vie ,nos faibles forces en balance avec un
idéal qui,par définition,ne saurait être
atteint ! » C'est vrai la vie est courte,mais l'art
est difficile !
Et pourtant l'art est toujours là,tout disponible pour
ainsi dire à transformer la désespérance et le doute en
espoir et la désolation et l'angoisse en allégresse. Dès
lors sortir du néant pour atteindre cet idéal qui s'estompe
cependant dans les horizons de l'impossible ;rejeter loin de soi le
doute accablant pour se baigner avec extase dans la lumière
divine :tel est enfinpour Mallarmé l'objectif réel de l'art
et dont la réalisation ou la concrétisation effective occupait
constamment tout son être .« Mon
esprit,écrivait-il encore à C.Mauclair, se meut dans
l'Eternel,et on a eu plusieurs frissons ,si l'on peut parler ainsi de
l'immuable »
L'art ne doit pas être art en soi et pour soi :l'art
rapproche la créature du Créateur et établit entre eux un
dialogue permanent..Ce mysticisme,d'ailleurs caractéristique de l'esprit
de Mallarmé,et qui était aussi le thème favori de la
plupart des symbolistes,occupe en effet une place de choix dans l'oeuvre
mallarméenne..et c'est grâce aux régles et à la
discipline de l'art,qui,par un cheminement implicite,insuffle dans l'esprit de
Mallarmé vigueur et énergie,ce qui lui a permis de surmonter les
anicroches et obstacles de toutes sortes inhérents d'ailleurs à
la nature même de la production poétique..
Art et mysticisme donc,deux pôles,deux axes rigoureusement
définis dans la sphère de l'oeuvre mallarméenne et qui
n'en constituent pas seulement le fondement de la charpente
générale,mais encore l'essentiel de la pensée
poétique de Mallarmé..
Ainsi comme il l'a souligné lui-même dans une des
lettres à son fidèle ami Cazalis ;«Après
avoir trouvé le néant,j'ai trouvé le
beau. »
La crise religieuse qu'il avait ainsi traversée et dont il
faisait allusion ici,est une crise provoquée principalement à
la suite de la lecture de l'oeuvre de Renan,dont l'autorité et la
puissance avaient si profondément marqué intellectuellement
Mallarmé,La crise,dont il se releva d'ailleurs,grâce à sa
persévérance,fut cause du déchirement et de l'angoisse
qu'il n'avait pas cessé de manifester par d'amples détails dans
la majorité de ses poémes44(*)..
Et oubliant presque cette période de tribulation et
d'anxiété mortelle,il exprima,se réjouissant ainsi de ce
retour au calme comme après le passage d'un terrible typhon,sa nouvelle
foi dans la vie ;«La première phase de ma vie a
été finie.La conscience,excédée d'ombres,se
réveille lentement,formant un homme nouveau,et doit retrouver mon
rêve après la création de ce dernier ;cela durera
quelquyes années pendant lesquelles j'ai à revivre la vie de
l'humanité depuis son enfance jusqu'au moment oû elle a pris
conscience d'elle-même »
C'est ainsi que,nourri de la philosophie kantienne,qui s'appuie
fondamentalement sur le subjectivisme métaphysique,Mallarmé,en
écrivant la plupart de ses poémes,était sous l'emprise de
la foi,la foi immuable,la foi en soi et nulle part ailleurs..La connaissance de
soi,issue de l'amour de soi,est un cheminement tortueux qui aboutit en fin de
compte à l'amour de l'humanité et nul mieux que
Mallarmé,parmi les poétes contemporains,n'a exalté avec
force l'esprit cosmopolite et l'amour de la race humaine..
Toute sa poésie,si elle s'appuie en quelque sorte sur une
extrapolation de l'étude de soi,elle n'en suppose pas moins une vision
unverselle de l'humaine condition..
C'est pourquoi il serait inconvenant de
prétendre que la poésie mallarméenne est une
poésie irrationnelle,illogique et irréelle,complétement
indifférente aux souffrances de l'humanité et aux affres de la
vie..
Cette prétention,pour injuste qu'elle soit,ne saurait nous
faire oublier la portée éminente de cette poésie qui a eu
le don,ou plutôt le pouvoir de réveiller en nous le désir
de nous connaître et de percer les forces inconnues qui gisent dans le
fond de notre être..
Ainsi,pour Mallarmé,la vérité est
que,plus nous nous cherchons à nous connaître,plus nous
découvrons un monde nouveau,oû la Beauté,cette
lumière divine,occupe le premier rang..et c'est de la connaissance de la
Beauté que relève l'amour de l'humanité..
III
La vie spirituelle de Mallarmé passe par le
culte du Beau.
Plus que Leconte de Lisle,qui s'était énivré
jusqu'à l'extase du charme profond de la Beauté,plus que Charles
Baudelaire,qui,lui aussi,poussé par une force mystérieuse
à sonder les secrets profonds de tout ce qui est beau, s'était
attaché corps et âme durant toute sa vie si exaltante,à
cette création si divine,Mallarmé du fond de sa retraite intime
de la rue de Rome,explorait patiemment le monde envoûtant de la
Beauté.
Ce n'est pas la Beauté des classiques,qui voyaient en
elle d'abord une inspiratrice esclave !Ce n'est pas la beauté des
romantiques,qui,le plus souvent,l'assimilaient à la laideur,la
considérant comme un objet matériel périssable..Ce n'est
pas non plus la beauté des parnassiens,qui,eux,l'assimilaient à
une statue inerte,paralytique ni plus ni moins..
Bref pour Mallarmé la Beauté est un
phénomène divin,que l'on devait entretenir avec une douceur
extrême et une constante sérénité ;la
Beauté est, contrairement aux parnassiens,un être
vivant,agissant,une intelligence lucide et immortelle «la terrible
difficulté de combiner,dans une juste harmonie,l'élément
dramatique hostile à l'idée de poésie pure et
subjective,avec la sérénité et le calme des lignes
nécessaires à la Beauté .»
Le culte de la beauté,comme le culte du bon
goût en poésie,est une nécessité impérative
et absolue.
Car,grâce à elle,la poésie s'achemine de
l'état de néant vers la clarté céleste ,vers les
profondeurs de la présence surnaturelle..vers l'immanence
métaphysique,vers l'Infini et l'immortalité.
Tel un alchimiste habile,qui procède aux transmutations du
fer en or,la Beauté,alliée et fondue dans la
poésie,galvanise davantage cette dernière et réhausse sa
valeur à une création surnaturelle,en lui conférant une
haute portée mystérieuse..
Mallarmé,occupé tout le temps par la magie de cet
être imaginaire mais sublime et au pouvoir suprêmement
incoercible,ne s'est pas empêché de dévoiler hautement le
grand secret de sa vie.«J'ai,écrivait-il dans une des
lettres à Villiers en 1865,le plan de mon oeuvre et sa
théorie pratique sera celle-ci :donner les impressions les plus
étranges,certes mais sans que le lecteur n'oublie pas une minute la
jouissance que lui procurera la Beauté du poéme et le sujet
apparent n'est qu'un prétexte pour aller vers elle.C'est,je crois,le
mot de la poésie. »
D'ailleurs,aucun poéte,depuis l'ére des classiques
jusqu'à celle des symbolistes,en passant par les romantiques,n'avait
adulé,dorloté et adoré jusqu'à l'exreême
folie la Beauté autant que Mallarmé,qui la croyait être le
réceptacle consciencieux de toute sa puissance et de tout son
génie...
La beauté est une flamme qui brûle,qui nuit et qui
dévore,mais elle est aussi un doux zéphyr au coeur de la
canicule,une bouffée de chaleur dans les jours les plus sombres de
l'hiver,enfin la beauté pour Mallarmé est une bouée de
sauvetage au moment crucial du danger,un mécène
éclairé dans ses méditations poétiques.
Mon âme vers ton front oû
rêve,Ô calme sens,
Un automne jonché de taches de rousseur
Et vers le ciel errant de ton oeil
angélique
Monte,comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle,un blanc jet d'eau soupire
l'azur !
Mais la Beauté de Mallarmé,ce n'est pas lui qui la
crée,loin de là,sa Beauté à lui,est née
d'elle-même,immanente,et tel que Dieu,invisible à l'oeil,mais il
l'entrevoit néanmoins à travers le réseau inextricable de
sa pensée et cherche inlassablement à l'atteindre..
Tel un pygmalion,chaque poéte pourtant invente sa
Beauté ;une Beauté qui lui est propre,conforme à son
goût et à ses aspirations,pour vivre intellectuellement avec
elle,qui le réconforte dans ses moments difficiles et lui inculque le
sens de la patience et de la sobriété..
IV
Renan,Taine et Mallarmé.
Deux hommes de talent,tous deux contemporains et amis de
Mallarmé,avaient introduit presque simultanément dans presque
tous les domaines de la pensée un vraie révolution,une
transformation radicale et profonde..
Deux noms,Taine et Renan,aux deux syllabes
magiques,passèrent en effet comme deux météores dans la
vie intellectuelle de la France de la fin du 19e
siécle,qu'ils marquèrent immanquablement de leur empreinte
indélébile..
Taine,qui semblait en effet avoir donné inconsciemment une
définition quasi exacte du symbolisme,s'est laissé entrainer
jusqu'à énoncer que dans tout homme de génie,qui n'est
par ailleurs qu'un prototype du sol et de la race dont il incarne la
descendance,il devait probablement y avoir « une faculté
maitresse »qui illumine et guide les potentialités du
génie,lequel, se trouvant constamment sous l'effet des sensations,il
s'évertue,par le biais d'un travail d'abstraction continuel,à les
transformer en idées..
Cet aspect de la théorie de Taine,qui n'était pas
du tout étranger à Mallarmé,puisqu'il en avait
déjà pris note durant ses lectures,ne manqua pas de provoquer un
véritable tollé au sein de l'élite intellectuelle,qui
s'acharna aussitôt à le stigmatiser dans des pamphletes d'une
violence inouie..Mallarmé, étant alors un ami lointain de ce
philosophe teméraire,n'a pas lui aussi omis de s'insurger contre de tels
sophismes..
« Ce que je reproche à
Taine,souligna-t-il dans une lettre à Cazalis,c'est de
prétendre que l'artiste n'est que l'homme porté à sa
suprême puissance,tandis qu'on peut avoir parfaitement un
tempérament humain très distinct du tempéramment
littéraire..Je trouve que Taine ne voit que l'impression comme source
des oeuvres d'art et pas assez la réflexion.Devant le papier,l'artiste
se fait ; »
Ce déterminisme inflexible auquel est soumis
l'individu,comme la masse du peuple,n'est à mon sens qu'un simple
reflet de l'humaine condition..
Généralement-et cela est prouvé par la
génétique moderne-l'homme,en naissant,et tout au long de sa vie
sur terre,porte en soi les spécificités mentales et
physiologiques inhérentes à sa race et l'affirmation de
Taine,pour moins neuve qu'elle paraisse d'ailleurs,n'ajoute encore rien
à cette réalité indéniable..
Or Mallarmé,tout en admirant Taine pour ce qu'il avait
produit de nouveau dans le monde des idées,a laissé entendre
néanmoins que la philosophie de Taine,malgré sa pertinence et
l'exactitude de ses vues,n'en était pas moins truffée de
lacunes,de faussetés de toutes sortes,d'arguments erronés qui
n'avaient de fondements que dans l'esprit désinvolte de Taine..
Mais pour atténuer quelque peu la déception que lui
avait laissée les idées de Taine,il pensait que Renan,dont les
doctrines si multiples et si complexes avaient été
propagées largement dans tous les milieux,puisque son oeuvre explore
habilement presque toutes les questions qui touchent de près à
la vie et à l'homme en général..C'est en effet
grâce à lui que le sens du mystère et la soif
d'idéal furent réintégrés et répandus dans
le monde littéraire et dont le développement ne fut d'ailleurs
que l'apanage de quelques esprits de talent..
En outre,ce que Mallarmé semble admirer le plus chez ce
philosophe intarissable,c'est son culte de la vie spirituelle,sa foi en la
raison et sa confiance dans le progrès,attributs que le génial
poéte d'« Un coup de dé n'abolira jamais le
hasard »avait vénérés au plus haut point.
L'idéalisme,issu apparemment de la philosophie allemande
et en particulier de celle de kant,avait alors éclairé
profondément les esprits et réveillé sous son aiguillon
énergique les âmes engourdies..pour répandre à
travers l'atmosphère si étouffante de cette période
poétique en léthargie une fragrance vivifiante et
captieuse..
Et Mallarmé,pris dans la houle de ce courant
irrésistible,donnait des signes d'exaltation et d'enthousiasme,d'avoir
enfin trouvé un nouveau stimulant pour enrichir la substance de sa
poésie..«Si tu savais,écrivit-il alors dans une
lettre à Emmanuel des Essarts,que de nuits
désespérées et de jours de rêverie il faut
sacrifier pour arriver à faire des vers originaux..ce que je n'avais
jamais fait jusqu'ici,et dignes dans leurs suprêmes
mystères de réjouir l'âme d'un
poéte »Mallarmé n'aspirait à rien d'autre
qu'à l'originalité :se libérer tout à fait de
tout cet héritage culturel énorme,il est vrai,qui pésait
lourdement sur sa pensée, et produire une oeuvre qui ne devait rien
à aucune oeuvre antérieure ou contemporaine,une oeuvre enfin
purement et foncièrement mallarméenne :telle était
en vérité la hantise perpétuelle de
Mallarmé
V
La pensée de Mallarmé véhiculaire
d'une nouvelle philosophie de la poésie.
Le séjour de Mallarmé en Angleterre lui fut-il
d'un profit inestimable ?Oui,c'est possible-car à travers l'examen
de son oeuvre du moins celle du début de sa carrière-nous avons
eu l'occasion de percevoir des réminiscences certaines de quelques
poétes anglais.
T.S.Eliot,dont l'originalité a dû frapper tous ses
contemporains,a évolué cependant dans l' oeuvre
mallarméenne,soit en prose soit en vers,vers l'abstraction et de
là vers la pureté exclusive,qui,exquise et profonde dans sa
nature immanente,se déploie spontanément à travers chaque
vers d'Eliot.
Mais l'oeuvre la plus marquante,celle qui était surtout en
vogue à l'époque oû Mallarmé séjournait
à Londres, fut sans conteste «la philosophie de la
composition » de Poe,dont le génie extraordinaire,avait
séduit Mallarmé dans sa prime jeunesse,qu'il avait lu et relu
dans la traduction impeccable de Baudelaire et qui a continué encore
plus tard à exercer sur lui une influence bénéfique
à plus d'un titre..
Par cette oeuvre notable,Poe a marqué à son insu un
nouveau tournant dans la technique de la poésie..
Pour Mallarmé,cependant,ce petit livre,qui fut d'ailleurs
son vade-mecum,au même titre que «Les fleurs du mal »au
temps de son amateurisme était déjà dépassé
dans ses plus grandes parties par les événements..
De plus,Mallarmé se souvenait merveilleusement avoir
recueilli du temps qu'il était encore un fervent adepte des parnassiens
quelques notions similaires à celles de Poe,tant au niveau de la
technique du vers que de la fusion de la matière dans la chaîne
expressive,dans une oeuvre,non moins importante,d'un certain conteur italien
Francesco Paluzzi «La Bella Poetica 45(*)»traduit en anglais,dont
il releva comme d'instinct la citation qui amplifia largement sa vision de la
nouvelle poésie«It is not,in short,the
story which is the essential feature of poetry,but the
verse »Cette idée fulgurante marqua à jamais
le jeune poéte qui s'absorbait chaque jour davantage dans ses
profondes méditations à la recherche d'une explication à
cette citation qu'il avait prise pour un aphorisme miraculeux et à
partir duquel il s'acharnait à trouver une nouvelle conception de
la poésie,pour éclairer celle-ci d'une nouvelle lumière
et la faire sortir de l'état de marasme intellectuel oû elle se
trouvait...
D'ailleurs ce n'est pas seulement cet auteur italien qui lui a
ouvert la voie vers de nouveaux horizons..c'en est encore un autre,anglais
cette fois,Walter Pater,qui,composant un essai sur Winkelman,il insinua que la
poésie est « All litterary production which attains
the power of giving pleasure by its form as distinct from its
matter » auquel venait s'ajouter l'opinion hardie de
Margeret Gilman dans son ouvrage ayant pour titre
évocateur :« The Idea of Poetry in France from Houdar de
la Motte to Baudelaire » « Poetry
,suggéra-t-elle alors, which found not only a balance between
form and content but a fusion of the two into
one ».
A son retour en France,il entreprit dès lors d'enrichir
davantage son expérience et d'élargir sa vision d'une nouvelle
stratégie de la poésie--passant outre de l'idée qui
affirme que « the sublime and the pathetic are the two chief
nerves of all genuine poetry »,il tâcha d'explorer l'essence
même de la poésie,d'y sonder les abîmes,d'y fouiller dans
les profondeurs tortueuses,de péser chaque terme et d'analyser
scrupuleusement chaque théorie,en quête des assertions et
arguments probants ,susceptibles d'éclairer suffisamment l'opinion de
Mme de Stael qui déclarait à l'occasion de son étude
magistrale sur les poétes allemands. «Les beaux vers ne
sont pas de la poésie...il faut pour concevoir la vraie grandeur de la
poésie lyrique,errer par la rêverie dans les régions
éthérées,oublier le bruit de la terre en écoutant
l'harmonie céleste et considérer l'univers entier comme un
symbole des émotions de l'âme. ».Cette affirmation
franchement originale à une époque qui évoluait alors
sensiblement vers un romantisme dominateur,a largement contribué
à consacrer et à consolider la vision de Mallarmé qui ne
s'est pas encore empêché d'être encore vivement ému
à la lecture de cette définition de la poésie
donnée toujours par la même Mme de Staël,grande
pionnière du romantisme « Une
possession,écrivit-elle encore dans son excellent ouvrage
intitulé De l'Allemagne ,momentanée de tout ce que notre
âme souhaite ;le talent fait disparaître les bornes de
l'existence et change en images brillantes le vague espoir des
mortels. »
Ces importantes idées ont éclairé la
pensée de Mallarmé qui tendait à la découverte
d'une stratégie d'une nouvelle poésie pure, une poésie
qui se produit et se fait elle-même,nourrie de la sève de
l'inconscient,qui est en effet le siége authentique de toute
poésie révolutionnaire ; « Ce n'est
point,écrivait-il à son ami Degas,avec des
images,mon cher Degas,que l'on fait des vers.C'est avec des
mots. »Et Degas,qui n'avait pas pénètré le
sens de cette nouvelle philosophie répondit,l'air
déçu.«Votre métier est infernal.je n'arrive pas
à faire ce que je veux et pourtant je suis plein
d'idées. »
Le vers est tout ;le poéme en tant que
forme,abstraction faite de son contenu,est ce qu'il faut faire..
Le fond s'épuise,se disloque et se disperse avec le
temps,alors que la forme demeure aussi dure que le marbre et ne se
désagrège jamais..Cette sorte de doctrine,qui préconise
en poésie l'architecure du vers,sa solidité et sa
consistance,sans donner la moindre importance aux matériaux au moyen
desquels cette architecture fut réalisée est une doctrine
vouée à l'échec et faite absolument pour s'annihiler
d'elle-même..
Car pour Mallarmé,le vers n'a de sens ou de signification
formelle que lorsqu'il renferme en soi autant d'idées qu'il est
possible,puisque de la structure solide du vers dépend en premier lieu
le sens du message exprimé-autrement ce ne serait pas de la
poésie,ce serait plut$ot un jeu ,une sorte de facétie pour se
distraire et rien de plus46(*)..
VI
La vision cosmique et morale de la poésie
mallarméenne.
Mallarmé,à la suite de son maître
Baudelaire,considère que le monde n'est perfectible que par le moyen de
l'art,seul et unique instrument susceptible de prévaloir le prestige du
Beau et du Bien,sur le Mal et la Laideur..Or le monde
d'ici-bas,hérissé des maux de la terre,pouvait se purifier et
s'épanouir dans sa plendeur originelle,grâce au génie du
poéte,qui manipule habilement l'art ainsi que les autres outils de
perfectionnement de la société..
Dans la période allant de 1851 à 1852,Baudelaire
éprouvait grandement ce besoin impérieux,en affirmant,à la
suite d'une crise hystérique ,que toute espérance,toute foi dans
le futur,bref dans un au-delà inconnu,réside aussi bien dans sa
purification morale que dans sa régénération
spirituelle. «Faire tous les matins,écrivit-il dans ses
journaux intimes,ma prière à Dieu,réservoir de toute force
et de toute justice,à mon père,à Manette et à
Poe,comme intercesseurs. ».Mallarmé,au temps de sa pleine
maturité intellectuelle,en lisant cette confession,si insignifiante et
banale fût-elle,comprit aussitôt que son maître,loin d'avoir
été superstitieux et naïf,tendait effectivement à la
perfection morale et divine.
De plus,il s'avérait que,à l'occasion d'un
article écrit sur« Pierre Dupont » Baudelaire
condamnait énergiquement « La puérile utopie de
l'école de l'art pour l'art » pour avoir exclu de la
poésie la passion et la morale et ,prenant le contre-pied de ces
poétes utopistes,il exalte avec une ferveur inattendue
« l'idée de la vertu et de l'amour universel
« tout en s'insurgeant en même temps contre ces
poétes hellénistes qui se dévouaient trop
délibérément à la peinture de la passion et de la
morale du temps révolu et de l'ère paienne..C'est en effet dans
cet ordre d'idées que Mallarmé a entrepris -du moins pour un
temps-de se lancer sur les traces du maître..Et repoussant trop
dédaigneusement les préceptes et dogmes tant respectés
de l'école de l'art pour l'art,il conçut une poésie,non
pas pragmatiquement utilitaire,mais une poésie qui,visant à
réformer le monde,tant sur le plan moral
qu'intellectuel,s'élevait au-dessus de toutes les considérations
matérielles viles.«C'est un genre assez nouveau que cette
poésie oû les effets matériels du sang,des nerfs sont
analysés et mêlés aux effets moraux de l'esprit et de
l'âme »
Cet univers poétique,de lumière et de
sons,né dans les creux obscurs de son âme
énergique,émergea à la surface sous forme d'inspiration
divine et l'on assiste à la fois ému et ébaubi -à
une transfiguration idéale et éthique en même temps dans
l'espace physique que psychique-transfiguration dont le seul mérite
est d'élever le sens du bonheur au rang d'une valeur
vitale,céleste et sacrée,inséparable de celle du
rêve et du beau,ne s'affirmant et ne se confirmant que par le biais du
rêve,né et entretenu dans les sein de cette nouvelle
poésie..
Ainsi,bien que Mallarmé se fût montré plus
d'une fois fort réticent à l'égard de la religion,qu'il
condamnait comme illusion et mystification,une religion nantie du pouvoir
aveugle et de la tyrannie de réduire et d'aliéner l'esprit
humain,tout en suggérant toutefois un autre substitut plus
salutaire,à savoir la puissance divine de l'art,qui agit plus
bénéfiquement sur les esprits dans le dessein de les parfaire
jusqu'à atteindre un idéal plus sublime..
La perfection morale ou le dépassement de soi était
le but essentiel-sinon exclusif-de Mallarmé,qu'il joignit en particulier
à celui de perfection artistique et esthétique,qu'il n'aurait pu
dissocier du premier.
«Malheureusement,affirma-t-il dans une lettre écrite
à Cazalis en avril 1850,en creusant le vers à ce point,j'ai
rencontré deux abîmes qui me désespèrent :l'un
est le néant auquel je suis arrivé sans commande ,l'autre le
bouddhisme et je suis encore trop naïf pour pouvoir croire même
à ma poésie et me remettre à un travail que cette
pensée écrasante m'a fait abandonner » Ainsi la
recherche du perfectionnement artistique le conduisit inéluctablement
à un désespoir que l'on pouvait qualifier à juste titre de
métaphysique.
Plus il cherche à atteindre la perfection,plus son
désespoir s'accroît indéfinément,pour aboutir en fin
de compte à un vide absolu,à une inanité
cruelle,très proche de l'effondrement total,dont nul ne pouvait
déceler les vraies motivations..
A certains moments de sa vie,lorsqu'il entreprenait à
purger pleinement son être de tous les vices congénitaux et de
toutes les tares physiques apparentes ou latentes,il entrevoyait avec horreur
le néant,la vanité de tout travail et l'ombre vague de la
religion l'enveloppa d'un suaire terrible,étouffant, mortellement
asphyxiant,à tel point qu'il se mit a songer à embrasser
,à l'instar de Leconte de Lisle,la nouvelle religion bouddhiste,comme
substitut à la religion chrétienne,qu'il ne trouva pas tout
à fait à son goût ni conforme à son esprit,que
hantait perpétuellement le culte de l'art.47(*)
De plus,ce qui avait vraiment conduit Mallarmé à
une crise morale aiguë,c'était sa santé ,en état de
délabrement continuel,qu'il dédaignait par ailleurs de
ménager,absorbé qu 'il était par un labeur physique
intense,tiraillé par un dilemme angoissant,entre la résignation
à un état moral naturel et l'insurrection intellectuelle contre
cet état stationnaire,ce qui lui aurait permis précisément
d'y apporter une transformation totale,apte même à parfaire
l'humanité dans son ensemble.
La mort soudaine de son grand-père48(*),qu'il adorait et aux
obsèques duquel il avait assisté,le plongea davantage dans un
deuil infini-Pire encore,la maladie de Baudelaire,atteint depuis belle lurette
de faiblesse de coeur et déjà d'une santé fort
chancelante,acheva pour de bon de l'anéantir moralement et
psychologiquement..
Ses tourments,aigris par un pessimisme sombre,durèrent
jusqu'à la fin de 1866,pour atteindre un point culminant ,au point de
croire que sa fin était imminente.
C'est dans ces circonstances terribles,qu'il a eu l'impression
qu'une vision étrange d'une poésie purifiante,a fait jour dans
soin esprit,telle une étincelle éblouissante qui a balayé
d'un seul coup tous les maux tragiques dont il souffrait..
Cette vision lumineuse ,surgie en effet au sein de son esprit
défaillant,et qui l'a libéré de l'état de
désespoir oû il était,nous rappelle en quelque sorte
l'impact spirituel qu' a exercé sur lui la théorie
hégélienne ; ;mais Mallarmé,à en juger
par sa position vis-à-vis du philosophe allemand,était moins
enclin à reconnaître fermement son influence,d'ailleurs
évidente dans la plus grande partie de son oeuvre..Il affirma au
contraire que,c'est grâce à sa sensibilité
aiguë,à son intuition pénètrante,qu'il a
été amené à forger une nouvelle forme de
poésie universelle et dans ce sens,il écrivit en 1867,à
villiers de Lisle Adam : « J'avais,à la faveur
d'une grande sensibilité,compris la corrélation intime de la
poésie avec l'univers,et,pour qu'elle fût pure,conçu le
dessein de la faire sortir du rêve et du hasard et de la juxtaposer
à la conception de l'univers :malheureusement,âme
organisée simplement pour la jouissance poétique,je n'ai
pu,dans la tâche préalable de cette conception,comme vous,disposer
d'un Esprit--et je vous confie que je suis arrivé à l'Idée
de l'univers par la seule sensation(et que,par exemple,pour garder une notion
ineffaýçable du néant pur,j'a dü imposer à mon
cerveau la sensation du vide absolu..Le miroir qui m'a réfléchi
l'être a été souvent l'horreur... »
Pour Mallarmé,le monde,en tant que
phénomène naturel,ne présente rien d'autre que ruine et
désastre ...Cette idée est par ailleurs mitigée par une
disposition quasi instinctive de vouloir réformer tout ,ce qui l'a
conduit au bout du compte à insinuer sans oresque
réfléchir : «Le monde est fait pour aboutir
à un beau livre. »
De quoi serait-il fait ce beau livre ?Serait-ce par le
tragique,l'horreur des séquences et des contingences dont son esprit
était constamment obsédé ?
Ou encore il serait beau par cet amas de visées presque
intuitives relatives au perfectionnement de la race humaine ?
D'ailleurs,notre monde est-il perfectible Se laisse-t-il enfin se
décharger du fardeau des maux qui l'accablait au fil des
siécles ?Quoi qu'il en soit ce «beau
livre »n'est en vérité qu'une utopie,une vision
idéaliste qui s'effrite aussitôt avec l'apparition de la
réalité absolue,car ce n'est ni Hérodiade
ni non plus l'Après -midi d'un Faune n'avaient
porté en eux les germes de la purification de l'humanité..
Mais,toutefois,si l'amélioration du monde s'avérait
effectivement impossible,la théorie hégélienne à
laquelle Mallarmé croyait indubitablement et d'après laquelle
l'Idée logique comme un mystérieux absolu se dissoudrait et se
transformerait en l'univers,au lieu de s'isoler comme Dieu,dans la providence
duquel d'ailleurs Mallarmé ne croyait absolument pas..Or cette
Idée logique,telle une semence dans un jardin inculte,pouvait donner ses
fruits et parfaire l'amélioration morale du monde.Dans une une
interprétation de la pensée hégélienne,le
philosophe Bénard a fait remarque que « Dieu
lui-même se fait homme,le Dieu qui se sait,à la fois individuel et
universel...L'être universel ne se manifeste pas seulement dans la
personne du Christ mais dans l'humanité toute entière...ce
développement de l'absolu qui se contemple ainsi dans le monde moral
sans sortir de son essence est la paix,l'harmonie,de l'esprit avec
lui-même dans son objectivité »Le monde deviendra
poétique,lorsque avec le temps,l'Idée du Bien et du Beau s'ancre
et s'enracine dans le sol stérile de l'humanité..et l'homme qui
aspire toujours à la libération de soi,au réconfort et
à la jouissance,loin de la douleur et du mal,réalise par son
génie divin .« la coorélation intime de la
poésie avec l'univers »l'homme dès lors ne fera plus
partie de l'univers,mais il y sera absorbé,tel le fini dans
l'infini,selon la pensée pascalienne..C'est également là
la vraie hantise qui n'a pas cessé de tourmenter
Mallarmé.«C'est,écrivit-il encore à Cazalis dans une
lettre datée du 14 mai 1867,c'est t'apprendre que je suis
impersonnel,et non plus Stéphane que tu as connu--mais une aptitude
qu'à l'univers à se voir et à se ressentir
à travers ce qui fut moi.. »Ainsi,pour
Mallarmé du moins,le devoir de l'homme,comme de sa destinée,est
de lutter,de lutter afin de pouvoir se rapprocher le plus près possible
de l'impossible idéal de pureté,représenté par
Igitur dans « Un coup de
dés.... » ;c'est pour cela que,dans la
poésie mallarméenne,telle la fusion du fini avec l'infini ou le
temporel avec le spirituel--le sujet est confondu avec l'objet,sans pour autant
provoquer de confusion au niveau de l'Idée,puisque,en dernier ressort,le
sujet est toujours Mallarmé lui-même ou à plus forte raison
le poéte qui s'identifie à tous les autres poétes et par
là à l'humanité entière..
VII
Grandeur et décadence de la matière
poétique dans l'oeuvre de Mallarmé ;
Dans les stances de « l'après-midi d'un
Faune » la fureur du désir est en quelque sorte
tempérée par une certaine pureté métaphysique et
dans toute la piéce,on y sent malgré tout,le parfum,un parfum
obsédant de sensualité et de luxure,le tout enrobé
cependant dans le voile immaculé d'une
« ingénuité » toute
féminine...«Oui,je le sais,écrivait Mallarmé
à son ami Des Essarts,nous ne sommes que de vaines formes de la
matière,mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre
âme,si sublimes,mon ami,que je veux me donner le spectacle de la
matière ayant conscience d'être et,cependant
s'élançant forcénément dans le rêve qu'elle
sait n'être pas,chantant l'âme et toutes les divines impressions
pareilles,qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges et
proclament devant Dieu qui est la vérité,les glorieux
mensonges. ».
Transformez l'essence de la matière en quelque
chose de vivant,c'est tuer l'esprit,le vrai esprit, :la matière
reste matière,toujours constante et invariable,fragile et
malléable,soumise à la puissance dominatrice de l'esprit..
L'avenir est à l'esprit et non à la
matière..L'esprit survit à toutes les calamités de la
terre,mais la matière,bien qu'elle renaisse perpétuellement de
ses cendres,finira un jour par s 'éteindre une fois pour
toutes..
Mallarmé a-t-il fait l'éloge de la matière
dans son oeuvre ?Oui,certes,la matière,en tant
qu 'élément vital dans la structure de l'oeuvre
mallarméenne,y occupe la place fondamentale..
La matière en tant que sujet du thème ou
même en tant qu'objet visible,tangible,reconnaissable dans la masse
compacte du poéme,cette matière a commencé à perdre
son privilège,lorsqu'une nouvelle dominante,le rêve pur et
absolu,apparut,pour se substituer de force à la matière
initiale,en faisant reculer les frontières des affres de l'existence ,de
l'agonie de l'âme,de la soif de la chair et du mortel ennui..
La matière et l'esprit,comme le corps et l'âme,deux
grands pôles deux grands piliers confondus eu un qui supportent
éternellement la charpente de l'oeuvre mallarméenne..
En conséquence,plus la matière perd de son prestige
et de son rayonnement,plus l'esprit du vers se dégrade
sensiblement,s'érode,s'élime,s'effiloche comme un morceau
d'étoffe criblé de mites et perd tout sens réel...
C'est évidemment pour cela que,dans l'ensemble de
l'oeuvre,l'on s'est rendu compte plus d'une fois de cet équilibre
génial,qui se trouvait entre la matière d'une part et l'esprit
de l'oeuvre.de l'autre part. «Il n'y a pas de forme qui ne soit
le reflet du fond .» Valéry,avec tact et
sagacité,avait saisi le sens de cette cohésion,de cette
cohérence intime qui constituait en un tout indivisible l'oeuvre de son
Maître..
Mais,si l'on est certain que l'oeuvre est édifiée
selon cet équilibre infaillible,cette union indissoluble et
indissociable ,l'on constate d'un autre côté,en raison de la
complexité des idées et de leur ennchevêtrement
incroyable,impossible en effet à dissocier de l'ensemble monolithique
de l'oeuvre,le régne de la matière,cependant,pouvait dans
certaines limites être réduit pour permettre à l'esprit
d'étendre davantage son envergure.. « Rien n'est
peut-être allé si loin que « l'Après-midi d'un
Faune »dans la poésie pure »A.Thibaudet
était ainsi conscient que plus la matière est
réduite,exiguë et presque nulle,plus la poésie est
pure,claire et fluide et cela nécessite à priori un esprit
profond,abstrait,ouvertement en avance sur le temps..
L'esprit d'un vers véhicule
impérativement un sens réel ou irrée(la
matière)dont il est impossible de se passer..car pour
Mallarmé .«Le hasard n'entame pas un vers,c'est la grande
chose .» et le vers ne sera vraiment pourvu de sens que
lorsqu'il est suffisamment nourri d'idées..Et pourtant pour
Valéry,disciple ardent et fils spirituel de
Mallarmé «Un très beau vers est un
élément très pur de poésie »C'est que
plus l 'élément matériel ,au niveau des idées
cela s'entend,est en quelque sorte aménuisé,anémique et
exsangue,plus l'expressivité du vers,au lieu de se révéler
par voie de conséquence foncièrement
insignifiante,apparaît au contraire dans sa pleine maturité et sa
force.«Je ne transcris pas,je construis..,déclara fermement Alain
Robe Grillet dans son principal ouvrage « Le Nouveau
Roman »C'était déjà la vieille ambition de
Flaubert :bâtir quelque chose à partir de rien,qui tienne
debout toiut seul sans avoir à s'appuyer sur quoi que ce soit
d'extérieur à l'oeuvre.C'est aujourd'hui l'ambition de tout
roman. »Et Mallarmé grâce alors à un génie
sensible et profond, est parvenu à réaliser tout un
chef-d'oeuvre monumental à partir non pas d'un rien ,mais à
partir du Néant,..faisant des remontrances à Des Essarts,il
écrivit en 1863 dans une lettre à Cazalis. « Il
confond trop l'Idéal avec le Réel.La sottise d'un poéte
moderne a été jusqu'à se désoler que l'action ne
fût pas la soeur du rêve !Emmanuel est de ceux qui regrettent
cela .Mon Dieu,s'il en est autrement,...Le rêve était aussi
défloré et abaissé ,oû donc nous
sauverons-nous ?Nous,nous autres malheureux,que la terre
dégoûte et qui n'avons pas le rêve pour refuge.Mon
Henri,abreuve-toi d'Idéal,Le bonheur ici-bas est ignoble ;il faut
avoir les mains bien calleuses pour le ramasser.Dire « Je
suis heureux »c'est-à-dire « je suis
lâche » et plus souvent « je suis
niais »car il ne faut pas voir au-dessus de ce plafond de couleur le
ciel de l'Idéal ou fermer les yeux exprès. »Pour
Mallarmé,comme pour la plupart des symbolistes,le rêve une
matière fugace er vaporeuse,est le thème principal d'une
poésie magnifique...
Par le rêve,comme par l'illusion dont on se trompe
expressément soi-même,pour nous faire croire qu'on vit un instant
de cette félicité paradisiaque,mais illusoire et
fugitive ;par le rêve enfin,on entretient en nous ce monde de
bonheur que mallarmé cherchait ,dans son esprit,à
matérialiser et à rendre réel et tangible,pour pouvoir le
vivre,le sentir plus intensément le plus longtemps
possible ; ;
VIII
Mallarmé était-il prophète ou
mage ?
Avant de clore ce chapitre,on est en droit de
s'interroger :Maalarmé était-il prophète ou
mage ?Naturellement il ne l'était ni l'un ni
l'autre ; ; !Car s'il l'était effectivement,la
poésie mallarméenne aurait été tout autre,une
poésie moins raffinée,moins exaltante,moins euphorique et surtout
moins pure,de la pureté d'un ciel sans nuages ou celle d'une plaine
fleurie,parsemée gaiement de rosées
étincelantes ; ;
Toutfois,la poésie mallarméenne renferme en son
sein le sens d'une prophétie et cette prophétie réside en
effet dans le choix qu'il avait fait peut-être d'instinct de cette
nouvelle percée dans le monde de la poésie,un choix
juste,dû à une inspiration divine..Car la rectitude,l'exactitude
rigoureuse de cette nouvelle poétique n'a pas été le fait
du hasard...c'est un choix basé en premier lieu sur des facteurs
concrets et solides,sur sa capacité de voir plus loin et sa
perspicacité de percer les secrets de l'avenir..
Aucun poéte français,depuis la Renaissance
jusqu'à nos jours,n'avait senti en lui cette faculté
mystérieuse , pour prévoir et sonder intelligemment et
intellectuellement le futur proche et lointain..
Cette faculté mystérieuse,siége de toutes
les visions et de tous les augures,s'affirme de jour en jour,pour devenir chez
Mallarmé,une vraie puissance,tendant à réformer et
à purifier l'humanité de ses maux,de toutes ses impuretés
infectes,de toutes ses deviations tortueuses,afin de la transformer en une
humanité plus humaine,au sens propre du mot,plus pure et plus
radieuse,jouissant pleinement du bonheur terrestre sans faiblesse..
D'un autre côté,Mallarmé,en s'attachant
à réformer l'humanité par la poésie,aussi bien que
par l'art,stigmatisant tous les phénomènes religieux,qui,selon
lui,surchargent,obstruent et entravent les facultés humaines,prone en
revanche l'amour sans contrainte,surtout l'abus des contraintes religieuses et
morales,qui sont à ses yeux d'une nocivité effrayante,car au lieu
d'affermir les âmes,de les orienter vers le Bien et le
Beau,détruisent au contraire toutes aspirations vers
l'idéal,provoquent des conflits internes et par là sapent tout
altruisme humanitaire...Victor cousin rejoint dans ce sens le maître du
symbolisme,lorsqu'il affirme en connaissance de cause que toutes les
doctrines,de quelque nature qu'elles soient,ne sont efficaces qu'en
elles-mêmes et pour elles-mêmes.«De la religion pour la
religion,de la morale pour la morale,de l'art pour l'art. »Rien
en effet ne pouvait être utile à l'humanité..Tout n'est
utile que pour soi et cela s'applique aussi bien pour la race humaine que pour
les doctrines contemporaines..
Mais,Mallarmé en tant que poéte très
conscient de sa haute mission,ne se laissa pas faillir à son ultime
devoir,qui est de permettre à l'humanité de vivre dans une
ambiance universelle pure et confortable,grâce à la floraison
d'une poésie pas tout à fait utilitaire au sens pratique du
terme,mais une poésie spirituelle,intellectuelle,psychique,capable de
relever l 'humanité de son accablement perpétuel.«O
que j'aime bien mieux la poésie pure,les cris de l'âme et les
élans soudains et puis les profonds soupirs,les voix de l'âme et
les pensées du coeur. » G.Flaubert,qui n'avait pas
autant que Mallarmé cette force sublime,qui vous pousse malgré
vous à instaurer le régne du bonheur et de l'amour,par le moyen
d'une poésie intelligente et suprêmement humaine,se résigna
à contempler de loin l'essor de cette oeuvre infiniment riche et
exaltante..
Ainsi pour qu'il parvînt à concrétiser cet
objectif fondamental,à savoir la réalisation d'une poésie
de bonheur et de merveille éternels,Mallarmé s'occupa même
de l'alchimie et de l'occultisme,qu'il avait considérés comme des
sciences,susceptibles de résoudre certains problèmes
métaphysiques49(*)
attachés à la condition humaine..
Il est allé jusqu'à faire état,dans
quelques-uns de ses fameux poémes,du mythe du soleil50(*) :
Car j'installe, par la science,
l'hymne des coeurs spirituels,
Et l'oeuvre de ma patience,
Atlas,herbiers et rituels...
Ce mythe solaire semble établir des rapports
plus intimes entre le poéte et sa
« Muse » ;
Dans les « Dieux antiques » Mallarmé a
montré comment les dieux et les héros,métamorphosés
en un seul dieu soleil,représentant de l'homme dans ses aspirations,ses
succés et ses déboires,éclairaient la voie à
l'humanité entière dans son ascension vers la béatitude
infinie ,céleste..
Ainsi,l'homme,une fois purifié du reste de la
matière,aura le privilède de flâner gaiement dans un havre
céleste,que nul ne connaît et qu'il définit comme
« La terre des hyperboréens qui ne connaissent ni jour ni nuit,ni orage,ni la sécheresse,ni la
mort ;mais vivent joyeusement parmi de beaux jardins,oû les fleurs
ne se fanent et ne disparaissent jamais .»
Cet éden que Mallarmé,à la faveur
d'un élan prophétique inattendu,sembla avoir
réservé à une élite,n'est en réalité
qu'un aiguillon,un stimulant intellectuel pour faire agir les facultése
de perfectibilité de l'être humain..
Pour Mallarmé,comme pour tous les grands artistes de son
temps,atteindre à la Beauté,cet être
suprême,divin,insaisissable « le plus grand charmant spectacle
de la nature »n'est pas chose aisée..Cette beauté qui
incarne la perfection aussi bien de l'âme que du corps,n'est en
vérité que l'apanage de la femme,laquelle,dans la poésie
mallarméenne,comme dans la mythologie grecque,joue le rôle de
l'aurore,destinée à éveiller les hommes
de « leur sommeil 51(*)»
tel hégel dans sa vision de l'univers,et de la
nature,Mallarmé croyait que tout homme ,qui aspire à
l'au-delà,un au-delà meilleur,doit transcender la conscience de
soi,l'extinction de soi,dans un pur miroir à travers lequel l'univers se
réfléchit comme un système d'idées pures..
Mallarmé,prophète ?En quoi l'était-il
au juste ?En quoi s'exerçait réellement sa
prophétie52(*) ?Le rêveur(ou le fanatique de
rêves)pouvait-il se dépasser pour être prophète et
percer l'inconnu dans l'au-delà et sonder les horizons lointains du
futur ?
C'est ainsi qu'aurait réagi justement la critique
actuelle,qui,en dépit de longs efforts,n'a pas encore compris ni
dévoilé le mystère qui entoure la poésie
mallarméenne,qui demeure cependant inaccessible pour la plus grande
majorité des lecteurs..
Il est vrai que Mallarmé,attaché dévotement
à l'art,conçu comme l'expression du rêve,aspirait au
bonheur et à la joie,à travers les lumières de son
esprit,en s'évertuant toutefois à se faire des ailes imaginaires
pour atteindre le zénith du ciel,sans pour autant d'ailleurs chercher
à démasquer les mystères attachés à la
mysticité ou même à la métaphysique,qu'il jugeait
cependant ineptes et puérils ;
Cette transcendance vers l'idéal,cette aspiration à
la joie terrestre et au bonheur spirituel,c'est pour les communiquer à
l'humanité-à travers le charme de sa poésie-qu'il
s'acharnait ainsi à les atteindre..
Car pour lui,le poéte ou l'artiste n'est qu'un pauvre
histrion un « ridicule Hamlet » qui sait à merveille
qu'il est dans l'incapacité totale d'assumer son rôle en tant que
promoteur et pionnier d'une foi en la pureté de l'humanité.
Mais lui Mallarmé,sait bien qu'il porte en effet sur ses
épaules le fardeau des tourments,des angoisses et des souffrances de
l'humanité agonisante et pour sa délivrance de ses malheurs
perpétuels,il eut la foi,une foi inébranlable,qui réside
bien dans cet idéal artistique qui suppose en effet la purification de
soi qu'il s'est donné comme tâche primordiale de prêcher
à la postérité.
Et le poéte d' « Un coup de
dès ... » travaille dans la sérénité et
le calme profond de son être intime..La sérénité qui
s'allie indissolublement à l'eouvre ,enfin la
sérénité divine dans laquelle il se retrempe pour
concevoir et échafauder son grand projet de réforme
poétique qu'il transmettra à sa génération ainsi
qu'aux générations futures...,ce projet qui tendait à
transformer le désordre en ordre,l'obscurité en lumière
et la discordance en harmonie céleste..
L'effort que déploya Mallarmé,au lendemain de son
irrévocable décision de s'émanciper de ses
inséparables mentors Poe et Baudelaire pour se créer une
impersonnelle conscience universelle semble avoir de nos jours une
portée prophétique indéniable..La poésie pure au
centre de son idéal poétique et esthétique et c'est par
le moyen de cette poésie qu'il tendait à communiquer avec
l'avenir,à jeter un pont entre lui et l'inconnu,oû la
Beauté sous la forme d'une « Idée
Sublime 53(*)»
traverse l'espace ténébreux pour arriver à la destination
qu'il lui avait assignée..
Or les prophètes de tous les temps avaient
concentré tous leurs efforts sur les phénomènes
religieux,comme la peur de l'au-delà,la fin imminente du
monde,l'apparition des catastrophes et des fléaux
dévastateurs ;mais la prophétie de Mallarmé,je le
rappelle,était loin de se pencher sur ces calamités,au
contraire,cette prophétie était axée en premier lieu sur
l'espoir,la confiance en le pouvoir de l'homme de se dépasser,de se
transcender et d'aller au-delà des frontières imposées
cruellement par la nature,pour s'approprier les forces et les qualités
éminentes de surhomme.54(*).
C'est en cela que consiste fondamentalement cette vision
extatique qu'il semblait vouloir dibvulguer à travers la pureté
métaphysique de sa « poétique très
nouvelle » qu'il avait formulée avec soin dans son projet..
A travers son oeuvre favorite « L'après-midi
d'un Faune55(*) »Mallarmé tenta non pas de
présenter une image fidèle de la pureté en
poésie,mais de transmettre une vision radicale de l'immanence divine,de
l'esprit céleste,enrobé dans un suaire de lumière et
d'incandescence subtile qu'il érigea en forme d'Idéal
spiritualiste susceptible d'être matérialisé par
l'humanité..
Ainsi,quand des raisins....
j'ai sucé la clarté,
Rieur,j'élève au ciel d'été
La grappe vide...
L'humanité,pour atteindre au sublime,pour régner
sur les cimes de l'apothéose et de la félicité
infinie,doit triompher de ses maux attachés à sa nature et
s'imprégner de l'effluve divin,en s'abreuvant dignement de la
lumière éternelle,propagée à profusion par la
poésie pure..
CHAPITRE SIXIEME.
SPECIFICITE ET ORIGINALITE DE LA POESIE
MALLARMEENNE
zzz
Mallarmé en tant que poéte symboliste et
visionnaire profond,ne s'abaissa pas jusqu'à exploiter des thèmes
courants,banals,tels que les passions de l'amour,les vices et tares sociaux,ou
même la soif de la gloire,enfin des thèmes déjà
exploités jusqu'à la satiété tant par les
romantiques que par la plupart de ses contemporains..
Parmi les nombreux thèmes principaux traités
intelligemment par Mallarmé,il y en a un qui attire plus
particulièrement l'attention,,tant par la magie suprême que par
l'irrésistible force qu'il ne cesse d'exercer sur les
esprits :c'est la religion :
Il palpite,il frémit d'espérance et de
fiévre.
Si le coureur de Hérédia,qui aspire malgré
les obstacles à la victoire,s'agite,se demène fievreusement
avant d'atteindre son but,par contre l'homme de Mallarmé,sous l'attrait
de la religion,aspire à la pureté :
Et voici qu'au contact glacé du doigt de
fer,
Un coeur me renaissait,tout un coeur pur et fier..
C'est l'effet magique de la religion..
Son magnétisme,son pouvoir indomptable,s'exercent
puissamment non seulement sur les faibles mentalités,mais encore et
cela d'une façon plus déterminante,sur les esprits que l'on
considère souvent comme des esprits forts..
Et voici que,fervent d'une candeur divine,
Tout un coeur jeune et bon battit dans ma
poitrine.
Cette ineffable exaltation,née au contact d'une religion
au pouvoir implacable,s'épuise et s'évapore au contact d'une
réalité plus réelle et plus imposante...Celle,à
coup sûr,des contingences du temps,les contre-coups d'une destinée
inexorable...
Je sens en moi toutes les passions
D'un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent,la tempête et ses convulsions
Sur l'immense gouffre--
Me bercent--d'autres fois,calme plat,grand miroir De mon
désespoir..
Ces traits tragiques,s'ils étaient lancés par
Baudelaire dans ses plus tristes moments,Mallarmé,son ardent disciple,ne
les aurait absolument pas désavoués ;bien plus, il se les
aurait appropriés sans réticence..car le sens de la
religion,comme le sens du vide,ne guérit pas,ne procure pas le baume
dont on aurait besoin dans les moments les plus graves,lorsque la
désespérance,l'horrible désespérance s'empare de
l'âme et la soumet sous son pouvoir tyrannique56(*)..
En outre,pour Mallarmé,comme d'ailleurs pour Verlaine ou
encore Verhaeren,ce n'est la religion,ni l'espoir,qui puissent
réveiller l'âme abattue et défaillante :
Qu'il était bleu,le ciel,et grand l'espoir,
L'espoir a fui,vers le ciel noir.(Verlaine)
Rien ne fait aimer l'espoir ;lorsque,aigri par
l'angoisse,accablé de chagrin,l'homme se trouve devant une alternative
sans issue..
Je ne vois plus rien
Je perds la mémoire
Du Mal et du Bien...(Verlaine)
Pour Mallarmé,comme pour Rimbaud,la vie,en
elle-même,n'a pas de valeur,mais ce qui la rend plus tolérable,ce
qui lui donne vraiment plus de rayonnement et de signification,c'est le
chemin-c'est à coup sûr le sens même de cette vie-par lequel
nous conduit lentement jusqu'au but,sans atermoiements,ni réticence,qui
est la fin des fins,le terme de nos interminables jérémiades et
de nos malheurs sur terre ; ; :
Le moulin tourne au fond du soir,très
lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
Il tourne et tourne,et sa voile,couleur de lie,
Est triste et faible et lourde et lasse,infiniment,
.................................................................
le vieux moulin qui tourne,et las,qui tourne et
meurt ;
Verhaeren.
Pour Verhaeren,le moulin,c'est en quelque sorte l'humanité
qui trime,peine,souffre et meurt...C'est encore l'essence ou le sens de la vie
et ce qui est particulièrement séduisant dans cette vie,c'est
qu'elle n'est jamais au repos,elle est au contraire en perpétuel
mouvement,et cela nous amène à déduire qu'une vie au
calme,c'est une vie en état d'agonie..
Mais en fin de compte,la vie,après avoir pleinement
accompli sa carrière,s'arrache du temps pour sombrer dans le
néant..
Au pli le plus profond de la mouvante dune,
En la nuit sans aurore et sans astre et sans lune,
Que le navigateur trouve enfin le repos,
O terre,O mer,pitié pour son ombre
anxieuse..
J.M.de Hérédia
Dans cet ordre d'esprit,Hérédia 57(*)rejoint étroitement
Mallarmé,pour qui,si la vie mérite d'être vécue
pleinement,en dépit des infortunes et des revers de toutes sortes,elle
n'en est pas moins un acte inutile,une éclaircie lugubre dans un monde
encore plus lugubre.
D'un autre côté,le problème de l'existence de
Dieu58(*),ou,en
général celui de la métaphysique,est un problème
qui a dû occuper Mallarmé pendant très longtemps pour ne
pas dire toute sa vie et nul d'ailleurs n'a déployé autant que
Mallarmé plus d'intelligence pour appréhender dans sa
totalité ce grave problème.. :
J'ai vu quelqufois ce que l'homme a cru voir..
Rimbaud,comme Mallarmé,s'estime plus chanceux d'avoir vu
l'invisible et touché de sa main le sacré et
l'intouchable..Alors que verlaine,incapable de croire à son
sort,s'écria,l'air désappointé :
Or,je restais tremblant,incrédule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.
L'effet qu'exerce d'ordinaire la religion,est largement
tempéré par l'idée de Dieu,car entre la religion et
Dieu,le chemin est long et abrupt,et nul poéte ou philosophe n'a eu le
pouvoir de déterminer les limites de chacun de ces deux grands
phénomènes,d'autant plus qu'on a tendance à croire que la
religion n'est rien d'autre que le chemin qui mène à Dieu et que
la religion est une doctrine impérative et impérieuse,quelque
chose de purement sacré et mystérieux et celui qui n'y croit
pas,ne croit pas en Dieu non plus,puisque c'est par la religion qu'on arrive
à Dieu-mystiquement bien entendu-Mais la religion,en tant que doctrine
mystérieuse-est hérissée de complications et de
difficultés insurmontables-qu'il aurait été vital de ne
pas penser ni à l'un ni à l'autre..ce qui fait que
l'hérésie dans ce cas est plus
préférable ; ;
« Cherchez les effets et les causes »
Nous disent les rêveurs moroses,
Des mots !Des mots !Cueillons les roses !
Banville59(*) n'était pas un libertin cynique,un roué
opiniâtre,un triste débauché qui aspire follement
à la vie matérielle,c'est plutôt un type que la vie a
durement malmené,au point d'avoir perdu toute croyance,même
à sa propre existence..
De même les poétes symbolistes,qui s'étaient
penchés inlassablement sur le problème de la
métaphysique,ne se sont pas empêchés-et Mallarmé les
rejoint dans cette tendance-de considérer ce problème comme un
puzzle impossible à résoudre par le biais de la
poésie..car,en définitive,tout est lié à une fin et
la quête désespérée pour savoir sui Dieu existait
ou n'existait pas ,mène ineluctablement au bord de l'abîme..
Mais,O mon coeur,entend le chant des
matelots !
Ainsi la Recherche de Dieu par le moyen de spéculations
métaphysiques débouche sur une véritable impasse,oû
l'ennui,le mortel ennui se taille une place de choix :
Un ennui,désolé par les cruels
espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des
mouchoirs.
L'ennui de Mallarmé s'accentue
démésurément,lorsque,las de chercher inutilement dans le
domaine de l'inconnaissable,s'arrête un moment pour jeter un ultime cri
de regret :
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région oû
vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Si la métaphysique méne à l'ennui et au
désespoir,ces deux derniers conduisent à leur tour à la
haîne et au dégoût60(*). :
Fuir !La-bas fuir !Je sens que des oiseaux sont
ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les
cieux !
Cette haine implacable,dirigée contre tout ce qui est sur
terre,ponctue par des points noirs l'oeuvre inépuisable de
Mallarmé,et même Rimbaud,dans sa tendre
ingénuité,lui fait écho à certains
moments. :
Mais,vrai,j'ai trop pleuré,les ombres sont
navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil est amer,
L'acre amour m'a gonflé de torpeurs
enivrantes,
Oh !Que ma quille éclate !que j'aille
à la mer !
Cette aversion infinie pour tout ce qui est ici-bas,n'est
à priori que l'aboutissement d'une recherche métaphysique
stérile et inféconde...Et même Henri de
Régnier,comme tous les symbolistes d'ailleurs,a manifesté plus
d'une fois cette répugnance coriace pour toutes les choses
terrestres,que le lecteur moderne a beaucoup de peine à
comprendre..mais cependant logique et naturelle pour le lecteur de
l'époque symboliste,oû l'on s'abreuvait infatigablement des choses
de l'inconnu , de la métaphysique à la
métempsycose. :
Lorsque,pris du dégoût des hommes
coudoyés,
Et de l'écoeurement des choses ambiantes, On appelle
l'essor des rêves éployés61(*)..
Ce dégoût invincible que l'on éprouve pour
tout,nous conduit,comme H.de Regnier,à nous refugier dans le rêve
et c'est par le rêve et rien que par le rêve que nous pouvons nous
évader de ce monde d'ennui et de tristesse..
Mallarmé se donna toute sa vie à une conception
métaphysique de l'ennui,l'insidieux ennui qui grignote lentement la
vie,qui suce le sang de la vie,cet ennui enfin que Baudelaire,dans la
majorité de ses poémes,a pu peindre avec des traits immortels.
II
Mallarmé et l'influence des lectures
antérieures.
Comme pour tout écrivain ou poéte de
génie,la lecture,pour Mallarmé,est une nourriture constante,un
vaste réceptacle oû l'on puise régulièrement de
vives émotions fugitives,mais qui laisseront quand même des
empreintes pour toute la vie
Je crois pouvoir dire,au risque de me faire
répéter,que Mallarmé s'exerça durant sa jeunesse
à la lecture de Poe62(*) et de Baudelaire :ils étaient en effet
ses amis inséparables,ses auteurs les plus appréciés et
les plus aimés durant cette période juvénile,oû l'on
se sentait l'esprit en pleine effervescence,en quête d'un
idéal,d'après lequel il lui aurait été possible de
modeler sa propre vie ,de se forger une vision précise des choses et de
la poésie.
Il s'est avéré que,en faveur de ces longues
lectures,l'esprit de Poe,avec ses arguties abracadabrantes,ses insinuatios
bizarres et qui relèvent de l'au -delà ainsi que son imagination
pittoresque et surnaturelle,était singuliètrement conforme
à celui de Mallarmé,et,par pure coïncidence,les deux
hommes,de loin se trouvaient en constante et parfaite communion.
Le génie de Poe,inconnu et méconnu même aux
Etas-Unis,à cause principalement de son caractère
étrange,a contribué pourtant à ouvrir un chemin
très large pour la compréhension de la condition
humaine. ?.
Les romantiques,qui s'étaient alors engoués de
Walter Scott pour le roman et de Byron pour la poésie,sans
s'intéresser de plus près ni à Shakespeare ni à
Poe sont restés étroitement attachés à leurs
thèmes romanesques,sans jamais chercher à les remplacer par
d'autres plus exotiques et moins routiniers,encore moins à les
renouveler ou les enrichir par des emprunts puisés dans la
littérature étrangère.
A l'apparition de Poe,grâce à la charmante
traduction de Baudelaire,qui s'était évertué à le
faire connaître ,par d'amples détails élogieux,à ses
propres concitoyens,la poésie,sous la férule de ce poéte
de génie,a pris un autre tournant plus aigu et plus
accentué..Ainsi la nouvelle conception poétique,si
ingénieusement établie,occupa tous les esprits de
l'époque.Car Poe,et après lui Baudelaire,délaissa
définitivement les thèmes traditionnels et creux,pour se
pencher plus intimement sur les problèmes de l'humanité..
C'est en fin de compte,une incursion dans le domaine de la
psychologie et du subjectif..le « moi » souffrant et
mélancolique s'étale sur toutes les pages,et la vie n'est qu'une
chaîne d'angoisses infinies et un tissu de malheurs impossibles à
surmonter63(*)..
Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le
change,
Le poéte suscite avec un glaive nu
Son siécle épouvanté de n'avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange !
C'est dans cet esprit,dans ce bain particulier,étrange et
macabre que Mallarmé a dû plonger avec délices et,de par
la nature de son génie,il ne se sentit nullement étranger
à ce désordre et à ces sentiments
morbides,cadavériques et funèbres,qui se dégagent
instantanément de la poésie de Poe .
Au début de sa carrière,Mallarmé avait
également eu l'occasion de connaître,grâce à des
lectures assidues,de nombreux poétes et théoriciens de tout
acabit :Outre Houdar de la Motte dont l'oeuve ne le déplaisait pas
outre mesure,Batteux eut,quant à lui,quelque influence évidente
sur son esprit et cela on a pu le constater à travers quelques-uns de
ses courts poémes,qui sont de véritables joyaux de
pureté,oû l'harmonie des mots,s'allie plus étroitement au
rythme de l'image évocatrice..
Il est certain toutefois qu'il avait lu les poétes de
l'époque de la Renaissance64(*),qu'il en avait en même temps
étudié les caractéristiques de leur technique, qu'il les
avait médités à fond :Outre cela,il eût
probablement été séduit par les poétes de l'Ecole
lyonnaise dont il s'inspirera plus tard pour mettre au point sa nouvelle
conception de la poésie.Ronsard et Du Bellay ,d'autre part,ne lui
étaient cependant pas étrangers,puisqu'il en avait
été charmé par la lecture. toujours attachante de leurs
oeuvres poétiques
Ainsi,s'il n'avait pas eu d'instinct ce goût pour la
lecture,surtout la lecture des oeuvres d'obédience
baroque,Mallarmé n'eût évidemment pas
échafaudé tout un monde de poésie fantastique et
exaltant,qui s'adresse plus particulièrement à l'âme et la
sensibilité.
Mallarmé,autant dans son enfance que dans sa
jeunesse,était alors un lecteur assidu et infatigable..Il avait eu la
faculté de dévorer énormément de livres,anciens et
modernes...Son engouement alla plus particvulièrement à la
littérature grecque dont il dévora tout avec un appétit
accru de Sophocle ,Eschyle et même Aristophane..
Mais toutes ces lectures,si abondantes et si vastes qu'elles
fussent,n'ont affermi et consolidé sa pensée que sur le plan
esthétique,car plus il s'attachait à ce genre de lecture,plus
il s'en éloignait instinctivement,pour se former une vision nettement
personnelle de la poésie et de la littérature en
général.65(*).
III
Authenticité et caractéristique de la
poésie mallarméenne
Mallarmé,en sa qualité de poéte symboliste,a
marqué de son sceau original la poésie de son temps..
Après une courte période d'imitation de Baudelaire
et de Poe,avec l'intention évidente de devenir leur
émule,Mallarmé a pris un autre chemin,moins battu par ses
contemporains,encore moins par ses devanciers les plus notoires,pour
ériger en principe une nouvelle théorie de la poésie.
Alors comment s'était-il séparé de ses
maîtres ?Ce fut probablement par hasard,rendu peut-être
possible par son désir d émancipation et de se forger une
originalité et une poésie éminemment personnelle,oû
toutes réminiscences étrangères-au niveau des
idées aussi bien que du style-seraient abolies.
Différente de la poésie émotionnelle de Poe
et de Baudelaire,la poésie mallarméenne,qui incarne en elle la
pureté métaphysique de la réalité,symbolise
désormais pour nous,et cela avec la reconnaissance de son disciple le
plus proche P.Valéry « l'intellectuelle parole à son
apogée »
Son souci de l'élégance et de la justesse
même dans la charpente d'un sonnet ou d'un simple poéme se
manifeste avec plus d'évidence dans son sonnet
« Renouveau » pour s'étendre au fur et à
mesure à toute son oeuvre.Ainsi parlant de ce même sonnet,il
avoua « Je passe parfois trois jours à en équilibrer
d'avance les parties,pour que tout soit harmonieux et s'approche du
beau. »De même au sujet de son poéme
« l'azur » dont l'agencement des éléments
poétiques l' a retenu plusieurs jours cloué à sa table
de travail.66(*)..
Or dans toute cette quête studieuse,il y a à coup
sûr,un dessein manifeste d'éviter à tout prix les
négligences ,les trivialités et les colifichets langagiers,qui
avaient si longtemps pésé sur la poésie ;
Mallarmé a le don de faire mouvoir,non pas des personnages
comme les romanciers,tel que Balzac ou Stendhal,mais les mots,oui les mots et
de les mouvoir dans leur sphère étroite,en leur attribuant un
pouvoir réellement extraaordinaire.
Parfois,en écrivant,il se sentait comme emporté sur
les ailes du génie créateur et une sorte d'hystérie
intellectuelle s'emparait de son cerveau en fiévre.67(*) « Dans mon
Faune,avouait-il encore,je me livre à des expansions que je ne
me connaissais pas,tout en creusant beaucoup le vers,ce qui
est bien difficile à cause de l'action.. »Forger un vers
remarquable,qui eût atteint un haut dégré de perfection
esthétique,tout en le martelant avec un soin impeccable,voilà au
juste le devoir suprême de Mallarmé.
Pour lui l'originalité consiste dans la combinaison de ce
qui est étrange avec ce qui est douloureux.Il écrit à son
ami Cazalis en mars1868,parlant de son fameux Hérodiade
« Moi,stérile et crépusculaire,j'ai pris un sujet
effrayant,dont les sensations,quand elles sont vives,sont amenées
jusqu'à l'atrocité et si elles flottent,ont l'attitude
étrange du mystère.Et mon vers,il fait mal par instants et blesse
comme du fer. ».
Plus que Rimbaud,qui en plein épanouissement
juvénile,a su quand même réhabiliter le sens d'une
félicité mystique et faire enterrer à jamais les
pleurnicheries romantiques.
Plus encore que Verlaine,dont le goût pour une
poésie légère et fuyante,a fait régner cette
tendance et cet amour pour ce genre de poésie
attachante,Mallarmé,habile et plus génial que tous ses
contemporains,que ce fût un Verlaine ou un Rimbaud,a conçu une
poésie qui ne fut pas seulement attachante et sublime,mais encore une
poésie toute imprégnée d'un parfum d'exotisme
naturel,nourri de pittoresque et de profondeur.
Sa théorie de l'esthétique
était dépourvue de toute idée métaphysique ou
même mystique et,en revanche, l'art est un substitut à la
métaphysique et même à la religion,en ce sens que l'art
est la seule activité en laquelle il croit..
Plus l'idéal artistique est grand,plus il est
basé,selon Mallarmé,sur le principe de « l'art pour
l'art » et plus cet idéal est grandiose ,plus il est
inaccessible à la plèbe.
En vérité,la poésie mallarméenne est
une synthèse englobant la rigueur dans la composition puisée
dans Poe et une poésie de la sensation et du sentiment prise dans
Baudelaire,le tout soutenu par un effort personnel lié à la
technique de suggestion tendant à subordonner les causes objectives aux
effets subjectifs
C'est ce qui m'amène à affirmer avec certitude que
le régne de Mallarmé,en dépit de toutes les vicissitudes
et les métamorphoses qui avaient lieu dans le domaine poétique,a
imposé son autorité de façon déterminante..Il
condamna en février 1869 le
poéme « Elévation » de son ami des
Essarts,68(*)qu'il a
trouvé banal et de nul effet.«On ne ressent à cette
lecture aucune sensation neuve. »il s'insurge en
même temps et avec plus de détermination-contre Taine et sa
doctrine qui affirme que le poéte dépend en tout et pour tout de
son inspiration et non pas du tout de sa réflexion ou de la
conception de nouvelles habitudes de penser..
Ainsi grâce à cette authenticité rigoureuse
et à cet esprit si vif,si sémillant qui domine constamment dans
la poésie mallarméenne,cette pureté,cette
ingénuité,cette grâce si brillante,qui émanent de
chaque vers mallarméen,nous plongent dans une vraie exaltation,une
euphorie radieuse,dont vous ne vous n réveillerez pas de si
tôt..
« Peindre non pas la chose,mais l'effet qu'elle
produit. » et en ce sens « le vers ne doit pas se composer
de mots,mais d'intentions. ».Ce qui fait que vous êtiez
entrainé malgré vous dans un grand fleuve non pas de mots mais
d'idées,d'images rigoureusement coordonnées et cohérentes
et tout son coeur mis à nu et qui s'écrie avec jubilation
,à la suite d'un Victor Hugo ;«Insensé qui crois que
je ne suis pas toi !. »
Mais si cette authenticité vous excite ainsi
d'une manière si imprévisible,si elle vous plonge en quelque
soirte dans un ébahissement verigineux,elle n'en est pas moins
cependant déconcertante et singulière,d'une singularité
plus qu'étrange,terriblement embarrassante..Car le lecteur,par cette
caractéristique spécifique,qui le met dans un état
perplexe,s'absorbe éperdûment dans la pénètration du
sens de cette poésie abstruse...Et effectivement d'ailleurs ce n'est pas
donné à n'importe quel lecteur de déchiffrer ce type de
poésie,si pleine de contours complexes et de tournures plus
impénètrables.
Et c'est en effet par cette impossibilité à pouvoir
pénètrer dans le monde complexe de la poésie
mallarméenne que constitue en premier lieu l'originalité
véritable du poéte d'«Un coup de dès jamais
n'abolira le hasard ; »69(*)
Lamartine,Musset ou même V.Hugo,en pratiquant
une poésie facile et au charme saisissable au premier venu,ont
réalisé incontestablement une certaine réputation
durable dans l'univers de la poésie.
Les parnassiesns,tels que Leconte de Lisle,Banville ou même
F.Coppée entrent dans l'histoire des lettres,grâce à leur
talent d'enchanter le lecteur sur le plan esthétique et l'exactitude
d'un style plus que parfait,que la postérité ne manquera pas
encore de reconnaître avec la même ferveur que les
générations passées..
Tandis que Mallarmé,Rimbaud,lesquels,après
Baudelaire,seront à coup sûr des figures impérissables,tant
par leur originalité profonde que par la subtilité
extraordinaire de leur poésie,qui les mettent en quelque sorte en marge
de leur temps et en avance sur tous les temps..
IV
La poésie mallarméenne,miroir de
l'esprit et du coeur.
La poésie pure flatte l'âme et adoucit le
coeur :c'est une poésie faite non pas pour exprimer un message
particulier,transmettre une idée,ou peindre des sentiments,elle est
faite,grâce à son harmonie pure,à sa nuance
accentuée et la chaîne vibratoire de ses mots,uniquement pour
être chantée d'une voix au timbre sonore et
cristallin.. «J'ai été,déclara
Mallarmé dans une de ses nombreuses lettres sur
Hérodiade,j'ai été assez heuereux la nuit
dernière pour revoir mon poéme dans sa nudité,et je veux
tenter l'oeuvre ce soir.Il m'est si difficile de m'isoler assez de la vie
pour sentir sans efforts,les impressions extraterrestres,et
nécessairement harmonieuses que je veux donner,que je m'étudie
jusqu'à une prudence qui ressemble à la
manie . »
La poésie à laquelle s'exerçait
inlassablement Mallarmé,est une poésie qui sort non pas d'une
combinaison mécanique ou factice des mots entre eux,bien au
contraire,c'est une poésie dont la cohérence au niveau du sens
ingénieusement achevée,s'extirpe de ce qui est banal,monotone et
lamentablement nul,pour venir réjouir suprêmement à la
fois l'âme et le coeur :
Ainsi,pris du dégoût de l'homme à
l'âme dure,
Vautré dans le bonheur,oû ses seuls
appétits
Mangent,et qui s'entête à chercher cette
ordure
Pour l'offrir à la femme allaitant ses
petits..
A la lumière de cette simple strophe,nous remarquons que
la poésie mallarméenne,avec son caractère fuyant et
fluide,s'exprime elle-même,sans le secours de l'esprit...Ce n'est donc
pas,comme on a pu l'insinuer,un amas de mots vagues,mis en vrac,dans une
incohérence absolue,c'est une poésie,née dans le coeur et
exprimée au moyen d'un génie peu ordinaire,soumise au pouvoir
d'un art qui « telle la musique,ne représente
pas,mais simplement présente une émotion. » ou
comme il l'a affirmé hardiment dans une lettre à son
fidèle ami Cazalis,lui parlant de son poéme
« Apparition » .« Je ne veux pas faire
cela d'inspiration :la turbulence du lyrisme serait indigne de cette
chaste apparition que tu aimes.Il faut méditer longtemps ;l'art
seul,limpide et impeccable,est assez chaste pour la sculpter
religieusement. »
Mais l'esprit mallarméen,si insaisissable qu'il soit,ne
s'accroche exclusivement pas à un thème ou à une image
fixe,invariable,c'est un esprit qui s'est totalement libéré de
tout cela et ne produit pas seulement des idées,mais quelque chose
d'autre plus sublime,et plus pathétique,à savoir la symphonie
continuelle et infinie du coeur :
Encor !Que sans répit les tristes
cheminées
Fument et que de suie une errante prison
Eteigne dans l'horreur de ses noires
traînées
Le soleil se mourant jaunâtre à
l'horizon !
La strophe ci-dessus citée nous invite à
réfléchir sur le sens de cette chaîne de mots
ininterrompus,qui dans leur étalage,expriment tout un mystère
infiniment impénètrable,car issu du coeur,c'est-à-dire de
l'inconnu,y gît encore pour l'éternité :
Ce sépulcre solide où gît tout ce qui
nuit,
Et l'avare silence et la massive nuit.
Mais ce jaillissement s'élabore lentement et
progressivement ,à un rythme discordant,et même
grinçant,comme une vieille machine dont
les rouages manquent une bouffée de graisse et la
poésie mallarméenne,de grinçante,de cahotante et de
saccadante qu'elle était,elle s'émerge d'elle-mêmedes
caveaux obscurs de l'esprit pour s'éclairer par les lumières de
la logique et de la raison..
Car j'y veux,puisque enfin ma cervelle vidée,
comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,
N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée
Lugubrement baîller vers un trépas obscur70(*).. :
La stérilité de l'esprit,comme du coeur,est un fait
réel chez les poétes,car plus on y travaille intellectuellement
plus l'esprit s'épuise et les idées s'évaporent...Car
mallarmé ne produit pas d'inspiration,ce phénomène est
absolument étranger pour lui :«J'aimerais infiniment mieux
écrire en toute conscience et dans une entière lucidité
quelque chose de fidèle,que d'enfanter à la faveur d'une transe
et hors de moi-même un chef-d'oeuvre d'entre les plus
beaux. »
Et pourtant l'esprit mallarméen est un esprit qui ne se
fatigue pas car,nanti d'un pouvoir exceptionnel,il explore les faits dans leur
nudité,comme dans leur mystère,au prix de durs efforts,des vers
profonds comme la mer oû l'on pouvait trouver,si l'on y cherchait,des
choses merveilleuses et surnaturelles..«Je n'ai créé mon
oeuvre et toute vérité acquise ne naissant que par cette
perte,d'une impression qui,ayant étincelé,s'était
consumée et me permettait,grâce à ses
ténèbres dégagées,d'avancer parfaitement dans la
sensation des ténèbres absolues. »
La fouille dans les caveaux ténèbreux de
l'âme n'est pas facile,et le dépistage anxieux des profondeurs du
subconscient ne s'accomplit que par des difficultés insurmontables et
de graves sacrifices et cependant cette quête obscure n'aboutit en fin de
compte qu'à de minces trouvailles infiniment réduites,de
minuscules parcelles tirées d'un vaste océan de fantasmagories
étourdissantes.«Nous n'avons aucun moyen d'atteindre exactement
en nous ce que nous souhaitons obtenir. »
Ainsi fureter dans le creux de l'âme à la
découverte de quelque chose d'infinment petit mais infiniment
merveilleux ; s'épuiser mélancoliquement dans le dessein de
comprendre autre chose que ce qui est visible à
l'oeil,c'est-à-dire,la recherche de l'invisible et de l'obscur et
pourtant cette quête inlassable et infinie n'est entreprise que pour
creuser des « riens » et ces
« riens »71(*)
ces nullités sont pour nous autant de prodiges,de miracles
extraordinaires. «l'art pur,déclarait Valéry
dans Variétés II,est de produire quelque chose à
partir de « rien » et Mallarmé est vraiment un grand
génie dans ce domaine .»car le prodige ne
réside pas dans l'action d'émouvoir par des spectacles insolites
ou par des tirades lyriques,cela ne relève nullement de la
création et de la créativité.« l'art le plus
haut,ajoutait encore Paul Valéry dans le même ouvrage,
ne peut certainement pas consister à émouvoir par
d'émouvants objets.Quoi de plus simple que de faire frémir ou
attendrir les gens au moyen de la mort,de la douleur,ou de la
tendresse,cela est à peine créer. »Cela
est incontestablement vrai dans la mesure oû l'on cherche explicitement
à capter,à saisir l'attention et à faire vibrer les
ressorts du coeur et oû encore toute tentative de parler à
l'esprit est quasiment exclue. «Il est facile,continuait
Valéry sur le même ton,de saisir un public par un spectacle
ou un discours qui va droit à notre faiblesse,qui torture ou dilate les
coeurs,faisant vivre une feinte vie,en jouant des jouissances naîves de
la vie.Mais cet art,que l'on dit humain,est donc
mensonge. »Alors pour Valéry comme pour
Mallarmé,la poésie,produit de l'intellect et rien que de
l'intellect,et par conséquent doit nécessairement être
comprise par l'intellect ;de plus,la poésie est,et demeure toujours
comme disait encore Valéry. «l'essai de représenter
ou de restituer par les moyens du langage les choes ou cette chose que tentent
obscurément d'exprimer les cris,les larmes,les caresses,les baisers,les
soupirs etc et que semblent vouloir exprimer les objets dans ce qu'ils ont
d'apparence de vie ou de dessein supposé. ».
Valéry72(*),poéte et critique à l'esprit subtil et
clairvoyant,fit ce constat avec intelligence et profondeur,comme s'il avait
l'intention d'explicier et d'éclaircir l'oeuvre de son vieux
Maître..ou même d'en justifier expressement l'obscurité
évidente.
En somme,la poésie et les arts,ont la sensibilité
pour origine et pour terme,mais entre ces deux extrêmes, l'intellect
et toutes les ressources de la pensée,peuvent et doivent s'employer,pour
atteindre à l'émerveillement sublime et s'arracher au temps pour
se diluer dans l'éternité absolue ; ;
Quoique Mallarmé ne soit
pas nanti du talent de « se jouer des âmes des
autres. »cela n'est pas du tout de son ressort,il est
néanmoins doué de l'art de produire l'enchantement
et « une sensation de ravissement73(*) sans références. »
Mallarmé, comme nous l'avions déjà
souligné,rejette délibérément l'inspiration
émotionnelle qui confère ,selon lui,plus d'importance aux
idées,aux situations et aux événements,qu'elle n'en
confére aux mots. Car pour Mallarmé,les mots ne sont faits
que pour produire de la musique,une musique d'enchantement et
d'extase,mais,comme le souligne habilement Brémond, «une
chose aussi chétive,quelques vibrations sonores,un peu d'air battu...ne
saurait être l'élément principal encore moins unique,d'une
expérience oû le plus intime de notre âme se trouve
engagé. »
Et pourtant,Mallarmé,inventeur de musique et
créateur inépuisable de notes prodigieuses,s'est engagé
à réaliser l'irréalisable,parlant musicalement à
l'esprit sans que les fibres de l'âme entrent dans la fiévre d'une
vaine agitation..
V
Les préoccupations métaphysiques et le
culte de l'universel.
L'être et le néant,la vie et la mort,l'esprit et le
corps,Dieu et la religion,autant de phénomènes
métaphysiques que Mallarmé,avec un don exceptionnel,avait
traités au moyen d'une technique toute mystique ,mais dépourvue
de toute superstition74(*)..
Ce problème ou ces probèmes inabordables en
soi,n'ont pas été éclaircis du tout,bien au
contraire,Mallarmé,en les frôlant,en approfondit le mystère
et les poémes qui traitent ou qui font allusion à ces
questions-en petit nombre certes-sont restés incroyablement
impénètrables ..et abrupts..
« Henri,écrivit-il à Henri Cazalis,son
ami et son confident le plus fidéle,tu le verras,il n'y a de
vrai,d'immuable,de grand et de sacré que l'art. ».C'est par le
biais d'un art individuel,un art consommé et hautement suprême,que
Mallarmé entendait dès l'abord entreprendre l'exploration de ces
phénomènes abscons..
La notion de métaphysique,la quête de l'impossible
et de l'au-delà,ne s'effectue pas en pleine lucidité et en ce
sens,Mallarmé,pour parvenir au déchiffrage superficiel de ce
mystère,devait forcément entreprendre des voyages souterrains
dans les ténèbres du temps et de l'inconscient et comme l'
insinue ingénieusement le philosphe allemand Schelling en parlant de
Mallarmé « la parfaite union,la pénètration
mutuelle de ces deux principes, ,enfante ce qu'il y a de plus
élevé dans l'art . ».Or l'art n'est que la
méthode,les moyens techniques et les possibilités
matérielles,enfin la rigueur avec laquelle Mallarmé entreprenait
cette recherche dans le subconscient et dans l'inconnu :
Le vierge,le vivace,le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec une aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !
La sublimation de l'art,tout comme la création et le
modelage d'un instrument susceptible de saisir l'insaisissable et de sonder
l'insondable,tel que le praticien en chirurgie,lequel,sans des outils propres
et fourbis à l'extrême,ne pouvait jamais disséquer et
diagnostiquer le symptôme du mal..
Mallarmé n'a pas été seulement
obsédé par les questions métaphysiques,il a
été aussi comme secoué par l'idée du devoir et
peut-être ce fut en réalité la seule idée qui le
conduisît sans détours à l'impossible pour créer une
poésie tout à fait différente de celle que l'on pratiquait
alors.. « Si j'épousais Maria75(*) pour faire mon bonheur,je
serais un fou.D'ailleurs le bonheur existe-t-il sur cette terre ?Et
faut-il le chercher ailleurs que dans le devoir de la vie ?Oui,le vrai
est le devoir,le devoir,le devoir, qu'il s'appelle,l'art,la lutte ou comme on
veut. »Il s'attacha donc au devoir,de toute son âme,comme on
s'attache à la vie ;il ne concevait pas ou il ne pouvait concevoir
une vie sans devoir ou plutôt un devoir sans la vie..le devoir et la vie
sont deux éléments liés l'un à l'autre et si vous
détruisez l'un vous détruisez l'autre,inévitablement..
De même que le devoir,l'idée de la liberté et
de la beauté,occupa toutes ses pensées,si bien qu'il finit par
croire que ces deux termes,si dissemblables d'ailleurs,ne font plus qu'un ,tout
en se rappelant les deux strophes que Leconte de Lisle leur consacra :
(la Beauté)
Elle seule survit,immuable,éternelle,
La mort peut disperser des univers tremblants,
mais la Beauté flamboie,et tout renaît en elle,
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs !
(La Liberté)
Mais,sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire,
Si heurtant de leur la gueule du canon,
Ils sont morts,liberté,ces braves,en ton nom,
Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !
Aucun poéte,à part Leconte de Lisle et
Baudelaire,n'a su apprécier à juste titre ces deux concepts
divins autant que Mallarmé,aussi bien dans sa jeunesse que dans sa
maturité..
Le beau comme le sublime,relève de la
divinité et rien ne s'élève au-delàde ses bornes
présumées que par la pensée ;elle seule transcende
l'infini et triomphe de l'impossible..
Atteindre le beau et le dépasser,voilà à
quoi vise principalement l'oeuvre mallarméenne..Le sacrifice pour la
liberté,la mort pour elle et rien que pour elle,c'est le seul moyen
d'atteindre et de dépasser le beau..
Aussi pour parvenir à l'universel et embrasser non pas la
gloire ,une chose vide de tout sens réel,un vent de vanité et de
gloriole,mais plutôt l'éternité,,dans le sens
métaphysique du terme,le refuge paradisiaque,oû l'on se livre
spontanément à l'extase et à l'émerveillement..
Rien n'est vrai que l'unique et morne
éternité,
O Brahma,toute chose est le rêve d'un
rêve !
L'espoir dans l'au-delà conduit au rêve et le
rêve76(*)
mène directement à la jouissance profonde de l'inexprimable et de
l'infini..
De même,Mallarmé,en écrivant son
poéme,pouvait croire qu'il avait atteint à
l'universel,lorsque,oubliant carrément le monde qui l'entourait,il
s'engageait à la poursuite d'une vision,d'un reflet fugace,poursuite
inlassable oû tout son être hallucinant et frissonnant s'arracha
du temps pour gagner l'infini..
Cependant le vrai thème,je veux dire ,le thème qui
l'exalte,qui le fascine plus que d'autre,c'est ,comme il le dit lui-même
de manière spontanée, « le spectacle
de la matière ayant conscience d'être
et,cependant,s'élançant forcément dans le rêve
qu'elle sait n'être pas,chantant l'âme et toutes les divines
impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers
âges et proclament devant le rien qui est la
vérité,ces glorieux 77(*)mensonges. »Néanmoins,cette
action permanente,cet accouchement profond,ne sont pas dûs à
l'inspiration,loin de là,un poéme mallarméen est le
produit d'un travail ardu et difficile oû le hasard n'avait jamais de
place.. «Est poéte celui auquel la difficulté de
son art lui donne des idées--et ne l'est pas celui auquel elle les
retire »cette assrtion de Valéry,jetée au
hasard,est plus qu'éloquente et ne permet plus de commentaire..
VI
La poésie mallarméenne,une
extraordinaire épopée de l'esprit humain.
Tout au long des siécles,et depuis l'avènement de
l'homme sur terre,les mots avaient pris en charge la transmission des faits et
des événements..Ce sont ces mots que l'on utilise à tout
moment et qui nous accompagnent à chaque instant de notre existence,qui
ont assumé une responabilité millénaire,pour nous
léguer tout bonnement ce qu'avaient accompli les
générations écoulées..Et ce sont encore ces mots
que Mallarmé,il y moins d'un siécle,avec un talent
génial,avait mis au service de la musique,une musique de l'esprit et du
coeur. «L'oeuvre mallarméenne,avait noté
Albert Thibaudet,implique la disparition élocutoire du
poéte,qui cède l'initiative aux mots..Ils s'alluments de reflets
réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des
pierreries,remplaçant la respiration perceptible en l'ancien souffle
lyrique ; »
Les mots,outre leur valeur musicale incontestable,sont nantis du
pouvoir d'émettre un sens,une signification pour chaque chose ou chaque
sentiment ; et P.Valéry,se penchant sur le signifiant et le
signifié d'un poéme conclut en ces termes «La valeur
d'un poéme réside dans l'indissolubilité du son
et du sens »Le poéme
mallarméen,échafaudé selon une technique de la
pureté et de la spiritualité,ne saurait se plier à des
canons de clarification et d'identification,puisqu'il se caractérise
par une immense vision des choses et une étendue spaciale et temporelle
infinie,si bien que l'on est tenté parfois à lui atrtribuer de
multiples interprétations différentes..
L'idée de la poésie pure fait partie
intégrante de la théorie de Poe .Si pour Baudelaire la
poésie pure n'est qu'un aspect de la poésie en
général,Mallarmé y voit le sens de toute chose,puisque la
poésie pure est le miroir qui reflète la lumière de la
vérité et de la beauté,jetée sur les
ténèbres de l'unvers..
Que ce fût dans Hérodiade ou dans
l'Après-midi d'un Faune78(*), Mallarmé,avec un esprit rigoureux et
systématique ,s'était soucié profondément des
préoccupations réelles de l'humanité..Chaque mot,chaque
expression,porte en soi tout un monde de pensées et d'images,car entre
le poéme et le récit,la différence réside
effectivement dans l'usage et l'exploitation du
mot . « .En somme ,souligne encore
P.Valéry,faisant état de l'effet incantatoire du poéme
,par rapport au récit qui ne porte en soi qu'une
réalité matérielle ordinaire,entre l'action du
poéme et celle du récit ordinaire,la différence est
d'ordre physiologique :le poéme se déploie dans un domaine
plus riche de nos fonctions proche de l'action complète,cependant que le
conte ou le rpman nous transforment plutôt en sujets de rêve et
notre faculté d'être hallucinée. »
Le poéme mallarméen tend à communiquer
l'essence du passé,du présent et du futur,c'est un miroir non
seulement des affres et des espoirs de l'individu,mais un véritable
miroir qui reflète l'humanité dans sa marche,dans ses aspirations
multiples comme dans son évolution complexe.
C'est ainsi que dans une lettre
écrite en février 1865 et adressée à Charles Morice
, et dan laquelle il lui faisait amicalement quelques petites remontrances
au sujet de son dernier ouvrage en vers. « L'amour est trop
le sujet de vos poémes et ce mot,très incolore,revient
très souvent d'une façon un peu affadissante..s'il n'est pas
relevé par un fondement étrange,la lubricité,l'extase,la
maladie,l'ascétisme,ce sentiment indéfini,ne nous semble
pas poétique. »Cela nous permet d'affirmer en toute
certitude que Mallarmé ,ayant évité de sombrer dans la
banalité,comme la majorité de ses contemporains,s'est
élevé à des thèmes sublimes,sans jamais
dévier de la voie qu'il s'était tracée à
lui-même depuis sa jeunesse..
Si mallarmé avait impeccablement traduit dans des
poémes (l'azur,le tombeau d'Edgar Poe etc.)les souffrances du
poéte,,dans sa solitude,dans sa frustration et dans son
dépaysement dans un monde cruel,tyrannique,oû le despotisme
matérialiste enserre solidemment dans son étau toutes les
mentalités...il n'en a pas moins considéré que ce
poéte qui souffre,qui geint et qui désespère de ne pouvoir
vivre dans un tel gâchis effroyable,n'est rien d'autre que
l'humanité,qu'incarne en réalité le poéte,ce
chantre immortel de la douleur et de l'espoir dans l'au-delà..
Ainsi la condition humaine,dans sa retrospective comme dans sa
perspective,s'estompe en traits de lumière dans le poéme
mallarméen..
Certes,Victor Hugo,dans son oeuvre gigantesque,a peint clairement
l'humanité sous le poids de ses accablantes souffrances..Il est vrai
aussi que Lamartine,Musset ou Vigny,pour ne citer que les moindres,ont
représenté l'homme au coeur déchiré par l'amertume
et le désespoir d'une vie harcelée par les revers sentimentaux et
ballottée par le doute et le scepticisme torturant...Il n'en est pas
moins également que,par un retournement extraordinaire de
l'histoire,tous les romanciers contemporains de
Mallarmé,réalistes ou naturalistes,se sont penchés de plus
près sur la condition humaine,en la peignant avec des traits
émouvants,pathétiques et une plume toute pleine de fiel et de
désarroi..
L'aventure humaine s'achève pour ainsi dire dans l'oeuvre
,brève comme la vie de l'homme,en l'occurrence celle de
Mallarmé,mais exaltante et radieuse,reproduite et peinte d'une tout
autre manière avec rigueur,avec un soin extrême et une
intelligence éblouissante comme l'éclair qui ne s'éteint
jamais..
CHAPITRE SEPTIEME.
LA POESIE MALLARMEENNE DANS LA BALANCE
« Tu verras,Henri,il n'y a de vrai,d'immuable,
de grand et de sacré que
l'art ; ; »
Il n'y a pas de forme qui ne soit le reflet du
fond. »
Je suis monde,corps,pensées.Mon corps devient
l'instrument direct de l'iesprit et cependant
l'auteur de toutes ses idées.. »
Enfin,les mots ont plusieurs sens,
sinon on s'entendrait toujours..Nous
en profiterons ...Le bonheur d'ici- bas est
ignoble. »
Mallarmé.
I
Le poéte face à son destin ;
Le poéte,pour Mallarmé,est un messager,un
prophète venu en ce monde pour bénir la race humaine et lui
communiquer le message de la paix et de l'amour..
mais,en dépit de sa grande mission,le poéte s'est
trouvé de tout temps confronté à de graves
désappointements :l'incompréhension de la masse,son
ingratitude flagrante et cruelle,et surtout le dénigrement dont il
était l'objet,étaient de nature à provoquer en lui de
vraies crises de désespoir..
Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le
change ;
Le poéte suscite avec un glaive nu,
Son siécle épouvanté de n'avoir pas
connu,
Que la mort triomphait dans cette voix étrange :
calme bloc ici-bas chu d'un désasre obscur.
Le profond respect,pour ne pas dire l'extrême
dévotion,que Mallaermé nourrissait pour le grand maître de
tous les poétes contemporains,ne faisait que s'accroître au fur et
à mesure qu'i découvrait et s'enfonçait dans le profond
génie d'Edgar Poe
ce sentiment de respect et d'admiration s'était en effet
exprimé dans ces vers revélateurs oû l'on voyait le
poéte s'évertuer pour arracher son siécle à la la
léthargie et pour se reposer à jamais dans le sein de
l'éternité,oublié de son vivant mais glorieux aprés
sa mort
L'insuccés du poéte auprès d'un public
souvent ignare et hostile est un fait incontestable,car,comme l'a si bien
souligné J.Moréas.
Ma gloire est aux ingrats ;ma graine est aux corbeaux,
Sans récolter jamais,je laboure et je sème..
Le poéte se saigne ainsi jusqu'au sang,se meurtris,se
tourmente mortellement pour secouer le joug de cette humanité
d&jà clouée au poteau des traditions archaïques et de
son arriérisme séculaire.Mais tous ses efforts sont d'ores et
déjà voués à l'échec.
C'est à voix basse qu'on enchante
Sous la cendre d'hiver
coeur,pareil au feu couvert,
Qui se consume et chante.
J.P.Toulet.
C'est en vain que le poéte cherche à égayer
le monde d'ici-bas..
et Mallarmé,malgré ses efforts pour
réjouir,non pas la masse à laquelle d'ailleurs il avait interdit
l'accés de sa poésie,mais une catégorie de gens
initiés à la pratique et à la magie mallarméenne.Or
Mallarmé ,en procédant ainsi, n'a pas failli à son devoir
qui est de produire une oeuvre authetique digne de la
postérité,comme l'a bien souligné à juste titre un
des passionnés du poéte de Hérodiade :
Qui sont de grands poétes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que ces planètes.
G.Apollinaire
La joie intérieure qu'éprouvait le
poéte,cette joie infiniment exaltante,ne se dissipait pas de
sitôt.Et Mallarmé,après la découverte du sublime,du
beau et du surnaturel,s'extasie devant sa propre création :
Ainsi,quand des raisins j'ai sucé la
clarté
Pour bannir un regret par ma fuite
écarté ;
Rieur,j'élève au ciel d'été la
grappe vide,
Et,soufflant dans ses peaux lumineuses,avide
D'ivresse,jusqu'au soir je regarde au travers..
loin de la masse et de ses tracasseries,loin de tous les soucis
terrestres,Mallarmé fiévreusement s'absorbait dans la
satisfaction de soi...le soulagement physique ressenti après une
conquête diificile,à savoir sucer jusqu'à
l'épuisement total le suc de la poésie pure,après
quoi,qu'importe l'infâmie de l'oubli ou même encore le
mèpris de la masse.
Sans plus il faut dormir en l'oubli du
blasphème
Sur le sable altéré,gisant et comme
j'aime
Ouvrir ma bouche à l'astre efficace des
vins..
Le poéte est victime,non pas de l'oubli de ce monde
ingrat,mais aussi de graves injustices qu'il tolérait pourtant
patiemment depuis des siécles..comme l'atteste bien ce distique de
Tristan Corbière,dèjà arrachée à la vie
encore tout pétillant de jeunesse.
Vois-le,poéte tondu,sans aile,
Rossignol de la boue--Horreur !
Ainsi ce pauvre Corbière était en effet de ceux qui
n'avaient pa connu le goût de la vie et étaient morts fort
jeunes,après avoir épuisé le bout de temps qui
était échu par leur destinée..D'ailleurs il n'était
pas le seul à savoir que le poéte,un être méconnu
et honni,n'avait pas de place dans ce monde cruel :Baudelaire,le
grand,l'inimitable,le génial Baudelaire,lui-même
en avait fait l'expérience,puisque plus d'une fois,on lui
avait infusé dans les veines le vénin du blasphème et de
la malédiction :
De féroces oiseaux perchés sur leur
mature Détruisaient avec rage un pendu déjà
mûr,
Chacun plantant ,comme un outil,son bec impur,
Dans tous les coins saignants de cette pourriture
Les yeux étaient deux trous et au ventre
effondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les
cuisses,
Et ses bourreaux,gorgés de hideuses
délices,
l'avaient à coups de becs absolument
châtré.
Cette image effroyable du poéte martyrisé par ses
bourreaux,s'estompait dans les souvenirs que nous avions recuillis tout au long
de notre étude sur les poétes que nous avions tant aimés
et chéris jusqu'à l'idolâtrie et qui,à travers mains
vicissitudes et revers de fortune,avaient regagné le sommet de
l'apothéose..Et Th.de Banville,dans un moment de fierté et
d'enthousiasme,exulta :
Il s'élevait à des hauteurs
Telles,que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines.
La poésie mallarméenne traduisait les
sentiments,les impressions,les troubles intérieurs,comme les joies
durables ou éphémères de Mallarmé
lui-même..C'est un reflet de l'état d'âme du grand
poéte et c'est à travers cette poésie,si dure qu'lle
fût,que nous saisissons sa pensée souvent fuyante.,comme le
souligne merveilleusement en cette strophe H.de Régnier.
Car entre leurs feuillets sommeille le parfum
De rêve confié et d'intimes
détresses
De voeux inexaucés-et c'est là que plus
d'un
Mis ses plus chers espoirs,ses meilleures
tendresses,
Qui montent des feuillets comme un divin parfum..
H.de Régnier avait entassé ses souvenirs les plus
intimes dans ses vers que nous lisons aujoured'hui avec
fruit,Mallarmé,par contre,ce qu'il avait mis dans sa poésie,ce
n'était nullement des souvenirs concrets,des scènes
passagères de la vie quotidienne..sa poésie était de tout
autre nature,c'est la poésie de l'âme et des profondeurs de
l'inconscient...
Souvien-toi que nous venons
Du ciel et de la lumière.
Il est vrai que la vie humaine est brève et pour atteindre
à l'éternité,il fallait être nanti d'une puissance
suprême,tel que le feu,qui brûle
intensément,implacablement,mais qui finira par s'éteindre dans
un tas de cendres éparpillées à jamais au vent,comme on
pouvait s'en rendre compte à lalecture de ces vers de
J.Moréas :
Ta vie est d'un instant,la mienne est consumée,
Mais nous sortons du feu.
Le poéte est un être surnaturel,un être
très proche de la divinité et sa tâche ici-bas,est de
réveiller tout ce qui dort,de remuer les souvenirs
amassés :P.Claudel,dans un accés de mysticisme profond,sort
de son ébasement muet pour lancer :
Oh !Je suis ivre !Ah,je suis livré au
Dieu !J'entends
une voix en moi
Et la mesure qui s'accélère et le mouvement
de la joie.
P.Claudel.
C'est un être divin et par là,il est destiné
à survivre à tous les désastres et à toutes les
calamitée de notre monde...La mort ne l'atteindra pas,car il vivra
encore et toujours dans l'esprit des générations :il est
présent par l'âme,mais il reste absent par le corps seulement,et
E.Verhaeren,sachant par expérience combien est grande la force du
génie,lança avec non moins de fureur :
Il tanguait sur l'effroi,la mort et les
abîmes
D'accord avec chaque astre et chaque volonté
Et,maîtrisant ainsi les forces unanimes,
semblait dompter et asservir l'éternité.
Ainsi,le poéte une fois loin de ce
monde,échappé à la vie terrestre,et voguant paisiblement
dans la vie de l'au-delà,rien ne parlera plus désormais à
sa place :la chaîne est rompue et les liens intimes avec la terre
sont coupés et pour lui,c'est la solitude et le désert
absolu :c'est un état réel auquel par ailleurs Leconte de
Lisle fait écho dans un accent douloureux :
Les dieux sont en poussière et la terre est
muette :
Rien ne parlera plus dans ton ciel
déserté.
Celui qui «voudrait saigner le silence
secouer l'exil des
causeries »s'écroule lourdement après une vie de
lutte et de combats infinis pour rester « pareille à
l'amphore embaumée. ».
La conscience d'une survie après la mort hante tous les
poétes du temps et Baudelaire,en dépit de son extrême
modestie,n'a pas omis d'y faire état :
Je te donne ces vers afin que si mon nom
aborde heureusement aux époques lointaines
Et fait rêver un jour les cervelles
humaines.
Le poéte est destiné à survivre,car
dès le début de son apparition sur la scène
poétique,il conçoit un objectif vital,à savoir insuffler
la vie,ressusciter les âmes mortes,comme l'a souligné avec
fierté de Th.de Banville :
Et brusquement,d'un coup de sa nageoire en feu,
il fait par le cristal morne,immobile et bleu,
Courir un frisson d'onyx,de nacre et
d'éméraude
Dés lors,Mallarmé ne fut pas un poéte
seulement,il fut aussi un artiste au goût très
délicat,...Parlant de son oeuvre Hérodiade dans une de ses
nombreuses lettres à son ami Cazalis,il exalte le résultat de ses
efforts,tout en affirmant que,malgré la longue étape
déjà franchie. : «Il me faudra trois ou quatre
hivers encore,pour achever cette oeuvre,mais j'aurai enfin fait ce que je
rêve,te parler avec cette assurance,moi qui suis la victime
éternelle du découragement,il faut que j'entrevoie de vraies
splendeurs. »
Jamais les poétes contemporains ne s'étaient
intéressés autant à la perfection et à
l'ordre... «vous dont la bouche est à l'image de celle de
Dieu,bouche qui est l'ordre même,soyez indulgent vous nous comparez
à ceux qui furent la perfection et l'ordre,nous qui quêtons
partout l'aventure. »L'ojurgation ironique d'Apollinaire aux
critiques intransigeants n'était pas importune ;elle était
bien faite à propos et montrait que les critiques,souvent à
l'affût du moindre écart,s'acharnaient impitoyablement sur les
oeuvres pour en réduire la valeur..
Sans savoir que le poéte ,messager sur la terre,mage ou
prophète venu pour secouer kla poussière séculaire
accumulée sur l'humanité,ce poéte qui ne devait pas
seulement tendre à la perfection ,puisqu'il est la perfection
même,est un être insisissable ,une sorte d'étoile qui
éclaire un instant pour s'eclipser et disparaître à
jamais.Dans ce contexte et avec beaucoup d'esprit,René
Char évoque l'image charnelle du poéte sous forme de
rébus qui hante les siécles :
Il déssèche le tonnerre.Il sème dans le
ciel serein.
S'il touche au sol,il se déchire.
Et Mallarmé,le poéte qui n'avait jamais
trouvé un honorable succès de son vivant79(*),mais qui par des
coïncidences inouies,fut élevé au rang d'un demi-dieu
après sa mort,ne put que se rallier à P.Claudel pour dire en
choeur : «O mon amour le poéme n'est point fait / de ces
lettres que je plante comme des clous/mais du blanc qui reste sur du
papier/Que mon vers ne soit rien d'extase :mais tel que l'aigle marin
qui s'est jeté sur un grand poisson,/Et l'on ne voit rien qu'un
éclatant tourbillon d'ailes et l'éclaboussement de
l'écume. »Le poéte chage d'instinct la haine en amour
et le désespoir en espoir..Il est toujours aux aguets pour secourir
l'humanité en détresse,apporter le baume nécessaire pour
soulager l'homme de son poids d'infortunes et de malheurs,comme le dit assez
bien Saint-John-Perse :
Le poéte est avec vous.Ses pensées parmi vous
Comme des tours de guet.Qu'il tienne jusqu'au soir,
Qu'il tienne son regard sur la chance de l'homme,
Je préférerai pour vous l'abîme de ses
yeux,
Et les songes qu'il ose,vous en ferez des actes,
Et à la tresse de son chant vous tresserez le geste
qui'il n'achève..
II
La gloire et la mort.
La conquête de la gloire par le biais de la
poésie.Quel auguste destin !Mallarmé,lorsqu'il
s'était engoué de la chère Muse ne pensait nullement
à la gloire...Et même plus tard,après son évolution
progressive à travers l'univers de la poésie,il croyait tout
simplement que sa réputation ne dépassait guère le petit
cénacle80(*) qu'il
avait organisé avec des amis et disciples fiidéles.
La gloire,pour Mallarmé,est un mot qui n'exprime
absolument rien...C'est un mot creux,stérile et il n'y pensait que pour
le rejeter avec mépris.
Or tout ce qu'il fit pour s'éloigner de cette image
fascinante,qui préoccupait d'ailleurs tous les poétes du temps,ne
put que le rendre aigre contre tout ce qui semblait lui assurer,malgé
lui,l'immortalité..
Lune,O salle d'ébène oû,pour séduire
un roi,
Se tordent dans leur mort les guirlandes
célèbres,
Vous n'êtes qu'un orgueil terni par les
ténèbres
Aux yeux du solitaire ébloui par sa foi.
La gloire n'est qu'une sorte d'orgueil,une sorte de vanité
et rien de plus...La gloire,c'est un bruit
éphémère,évanescent..une rumeur qui apparaît
momentanément pour s'évanouir dans le néant...la gloire
enfin,c'est la mort et la mort c'est la gloire :
Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel
Le beau mensonge et la pieuse ruse
Qui ne connaît et qui ne les refuse
Ce crâne vide et ce rire éternel..
Valéry,au même titre que son
maître,s'était formé une vision très claire sur le
sens de la gloire..pour l'un pour comme l'autre,la gloire ne constitue en
aucune façon l'aboutissement final,le terme de la vie,malgré les
infortunes et les terribles mésaventures que le destin leur avait
infligés81(*)..
Verhaeren se rallie à ses illustres confrères pour
dire de son côté à propos de la gloire :
Qu'il sache avec quel violent mouvement de joie
S'est,à travers les cris,les révoltes,les
pleurs,
Ruée au combat pur et mâle des douleurs,
pour en tirer l'amour ,comme on conquiert sa proie..
Verhaeren,beaucoup moins doué que
Mallarmé,conçut de son côté une vision toute
particulière de la gloire..La gloire se perpétue dans le
temps,incarne l'éternité,mais pour qu'elle ait vraiment un
sens,il convient de la conquérir au prix de grands sacrifices82(*)..
Mallarmé,naturellement,n'était absolument pas
prêt à sacrifier tout à cet éclat
éphémère...Il lui déplaisait profondément de
s'astreindre à des tâches coercitives en vue d'atteindre ce
but,mais cela ne l'empêchait pas néanmoins de s'ingénier
avec persévérance pour produire quelque chose qui pût
réjouir l'esprit et aérer le coeur..non pas à cause de la
gloire,mais tout simplement pour sentir son être s'épanouir
à travers cette béatitude suprême que lui procurerait son
extraodinaire génie en le rapprochant de la divinité.
Et dans mon âme inassouvie
Verse le goût de l'éternel.
D'autre part,si Baudelaire s'était
intéressé--particulièrement dans sa jeunesse--à ce
phénomène étrange que l'on appelle
gloire,Mallarmé,au contraire,n'y attacha aucune importance et
travailla-indifférent à tout-dans un climat
hostile,engendré par l'envie et la haine83(*)..
Certes,le grand maître aspirait à la gloire,mais
à une gloire qui le réconfortât dans l'au-delà,qui
assurât sa revanche contre le temps,contre son entourage,contre la
société et contre le monde..
A la très chère,à la très belle,
qui remplit mon coeur de clarté ;
A l'ange,à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité.
Baudelaire immortel,il le concevait lui -même,il en
était totalement certain et sa conviction l'encourageait encore à
foncer inlassablement plus avant dans la masse hostile qui déchirait
à coups de dents sa personne et son honneur.
Mais riez,riez de moi
Hommes de partout surtout gens d'ici
Car il y a tant de choses que je n'ose pas dire
Tant de choses vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi..
Cette ultime supplication,ce cri déchirant,jaillis du
coeur opprimé de G.Apollinaire,le disciple éloigné mais
récalcitrant de Baudelaire,prouvent bien que pour lui ,comme pour
l'auteur des « Fleurs du Mal »le triomphe et la victoire
sont en perspective,déjà estompés à l'horizon de
l'avenir.84(*).
De même,l'expérience de Mallarmé,son combat
perpétuel contre les éléments hostiles,son désir
profond de vouloir à tout prix franchir les frontières de
l'impossible,sa résignation à toutes les adversités et les
contre-temps,tout cela,pourtant,aurait pu contriibuer à former dans son
esprit l'idée que bientôt le parfum de l'apothéose
embaumerait à jamais son nom,ainsi que l'avait prédit Leconte de
Lisle :
Montez,montez rumeurs,paroles surhumaines,
entretien lent et doux de la terre et du
ciel !
Montez et demandez aux étoiles sereines
S'il est pour les atteindre un chemin
éternel.
Courir après la gloire,poursuivre la gloire jusqu'à
la dernière limite du monde,cela n'était pas du ressort de
Mallarmé,qui,comme nous l'avions indiqu é plus d'une
fois,aspire seulement à la purification de soi et de
l'humanité. :
Que d'hommes n'ont pas eu le suprême destin !
Avait insinué J.M.de Hérédia avec une pointe
d'ironie,mais qui n'est toutefois pas dépourvue de sérieux...Mais
Mallarmé pouvait assurer sa propre survie à travers son oeuvre,et
rien que dans son oeuvre,le reflet de son âme pacifique et de tout son
être..et Albert Samain,sur un ton élogieux,prononça cet
ultime acte de reconnaissance qui traversera pour toujours les siécles
à venir :
Et soudain,dans le calme immense de la nuit,
Sous un souffle venu des siécles jusqu'à lui,il
suit,
plein d'un bonheur que nul verbe ne nomme,
Le grand frisson du sang dans son coeur d'homme.
Et l'oeuvre seule constituait pour l'auteur de
l'Aprés-midi d'un Faune le commencement et la fin de toute
entreprise,de quelque nature qu'elle fût,car rien ne saurait
réduire l'oeuvre à un résultat obtenu au prix de quelque
effort,mais au contraire,l'oeuvre est la dernière réalisation
issue des pires sacrifices,c'est le miroir de l'âme du
poéte.85(*).Or
évoquant à certains moments son poéme d'Hérodiade
oû il affirmait avoir déployé d'ingénieux
efforts,Mallarmé déclara : «Je m'étais mis
tout entier dans ce poéme sans le savoir,d'oû mes doutes et mes
malaises. »Il préférait être insaisissable,dans
sa pensée aussi bien que dans son comportement,ayant par instinct
horreur de la gloire et de ses futiles tapages..
Toutefois,entre Mallarmé et les poétes ses
contemporains,même les plus célèbres à
l'époque,la postérité a dû choisir et seul
Mallarmé a conquis de haute main la première place dans l'esprit
des générations des lettrés et des poétes comme
nous l'affirme cette strophe de René Char,sur qui l'influence
mallarméenne fut déterminante et irréversible.
Rien que le vide et l'avalanche
La détresse et le regret,
Tous les troubadours mal-aimés,
Ont vu blanchir dans un été
Leur doux royaume pessimiste.
III
La beauté et la musique.
Vers 1866,Mallarmé,alors qu'il n'était qu'un pauvre
professeur à Besançon,avait eu des moments d'hystérie
étrange86(*)...Il
était comme ensorcelé,fasciné par les charmes du beau et
de tout ce qui est beau..C'était devenu en lui une sorte d'obsession,une
manie incurable,qui le poussait à faire automatiquement l'esthète
et le musicien en toute chose et pas seulement en poésie,puisque la
poésie demeure pour lui son domaine propre ,oû il a eu le talent
authentique d'exceller mieux que la plupart des poétes les plus
illustres de son temps87(*)
Le beau est-il le produit du hasard ?Non,en
réalité,le hasard ébauche le beau,ou l'embryon du
beau,mais c'est le travail conscient qui lui assure sa forme finale..
La beauté,pour l'auteur de Un coup de dés
n'abolira jamais le hasard88(*),aussi bien que pour Hégel,est
constituée avant tout dans sa forme apparente et rien de plus..c'est une
figure,une vision problématique douteuse,oû le réel s'en
trouve définitivement exclu,parce que créée par le
hasard,alors que l'esprit demeure le vrai générateur du beau et
sa fonction fondamentale donc est de corriger ,de redresser le travail du
hasard dont l'esquisse est toujours informe et rachitique
On s'aperçoit dès lors que Mallarmé refuse
radicalement tout ce qui est aléatoire,car,pour lui,la providence
,à laquelle il ne croit d'ailleurs pas,n'est que l'image d'une croyance
purement mentale et par là fondamentalement négative..
La beauté est un objet qui se fabrique,qui se
façonne selon le goût et le désir du créateur et
nul n'aura la faculté de produire la beauté,telle qu'on la
conçoit au plus profond de nous-mêmes,que celui qui,grâce
à un don divin,déploie des efforts énormes pour pouvoir
parvenir à pénétrer le mystérieux secret du
beau..
De plus,la beauté n'est pas une jolie vision des choses,un
objet susceptible d'être consommé par l'individu,la beauté
s'allie à la nature et ne peut jamais avoir d'éclat que par la
nature et entre la beauté et la nature,il y a la différence
formelle qui existe entre le ciel et la terre..en ce sens que la beauté
ne relève pas de Dieu,c'est un phénomène
périssable,contrairement à la nature qui demeure
éternelle.Baudelaire,en barde immortel du beau et connaisseur
chevronné de ce phénomène étrange,s'écria
dans un moment d'extase :
J'aime de vos longs yeux la lumière
verdâtre
Douce beauté,mais tout aujourd'hui m'est
amer
Et rien,ni votre amour,ni le boudoir ni
l'âtre
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer..
Pourtant Mallarmé ne voyait pas de différence
absolue entre la beauté et la nature..C'est la nature ,peut-être
avec plus de génie que l'esprit même,qui couve et qui
façonne la beauté et c'est encore la nature,qui lui
confère son éclat et sa splendeur !Pour Mallarmé,la
nature,dans sa magnificence,et dans ses charmes éternels,fait
naître la beauté,qui par un contraste émouvant,s'allie aux
bouleversements et aux effets tragiques des caprices de la nature89(*).Et Baudelaire,d'un trait
génial, a saisi l'étendue de cette métamorphose :
Sois belle !Et sois triste !Leurs pleurs
Ajoutent un charme au visage Comme le fleuve au
paysage
L'orage rajeunit les fleurs.
Donc,pour Baudelaire comme pour Mallarmé,tout ce qui est
beau est dû en dernier ressort aux effets de la nature et entre la
beauté physique de la femme et la beauté de la mer en pleine
agitation,Mallarmé tranche sans parti pris :
Rien,ni les vieux jardins reflétés par les
yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe.
Ainsi,il n'y a pas un endroit oû la beauté ne fasse
sa majestueuse apparition et là oû il n'y a pas de beauté
,il n'y a pas de vie :
Tâche donc,instrument des fuites,
O maligne syrinx,de refleurir aux lacs oû tu
m'attends !
La beauté ne se limite pas seulement à la
vue :il y a du beau dans le désordre,comme il y a du beau dans la
laideur :une belle femme qui pleure est pour les uns comme pour les
autres,la femme la plus jolie du monde,ce qui poussa Baudelaire à
renchérir de plus belle :
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De ces traitres yeux
brillant à travers leurs larmes.
Dans l'ouragan la plus terrible,il y a du beau,comme dans la
folie la plus extravagante,il y a de même du beau,joint à quelque
chose de séduisant :les plus grands artistes de l'univers
étaient de véritables désaxés,des marginaux de la
raison et de la folie et dans leur trouble et leur désordre,il y a la
beauté dans toute sa majesté et toute sa grandeur.90(*)..
Mais cette beauté,si sublime,si profonde qu'elle soit,n'en
est pas moins étrange,par sa fluidité,son caractère
évanescent et insaisissable,comme le dit si bien Mallarmé
lui-même :
Si clair
Leur incarnat léger,qu'il voltige dans
l'air,
Assoupis de sommeils touffus.
La paresse ou l'oisiveté,comme le luxe raffiné,sont
l'apanage de la beauté,qui dégage un parfum enchanteur,lequel,tel
un philtre puissant,fait endormir les plus ingénieux,..car la
beauté a des pouvoirs multiplese et la Comtesse de Noailles s'exulte
à la seule vue de ce charme pathétique,auquel elle lui
confère même le sens de la vie et de l'énergie
Tout le plaisir de vivre est tenu dans vos mains
O jeunesse joyeuse,ardente,printanière,
......................................................
C'est par vous que l'air joue et que le matin rit.
La jeunesse incarne la beauté :tout ce qui est jeune
est beau et tout ce qui est beau est jeune,la nature forme la beauté par
par accident,mais le temps dégrade ou embellit la beauté,selon
les contingences du hasard..Cependant,le temps qui embellit cette
beauté,pourrait également la faire disparaître,et Madame de
Noailles ajoute encore sur un ton empreint de pessimiste et de regret :
Ah !Jeunesse,pourquoi faut-il que vous passiez
Et que nous demeurions,pleins d'ennuis et pleins
d'âge
Comme un arbre qui vit sans lierre et sans rosier
Qui souffre sur la route et ne fait pas d'ombrage.
Le régne de la beauté est
éphémère et rien ne dure ici-bas,pas même l'oeuvre
la plus sublime et Paul Valéry enchaîne nons sans une crispation
d'angoisse sur le caractère illusoire de la beauté comme de
l'existence :
Nous marchons dans le temps
Et nos corps éclatants
Ont des pas ineffables
Qui marquent dans les fables.
Oui,tout passe dans ce monde,les souvenirs s'évanouissent
et deviennent l'oubli même,les êtres chers s'en vont les uns
après les autres,pour qu'il ne reste plus rien.
Sous nos même amours
plus lourdes que le monde
Nous traverserons les jours
comme une pierre l'onde.
Or malgré la nature éphémère de la
beauté ,elle survit pourtant dans les âmes et pour
l'éternité,léguée de générations en
générations sans trêve.
Certes la beauté ne relève pas de Dieu,mais de la
nature,si souvent avare et ne dispense ses bienfaits qu'à de rares
élus et c'est pourquoi il appartient à la masse de l'entourer du
respect et de la dévotion qu'elle mérite. «Est-ce que
l'homme qui a fait la Venus de Milo n'est pas plus grand que celui qui sauve
un peuple,et ne vaudrait-il pas mieux que la Pologne succombât que de
voir cet éternel hymne de marbre à la beauté
brisé ? »Cette interrogation de Mallarmé est plus
qu'éloquente,en ce sens qu'elle situe la problématique de la
beauté à la limite de la destinée humaine .
Sacrifier tout pour que la beauté survive,telle une
lumière radieuse,rayonne,dispense à flots la sève de la
vie,l'optimisme,l'espoir,brandissant hautement le symbole suprême de la
vérité immortelle.
Toujours est-il que le pouvoir ou la mainmise de la
beauté,ne s'aménuise jamais..car plus la beauté s'affirme
et se confirme dans le temps,plus elle étend davantage sa
souveraineté sur toute chose..Ch.Maurras se dévoue pour la
beauté en laquelle il croyait trouver le sens de sa propre survie et de
sa régénérescence :
Brûle et consume-moi,mon unique soleil,
Que,ton dur javelot,ton javelot vermeil,
Dardant de jour en jour une plus pure flamme,
Je sois régenéré jusqu'au fond de
l'âme
Et même ma raison folle de te sentir
Ne reconnaisse plus si c'est vivre ou mourir.
Le charme de la beauté,sa fascination émouvante,son
magnétisme irrésistible,se déploient au-delà de
toute frontière :rien ne dressera une quelconque barrère
entre elle et les phénomènes en présence,tout succombe
à sa magie et à sa puissance,d'oû Mallarmé est sorti
de sa surprise pour lancer avec enthousiasme :
O rêveuse, pour que je plonge
Du pur délice en chemin,
Sache,par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
La beauté,par des détours
impénètrables,aura le plus souvent recours à la ruse , au
subterfuge et à la supercherie :elle est cruelle,impitoyable et
tout à fait imbattable et celui qui parvient à la dompter
pourrait se prendre pour un Dieu.
Il a vaincu la femme belle,au coeur subtil
Etalant ses bras frais et sa gorge excitante.
De même que dans la beauté,il y a une musique,de
même dans la musique,il y a une beauté..Souvent la musique et la
beauté sont inséparables,que ce soit dans l'oeuvre
poétique ou dans tout autre oeuvre.Ecoutons cette saillie pittoresque
de P.Claudel :
Que me parlez-vous de la musique !
Laissez-moi seulement prendre
mes sandales d'or.
La poésie mallarméenne91(*) ,et nous avions mis l'accent
sur ce point plus d'une fois dans cette thèse,est tout
imprégnée de musique pour ne pas dire c'est la musique
même,alliée à la beauté du vers,auquel elle est
indissolublement associée,surtout au moment de sa conception comme le
souligne Baudelaire :
La musique souvent me prend
Comme une mer.
Pour le Maître,de même que pour disciple,la musique
est la nourriture des âmes,et sans elle,aucune oeuvre n'aurait la chance
de se réaliser..
Quoi qu'il en soit,la beauté comme la musique sont faites
pour être au service de l'humanité,pour sa purification et son
perfectionnement absolu,mais aussi pour inspirer l'optimisme,et l'amour aux
esprits défaillants et moroses,ainsi que le clame énergiquement
Th.de Banville.
C'est la sagesse !Aimer le vin,
La beauté,le printemps divin
Cela suffit !Le reste est vain.
Or,comme par une étrange coïncidence,celui qui devait
mourir d'une affection du larynx dans sa pauvre bourgade de Vulaines,est un
musicien de la beauté,c'est un enchanteur qui a su engendrer des
vibrations fines et délicates,des modulations suaves et lumineuses dans
les coeurs..
Ainsi,créateur intarissable de beauté,artisan
consommé de ce parfum magique que l'on appelle musique,fluide et
subtile,Mallarmé a su émouvoir les entrailles du lecteur
moderne..
La musique,c'est une lumière sonore que secrète
chaque vers et chaque strophe,s'infiltrant doucement dans l'âme,pou y
faire disparaître le « mortel ennui »
Bref,Mallarmé,qui avait passé toute sa vie à
combattre la morosité et
l'implacable « spleen » a produit pour
l'humanité le baume nécessaire pour s'en débarrasser
tout à fait..car la musique et la beauté,pour tous les lieux et
tous les temps,le remède le plus efficace,non pas seulement contre
l'ennui dévastateur ou le désespoir qui ronge les âmes,mais
aussi contre la mort,contre l'extinction de soi et le
dépérissement.
IV
Le problème de la liberté et de la
justice.
Là oû il y a liberté,il y a
justice ;là oû il n' y a pas de liberté,il n'y a pas
de justice..les deux mots sont liés étroitement l'un à
l'autre :ils sont indissociables et indissolubles,bien qu'ils soient
séparables..Ils sont comme deux jumeaux dont les traits physiques de
l'un sont foncièrement confondus dans ceux de l'autre..
Mallarmé,bien qu'il n'ait pas parlé assez ni de la
liberté ni de la justice,éprouvait cependant en lui-même
l'étendue de signification de l'une comme de l'autre,avec la même
égalité sans distorsion ni discrimination ..
Il est vrai qu'il n'a pas fait étalage de la vision toute
particulière qu'il se faisait de la notion de liberté,car pour
lui,celui qui devait parler de la liberté et pour qu'il y ait vraiment
une expression authentique de la liberté,c'est à coup sûr
celui qui en était frustré partiellement ou totalement92(*).
Mais Mallarmé,en tant qu'homme libre,amateur
dévoué de poésie et ardent partisan de l'art ne se
sentait pas pris du désir de parler ouvertement de cette liberté
dont il par ailleurs avait goûté les charmes magiques.
Toutefois ,à certains moments,cela ne l'empêchait
pourtant pas de brandir la liberté comme le flambeau de la gloire et du
triomphe :
Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le
nie ;
Mais non l'horreur du sol oû le plumage est pris.
Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat
assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le cygne.
La liberté dans la sphère étroite oû
l'on vit..C'est aussi une libertté,mais une liberté plutôt
amputée de l'essentiel :mais le poéte,libre et toujours
plein de courage et d'énergie,saura défier tous les
obstacles,anéantira par son silence la défiance des autres pour
triompher en fin de compte de tous les infortunes et les revers d'autant plus
que ,quand on est dans l'embarras,oû l'on étoufferait
mortellement,on pense toujours que la délivrance imminente est en
perspective...H.Michaux,descendant en droite ligne de Mallarmé,lance ce
cri qui fait écho à celui de son Maître :
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire
Loin des mers..
Vidé de l'abcés d'être
quelqu'un
Je boirai à nouveau l'espace
nourrissier ;
Michaux cultive la poésie de la liberté et comme
tout poéte,vrai héritier de Mallarmé,son amour pour la
liberté est sacré et infaillible,comme on a l'occasion de le
constater même chez P.de la Tour de Pin
Et je me dis :je suis un enfant de septembre
Moi-même,par le coeur,le fiévre et
l'esprit,
Et la brûlante volupté de tous les
membres,
Et le désir que j'ai de courir dans la nuit
Sauvage,ayant quitté l'étouffement des
chambres
L'esprit ne s'élargit qu'en proportion de l'étendue
de liberté et de justice dont bénéficierait
l'individu ;le fait de quitter un lieu pour un autre,sans gêne et
sans contrainte,suppose en effet un acquis de liberté,soutenue par la
justice.
La brûlante volupté,que nous poursuivons
nlassablement,ne s'acquiert absolument que par cette liberté et c'est
elle seule qui procure la paix de l'esprit et qui fait naître en
même temps cette douce effervescence dans les sens de
l'âme. :Ecoutons Verlaine qui s'exclame avec enthousiasme :
Ivre de soleil
Et de liberté
Un instinct me guide à travers cette
immensité.
Qui mieux que Verlaine a connu le sens de la
liberté ?Ce François Villon du 19e
siécle,sombrait délicieusement dans l'euphorie,dans une
véritable extase interminable,lorqu'il parlait de la liberté,sans
jamais être amené à lui attribuer une portée
politique quelconque..pour lui,la liberté,c'est de vivre,de
s'étaler dans le vague,dans la nature,vivre avec soi-même,dans le
sein de l'enthousiasme et de la plénitude charnelle93(*).
Mais il lui est arrivé-comme il arrive souvent à
tout le monde-de se sentir gravement frustrer de cette liberté et
c'était l'effondrement de tout son moral,le désarroi de son
âme et l'effritement de tout espoir,en particulier lorsqu'on s'apercevait
que l'on n'était pas loin de l'espace libre et qu'on gémissait
en solitaire dans un cachot infect.
Mon Dieu,mon Dieu,la vie est là
Simple et tranquille
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
C'est l'horreur et l'épouvante que l'on éprouve
justement à l'idée d'être privé de sa propre
liberté,de cette liberté que l'on brûle d'épuiser
jusqu'à l'extrême dégré,s'en
désaltérer pleinement,jusqu'au dernier terme de la vie.
Donnons-nous encore le plaisir d'écouter ce Charles
Cros,un fervent admirateur de Mallarmé, qui nous confie ses sentiments
dans cette strophe éminemment suggestive :
La course effarée et sans but de ma vie
Dédaigneux des chemins déjà
frayés,trop longs,
J'ai franchi d'âpres monts,d'insidieux
vallons,
Ma trace avant longtemps,n'y sera pas suivie.
Contemporain de Mallarmé,Charles Cros estimait que
l'homme sans liberté est un homme sans vie :vaincre le
monde,abattre les difficultés,écraser la tyrannie,d'oû
qu'elle vienne,voilà pour Charles Cros,ce qui confère à
l'homme libre son vrai sens.Mais vivre en esclave,voir l'espace,le vaste
espace du monde,sans le sentir et s'abaisser pour mourir passivement,sans
réagir énergiquement ni montrer de la résistance,cela
n'est pas du ressort de l'homme libre,c'est plutôt l'attitude d'un
esclave-né :
Tel,nu,sordide,affreux,nourri des
plus vils mets
l'esclave...
La liberté,tout comme la justice,est l'essence de la vie
humaine..
Mallarmé,pour purifier l'humanité des maux
séculaires dont elle souffrait et conférer un sens à
l'humaine condition ,avait été comme secoué par une
nouvelle vision de la vie,une intuition profonde de tout ce qui existe,et
sachant d'avance que nul progrés de l'humanité ne pouvait
absolument être réalisé,sans l'instauration permanente du
régne de la justice et de la liberté,il a entrepris dés
lors d'éveiller les esprits,d'aiguillonner,de dynamiser les
mentalités et d'affermir du même coup la suprêmatie de
l'homme ,unique représentant de Dieu sur la terre,ainsi que le souligne
béatement Paul Eluard dans cette strophe :
C'est la douce loi des hommes
de changer l'eau en lumière
Le rêve en réalité
Et les ennemis en frères.
Ainsi,Paul Eluard,avec une ingéniosité
extraordinaire,avait,en ces vers,traduit fidélement les sentiments du
maître,qui était un homme attaché infailliblement et sans
aucun artifice au sens réel de la justice et de la liberté.
V
La haine d'ici-bas
et
l'amour de la solitude.
Mallarmé s'attachait durant toute sa vie à la
solitude et à l'isolement...Toute sa poésie est
émaillée de cette profonde obsession qui frise la
folie :l'amour de la solitude et la fuite de ce monde médiocre et
ignare..C'était en effet le but final de ses efforts et de toutes ses
pensées,car pour lui,la solitude était l'ultime asile oû il
pouvait cacher sa répugnance des choses de la vie et le mortel ennui qui
le harcelait incessamment..
La chair est triste et j'ai lu tous les livres,
Fuir(là-bas fuir).Je sens que les oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume des mers et des cieux.
Cette évasion vers l'éden,vers ce lieu
sacré,épanoui et radieux,oû l'on pouvait se retremper et
vivre ce bonheur terrestre qui échappe toujours des mains,c'était
pour tout dire le but suprême de sa vie..
Que rien ne t'arrête
Auguste retraite !
Entre Rimbaud et Mallarmé 94(*),il y a le fait que l'un aspirait pour de bon à
la solitude pour oublier les infortunes du temps,alors que l'autre cherchait
à travers la solitude cette sorte de liberté à laquelle
il attachait une importance capitale dans sa vie errante :d'oû il
poursuit sur le même ton :
Assez vu ;La vision s'est rencontrée à
tous les airs.
Assez vu.Rumeurs des villes,le soir,et au soleil,
Et toujours
Assez connu.Les arrêts de la vie
O rumeurs et visions
Départ dans l'affection et le bruit neufs.
La grande randonnée,le grand
périple,l'extraordinaire aventure errante de ce Rimbaud
étrange,tout ce vagabondage inlassable et tourbillonnant s'est
achevé finalement dans le désert arabe,oû,par une
malchance incompréhensible,ce poéte instable fut atteint par une
tumeur incurable qui l'emporta,alors qu'il était encore au premier
stade de la maturité physique et intellectuelle95(*).
Mallarmé n'avait pas eu le même destin que
Rimbaud :Ses multiples errances se sont inscrites pour ainsi dire dans le
cadre de ses fonctions d'enseignant,condamné malgré lui à
d'innombrables mutations selon le caprice et la frivolité d'une
bureaucratie maladive...
Il aimait la solitude pour fuir les soucis matériels et
l'angoisse d'une vie en butte aux tracasseries de toute une foule d'importuns
et de critiques,malveillants,récalcitrants et hostiles à toute
rénovation dans le domaine poétique.Recueillons ce cri de
Baudelaire,lancé pour fuir la débauche :
Pendant que des mortels la mutitude vile
Sous le fouet du plaisir,ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur,donne-moi la main,viens par ici.
Donc pour Baudelaire comme pour Mallarmé,la fuite loin de
ce monde pourri,de ce monde cruel et assoiffé de concupiscence
charnelle,
demeura pour eux le crédo immuable et sacré,que des
fidèles disciples,plus tard,ont exploité dignement,ainsi que
l'avait fait Max Jacob :
C'est ainsi que vêtu d'innocence et d'amour,
J'avançais en traçant mon travail chaque
jour,
Priant Dieu et croyant à la beauté des
choses
Mais le rire cruel,les soucis qu'on m'impose
L'argent et l'opinion,la bêtise d'autrui
Ont fait de moi le dur bourgeois qui signe ici.
Ainsi la haine d'ici-bas et rien que la haine de ce bas
monde,poussa en effet Mallarmé à chercher
désespérément la solitude,sans pour autant abandonner
toute relation avec ses amis intimes..tels que Vielé-Griffin96(*),h.de Régnier,ou
même Stuart Merrill,dont il évoqua à maintes reprises les
souvenirs avec une tendre nostalgie..
Mais cependant,en cherchant la solitude,Mallarmé portait
vraisemblablement en son sein les germes d'un désappointement tenace
et d'un dégoût morbide,hérité de ses longues
lectures de Poe et de Baudelaire..
Il s'ingéniait à dissimuler ce désarroi
infini qui le rongeait intérieurement,sans en jamais donner le moindre
indice,susceptible de provoquer la curiosité surtout de ses plus
proches disciples :Valéry,Claudel ou Pierre Louys..Même Lucie
de Larue Mardrus suit le même cheminement que le Maître :
Je ne veux du deuil qu'on porte aux yeux de tous
Car la peine que j'ai ne regarde personne.
La volonté mainfeste de souffrir seul dans le sein de la
solitude,tout cela est en effet dans la nature même de Mallarmé.de
même que Verlaine qui,un jour oû il se sentit accablé de
remords,déclama mélancoliquement
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon coeur a tant de peine.
Le fait de vivre seul suppose une patience,un effort soutenu pour
se revigorer et revoir avec lucidité et d'un oeil clairvoyant toute
l'étape parcourue jusque-là et chercher les causes des maux dont
on souffrait..Sully Prudhomme ,qui est un parnassien zélé,est
aussi un témoin incontestable de cet état d'âme :
« Sa clarté caressante et fine
Dans sa patrie est sans témoin ;
Et l'intime ardeur de nos flammes
Expire aux cieux indifférents. »
Le mal n'est pas seulement sur la terre mais aussi dans
l'au-delà,ce qui suscite même la fuite loin de l'au-delà
comme le souligne avec bonheur G.Apollinaire :
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches
abandonnent
Pour toujours ce pré mal fleuri pour
l'automne.
La désertion des vaches de cette terre
aride,abrupte,contraste clairement avec l'état d'âme du gardien
qui entonne allégrement une petit chanson en l'honneur de la nature
nourricière..Et Mallarmé,blasé à
l'extrême,décida de déserter ce bas monde,qui
trouva,à son tour,que sa poésie,épineuse et
abracadabrante,ne nourrissait pas assez ses appétits si aigus et si
avides.97(*)
La désertion d'un lieu ou la désertion volontaire
de tout un univers d'hommes et de femmes,se fera normalement en fonction
d'une attitude psychologique déterminante et rien d'ailleurs ne pouvait
en cerner les cause endogènes,qui sont difficiles à
dépister et à connaître avec exactitude..
Ah ! Seigneur,donne-moi la force et le courage
De contempler mon coeur et mon corps sans
dégoût
Le mépris de soi ou même le manque
d'intérêt ou de soin pour sa propre personne,implique
forcément un état d'âme en défaillance
évidente.
Et pourtant le sentiment de dégoût que l'on
éprouve vis-à-vis des choses mesquines et viles,nous conduit
inéluctablement à l'amélioration de notre
être..car par le dégoût,on ravive en nous l'impression
naturelle de la pureté et encore par le dégoût,on
ressuscite la conception originelle de notre être :
Tant que tu n'as pas senti l'étreinte
De l'irrésistible dégoût
Tu ne pourras me dire ;
L'âme des cris pleine,
« Je suis ton égale,ô mon
roi »
C'est pourquoi on a tendance à croire que la
débauche ou la corruption mène à l'assurance et à
la maîtrise de soi.. cette idée ,si exacte qu'elle soit,ne suffit
pas à nous convaincre pourtant que tout ce qui est corrompu pouvait
être sanctifié et appartenir à l'élite des
saints.. Le vierge,le vivace ,le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui.
Mais il incombe en dernier ressort au poéte de
ressusciter ,d'exhumer et de séparer le pur de ce qui est
impur ;c'est lui seul qui puisse achever une telle besogne pour permettre
à l'homme de savourer l'éden inconnu jusque-là,comme le
suggère justement Baudelaire lui-même :
Là,tout n'est qu'ordre et beauté
Luxe,calme et volupté.
En jetant humblement derrière lui :
un regard de pitié sur le théâtre vide
De tant de maux soufferts et du labeur humain98(*) ;
VI
Prestige et transcendance de l'art.
Quel est l'art de Mallarmé en poésie?C'est une
question déjà soulevée et traitée maintes fois
dans cette thèse,mais cela ne m 'empêche pas cependant d'y
revenir ,en conférant à la question plus d'étendue et de
précision;
J'a affirmé à bon escient que la poésie
mallarméenne n'était pas faite pour être comprise,parce
qu'elle était investie en quelque sorte de tout un monde de
mystères et d'étrangetés,ce qui avait d'emblée
effrayé le lecteur ,déjà habitué à
l'intelligence d'un romantisme clair et facile99(*)..
En revanche,nantie aussi de caractère divin,la
poésie mallarméenne est faite pour être savourée
délicieusement au niveau musical,afin de racheter et de purifier les
âmes encore sous l'emprise du péché.
De plus,la propension de Mallarmé vers l'abstraction,la
généralité,la suggestion,le pouvoir d'invoquer plusieurs
faits qui ,par analogie,se confondent dans un enchevêtrement
insolite,comme une sorte de kaleidoscope vertigineuse,et de là à
l'obscurité conséquente,cette propension en effet était le
fruit de gigantesques efforts déployés par le poéte pour
assurer à sa poésie cette nature mystérieuse et divine
qu'il entendait lui attribuer.
Ainsi,comme on a pu le constater plus d'une fois,ce n'est pas
pour appauvrir la matière poétique,encore moins de vouloir faire
fuir le lecteur ou de le fatiguer à la recherche d'un sens à
cette poésie énigmatique100(*).,c'est au contraire pour l' enrichir le plus
amplement possible,c'est pour lui donner finalement une image idéale et
noble,loin de la banalité et du rabachage éternel des
thèmes rebattus.
Pour Mallarmé l'art est un don divin et nul ne saurait
avoir la faculté de se l'approprier dignement sans l'intercession
divine...L'art c'est aussi la faculté d'abstraire sa pensée,de
la traduire sous la forme d'une vision extatique, « s'isolant
dédaigneusement dans la sérénité de
l'abstraction »,ce qui pouvait contribuer à approfondir
,à diviniser pour ainsi dire et par conséquent à
obscurcir sa pensée,sous quelque forme qu'elle düt paraïtre,en
lui donnant le statut d'un concept inaccessible et sacré.
L'art donc,c'est de façonner la chose de manière
à lui attribuer la puissance du mystère et de l'absolu,de la
faculté de l'immanence,de la vêtir de sainteté et de
grandeur,.«L'art suprême consiste à laisser voir,par une
possession impeccable de toutes les facultés,qu'on est en extase,sans
avoir montré comment on s'élevait vers ces
cimes.. » L'art par conséquent est un instinct,voire
l'absence de lucidité,c'est un acte tout naturel,intuitif à la
rigueur,sans aucune intervention de l'intelligence humaine..
C'est pour cela que le vers bien fait,le vers
perfectionné,ne pouvait nullement être le produit de
l'intelligence,mais c'est plutôt d'une faculté
obscure,impénètrable,ayant pour foyer l'inconscient..
Dans un article de 1862,consacré à un ouvrage
nouvellement paru « les poésies
parnassiennes » écrit par son fidèle ami des
Essarts,Mallarmé insinua hardiment «plus d'ampleur que la
pensée qu'ils révèlent (les vers)ce qui prouve un amour
pour le beau vers,la pire des choses. »L'esprit poétique n'est
pas d'être parfait,encore moins de tendre à la perfection ,mais
c'est plutôt une disposition latente ,ténèbreuse de
l'âme,qui a toujours besoin de ce baume-en l'occurrence la poésie-
pour se rafraîchir et se revigorer..
Parlant un jour de Taine,Mallarmé déclara.«il
sent merveilleusement l'âme de la poésie,mais ne comprend pas la
beauté du vers,ce qui est au moins la matière de cet
art. »Taine et Mallarmé s'appréciaient
mutuellement,pour l'un comme pour l'autre,la po ésie puisait sa
vraie origine dans les profondeurs de l'âme,et n'était jamais le
fruit du labeur humain..
C'est pourquoi encore elle est voilée d'obscurité
et de manque de clarté,car l'âme humaine est une sorte de cave
oû tout est mystères et ténèbres,comme nous le
prouve d'une autre manière Verlaine dans ce distique
mystérieux:
Rien de plus cher que la chanson grise
oû l'Indécis au précis se
joint.
Le va et vient qui existe naturellement entre la
réalité existentielle et les ténèbres de
l'âme,s'accomplit régulièrement à l'insu même
de l'intelligence,d'oû la nature obscure de la poésie
mallarméenne:
Lui-même,sachant par ailleurs lucidement à quel
dégré d'obscurité il sombrait,et comme pour renforcer
davantage cette conviction,il insinua clairement:101(*)
Le sens trop précis rature
Ta vague littérature.
Cette persuasion intérieure lui procurait plus de joie que
de regret,car pour lui,la poésie devait être empreinte de
mystère,autrement elle ne s'appellerait pas poésie:Tout ce qui
est facile n'est pas du domaine de la poésie,issue de l'âme et
faite uniquement pour être entendue par l'âme..et pour ce faire,la
poésie devait être diversifiée,profondément
nuancée..
Oh!la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor.
C'est là le véritable art poétique,qui
assure à l'inspiration ,toute sa puissance et sa profondeur,comme le
suggére encore avec plus d'exaltation H.de Régnier:
Et l'esprit allégé fuit
Sur l'aile des mots.
La technique poétique suppose en effet de la vigueur,une
veine riche et puissante,une vision nette des choses et une patience
inépuisable
C'est là que j'ai vécu dans ces
voluptés calmes,
Au milieu de l'azur,des vagues,des splendeurs,
Et des extases nus tout imprégnés
d'odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des
palmes
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
L'art est de nature divine et baudelaire,se joignant en cela
à son célèbre disciple ,ne pouvait le nier,puisque,pour
lui,l'art est au-dessus de la masse qui ne pouvait jamais l'atteindre,car
entre la masse et l'art,il y a l'infini,et l'infini suppose pour la masse,tout
ce qui est mystère et inconnu.
VII
Préséance et declin de l'amour
Mallarmé ne reconnaît pas la notion du platonisme en
amour:même l'amour courtois au sens oû on l'entendait au 16e
siécle,n'est pour lui qu'un paravent qui voile la réalité
,une réalité montrueuse que l'on s'efforçait de camoufler
sous une forme d'hypocrisie et d'une pudeur factice.
Donc Mallarmé,dans toute son oeuvre principale, et en
particulier dans « l'après-midi d'un faune » avait
largement cultivé le sadisme,la frénésie extatique en
amour et rien n'avait préoccupé Mallarmé autant que le
problème de la chair:
Ou si les femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux!
Faune,l'illusion s'échappe des yeux bleus
Et froids,comme une source en pleurs,de la plus chaste
Mais l'autre tout soupirs,dis-tu qu'elle contraste
Comme brise au jour chaude dans tas toison?
Cette domination,cette mainmise sur le corps,qui s'abandonne bien
volontiers au magnétisme du sens,s'exaspère au fur et à
mesure que le femelle montre de la résistance et rien n'aurait pu
éblouir en vérité Mallarmé que le fait de savourer
sadiquement les effets insidieux de la déception ou de l'échec
en amour.
Le faune s'exhibe tout nu dans le vaste paysage,à la
recherche d'une partenaire égarée..et tout son plaisir
résiderait en toute probabilité dans cette quête d'un
accouplement aléatoire,disant en lui-même « ces
nymphes,je les veux perpétuer »
Puis je louerai beaucoup comme il convient
Cette chair bénie
Dont le parfum opulent me revient
Les nuits d'insomnie.
La chair est devenue chez Mallarmé comme d'ailleurs chez
Verlaine,une hantise,une obsession tenace dont il eût beaucoup de mal
à se défaire:102(*)
La chair est triste,hélas!et j'ai lu tous les livres.
La tyrannie en amour n'est pas un acte inconscient,dû
peut-être à une crise psychique aiguë,encore moins à
une volonté aveugle de se venger de l'autre sexe,c'est au contraire un
acte lucide et délibéré, un acte accompli avec une
détermination manifeste,accompagné du désir réel
de voir la partenaire se débattre entre l'abandon et la
résistance et une volupté des plus étranges se manifeste
au coeur de cette lutte farouche103(*):
Je t'adore courroux des vierges,ô
délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir ma lèvre en feu buvant comme un
éclair
Tressaille!la frayeur secrète de la chair!
................................................
Que de mes bras,défaits par de vagues
trépas,
Cette proie,à jamais ingrate se
délivre
Sans pitié du sanglot dont j'étais encore
ivre.
La tyrannie du sexe ne s'impose pa seulement dans toute sa
contrainte répressive,mais aussi et surtout s'exerce directement de
façon impitoyable et coercitive sur la victime ou la proie,comme le
montre hardiment Baudelaire dans cette strophe éloquente:
....................
Montrant leurs seins pendants et leurs robes
offertes
Des femmes se tordaient sous le noir firmament
Et,comme un grand troupeau de victimes offertes
Derrière lui traînait un long
mugissement.
Ainsi la cruauté en amour va encore plus loin,non
seulement chez Mallarmé,qui le conçoit comme un acte
barbare,digne des êtres primitifs,mais aussi chez tous les poétes
du temps et en particulier chez Sully Prudhomme:
Souvent aussi la main qu'on aime,
Effleurant le coeur,le meurtrit,
Puis le coeur se fend de lui-même:
La fleur de son amour périt.
Le désir sexuel devance souvent l'acte qui s'accomplit
parfois avec le consentement tacite ou non de l'autre partenaire;ce
désir en effet suppose des gestes et des manières,afin de
parvenir à mâter en quelque sorte le refus de la partenaire
convoitée..Il importe donc,au moyen des détours,des
manifestations gestuelles ou verbales,de créer ce climat
d'enchantement,de torpeur langoureuse,pour pouvoir susciter cette attirance
brûlante à laquelle nul ne résiste:
Moi,de ma rumeur fier,je vais parler longtemps
des déesses;et par d'idolâtres peintures
A leur ombre enlever encore des ceintures
Cette séduction s'opère dans l'ombre et
n'apparaît au jour que lorsque la manoeuvre est couronnée de
succés,car en amour sexuel tout se fait dans un mystère absolu et
impénètrable,pour imprimer la marque indélébile sur
la peau lisse et satinée de la proie déjà
résignée:
Mon sein,vierge de preuve,atteste une morsure
Mystérieuse,due à quelque auguste dent.
Mais d 'autre part,l'amour peut être éternel
comme il peut être éphémère
selon les circonstances et les conditions psychiques du
couple..L'éternité en amour que Mallarmé désavoue
carrément,existera en effet,lorsque l'intérêt
disparaît et n' y jouera pas le rôle essentiel et seul Verlaine est
expert visionnaire en cette matière:
Et qu'après que je m'en aille au loin avec mon
amour
Qui te conservera une flamme si forte,
Que même à travers la terre compacte et
morte
Les autres morts en sentiront l'ardeur.
Verlaine lui-même avait connu l'amour dans le temps de sa
jeunesse,mais cet amour au lieu de demeurer éternellement ,comme il
l'avait souhaité dans de nombreux petits poémes d'une saveur
exquise,s'est eclipsé de sa vie,si désordonné et souvent
ravagée par des revers de toutes sortes,ces vers de P.Reverdy
illustrent à merveille cet épisode tourmenté de la vie de
Verlaine:
Ces lignes que mes yeux tracent dans l'incertain,
Ces paysages confus,ces jours mystérieux
Sont le couvert du temps quand l'amour passe
Un amour sans objet qui brûle nuit et jour
Et qui use sa lampe ma poitrine si lasse
D'attacher les soupirs qui meurent dans leur tour;
Reverdy,disciple et fervent admirateur de Mallarmé,a bien
suivi le maître dans sa conception de l'amour.Qu'est-ce que c'est que
le vrai amour?Quel est son fondement et ses limites?L'amour consiste-t-il
vraiment à aimer un autre que soi-même?Mais pourquoi aime-t-on
donc cet autre?Sommes -nous condamnés à aimer-rien qu'au nom de
l'amour-sans rien recevoir en contrepartie?Et pourtant,en dépit de
l'intensité des sentiments d'amour éprouvés par le
poéte,l'on s'aperçoit justement que l'amour est aussi
éphèmère qu'une rose d'un matin..comme le définit
Francis Jammes dans cette strophe plus que pessimiste:
L'amour s'en va comme cette eau courante.
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'espérance est violente.
Mais l'amour dure au contact de la réalité;;l'amour
continuerait à vivre indéfinément s'il était nourri
d'espérance et de résignation. L'amour meurt,en
revanche,lorsque,attaqué de toutes parts par l'égoïsme,le
mensonge et l'hypocrisie,montre de la lassitude et ploie sous le poids de
l'indifférence:Ecoutons encore Francis Jammes:
Je n'aime qu'elle et je sens sur mon coeur
La lumière bleue de sa gorge blanche;
oû est-elle?Oû était donc ce
bonheur?
Dans sa chambre claire il entrait des branches.
Et l'on ne manque pas rappeler que l'indifférence en
amour implique la pire des conséquences:Ce cri douloureux lancé
par Sully Prudhomme traduit impeccablement cette situation dramatique:
Vous avez désolé l'aube de ma
jeunesse
Je voux pourtant mourir sans oublier vos yeux.
..;....................................
Oui,pour avoir brisé la fleur de ma jeunesse
J'ai peur de vous haîr quand je deviendrai
vieux.
Ainsi différente de la conception que Mallarmé
faisait de l'amour,du moins dans ses aspects les plus immédiats,celle
des poétes contemporains s'attache avant tout,à la
manière et sous l'influence des romantiques,à peindre dans des
poémes souvent ingénieux,leurs déboires ou leurs douleurs
imaginaires,comme l'avoue encore Sully Prudhomme
Ah!j'en connais beaucoup dont les lévres sont
belles,
................................................
Mes amis vous diront que j'ai chanté pour
elles,
Ma mère vous dira que j'ai pleuré pour
vous.
J'ai pleuré,mais déjà mes larmes sont
plus rares,
Je sanglotais alors,je soupire aujourd'hui.
L'amour chez les romantiques vibre de tous les ressorts que le
temps n'a jamais encore rouillés et qui dure aussi longtemps que la
poésie même..
Les Parnassiens,déjà hostiles à
l'idée de tout ce qui est passion ou sentiment..se sont refusés
-du moins en apparence-à traiter à fond cette matière et
se sont bornés seulement à en évoquer quelques traits
éparpillés dans leurs différentes oeuvres.
Tandis que les symbolistes,qui recherchent à travers leurs
oeuvres,cet idéal éminent qui leur échappe
toujours,considérent que l'amour est un moyen pour s'affranchir de la
routine,pour s'accrocher au plaisir érotique et se sentir vivre avec
toutes les sensations que peut procurer la nature104(*)..
Quel rapport y a-t-il entre l'amitié et l'amour?Pour
Mallarmé les deux concepts se contredisent et ne se rejoignent
jamais,car l'amour est un sentiment d'intérêt,de satisfaction
physique et de concupiscence charnelle..Alors que l'amitié,si elle est
souvent aussi fondée sur l'intérêt,elle n'en pouvait pas
toujours être ainsi.La vraie amitié demeure celle du
désintéressement ,de l'entre-aide mutuelle..Voilà enfin
pourquoi l'amitié et l'amour ne se conçoivent que
séparément et il n'existe entre eux aucune relation
profonde.
Il faudra rire mais on rira de santé
On rira d'être fraternel à tout moment
On sera bon avec les autres comme on l'est
Avec soi-même quand on s'aime d'être
aimé.
Ces quatre vers de Paul Eluard le montrent bien ..Mais
l'amitié se transforme accidentellement ou subitement en amour,à
l'insu de l'un et de l'autre partenaire...
De plus,ce changement,s'il n'était pas
spontané,s'opère suivant des faits,des gestes,et même des
actes délibérés,qui frisent la
témérité et la hardiesse:des expédients et des
mimes arbitraires auxquels on avait recours pour assurer notre conquête
en amour...
Mon crime,c'est d'avoir,gai de vaincre ces peurs,
traitresses,divisée la touffe
échevelée
De baisers que les dieux gardaient si bien
mêlés
Le faune,qui convoite la nymphe avec une sauvagerie brutale et
une détermination tenace,ne cessa d'échafauder des plans
diaboliques pour assurer la conquête de sa proie et après
d'intenses efforts ,il est parvenu à ses fins:
Et le Romain sentait sous sa lourde cuirasse
Ployer et défaillir sur son coeur
triomphant.
Le corps voluptueux que son étreinte
embrasse.
Ces vers de J.M.de Hérédia soulignent le fait
que,en amour,comme en guerre,il fallait combattre,lutter contre la
résistance de l'ennemi,pour le forcer en fin de compte à se
rendre sans conditions et à s'abandonner à votre pouvoir.
La femme,qui cherche la volupté à travers son
propre corps,ne pouvait vivre sans illusion et sans rêve..En un mot,toute
femme est sujette à ce phénomène latent qui est le
rêve..Il en demeure de même pour l'homme,car le rêve à
chaque instant de la vie hante aussi bien la femme que l'homme.:
Je fais ce rêve étrange et
pénétrant
D'une femme inconnue et que j'aime et qui m'aime.
Parallèlement au rêve qui nous obsède
à l'état d'éveil en plein sommeil
se manifeste forcément l'oubli,qui reste l'ennemi
principal de l'amour..
C'est la nymphe qui pleure un éternel
oubli105(*).
Mais on voit cependant que l'oubli,tel un monstre dévorant
tout sens d'amour,est terrassé,grâce à la
fidélité,à la loyauté que l'on conserve vivaces
pour l'objet aimé:,comme le confirme encore ce Parnassien à la
veine pittoresque J.M.de Hérédia:
des larmes d'un enfant sa tombe est arrosée
Et l'aurore pieuse y fait chaque matin
Une libation de gouttes de rosée.
Cet amour que l'on s'acharne à protéger contre
vents et tempêtes,ne survécut parfois qu'un laps de temps,comme
une éclaircie dans la nuit noire de la vie:
Ô serments!Ô parfums!Ô baisers
infinis!
L'adoration pieuse que l'on a sentie pour l'être cher,les
sentiments de sacrifice que l'on était prêt à faire pour
lui sans réticence mais plutôt avec courage et un esprit ouvert et
inébranlable,tout cela ne subsistera plus que dans un vague bonheur
que l'on ne cessait d'entretenir complaisamment en nous-mêmes.,rappelons
encore cette admirable strophe de Baudelaire:
Je sais l'art d'évoquer les minutes
heureuses
Et revis mon passé blotti dans tes genoux,
Car oû peut-on chercher tes beautés
langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si
doux,
je sais l'art d'évoquer les minutes
heureuses.
Mais en revanche,on pouvait dire que pour
Mallarmé l'amour est un acte,ou plutôt une action suivie de
succès ou d'échec,une action oû la volupté,la
concupiscence ,accompagnée d'érotisme sadique,jouent un
rôle relativement primordial.
Tandis que pour les poétes contemporains,et même
ceux de la génération suivante ou pour mieux dire pour le plus
grand nombre d'entre eux,l'amour,tel qu'il était chanté par les
romantiques,demeure d'abord un sentiment,un acte de sacrifice pour l'objet
désiré:Louis Aragon,fidéle témoin de son temps et
pionnier infatigable du surréalisme,mouvement poétique né
du sang même du symbolisme et qui en est même le symbole de sa
regénérescence,Louis Aragon,dis-je,illustre admirablement
à travers cette tirade la tendance de ses contemporains:
Mon amourO mon amour toi seul existe
A cette heure pour moi du crépuscule triste
Oû je perds à la fois le fil de mon
poéme
Et celui de ma vie et la joie et la voix
Parce que j'ai voulu te redire je t'aime
Et que ce mot fait mal quand il est dit sans toi.
VIII
Le rêve et le mystère
Le grand mystère de la vie,c'est évidemment le
sommeil,cet acte qui s'opère dans l'incoscient,reste pour
Mallarmé investi de mystère et d'inconnu et nul n'a osé
exploré les profondeurs de ce mystère autant que le poéte
des « Fleurs du Mal »:
Le sommeil est plein de miracles.
Il est vrai cependant que Baudelaire,ainsi que de nombreux
poétes de l'époque,avaient tenté de voyager par la
pensée dans les régions obscures de l'inconscient,surtout
lorsqu'ils étaient sous l'empire du sommeil,mais leur tentative n'a
jamais éclairci le mystère,au contraire,elle n'a fait que le
rendre plus opaque,infiniment inaccessible.
Tu sais,ma passion,que,pourpre et déjà
mûre,
Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure,
Et notre sang'épris de qui va le saisir,
Coule pour tout l'essaim éternel du désir.
Ce mystère imperceptible,inaudible et invisible,ne pouvait
se concevoir qu'à l'intérieur de l'esprit,telle une vague
vision,une image floue et opaque,qui s'échappe de la
réalité,pour pénétrer dans la sphère
nébuleuse de l'inconscient,dont le pouvoir demeure pour nous absolument
inflexible.
Et P;Eluard,comme son habitude,laissa ingénuement courir
sa plume pour tenter de l'élucider:
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire,pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire..
Du rêve naît forcément l'enchantement,le
merveilleux;dans le rêve,résident naturellement la sorcellerie et
la magie,à la faveur des ténèbres du sommeil..L'esprit
divague,le coeur s'adonne à plaisir à la joie et à
l'espoir :c'est le régne d'un monde d'enchantement et de
fééries fantastiques:106(*)
...............les bêtes symboliques
dans la forêt du rêve et de l'enchantement.
Le rêve,malgré le mystère profond qui
l'entoure,est une source d'extase et d'euphorie,oû
l'âme,passivement et comme dans un état d'indolence
extrême,se livre langoureusement à cette béatitude
infinie,dont elle était frustrée à l'état
d'éveil..
Mon âme
et grave,elle s'énivre à ces songes illustres
Que récelent pour nous les nobles sentiments.
L'âme,dans sa petite sphère,s'arrache aux soucis et
aux tracas inexorables du quotidien,pour savourer les effets de
l'éblouissement infini,qui s'estompe dans les horizons du
subconscient,d'oû Rimbaud exhala cet aveu profond:
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges
éblouies;
La jeunesse ,qui brûle d'impatience,dévorée
par ce désir profond de vouloir à tout prix goûter aux
charmes de la vie..la jeunesse et le rêve sont liés
indissolublement :qui dit jeunesse dit rêve et qui dit rêve dit
jeunesse et J.M.de Hérédia avait eu le génie de
l'enfermer dans ce tercet:
La viole que fôle encore sa frêle main
Charme sa solitude et sa mélancolie
Et son rêve s'envole à celui qui l'oublie.
Mais le rêve aussi se saisit de sa victime,l'envoie dans un
monde d'illusions et de fantasmagories dérisoires:
Quand l'ombre menaça de sa fatale loi
Tel vieux rêve,désir et mal de mes
vertébres
Affligé de périr sous les plafonds
funèbres,
Il a ployé son aile indubitable en moi..
Le rêve brise,annihile la réalité
réelle,pour ériger à sa place un mur de
ténébres et d'ombres dansant la sarabande,oû l'esprit de
l'homme s'agite et s'acharne en vain à la recherche d'une issue
salvatrice.
Entre l'homme et le rêve,subsiste en effet le
mystère le plus étrange et pourtant l'homme dévoré
par ce rêve,s'y offre voluptueusement sans résistance,car dans ce
rêve,il semble trouver la paix qu'il convoite
profondément..H.Michaux,héritier présumé de
Mallarmé et l'un de ses descendants de talent,a su être en
communion avec les cogitations du Maître:
Bondissant dans ses râles,
Au galop sur ses cordes sensibles et son ventre
affamé
Aux désirs épais
Que personne ne satisfera.
Voilà l'homme dans sa quête effrénée
du rêve et du désir toujours insatiable..Il va encore plus loin
et ne s'arrête pas seulement à la satisfaction d'une
volupté éphèmère,mais tente de s'accrocherà
l'infini,à l'au-delà paradisiaque,oris comme il est dans
l'emprise inexorable d'une mosaïque d'images se mouvant
frénétiquement dans le vague absolu.«Nous
voulons,déclara G.Apollinaire, nous donner d'étranges et vastes
domaines oû le mystère en fleurs s'offre à qui veut le
cueillir. ».Si l'homme cherche ainsi le plaisir dans le rêve et
le mystère,il semble en revanche n'avoir aucune inclination pour la
connaissance de la nature et ses mystères:la poésie
mallarméenne par son étendue métaphysique,et ses
caractéristiques éminemment idéalistes,a exploré
plus ou moins exhaustivement les mystères de la nature et d'ailleurs
nul poéte ,excepté Baudelaire,n'a osé
pénètrer plus avant dans les régions inconnues de la
nature vague et profonde.
L'homme,paradoxalement,se désintéresse
catégoriquement de l'amour de la nature,dont il déplore gravement
l'indifférence et le mépris pour la race humaine:,comme le clame
hautement Leconte de Lisle:
La nature se rit des souffrances humaines.
De plus,l'homme donne l'impression d'être captif entre le
rêve et le mystère de la vie,qui s'écoule rapidement pour
céder sa place au néant infini et dans cet ordre
d'idées,Pierre Emmanuel,semble s'être inspiré de
Mallarmé,lorsqu'il insinue:
Si le plus grand mystère.
Est la limpidité
La pure absence Ô père
S'atteint en vérité
en regardant l'eau claire
Entre les doigts couler.
Il n'en demeure pas moins que l'homme,assoiffé d'inconnu
et obsédé par l'idée de la mort,est encore
profondément tiraillé,déchiré par le mystère
de la vie,cette vie éphémère,qui passe comme un coup de
vent sur une terre stérile,pour se dissiper dans l'infini,ensevelie
à jamais dans l'oubli,et en ce sens,J.P.Toulet le dit sur un ton de
badinerie:
Mourir non plus n'est ombre vaine
La nuit,quand tu as peur,
N'écoute pas battre ton coeur,
c'est une étrange peine.
Ce n'est pas tout,le mystère de la vie ne réside
pas seulement dans l'accomplissement de son oeuvre destructrice..le
mystère ,le vrai mystère,n'est ni la vie ni la mort non plus,mais
c'est que la vie est elle-même jalonnée d'étranges
mystères oû l'on voit la douleur de l'homme,ses souffrances
multiples qui n'en finiraient pas ,mais qui plutôt
accéléraient son ultime disparition
d'oû,J.Supervielle,prophète de la misère
humaine,dénoue cette interrogation angoissante:
Ô peau humaine que traverse
Misérablement les douleurs,
Ö creux éponge de détresse
Même lorsque tu fus sans peur
Il n'est de terre sans un cri
Que la terre des cimetières.
En vérité l'homme est né,non pour jouir,mais
pour souffrir et s'habituer aux tourments que lui aurait infligés la
vie,fait désormais partie de son attachement à cette ve
même,qui,pourtant,avec le temps,s'épuise et se déprime,plus
par la douleur et la peine que par d'autres agents insidieux et P.Reverdy lance
cette exclamation poignante:
les animaux sont morts
Il n'y a plus personne
Regarde
Les étoiles ont cessé de briller
La terre ne tourne plus.
La fin naturelle de la vie se clôt par la mort ..et tous
les sens sombrent dans les ténèbres du néant,pour
dépérir à jamais..les rêves sévanouissent
,les espoirs disparaissent,entraînant avec eux les soucis,les
tribulations corrosives et les tourments vécus..
Je me souviens,je me souviens
Ce sont des défuntes années,
Ce sont des guirlandes fanées
Et ce sont des rêves anciens..
Ce cri déchirant,c'est celui de Jean
Moréas107(*),pour
lui comme pour Mallarmé,:tout est vanité et rien que
vanité:lutter,rêver à plaisir,s'évertuer pour
s'offrir un moment de joie et de satisfaction physique,surmonter ses douleurs
et les graves sévices du temps,pour se rendre compte au bout du chemin
que tout cela n'est que de la vanité:
Ah!songer est indigne
Puisque cest pure perte!
En réalité,il ne demeurera ici-bas que le
mystère et l'ignorance,quel que soit le progrés que l'on fait
dans la connaissance des phénomènes qui nous entourent,car en
principe,il serait futile de se creuser la cervellepour comprendre ce qui est
à première vue indéchiffrable,abscons et abstrus:le
rêve est un mystère que nul ne dévoilera jamais,tout comme
la vie,qui ne se manifeste un instant que pour s'évanouir dans les
nuits du temps:d'oû cette affirmation plus que philosophique de Francis
Aragon:
Nos rêves se sont mis au pas mou de nos vaches
A peine savons-nous qu'on meurt au bout du champ
Et ce que l'autre fait l'ignore le couchant.
Ignorer tout et se contenter de ce qui est connu et visible,et
pourtant cela n'est absolument pas suffisant,l'homme,cet être infime
et fini,dans un monde vaste et infini,ne se borne plus au strict silence,fait
preuve au contraire d'une curiosité infinie pour toutes les choses de
la vie et pourtant il condamné à se taire.
Et le mystère,comme le rêve,pèse de tout son
poids,grave,mystérieux,implacable,sur la destinée de
l'homme.108(*).
IX
Dieu et la métaphysique.
L'obscurité109(*) de Mallarmé tient avant tout dans sa
quête incessante de Dieu..Il ne put concevoir un Dieu seul,sans qu'il y
eût eu des rapports immédiats avec les phénomènes
environnants.Son Dieu n'est ni le Dieu de Hegel,ni celui de Nietszche,encore
moins celui de Descartes ou de Voltaire,son Dieu,à lui,est un
organisateur,un bâtisseur génial et suprême et c'est pour
cela que dans tout objet qui existe,on voit la présence de Dieu.Quand on
se promène dans la forêt,on a l'impression de voir l'Etre
Suprême dans chaque arbre,dans chaque plante et dans chacun de ces
petits êtres miniscules qui avaient la forêt pour berceau et le
vaste espace pour asile.Paul Claudel se range à cette conception de Dieu
et traduit heureusement et mieux qu'un autre la visée
métaphysique de Mallarmé.110(*)
L'esprit panthéiste s'inscrit dans tout ce qui se
voit,respire et
s'eclipse de la surface de la terre..
Ô crédo entier des choses visibles et
invisibles
Je vous accepte avec un coeur catholique
Ou que je tourne la tête
j'envisage l'immense octave de la création!
Le régne de Dieu est le régne de
l'humanité.111(*).Dieu créa l'humanité avec tout un
attirail complexe de dogmes et de principes pour l'installer dans un ordre
organisé et lui assurer la stabilité nécessaire à
son développement et à son essor...
L'humanité qui s'était élargie au fil des
siécles,s'astreignait en toute chose à la volonté divine
et ne pouvait franchir ou outrepasser les bornes qu'il lui avait
assignées sans se référer préalablement à
ses commandements..Ainsi,J.supervielle,sous une forme quasi
humouristique,procède à ce constat étrange:
Hommes,mes bien-aimés,je ne puis rien dans vos
malheurs
Je n'ai pu que vous donner votre courage et les larmes
C'est la preuve chaleureuse de l'existence de Dieu.
Dieu regarde,contemple le désarroi,les tourments de son
monde et cependant il garde le silence ,pire encore il détourne les yeux
pour ne rien voir et ne rien entendre..Il s'empare des restes,des
dépouilles et du charnier humain pour les drainer dans le gouffre du
néant,comme le dira E.Verhaeren:
Tu rouleras,en tes vagues et tes crinières,
Ma poussière et ma pourriture.
Mais en dépit du silence de Dieu,l'humanité
persévère dans sa progression,nourrie d'espérance et de
vigueur pour un avenir meilleur:et précisément,dans ce
contexte,Max Jacob,fidèle à la rhétorique
mallarméenne de Dieu,ajoutera de plus belle:
J'attends vos silences,espace
Pour devenir un astre pur
J'attends les traits de votre face
Mon Dieu dans les miroirs obscurs.
Or l'humanité qui se résigne,qui ploie sous le
fardeau de son implacable destin112(*),qui espère toujours et son espoir est
exclusivement concentré en Dieu seul ,cette humanité ne s'en
trouve pas pour autant allégé du poids accablant de la
matière ,poids séculaire sous lequel elle ne cesse cependant de
gémir,d'oû l'image funèbre évoquée encore
avec non moins d' intensité par le poéte des « Villes
tentaculaires »:
J'aurai senti les flux
Unanimes des choses
me charrier en leurs métamorphoses
Et m'emporter dans leurs reflux.
Le problème de Dieu113(*) et de l'humanité absorba longtemps
Mallarmé,un problème qu'il n'écarta pas de ses
préoccupations poétiques;il s'ingénia à en
comprendre les implications profondes:il concoit bien qu'il y a d'un
côté Dieu qui,de par son immense pouvoir, créa et
éparpilla l'humanité dans l'espace infini de son domaine et de
l'autre,l'organisation géniale de cette humanité,sa coordination
étroite et la nature des rapports immédiats qu'elle devait
entretenir en son sein,en tant que vaste cellule vivante,pour assurer sa
survie perpétuelle..
Car vivre,c'est prendre et donner avec liesse.
Cet ordre planifié,cette discipline strictement
conçue et mise en pratique,ces diverse lois et régles
fondamentales,sont autant d'éléments susceptibles de
concrétiser et d'affirmer l'esprit communautaire de l'humanité
et par là promouvoir l'homme au rang d'une puissance capable de
régner sur toutes les choses de la terre.d'oû cette strophe de
H.de Regnier, qui illustre la perénnité de Dieu et de ses
lois:
L'ombre scelle d'un doigt les lévres du silence
Je vois fleurir des fleurs de roses,à ta main,
Et par delà ta vie entre et comme d'avance
de grands soleils mourir derrière ton destin.
L`homme ,devenu capable de tout,grâce à ce pouvoir
insufflé en lui par Dieu,son créateur,se lance à la
conquête de l'éden et ne s'apaise que lorsqu'il aura satisfait ce
désir profond.Or l'espoir de F.Jammes est plus vaste que celui du
Maître:
« Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
Choisir un chemin pour aller,comme il me plaira,
Au paradis oû sont en plein jour les
étoiles »
mais,malgré son pouvoir infini,et qui s'accroit de plus
en plus,l'homme vit dans l'horreur perpétuelle des choses de la vie;il
se sent comme emporter sur les vagues du temps,s'acheminant vers le
néant inexorable:Ecoutons encore cette tirade pittoresque qui
s'inscrit dans le contexte métaphysique de Mallarmé:
J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou
Tout plein de vague horreur,menant on ne sait oû;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres
Et mon esprit toujours du vertige hanté
Jaloux du néant l'insensibilité.
Le temps,c'est du vide,mais du vide qui dévore et qui
avale sans jamais avoir faim:donc le temps,c'est du néant,un
néant qui embrasse d'un seul coup à la fois le fini et
l'infini,le néant écrase de son incommensurable poids tout ce
qui vit et tout ce qui ne vit pas..
Et l'homme,face à ce terrible chaos,à ce puits
insondable et à ce monstre effrayant,se livre forcément à
ses douleurs et à se angoisses lancinantes:
d'oû l'aveu exhalé par J.Supervielle avec un
soupir à peine étouffé:
C'est beau d'avoir connu
L'ombre sous le feuillage
Et d'avoir senti l'âge
Ramper sur le corps nu
D'avoir senti la vie
Native et mal aimée
De l'avoir enfermée
Dans cette poésie;
La vie qui s'échappe,qui disparaît au bout d'un
temps très court,engloutie dans le vaste néant,la vie
elle-même n'est qu'un point obscur dans un immense globe lumineux..Et
Mallarmé avait conçu l'idée de ne jamais penser à
la vie,en tant que vie,mais de penser à ce qu'il y a au-dssous de cette
vie,dont le doute,un doute viscéral,l'avait bouleversé
profondément:
Mon doute,amas de nuits anciennes,s'achève
en maint rameau subtil,qui demeure les vrais
Bois mêmes,prouve,hélas!que bien seul je
m'offrais
Pour triomphe la faute idéale des roses..
Le doute mortel114(*),terrible,qui n'a jamais cessé de hanter
l'esprit de Mallarmé,ne s'éclaircit pourtant pas,mais au
contraire,continue à se cramponner insidieusement à sa vision du
monde,au point de lui inspirer le dégoût et la répugnance
pour toutes les choses terrestres ,ce qui a fait dire P;Claudel,comme s'il
était en communion de pensée avec Mallarmé:
Voici de nouveau le goût de la mort entre mes dents
La tranchée,l'envie de vomir et le retournement.
Le le dégoût de l'existence,l'aversion tenace pour
toutes choses visibles et non-visibles,voilà ce que le doute provoque en
dernier ressort..
Bien plus,le doute,tel un virus rongeur,s'acharne sur l'homme
jusqu'à le conduire inéluctablement à la folie et à
la terreur:et P.Claudel ajoute sans espoir d'apaisement:
Je prête l'oreille,et je suis seul et la terreur
m'envahit.
L'homme, aux prises avec l'angoisse,la douleur morale,s'achemine
de lui-même vers un autre univers,l'univers de la sombre
désespérance et de là à la résignation
passive,inerte,à l'engourdissement de tout son être et
finalement à sa fin imminente:
Ridicule pendu,tes douleurs sont les miennes!
J'ai senti,à l'aspect de tes membres flottants,
Comme un vomissement,remonter vers mes dents,
Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes.
Devant toi,pauvre diable au souvenir si cher,
J'ai senti tous les becs et toutes les machoires
des corbeaux lancinants et des panthères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.
Ce cri poignant,c'est celui de Baudelaire,qui a gravé dans
l'âme de Mallarmé les mêmes sentiments.
Car le désespoir apparaît souvent à la suite
d'un acte sadique..la provocation volontaire,l'agression
délibérée et le désir de nuire à autrui,sont
autant de facteurs probants qui incitent aussi la victime à la haine et
au désespoir...
L'inflexibilité de l'objet aimé,accompagné
de dédain et d'indifférence,fait naître dans l'amant
bafoué un profond désespoir...
d'oû encore Baudelaire:
Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front cuirassé;
Quand ton coeur dans l'horreur se noie;
Quand ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.
Le désespoir conduit à l'anéantissement de
tout sentiment de survie et de là au néant...car rien n'est
pire que l'affreux désespoir,qui déploie et se développe
si intensément qu'il s'insinue dans toutes les fibres de
l'âme..:
Courte tâche!La tombe attend:elle est vide!
C'est l'inévitable,l'implacable trépas et
l'homme,noyé dans une mer de douleur,luttant seul,sous les yeux d'un
Dieu indifférent,pour survivre encore ne serait-ce qu'un moment
très bref,et n'y pouvant plus, s'abandonne au courant qui l'emporte..
Vers le ciel ironique et cruellement bleu
(Eau quand donc pleuvras-tu ?
quand converas-tu,foudre?)
Que tout concoure pour écraser l'homme!que tous les
éléments de la nature s'associent,pour annihiler sa
présence de l'univers..!
..L'homme ne se sent d'aucun pouvoir,d'aucune initiative pour
tenter d'éluder cette avalanche de malédictions et de
contre-temps foudroyants..
Au contraire,il est toujours prêt à les recevoir et
à en subir passivement les conséquences,puisqu'il sait que Dieu
le contemple d'en haut avec méfiance..encore le cri larmoyant d'un
J.Supervielle.
Et moi je reste l'invisible,l'introuvable sur terre,
Je ne vous offre qu'un brasier oû vous retrouviez du
feu.
Un destin cruel frappe l'homme à tout un instant,se
cramponne à sa gorge,le terrasse inexorablement,le réduit
à une loque veule et gémissante,pour ensevelir ses cris d'agonie
et ses lamentations dans le fond du sépulcre.
Les morts,les pauvres morts,ont de grandes douleurs.
Avec sa fin inévitable,sa disparition imminente,l'homme
reçoit l'ultime offrande qui lui est réservée par son
destin,c'est l'expiation dans la souffrance,la fuite dans le néant et
dans l'oubli..
Toute l'âme résumée
quand lente nous l'expirons
dans plusieurs ronds de fumée
abolis en autres ronds
atteste quelque cigare
brûlant seulement pour peu
que la cendre se sépare
de son clair baiser de feu.
L'âme,accumulation de fumées
épaisses,s'évapore dans le ciel noir,pour se disséminer
à l'envi dans l'espace vide,et il n'en demeure plus rien,plus rien,car
ici-bas tout est vanité:
Hélas!tout est
abîme..action,désir,rêve
Parole!Et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la peur je sens passer le vent.
Ainsi l'homme qui sait d'avance que dans cet univers vague et
sombre,toute résistance est vouée automatiquement à
l'échec,ne voit plus qu'une alternative,se résigner à
toutes les calamités terrestres ou mourir et se débarrasser d'un
énorme fardeau accablant..ainsi cette supplication de Verhaeren qui
incarne remarquablement les aspirations métaphysques
mallarméennes:
Sois de pitié,Seigneur,pour ma toute
démence,
J'ai besoin de pleurer mon mal vers ton silence
La nuit d'hiver élève au ciel son pur
calice;
Mallarmé et les poétes ses contemporains et plus
tard,dans leur sillage,la génération suivante,tous ont
cultivé avec une passion croissante le problème
métaphysique de l'existence,tout comme ceux qui ne cessent jamais
d'obséder tous les esprits de tous les temps,à savoir
Dieu,l'Univers et les souffrances humaines.
X
La problématique de la religion.
Mallarmé est un déiste à sa
manière:pour lui-et il est juste dans sa vision -la religion est un
phénomène idéologique créé pour combler un
vide intellectuel dont souffre l'humanité...La croyance donc en la
religion est du ressort de l'individu;;car on sent qu'il y a une profusion de
religions et par conséquent,chaque individu est amené à
opter pour l'une ou pour l'autre en toute liberté.Et Mallarmé,en
son âme et conscience,avait opté en effet pour la religion de
l'art,puisque en dépit des bienfaits incontestables de la religion et
son influence salutaire,l'homme est resté toujours accablé de
doute,martyrisé par les coups du hasard et les tiraillements d'un sort
implacable,toujours aux prises avec l'angoisse et la perpétuelle
inquiétude qui émane d'un état psychologique instable.Il
ne pouvait dès lors concevoir une vie faite sans remords et sans
tourments,puisque la religion n'étant plus le baume approprié,il
est condamné à cette affligeante situation dont il lui parait
impossible de s'échapper.Il en est ainsi de ce poéte
mineur,Robert Honnert,vrai descendant et fidèle interprète de la
poétique mallarméenne,qui affirme avec un accent douloureux:
Entre la joie et la douleur
Frémit l'âme encore incertaine
La lumière paraît lointaine;
On songe encore au goût des pleurs.
Or cette persistance dans l'infortune et la douleur,continue
encore au-delà de toutes les limites,jusqu'au mpment oû,de guerre
lasse,l'homme,tourmenté par l'angoisse et l'idée de la mort,se
résigne enfin bien volontiers à recevoir le dernier coup de
grâce et de prendre le chemin du néant:c'est ce qu'a poussé
Franz Hellens encore un poéte féru à outrance de la
poésie mallarméenne au point d'être devenu comme
porte-parole le plus fidèle à déclamer d'une voix
éplorée:
Buvons!voilà vingt ans
Que nous aimons ensemble
Sans que le verre soit brisé
Ni le carafe vide
Un jour viendra oû l'un de nous
N'y sera plus pour boire
Ni pour verser;
L'inévitable séparation est inscrite sur le front
du destin de l'humanité..C'est une loi impérissable et à
jamais éternelle,s'appliquant à des successions de
générations infinies..
Avec la disparition de ces générations,c'est en
effet tout un arsenal de dogmes,de fois,de crédos draconiens et de
pratiques mystiques,le tout suggéré par la religion,qui
disparaît..
Ainsi le dernier refuge de Mallarmé n'est pas du tout la
religion,qu'il avait fermement désavouée,c'est,comme pour son
maître Baudelaire,le néant et rien que le néant,qui le
tourmentait sans répit,comme le disait J.Supervielle:
s'il n'était d'arbres à ma
fenêtre
Pour venir voir jusqu'au fond de moi,
Depuis longtemps,il aurait cessé
d'être
Ce coeur offert à ses brûlantes lois.
Dans ce long saule ou ce cyprès profond
Qui me connaît et me plaint d'être au
monde
Mon moi posthume est là qui me regarde
Comprenant mal pourquoi je tarde et tarde.
La mortelle inquiétude,l'angoisse poignante et la douleur
d'être encore de ce monde,tout s'expliquera spontanément par le
sens que l'on donne à la vie terrestre,dont les principaux fondements
est la religion pure,à la fois unique et multiple ,profonde et
simple,claire et obscure..
Cette religion,dont la profanation délibérée
ou non,conduisait à certaines époques à l'échafaud,
s'impose cependant avec plus de rigueur que jamais,rassemblant dans sa
sphère d'influence presque tous les esprits du temps..
Mais Mallarmé,ayant compris plus qu 'aucun autre la
nature de cette influence accablante et pernicieuse,chercha
désespérement à s'en défaire pour fuir dans un
au-delà plus sacré,plus brillant et plus divin:
Est-il moyen,ô moi qui connais l'amertume,
D'enfoncer le cristal par le monstre insulté
Et de s'enfuir,avec les deux ailes sans plume,
Au risque de tomber pendant
l'éternité.
La fuite dans un autre au-delà imprévisible et
inconnu,est plus acceptable cependant que d'affronter,les mains nues et le
coeur vide de tout espoir,les affreux moments engendrés par la
présence étouffante de cette doctrine que l'on qualifiait de
spirituelle et qui influe insidieusement sur les mentalités pour les
détourner de force de leur voie initiale.
Ainsi fuir,fuir et se sauver de cette terreur aveugle ,devenait
désormais le désir profond de
Mallarmé,interprété si bien par E.Verhaeren:
Ivre,il vit,oubliant l'horreur des saintes huiles,
Les tisanes,l'horloge et le lit infligé,
La toux;et quand le soir saigne
Son oeil,à l'horizon de lumière
gorgé,
Voit des galères d'or...
Fuir la religion dogmatique,tyrannique et terrifiante,pour
embrasser la religion de l'amour,de la culture et de l'art,telle était
en effet l'obsession déchirante de Mallarmé..
Mais le chemin vers l'amour de la nature,de la justice et de la
liberté,est toujours jalonné d'obstacles infranchissables,de
profondes ornières et de rocs acérés,impossibles à
surmonter,ce qui suscite souvent la colère et la juste indignation
contre l'Etre Suprême,ainsi qu'on le constate chez un Pierre Emmanuel,un
des rejetons oubliés du symbolisme mallarméen:
Je n'écris que pour toi Seigneur
Pour t'irriter,pour te séduire
Pour te présenter ma douleur
Puis de ce tribut te maudire.
L'homme est l'esclave naturel de Dieu..ce dernier possède
le pouvoir infini de faire de son esclave ce qu'il veut,puisque
l'apprpropriation exclusive à Dieu est une réalité
naturelle et métaphysique et nul n'osera élever un déni
queconque à ce sujet,en ce sens que,de son vivant et après son
extinction,l'homme est toujours la propriété de Dieu.D'oû
ce tercet émouvant de P.valéry.
Qu'importe!Il voit,il veut,il songe,il touche!
Ma chair lui plaît et jusque sur ma couche,
A ce vivant je vis d'appartenir.
Qu'est-ce donc au juste le sens de la religion?Serait-ce une
tentative pour gagner ce prétendu havre que l'on a coutume d'appeler
paradis?Ou serait-ce encore un moyen d'éviter des maux terrestres ou
encore une voie pour aboutir à l'amour de Dieu et de lui appartenir
corps et äme en toute exckýlusivité?Serait-ce alors dans ce
sens que l'on entend actuellement la religion?Pour Mallarmé,qui ne
voyait dans la religion qu'une sorte de superstition,une mystification
cruelle,tendant à entraver le libre-arbitre de l'humanité et de
la priver de toute liberté d'action,le concept de religion
lui-même mériterait d'être reconsidéré sous
tous ses aspects..puisque dans son sens actuel et vu les métamorphoses
successives de la race humaine,la religion,en tant que concept,vision ou
même principe,cette religion est-elle encore fondamentale?Sa disparition
éventuelle provoquerait-elle une rupture entre Dieu et l'homme?Et
pourtant,de nos jours,qu'il y ait religion,ou qu'il n'y en ait pas,cela
n'empêche en aucune manière de se rapprocher de Dieu et de jouir
de sa clémence,de même qu'il l'aurait souhaité
P.Claudel,le seul ,avec charles Péguy,qui ait exploré la mystique
de Dieu et de la religion:
Je sais que là oû le péché
abonde,
Ta miséricorde surabonde;
Car entre Dieu,qui n'est rien d'autre que l'Être
Suprême,qui domine de sa haute majesté la terre et le ciel,et la
religion,qui n'est en vérité qu'une doctrine et rien
d'autre,ayant pour but essentiel de faire connaitre Dieu et ses attributs..Or
entre l'un et l'autre,la différence est vaste,incommensurable,:Dieu est
supposé éternel,impérissable;la religion
,périssable et évanescente,pour ne rester que la hantise d'un
Dieu omnipotent,visible et invisible,diminateur,qui châtie et qui
pardonne,invincible et d'une ubiquité permanente.Ecoutons P.J
Jouve,partisan du surréalisme mais qui ne cache pas son appartenance
tardive au symbolisme mallarméen.:
O vierge noire dans un temple de vent clair,
Je te retrouve aux mains croisées de la
mémoire,
Chaque nuit je me trouve au banc comme une chair
Avant que le soleil ne soulève ses moires.
Les sentiments religieux influent et exaspèrent
l'âme..et ce qui est à la fois bien étrange et
contradictoire,ce sont des sentiments qui restent enracinés dans le
sein de l'être,et telle une réserve spirituelle,d'oû il
puise toute son énergie,il se sent comme retrempé et
galvanisé ,quand il se trouve au bord de l'abattement ou du
désespoir,ayant l'impression comme s'il était enveloppé
des charmes de l'éden:on trouve cet état d'esprit aussi bien chez
Mallarmé que chez ses disciples tel que Robert Honnert:
Alors légère et lumineuse
Revenant à son vrai destin
L'âme entrerait dans le jardin
Des éternités bienheureuses.
Alors selon la tradition,cette affinité,ce rapprochement
intime de Dieu et cette communion avec tout ce qui n'est pas visible,ne pouvait
s'accomplir que par le biais de la croyance et de la foi..donc de la religion
elle-même..
La foi en Dieu,comme la croyance en tout,même à la
métempsycose ou au mystère de l'au-delà,c'est le chemin
unique pour s'assurer un petit gîte dans l'éden céleste.
Mais pour Mallarmé,comme pour la plupart de ses
contemporains,qui démentent même l'existence de la religion,en
tant que médium entre Dieu et sa créature,le doute reste en
définitive comme ultime recours pour le salut du genre humain,puisqu'il
n'est pas possible de concevoir ce phénomène entre le
créateur et la créature..idée d'ailleurs que les
déistes du 18e siécle et à leur tête Voltaire
avaient soutenue énergiquement..
Mais si le scepticisme n'est qu'une sorte de refus,une
non-acceptation de ce qui n'est pas valide,il n'en demeure pas moins une
attitude rigoureuse et récalcitrante.
Et pourtant,ce qui s'avère clair et manifestement
certain,au terme de ces cogitations religieuses,c'est que l'inanité de
tout espoir dans une vie d'au-delà paradisiaque,est un fait réel
et nullement une illusion
Vertige!voici qui frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui,fou de naître pour personne
ne peut jaillir ni s'apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se coller au coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli?
XI
Les sentiments de la nature.
Plus que la pénétration et l'exploitation profonde
du subconscient de l'être,plus que les préoccupations
métaphysiques ou les recherches épuisantes d'un idéal
impossible,l'attachement au mystère de la nature est un des principaux
objectifs de la poésie mallarméenne.
La nature au sein de laquelle se baigne l'individu,se
révéla pour Mallarmé dès son enfance comme le
thème essentiel et réel autour duquel s'est
élevée la conception poétique mallarméenne..Car,il
n'y a que dans la nature que l'on puisse chercher et trouver l'extase et la
béatitude,si nécessaire à l'inspiration
poétique..
Ce sentiment de béatitude,d'épanouissement
psychique et d'enthousiasme exubérant s'affirme et ne se
réalise en profondeur qu'au sein de la vraie nature.
Emplis ton esprit d'azur..
Cette injonction hardie de Th.de Banville traduit
nécessairement l'ivresse et la griserie que l'on éprouve au
sepectacle de la nature,qui est le réceptacle de nos sentiments et de
nos aspirations,provoquant ainsi l'éclosion du génie et nul
poéte,quelle qu'en soit sa tendance,ne peut rester insensible à
l'envoûtement de la belle nature ,comme A..Breton le souligne encore
avec beaucoup d'assurance et de fermeté:
C'est l'azur.Tu n'as rien à craindre de
l'azur.
La magie secrète qui se fait lentement dans les entrailles
de la nature..cette exaltation infinie,ce débordement euphorique que
nul n'ose arrêter:tout cela est accompli par la volonté divine,par
cette puissance céleste que l'on entrevoit à travers chaque
souffle de vent,chaque bestiole infime,chaque brindille et chaque
chétive plante..
A l'heure oû ce bois d'or et de cendres se
teinte
Une fête s'exalte en la feuillée
éteinte!
Etna!c'est parmi toi visité de Venus
Sur ta lave posant ses pieds ingénus,
Quand comme un somme triste oû s'épuise la
flamme;
La nature ne s'éteint pas...elle n'expire jamais..elle
renaît perpétuellement de ses cendres,plus vivace et plus ardente
encore..La nature,pour le poéte de «L'après-midi d'un
Faune » est la source authentique de toute ardeur et de toute
effervescence juvénile..C'est de la nature qu'émane notre
allégresse ou notre chagrin..
Les tilleuls sentent bon s dans les bons bois de
juin
L'air est parfois est si doux,qu'on ferme la
paupière.
C'est le parfum de la douce,de l'agréable nature..et
Rimbaud,peut-être plus que Mallarmé,avait savouré,durant
ses longues randonnées nocturnes et forestières,ce charme
émouvant de la nature embaumée..Tout s'épanouit,tout
s'exulte et tout s'arrache à son inertie,lorsque la nature,émue
et émouvante,se répand dans l'espace infini.
La bête épanouie et la vivante flore.
Ainsi,à la fois par son influence impérieuse et
impérative,par ses profondeurs insondables et infiniment grandioses,la
nature s'impose de force,au point que tout jeune poéte ,même
dés le commencement de sa vie,tel que Mallarmé,se sentait
charmé,attiré et séduit malgré lui par le
sortilège de la nature..son attachement précoce pour cette
dernière s'expliquerait alors par les phénomènes d'ordre
et de désordre,inhérents au prestige et à la grandeur
immense de la nature..
Rameaux!Forêts!Silence,
O mes amours d'enfance!
..............................
O champs pleins de silence
O mon heureuse enfance
Avait des jours encor
Tout filés d'or!
L'enfance s'inquiéte et se réjouit en face de la
nature...le spectacle qui s'offrirait à elle s'incruste tout à
fait dans sa mémoire pour émerger plus tard ,en pleine
période de maturité et de profonde conscience..
De fait le charme de la nature ,sa magie majestueuse,bouleversent
et émeuvent prématurément l'esprit d'un enfant..
J'ai embrassé l'aube d'été.
De plus,la nature exerce des effets profonds et
inépuisables sur l'esprit,elle suscite de nouvelles visions des choses
et provoque même des délires exaltants,dus peut-être
à ce désordre impénétrable ou bien même
encore à cette beauté harmonieuse et éblouissante que
l'on est amené parfois à découvrir dans la nature..
Le ciel creuse des trous entre les feuilles d'or.
Et cependant,la nature-à n'en pas douter-fait partie de
notre propre être:Nous réunissons en notre sein un amalgame de
tous les éléments de la nature,les plus neutres comme les plus
bouleversants.Or l'association à ces éléments,leur
rapprochement avec nos propres sentiments et même leur participation
directe ou indirecte à l'épanouissement ou à l'extinction
de ces sentiments est un fait réel et indubitable..
Mallarmé se sentait à l'aise,lorsque,de son
appartement de la rue de Rome,il pouvait apercevoir des gens affairés,en
débandade,et le soleil inondant sa chambre d'une clarté
joyeuse,avec l'air qui charriait un effluve
d'été,s'épanouissant avec une gaîté
indescriptible..Mais en revanche,il se sentirait extrêmement mal à
l'aise,comme pris sous l'empire du chagrin et de la morosité,si jamais
il voyait que quelque chose dehors le contrariait:tels la pluie inopportune,un
vent poussiéreux et un ciel sombre,accompagné d'une série
d'éclats de tonnerre et d'orage,tout cela était de nature
à offusquer la pensée du poète de
« Divagations »,comme Leconte de Lisle semblait
interpréter la portée dans cette belle strophe:
O mers,Ô bois songeurs,voix pieuse du monde
Vous m'avez répondu durant mes jours
mauvais;
Vous avez apaisé ma tristesse
inféconde
Et dans mon coeur aussi vous chantez à
jamais.
Leconte de Lisle trouve la paix dans les profondeurs obscures de
la forêt,fuyant le monde corrompu de la société
moderne.Son exaltation est plus intense,plus profondes que celle des
romantiques,qui avaient pourtant eu le don et le génie de fureter,de
fouiller inlassablement dans le sein de la nature et d'en déceler les
secrets les plus profonds..
Ainsi la nature apaise ou aggrave l'inquiétude du
poéte et elle pourrait lui inspirer le calme,la pondération et la
sagesse,comme elle pourrait aussi provoquer son indignation et son angoisse
comme le disait déjà Baudelaire:
le ciel était charmant,la mer était
unie;
Pour moi tout était noir et sanglant
désormais..
Ce contraste frappant entre la nature joyeeuse et la douleur du
poéte s'intensifie de plus en plus au contact de la
réalité,d'une réalité implacable,enflammant
à la fois son courroux et sa verve,à la vue de quelque spectacle
de la nature meurtrie ou ravagée par la main de
l'homme:paradoxalement,P.Reverdy en a été le seul témoin
et le seul interpréte de cette nature qui avait longtemps
enchanté le poéte de Hérodiade:
Rien derrière moi et rien devant
Dans ce vide oû je deescends
Quelques vifs courants d'air
Vont autour de moi
cruel et froids
Ce sont des portes qu'on a fermées
Sur des souvenirs encore inoubliés.
L'enfance ne garde plus rien des beaux souvenirs de cette nature
décapitée et assassinée..Il n'en reste plus que le vide,le
vide effroyable,et pourtant elle reste toujours sensible au parfum de ces
lointains souvenirs si adorables.
La nature amputée,tourmentée cruellement par
l'homme,avait déjà inspiré plus d'un poéte.
De nos jours la protection de la flore et de la faune,les mesures
repressives,prises à l'encontre des destructeurs de la nature,jointes
à la propagation des idées écologistes,pour la
sauvegarder de toutes sortes de pollution :tout cela pourtant n'a rien
donné et l'on est en droit de dire que la nature est en état
d'agonie,premièrement sous l'effet d'une population toujours en
croissance vertigineuse,deuxièmement suite à l'incurie et
à l'indifférence de cette même population,qui ignore
encore les bienfaits sur la santé des espaces propres,sains et
verts;;
Nous n'irons plus au bois,les lauriers sont
coupés.
Le départ de l'été et l'apparition de
l'automne et de l'hiver,s'accompagnent parfois de l'angoisse
métaphysique du poéte,qui aspire souvent à
l'éden,à la joie terrestre et à la plénitude..Celui
qui a exprimé le mieux ce désarroi psychique,c'est Baudelaire
lui-même :
Bientôt nous plongerons dans les froides
ténèbres
Adieu,vives clartés de nos étés trop
courts!
................................
Tout l'hiver va rentrer dans mon
être:colère,
haine,frisson,horreur,labeur dur et forcé!
La misère de l'âme,la terreur insidieuse et la
mortelle anxiété,tout s'infiltre lentement dans les fibres du
coeur du poéte..pour se laisser ensuite bercer mollement par le flux et
reflux d'une nature en pleine fluctuation..Et Verlaine donna libre cours
à son exaltation énivrante ,emporté sur les ailes de la
volupté vers un univers inattendu :
Et je m'en vais
Au vent mauvais
qui m'emporte
Deci-delà
Pareil à la
feuille morte.
Le coeur meurtri et l'âme affligée de remords ,le
poéte s'engage à la recherche d'une issue;il s'accroche
à cette étincelle salvatrice qui commence déjà
à poindre aux horizons lointains d'une autre vie:
Je partirai!Steamer balançant la mature
Lève l'ancre pour une exotique nature .
La quête d'un au-delà idéal,d'un paradis qui
échappe toujours,d'un refuge de paix et de quiétude,cette
quête,en dépit des poursuites acharnées,s'est
avérée en fin de compte impossible...Et Mallarmé,face au
problème de la vie,avait cependant redoublé d'efforts,pour saisir
l'insaisissable et pénétrer l'impénétrable,et
libérer des entraves du temps l'âme humaine,pour instaurer un
climat d'optimisme et d'espérance infinie;
Mais morne et tourmentée,la nature,qui
réflète les sentiments du poéte,enveloppe l'unviers d'un
suaire de mélancolie et de deuil:
L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.!
Plus la nature est souriante,gaie,saine et transparente,plus le
poéte se sent comme affranchi du poids des soucis de la vie et s'adonne
plus passionément à l'amour et à l'exaltation des
sens.Mais par contre,plus la nature est sombre,plus le poéte est
triste:tel que ce poéte- enfant qui,dans sa
désolation,égaré dans les méandres de la vie,lance
son dernier cri à la nature lugubre:
Mais,vrai,j'ai trop pleuré.Les aubes sont
navrantes
Toute lune est atroce et tout soleil est amer.
Or,Mallarmé,poéte avant tout visionnaire,avait
pénétré dans les profondeurs intimes de la nature et il
en avait plus qu'aucun autre compris les mystères..alors que ses
contemporains ne se sont penchés sur la nature que pour l'associer
à leurs sentiments..
EPILOGUE
Le passé et l'avenir.
La création est le produit,le résultat de la
destruction...
Détruire pour créer,tel était l'aphorisme
universel brandi hautement à toute époque et par toute
génération..
Descartes,dans l'ardeur de la jeunesse,avait décidé
fermement de balayer toutes les conceptions philosophiques,pourtant très
en voques en son temps,comme prélude à l'éclosion d'une
philosphie toute nouvelle,basée sur la logique et la raison...
Les poétes éminents,les écrivains de
génie et tous les penseurs qui ont exercé une influence notable
sur leur temps ,en avaient fait de même..
Or,Mallarmé,à la fin d'un dix-neuvième
siécle,quasiment à bout de souffle,oû la pensée est
devenue stérile et d'une fadeur
nauséabonde,Mallarmé,poussé par l'intime conviction que
tout est à refaire en poésie,bouscula tous les dogmes
conservateurs,rénova les régles de la métrique,enterra
à la stupéfaction générale les formes de la
poésie traditionnelle,pour produire une poésie tout
enrobée d'un voile de magie et d'enchantement ,susceptible d'être
à la fois un viatique substantiel pour l'esprit et pour le coeur.
Tuer pour rajeunir et pour créer;
Ainsi la création procède nécessairement de
l'extermination,de l'annihilation de ce qui est vil,archaïque,vieillot et
fade,pour faire naître une nouvelle sève et un nouvel
idéal pittoresque et grandiose..
Et pourtant, en dépit du balayage total de tout ce qui
existe de bas et de médiocre,le passé continuerait encore
à péser de tout son poids pendant longtemps
,indéfinément..Il ne suffit pas de faire table rase de toutes les
idéologies,de toutes les traditions et de toutes les régles qui
avaient prévalu jusqu'alors,il convient encore de faire en sorte que
tous ces phénomènes intellectuels ou spirituels ,s'extirpent du
passé,s'effacent définivement de la mémoire du temps ,ce
qui est une eoeuvre très difficile,sinon impossible,surtout en
poésie,oû l'esprit romantique,comme on a pu le constater,domina
longtemps la poésie symboliste tout autant que l'esprit classique se
manifesta en toute évidence dans toute la production parnassienne;
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Les réminiscences poétiques,pourtant vagues et
obscures,s'éparpillent çà et là,dans la
poésie mallarméenne,tout aussi bien que dans la poésie
contemporaine symboliste ou non..
Le passé ne pèse pas seulement de tout son poids
sur la pensée poétique du siécle, en particulier celle de
Mallarmé ou même celle de Rimbaud,mais c'est encore le spectacle
du passé en deuil,le passé fertile en événements
malencontreux et tristes,le passé qui enveloppe en son sein tout un
monde de misères,de désastres et de conflits atroces et
sanguinaires,ce qui avait largement contribué à nourrir la
poésie symboliste d'images et de souvenirs circonstanciés
,puisés dans ce passé si fécond,au même titre que la
poésie baudelairienne.
Il pense;;;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
jamais,jamais!A ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et têtent la douleur comme une louve,
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!
Le fardeau de ce passé mélancolique et
douloureux,pésa longtemps sur la pensée de
Mallarmé,lequel,apparemment n'a rien dévoilé -du moins
dans ses poémes les plus célèbres-de toutes les
tribulations subies et la misère atroce qu'une destinée
pénible lui avait infligée et ce,bien qu'on ait néanmoins
l'impression de percer dans chaque vers de ses sonnets,surtout ceux que l'on
considère incontestablement comme les plus subjectifs,l'ombre
persistante d'une âme qui souffre profondément..
Quoi qu'il en soit,la pensée n'est ppas faite en
définitive pour demeurer figée et statique,elle est au contraire
destinée à évoluer et si la poésie, qu'elle soit
classique ou romantique,resta à l'état fixe,pendant une certaine
période,sans être touchée par aucune évolution ou
transformation quelconque..cet état de stagnation des régles et
des idées,provoqua naturellement des impressions de monotonie et de
satiété morbide,qui ont fini par s'étendre et contaminer
la pensée littéraire générale,comme l'a bien
souligné H.de Régnier:
Il est un port.
Le silence y somnole entre des quais de songe,
Le passé en algues s'allonge,
Aux oscillations lentes des poissons d'or;
Le souvenir s'ensable d'oubli et d'ombre
Du soir et toute tiéde du jour mort.
Qu'il soit un port
Oû l'orgueil à la proue y dorme en l'eau qui
dort.
Cette léthargie perpétuelle de la vie et des
idées,s'accentue davantage pour sombrer en fin de compte dans un oubli
impénètrable,mais que la nostalgie du passé,le
désir brûlant de sonder l'histoire révolue et de
connaître les pensées et les modes de vie d'antan,tout cela incite
le poéte ou l'écrivain à s'engager dans les
m éandres du passé pour s'imprégner de son
génie et de son prestige,pris comme modèle indiscutable pour
cimenter et revigorer la vision qu'il s'était formé de la
poésie...Et la jeunesse,plus qu'aucune autre période de la
vie,se penche comme d'instinct sur le passé,car tout ce que semblerait
lui offrir ce passé est impérativement empreint de
mystère et de magie Rimbaud, qui,à peine sorti de l'enfance,clama
sa nostalgie de ce passé qui n'est plus:
Oisive jeunesse
A tout asservie,
par délicatesse
J'ai perdu ma vie
Ah!que le temps vienne
Oû les coeurs s'éprennent!
La douceur de la vie dans le passé,ce bonheur exaltant
dont le régne avait atteint son apogée,ce parfum d'ivresse
charnelle et sentimentale,tout cela est révolu maintenant et
Rimbaud,plus que Mallarmé,déplorait lamentablement la perte de
ces moments de concupiscence intellectuelle et sensuelle qui ne reviendront
plus jamais..
Ce dilemme angoissant entre le passé et le
présent,ce tiraillement perpétuel entre deux pôles,tous
deux obscurs et mystérieux,tout cela devient encore plus
aigu,lorsque,à certains moments,pris d'une aversion
obsédante,nous tentons de nous éloigner de l'un et de
l'autre,car nous nous sentons,comme par une force magnétique,attirer
malgé nous vers l'un et l'autre à la fois..les horizons du
passé,avec son monde d'écrivains et de poétes
innombrables,son arsenal de doctrines et d'idées
enchevêtrées,s'estompent devant nos yeux éblouis..de
l'autre le poids du présent,dans lequel nous vivons,avec ses multiiples
problèmes et ses profondes incertitudes,nous accable
indéfinément..d'oû le cri de détresse de ce
météore à visage humain du nom de Rimbaud:
Par quel crime,par quelle erreur
Ai-je mérité ma faiblesse actuelle?
Ainsi si le passé pèse pour de bon sur le
présent ,il ne saurait l'être indéfinément..d'autant
plus que,gravement,le présent s'accentue et se déploie ,pour
faire oublier le passé,grâce à cette explosion soudaine de
l'énergie vitale,qui,à la faveur de certaines circonstances
inattendues,secoue tout notre être,pour nous débarrasser ,comme
Mallarmé au lendemain de sa vision divine,du poids du passé..
Par contre les acquis de la liberté et du savoir,demeurent
en nous constamment vivaces,ce sont en effet les fruits de nos luttes et de nos
labeurs interminables,ainsi queVerhaeren,qui avait sondé le passé
le plus lointain, s'ingéniait à mettre en évidence la
grandeur à travers la masse des foules:
Tout ce qui fut rêvé jadis;
Ce que les fronts les plus hardis
Vers l'avenir ont instauré;
Ce que les âmes ont brandi
Ce que les yeux ont imploré,
ce que toute la sève humaine
Silencieuse et renfermé,
s'épanouit,aux mille bras armés,
De ces foules,brassant leur houle avec leur haine.
Ce dynamisme éloquent,cet épanchement
fébrile,cette explosion volcanique et terrible,tout ne s'accomplit que
dans des moments fatidiques,oû le génie de l'homme,prisonnier et
esclave de la tyrannie,se décide enfin de s'affranchir de ses
chaînes séculaires..
Et cet état de délivrance finale,s'accompagne
forcément d'une sorte d'optimisme factice et naïf,comme si le
passé,avec tout son passé dominateur et ses obsessions
viscérales,était enfin terrassé et anéanti à
jamais dans la mémoire du temps..Non,on ne tue pas le passé..car
le passé ,c'est la vie et la vie est une accumulation de facteurs
divers:de joie et de tristesse,de pleurs et d'enthousiasme,d'échec et de
réussite,de peur et de courage.:
Le chant des cieux,la marche des peuples!
Esclaves,ne maudissons pas la vie!
La malédiction ne provient pas de la race humaine,qui est
en fait toujours résignée et patiente,elle descend au contraire
d'en haut,en guise d'expiation,pour briser l'essor continuel de cette
humanité conquérante..
Et de l'autre côté,le présent,qui
exaspère par ses tracasseries affligeantes,ses soucis,ses doutes,ses
multiples échecs et ses tentatives de rénovation,s'abaisse pour
se refugier dans le plaisir perpétuel des réitérations et
du rabâchage monotone des sentiments..
Ce présent que Mallarmé,a enrichi et
illuminé par cette éclaircie remarquable,se dresse
néanmoins et s'affirme avec force et vigueur,pour préluder encore
à un avenir idéal.
Quand irons-nous,par delà les monts et les
grèves,
Saluer la naissance du travaille nouveau
La sagesse nouvelle,
La fuite des tyrans et des démons,
La fin de la superstition.
Oui,quel sera l'avenir de la poésie
mallarméenne?Que deviendrait-elle dans un ou deux siécles?
Jusqu'à présent,après presque moins d'un
siécle déjà écoulé,elle a su surmonter
l'érosion du temps...elle a triomphé de toutes les tentatives de
dénigrement et de désaffection..elle a su en outre,en
dépit de son caractère quasi inaccessible, se faire une place et
une place de premier choix ..dans l'esprit des générations
successives..
Les siécles écoulés ont en effet enseveli
dans l'oubli de nombreux courants littéraires et poétiques;ils
ont enterré des centaines de poétes et d'écrivains de
toutes tendances..
Or la poésie mallarméenne et Mallarmé
lui-même,seraient-ils pris dans l'engrenage du temps et avoir le
même destin que la plupart de ses prédecesseurs?
Il serait difficile de prédire cette
éventualité,car,malgré la rigueur du temps et de son
injustice,des générations d'éclairés ont toujours
su épargner les poétes qui se caractérisent par leur
génie et leur efficience intellectuelle..parmi lesquels Mallarmé
lui-même.
TABLE DES MATIERES.
Introduction
Comment a pris naissance la vision poétique de
Mallarmé.
CHAPITRE PREMIER
Mallarmé,un vrai parnassien.
1. De la pension d'Auteuil au lycée de Sens.
2. Séjour en Angleterre.
3. Retour en France et son accession au professorat.
4. Tentative et essai poétique.
5. Un pauvre professeur intinéraire.
6. Premières publications dans des revues.(1874)
7. Le nom de Mallarmé dans « a
rebours. » de Huysmans.
8. La vie loin de Paris:les vraies tribulations d'un professeur
déçu.
9. Le Parnasse Contemporain et Mallarmé.
CHAPITRE DEUXIEME.
Mallarmé,disciple de Baudelaire.
1. La technique de Baudelaire et son influence.
2. Les thèmes traités dans la poésie
baudelairienne
3. Le Parnasse est-il l'héritier de baudelaire?
4. Comment Baudelaire a-t-il rompu avec le romantisme.?
5. Comme Mallarmé a-t-il pris connaissance de
Baudelaire?
6. Mallarmé s'est-il laissé influencé par
Baudelaire?
7. Le réalisme exotique dans la poésie
baudelairienne.
8. Le prestige de Baudelaire et se présence dans la
poésie mallarméenne..
CHAPITRE TROISIEME.
Mallarmé et la poésie contemporaine.
1. Mallarmé,un vrai poéte de vocation?
2. Mallarmé et les poétes du temps.
3. Mallarmé s'applique à suivre la mode du
temps.
4. Le régne et l'influence dominante du Parnasse.
5. Le roman entre en scène et prend son essor.
6. L'esprit du temps et le désir de Mallarmé de
s'émanciper.
7. La traduction de Poe et sa mainmise sur l'esprit de
Malloarmé.
8. Rigueurs et contraintes poétiques.
9. Echec de la technique parnassienne;
CHAPITRE QUATRIEME.
Mallarmé,pionnier du symbolisme;
1. Les illuminations de Mallarmé.(agitation et
vision cauchemardesque)
2. Mallarmé,créateur d'une nouvelle
poésie.
3. Mallarmé en butte aux critiques truculentes des
traditionnalistes.
4. La poésie obscure de Mallarmé.
5. Stratégie et technique de la poésie
mallarméenne.
6. Mallarmé et les symbolistes contemporains.
7. La valeur intellectuelle de la poésie
mallarméenne.
8. La poésie mallarméenne et la prose de
l'époque.
CHAPITRE CINQUIEME.
L'esprit et la poésie de Mallarmé.
1. La poésie mallarméenne est une
poésie exploratrice de la psychologie et de la psychanalyse.
2. Art et mysticisme dans la poésie
mallarméenne.
3. La vie spirituelle de mallarmé passe par le culte de
la Beauté.
4. Renan,Taine et Mallarmé;
5. La pensée de mallarmé véhiculaire d'une
nouvelle philosophie de la poésie.
6. La vision cosmique et morale de la poésie
mallarméenne.
7. Grandeur et décadence de la matière
poétique dans l'oeuvre de Mallarmé.
8. Mallarmé est-il prophète ou mage?
CHAPITRE SIXIEME.
Spécificité et Originalité
de la
poésie mallarméenne.
1. La dominante dominante dans la poésie
mallarméenne.
2. Mallarmé et l'influence des lectures
antérieures.
3. Authenticité et caractéristique de la
poésie mallarméenne.
4. La poésie mallarméenne:miroir de l'esprit et du
coeur.
5. Les préoccupations métaphysiques et le culte
de l'universel.
6. La poésie mallarméenne,une extraordinaire
épopée de l'esprit humain.
CHAPITRE SEPTIEME.
La poésie mallarméenne dans la balance;
1. Le poéte face à son destin.
2. La gloire et la mort.
3. La beauté et la musique dans la poésie
mallarméenne.
4. Le problème de la liberté.
5. La haine d'ici-bas et l'amour de la solitude.
6. La transcendance de l'art.
7. Préséance et déclin de l'amour.
8. L'esprit de la justice.
9. Le rêve et le mystère.
10. Dieu et la métaphysique.
11. Problématique de la religion.
12. Les sentiments de la nature.
CONCLUSION
Le passé et l'avenir.
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
BIBLIOGRAPHIE GENERALE.
Ouvrages consacrés à l'oeuvre et à la
vie de
STEPHANE MALLARME
1. Camille Soula :Gloses sur Mallarmé
(Ed.Diderot.1946)
2. Gabrielle Faure :Mallarmé à Tournon. (Horizons
de France 1946)
3. Henri Mondor :Vie de Mallarmé. (Ed.de la nouvelle
Revue Française 1941-1942)
4. Charles Mouron:Mallarmé l'obscur.(Denoël.1941)
5. Emilie Noulet :L'oeuvre poétique de Mallarmé;
(Libr.Droz 1940)
6. Henri Mondor :l'amitié de Verlaine et de
Mallarmé. (Libr.Gallimard 1939)
7. Camille Soula:La poésie et la pensée de
St.Mallarmé.
I-Essai sur le symbolisme de la chevelure.
II-Un coup de dés (H.Champion 1926-31)
8.Jean Royere :Mallarmé. (A.Messein 1935)
9.Camille Mauclair :Mallarmé chez lui:Souvenirs; (Grasset
1935)
10-Edouard dujardin :Mallarmé par un des siens.(A.Messein
1936)
11-Melle Deborah A.K.Dish :La métaphore dans l'oeuvre de
St.Mallarmé.
(une excellente thèse de Doctorat
publiée par la Libr.Droz en 1938)
12-Pierre Beausire.:Mallarmé,poésie et
poétique.(Mermod 1950)
13-Charles Mouron.:Introduction à la psychanalyse de
Mallarmé.(La Baconnière 1950)
14-Francis de Miomandre :Mallarmé.(Bader-Dufour 1948)
15-Bernard Fleurot :St.Mallarmé.(Libr.des lettres
1948.)
16-Emilie Noulet:Dix poémes de
St.Mallarmé;(Libr.Droz.1949)
17-jacques Scherer :L'expression littéraire dans l'oeuvre
de St.Mallarmé (Libr.Droz 1947)
18-A.Thibaudet;:La poésie de ST.Mallarmé.(Ed.de la
NRF 1913)
19-H.de Régnier:Etudes sur Mallarmé (1912)
20-Albert.Mockel :ST.Mallarmé:Un
héros.(Société du mercure de France 1899)
21-Guy Delfel :L'esthétique de Mallarmé.(Flammarion
1951)
22-Robert Greer;Cohn :L'oeuvre de Mallarmé:Un coup de
dés.Traduit par René Artaud.(libr.des Lettres 1951)
23-Jacques Gengoux:Le symbolisme de Mallarmé.(Nizet
1950)
24-Gardnet Davies :Les « Tombeaux » de
Mallarmé.(Libr.José Corti 1950)
-Vers une explication rationnelle du
Coup de dés.(1953)
-Mallarmé et le drame
solaire (1959)
-Mallarmé et le rêve
d'Hérodiade. (1978)
25-Jean Royere :La poésie de Mallarmé.(Emile Paul
1920)
Mallarmé (Kra.1927)
26-Scherer Jacques :Grammaire de Mallarmé
(Nizet.1977)
27-Michaud Guy :Mallarmé (Hatier.1971)
28-Blanchot Maurice.:La poésie de Mallarmé est-elle
obscure?(Gallimard.1943)
29-Bernard Suzanne :Le poéme en prose de Baudelaire
jusqu'à nos jours.(Nizet.1959)
30-Léon Cellier:Mallarmé et la morte qui parle
(Puf.1959)
31-Pierre-Olivier Walzer :Essai sur Mallarmé .(Pierre
Seghers.1963)
32-Charles Chaldwik:Mallarmé:sa pensée dans sa
poésie (Corti.1962)
LES POETES QUI GRAVITENT DANS L ORBITE DE Mallarme
1. Albert Samain :né à Lille le 4 avril 185 ,mort
à Magny -les-Hameaux (Paris) le 18 aout 1900.
2. J.Laforgue :né à Mont vidéo en 1860
mort à Berlin le 26 aout 1887.
3. Henri de Régnier :né à Honfleur en 1864
mort à Paris en 1936
4. Gustave Kahn (1859-1936)
5. René ghil (1862-1925)
6. Remy de Gourmont
7. Charles Morice (1861-1919)
8. Pierre Quillard (1864-1912)
9. Ephraim Mikhael (1866-1900)
10. Emmanuel Signoret (1872-1900)
11. Maurice de Plessys (1864-1924)
12. Saint-Pol Roux ) Ont introduit le symbolisme
dans le théâtre
13. André Ferdinand Herold. ) dramatique.
14. Louis le Cadonnel (1862-1945) ) devenus tous deux des
poétes
15. Adolphe Rette. (1863-1930) ) catholiques.
16. Camille Mauclair (1872-1945)
17. Robert de Souza (1865-1946) spécialiste de la
technique du vers symboliste.
18. Ernest Raynaud : historien du symbolisme
Disciples de Mallarmé
devenus des pionniers pour la consecration et
l'évolution de la poétique mallarméenne.
1. Paul Fort.
2. Francis Jammes.
3. Paul Claudel.
4. Paul Valéry.
5. Charles Guérin.
6. André Spire.
7. Henry Bataille.
8. Tristan Klingsor(pseudonyme de Léon
Leclere)
9. Saint-Georges de Bouhélier.
10. Jean Royere
Michel Abadie (ses oeuvres son rares et il est presque
complètement oublié depuis la moitié de ce XXe
siécle.
Histoire du symbolisme en tant que mouvement
poétique révolutinnaire.
1. Louis Seylaz :EDGAR Poe et les premiers symbolistes
français.(Lausanne,Imp.de la concorde.1924)
2. Alfred Poizat :Le Symbolisme,de Baudelaire à
claudel.(La renaissance du livre,1919)
3. Ernest Raynaud :La mêlée Symbiliste.(la
renaissance du livre 1918-1922)
4. Guillaume Apollinaire :la poésie Symboliste
(1909)
5. Mme Anne Osmont:Le mouvement symboliste..(Maison du
Livre.1917)
6. A.Barre.:Le symbolisme,essai poétique.
7. Gustave Kahn :Symbolisters et décadents `Vanier
1902)
8. G.Beaujon.L'école symboliste,contribution à
l'histoire de la poésie lyrique contempraine (1900)
9. A. Rette :Le symbolisme,anecdotes et souvenirs
(1903)
10. Remy de Gourmont:Souvenirs du symbolisme (Dans les
promenades littéraires)
11. R.de Souza :Le rythme poétique (Perrin
1892)
12. G.Vanor :l'art symboliste (Vanier 1889)
13. J.Moréas :Les premières armes du
symbolisme (Vanier 1889).
14. Charles Morice :La littérature de toute à
l'heure (Perrin 1889)
15. Paul Verlaine.:Les poétes maudits (Vanier 1884
1888)
16. Jules Tellier.:Nos poétes (Paris,Dupret
1888)
17. René Ghil :Traité du verbe.(1886)
18. André Fontainas :Mes souvenirs dy symbolisme
(Ed.de la Revue Critique 1928)
19. Gustave Kahn; Trente ans de symbolisme.(1929)
20. Georges Bonneau :Le symbolisme dans la poésie
française contemporaine.(Boivin et Cie 1930)
21. Antoine Orliac :La cathédrale symboliste (Mercure
de France 1933)
22. Gustave Kahn :Les origines du Symbolisme (a;messein
1936)
23. Ernest Raynaud :En marge de la mêlée
symboliste (Socité du mercure de France 1926)
24. Aristide Marie :la forêt symboliste ,esprits et
visages;(Firmin-Didot 1936)
25. Jean Ajalbert :Memoire en vrac .Au temps du symbolisme
(18880-1890)(Albin Michel 1938)
26. André Dinar:La croisade Symbiliste
(Société du Mercure de France 1943)
27. Henri Mazel:Aux beaux temps du
symbolisme.(Société du Mercure de France 1943)
28-E.Rod:Etude et nouvelles études sur le XIX e
siécle (1888-1898)
29-ed.Scherer:Etudes critiques sur la littérature
contemporaine.(Calmann-Levy 1863-1895)
30-Van bever et Paul Léautaud :Poétes
d'aujourd'hui (Société du mercure de France 1900)
31-G.Pellissier :Le mouvement littéraire au XIX e
siécle (Hachette 1889)
32-Ernest Lajeunesse:Les nuits et les ennuis de nos noitoires
contemporains;(Perrin 1896)
33-L.Arreat Nos poétes et la pensée de leur
temps de Béranger à Samain(ROMANTIQUES,PARNASSIENS ET
Symbolistes) (Alcan 1920)
34-Jean Epatein :La poésie d'aujourd'hui :un nouvel
état d'intelligence (Ed.de la Sirene 1921)
35-P.Martino :Parnasse et Symbolisme.(Colin 1925)
36-H.Bremond :La poésie pure ( Grasset 1926)
37-Vigie le Coq :La poésie contemporaine.(1884-1898
société du mercure de France.)
AMIS ET CONTEMPORAINS de STEPHANE MALLARME
(Appartenant à la lignée du Parnasse)
1. Louis Menard (1822-1901)
2. Leon Dierx (1838-1912) à la mort de Mallarmé
,en 1896,il fut proclamé par les jeunes « Prince des
Poétes. »
3. André Lemoyne :(1822-1907)
4. Albert Merat 1840-1909)
5. Jean Lahor (le célèbre docteur Henri
Cazalis)qui,après Sully Prudhomme,fut le principal poéte
philosophe du Parnasse.
6. Armand Silvestre (1838-1901) )ont abordé le
théâtre avec
7. Catulle Mendès (1841-1909) ) un heureux
succés.
8. Gabriel Vicaire (1848-1900) fut à ses
débuts,un opposant farouche au symbolisme.
9. Geoges Lafenestre (1837-1919) s'intéressa plus
particulièrement à l'histoire de l'art.
10. Emmanuel des Essarts (1839-1909) remarquable poéte
universitaire.
11. Louis- Xavier de Ricard (1843-1911) fondateur,avec Catulle
Mendès,du Parnasse.
Bibliographie d'études historiques et critiques de
la période d'avant l'avènement du mouvement symboliste.
1. Henri Clouard:La poésie française moderne
des romantiques jusqu'à nos jours.(gauthier villard 1930)
2. Marcel Raymond :de Baudelaire au surréalisme,essai
sur le mouvement poétique contemporain.(Ed.Correa.1935)
3. André Fontainas :Tableau de la poésie
française d'aujourd'hui.(Edition de la Nouvelle Revue Critique
1931)
4. Charpentie :L'évolution de la poésie
lyrique de joseph de Lorme à Paul Claudel.(Les oeuvres
représentatives .1931)
5. François Porche :poétes français
depuis Verlaine ( edition de la nouvelle revue Critique 1930)
6. Jean Rousselot : Panorama critique des nouveaus
poétes français.(Flammarion .P.Seghers 1952.)
7. René Albert Gutmann:Introduction à la
lecture des poétes français (Flammarion 1947)
8. Caillois :Importance de la poésie. 1946)
9. Julien Benda :La poétique selon l'humanité
non selon les poétes.(Genève 1946)
10. Jean paulhan :Clef de la poésie (Gallimard
1945)
11. Rudler:Parnassiens,Symbolistes et Décadents
;(Messein 1938)
12. Jacques et Raissa Maritain:Situation de la poésie
(DESCL2E DE Brouwer et Cie 1938)
13. Fernand Gregh :Portrait de la poésie
française au xixe siécle (1936)
- Portrait de la poésie moderne de Rimbaud
à Valéry(Delagrave 1936)
14.André Fontainas :Impression d'un poéte.
(Société du Mercure de France 1936)
15.Henri Derieux :La poésie française
contemporaine (Société du Mercure de France 1936)
16.Jean Cassou :Pour la poésie (Ed.Correa
1935)
17.Patrice Buet :Les jeunes poétes de France (Ed.de la
revue moderne 1933.)
18.Camille Mauclair:La vie amoureuse de
Ch.Baudelaire.(Collection « leurs amours » Flammarion
1928)
19.Jean royere :Baudelaire,mystique de l'amour.(Ed.champion
1927)
20.Armand Godoy :Stèle pour Ch.Baudelaire.(Les
écrivains réunis.1928)
21.Maurice Barrès:La folie de Ch.Baudelaire (les
écrivains réunis 1928)
22-François Porche:La vie douloureuse de
Ch.Baudelaire.(Collection « le des grandes
existences »)
23.Stanislas Fumet:Notre baudelaire
(Coll. « le roseau d'or » Plon-Nourrit
1926)
24.Gustave Kahn:Charles baudelaire,son oeuvre.(Ed.de la NRF
1925)
25.Jean Pommier:Dans les chemins de Baudelaire (josé
Corti 1945)
26-Adolphe Tabarant :La vie artistique au temps de
Baudelaire.(Société du Mercure de France 1942)
27.François Porche:Baudelaire,histoire d'une
âme.(Flammarion 1945)
28-Marc Seguin:Aux sources vivantes du symbolisme :le
génie des fleurs du Mal (Messein 1939)
29.Camille Mauclair:Le génie de Baudelaie.(Ed.de la
nouvelle Revue Critique 1933)
30.Jean Pommier:La mystique de Baudelaire.(les belles-Lettres
1932)
31.André ferran:L'esthétique de Baudelaire
(Hachette 1933)
32.Dr René Laforgue:l'échec de Baudelaire (Plon
1931)
33-Philippe Soupault:Baudelaire (Rieder 1931)
34-André Fontaine :Dans la lignée de
Baudelaire.(1930)
34.Robert Vivier :L'originalité de Ch.Baudelaire.(La
renaissance du livre 1928)
35.Alphonse Seche:La vie « des Fleurs du
Mal » (Ed Malfere 1928)
Prolongement logique et naturel du symbolisme
Le surréalisme et ses représentants.
(L'influence de Malklarmé est quasi permanente dans
toutes les oeuvres.)
1. Philippe soupault.
2. Paul Elaurd.
3. Robert Desnos.
4. Benjamin Peret.
5. Roger Vitrac.
6. Antonin Artaud.(Reconverti plus tard en homme de
Théâtre)
7. Jacques Prévert.
8. René Char;
9. Raymond Queneau(Se sépara du surréalisme en
1919)
10. Tristan tzara (défection à la fois d'avec
le Surréalisme et le dadaïsme)
Bibliographie sur le
surréalisme.
1. André Breton:Le manifeste du surréalisme
(Kra 1924 et 1929)
2. Guy Mangeot :Histoire du surréalisme(Henriquez
1934)
3. Michel Carrouges :André Breton et les
données fondamentales du surréalisme(lib.Gallimard 1950)
4. Claud Mauriac:André Breton (Ed.de Flore
1949)
5. Victor Crastre :Drame du surréalisme (Lib
Gallimard 1949)
6. Julien Gracq :André Breton (José Corti
1948)
7. André Breton :situation du surréalisme
entre les deux guerres.(Ed.de la revue fontaine 1943)
8. Maurice Nadeau:Histoire du surréalisme.(Ed.du
seuil t1-1945 t2-1948)
9. Jean cazeaux :Surréalisme et psychologie
(Libr;josé Corti 1938)
10. Jean Topssa La pensée en révolte :essai
sur le surréalisme.(Henriquez 1935)
11. Marcel Raymond:Le sens de la poésie moderne de
Baudelaire au surréalisme.(Libr.josé Corti 1940)
12. Georges Hugnet :Petite anthologie pétique du
surréalisme.
(Ed.Jeanne Buchet 1934)
Bibliographie sommaire sur la poétique
parnassienne.
1. C.Kramer:André Chenier et la poésie
parnassienne-Leconte de Lisle(Champion 1925)
2. E.Esteve :Leconte de Lisle:l'homme et l'oeuvre.
3. Maurice Sauriau:Histoire du parnasse (ed.1930)
4. Albert de Bersaucourt:Au temps des parnassiens :Nina de
villars et ses amis (La renaissance du livre 1922)
5. Edmorido Rivaroli:La poétique parnassienne
d'après Th.de Banville(1915)
6. Xavier de Ricard:Petits mémoires d'un
parnassien.
7. Catulle Mendès :/La légende du Parnasse
Contemporain (Bruxelles 1884)
8. Th;Gautier Notice sur Charles Baudelaire.(Bonnetin
1903)
9. Ch.Arselineau:Ch.Baudelaire ,sa vie et son
oeuvre.
10. Maurice Souriau:la téorie de l'art pour l'art
chez les derniers romantiques et les premiers parnassiens.
11. Pierre Jobit :Leconte de Lisle et le mirage de l'ile
natale (Ed.de boccard 1951)
12. H.Batet:Leconte de Lisle:la sensation (Ed.Stéfana
1951)
13. Hugues Lapaire :Rollinat,poéte et musicien
(Mellotee 1930)
14. Henri Mondor :L'affaire du Parnasse.(Ed.fragrance
1951)
15. J.K.Ditchy :le thème de la mer chez les
parnassiens Le conte de Lisle et Hérédia (Les Belles-Lettres
1927)
16. Francis Vincent : Les parnassiens:l'esthétique de
l'école,,les oeuvres et les hommes (Ed.beaucgêne
1934)
L'influence de Mallarmé à l'Etranger;
Disciples Belges.
1. George Rodenbach.
2. Emile Verhaeren.
3. Charles Van Lerberghe.
4. Grégoire Leroy
5. Maurice Maeterlinck.
6. Max Elskamp;
7. A ndré Fontainas.
8. Albert Mockel.
Disciple américains.
1. Stuart Merrill.
2. Francis Viélé Griffin.
.
Les dissidents du Symbolisme.
Apparition de nouvelles tentatives poétiques pour
remplacer le symbolisme)
1. Jules Romain :L'unanimisme 1909 (Seule tentative qui a eu
du succés pourtant éphèmère)
2. Jean de la Hire:Le synthétisme 1901
3. Adolphe Lacuzon :l'intégralisme 1901
4. Florian-Parmentier:l'impulsionisme 1904
5. Lacaze Duthiers :l'Aristocratisme 1906
6. Louis Nazzi :Le sincérisme 1909
7. Han Ryner :Le subjectivisme 1909
8. Marinetti :Le futurisme 1909
9. Ch;de Saint-cyr. L'intensisme 1910
10. lucien rolmer :Le floralisme 1911
11. H.M.Barzun et Ferdinand Divoire::Le simultanéisme
1912
12. H.Guilbeaux:le dynamysme 1913
Tendance ayant eu de larges succés tant en peinture
qu'en poésie Le cubisme. Le dadaïsme
LES PREMIERES REVUES SYMBOLISTES.
1-Lutèce :fondée en 1884 par Charles Morice.
2-Le décadent :fondé en 1885 par Anatole
Baju. 3-Le symboliste :fondé en 1886 par Gustave Kahn.
4-La plume :fondée en 1889
5-Le Mercure de France:fondé en 1890 dirigé par
Alfred Vallette (Organe officielle du symbolisme)
6-La Revue Blanche fondée en 1891 par Alexandre Natanson
(publia la première édition des symbolistes)
7-Le « Théâtre d'Art »
fondé en 1890 par Paul Fort (instaura à titre définitif
sur la scène littéraire le symbolisme,en tant que mouvement
poétique dominant,en faisant reculer du même coup au second rang
le Parnasse.)
ESSAYISTES CONTEMPORAINS DE MALLARME
(Critiques et Admirateurs du Symbolisme.)
1-Ernest Legouvé:l'art de la lecture (1877)
2-Arsene Houssaye :Histoire du 41e fauteuil de l'Académie
Française(1855)
3-Auguste Vaquerie:Profils et grimaces (1856)
4-Maxime du Camp : Souvenirs littéraires (18822-1880)
5-Aurelien Scholl :L'esprit du boulevard. (1886)
6-Jules Claretie: La vie à Paris.
7-Edouard Schure :sanctuaires d'Orient (1898)
Précurseurs et
révoltés ( 1904)
8-Octave Uzanne : L'esprit du temps;
9-Henri Roujon En marge du temps (1908)
10-Joseph Peladan :amphithéâtres des sciences
morales.
La décadence esthétique.
Les idées et les formes.
11-Marcel Schvob :La croisade des enfants (1896)
12- Guillaume Apollinaire :Le flâneur des deux rives
(1918)
OUVRAGES CONSACRES A QUELQUES ESSAYISTES
qui s'étaient signalés par leur critique du
symbolisme.
1-L.Treich:L'esprit d'A.Scholl (Edit.Gallimard.1925)
2-Jean Dornis:La vie,la pensée et les plus belles pages
d'E.Schure.(Edit.Perrin 1923)
3-Pierre Champion :Marcel Schvob et son temps (Grasset 1923)
4-C.Bourquin : J.Benda ou le point de vue de Sirius (Edit.du
siécle 1915)
la trahison de J.Benda 1934
5-C.Rette: :Léon Blois,essai de critique
équitable (Bloud et Gai 1923)
6-R.Martineau: Léon Bloy,souvenir d'un ami (Libr.de
France 1924)
Léon Bloy et la « femme
pauvre » (Société du Mercure de France 1933)
7-Pierre Charlot :Jacques Rivière (Bloud et Gai 1935)
8-Pierre Guilloux :Les plus belles pages de Jacques
Rivière (Perrin 1924)
9-Joseph Serre :Ernest Hello ,l'homme,le penseur (Perrin
1894)
10-stanislas Fumet :ernest Hello ou le drame de la lumière
(Ed.Albin Michel 1928)
11-Joseph Bollery :Un grand écrivain français
méconnu :Léon Bloy(La Rochelle ,Libr.Pijollet 1929)
12-Ernest Seilliere :Léon Bloy,psychologie d'un mystique
(Ed.de la nouvelle revue critique 1936)
13-Albert Beguin :Léon bloy l'impatient (Les
édi.litt.1945)
Bloy mystique de la douleur (La
bergerie 1945)
OUVRAGES ETRANGERS ET FRANCAIS SUR LE STYLE ET LA THEORIE DES
SYMBOLISTES.
1-Kenneth Klark :Landscape into art (London,Penguin Books
1956)
2-Yvonne Ferrand-Weyer :Fontaines de mémoires (Paris le
Divan 1935)
3-Lucien Fabre :La connaissance de la déesse
(Paris,Société littéraire de france 1920)
4-T.S.Eliot :Reflections on contemporary poetry dans
« The Egoist » Sept.1920.
5-Rose Frances Egan :The Genesis of the theory of
« Art for Art »in Germany and England Massachusetts 1920
6-John Dennis :The grounds of Criticism in Poetry dans The
select Works of John Dennis » London .J.Derby 1918
7-H.W.Decker :Pure poetry 1925-1930 University of California
Publications dans Modern Philology 1962
8-Gardner Davies :Vers une explication rationnelle du
« coup de dès « Paris Corti 1953
9-Victor Cousin :Cours de philosophie professé à la
Faculté des Lettres pendant l'année 1818,publié par
Adolphe Garnier (Paris Hachette 1936)
10-Deryck Cooke :The language of Music (London,Oxford
University Press 1959)
11-R.G.Collongwood:The principles of Art (Oxford,Clarendon Press
1937)
12-G.R.John :Mallarme's Masterwork (The Hague-Paris Mouton
1966)
13-A.G.Lehmann :The symbolit aesthetic
(1885-1895)(Oxford,balackwell;1856)
14-Frederic Lefevre :Entretiens avec Paul Valery (Paris le livre
1926)
15-F.W.Leakey :Baudelaire and Nature (Manchester University Press
1969)
16-J.R.Lawler :lecture de Valery (Paris,gallimard 1935)
17-Jean de Latour :Examen de Valery (Pariis,Gallimard 1935)
18-Theodore Jouffroy :Cours d'esthétique (Paris,Hachette
1843)
19-John H.Ingram:The life and Letters of E.A.Poe
(London,Ward,lock &Bowden 1891)
20-W.N .Ince :The poetic Theory of Valery (Leicester Uninversity
press 1961)
21-F.Hutcheson:An inquiry into the original of our ideas of
Beauty and Virtue (London R.W.Ware 1953)
22-P.Guiraud :Langage et versification d'après l'oeuvre de
Paul Valery(Pari C.Klincksieck 1953)
23-Remy de Gourmont:Le chemin de velours (Paris,Mercure de France
1928) :Le problème du Style (Paris,Mercure
de France 1938)
24-Margaret Gilman:The idea of Poetry From Houdar de la Motte to
Baudelaire (Cambridge,Harvard University Press 1958)
25-A.Robbe-Grillet :Pour un nouveau roman (Paris,Gallimard
1963)
26-J.Royere :Clartés sur la poésie :(Paris Messein
1925)
27-J.P.Richard Poésie et profondeur (Paris Ed.du seuil
1955)
A.W.Raitt :Villiers de l'Isle Adam et le mouvement symboliste
(Paris,Corti ,1965)
28-Herbert Read Phases of English Poetry (London,Eogarth
Press)
29-Albert Poisson:Théories et Symboles des
alchimistes;(Paris,Bibliothèque chacornec 1891)
30-E.A.Poe :The Works Of Poe (London,A &C Black 1901)
31-Walter Pater :Studies in the renaissance (London,Macmillan
Paris 1967)
32-Clément Moinan :henri bremond et la poésie pure
(bibliothèque des Lettres modernes ,Minard 1967)
33-Nossop :Mallarmé's Prose pour des Esseintes (French
Studies avril 1964)
34-Auguste Otto :Hegel et la philosophie allemande
(Paris,Joubert 1844)
35-C.Mauclair :Mallarmé chez lui (Paris,Grasser 1935)
36-Gita May :Diderot et Baudelaire,critiques d'Art (Paris,Minard
1957)
37-Renc Vittoz :Essai sur les conditions de la poésie pure
(Paris,Jean Baudry 1929)
38-P.M.Waterill :Baudelaire et la poésie de Poe
(paris,Nizet 1962)
39-René Wellek :A History of Modern Criticism :1750-1950
(London,J.Cape 1955)
40-F.Suckling :Paul Valéry and the civilised Mind
(London,Oxford university Press 1954)
41-Joseph Warton:Essay on the Writings and Genius of
Pope.(London,Richardson,1806)
42-P.O.Walzer :La poésie de Valery (Geneva,Cailler
1953)
43-E.F.Shannon:tennyson and the reviewers (London,Harvard
University press 1952)
44-Ph.Van Tieghem :Petite histoire des grandes doctrines
littéraires en France (Paris,Presse Universitaire de france 1957)
45-Charles Batteux :Les Beaux-Arts réduits à un
même principe .(Paris,Durand 1747)
46-L.Bergeron :le son et le sens dans quelques poémes de
« charmes » de Valery (Aix-en-Provence 1963)
OUVRAGES SE REFERANT A LA PERIODE PARNASSIENNE ET
SYMBOLISTE
1-Dr Charles Guilbert :L'envers du génie (G.de
Nerval,Baudelaire,Verlaine,A.de Musset,Rollinat) (Albin Michel 1927)
2-Lucien Refort :La caricature littéraire (Lbr.A.Colin
1932)
3-Leon Deffoux :Le pastiche littéraire ,des origines
à nos jours (Delagrave 1932)
4-G.Charensol:Comment ils écrivent.(Ed Montaigne 1932)
5-Alain :Propos de Littérature (P.Hartmann 1934)
6-Marcel Gastay :Trois voix perdues
.J.Giraudoux.P.Valéry,L.P.Fargue.(Libr.des Lettres 1950)
7-Etienne Burnet :Essences (valéry,Montherlant,Proust)
1929
8-Denis Saurat :Tendance (Ed.du monde moderne 1928)
9-Jacques Bainville:Au seuil du siécle .(Ed.du capitole
1926)
10-Christian Senechal:Les grands courants de la
littérature française.(Ed.Malfère 1933)
11-Henri Clouard :Histoire de la littérature
française:Du symbolisme à nos jours .(Albin Michel T.1 1947 et T2
1949)
12-P.J.Toulet :Notes de littérature (Le divan 1926)
13-Jacques Rivière :Etudes ( Ed.de la nouvelle revue
française 1927)
14-Louis Bertrand:Idées et portraits (Plon 1927)
15-Edouard Herriot :Etudes françaises; (Hachette 1950)
16-Julien Gracq :La littérature à
l'estomac.(Libr.José Corti 1950)
17-L.Chaigne :Vies et Oeuvres d'écrivains (F.Lancre
1950)
18-Georges Poulet.:Etudes sue le temps humain.(Plon 1950)
19-Marcel Arland: Essais et nouveaux essais
critiques.(libr.Gallimard 1952)
20-Renée Lang :Rilke,Gide et Valéry (Les
édtions de la Revue Prétexte 1953)
21-Etiemble :Hygiéne des Lettres (Libr.Gallimard
1952)
22-Robert Kanters :Des écrivains et des hommes (Julliard
1952)
23-Jacques Nathan:La litt;et les écrivains;(Nathan
1952)
24-André Billy :L'époque 1900 (Tallandier 1951.)
25-Edmond Buchet :Ecrivains intelligents du XX e siécle
(Ed.correa 1946)
26-Gilbert Mauge .Les moralistes de l'intelligence (Hermann
1945)
27--Henri Jacoubet:curiosités et Recherches
littéraires.(Les Belles-Lettres 1943)
28-André Berge :L'esprit de la litt.moderne (Perrin
1930)
29-Pierre Louys :Journal inédit ( Ed.Excelsior
1926-1927)
30-Francis Carco :De Montmartre a quartier latin (albin Michel
1927)
Ombres Vivantes (Ferenczi 1948)
31-Henri Massis :Evocations.Souvenirs (Plon 1931)
32-Paul Léautaud :Passe-temps (Société du
Mercure de France 1929)
33-Anna de Noailles :Exactitudes,souvenirs et rêveries.
(Grasset 1930)
34-René Ghil :Les dates et les oeuvres,symbolisme et
poésie scienfique (Cres 1923)
35-André Fontainas :De Mallarmé à Paul
Valéry:Notes d'un témoin.(Ed.du Trefle 1928)
36-Gustave LE Rouge :Verlainiens et décadents (Marcel
seheur 1928)
37-Alphonse Seche :Dans la mêlée (Malfère
1935)
38-Thadée Natanson:Peints à leur tour .(Albin
Michel 1948)
39-frederic Lefevre :Mes amis et mes livres (A la
Baconnière 1948)
40-Michel Zamacois:Pinceaux et Stylos (A.Fayard 1948)
41-I.J.Austin :L'univers poétique de Baudelaire (Paris
Mercure de France ,1956)
42-N.M.Wetherill :Baudelaire et la poésie de Poe (Paris
Nizet 1962)
43-Eliphas Levy :Philosophie occulte (Paris Baillière
1865)
44-Henri Mondor :Mallarmé lycéen (Gallimard
1954)
45-Guy Michaud :Mallarmé,l'homme et l'oeuvre (Paris,Bouvin
1953)
46-A.Bremond:l'essence de la poésie pure .
47-henri W.Decker :pure poetry (1925-1930) University of
California (1962)
48-Clement Moisan :Henri Bremond et la poésie pure (Paris
Minard 1967)
49-A.J.Arnold :La querelle de la poésie pure (Revue
d'histoire littéraire de France Mai-juin 1970)
50-Robert de Souza :La poésie pure :un débat sur la
poésie (Paris-Grasset
51-René Vittoz :Essai sur les conditions de la
poésie pure. (Paris-Jean Buchy 1929)
UNIVERSITE DE BORDEAUX 3
********************************
CONTRIBUTION A L'ETUDE DES ORIGINES
DE LA POETIQUE MALLARMEENNE
thèse de Doctorat de troisième Cycle.
Présentée par
MOHAMED SELLAM
Année Universitaire.
1980-1981
OEUVRES COMPLETES de Mallarmé
auxquelles je me suis référé en toute
exclusivité
I-Oeuvres Complètes. éd H.Mondor et
G.Jean-Aubry.Gallimard « Bibliothèque de la
pléiade. » 1945.
II-oésies.Préface de J.P.Sartre.Gallimard,1969
(coll; «Poésie. »)
III-Igitur.Divagations.Un coup de dès.ED.Yves
Bonnefoy.1976.
IV-Poémes.Anecdotes ou Poémes.Pages
diverses,ED.Daniel Leuwers.Le livre de poche.1977.
V-Vers et Prose Ed.J.Robichez.Garnier-Flammarion.1977.
Vi-Correspondance. éd.H.Mondor et
J.P.Richard.Gallimard.1959.
* 1 2Il s'agit bien
évidemment de la belle-mère de l'enfant,puisque sa mère
est morte en 1847 alors qu'il est âgé à peine de 5 ans
2-Mallarmé s'y sentit en effet mal à l'aise,si bien
que les responsables de ce pensionnai l'avaient qualifié de mauvais
écolier.
3- Voir à ce sujet « l'après-midi d'un
faune »oû Mallarmé,sous la forme
d'êtresbizarres,à l'instar de Shakespeare,évoque le
phénomène de la vie sauvage et à l'état de
nature.
4-Ceci est dans sa nature même:n'être pas comme les
autres,c'était pour lui un grand honneur.Le pire,c'est qu'il sera
renvoyé du Pensionnat pour son caractère d'indépendance et
de liberté.
* 3
* 4 -Il y faisait de nombreuses
promenades mémorables en compagnie de son ami Emmanuel des Essarts et
parfois même avec Théodore de Banville.
* 5-Son salaire annuel en tant
que professeur s'élève approximativement à la somme de
mille francs.
* 6 -Mallarmé avait
écrit,alors qu'il était encore potache,au lycée de
Sens(aujourd'hui lycée Stéphane -Mallarmé: «la
coupe d'or », « l'ange gardien »,<Dieu
bon écoutez-moii. » Ses essais s'étaient
poursuivis inlassablement jusqu'à 1858.
* 7 Tels que,entre autres,
«placet » dédié à Arsène Houssaye
qui paraît dans Le Papillon.,« Le guignon »,«le
sonneur », « contre un poéte
parisien » qui paraissent dans l'Artiste en 1862.
* 8 -Il écrivit à
cette époque son fameux poéme intitulé
l'« Azur »,qu'il envoya à Cazalis avec des notes
explicatives
* 9 -En 1866,Le Parnasse
Contemporain,publia entre autres « Les
fenêtres », «A celle qui est
tranquille »,« l'angoisse »,« Brise
Marine » cf Oeuvres complètes
« Bibiliiothèque de la Pléiade »
* 10 -Ce fut en 1882 :Huysmans
s'entretint avec Mallarmé au sujet de son oeuvre future intitulée
« A Rebours.»oû ,par ailleurs,R.de Montesquiou incarne le
personnage principal des Esseintes.
* 11 -C'était
vraisemblablement sur la demande de Catulle Mendès que Mallarmé
envoya ses anciens vers au Parnasse pou y être
publiés.Mallarmé en était tellement satisfait qu'il en
réclama les épreuves pour correction.ce que C.Mendès n'a
pas fait,étant lui-même peu soucieux de ce travail qu'il jugeait
inutile.
* 12 -En cette année
paraît chez Derenne,avec une illustration de
Manet,« L'après-midi d'un Faune. ».Ce qui nous
parait paradoxal à plus d'un titre,c'est l'année
précédente,ce même ouvrazge fut refusé par un jury
composé de Banville,Coppée et France.
* 13 Verlaine meurt en
1896.Mallarmé lui succédera en qualité de «Prince des
Poétes. »Mallarmé estimait beaucoup Verlaine.Il
parlera de lui ,au lendemain de sa mort,dans une interview
touchante,publiée dans Le Journal.Le temps publiera les Oraisons
Funèbres de Verlaine,prononcés également par
Mallarmé .Voir à cet égard le Tombeau de Verlaine (Oeuvres
Complètes)
* 14 Il fut nommé ,en
1863,au lycée impérial de Tournon,oû il séjourna
jusqu'à 1866,d'oû il sera renvoyé sur plainte des parents
ayant protesté contre ses poémes publiés dans le
Parnasse;Il y écrira ses poémes les plus connus.
* 15 -Il recopiait sur des
cahiers conservés jusqu'à nos jours des poémes des
poétes depuis la renaissance jusqu'à Baudelaire.
* 16 Le
romantisme,contrairement au classicisme,se caractérise en
essentiellement pa cette dominante, et ce cera contre cette tendance que les
parnassiens,pour leur part,ont trouvé un prétexte pour propager
sur la scène une poésie qui se distinguera par
l'impassibilité et l'absence totale du subjectivisme.
* 17 -Les oeuvres que la
postérité a reconnu comme géniales,ce sont effectivement
celles dont la forme est esthétiquement faite de façon
réellement impeccable.
* 18 -La poésie
verlainienne se distingue -de façon tout à fait paradoxale-de
celle de ses contemporains.
* 19 -Flaubert aussi avait
passé par le même état d'âme.
* 20 -Le positivisme avec le
wagnérisme faisait fureur à l'époque.
* 21 -Il l'est en effet,avec
cette différence près,au niveau du fond et de la forme.
* 22 -C'est évidemment
une tendance naturelle chez Baudelaire:c'est un acte refléchi,une
disposition pour prendre sa revanche contre le sexe féminin,en souvenir
de son enfance frustrée.
* 23 -A plusieurs
reprises,depuis son accession au professorat jusqu'à sa retraite en
1893,il tombait malade et des congés pour raison de santé lui
furent accordés par l 'Administration.
* 24 -C'est en effet au niveau
de l'art que Mallarmé pouvait prétendre avoir
égalé son Maître.
* 25 -On lit dans une lettre
à Cazalis en date du 14 mai 1867.«ma pensée s'est
pensée »,il poursuit un peu plus loin,«Je suis maintenant
impersonnel..une aptitude qu'a l'univers Spirituel à se voir et
à se développer....je viens,à l'heure de la
Synthèse,de délimiter l'oeuvre qui sera l'image de ce
développement.. »
* 26 -Le « Faune
comme on a coutume de l'appeler,avait eu une étrange
destinée,comme je l'ai déjà précisé
ci-dessus,mais il finirait ,ce qui est paradoxal,par prendre une place de
choix parmi les oeuvres mallarméennes.
* 27 -Il suffit de relie le
« Faune ou bien « Hérodiade pour se rendre compte
de l'ampleur de cette influence baudelairienne sur l'esprit de
Mallarmé.
* 28 -La poésie
mallarméenne,outre qu'elle véhicule une philosophie de la
vie,elle s'applique en même temps à faire valoir une philosophie
du langage.
* 29 -Comme je l'ai
déjà dit,il faisait des vers dès sa prime enfance:ces vers
sront plus tard réunis dans ses oeuvres complètes
« <edition de la Pléiade; »
* 30 -V.Hugo avait
déjà,dans le fameux recueil de la légende des
siécles,abordé ce thème avec un succés
incontestable.
* 31 -Mallarmé avait
l'habitude de réserver les mois d'hiver à l'élaboration
de ses oeuvres les plus marquantes.
* 32 -mallarmé en avait
déduit une définition cosmique de la poésie.Il en fit part
à un certain à un certain Léon d'Orfer « La
poésie est l'expression,par le langage humain ramené à son
rythme essentiel,du sens mystérieux des aspects de l'existence:elle doue
ainsi d'authenticité notre séjour et constiyue la seule
tâche spirituelle. »
* 33 Cf « les
fenètres »Voir texte intégral p.52
éditionG.Flammarion.
* 34 -voir à cet
égard l'ouvrage de M.Proust Contre l'obscurité in Contre
Sainte-Beuve.
* 35 -Voir aussi l'excellent
ouvrage de A.Thibaudet intitulé :la poésie de stéphane
Mallarmé ;edition Gallimard 1926.
* 36
-Cf.Variétés II,écrits divers sur Mallarmé
N.R.F.1951.
* 37 -H;de Regnier,avec
A.Samain,contrairement à leur classification conventionnelle,ne me
paraiisent pas d'obédience symboliste.Leur poésie se
caractérise plutôt par une renaissance du classicisme.
* 38 -Le 16 juillet1861,il
écrit à Aubanel « J'ai jeté les fondements
d'une oeuvre magnifique...il me faut vingt ans. »
* 39 -Sa renommée dans
les milieux littéraires s'est affirmée de façon effective
en 1891 «Une de ses plus anciennes piéces « le
guignon » fut récitée au Théâtre d'Art,a
suffi pour mettre son nom en voggue. «Un triomphe pour
Mallarmé »avait suggéré
J.Robichez.
* 40 -Mallarmé n'avait
jamais rencontré Rimbaud,puisque ce dernier,encore tout jeune,s'expatrie
pour l'Afrique,après avoir écrit tous ses poémes,et
surtout ceux qui sont les plus célèbres de nos jours;
* 41 -Ch.Maurras,de même
M.Barrès,était un fanatique duu nationalisme français.Ils
furent tous les deux d'infatigables jacobins.
* 42 -Mallarmé
était toujours en butte à des problèmes financiers
jusqu'à l'avènement de R.Poincaré à la tête
du ministère de l'Instruction Publique.
* 43 -Voir à cet effet
la parfaite étude Davies Gardner intitulée « les
tombeaux « de Mallarmé Corti 1950.
* 44 -En 1896,année de
la mort de Verlaine,Mallarmé traversa une crise aiguë dont il ne
se relèva que difficilement;
* 45 -L'oeuvre
mallarméenne fut aussi l'objet d'intéressantes études de
la plupart d' exegètes italiens.Vpor à ce propos les ouvrages de
De Luigi Denardis « Imprssionismo di
Mallarmé ».Edizioni Salvatore Sciascia 1957 et
« L'ironia di Mallarmé »Coll.Aretusa 1962.Les deux
ouvrages,ainsi que d'autres du même auteur,mais de moindre importance,se
trouvent à la Bibliothèque de la Faculté.
* 46 -cf.Les piéces
fantaisistes écrites par Mallarmé dans sa jeunesse.Voir à
cet égard les petites olaquettes réunies sous la rubrique
« fantaisies » et éditées en vrac dans le
recueil « Entre quatr murs. »Edition
Garnier-Flammarion.
* 47 Mallarmé n'est pas
athée,mais c'est un poéte que la poésie a
aliéné jusqu'à oublier la religion.
* 48 -Il est question
évidemment de son grand-père maternel,mort à Versailles en
1869,Il fut son tuteur après la mort du père du poéte en
1863.
* 49 -cf.La remarquable
étude de Charles Mauron : «Introduction à la
psychanalyse de Mallarmé. »Neuchâtel.La
Baconnière.1950.
* 50 cf.L'intelligente analyse
de Davies Gardner :Mallarmé et le drame solaire.Corti 1959.
* 51 -cf.la remarquable
thèse de P.Delior :la femme et le sentiment de l'amour chez
Mallarmé.(Mercure de france ,1910)Voir également Charles
Chassé :l'érotisme de Mallarmé.(les cahiers de la
Lucarne,1949)
* 52 -cf.Edouard Dujardin:De
Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel (Mercure de
France,1909)
* 53 -En 1869,il écrit
à Cazalis « La première phase de ma vie a
été finie....J'ai à revivre la vie de l'humanité
depuis son enfance et prenant conscience d'elle-même. »
* 54 -voir à ce sujet
l'ouvrage de Claude Roy:Mallarmé penseur ou poéte?(Les lettres
Françaises,1948)Voir aussi Camille Mauclair:Princes de l'esprit
(Paris,Ollendorf,1921)
* 55 -Cf.Mallarmé's
l'après-midi d'un faune (Traduction
française.Bruxelles.J.Antoine.1974.)
* 56 -Mallarmé n'en a
pas été épargné.Toute sa vie durant,il a connu
toutes les misères,surtout au lendemain de la mort de son jeune enfant
Anatole «Le tombeau d'Anatole. »
* 57 -Mallarmé avait
très peu fréquenté ce poéte,qui est le gendre de
Leconte de Lisle,et pour lequel il n'a jamais manqué de l'estimer pour
ses « Trophées » qui sont d'une facture artistique
remarquable.
* 58 -Mallarmé
n'était ni déiste,ni polythéiste ,encore moins
panthéiste:Il serait bon de lire à cet effet
« hérésies artistiques »qui dénotent
implicitement une sorte d'indépendance vis-^-vis de la religion.
* 59 -Banville,d'abord hostile
à Mallarmé,deviendra plus tard son ami.Il meurt en 1894 ap^rs
avoir laissé un héritage littéraire inestimable.
* 60 -Cf. L'étude
intéressante de Charles Chadwick:Mallarmé:sa pensée dans
sa poésie. Corti 1962.
* 61 Cf l'essai d'une analyse
pertinente de léon Cellier :Mallarmé et la Morte qui parle;PUF
1959.
* 62 -Dès l'âge
de 18 ans ,il a commencé à traduire Poe qu'il imita dans la
plupart de ses essais poétiques;Cf;(Galanterie macabre,à un
poéte immoral etc.)
* 63 -En lisant Poe d'une part
et Mallarmé d'autre part,on est d'emblée frappé par
l'affinité intellectuelle qui existe entre les deux poétes.
* 64 -Il va sans dire que
Mallarmé,comme je l'ai amplement souligné dans
l'introduction,s'était nourri des poétes du 16e
siécle,d'oû le symbolisme a puisé l'essence même de
sa vitalité et de son esprit.
* 65 -Encore tout
enfant,exactement en 1857,il obtint le premier accessit de versin
grecque.Notons que ses lectures étaient dans leur majorité des
oeuvres anglaises.
* 66 -Précisément
à cette époque,il écrit Berthe Morisot (Mme manet)
« Je travaille et je m'applique à vieillir aux heures de
loisirs... »(9 juillet 1891)
* 67 -Il écrit à
Cazalis en 1866. «Après avoir trouvé le
Néant,j'ai trouvé le Beau;il en sortira un cher poéme
auque je travaille. »
* 68 -Emmanuel des essarts fut
nommé professeur au lycée de Sens,alors que Mallarmé
venait de le quitter après avoir été promu bachelier et
embauché dans l'Enregistrement en qualité de
surnuméraire.
* 69 -Cf Mallarme'sun coup de
dès an exegesis :excellente thèse de Cohn Robert Greer (Payne
and lane 1949).Cf l'excellent essai de Davies Gardner intitulé :Vers une
explication rationnelle du coup de dès .Corti 1953;
* 70 --Voir pour toutes les
pages qui précèdent:Henry Charpentier:réflexions sur
l'oeuvre de Mallarmé.(Belles-Lettres,1923).Charles Chassé:Lueurs
sur Mallarmé.(Société Archéologique du
finistère 1947)
* 71 -Cf.Emilie Noulet:vingt
poémes de Stéphane Mallarmé.(Minard-Droz.1967)
* 72 -Cf.Henri de
Régnier:Par valéry vers Mallarmé (Mercure de France,1925)
Henri Mondor:L'heureuse rencontre de paul Valéry et Stéphane
Mallarmé;(Ed.Clairefontaine.1947)
* 73 Cf Joe Bousquet
:Mallarmé le sorcier (Les Lettres,1948) voir aussi Maurice Blanchot:La
part du feu.(1949,Gallimard)
* 74
-Cf.Déborah.K.Aish:la métaphore dans l'oeuvre de
Mallarmé.(Droz.1938)Voir aussi .Georges Poulet:Espaces et temps
mallarméens La baconnière.Lausanne.Voir également :J.Paul
Roussel:les thèmes poétiques de Mallarmé;(les
lettres,1948)
* 75 -Il s'agit bien
évidemment de Marie Gerhard,qu'il a connue à Sens et qu'il finira
par épouser en 1862(Elle était plus âgée que lui de
7 ans) Cf H.Mondor :vie de Mallarmé(N.R.F.1941-1942)Voir aussi du
même auteur :mallarmé plus intime (Gallimard,1944).Ajoutons en
même temps l'ouvrage bien documenté de c.Mauclair
intitulé.Mallarmé chez lui.(Grasset 1935)
* 76 -Cf.Albert béguin
:l'âme romantique et le rêve (Edition des chaiers du
sud,Marselle)
* 77 Il forma le projet
d'écrire un recueil lyrique qui porterait le même titre
« La gloire du mensonge ou le Glorieux
Mensonge »c'était en 1866.
* 78 -Cf.Antoine
Adam:L'après-midi d'un faune .Essai d'une explication.(L'information
litt.1949)Consulter aussi l'ouvrage de H.Mondor :Histoire d'un faune
(Gallimard,1948)
* 79 -Certes,il a connu la
gloire,mais seulement à la fin de sa vie ,consulter à ce sujet
.G.Beaume:Souvenirs de Mallarmé (L'Opinion,1925) voir aussi
l'ouvrage quelque peu partial de Jean Marc Bernard:L'échec de
Stéphane Mallarmé.(Le divan 1903)
* 80 cf.Edmond Bonniot:Les
mardis de Stéphane Mallarmé (Les marges,1936)
* 81 -cf.Edmond
Jaloux:Mallarmé (Les Nouvelles Littéraires,8juin 1935) voir
égalemen du même auteur :l'anniversaire de Mallarmé (Le
gaulois,13 octobre,1923)
* 82 -cf.Jules Lefranc Un
masque anonyme (Revue palladéenne 1945)
* 83 cf Albert Mockel
:Stéphane Mallarmé:un héros (Mercure de France,1899)
* 84 -voir remy de Gourmont
:Stéphane Mallarmé (Mercure de France,1896)
* 85 -cf.Jules
Huret:Enquête sur l'évolution
littéraire.(ýCharpentier 1891)
* 86 cf.Charles
Chassé:mMallarmé Universitaire (Mercure de France,1912).Outre cet
ouvrage,consulter également le long article de Guillot Givry
intitulé:La classe d'anglais de Mallarmé.(Nouvelles
Littéraires,1923)
* 87 -Mallarmé
était en relation permanente avec tous les peintres de son temps
Manet,Monet,Degas etc aussi bien qu'avec la plupart des musiciens et Surtout
Wagner qu'il a fréquenté de très près.
* 88 -Cf.l'excellente
étude de Malcolm Bowie:mallarmé and the art of being
difficult.(On y trouvera une analyse sur `Prose pour des Esseintes 'ainsi
qu'une explication d'un coup de dès..'
* 89 -cf. L'ouvrage de Camille
Mauclair :L'Art en silence (Ollendorf,1901)
* 90 -Georges Duhamel :les
poésies de stéphane Mallarmé;(Mercure de France,1913)
* 91 -Cf.Ch.E.Rietmann:Vision
et mouvement chez Stéphane Mallarmé.(Les presses
Modernes,1932)
* 92 pour plus
`ýd'informations,consulter l'ouvrage de J.Soulairol:Les quatre
éléments poétiques. (Le divan,1945) voir aussi,traitant la
même question avec plus de tact ,l'ouvrage de Claude-LOUIS Estève
intitulé:Etudes philosophiques sur l'expression
littéraire.(Vrin,Paris,1938)
* 93 -Cf.H.Mondor:Propos sur
la Poésie de Stéphane Mallarmé.(ed.du Rocher.1945)
* 94 -Cf.Gustave
kahn:Silhouettes littéraires (Editions Montaigne.) voir du même
auteur:Trente ans de symbolisme (Paris,vanier,1929) Consulter en même
temps l'excellente étude de Jules Laforgue:Notes sur
Baudelaire,Corbière,Mallarmé,Rimbaud (mercure de France,1903)
* 95 -Parce que Rimbaud
était un enfant précoce et la poésie chez lui
n'était pas le fruit de l'expérience,mais d'un état
naturel,d'une inspiration innée .
* 96
-cf.Viélé-Griffin:Le rôle de Stéphane
Mallarmé ( l'Ermitage,1898) ,ainsi que son autre ouvrage non
réédité intitulé:Stéphane
Mallarmé,esquisse orale (Paris,Perrin,1895)
* 97 -cf.Jean Miquel
:ýle phénomène futur (LES Lettres,1948)c'est aussi le
titre d'un poéme de Mallarmé.
Cf.denis Saurat :La nuit d'Idumée (Nouvelle revue
française,1931)
* 98 -Cf.Albert Camus:le
mythe de sisyphe.(Gallimard)
* 99 cf.Charles Morice:la
littérature de tout à l'heure (Perrin,1889) cet ouvrage fut
l'objet de plusieurs rééditions.
* 100 -cf.Théodor de
wyzewa:Le symbolisme de Stéphane Mallarmé.Revue
indépendante,1887)
voir de même :Notes sur l'Oeuvre poétique de
Stéphane Mallarmé;(la Vogue,5et 12 juillet 1887)
* 101 cf.L'hermétisme
freudien de Mallarmé.(Empreintes,1948) Lire aussi les travaux
intéressants de C.Roulet tels que:Elucidation du poéme de
Stéphane Mallarmé « Un coup de
dès... »Ed.Ides et Calendes,1947),Eléments de
poétique mallarméenne d'après le poéme
« Un coup de dès... » (Ed.du Griffon,1947)et enfin
Version du poéme de Mallarmé « Un coup de
dès... »ed.du Griffon,1949)
* 102 .cf Paul Margueritte:Les
pas sur le sable.(Plon-Nourrit et Cie,Paris).voir aussi Les portes d'Ivoire
(Nerval-Rimbaud-Baudelaire-Mallarmé)de A.Coline (Plon,1948)
* 103 Voir pour
complément d'informations ,Duchesne Guillemin :Au sujet du divin'cygne'
(Mercure de France 1948)
* 104 -cf.Jacques Gengoux:Le
symbolisme de Mallarmé (Librairie Nizt,1950)
* 105 -cf l'xcellente
thèse du docteur J.Freter :l'aliénation poétique
.Rimbaud.Mallarmé.Proust(Janin,1946)
* 106 -Consulter à cet
égard l'ouvrage de André Fontanas :Rêverie à
propose de Stéphane Mallarmé.L'oeuvre et l'homme.(Mercure de
France 1948)
* 107 -cf.Jean
Moréas:Les premières armes du symbolisme.5A.Messein)
* 108 -cf.Gaëton
Picon:Métamorphose de la littérature.(La table ronde,1949)
* 109 -consulter l'ouvrage
de R.Nelli :igitur ou l'argument ontologique retourné.(Les
Lettres,1948)
* 110 -cf.E.Noulet :La hantise
d'abolir (Les lettres,1948)
* 111 -cf-ernest Raynaud:la
mêlée symboliste (Renaissance du livre,1918-1922)
* 112 -cf.Calixte Rachet:A
l'écart.(Auguste Chio,Paris,1888,réédité)
* 113 -cf.Marcel Raymond.:De
Baudelaire au surréalisme.(Paris,Edt.corréa,1933)
* 114 -cf.Pierre Quillard
:Stéphane Mallarmé.mercure de France,1892)
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