Ecriture et politique dans "en attendant le vote des bêtes sauvages " d'Ahmadou Kourouma( Télécharger le fichier original )par Kossi Wonouvo GNAGNON Université de Lomé Togo - Maà®trise en lettres 2009 |
Justification des actes 35 Schéma 3 : Schéma argumentatif des pôles du système narratif dans l'oeuvre. Le schéma 3 montre bien la problématique de l'énonciation et de dialogisme dans l'oeuvre. La problématique énonciatoire dans les écritures postcoloniales suggère la question de la liberté d'opinion. C'est le signe de l'éclatement de la pantopie colonialiste et bientôt de celui des partis uniques dans l'Afrique indépendante. Il est donc aisé de constater que, dans En attendant le vote des bêtes sauvages, le dynamisme de l'écriture relève d'une aporie : la cohérence narrative est disloquée par la fragmentation du discours, mais cette fragmentation, provoquée par la prise de parole de nombreux narrateurs, correspond apparemment à leurs tentatives de donner plus de force cohésive à l'histoire qui est en train d'être racontée. Justin K. Bisanswa fait remarquer à ce propos que « Le discours qui traverse la narration est un corps morcelé qui n'arrive plus à se rassembler »42, et tout en assumant la tâche difficile de porter remède à la rupture survenue dans la cohérence du réel, l'écriture est prise dans un 42 J. K. BISANSWA, Le corps au carrefour de l'intertextualité et de la rhétorique, Études françaises, p. 107. 36 mouvement vertigineux de segmentation de l'unité narrative. Bakhtine fait notamment constater que : « Dans la polyphonie romanesque, diverses idéologies se font entendre, assumées ou interrogées par les diverses instances discursives (personnages, auteur), mais qu'aucune idéologie ne s'institue ni ne se présente comme telle »43. En fait, il existe une problématique énonciatoire du sujet postcolonial, victime de l'ambivalence culturelle, linguistique et identitaire. C'est pourquoi il est aussi difficile de nommer par une écriture homogène les personnages du roman. Par une rupture de la linéarité narrative, qui donne le signe de clôture et d'un discours encyclopédiste unique, le texte de Kourouma instaure une pluralité d'idées, un discours pluriel où plusieurs figures prennent positions et concourent à une vision globalisante et sans limite d'une thématique nouvelle. Il s'agit donc d'une ouverture dialogique. Ainsi la situation finale est-elle souvent laissée ouverte afin de permettre au lecteur d'imaginer les suites possibles... 2. La violence de l'écriture et l'écriture de la violenceLa violence apparaît comme le domaine de définition du roman En attendant le vote des bêtes sauvages. C'est parce que la décolonisation a été une expérience de la violence contre la violence. Fanon expliquait dans Les damnés de la terre que : « La violence désintoxique, débarrasse le colonisé de son complexe d'infériorité, de ses attitudes contemplatives et désespérées »44. En effet, Kourouma a le génie de produire des textes radicaux, immédiatement identifiés comme rupture, des textes-scandales qui portent indélébilement les marques d'une lutte de libération politique (culturelle, linguistique...). Il s'agit bien évidemment d'un discours rebelle, d'une écriture révolutionnaire. 43 Bakhtine MIKHAIL, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 19. 44 Frantz FANON, Les damnés de la terre (1961), préface de Jean-Paul Sartre, présentation de Gérard CHALIAND, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 1991, p.127. 37 2.1. La violence de l'écritureEn attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma dévoile par un discours scandaleux les désenchantements et les leurres des indépendances par la caricature des dictateurs dans l'Afrique postcoloniale. Cet écrivain a donné une nouvelle orientation à la littérature négro-africaine par son audace, son non-conformisme virulent et corrosif. Kourouma a choisi de bousculer la raison logicienne, la syntaxe, le vocabulaire de la langue française au profit d'une langue parlée : le Malinké. Ainsi oppose-t-il au système d'écriture français un éclatement des formes marquées par les textes les plus bousculés, les intrigues contrariées et multiples, les personnages déstructurés, la syntaxe rebelle ou le lexique outrancier. La violence verbale parcourt également l'oeuvre de Kourouma. Ce sont des formes crues en l'occurrence les jurons, les insultes, les injures et autres gros mots, qui fonctionnent comme des procédés langagiers, qui entrent dans la violence verbale. C'est souvent lorsqu'il fait le portrait d'un chef d'Etat dictateur. Kourouma traitait Tiékoroni, dictateur au totem caïman, de « rat voleur, un toto », « le petit vieillard » et « vieux dictateur roussi par les matoiseries et la corruption ». Parlant de Bossouma, l'Empereur du Pays aux Deux Fleuves, il écrit : « Képi de maréchal, sourire de filou, l'homme au poitrail caparaçonné de décorations » ; « Sa langue et ses lèvres piquetaient, elles puaient le miasme de l'anus d'une hyène ». Il taxe le dictateur au totem chacal de « moyenâgeux, barbare, cruel, menteur et criminel ». A la page 10, les propos de Tiécoura sont d'une violence particulière : « - Président, général et dictateur Koyaga, nous chanterons et danserons votre donsomana en cinq veillées. Nous dirons la vérité. La vérité sur votre dictature. La vérité sur vos parents, vos collaborateurs. Toute la vérité sur vos saloperies, vos conneries ; nous dénoncerons vos mensonges, vos nombreux crimes et assassinats... » 38 De même, à la page 172, on note les injures de Maclédio à l'encontre de Nkoutigui Fondio de la République des Monts : « - Salaud ! Favoro ! Mère de chienne ! Je te défie, criminel dictateur ! Commande à tes hommes de m'assassiner comme les autres. Assassin ! Oui, tu es un assassin ! » Dans tous les cas, la violence de l'écriture menace d'une implosion, celle de la langue écrite. Comme le note Xavier Garnier : « La violence du texte ne vient pas de la destruction des formes mais de cet effondrement du centre qui la provoque »45, la violence sur la langue, par les procédés de néologisme et la resémantisation des mots français (par monosémisation ou par polysémisation), commence avec la bousculade de la langue classique. Avec Kourouma, nous sommes toujours en face d'une écriture déstructurée décrivant un monde en permanente dégradation. Ce qui est plus intéressant dans En attendant le vote des bêtes sauvages, c'est que l'écriture de par sa forme déchirée donne ainsi l'image déstructurée de la Politique dans l'Afrique postcoloniale. En réalité, la littérature est un outil excellent pour l'analyse politique. La littérature kouroumalienne en l'occurrence se propose comme objectif la représentation de l'Histoire du peuple noir, des violences africaines de par son obsession des formes. C'est pourquoi Xavier Garnier écrit : « La littérature se ferait en quelque sorte avec les débris d'une violence qui se serait passée ailleurs, la littérature africaine serait en charpie, éventrée par les bégaiements violents de l'Histoire »46. 45 Xavier GARNIER, « Les formes `'dures» du récit : enjeux d'un combat » in Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, « Penser la violence », n° 148, juillet-septembre 2002, p.54. 46 Xavier GARNIER, op.cit. 39 2.2. L'écriture de la violenceAu-delà de la violence de l'écriture, Kourouma essaie de mettre en scène la violence au travers d'une thématique qui décrit les crises déchirant le peuple noir. Pour Mwatha Musanji Ngalasso, « L'écriture de la violence apparaît alors comme une façon de lutter, avec les mots, contre la décrépitude de la pensée, le cynisme des idéologies et l'absurdité des actions de ceux qui ont en charge le destin de leurs concitoyens ; comme une thérapeutique collective de la conscientisation des citoyens-lecteurs »47. Ahmadou Kourouma, dans Allah n'est pas obligé par exemple, dénonce un univers social violent, un imaginaire singulièrement débridé. Il s'agit de stigmatiser, par une forme d'écriture, la déchéance continuelle des sociétés africaines, en traitant des thèmes comme l'esclavage, le racisme, le colonialisme, la dictature, le népotisme, la marginalisation, et en mettant en scène des personnages types : administrateur, militaire, policier, missionnaire, chef d'Etat, ...etc. De ce fait, il est à comprendre que Kourouma entreprend tout simplement d'évoquer dans En attendant le vote des bêtes sauvages les épisodes les plus sanglants de l'Histoire de l'Afrique postcoloniale. Si ce ne sont pas les crimes et les délits qui nous sont présentés, c'est donc soit la magie ou la sorcellerie, ou carrément la politique incarnée par la violence idéologique. L'écriture ou la représentation de la violence passe obligatoirement par un champ d'expressivités dans lequel on retrouve l'horreur, le cynisme, le sarcasme. Kourouma nous décrit donc la scène horrible de l'assassinat de Fricassa Santos, le Président démocratiquement élu de la République du Golfe, par Koyaga et ses lycaons : « Le Président saigne, chancelle et s'assied dans le sable. Koyaga fait signe aux soldats. Ils comprennent et reviennent, récupèrent leurs armes et les déchargent sur le malheureux Président. Le grand initié Fricassa Santos 47 Mwatha Musanji NGALASSO, « Langage et violence dans la littérature africaine écrite en français », in op. cit., pp. 73-74. 40 s'écroule et râle. Un soldat l'achève d'une rafale. Deux autres se penchent sur le corps. Ils déboutonnent le Président, l'émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents. C'est l'émasculation rituelle [...] Un dernier soldat avec une digue tranche les tendons, les bras du mort... » (pp. 100-101). Koyaga était à la tête d'une milice terrible : les lycaons. Ahmadou Kourouma nous fait ainsi leur portrait à la page 95 : « Les lycaons encore appelés les chiens sauvages sont les fauves les plus méchants et féroces de la terre, si féroces et méchants qu'après le partage d'une victime chaque lycaon se retire loin des autres dans un fourré pour se lécher soigneusement, faire disparaître de la pelure la moindre trace de sang. » D'autre part, c'est des scènes de tortures que Kourouma nous présente, orchestrées par des chefs d'Etats dictateurs, criminels et tortionnaires. A cet effet, il y a des prisons spécialisées régies par des geôliers barbares et sans humanité. C'est le cas de la prison de Saoubas dans la République des Ebènes dirigée par le député Sambio, « le cruel tortionnaire qui, sous la torture, fait reconnaître par l'accusé les faits et les preuves établies par le directeur de la Sûreté », et de la prison de Ngaragla dans le Pays aux Deux Fleuves, régie par le colonel Otto Sacher. En définitive, Kourouma a développé dans En attendant le vote des bêtes sauvages une écriture de crise. Michel Naumann, lui, parle déjà d'une nouvelle littérature africaine qu'il qualifie de « littérature voyoue »48. La problématique de la violence est au centre de la littérature postcoloniale africaine de sorte que la violence est représentée dans l'écriture même qui la représente. Désormais, c'est une esthétique réaliste pure que développe la littérature postcoloniale, caractérisée également par l'écriture de l'obscène. 48 Michel NAUMANN, Les nouvelles voies de la littérature africaine et de la libération (une littérature voyoue), Paris, L'Harmattan, 2001. 41 3. L'obscénité ou le sexe décritL'obscène, c'est avant tout la mise à nu du corps réduit à ses fonctions physiologiques ainsi qu'il s'affiche dans le texte postcolonial. C'est l'écriture d'une sexualité débridée et impudique. Si l'évocation de la chair ou du corps ou mieux encore du sexe était perçue chez les écrivains africains de la période coloniale comme une atteinte à la pudeur, les écrivains postcoloniaux considèrent la sexualité comme un matériau littéraire comme tout autre, et Ken Bugul dira même que « la sexualité est culture et atmosphère »49. Désormais, on se rend compte que, histoire de sang, l'histoire africaine est aussi une histoire de sexe. Vont donc surgir dans les romans postcoloniaux des scènes érotiques allant de simples actes sexuels à la transgression des limites de la pudeur. On rencontre alors dans En attendant le vote des bêtes sauvages des récits troublants et déconcertants ou quelques fois excitants, des récits dans lesquels sont toujours présents des passages du genre : « La princesse enfin sort de la case et avance. Elle est séduisante. Des ceintures de perles soulignant des fesses proéminentes tiennent un cache-sexe qui laisse deviner des pulpes généreuses. Des seins, de vraies mangues vertes de mars émergent de nombreux colliers de cauris qui courent du coup au nombril. » (p. 142) ; « Ce que je vois ? Indescriptible, unique ! Les plus bouffies jambes du monde en l'air. Les plus mafflues fesses sur un tapis et, au milieu...une féminité simplement planétaire. [...]. Mon zizi ne va pas plus profond qu'une virgule.» (p.158) ; « Les femmes se disputaient l'étranger qui s'aventurait dans un village zendé. Et celle qui parvenait à se l'approprier l'entraînait immédiatement dans le lit, le balançait, le manipulait jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la détumescence, jusqu'à l'anérection... » (p.215). 49 Ken BUGUL, Le Baobab fou, Abidjan, NEA, 1982, p. 65. 42 Dans les représentations littéraires de Kourouma, l'imaginaire sexuel donne l'image du désir sans foi ni loi, faisant du sexe le domaine bestial de l'humain. En définitive, disons que l'écriture dans En attendant le vote des bêtes sauvages porte une grande charge sexuelle. De plus, la mise en texte du sexe par Kourouma n'est pas fortuite, car la sexualité portée à l'écriture explique la déchéance politique et marque une expression de liberté. L'écriture kouroumalienne affirme également sa particularité par la (dé) construction diégétique. 4. La (dé) construction diégétiquePlusieurs procédés permettent de (dé) construire le récit dans En attendant le vote des bêtes sauvages. 4.1. La mise en abîmeLa mise en abîme permet de mettre le héros dans un engrenage où il ne lui est promis aucune issue. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, Koyoga, le personnage principal, vient de perdre tous ses pouvoirs magiques qui l'aidaient à se maintenir à la tête de la République du Golfe. Aucune issue ne lui est possible si ce n'est de se faire dire son donsomana, récit purificatoire, au cours duquel toute l'histoire de sa vie et de celle de ses proches seront racontées par un sora. Ahmadou Kourouma a fait de ce personnage le prototype du chef d'Etat africain, monté au pouvoir par un putsch, maintenu au pouvoir grâce à la guerre froide, et finalement menacé par le vent de la démocratisation. Il le met à cet effet dans une situation extrêmement critique où son parti unique est désormais ouvertement contesté par une jeune génération 43 révolutionnaire. Une insurrection contre le régime de Koyoga a fait date : c'est l'insurrection du 5 (p 358). 4.2. La réduplicationLa réduplication dans l'oeuvre se manifeste par des idées qui sont répétées plus d'une fois. En effet, les scènes sanglantes d'émasculation sont reprises plusieurs fois dans la Veillée II : après avoir blessé à mort sa proie, le président Fricassa Santos, Koyoga procède à son émasculation en lui infligeant une douleur infernale (p. 100) : « Ils déboutonnent le président, l'émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents ». On assiste ensuite à l'assassinat du vice-président Tima par les lycaons et à son émasculation par Koyoga. Tout le long du récit, les scènes d'assassinats sont succédées d'émasculation. De même, Kourouma a beaucoup usé de la réduplication pour accentuer les exploits de Koyaga qui triompha des monstres qui hantaient les paléos. Ainsi la phrase suivante est-elle récurrente dans la Veillée II, Chapitre 5 : « Pour éteindre, annihiler ses terribles nyamas, Koyaga coupa sa queue et l'enfonça dans sa gueule haletante». Cette technique narrative, loin de produire la monotonie dans la narration, y confère à contrario une esthétique épique ou satirique. 4.3. La métaphore et la figurationTout le récit purificatoire se présente comme un ensemble d'images, que ce soit au niveau de la diégèse ou à celui de l'écriture. En effet, si tout ce que Kourouma raconte est vrai, tout est aussi caché. De l'onomastique (nom des personnages, des lieux) à la trame de l'histoire même, tout est voilé. 44 En outre, le récit que crée Kourouma est d'abord épique avant de virer au satirique. Les actes accomplis par Koyoga sont une démonstration de pouvoir, de puissance et même de force, dans la (re) conquête de son identité. Le récit s'ouvre sur l'identité du personnage : « Votre nom : Koyoga ! Votre totem : faucon ! Vous êtes soldat et président. Vous resterez le président et le plus grand général de la République du Golfe tant qu'Allah ne reprendra pas (que des années encore il nous en préserve !) le souffle qui vous anime. Vous êtes chasseur ! Vous resterez avec Ramsès II et Soundiata l'un des trois plus grands chasseurs de l'humanité. Retenez le nom le nom de Koyoga, le chasseur et président-dictateur de la République du Golfe ». (p. 9). A la suite, au cours de ses aventures héroïques, Koyoga ne cessera pas d'accomplir des prouesses extraordinaires comme les combats qu'il va livrer contre les bêtes puissantes qui menaçaient la sécurité des paléos. Il sera même un président miraculé sorti vivant de plusieurs attentats. Tout cela fait montre de son identité de chasseur, de sorcier et de magicien. 5. La subversion des codes : de l'intertextualité à l'architextualité en passant par l'hypertextualitéL'écriture kouroumalienne est complexe aussi bien en termes de structure qu'en termes de langue. On note donc à l'intérieur du roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, la coexistence de plusieurs codes. L'écriture et l'oralité font partie intégrante d'un même système alors qu'elles sont initialement deux discours aux perspectives antagonistes. De même, la fiction et l'épopée sont conciliées. Le roman de Kourouma est devenu un mélange des contraires posant ainsi des problèmes d'intertextualité, d'hypertextualité et d'architextualité. 5.1. L'intertextualitéGérard Genette définit l'intertextualité « par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d'un 45 texte dans un autre.»50. Pour Michael Rifaterre, « L'intertexte est la perception, par le lecteur, de rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont précédée ou suivie » tandis que Julia Kristeva analysant la phénomène intertextuel écrit que : « Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte »51. En effet, dans le roman de Kourouma, on peut relever d'autres textes incorporés sous forme de citation, d'allusion, qui sont des formes d'intertextualité. A la page 164, Nkoutigui Fondio, le président de la République des Monts a repris les mots célèbres de Sékou Touré : « Non à la communauté ! Non à la France ! Non au néocolonialisme ! L'homme en blanc préférait pour la République des Monts la pauvreté dans la liberté à l'opulence dans la soumission ». Par ailleurs, un vers de Senghor est cité à la page 169 et est repris plusieurs fois dans l'oeuvre : « Savane noire comme moi, feu de la mort qui prépare la re-naissance » comme slogan du socialisme africain. D'autre part, à la lecture de Kourouma, on pense bien à Voltaire. Ce rapprochement entre les deux auteurs se situe au niveau du style : l'humour et l'ironie voltairienne se retrouve dans l'écriture de Kourouma. 5.2. L'hypertextualité : la révision de l'HistoireL'hypertextualité s'entend par Gérard Genette comme « toute relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte A antérieur (hypotexte) sur lequel il se greffe »52. Pour Kourouma, l'Histoire est mensonge. De ce fait, son ambition est de la réviser et la réécrire. En effet, la diégèse dans le roman est greffée sur la période s'étendant de 1880 aux années 1990, c'est-à-dire de la Conférence de Berlin à l'avènement de la démocratisation en Afrique subsaharienne. Nous pouvons alors dégager de l'oeuvre le procédé de fictionnalisation de 50 Gérard GENETTE, Palimpsestes, Paris, Editions du Seuil, 1982, p. 8. 51 Julia KRISTEVA, Séméiôtikè, Paris, Seuil, 1969, p. 85. 52 Gérard GENETTE, op. cit., p. 11. 46 l'hypotexte historique. Toute la diégèse se fonde sur l'Histoire que Kourouma tente de questionner. Les circonstances de l'assassinat de Fricassa Santos, président démocratiquement élu de la République du Golfe, sont révélées par la nouvelle Histoire de l'Afrique que Kourouma écrit. Il y dévoile des aspects inouïs. Par la voix de Bingo, il note à la page 99 que : « Les non-initiés, par ignorance, douteront de cette version des faits ». C'est pourquoi Kourouma nous donne effectivement une autre version des faits sociopolitiques qui ont marqué l'Afrique indépendante. Ainsi a-t-il entrepris de réécrire la vraie histoire des dictateurs, de leurs peuples et de leurs proches et collaborateurs. Pour nous rendre compte de la présence de l'Histoire dans cette oeuvre, les personnages, l'espace et le temps sont des repères et des indices historiques. La délocalisation des faits historiques qu'opère le romancier contamine les catégories romanesques qui s'affichent alors comme des connotateurs de mimésis et attestent la présence de l'Histoire dans le roman. 5.3. L'architextualité : l'hybridation génériqueL'architextualité peut se comprendre comme la coprésence entre deux ou plusieurs genres dans une même oeuvre. En attendant le vote des bêtes sauvages se présente comme une fresque générique où mêlent hybridation entre épopée et fiction, conciliation entre oralité et écriture, bref il y a dans l'oeuvre une inclusion ou une union des divers types de discours. Le récit est tantôt épique (les exploits guerriers de Koyaga), satirique (la dénonciation des dictateurs et de leurs actes), tantôt romanesque. Dans tous les cas, Kourouma concilie le discours oral (représenté notamment par les proverbes et les maximes) au discours écrit en créant ainsi un genre pluriel mais unifié et unique. 47 6. Des personnages inconsistants et instables avec des espaces imprécisLes personnages du roman sont des êtres « errants » dans une aventure de conquête de leur identité. Maclédio va faire le tour de l'Afrique, se rendre à Paris, revenir en Afrique avant de tomber sur son homme de destin. Koyaga porte de nombreux titres et présente plusieurs visages : Président, Général, Dictateur, Chasseur..., l'homme au totem faucon. Il va de même pour les autres présidents dictateurs mentionnés dans l'oeuvre. Par l'expression périphrastique « L'homme au totem... », Kourouma montre la crise identitaire des dictateurs dans l'oeuvre. Au total, il s'agit dans l'oeuvre de personnages flottants à la recherche d'un Nom. Quant à l'espace physique, il est le plus souvent balkanisé, déchiré et évanescent. C'est parce qu'il correspond à l'espace intérieur du personnage principal, Koyaga. En effet, Kourouma a mis le personnage de Koyaga dans une situation où son régime est menacé par la perte d'un aérolithe et un vieux coran inventé par le marabout Bokano, sur lesquels repose son pouvoir. Même si le cadre spatial dans le roman est le continent africain, il est question d'une Afrique fictionnalisée où le nom des pays est rarement précis. « La République du Golfe », on ne sait de quel golfe il s'agit ? Tel est pratiquement le cas pour les autres espaces : « Le Pays aux Deux Fleuves » ; « La République du Grand Fleuve » ; « La République des Monts ». Toutefois, l'espace de la chasse correspond bien à l'espace politique dans l'oeuvre. 7. L'altérité: transgressions, concessions et conciliations dans l'oeuvreLa figure de l'altérité pose une situation de coexistence de plusieurs littératures en une seule, ou plusieurs langues sur le même territoire. Les romans postcoloniaux mettent des littératures en contact. La prise de conscience forcée des différences et de l'existence d'entités 48 `'autres» a généré des textes revendicateurs mais aussi très humanistes axés sur l'ouverture sur autrui. Dans l'écriture de Kourouma, on découvre un plurilinguisme de plusieurs niveaux. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, la figure de l'altérité se manifeste à travers la coexistence des éléments antagonistes. L'altérité se remarque avant tout au niveau de la structure : conciliation de l'oralité et de l'écriture ; subversion des codes notamment l'hybridation entre la fiction et l'épopée. Tout cela produit une esthétique franchement nouvelle et audacieuse. Par ailleurs, l'altérité est aussi manifeste au niveau des thèmes : tradition, politique, démocratie...etc. En effet, les personnages de Koyaga et de Maclédio, de par leurs voyages partout dans le monde incarnent la communication des cultures et des idées. Qu'est-ce que la politique ? Nous allons consacrer le chapitre suivant au concept de Politique et aux relations entre l'écriture de Kourouma et la Politique dans l'Afrique postcoloniale. 49 CHAPITRE IIILE CONCEPT DE POLITIQUE DANS L'AFRIQUE POSTCOLONIALEDans En attendant le vote des bêtes sauvages, Ahmadou Kourouma se propose de raconter la naissance et le fonctionnement de l'Etat africain postcolonial. Si « la littérature est un outil privilégié pour l'analyse politique des violences africaines de par son obsession des formes »53, le roman de Kourouma en est un exemple typique dans la mesure où il donne un éclairage particulier sur l'émergence et l'évolution du pouvoir africain moderne. Qu'est-ce que La Politique ? Qu'est-ce qui caractérise l'Etat africain postcolonial ? Ahmadou Kourouma a répondu à ces questions dans son roman. Ce que nous démontrerons dans la deuxième partie de notre mémoire. Fort de cela, il convient d'ores et déjà de définir et de circonscrire la notion de `'Politique» pour montrer en quoi En attendant le vote des bêtes sauvages est un roman politique, aux plans formel et thématique. 1. Qu'est-ce que la politique ?Définir la notion de politique est une chose à la fois très simple et très complexe. Il est aisé, en effet, à travers une définition littéralement étymologique et antique. Le sens moderne du concept renvoie à deux conceptions qui s'affrontent dans les faits. Selon qu'on parle de `'la politique» ou de `'le politique», la définition varie et les considérations essentielles du mot changent. 1.1. Définition étymologiqueLe mot `'Politique» est formé à partir de deux mots grecs : -`'polis», qui signifie `'cité» (au sens politique du terme) ; 53 Xavier GARNIER, « Les formes `'dures» du récit : enjeux d'un combat » in Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, « Penser la violence », n° 148, juillet-septembre 2002, p.54. 50 -`'-ikos», suffixe d'adjectif qui donne `'-ique» en français. Ce mot est donc un adjectif et, d'après son étymologie, il signifie « qui concerne le citoyen ». Lato sensu la politique est l'ensemble des pratiques, des faits, des institutions et des décisions d'un gouvernement, d'un Etat ou d'une société. Elle désigne également la manière de gouverner un Etat ou tout simplement l'art de gérer les affaires publiques d'un pays. Le mot `'politique» a commencé à être employé dans son sens actuel au 13ème siècle après J.C : il signifie alors «science du gouvernement de l'Etat ». 1.2. Autres définitionsSelon le Larousse Pratique54, la politique est la manière d'exercer l'autorité dans un Etat ; les moyens mis en oeuvre par un gouvernement ou la manière concertée d'agir, de conduire une affaire. Dans la Grèce antique, la politique est une science qui cherche à imaginer le régime idéal. Au Moyen Age, elle est réservée aux princes de haut rang et est constituée de leurs intérêts particuliers. Pour Machiavel55 (1469-1527), la politique est la manière d'accroître l'influence et le pouvoir des clans en place. 1.3. Distinction entre la politique et le politiqueIl faut lever quelques équivoques autour du concept de `'politique». Que faut-il entendre par `'le politique» et par `'la politique»? Hannah Arendt (1906-1975) envisage le politique comme un lien social. Le politique a donc un caractère collectif. Il exprime la capacité d'une collectivité à agir ensemble (ici dans le sens de mouvement social, action collective, mobilisation). Le politique désigne donc l'ensemble de forces institutionnalisées qui interagissent pour le maintien de la cohésion sociale, un champ social dominé par les 54Larousse Pratique, 2005 Edition Larousse. 55 MACHIAVEL, Le Prince. 51 conflits d'intérêts régulés par l'Etat. En réalité, le concept de `'Politique» est une notion aux contours imprécis. Ainsi, tantôt il fait référence au tekhne (l'art de politique), tantôt à l'épistémé (la science du politique). Au sens de tekhne, `'politique» désigne alors la scène sur laquelle s'affrontent une série d'acteurs pour la conquête et l'exercice du pouvoir d'Etat. Dans ce cas, il s'agit de `'la politique» comme ensemble de mécanismes de la compétition politique, au jeu de la concurrence entre les partis, à la lutte de ceux qui font de la politique leur métier. Perçu comme épistémé, `'politique» veut dire tout simplement ce qui relie les hommes. On parle alors de `'le politique». C'est le domaine d'intervention de ce que nous appelons la science politique. Or, l'oeuvre de Kourouma ou la littérature africaine postcoloniale en général fait la représentation de la politique, c'est-à-dire la scène sur laquelle s'affrontent une série d'acteurs pour la conquête et l'exercice du pouvoir d'Etat, pour expliquer le politique entendu comme relations interhumaines dans la société. Le roman postcolonial notamment l'oeuvre de Kourouma se présente donc comme la révélation d'une science de l'Etat africain postcolonial et de son fonctionnement. 2. L'idée de Politique africaine postcoloniale dans l'oeuvreAhmadou Kourouma nous donne d'importantes conceptions de la notion de Politique dans l'Afrique postcoloniale. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages à la page 278, on lit ce qui suit: « La politique est illusion pour le peuple, les administrés. Ils y mettent ce dont ils rêvent. On ne satisfait les rêves que par le mensonge, la duperie. La politique ne réussit que par la duplicité. » 52 Ainsi, la Politique dans l'Afrique d'après les indépendances fonctionne sur la base du mensonge et, pour les dictateurs africains, elle ne peut réussir que par la fausseté, la matoiserie, la tromperie et l'hypocrisie. La conséquence en est que dans les systèmes politiques africains postcoloniaux, les gouvernés sont animalisés et tout se déroulent exactement comme l'a pensé Thomas Hobbes56 dans son livre Le Léviathan. Tout est régi par la loi de la force et les gouvernés ne sont pas plus considérés que comme des animaux à chasser. C'est bien ce que dévoile cet extrait de En attendant le vote des bêtes sauvages à la page 183 : « La politique est comme la chasse, on entre en politique comme on entre dans l'association des chasseurs. La grande brousse où opère le chasseur est vaste, inhumaine et impitoyable comme l'espace, le monde politique. » Nous comprenons donc pourquoi les assassinats politiques ont été courants, pratiquement quotidiens dans les jeunes Etats indépendants en Afrique. Citons entre autres les cas Sylvanus Olympio du Togo - ce dernier nous intéresse même beaucoup dans cette étude que nous consacrons à En attendant le vote des bêtes sauvages -, Patrice Lumumba du Congo Belge, Thomas Sankara du Burkina Faso, assassinés, victimes de l'inhumanité politique dans l'Afrique indépendante. Cette inhumanité politique détermine la conception de l'Etat et la nature des régimes en Afrique. L'Afrique postcoloniale connaît l'instauration des Etats dictatoriaux dans tous ses pays où tout sursaut de nationalisme ou d'attention particulière aux problèmes fondamentaux des populations par tel ou tel Nouveau Dirigeant est systématiquement torpillé. Commencera alors le culte de l'incurie politique, de la concussion, de la corruption, pour tout dire, le règne de la "gestion carnassière", pour utiliser l'expression de Sony Labou Tansi. L'Etat africain 56 Thomas HOBBES (philosophe anglais de 1588 à 1679) appelle `'état de nature'' un état où il n'y a ni lois ni règles, ni conventions sociales qui déterminent la vie des hommes en groupe, où les hommes vivent selon le droit naturel qui leur confère un pouvoir naturel. Conséquence : il y a dans cet état « la guerre de tous contre tous » et « l'homme est un loup pour l'homme », le fort peut tuer le faible en recourant à la force et le faible aussi peut se servir de la ruse pour éliminer le fort. 53 postcolonial fonctionne sur la base de la violence politique, de la corruption et du mensonge, de la gabegie et du népotisme. Les pays africains, presque dans leur majorité, seront dirigés par des soldats venus au pouvoir à la faveur des coups d'Etat. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, Kourouma nous décrit la scène horrible de l'assassinat de Fricassa Santos, le Président démocratiquement élu de la République du Golfe, par Koyaga et ses lycaons : « Le Président saigne, chancelle et s'assied dans le sable. Koyaga fait signe aux soldats. Ils comprennent et reviennent, récupèrent leurs armes et les déchargent sur le malheureux Président. Le grand initié Fricassa Santos s'écroule et râle. Un soldat l'achève d'une rafale. Deux autres se penchent sur le corps. Ils déboutonnent le Président, l'émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents. C'est l'émasculation rituelle [...] Un dernier soldat avec une digue tranche les tendons, les bras du mort... » (pp. 100-101). C'est ainsi que sont venus au pouvoir les Nouveaux Dirigeants pour la plupart des militaires issus de l'armée coloniale, meurtriers des dirigeants nationalistes, usant d'une violence qui ne dit pas son nom. Le pouvoir s'assoit en dernier recours sur la coercition, la force, la violence mais la mise en productivité du pouvoir se fait mieux et plus facilement à travers sa légitimité qu'au moyen de la violence. Dans cette Afrique-là, Pouvoir et Violence vont de pair. D'ailleurs, dans un pays où règne le parti unique, l'adversaire politique est un ennemi à abattre absolument. Cet extrait d'En attendant le vote des bêtes sauvages (p. 200) en témoigne : « Les adversaires politiques sont des ennemis. Avec eux, les choses sont simples et claires. Ce sont des individus qui se placent en travers du chemin d'un président, les individus qui aspirent au pouvoir suprême - il ne peut exister deux hippopotames dans un seul bief. On leur applique le traitement qu'il mérite. On les torture, les bannit ou les assassine. ». Au total, dans l'Afrique postcoloniale, la Politique est perçue comme la science de la dictature que tout nouveau chef d'Etat devait apprendre. C'est ce qu'on découvre dans l'oeuvre à la page 183 : 54 « Vous ne devez, Koyaga, poser aucun acte de chef d'Etat sans un voyage initiatique, sans vous enquérir de l'art de la périlleuse science de la dictature auprès des maîtres de l'autocratie. Il vous faut au préalable voyager. Rencontrer et écouter les maîtres de l'absolutisme et du parti unique, les plus prestigieux des chefs d'Etats des quatre points cardinaux de l'Afrique liberticide ». 3. L'écriture de Kourouma : une écriture idéologique et politiqueNous avons dit dans les définitions consacrées au concept d'écriture, que toute écriture développe absolument une idéologie. Il en est de même pour l'écriture de Kourouma. L'écriture elle-même devient une réalité formelle dans laquelle se lit facilement la réalité thématique. Cela n'est possible que par l'idéologie de l'engagement de la forme. 3.1. Le culte de la forme ou l'idéologie de l'engagement formelL'écriture de Kourouma présente une structure formelle brisant les traditions littéraires. La forme est désormais au service du fond. Kourouma tente de briser l'arbitraire du signe pour établir une interdépendance entre le fond et les formes littéraires. Les caractéristiques du texte postcolonial, que nous venons d'étudier plus haut, sont les signes manifestes de l'engagement formel dans En attendant le vote des bêtes sauvages. En réalité, la rupture que le romancier opère par rapport aux écrivains traditionnels s'est faite sur fond d'une idéologie de la forme. Le choix de l'écriture déstructurée et éclatée s'oppose à l'unité du système d'écriture classique. Si toute écriture s'impose en s'opposant, l'écriture de Kourouma, particulière et iconoclaste, s'impose par les profonds renouvellements qui l'affectent. N'oublions pas que l'esthétique kouroumalienne est née de la révolution des formes antérieures. Les nouvelles formes expriment donc l'aspiration de l'écrivain postcolonial à la liberté totale, culturelle et linguistique. La polyphonie discursive adoptée dans la plupart des oeuvres postcoloniales est 55 le signe de la nécessité de la liberté d'expression. Ce qui n'était pas le cas dans la période coloniale. Si nous soutenons que l'écriture de Kourouma dans l'oeuvre est idéologique, c'est parce l'écrivain postcolonial voue un culte à la forme qu'il crée et recrée immanquablement. Ce qui compte désormais, c'est la forme et non les idées. Ce qui est aussi intéressant est que les idées nouvelles de liberté, d'intégration, de démocratie se trouvent incrustées dans les signes de la littérature postcoloniale. 3.2. De l'engagement formel à l'engagement politiqueLe roman de Kourouma raconte une fable politique. Si la politique est avant tout ce qui concerne la société, la politique est donc le matériau principal de la littérature chez Kourouma. Qu'il s'agisse de l'écriture de la violence, de l'obscène, de la caricature des figures du pouvoir, ou de la révision de l'Histoire..., la politique devient le champ d'investigations de cet écrivain africain postcolonial. Ses romans constituent des illustrations intéressantes de la mise en scène de la politique en littérature. Venu à l'écriture avec Les soleils des indépendances57, Ahmadou Kourouma était jusque-là inconnu du monde littéraire. OEuvre de circonstance, Les soleils des indépendances sont devenus aujourd'hui un classique de la littérature africaine. Entre violence et conciliation, violence à la langue française qu'il désacralise d'ailleurs par une libération par rapport à l'orthodoxie linguistique occidentale, et conciliation de l'écriture et de l'oralité, non seulement Ahmadou Kourouma innove son style d'écriture, mais encore il ouvre une ère nouvelle au roman négro-africain, lequel est fait désormais de liberté de ton dans la forme, et d'engagement réel, politique dans le fond. 57 Ahmadou KOUROUMA, Les soleils des indépendances, Université de Montréal, Canada, 1968, Paris, Seuil, 1970. 56 Au fond, Les soleils des indépendances décrivent l'effondrement des structures traditionnelles après la colonisation, l'appauvrissement accéléré des populations en zones rurales et surtout les déceptions qu'ont causées les simulacres d'indépendances, qui «comme une nuée de sauterelles tombèrent sur l'Afrique ». Déception au niveau des espoirs d'amélioration du niveau de vie, et surtout déception au niveau des libertés politiques. Pierre Soubias note à ce propos que ce « roman peut se lire comme une longue récrimination, cristallisée justement autour du thème de l'indépendance »58. De toute évidence, le roman négro-africain a changé de cible avec Les Soleils des indépendances, qui « démode tant d'écrits antérieurs »59 par sa thématique nouvelle, qui fait la représentation des déchirements sociopolitiques des Etats africains indépendants, ainsi que par son écriture innovante et révolutionnaire. Le deuxième roman d'Ahmadou Kourouma, Monnè, Outrages et Défis60, confirme son ambition scripturale et sa vocation de recréer le roman négro-africain en dénonçant les aberrations politiciennes. En effet, ici, dans cette oeuvre, Ahmadou Kourouma se propose de présenter une image vivante de ce que fut la colonisation du Soudan occidental en particulier, et celle de toute l'Afrique subsaharienne en général, tout en restant fidèle à son langage sec mais libéré et resémantisé. Enfin que ce soit dans En attendant le vote des bêtes sauvages ou dans Allah n'est pas obligé61, Ahmadou Kourouma pousse à la consécration sa vocation exceptionnelle de dire ou de penser l'Afrique, de la montrer dans toute sa nudité (histoire, politique, tradition). La dimension politique des ouvrages d'Ahmadou Kourouma est corroborée par un remarquable 58Pierre SOUBIAS, "Les soleils des indépendances, la magie du désenchantement" in Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155-156. Identités littéraires. Juillet-décembre 2004. p. 12. 59 Ibid., op. cit., p. 11 60 Monnè, outrages et défis, Paris, Seuil, 1990. 61 Allah n'est pas obligé, Paris, Seuil, 2000. 57 travail sur la langue, "l'aboutissement de toute une recherche sociologique, d'une imprégnation dans la culture et dans la langue de mon pays" disait-il lui-même dans Le magazine littéraire n°390, septembre 2000. Bien plus encore, dans ses deux derniers romans, Kourouma s'affirme comme étant un être politique au sens large du terme, et en tant qu'écrivain, « Il ne peut fermer les yeux ni sur la société dans laquelle il vit ni sur les communautés humaines qui coexistent avec lui dans le monde. Se taire équivaudrait parfois à n'être plus un homme digne de ce nom »62. Conclusion partielleL'écriture par nature est un produit historique au travers duquel s'identifie la liberté et la responsabilité de l'écrivain. Ainsi l'écriture en soi est-il l'expression d'un acte politique mais elle peut également devenir une action politique. L'écriture de Kourouma en est un exemple. Particulière et complexe, l'écriture kouroumalienne présente les caractéristiques des écritures postcoloniales dont les formes nouvelles traduisent clairement le fond. On y rencontre une problématique énonciatoire axée sur la polyphonie discursive, le dialogisme, et un `'Je» au pluriel. Il s'agit d'une écriture violente où mêlent transgressions, conciliations ou altérité générique et linguistique. De cet engagement formel, Kourouma arrive à l'engagement politique. En effet, le roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, est fondamentalement une oeuvre idéologique (l'idéologie de la forme) et politique, c'est-à-dire une oeuvre qui fait la peinture de la cité des hommes. Ce faisant, l'oeuvre de Kourouma est une représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. 62 Jean-Dominique PENEL, "Littérature et Politique" in Notre Librairie (Littérature nigérienne) n°107 novembre- décembre 1991. 58 DEUXIEME PARTIELES REPRESENTATIONS DE LA POLITIQUE DANSL'OEUVRE59 Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, la politique est représentée à travers les actions des personnages, la fixation du temps et de l'espace, une thématique des figures du pouvoir et des fondements du pouvoir politique dans l'Afrique postcoloniale. L'oeuvre repose dès lors sur une dialectique de l'épopée et de la satire. Dans cette deuxième partie de notre étude, nous allons nous intéresser à comment à travers le récit épique, Kourouma présente d'abord les prouesses politiques avant de les tourner en dérision par l'ironisation des bouffonneries des personnages ; comment il présente les instabilités politiques à travers la déstabilisation sémantique par la conciliation de l'écriture et de l'oralité. L'analyse psychocritique des personnages, l'onomastique et la thématique nous permettront également de mieux mettre en évidence les réalités politiques de l'Afrique postcoloniale dans l'oeuvre. 60 CHAPITRE : IDU RECIT EPIQUE AU ROMAN SATIRIQUE ; DE LA CONCILIATION DE L'ECRITURE ET DE L'ORALITE : UN SYSTEME D'ESTHETIQUES PROPRE POUR REPRESENTER LA POLITIQUEEn attendant le vote des bêtes sauvages est une oeuvre dont la structure est radicalement complexe. On y rencontre épopée et satire, oralité et écriture conciliées. Ces codes littéraires sont les mieux indiqués pour représenter la politique. En effet, la politique met la parole au prisme de l'écriture ; et, tandis que l'épopée permet de louanger les prouesses politiques du héros, la satire en fait une critique acerbe sur fond d'ironie. Par ailleurs, l'hybridité générique constituée par la conciliation entre l'oralité et l'écriture déséquilibre le système structural classique et découvre une déstabilisation sémantique, laquelle est un signe de déchéance politique dans l'Afrique postcoloniale. 1. Du récit épique au roman satirique : les désillusions politiquesLe récit dans En attendant le vote des bêtes sauvages s'ouvre sur un ton épique, censé vanter les exploits rocambolesques et héroïques de Koyaga. Mais très vite, le lecteur se désillusionne pour découvrir plutôt la vérité sur la « dictature » du héros, sur ses « parents », ses « collaborateurs », ses « saloperies », ses « conneries », ses « mensonges », ses « nombreux crimes et assassinats... ». Ce passage de l'épopée à la satire traduit l'expression de désillusions politiques qui ont marqué la conscience collective des africains au lendemain des indépendances. L'épopée politique montre le héros sur-humain qui apparaît comme un héros-Sauveur du Peuple. La 61 satire politique expose le héros in-humain qui est aussi le héros-Diable. Nous allons montrer comment cette situation est rendue à travers l'écriture de Kourouma. 1.1. L'épopée politique : le Héros Sur-humain / le Héros-SauveurSelon le Robert Collège, l'épopée est « un long poème ou récit de style élevé où la légende se mêle à l'histoire pour célébrer un héros ou un grand fait ». Or le « héros », Koyaga, apparaît, dans la première ligne, dans une présentation hyperbolique et martiale, comparé à un dieu, à un surhomme. Dès les premières phrases du roman, le récit est donné immédiatement comme une épopée à la manière d'une « geste » pour présenter un personnage légendaire et mythique : « Votre nom : Koyoga ! Votre totem : faucon ! Vous êtes soldat et président. Vous resterez le président et le plus grand général de la République du Golfe tant qu'Allah ne reprendra pas (que des années encore il nous en préserve !) le souffle qui vous anime. Vous êtes chasseur ! Vous resterez avec Ramsès II et Soundiata l'un des trois plus grands chasseurs de l'humanité. Retenez le nom le nom de Koyoga, le chasseur et président-dictateur de la République du Golfe ». (p. 9). L'identité de Koyaga découvre un héros doté d'une humanité surnaturelle. Est-il surhumain ou in-humain ? Surhumain, oui ! Le récit de la naissance de Koyaga et de ses premières années montre la naissance merveilleuse d'un héros, antithèse du commun des mortels, dans des conditions inhabituelles et paradoxales : « La gestation d'un bébé dure neuf mois
, Une naissance aussi controversée ne fait que préfigurer un destin hors pair pour un homme politique que deviendra Koyaga, le destin du « plus grand tueur de gibiers parmi les 62 chasseurs », qui, dans ses premières années, constituait une source de tourments pour les animaux. L'épopée des prouesses politiques transparaît déjà dans le récit de l'histoire de Koyaga avant ses neuf ans. « Des mouches tsé-tsé partirent des
lointaines brousses et des montagnes et foncèrent sur le
bébé. Par poignées, Koyaga, vous avez écrasé
les glossines dans vos mains. A quatre pattes, vous n'avez laissé vie
sauve à aucun des poussins et margouillats qui picorent dans vos plats
de bébé. Quand vous avez eu cinq, les rats perdirent la
sécurité et la tranquillité dans leurs trous , « Quelle étaient l'humanité, la vérité, la nature de cet enfant ? » s'interroge insidieusement Bingo. Nous découvrons que le héros est d'une nature surhumaine. Le récit du combat qu'il mena contre les monstres qui hantaient les paléos, dans le chapitre 5, confirme Koyaga « le plus féroce tueur de bêtes ». Ainsi Koyaga tua successivement « la panthère qui ne vivait que de la chair humaine », « un buffle noir solitaire, le plus âgé des buffles de l'univers » et qui « constituait pour tous les peuples paléos, tous les hommes de la région, une véritable calamité », et l'éléphant « qui détruisait les récoltes et lâchait sur les plantations des monts de crottes », toujours armé de sa « carabine 350 Remington Magnum ». Nous pouvons considérer également le récit du combat entre Fricassa Santos et Koyaga (pp. 95-101). Cette partie du roman montre les hauts faits magiques de Koyaga qui a pu arriver à bout des pouvoirs zoomorphiques du grand initié Fricassa Santos. Dans l'Afrique postcoloniale, les chefs d'Etat dictateurs et tyrans ont d'abord été accueillis comme des sauveurs venus pour délivrer le Peuple. C'est aussi le cas de Koyaga et des autres dictateurs dont nous parlent Kourouma dans En attendant le vote des bêtes 63 sauvages. En effet, l'épopée politique dans l'oeuvre raconte les exploits du héros sur-humain qui vient comme un libérateur, un sauveur pour le Peuple. Ce héros-Sauveur faisant montre d'une certaine sur-humanité est bon de coeur, généreux, sympathique. Il combat le système existant et arrive à faire un coup d'Etat en éliminant physiquement le Président ou en le chassant du pouvoir. Comme exemples, Koyaga est devenu Président de la République du Golfe en assassinant Fricassa Santos ; Bossouma, l'Empereur du Pays aux Deux Fleuves, arriva au pouvoir en participant à un coup d'Etat contre le régime de son cousin, et en assassinant tous ses propres complices ; le dictateur au totem léopard accède au pouvoir en trahissant Pace Humba, celui-là même qui lui avait attribué le grade de général d'armée. Evidemment, l'arrivée au pouvoir de ces nouveaux dirigeants a donné naissance à de nouveaux espoirs qui se changeront rapidement en désillusions. 1.2. La satire politique : le Héros in-humain / le Héros- DiableLe passage de l'espoir à la désillusion est marqué par la corruption de l'épopée. En fait, l'épopée dans En attendant le vote des bêtes sauvages est hypertrophié et invalidé dès les premières lignes du donsomana, le récit purificatoire. En effet, l'ambiguïté des paroles de Bingo et surtout la franchise de celles de Tiécoura, le cordoua, le bouffon, qui semble d'avance invalider l'éloge, constituent des signes précurseurs de la retractatio satirique du style épique. Dans ce cas, nous sommes en présence d'un héros in-humain ou héros-Diable. Sans humanité, le héros-Diable est barbare, tyrannique, sanguinaire et ses exploits constituent une calamité pour le Peuple. Il s'agit en réalité d'une épopée dégradée d'un nouvel Hercule aux prises avec des glossines, épopée inversée d'un enfant qui très vite ne restreint plus sa chasse aux animaux nuisibles, empêchant au contraire les tourterelles de « jouir du repos ». « Quelles étaient l'humanité, la vérité, la nature de cet enfant ? », demande insidieusement Bingo. Héros In-humain (Diable) Héros Sur-humain (Sauveur) Les désillusions Humain Sympathique Sadique Tendre Cruel Véridique Menteur et fabulateur Généreux Méchant Epopée Satire 64 Schéma 4 : Pic du passage de l'épopée à la satire dans En attendant le vote des bêtes sauvages Le schéma 4 montre le passage de l'épopée à la satire, une représentation littéraire des désillusions politiques postcoloniale dans l'oeuvre. La satire est définie par le Robert Collège comme « un long poème où l'auteur attaque les défauts, les ridicules de ses contemporains ». En effet, par une pseudo-épopée, Kourouma fait une exposition critique des dictateurs africains de la période postcoloniale. En attendant le vote des bêtes sauvages est une oeuvre satirique qui souvent provoque le rire. L'empereur Bossouma est un personnage super drolatique et comique (pp. 237-239). Kourouma dénonce par la voix de Bingo, le très doué griot, le mensonge de l'Histoire, les tromperies de l'épopée qu'il est censé chanter. Cette épopée est dite ironiquement et est 65 tournée en dérision puis transformée en satire. A moins d'être l'héroïsation d'un criminel, en prétendant faire l'éloge de sa gloire militaire, l'épopée, dans En attendant le vote des bêtes sauvages, fait montre de l'illusion du réel, que la satire déconstruit. En effet, Bingo, tout en rapportant l'épopée, la dénonce. En racontant le combat de Koyaga avec les montres qui hantaient les paléos, Bingo commence à suggérer les vraies raisons de son succès : « Toujours armé de votre carabine 350 Remington magnum... » (en début de paragraphe), « le coup de la 350 Remington magnum part pour la troisième fois. » L'allusion se fait plus précise au sujet du caïman : « le héros d'Indochine, le tireur d'élite, par trois fois encore vise et fait feu... ». La fin de ce récit montre que Koyaga est plus un assassin qu'un héros sauveur car il ne s'est pas « contenté (notons le caractère paradoxal de cette formulation) de faire passer de vie à trépas les quatre monstres qui terrorisaient tous les pays paléos »: « Avec votre Remington magnum [...] Vous avez tué, rendu orphelins et veufs un lot d'antilopes, de singes, de sangliers... ». Les termes employés, en humanisant les victimes, présentent ces « exploits » comme des crimes et le héros comme un criminel. Ainsi seront dénoncés la dictature, les conneries, les mensonges, et les crimes de Koyaga et des autres dictateurs. Par cette satire, Kourouma dresse un tableau général de la politique dans l'Afrique postcoloniale. Il dénonce donc le régime policier (p. 302), la terreur milicienne (les Lycaons) et les pratiques violentes (l'émasculation) (pp.98-122), le militarisme (Koyaga est soldat et s'est nommé général ; Bossouma s'est autoproclamé maréchal ; le dictateur au totem léopard est nommé général), les détournements d'argent, moeurs débridées des dirigeants (Koyaga possède une femme dans chaque ethnie pour assurer l'unité de la nation pp. 299-393), le culte de la personnalité, les faux attentats (cinquième veillée) et la propagande généralisée. 66 Si la combinaison de l'épopée et de la satire montre les désillusions politiques marquées par l'arrivée au pouvoir des dictateurs, la conciliation de l'écriture et de l'oralité provoque une déstabilisation sémantique, qui symbolise la déchéance et les instabilités politiques postcoloniales. 2. De la conciliation de l'écriture et de l'oralité à la déstabilisation sémantique/De la coexistence du capitalisme et du communisme aux instabilités politiques.Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, Ahmadou Kourouma opère un métissage linguistique bouleversant entre le français et le malinké, sa langue maternelle, élaborant ainsi un langage d'une originalité particulière. Cette entreprise linguistique déstabilisante est unique. Le roman est en même temps une réflexion sur les deux systèmes de langue (le français et le malinké) et les conditions politiques de la naissance de l'Etat africain postcolonial. De même, l'écrivain s'aventure dans l'écriture de l'oralité, la conciliation de deux esthétiques aux perspectives opposées. Ce commerce singulier avec la tradition orale traduit dans un style débridé les instabilités politiques dans l'Afrique postcoloniale. 2.1. L'écriture de l'oralité et la déstabilisation sémantiqueEn attendant le vote des bêtes sauvages repose sur la mise en abyme et la polyphonie du récit. Aussi l'action se situe-t-elle à deux niveaux : l'histoire de la vie de Koyaga, racontée principalement par Bingo, avec les interventions de Tiécoura, Maclédio et Koyaga lui-même, et le donsomana qui se déroule pendant les veillées et qui constitue ainsi une action orale, dont les protagonistes sont ces quatre personnages, ou plutôt les voix de ces personnages. En effet, l'écriture repose sur l'altérité entre deux systèmes de langue (le malinké et le français) et est affectée par la circulation de la parole entre les personnages. Nous voyons 67 Bingo affronter, par le seul moyen de la parole, les mensonges de la tyrannie. Le donsomana est donc constitué de cette action vocale dont Bingo est le héros, d'une lutte orale dont l'enjeu est la vérité et la liberté. La parole de Bingo se caractérise elle-même par une polyphonie interne : Bingo reprend le discours de la propagande (celle de Maclédio), parfois mot pour mot, et le décape, le déconstruit, le renverse, armé du seul pouvoir de la parole. L'écriture de l'oralité est dès lors mise en évidence par la présence des proverbes au début et à la fin de chaque chapitre, véhiculant une forte charge culturelle malinké ; la structure dialogique du donsomana qui met les personnages en rapport par le prisme de la parole. Cet état de fait s'accompagne d'une déstabilisation sémantique. L'introduction d'un lexique malinké (le sora, le cordoua, le donsomana, les nyamas, le sama, le djadb...) dont le sens échappe au lecteur, et qui nécessite quelques fois un discours métalinguistique, accentue non seulement l'écriture de l'oralité mais donne également le signe d'un déménagement de la langue et des sens. De plus, Il existe des difficultés à nommer de la nomination juste (le nom des personnages et des lieux, par exemples) et de l'articulation des concepts malinké adaptés au français. La déstabilisation sémantique est surtout mise en relief par l'hybridation entre les deux systèmes de langue que sont le français et le malinké, et l'altérité et la conciliation de l'écriture et de l'oralité. Cette subversion des codes constitue l'incarnation formelle des instabilités politiques dans l'Afrique postcoloniale. 2.2. La coexistence du capitalisme et du communisme : les instabilités politiques dans l'Afrique postcolonialeLa politique dans l'Afrique postcoloniale est dominée par la mise en rapport de deux systèmes de politique à savoir le capitalisme et le communisme. De même que dans la structure de l'oeuvre coexistent des codes aux perspectives opposées, nous découvrons dans 68 l'espace politique africain postcolonial ces deux doctrines politiques (capitalisme et communisme) aux idéologies antagonistes. Rappelons que la fresque historique qui se déroule dans En attendant le vote des bêtes sauvages s'étend de la conférence de Berlin à la fin de la Guerre froide. En effet, à la suite de la deuxième guerre mondiale, une vive tension idéologique et politico-économique s'est emparée des pays occidentaux (les États-Unis et l'URSS) dans le courant 1947-89, divisant monde en deux camps. C'est dans ce paysage politique mondial instable et conflictuel que sont apparues les nouvelles nations et l'émergence de jeunes Etats en Afrique. Ces jeunes Républiques africaines appelées à intégrer le concert des nations ont été rapidement phagocytées idéologiquement, soit par les communistes, soit par les capitalistes, quoiqu'elles se revendiquaient des non-alignés. Pour lutter contre l'expansion communiste, les Français et les Américains ont aidé à l'orchestration des coups d'Etat renversant les nationalistes jugés communistes et à l'instauration du parti unique (L'exemple de la France est illustré dans le roman pp. 82-84). Dans le roman, les instabilités politiques sont liées à la confrontation entre le bloc capitaliste et le bloc communiste. Nous proposons ci-dessous un schéma illustratif des relations politico-idéologiques en Afrique lors de la guerre froide selon le roman En attendant le vote des bêtes sauvages. Axe d'influence Axe d'union Axe de neutralité Assassiné Le Capitalisme Les neutres L'homme au totem Fricassa Santos Tiékoroni ou Bossouma ou Le Communisme Koyaga ou L'homme au totem Nkoutigui ou 69 Schéma 5 : Les relations politico-idéologiques en Afrique lors de la Guerre froide selon le roman En attendant le vote des bêtes sauvages L'observation du schéma 5 nous amène à un commentaire immédiat : l'homme au totem chacal est le représentant du capitalisme en Afrique (p. 266) et Nkoutigui ou l'homme au totem lièvre incarne le communisme. Tiékoroni (l'homme au totem caïman), Bossouma (l'homme au totem hyène), l'homme au totem léopard et Koyaga (l'homme au totem faucon) sont alliés à l'homme au totem chacal pour former le bloc capitaliste africain. Fricassa Santos (l'homme au totem hyène) est centriste, partisan du non-alignement. Il va être assassiné car il n'est soutenu par aucune puissance. 70 En définitive, nous osons dire que l'écriture de Kourouma est un véritable miroir magique dans lequel on voit l'Afrique des contrastes culturels, politiques et idéologiques. L'analyse structurale de l'écriture En attendant le vote des bêtes sauvages fait ressortir l'altérité entre épopée et satire, signe des désillusions politiques postcoloniales, et conciliation de l'oralité et de l'écriture, traduisant à la fois une déstabilisation sémantique et reflétant les instabilités politiques dans l'Afrique postcoloniale. La représentation du politique par le champ littéraire peut être également démontrée par l'onomastique et la thématique auxquelles nous allons consacrer le chapitre suivant. 71 CHAPITRE : IIDE L'ONOMASTIQUE A LA THEMATIQUE DANS L'OEUVRE :LES FIGURES DU POUVOIR ET LES FONDEMENTS DE LA
POLITIQUE
|
Chefs d'Etat |
Animal totem |
Signifié |
Incarnation politique du totem |
Koyaga |
Faucon |
Oiseau rapace diurne au bec |
Partisan de la force et de la violence dans le règlement des affaires politiques. Chef redoutable des lycaons et horrible |
Tiékoroni |
Caïman |
Crocodile à museau large et |
Cruel comme un chat rassasié tenant une souris blessée dans les griffes et méchant comme un pou, un pian. Tortionnaire redoutable. (pp.204- 206) |
Bossouma |
Hyène |
Mammifère d'Afrique et d'Asie, se nourrissant surtout de charognes |
Filou, rustre barbare. Empereur honteux, libidineux. Un con, un salaud, un simple d' esprit. il fait boire des urines et manger des excréments à des prisonniers. (pp. 208-225) |
Fricassa Santos |
Boa |
Gros serpent carnassier de l'Amérique du Sud, non venimeux, qui étouffe sa proie dans ses anneaux. |
D'origine sud américaine (le nom Santos porte la charge culturelle du Brésil plus précisément) ; il était différent des autres pères de la nation des républiques africaines francophones. Il a
été |
Nkoutigui Fondio |
Lièvre |
Mammifère rongeur, voisin du lapin, et qui vit en liberté |
Il dit Non à la communauté et préféra la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage. Apparemment, il est sanguinaire, criminel et animiste. (pp. |
Le dictateur de la République du Grand Fleuve |
Léopard |
Panthère d'Afrique. Grand carnassier, au pelage noir ou |
Criminel de la pire espèce, voleur, menteur et courageux, il a plusieurs visages. Il a accédé au pouvoir en |
Le dictateur des Pays des Djebels et du Sable |
Chacal |
Mammifère d'Afrique et d'Asie, rusé et l'apparence d'un |
Moyenâgeux, barbare, cruel, menteur et criminel, il est aussi très méfiant et très méchant. Stratège et rusée, il est chargé de conduire la guerre froide dans les Etats africains. (pp.257-268). |
Tableau : Les
représentations totémiques et les incarnations politiques chefs
d'Etat dans
En attendant le vote des bêtes sauvages
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« Dans le domaine de la magie, écrit l'Abbé Alexis Kagame, le primitif est fermement convaincu que pour agir en vue d'atteindre son but, il faut nécessairement un être d'intelligence ; c'est-à-dire Dieu, l'homme et dans certaines cultures des êtres spirituels intermédiaires, distincts des âmes désincarnées... »67.
L'évocation totémique montre, dans le roman de Kourouma, la nature bestiale des figures politiques qui sont toutes représentées par des animaux sauvages, des rapaces, des animaux de chasse, des carnivores. En effet, à partir d'analogies, chaque personnage a son double dans une bête sauvage, qui est le totem ; leurs destins, leurs comportements et leurs réactions seront identiques. L'incarnation caractérielle de chaque animal totémique explique le comportement politique du dictateur.
La thématique dans En attendant le vote des bêtes sauvages nous aide à déterminer les fondements du pouvoir politique dans l'Afrique postcoloniale. Les thèmes que Kourouma développement dans cette oeuvre nous renseignent, en effet, sur la nature de la politique en Afrique au lendemain des indépendances.
Grâce aux travaux de J-P Weber68 et aux recherches psychocritiques de Charles Mauron69, il est démontré que, l'oeuvre de tout écrivain est le déploiement privilégié d'un seul et unique thème. Le thème fonctionne donc le noyau de l'oeuvre autour duquel s'articule tout un système syntaxique, sémantique ou linguistique. Ainsi le thème est-il l'idée fondatrice de l'oeuvre de l'écrivain, l'idée qui assure son unité. C'est ce que souligne Tomachevski dans un article consacré à la thématique :
67 Abbé Alexis KAGAME, « Le sacré païen, le sacré chrétien » in Aspects de la culture noire, pp. 135-136.
68 Jean-Paul WEBER, Domaines thématiques, Paris, Gallimard, 1964.
69 Charles MAURON, Des métamorphoses obsédantes au mythe personnel, Introduction à la psychocritique, Paris, José Corti, 1970.
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« Au cours du processus artistique, des phrases particulières se combinent entre elles selon leur sens et réalisent une certaine construction dans laquelle elles se trouvent unies par une idée ou un thème commun »70.
Les thèmes dans le roman sont nombreux et divers, mais restent toutefois liés à la représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. Nous pouvons dégager comme thème central de ce roman la dictature. A cela s'ajoutent des thèmes secondaires.
Tout le récit du roman repose sur la représentation de la dictature dans l'Afrique postcoloniale. Ce thème est traité par l'auteur avec un art subtil et aiguisé. Kourouma a entrepris de montrer la naissance de l'Etat africain postcolonial marqué in extenso par le parti unique. En effet, dans « l'Afrique aux mille dictateurs », le parti unique est une règle d'or de politique. Tous les chefs d'Etat, Tiékoroni, Nkoutigui, Bossouma, l'homme au totem léopard, l'homme au totem chacal, sont en même temps des chefs redoutables de parti unique. Dans ces Etats dictatoriaux, toutes les dérives politiques sont possibles.
Kourouma n'a pas manqué de toucher du doigt tous les aspects saillants de la dictature à savoir la violence, la magie et la sorcellerie, la corruption, le militarisme, la terreur milicienne, le culte de la personnalité, la mégalomanie, les détournements de deniers publics...etc.
Les thèmes secondaires sont les grandes idées directement liées au thème central. Nous pouvons distinguer la violence, la sorcellerie et la magie, l'esclavage, la corruption... 2.2.1. La violence
La violence apparaît, dans le roman, comme le dénominateur commun des chefs d'Etat. Ces derniers sont des dictateurs sanguinaires, violents et criminels. Nous pouvons
70 Tomachevski, `'Thématique» in Théorie de la littérature, Paris, Seuil, 1965, p. 263.
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appréhender le thème de la violence sous plusieurs variables : la violence physique, la violence spirituelle et la violence psychologique.
La violence physique est représentée par la torture physique. Tous les chefs d'Etat sont de redoutables tortionnaires. Dans chaque République de « l'Afrique continentale », il existe une prison spécialement construite pour s'occuper des adversaires politiques : le camp Kabako dans la République des Monts ; la prison Saoubas dans la République des Ebènes ; la prison de Nagaragla dans la République du Pays des Deux Fleuves.
La violence spirituelle est incarnée par la pratique de l'émasculation sur les victimes par les dictateurs. Ce rituel fondé sur la violence sert à martyriser l'âme et l'esprit de la victime afin que sa force immanente ne venge pas le mort en s'attaquant à son tueur. Nous avons l'exemple de l'assassinat de Fricassa Santos et du nouveau général Ledjo. Ce dernier montre bien cette souffrance transcendantale :
« Malgré les cris du nouveau général, le maître chasseur l'émascula - un incirconcis doit être émasculé vif- [...] Les tirailleurs, à trois, écartèrent les mâchoires du président du comité. Vous, Koyaga, l'ancien combattant, vous avez enfoncé le pénis et les bourses ensanglantés dans la gorge béante... » (p. 116).
L'émasculation est une oppression transcendantale infligée aux peuples par les dictateurs.
La violence psychologique est une forme de torture qui n'est pas pratiquée directement sur la victime, mais sur des membres de sa famille, en vue de casser son moral. L'homme au totem caïman est réputé dans ce domaine. « Il fut méchant au point d'avoir inventé, comme méthode de torture, la livraison, la soumission de la vieille maman septuagénaire d'un prévenu au viol d'un hideux lépreux libidineux » (p. 205).
Ces formes de pratiques violentes caractérisent le pouvoir politique dans l'Afrique postcoloniale.
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Tous les dictateurs postcoloniaux fondent leur pouvoir sur le maraboutage, le fétichisme, la sorcellerie et la magie.
Le pouvoir de Koyaga repose sur la superstition. C'est sur les pouvoirs du marabout Bokano et de la sorcellerie de sa mère Nadjouma, que se fonde le pouvoir de Koyaga, sur la possession de deux objets magiques : un aérolithe et un vieux coran inventés par Bokano. A l'aide de ces pouvoirs magiques, Koyaga est capable d'ingéniosités zoomorphiques pour aller à bout des difficultés (pp. 69-76). Pour arriver à tuer Fricassa Santos, qui est également un grand initié, un puissant sorcier au totem boa, Koyaga et les siens sont allé consultés un maître vodou.
Nkoutigui Fondio, par des procédés magiques, s'est attribué les forces vitales des soixante et onze détenus, qu'il a fait fusiller, en courtisant la même nuit les soixante et onze veuves éplorées (p. 175).
L'homme au totem léopard a même créé un poste ministériel chargé des Affaires occultes. « Le dictateur ne se déplace jamais sans une valise pleine de fétiches. Chaque marabout augmente la collection de ses porte-bonheur » (p. 246).
Kourouma a profité du temps de la dénonciation de la dictature pour fustiger les pratiques esclavagistes chez les Touareg. En effet, le thème de l'esclavage est traité par Kourouma pour montrer comment les Noirs ont été toujours méprisés et considérés comme une race subalterne. Ainsi, les Touareg désignent par « esclaves » les Noirs car dans la langue touareg, « le même vocable exprime Nègres et esclaves » (p. 153).
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Mais, on peut aussi retrouver le thème de l'esclavage dans une dynamique d'exploitation des peuples. Dans toutes les Républiques de « l'Afrique continentale », les populations sont pillées et outrancièrement exploitées.
« Oui ! Les handicapés portaient et transportaient sur leurs voiturettes les hommes valides. Les aveugles guidaient les voyants, tamisaient la boue, scrutaient l'eau brune, montaient des compartiments pour arrêter la pierre. Les lépreux avec les moignons creusaient, taraudaient la terre pour des bien portants ayant des mains et des doigts... » (p.256).
Ce thème se dessine à travers les faux attentats montés de toutes pièces pour accroitre le prestige de Koyaga. Ainsi, par des séries d'attentats « montés » pour la plupart (la veillée V), seul Koyaga est l'homme miraculé. Il profite donc de ces occasions pour se faire parler de lui de par le monde entier. Ce qui n'a cessé d'étonner les autres dictateurs qui, à la suite de chaque attentat, envoient des émissaires pour s'assurer de la réalité, de la vérité de l'attentat. Car on connait bien « tout ce qu'un dictateur africain sait monter pour escroquer » (p. 276). Chaque fois qu'il échappe à un prétendu attentat, Koyaga est accueilli comme un ressuscité, un miraculé pourquoi pas un immortel.
Le culte de la personnalité s'est fait sur fond de propagande généralisée. La conséquence en est que Koyaga bénéficiera de plusieurs distinctions honorifiques (p. 332). 2.2.5. Le régime policier
Sous les régimes dictatoriaux, les mouvements des populations sont surveillés scrupuleusement. Il n'existe donc pas une libre circulation des personnes et des biens.
« Il est difficile, sous la férule de Koyaga, au citoyen de pousser un soupir, murmurer un demi-mot siffler un air en privé, même chez soi, sans que le Président en soit informé. Très difficile de sortir le soir, changer d'habit, boire et manger avec des amis [...] Il y a la police, les services de renseignements de l'armée, de la Présidence. Ils ont les moyens que leur confèrent les dictateurs et opèrent avec la méthode particulière dont ils usent chez tous les pères de la nation africains. » (p. 302).
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Les dictateurs mettent sur pieds une milice redoutable et terrible qui terrorise permanemment les populations. Koyaga dispose d'un groupe terrible : les lycaons.
« Les lycaons encore appelés chiens sauvages sont les fauves les plus méchants et féroces de la terre, si féroces et méchants qu'après le partage d'une victime chaque lycaon se retire loin des autres dans un fourré pour se lécher soigneusement, faire disparaître de la pelure la moindre trace de sang » (p. 95).
Ces lycaons sont d'effroyables émasculateurs qui ont soutenu indéfectiblement le régime sanguinaire de Koyaga.
Les dictateurs africains sont pour la plupart des militaires. Koyaga est soldat et s'est nommé général. Bossouma, l'homme au poitrail caparaçonné de décorations, est maréchal. L'homme au totem léopard était sous-officier dans la Force publique avant de devenir chef d'état-major du pays le plus vaste de l'Afrique centrale.
Les dictateurs africains postcoloniaux aiment les femmes, les boissons, bref vivent dans une mondanité burlesque. Koyaga, par exemple, possède une femme dans chaque ethnie pour assurer l'unité du pays (pp. 299-303). Les femmes du président sont comblées de biens matériels et ses anciennes maîtresses « ont facilement accès à des crédits bancaires ». Elles deviennent des « mamies Benz [...] Ces riches commerçante plantureuse circulant sur les banquettes arrière des grosses Mercedes Benz ».
Quant à Bossouma, c'est un désordonné sexuel, un libidineux fougueux et « soudard ». Il célèbre chaque année trente mariages (p. 209), et il lui arrive souvent d'oublier la célébration de certains de ses mariages (p. 239).
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Le détournement d'argent est le propre des dictateurs africains postcoloniaux, qui sont initiés à lutter contre « la fâcheuse inclination en début de carrière à séparer la caisse de l'Etat de sa caisse personnelle » (p. 194). Ainsi, les ressources du Trésor sont dépensées pour entretenir le parti unique et pour alimenter « les caisses privées du président du parti et chef suprême de l'Etat et des armées ».
L'homme au totem léopard est l'un des hommes les plus riches de l'univers alors que son « pays n'a ni routes, ni hôpitaux, ni téléphones, ni avions, ni..., ni... ».
En conclusion, nous avons pu, par les analyses onomastiques et thématiques, révéler respectivement les figures du pouvoir et les fondements de la politique dans l'Afrique postcoloniale. Nous constatons in fine que Kourouma n'a fait que mettre en scène des dictateurs africains post coloniaux comme Gnassingbé Eyadéma du Togo, Sékou Touré de la Guinée (Conakry), Félix Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Bokassa de la Centrafrique, Mobutu Sessé Séko du Zaïre et le roi Hassan II du Maroc. Nous savons aussi par la thématique, que la politique dans cette « Afrique aux mille dictateurs » est fondée sur la violence, la magie et la sorcellerie, l'esclavage ou l'exploitation du peuple, le terreur milicienne, le militarisme, le culte de la personnalité sur fond de mensonge, le régime policier, le détournement d'argent, la corruption des moeurs...etc.
Par ailleurs, l'étude des personnages peut aussi nous aider à comprendre que le roman de Kourouma est bien une représentation de la politique. C'est à cela que nous allons consacrer ce dernier chapitre de la deuxième partie de notre mémoire.
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Nous découvrons dans le roman une fresque actantielle qui apparaît comme un système. Si un personnage est toujours reconnaissable par des éléments inducteurs qui l'identifient même s'il est anonyme, les personnages de Kourouma sont caractérisés par leurs comportements politiques. Ce sont des personnages qui sont soit des chefs d'Etat, soit des proches de chef d'Etat. Nous distinguons trois catégories de personnages dans le roman : le héros (le personnage central), les personnages principaux (ceux qui sont présents lors des veillées) et les personnages secondaires (ceux qui sont absents aux veillées et dont on a raconté le donsomana).
Koyaga est le personnage central de En attendant le vote des bêtes sauvages. Il est un personnage à plusieurs variables, soldat, président, grand général, maître chasseur. Il est totem faucon, partisan de la force et de la violence dans le règlement des affaires politiques, et chef redoutable des lycaons. Il est un horrible émasculateur.
Il apparaît dans l'incipit du roman comme un homme légendaire, comparé à Ramsès II et à Soundiata l'un des trois plus grands chasseurs de l'humanité. Soutenu par les puissances occidentales, conseillé par ses pairs africains et protégé par les sortilèges de sa mère et de son marabout, Koyaga, président de la République du Golfe, instaure un régime fondé sur l'arbitraire et la démesure. Au bout de trente ans de règne, surpris par un mouvement de révolte d'une violence inédite et le lâchage de ses parrains capitalistes à la fin de l'ère de la bipolarisation, il ne lui reste qu'à recourir aux ressorts de la parole traditionnelle pour
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restaurer son autorité. Une dernière fois, Koyaga, affabulateur assermenté, tente de retourner la situation et fait croire à sa disparition. Mais il est trop tard : lorsqu'il réapparaît, c'est dans un paysage désolé, ruiné par les soulèvements. Nadjouma et Bokano ont disparu, le Coran et la météorite avec eux. Ce n'est que grâce à un donsomana que Koyaga parviendra, peut-être, à les retrouver. Il retrouvera le pouvoir, aidé en cela par le suffrage universel, notamment celui des bêtes sauvages.
Koyaga est un personnage étrange, d'un destin particulier. Mais il n'est rien sans sa mère et son marabout. Ces deniers sont la source de son pouvoir, qu'il a acquis dans le sang, en perpétrant un coup d'Etat et en massacrant les membres du comité insurrectionnel.
Cette vedette d'En attendant le vote des bêtes sauvages n'est réellement que le prototype des dictateurs africains postcoloniaux. Koyaga est un homme politique nul, voleur, menteur, criminel et sorcier. Son long règne digne d'un chef de parti unique, s'est soldé par un échec alarmant. Le chef de l'Etat ne s'intéresse qu'aux litiges anodins de paysans, qu'il s'applique à résoudre, à savoir les vols de poulets, de femmes, les lancements de mauvais sorts (p. 283). C'est « aussi un gros coureur de femmes d'autrui, les femmes des citoyens ». Koyaga incarne tous les vices des chefs d'Etat africains postcoloniaux et pères de la nation. Même si Kourouma l'a laissé au pouvoir, Koyaga n'avait plus le pouvoir.
Ce sont les personnages présents aux veillées. Il s'agit de Bingo, de Tiécoura, de Maclédio et des sept chasseurs. Nous allons les analyser chacun.
Bingo est un griot exceptionnel. Il est un sora : « un aède qui dit les exploits des chasseurs, le griot musicien de la confrérie des chasseurs » (p. 9). Sa parole est un
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démantèlement de l'obscurantisme dictatorial et des mensonges de l'histoire. Il s'applique génialement à briser la langue de bois de Maclédio et de Koyaga.
Bingo raconte le donsomana de Koyaga, de ses proches et des autres dictateurs avec une maîtrise et une assurance étonnantes. On sait qu'il est un griot, mais ici son pouvoir de connaissance est infaillible. C'est alors le griot omniscient qui peut dévoiler les mensonges de tout un système politique avec autant de perspicacité et d'éloquence. Bingo incarne la puissance de la parole et de l'esprit sur la force des armes. L'action de Bingo symbolise une lutte acharnée pour la liberté d'expression et le rétablissement de la vérité (la justice).
Bingo, c'est aussi le porte-parole des sans voix et des opprimés. Par la parole de Bingo, Kourouma entreprend de réviser l'Histoire et de confronter à l'obscurantisme dictatorial la liberté d'opinion.
La geste de Koyaga a été composée par l'un des quatre personnages qui s'expriment au cours des six veillées, le propagandiste Maclédio. Aussi est-il intéressant de consacrer un exposé à ce personnage, à la vie duquel toute la troisième veillée est consacrée.
En effet, le personnage de Maclédio est caractérisé par sa passivité. Porteur d'un « funeste nõrô », il va chercher toute sa vie son homme de destin, qui doit être porteur du nõrô contraire (« heureux nõrô ») qui « annihile la damnation ». Ainsi, Maclédio apparaît comme un personnage veule, servile et lâche, aimant vivre en parasite. Ancien esclave des Touareg, il devient le Ministre de l'orientation de Nkoutigui, le dictateur du Pays des Monts (p. 165), et l'acolyte incontournable de Koyaga. Il appartient au premier cercle du dictateur, avec sa mère, Nadjouma, et le marabout Bokano (p. 272). Il est le cache-sexe d'un régime qui repose sur le mensonge et la superstition :
« Maclédio est devenu votre pou à vous, Koyaga, perpétuellement collé à vous. Il reste votre caleçon oeuvrant partout où vous êtes pour cacher vos parties honteuses. Cacher votre honte et votre déshonneur. » (p. 123)
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Manipulateur et beau parleur, il justifie lors des veillées les actes de Koyaga en se mettant aux antipodes de Tiécoura. Son action consiste à défendre servilement Koyaga pour qui il est devenu comme « un pou ».
Maclédio est le prototype des collaborateurs politiques veules qui ont soutenu les aberrations des chefs d'Etat africains postcoloniaux. Ils ont contribué à instituer les partis uniques et ont caché les stupidités politiques de leurs « hommes de destin ». Ils ne disent jamais la vérité aux dictateurs dont ils ne font que louanger les crimes, les saloperies, les conneries, les assassinats....
Dans le dispositif de la veillée, Tiécoura est à la droite de Bingo comme Maclédio est à la droite de Koyaga dont il est le répondeur. Le propagandiste et le cordoua, le bouffon, s'opposent comme le mensonge et la vérité. L'antithèse des discours qu'ils adressent l'un après l'autre à Koyaga à la page 315, est très significative :
« Koyaga, vous avez des défauts, de gros défauts. Vous fûtes, vous êtes autoritaire comme un fauve, menteur comme un écho, brutal comme une foudre, assassin comme un lycaon [...] Vous êtes...Vous êtes...Enumère le répondeur Cordoua...
-Koyaga, vous avez de grandes qualités, de très grandes qualités, de très grandes. Vous êtes généreux comme le fondement de la chèvre, bon fils comme une racine, réveille-toi comme un coq, fidèle en amitié comme les doigts de la main. Vous êtes...Vous êtes...Répond Maclédio... »
Ainsi voyons-nous que Tiécoura est tout le contraire de Maclédio. Il est implacable à l'égard de Koyaga dont il dénonce avec véhémence les actes. Ses paroles adressées à Koyaga sont pour la plupart des injures. Pour lui, la lumière doit être faite sur les actes de Koyaga et la Vérité doit être rétablie. Tiécoura est le prototype d'un juge implacable, qui ne lésine pas sur la Justice. Intransigeant et intrépide, il est à coté de Bingo, le sora, pour dire la vérité à Koyaga (p. 10).
Le donsomana de Koyaga et des autres dictateurs est raconté devant la confrérie des
chasseurs, représentée au cours des veillées par les sept maîtres chasseurs. Ces derniers sont
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les destinataires fictifs du donsomana. Ils constituent en effet une cour de justice où les crimes politiques de Koyaga et des autres dictateurs de « l'Afrique liberticide » sont dénoncés et condamnés.
Ce sont les personnages absents aux veillées et que nous connaissons par le truchement de leur donsomana raconté par Bingo. Il s'agit de Fricassa Santos, de la mère et du marabout de Koyaga, et des cinq autres dictateurs.
Fricassa Santos est totem boa. Il est de ce point de vue, un homme « inoffensif » et « innocent » car il « était différent, très différent des autres pères de la nation et de l'indépendance des républiques africaines francophones. » (p. 84). Il ne fut pas un ancien combattant comme Koyaga et ses confrères dictateurs, ces « mercenaires qui avaient passé toute leur vie de soldats de fortune à guerroyer contre la liberté des peuples colonisés » (p. 78). Chef d'Etat de la République du Golfe indépendante, il s'est opposé à l'intégration des anciens combattants paléos dans la jeune armée nationale. En effet, il a accédé au pouvoir par la voie des urnes, et « n'était pas un père de la nation et de l'indépendance inventé et fabriqué par la France et par le général de Gaulle » (p. 81). En pleine guerre froide, Fricassa Santos a choisi le camp des Non-alignés. Ce qui va lui coûter la vie car il n'est soutenu par aucune puissance mondiale. De plus, il est un homme politique naïf, qui n'a pas su voir le mal venir de loin. A l'approche du danger, il ne prit pas des mesures idoines pour se défendre en renforçant sa sécurité, mais fit confiance en ses propres forces magiques (p.91). Fricassa Santos incarne bien les nationalistes assassinés ou renversés du pouvoir par les anciens combattants soutenus par les puissances occidentales pour réduire de nouveau l'Afrique au néocolonialisme.
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Nadjouma, la mère de Koyaga et Bokano, son marabout, ont joué un grand rôle dans le destin extraordinaire du dictateur. L'histoire de Koyaga est indissociable de celle de ces deux personnages dont les forces magiques constituent le socle du régime du dictateur.
Nadjouma est une femme-homme. Championne de lutte, elle est belle, courageuse. Elle est la représentation d'une reine mère qui règne au travers de son fils. « Tant qu'elle vivra, le monde restera à votre portée... » assura, Bingo à Koyaga (p. 40). Effectivement, Koyaga trouve toujours la solution à ses importants soucis après avoir passé des moments dans la chambre de sa mère. Car « Nadjouma est la racine qui pompe la sève qui nourrit le régime du maître chasseur Koyaga » (p.297). C'est une femme surnaturelle dont « les cris de douleurs qu'elle poussa quand elle était en gésine continuent encore de hanter les cimes des montagnes... » (p. 24). Précisons qu'elle est une sorcière qui sera exorcisée et désensorcelée par les méthodes particulières et infaillibles du marabout Bokano : les gifles et la flagellation.
Quant à Bokano, disons que c'est un marabout superstitieux et esclavagiste. Il est un charlatan qui exploite les talibets venus étudier auprès de lui. « Les talibets disciples libérés de la sujétion du minimum de cinq prières journalières disposaient de tout leur temps pour besogner. » au profit de Bokano. Aux cotés du dictateur Koyaga, ce marabout joue un rôle de premier plan : il soutient son régime dictatorial par des pouvoirs magiques fondés notamment sur un aérolithe et un vieux coran. Kourouma a fait du personnage de Bokano une illustration parfaite des proches parents des dictateurs africains postcoloniaux. En effet, ces derniers, les proches parents, constituent la classe des plus riches du pays. La concupiscence de Bokano particulièrement, se confirme dans le chapitre 20, spécialement à travers de fulgurantes asyndètes (p. 298) : « Et aussi des maîtresses dans toutes ces villes [Paris, New York, Bruxelles]. Il va deux fois par an à la Mecque pour le hadj et le umra. ».
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Dans l'Afrique postcoloniale, les marabouts et les sorciers ont joué un rôle important dans la destinée des dictateurs. Dans le roman, il n'y a pas un seul dictateur qui n'ait pas son marabout personnel, considéré souvent comme un ministre d'Etat.
Nkoutigui Fondio est tout le contraire de Tiékoroni, idéologiquement bien entendu ! Car, il est aussi criminel et sanguinaire qu'on ne le croie. Téméraire et audacieux, il est l'unique chef d'Etat de l'Afrique francophone à dire Non à la Communauté française proposée par De Gaulle. En cela, il est d'abord apparu comme un sauveur. « Il préféra pour la République des Monts la pauvreté dans la liberté à l'opulence dans la soumission » (p.164). Quelle soumission rejetait-il puisque lui-même réduira son peuple à l'esclavage de la dictature? L'homme au totem lièvre comme on le nomme encore est un loup vêtu de peau d'agneau pour se glisser imprévisiblement dans la bergerie. Chez ce dictateur déguisé en bon démocrate, « la vérité et le mensonge ne sont jamais loin l'un de l'autre et rarement la vérité triomphe » (p. 169). Il s'est fait entourer de marabouts-féticheurs qui lui appliquaient quotidiennement des pratiques traditionnelles africaines notamment le maraboutage, les sacrifices et les gris-gris. Criminel de la pire espèce, il « fit fusiller les soixante et onze codétenus de Maclédio », à qui il a infligé des séries de tortures dans la « cabine technique » où les prisonniers politiques subissent « la flagellation, la brûlure à petit feu des plantes des pieds, les arrachements des ongles et autres épreuves comme celle de l'eau et de l'électricité. Sans faiblir...Sans parler... » (p.168). Machiavélique, Nkoutigui Fondio courtise toujours les veuves de ses victimes pour s'attribuer les forces vitales de ces dernières. Il incarne bien la dictature de « l'impérialisme rouge », du communisme.
Il est le premier dictateur visité par Koyaga au cours de son voyage initiatique. Dans « l'Afrique aux mille dictateurs », il se fait appeler affectueusement « le vieux ». Maître de la
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République des Ébènes, il est totem caïman. Auprès de lui, le novice dictateur, Koyaga, a beaucoup appris sur « la périlleuse science de la dictature » (p.183). En effet, le dictateur au totem caïman, lui a révélé les « méchantes bêtes » qui menacent au sommet de l'Etat et en tête d'un parti unique. Tiékoroni est un grand voleur de biens publics, un menteur assermenté. Il conseille à Koyaga de ne jamais séparer la caisse de l'Etat et sa caisse personnelle, de n'instituer aucune distinction entre le mensonge et la vérité. Criminel et cruel, l'homme au totem caïman est sans pitié envers ses adversaires politiques, qu'il considère comme des ennemis à abattre à tout prix (p.200). Il a volé, volé l'argent du peuple au point qu'à la fin de sa vie, il a été pris de kleptomanie.
Tiékoroni, « le petit vieillard », a paru devant les yeux de la communauté internationale comme « le Sage de l'Afrique », un dictateur généreux car « il adopta les enfants de tous les chefs d'Etat africains assassinés ou renversés pris en charge leurs veuves et maîtresses. » (p. 204).
C'est un personnage burlesque, prototype des chefs d'Etat postcoloniaux ignares. Il est drolatique. Filou, rustre, barbare, empereur honteux, libidineux. Un con, un salaud, un simple d'esprit et surtout un criminel. Il fait boire des urines et manger des excréments à des prisonniers politiques. (pp. 208-225). Il incarne parfaitement le chef d'Etat africain postcolonial totalitariste, despotique et tyrannique. Bossouma, c'est-à-dire le charognard, est aussi l'image du chef d'Etat clownesque dont tous les actes poussent irrésistiblement au rire. On se demande comment un chef d'Etat peut être aussi brut devant des jeunes filles : « Impossible de se retenir, de résister à leur provocation, à leur appel. L'homme au totem hyène se lance dans le cercle de danse ; jerke, swingue, et twiste. [...] En direct devant toutes les télévisions du monde... » (p. 238).
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Bossouma est le prototype des dirigeants « bêtes sauvages », qui ont poussé leurs aberrations et bouffonneries politiques jusqu'au comble du cynisme. Monarque et redoutable ennemi de la démocratie, il s'est autoproclamé « Empereur », un président à vie.
L'homme au totem léopard apparaît dans l'oeuvre comme l'opposé de Boussouma. Pour lui, ce dernier fait la honte des Africains et « ses conneries font du tort à la fonction de chef d'Etat africain » (p. 240). Cependant, Kourouma nous fait savoir que ce personnage n'est guère mieux : « L'homme au totem léopard était un potentat. De la criminelle espèce, de la pire ». Il a accédé au pouvoir en trahissant le nationaliste Pace Humba, celui-là même qui l'avait nommé au grade de général d'armée. Sans programme de gouvernement, ses ministres comme ceux des autres dictateurs d'ailleurs, ont des postes sans portefeuille précis (ministre de la Propagande et de l'Orientation nationale, Conseiller chargé des affaires occultes, par exemple). A la tête de la République du Grand Fleuve, l'homme au totem léopard incarne l'échec et le fiasco politiques. L'argent du peuple sert à payer les marabouts, les féticheurs et les sorciers. Même un Conseiller des Affaires occultes gèrent les marabouts qui entourent le dictateur et lui enfilent des bagues et autres bracelets.
L'échec politico-économique dans la République du Grand fleuve, est criard et alarmant :
« Le pays n'a ni routes, ni hôpitaux, ni téléphones, ni avions, ni..., ni..., Les médecins ne soignent plus faute de médicaments et parce qu'ils ont de nombreux mois d'arriérés. Les jeunes ne dansent plus, baisent plus parce que tout le pays est infecté de sida » (p. 252).
Malgré tous ces problèmes socio-économiques qui accablent son peuple, le dictateur au totem léopard est l'un des hommes les plus riches de l'univers. Ce paradoxe est un cas général dans l'Afrique postcoloniale où tous les dicteurs ont cumulé des décennies de pouvoir avec un bilan négatif, totalement catastrophique.
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L'homme au totem chacal est le dictateur des Pays des Djebels et du Sable. Il a été le dernier dictateur de « l'Afrique liberticide » à être visité par Koyaga. C'est un stratège fin, à qui les occidentaux ont confié la charge de mater les rebellions qui se présentaient en Afrique, pendant la guerre froide. Il ne diffère des autres dictateurs qu'au niveau de l'âge : « Le dictateur au totem chacal était aussi moyenâgeux, barbare, cruel, menteur et criminel que tous les autres pères de la nation africains de la guerre froide... » (p. 257). Il a oeuvré pour baliser le terrain au néocolonialisme en réduisant toutes rébellions nationalistes et en contribuant au maintien du pouvoir des dictateurs sanguinaires, « des bêtes sauvages ».
Les personnages dans le roman sont des hommes politiques, chefs d'Etat, des ministres, de hauts fonctionnaires. Toutes leurs actions sont éminemment politiques. Ils entretiennent entre eux des rapports selon les fonctions qu'ils jouent dans l'oeuvre. Nous allons analyser les relations actantielles dans l'oeuvre, lesquelles relations donnent l'image des coalitions, des tractations, des alliances politiques.
Les personnages ou actants sont aussi caractérisés par leur fonction (ce qu'ils font). Nous distinguons six fonctions principales : le sujet ou le héros ; l'objet ; l'adjuvant ; l'opposant ; le destinateur et le destinataire.
Le destinateur commande l'action du sujet et peut être le sujet lui-même ; le sujet ou le héros part à la quête d'un objet, qui représente le but de l'action, ou tente une entreprise ; il est animé d'un désir ou d'une volonté qui est à l'origine de l'action ; l'adjuvant apporte une aide ou un secours au sujet dans sa quête de l'objet ; l'opposant ou l'adversaire constitue un
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obstacle pour la réussite du sujet ; le destinataire ou le bénéficiaire profite de l'action du sujet et peut le sujet lui-même.
Nous proposons ci-dessous le schéma actantiel dans En attendant le vote des bêtes sauvages.
LE DESTINATAIRE
LE DESTINATEUR
LES OPPOSANTS
-Koyaga -Koyaga
-Nadjouma
-Bokano
Le pouvoir -Maclédio
-les capitalistes
Koyaga
-Nadjouma -Fricassa Santos
-Bokano -Tima
-Maclédio -Ledjo
-Le cercle des dictateurs -Les scolarisés
-Le bloc capitaliste -La perte du coran
-(Bingo, Tiécoura et de l'aérolithe
et les sept maîtres chasseurs) -(Bingo, Tiécoura
et les sept maîtres chasseurs)
-Nadjouma
-Bokano
LE SUJET
L'OBJET
LES ADJUVANTS
Schéma 6 : Schéma actantiel dans En attendant le vote des bêtes sauvages
Le sujet, Koyaga, va à la quête du pouvoir (objet) dont lui-même, Nadjouma, Bokano, Maclédio et le bloc capitaliste en sont bénéficiaires (les destinataires) ; il est motivé par son propre désir, Nadjouma, sa mère, et Bokano son marabout (les destinateurs) ; il est aidé par sa mère, son marabout, Maclédio, le cercle des dictateurs et le bloc capitaliste ; Fricassa Santos, Tima, Ledjo, et plus tard les jeunes scolarisés et la perte des objets magiques, le vieux coran et l'aérolithe, constituent une force antagoniste au projet de Koyaga .
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Bingo, Tiécoura et les sept maîtres chasseurs jouent la double fonction contradictoire d'adjuvants et d'opposants. En effet, ces personnages sont appelés à aider Koyaga, en lui faisant le rituel purificatoire, le donsomana, pour que ce dernier retrouve ses pouvoirs magiques. De ce point de vue, ils sont pour le sujet des adjuvants. Par contre, nous avons vu que le donsomana a en même temps permis de dénoncer les actes criminels et sanguinaires du sujet pour la réussite de son projet. Dans ce cas, ils sont considérés comme des opposants.
En étudiant comment à travers le récit épique, Kourouma présente d'abord les prouesses politiques avant de les tourner en dérision par l'ironisation des bouffonneries des personnages, et comment il présente les instabilités politiques à travers la déstabilisation sémantique par la conciliation de l'écriture et de l'oralité, nous osons dire que le roman, En attendant le vote des bêtes, est une représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. L'onomastique, la thématique et l'étude des personnages nous ont été aussi utiles pour mieux mettre en évidence les réalités politiques. Si pour Madame de Staël, la littérature est la peinture de la société, En attendant le vote des bêtes est à bien des égards une représentation de la société africaine, de la conférence de Berlin à la fin de la guerre froide. Il montre, comme un miroir que l'on promène, la naissance de l'Etat africain postcolonial et les aberrations des nouveaux dirigeants venus au pouvoir par des coups d'Etat. L'Etat africain postcolonial est fondé sur la violence, la sorcellerie et la magie, le détournement d'argent, le militarisme, en un mot, il s'agit de puissants régimes dictatoriaux.
Or, Kourouma ne saurait décrire la politique sans produire une écriture politique, c'est-à-dire une écriture politisée et idéologique. Cette troisième et dernière partie de notre mémoire sera consacrée à montrer dans quelle mesure nous sommes autorisés à parler d'écriture politique chez Ahmadou Kourouma.
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Il ne s'agira pas pour nous de montrer les idées politiques ou des « contenus politiques », mais notre travail, dans cette troisième et dernière partie de notre mémoire, consistera à contribuer à répondre à un certain nombre de questions sur « comment le roman africain postcolonial fait-il de la politique en tant que littérature ? ». Quel est la dimension politique de l'oeuvre, En attendant le vote des bêtes sauvages ? Notre champ de travail s'intéresse, enfin, à une réflexion sur ce qu'on pourrait appeler « le roman politique postcolonial » ou « les écritures politiques postcoloniales ».
L'aspect politique des romans de Kourouma s'appréhende à travers des spécificités qui montrent l'appropriation de la langue française. Cela est le signe de l'indépendance culturelle et de l'affirmation d'une nouvelle identité politique.
L'oeuvre de Kourouma, quand elle fait une dénonciation ab irato de la dictature dans l'Afrique postcoloniale, traduit l'aspiration profonde de l'auteur à la Démocratie.
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L'écriture de la politique passe nécessairement par une écriture politique, c'est-à-dire « une écriture alors chargée de joindre d'un seul trait la réalité des actes et l'idéalité des fins »71. En effet, la littérature, en pensant ou en analysant le champ de la politique, forme une écriture singulière des situations historiques, une identité singulière de l'écriture ou une écriture singulière de l'identité.
L'écriture politique de Kourouma s'identifie d'abord par la défense et l'illustration de l'art oral à travers lequel s'expriment l'identité culturelle africaine et l'appropriation du français. L'appropriation de la langue française chez Kourouma est fondée sur des malinkismes sur fond de violence et de transgression pour aboutir à la (re)création du roman négro-africain.
La politique doit être perçue avant tout comme le rapport de la parole et de l'action. L'art oratoire fonde donc l'art d'organiser la cité. Si l'écriture est un acte éminemment politique, une écriture de l'oralité est une action politique, par nature.
L'action politique d'Ahmadou Kourouma consiste en la dénonciation, par le prisme de la parole et de l'écriture, du pouvoir dictatorial d'après les indépendances. En effet, En attendant le vote des bêtes sauvages, qui est un roman de la parole mise en scène, enferme un de ces dictateurs sanguinaires de l'Afrique liberticide, Koyaga, dans son histoire. Amputé de ses attributs protecteurs, le dictateur au totem faucon tourne en rond dans la geste de ses
71 Roland BARTHES, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Edition du Seuil, 1953, p. 22.
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actions. La circularité de la parole, de nature cyclique et palingénésique, fonde l'art sans égale de Bingo. Le roman suscite par ce jeu circulaire les renvois entre un commencement et une fin, sur le dévoilement des parts d'ombre et de sang, communes à toutes les dictatures. A ce propos, Madeleine Borgomano constate que dans En attendant le vote des bêtes sauvages, il s'agit d'une « histoire qui avance en reculant, qui progresse sans évoluer » : la récitation de la geste « commence parce que l'histoire finit et où l'histoire finit »72. Si le chant des chasseurs, le donsomana, a lieu, c'est parce que Koyaga a besoin d'un rite purificatoire à la suite de la disparition de sa mère et de son marabout, détenteurs de son identité politique et de ses pouvoirs magiques. L'enfermement du discours en spirale de Bingo, est le signe que Koyaga se trouve dans un engrenage politique fatidique qui semble durer jusqu'à ce que « les bêtes sauvages votent ?». C'est aussi la manifestation littéraire de l'effacement du pouvoir politique des dictateurs africains postcoloniaux, dont les pratiques dictatoriales ont été les fossoyeurs mêmes de leurs régimes, et de l'éclatement des partis uniques au profit du pluralisme politique, textualisé à travers la polyphonie et la pluralité de voix et de consciences autonomes.
Ainsi, par le pouvoir de la parole, le très doué griot, Bingo, renverse et déconstruit le pouvoir politique de Koyaga. La verve de Bingo, cette action orale, dévoile une construction en spirale du pouvoir politique des dictateurs africains postcoloniaux, dont l'origine contient aussi la fin.
Nous constatons que l'action politique de Kourouma, est menée immanquablement par Bingo. Ce dernier affronte, au moyen de la parole politique, les mensonges de la tyrannie et les violences de la dictature. De cette action vocale que constitue le donsomana, Bingo s'y est fait le héros d'une lutte orale dont l'enjeu est la vérité, la liberté et la justice. La parole de
72 Madeleine BORGOMANO, Des Hommes ou des bêtes ?, Paris, L'Harmattan, 2000, p.30.
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Bingo se caractérise elle-même par une puissance catalytique, qui reprend le discours de propagande (celle de Maclédio), le casse, le déconstruit, le renverse, armé de sa seule ironie.
En définitive, l'écriture de l'oralité chez Kourouma, est une affirmation de la puissance de la parole, capable de faire triompher la vérité et la justice et jeter bas la tyrannie ; c'est aussi un acte de foi en la supériorité de l'esprit et de l'art oratoire sur l'usage de la force. La parole politique de Kourouma vise essentiellement à purifier les hommes politiques d'Afrique de l'oppression de la dictature et du mensonge politique. L'action politique de Kourouma s'exprime également par l'appropriation de la langue française.
Les romans de Kourouma se caractérisent par un certain nombre de spécificités qui montrent l'appropriation de la langue française.
« Sur le plan de la création littéraire, l'appropriation renvoie à l'idée selon laquelle l'écrivain africain peut écrire dans une indifférence totale par rapport à l'institution littéraire de l'ancienne puissance colonisatrice, c'est-à-dire dans une langue qui, même sienne, est avant tout celle de son ancien maître »73.
En attendant le vote des bêtes sauvages en est une illustration parfaite. L'appropriation du français par Kourouma passe par des malinkismes sur fond de violence et de transgression pour déboucher sur la réinvention du roman négro-africain.
Dans l'écriture de Kourouma, nous retrouvons des stéréotypes linguistiques à surcharge culturelle africaine, et plus précisément malinké. Ce romancier, iconoclaste et révolutionnaire, affirme malinkiser le français, parce qu'il ne lui permet pas de dire sa réalité :
73 David NGAMASSU, « Dynamisme du français dans les littératures francophones : perspective comparative », in Synergies Afrique Centrale et l'Ouest, n°2 - 2007, pp.71- 94.
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« Qu'avais-je fait ? Simplement donné libre cours à mon tempérament en distordant une langue classique trop rigide pour que ma pensée s'y émeuve. J'ai donc traduit le malinké en français en cassant le français pour trouver et restituer le rythme africain. »74
Si Kourouma mélange le français et le malinké, qui font l'originalité de sa langue hybride, c'est parce que ces malinkismes constituent l'essentiel de son dialecte idiosyncrasique75.
Effectivement, nous retrouvons dans le roman quelques exemples qui permettent d'illustrer ces malinkismes révolutionnaires. L'auteur donne à certaines formes verbales des sens qu'elles n'ont pas dans le français standard ; on note chez lui un emploi particulier de certains verbes : les verbes transitifs entrent dans des constructions intransitives et les verbes intransitifs sont construits comme s'ils étaient transitifs. Cela advient dans les énoncés, où les verbes « sacrifier », « poignarder » et « égorger » entrent dans des constructions intransitives alors qu'ils sont transitifs : « Les partisans de Koyaga [...] réprimèrent la manifestation en tirant dans la foule, en poignardant et égorgeant » (p. 112) ; « Des chasseurs tuaient des sacrifices » (p. 70).
D'après Jacques Chevrier, ces constructions verbales, divergent fréquemment par rapport à l'usage admis, mais en réalité, elles répondent « à un double souci d'expressivité et de concision dans la mesure où [...] Kourouma fait fréquemment l'économie des mots outils qui, tout en rendant la phrase plus explicite, risquent parfois de l'alourdir »76.
Dans le roman, certaines images et métaphores employées, pour être comprises par le lecteur, doivent être replacées dans leur contexte malinké : « demander la route » (p.214) ; « danser le deuil des crânes » (p. 138) ; « le perceur de la brousse » (p. 323).
74 Ahmadou KOUROUMA, in L'Afrique littéraire, n°10, 1970.
75 Le dialecte idiosyncrasique de l'écrivain est une langue intermédiaire, soumis à un perpétuel processus de construction-reconstruction ; il renvoie aux négligences grammaticales et aux violations de la norme et du bon usage, la transgression de la norme standard.
76 Jacques CHEVRIER, « Une écriture nouvelle » in Notre librairie n°60, 1981, p.72.
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La malinkisation du français provoque des sentiments d'insécurité linguistique, qui sont susceptibles de naître à la lecture de Kourouma. En effet, parce que le donsomana est une pratique orale dans la tradition malinké, Kourouma, dans son appropriation du français, invente un discours métalinguistique ancré dans le Malinké. Ainsi, il est constaté que Kourouma se voit obligé d'expliquer certains termes ou certaines expressions à l'intérieur du texte dans le roman :
« Le récit purificatoire est appelé en malinké un donsomana. C'est une geste. Il est dit par un sora accompagné par un répondeur cordoua. Un cordoua est un initié en phase purificatoire, en phase cathartique ».
(p. 10) ;
« Ils déboutonnent le Président, l'émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents. C'est l'émasculation rituelle. Toute vie humaine porte une force immanente. Une force immanente qui venge le mort en s'attaquant à son tueur. Le tueur peut neutraliser la force immanente en émasculant la victime » (p. 100).
Ces explications de termes ou d'expressions sont des manifestations des malinkismes (l'introduction du malinké dans l'écriture du français) et de l'insécurité linguistique, qui constituent en réalité une transgression des normes métropolitaines. Cette transgression est bien l'expression d'une libération et l'affirmation d'une liberté à l'égard des anciens maîtres. Pour Kourouma, la libération linguistique et conséquemment culturelle, préfigure l'identité politique africaine. C'est pourquoi le fait de malinkiser le français, est une action politique, au sens second du terme, pour aboutir à une identité politique et culturelle typiquement africaine. Par l'appropriation de la langue française, Kourouma, non seulement défend la tradition orale et la culture africaine, qu'il illustre, mais encore ouvre une nouvelle voie de lecture du roman négro-africain.
Par l'activité d'appropriation du français, Kourouma redynamise le roman négro-africain. Les transgressions des forteresses linguistiques et grammaticales métropolitaines, constituent pour le lecteur négro-africain un facteur dynamique d'appropriation du français.
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Sur le plan de la (re)création littéraire, le dynamisme du français est perçu à travers une problématique diachronique. Pour Albert Vladman,
« le dynamisme du processus [morphologique d'une langue est] reflété par le nombre de vocables nouveaux créés et l'absence de restrictions morphologiques ou sémantiques dans son application aux diverses catégories lexicales de la langue »77.
Or, les écrivains africains à l'instar d'Ahmadou Kourouma ne se contente plus de l'imitation servile du modèle littéraire que leur propose ou impose la France. Si Kourouma choisit de ne plus respecter la norme standard, son refus est d'une portée politique : c'est l'affirmation de l'indépendance politique que fonde une nouvelle identité culturelle.
Kourouma, par ses malinkismes, a su inventer une langue nouvelle, originale, hybride ; une « mélangue », ainsi que s'est exprimé à ce propos le linguiste Jean-Louis Joubert, pour désigner l'interpénétration de deux langues78.
La réinvention de la création romanesque dans l'espace francophone, passe par une étape transitoire faite de transgressions, de violences, de distanciation, de conciliation et d'altérité entre les deux systèmes de langue et de culture (langue africaine-langue française/ culture africaine-culture française).
Enfin, l'écriture de l'oralité et l'appropriation de la langue française, sont pour Ahmadou Kourouma une manière de mener l'action politique pour la libération de l'Afrique, et pour la valorisation et l'illustration de la tradition africaine. Le roman de Kourouma, est donc politique. Il est également à la fois une dénonciation acerbe de la dictature et une aspiration profonde à la Démocratie.
77 Albert VLADMAN, Le créole, structure, statut et origine, Paris, Klincksieck, 1978, p. 144.
78 Jean-Philipe WATBLED commente largement l'usage de ce mot dans la préface à A l'angle de malang, roman publié par Jean-Louis JOUBERT aux Editions Grand Océan, Saint-Denis, 2004.
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En attendant le vote des bêtes sauvages est une oeuvre hautement politique dans la mesure où cette oeuvre, en (re)présentant les dérives dictatoriales des chefs d'Etat africains postcoloniaux, propose, dans le même temps, un nouveau système politique, la Démocratie, symbolisé dans l'oeuvre par les phénomènes de l'altérité et de l'hybridité.
En effet, c'est un procès ouvert que Kourouma fait de la dictature et du néocolonialisme, dont il anéantit le discours embrigadant et liberticide, pour ouvrir la voie du dialogue et de l'alternance démocratique.
Kourouma dénonce à travers une incisive ironie les barbaries perpétrées par les régimes dictatoriaux fondés sur des partis uniques. Le roman de Kourouma est une image figurative du procès de la dictature dans cette « Afrique aux mille dictateurs ». En effet, le personnage central du roman, Koyaga, le prototype des chefs d'Etat dictateurs, semble comparaître devant le tribunal des maîtres chasseurs, où sont dénoncés ses saloperies, ses conneries, ses mensonges, ses nombreux crimes et assassinats. En attendant le vote des bêtes sauvages, entre l'encre et le sang, c'est-à-dire, l'écriture et la politique, est moins un simple donsomana, récit purificatoire, qu'un avant goût du Jugement dernier, celui du peuple ou celui de Dieu ; c'est plus nettement une condamnation de la dictature et une dénonciation du néocolonialisme.
Dans le roman, on constate que la plupart des présidents dictateurs ont accédé au pouvoir par la voie de la force, les coups d'Etat, bravant et invalidant toutes dispositions
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constitutionnelles. Ils ont imposé aux peuples un régime draconien, avec des principes fondés sur la violence. En lisant le roman, fait d'un réalisme étonnant, on a guère de peine à revivre le despotisme, l'autocratie et la dictature des chefs d'Etat comme Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Mobutu, Bokassa, Hassan II et Gnassingbé Eyadéma. Comi M. Toulabor ne dit pas autre chose dans son point de vue sur le roman, publié dans Politique africaine n°75-octobre 1999 :
« Le roman En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma est une saga politique de l'Afrique contemporaine qui met en scène le président togolais Étienne Gnassingbé Eyadéma à travers la figure du héros principal Koyaga, le président ivoirien Houphouët-Boigny affublé du surnom Tiékoroni, l'empereur Bokassa alias Bossouma, le président guinéen Sékou Touré incarné par Nkoutigui, le président zaïrois Mobutu sous les traits de l'Homme au totem léopard, sans oublier Maclédio, l'âme funeste de Koyaga, l'alter ego de Théodore Laclé, ancien ministre de l'Intérieur d'Eyadéma... Pour n'en retenir que les personnages les plus marquants. Avec la complicité et la bénédiction de forces occultes ou divines, ceux-ci ont investi le pouvoir politique et s'y maintiennent par la violence, le sang et la terreur : pillages, tueries, sacrifices humains, mensonges hyperboliques, etc. »
Nul ne dira autre chose. Mais il faut ajouter que Kourouma a, en réalité, entrepris d'éclairer la réalité de la scène politique togolaise. Comi Toulabor finit son point de vue en donnant cette précision : « La force de Kourouma dans son roman est d'avoir réussi un clonage presque parfait de la vie politique togolaise ». Ajoutons que l'oeuvre consiste également en une dénonciation du néocolonialisme.
En décrivant comment les pays occidentaux ont transformé le continent en un champ de bataille idéologique et politique au cours de la guerre froide, et comment ils ont soutenu les régimes dictatoriaux, Kourouma s'insurge en fait contre le néocolonialisme, cette nouvelle façon de piller, de voler et réduire au sous-développement les malheureux et misérables peuples africains. L'Afrique doit restée méfiante de toutes accointances politico-économiques serviles avec l'Europe.
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C'est pourquoi d'ailleurs René Dumont écrivait que :
« L'unité africaine aiderait les pays du continent à manifester un neutralisme économique vis-à-vis du bloc européen, et qu'un rattachement trop étroit et trop exclusif à ce bloc serait alors satellisation que pourrait légitimement qualifier de néocolonialisme »79.
Car « dès le premier jour, les Européens ont plié à l'esclavage les Africains, justifiant leurs actes par le droit du plus fort... pour y ouvrir des débouchés à leur commerce »80. Il n'est plus admissible que l'Afrique se laisse spolier de toutes ses richesses, par la complicité de chefs d'Etat soudards, cons, salauds, et simples d'esprit (p. 240) qui accèdent à la magistrature suprême par les armes, par la violation des constitutions et d'autres manoeuvres machiavéliques et antidémocratiques. Aussi Kourouma propose-t-il l'alternance démocratique à travers l'altérité dans l'oeuvre.
Le concept de l'altérité est perçu généralement comme la considération habituelle de l'Autre. Le genre littéraire approprié pour réaliser l'absorption d'autres esthétiques, est le roman. Kourouma s'est servi de cette « souplesse absorbante »81 du roman pour créer un mélange générique qui s'identifie immédiatement aux principes esthétiques de la Démocratie.
Dans le roman de Kourouma, il existe un système générique où mêlent hybridation entre épopée et fiction, conciliation entre oralité et écriture, bref il y a dans l'oeuvre une inclusion ou une union des divers types de discours. Le récit est tantôt épique (les exploits guerriers de Koyaga), satirique (la dénonciation des dictateurs et de leurs actes), tantôt romanesque. On y note également deux systèmes de langue (le français et le malinké) qui sont conciliés.
79 René DUMONT, L'Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962, p. 125.
80 Le général Meynier cité par René Dumont, L'Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962, p. 25.
81 Jean-Jacques Séwanou DABLA, Nouvelles écritures africaines, romanciers de la seconde génération, Paris, Harmattan, 1986, p.244.
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Ce phénomène d'altérité dans l'entité du roman en général et de celui de Kourouma en particulier, montre une esthétique démocratique. Or la démocratie s'appuie sur le principe que l'autorité appelée à régir la vie collective repose sur l'ensemble des individus composant la collectivité, « gouvernement du peuple par le peuple » selon la définition Abraham Lincoln, la Démocratie permet la participation de tous, les gouvernants et les gouvernés, à la gestion des affaires publiques.
En fait, le roman est né à la fin du 18 siècle, à la même époque que la démocratie qui signifie essentiellement prise du pouvoir par le peuple et renouvellement du suffrage, c'est-à-dire changement périodique continuel. Ainsi, le roman de Kourouma se veut une oeuvre qui aspire à la Démocratie. L'oeuvre prône l'acceptation mutuelle en politique et propose aux hommes politiques africains le dialogue démocratique.
Par le choix du donsomana, un genre polyphonique, Kourouma affirme la nécessité de la pluralité des idées. Aux antipodes des partis uniques qui ont poussé comme des champignons en Afrique après les indépendances, le récit purificatoire de Koyaga est fait dans un discours dialogique. Le dialogisme discursif est perçu d'entrée de jeu par le truchement de la précision du dispositif de la cérémonie : au centre du cercle formé par les sept plus prestigieux maîtres chasseurs, se font face Bingo, avec Tiécoura à sa droite, et Koyaga, avec Maclédio à sa droite. Nous avons précédemment vu en quoi sont opposés Tiécoura et Maclédio. Il en est de même pour Bingo et Koyaga.
En effet, ces personnages s'affrontent dans un dur combat dont l'unique arme est la parole, les idées et l'esprit. Le griot Bingo déconstruit la parole propagandiste de Maclédio, armé de l'art oratoire et non d'une « carabine 350 Remington magnum ». Ce qui prévaut, c'est la force de l'esprit plutôt que l'esprit de la force.
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Dans l'Afrique postcoloniale, les partis uniques ont servi à produire un discours politique de clôture, adynamique et monoptique (d'une perspective unique). Ce système dictatorial est dénoncé par Ahmadou Kourouma qui propose un pluralisme politique vrai, caractérisé par le dialogue démocratique.
Le dialogue suppose la transcendance des particularités individuelles et apparaît comme une forme de manifestation du discours en mutation et, par là, comme un facteur du sujet en voie de transformation.
Francis Jacques estime à ce propos que
« le dialogisme implique un dépassement des particularités individuelles qui est sans précédent dans la tradition philosophique. En effet, tant qu'on nourrit une conception non-dialogique du dialogue, on recommande à la subjectivité individuelle de s'ouvrir à autrui afin d'émerger de sa particularité. [...] La dialogicité requiert une véritable conversion à l'interpersonnel. »82.
Le dialogue démocratique permet donc une ouverture interpersonnelle, idéologique et politique. Il se fonde sur une conception dialogique du dialogue qui autorise des divergences de points de vue. Kourouma, à travers son roman, propose, pour tout dire, le dialogue, le pluralisme politique, l'altérité politico-culturelle (la coexistence de diverses conceptions politiques et culturelles, qui acceptent pacifiquement de s'imbriquer les unes dans les autres) en Afrique. En attendant le vote des bêtes sauvages, au carrefour de la traversée des cultures, est bien ce que Edouard Glissant appelle « l'aventure du multilinguisme et [...] l'éclatement des cultures ».
À partir de son choix de l'écriture, Kourouma propose également la liberté du vote démocratique.
82 F. JACQUES, Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, Paris, P.U.F., 1979 ; L'espace logique de l'interlocution, Paris., P.U.F., 1985 ; Différence et subjectivité, Paris, Aubier, 1982.
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Si le choix suppose la liberté et que l'écriture est « le choix de l'aire sociale au sein de laquelle l'écrivain décide de situer la nature de son langage », Ahmadou Kourouma exprime
sa liberté à travers ce roman. Evelyne Lavergne écrit ceci par rapport au choix scripturaire de Kourouma:
« Il (Kourouma) s'est retrouvé aux prises avec une langue qu'il lui fallait plier à la réalité africaine ; et, la puissance de cet écrivain est telle qu'il a fait éclater tous les cadres : ceux de la raison logicienne, de la syntaxe, du vocabulaire, au profit d'une langue vivante, parlée, taillée à sa mesure, à la mesure d'un Malinké sans complexes qui ose, laissant libre cours à son tempérament, user de la langue française en Africain. Le résultat n'est pas seulement éblouissant, il est surtout fascinant tant l'écriture s'accorde aux thèmes, les enrichissant par là même, leur donnant une efficacité nouvelle »83.
Pour Roland Barthes, l'écrivain exprime sa liberté à travers son écriture qui reste à tout point de vue le lieu de prédilection de l'affirmation de sa responsabilité d'écrivain, de son engament. Kourouma a choisi de repenser la littérature négro-africaine, en menaçant la langue française pour aboutir à la définition d'une responsabilité, sa responsabilité d'écrivain.
Tout le roman de Kourouma consiste en un démantèlement de l'obscurantisme politique, du discours unidirectionnel et monarchique des dictateurs africains postcoloniaux. L'auteur condamne les coups d'Etat, intempestifs dans l'Afrique postcoloniale, et appelle à des élections libres. Seule cette voie démocratique, peut donner des régimes légitimes, justes et démocratiques, et conduire les peuples africains à engager un processus de développement sûr, viable et durable. Car aucun développement ne saurait être possible sans l'alternance démocratique. « A cette condition, comme l'a remarqué René Dumont, des élections `'libres»
83 Evelyne LAVERGNE, «Indépendances et métamorphoses du roman africain » in Ethiopiques numéro 20, Revue socialiste de culture négro-africaine, Octobre 1979.
pourront avoir une certaine valeur et permettre d'esquisser et de discuter des projets de société »84
Kourouma est parvenu à produire une écriture politique, politisée, en faisant la représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. D'abord, son action politique se manifeste à travers la défense et l'illustration de l'identité culturelle africaine (écriture de l'oralité), et à travers l'appropriation de la langue française, donnée comme une libération linguistique et politique. Ainsi, Kourouma réinvente-t-il le roman négro-africain par des audaces linguistiques (la malinkisation et l'insécurité linguistique). L'action politique de Kourouma s'est amplifiée par le procès de la dictature et l'aspiration à la Démocratie. En effet, Kourouma s'est exercé à condamner la dictature, à dénoncer le néocolonialisme tout en proposant l'alternance et le dialogue démocratiques.
Eu égard à tout cela, nous estimons que le roman de Kourouma est une oeuvre politique, c'est-à-dire une littérature qui fait de la politique en tant que littérature. Ce type d'oeuvre subtilement politisée, que nous pouvons appeler « roman politique africain postcolonial » propose une analyse littéraire du politique. Il s'agit là d'un genre nouveau dont Kourouma est à bien des égards l'inventeur, un genre dont l'étude conduit à l'appréhension de la dimension littéraro-politique des écritures postcoloniales.
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84 René DUMONT, Démocratie pour l'Afrique, Paris, Seuil, Février 1991, p. 250.
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Le champ de recherche `' littérature et politique» n'est évidemment pas neuf dans les études littéraires africaines et francophones, littérature et politique étant en relation étroite depuis les débuts lointains de la littérature négro-africaine. « La littérature est un outil privilégié pour l'analyse politique des violences africaines de par son obsession des formes »85 écrit Xavier Garnier dans un article intitulé `' Les formes « dures » du récit : enjeux d'un combat», article dans lequel il fait comprendre que « La littérature africaine serait en charpie, éventrée par les bégaiements violents de l'Histoire »86. La production littéraire africaine de la période postcoloniale est le témoin des aberrations des régimes totalitaires postcoloniaux, des guerres civiles et des désillusions politiques provoquées par le néocolonialisme.
Ainsi, littérature et politique s'intègre dans une vaste section concernant non seulement les rapports entre littérature et politique mais surtout la dimension politique de la littérature. Si selon Jacques Rancière « L'animal politique moderne est d'abord un animal littéraire »87 et que « L'homme est un animal politique parce qu'il est un animal littéraire, qui se laisse détourner de sa destination `'naturelle» par le pouvoir des mots »88, la création littéraire, comme toute forme d'art, est par évidence une activité sociale qui ne s'isole pas de l'environnement politique. La représentation de l'environnement politique dans les romans africains postcoloniaux pose la problématique de la politicité et de la politisation de l'écriture. La première partie de notre étude a porté sur les définitions d'écriture et de politique.
85 Xavier GARNIER, « Les formes `'dures» du récit : enjeux d'un combat » in Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, « Penser la violence », n° 148, juillet-septembre 2002, p.54.
86 Ibid., op.cit.
87 Jacques, RANCIERE, La Mésentente, Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995, p.61.
88 Ibid., Le partage du sensible, Esthétique et Politique, Paris, La Fabrique, 2000, p.63.
112
En effet, toute écriture est foncièrement politique, c'est-à-dire naturellement liée à la société, reflétant la réalité organique même de cette dernière, un peu comme son esprit ; d'ailleurs, il est facile de lire l'Histoire de la société dans l'histoire des Signes de la Littérature. Barthes ne dit pas autre chose à ce propos : « il n'est pas nécessaire de recourir à un déterminisme direct pour sentir l'Histoire présente dans un destin des écritures ».89
L'écriture est par nature un produit historique au travers duquel s'identifie la liberté et la responsabilité de l'écrivain. Ainsi l'écriture en soi est l'expression d'un acte politique mais elle peut également devenir une action politique. Particulière et complexe, l'écriture kouroumalienne présente les caractéristiques des écritures postcoloniales dont les formes nouvelles traduisent clairement le fond. On y rencontre une problématique énonciatoire axée sur la polyphonie discursive, le dialogisme, et un `'Je» au pluriel. Il s'agit d'une écriture violente où mêlent transgressions, conciliations ou altérité générique et linguistique. De cet engagement formel, Kourouma arrive à l'engagement politique. En effet, le roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, est fondamentalement une oeuvre idéologique (l'idéologie de la forme) et politique, c'est-à-dire une oeuvre qui fait la peinture de la cité des hommes. Ce faisant, l'oeuvre de Kourouma est une représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. C'est à cela que nous avons consacré la seconde partie de notre travail.
En étudiant comment à travers le récit épique, Kourouma présente d'abord les prouesses politiques avant de les tourner en dérision par l'ironisation des bouffonneries des personnages, et comment il présente les instabilités politiques à travers la déstabilisation sémantique par la conciliation de l'écriture et de l'oralité, nous osons dire que le roman, En attendant le vote des bêtes, est une représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. L'onomastique, la thématique et l'étude des personnages nous ont été aussi utiles pour mieux
89 Roland BARTHES, op. cit., p. 9-10.
113
mettre en évidence les réalités politiques. Si pour Madame de Staël, la littérature est la peinture de la société, En attendant le vote des bêtes est à bien des égards une représentation de l'histoire de la société africaine, de la conférence de Berlin à la fin de la guerre froide. Il montre, comme un miroir que l'on promène, la naissance de l'Etat africain postcolonial et les aberrations des nouveaux dirigeants venus au pouvoir par des coups d'Etat. L'Etat africain postcolonial est fondé sur la violence, la sorcellerie et la magie, le détournement d'argent, le militarisme, en un mot, il s'agit de puissants régimes dictatoriaux.
Or, Kourouma ne saurait décrire la politique sans produire une écriture politique, c'est-à-dire une écriture politisée et idéologique. C'est ce qui a fait l'objet de la troisième et dernière partie de notre mémoire.
Nous avons vu que Kourouma est parvenu à produire une écriture politique, politisée, en faisant la représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale. D'abord, son action politique se manifeste à travers la défense et l'illustration de l'identité culturelle africaine (écriture de l'oralité), et à travers l'appropriation de la langue française, donnée comme une libération linguistique et politique. Aussi Kourouma réinvente-t-il le roman négro-africain par des audaces linguistiques (la malinkisation et l'insécurité linguistique). L'action politique de Kourouma s'est amplifiée par le procès de la dictature et l'aspiration à la Démocratie. En effet, Kourouma s'est exercé à condamner la dictature, à dénoncer le néocolonialisme tout en proposant l'alternance et le dialogue démocratiques.
Eu égard à tout cela, nous estimons que le roman de Kourouma est une oeuvre politique, c'est-à-dire une littérature qui fait de la politique en tant que littérature. Ce type d'oeuvre subtilement politisée, que nous pouvons appeler « roman politique africain postcolonial » propose une analyse littéraire du politique. Il s'agit là d'un genre nouveau dont Kourouma est à bien des égards l'inventeur, un genre dont l'étude conduit à l'appréhension de la dimension littéraro-politique des écritures postcoloniales.
114
Pour des recherches futures, nous estimons que les littératures africaines et francophones constituent un terrain d'observation par excellence pour l'étude de la relation entre littérature et politique. C'est parce que les littératures africaines et francophones sont fondamentalement marquées par l'histoire de la politique, dès leur naissance. Quand nous pensons à tous les débats autour de la Négritude (Orphée noir de Jean-Paul Sartre), il s'agit à l'évidence d'un terrain très politique : affrontement autour de la question coloniale, question de la critique de l'européocentrisme, problème des dictatures postcoloniales.
Pour finir, nous osons conclure que l'étude du thème : « Ecriture et Politique dans En attendant le vote des bêtes sauvages » nous a permis de réaliser, que ce roman est une évocation réaliste du régime Eyadéma, et une mise en scène des liturgies politiques de l'Etat postcolonial. Qu'il s'agisse de Koyaga ou d'Eyadéma - peu importe la précision désormais-les cauris sont jetés : le jour a triomphé de la nuit. L'espoir reste permis. Comme le promet ce proverbe qui ferme le roman:
« Au bout de la patience, il y a le ciel.
La nuit dure longtemps, mais le jour finit par arriver ».
115
Kourouma, Ahmadou, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998.
AUTRES OUVRAGES DE L'AUTEUR
Romans
Les soleils des indépendances, Université de Montréal, Canada, 1968, Paris, Seuil, 1970. Monnè, outrages et défis, Paris, Seuil, 1990.
Allah n'est pas obligé, Paris, Seuil, 2000.
Pièces de théâtre
Le diseur de vérité, Paris, Acoria, 1998.
OUVRAGES SUR AHMADOU KOUROUMA
BORGOMANO, Madeleine, Ahmadou Kourouma. Le « guerrier » griot. L'Harmattan, Paris, 1998.
BORGOMANO, Madeleine, Des Hommes ou des bêtes ?, Paris, L'Harmattan, 2000. CHEVRIER, Jacques, Ahmadou Kourouma, interprète de l'histoire Interculturel, Francophonies, 2000.
DERIVE, Jean et DUMESTRE, Gérard, Des hommes et des bêtes. Chants de chasseurs mandingues, Paris, Classiques africains, 1999.
ARTICLES SUR KOUROUMA
BORGOMANO, Madeleine, Écrire, c'est répondre à un défi, in Notre Librairie n°155-156. MONGO-MBOUSSA, Boniface, « Ahmadou Kourouma : engagement et distanciation », in Notre Librairie n°155-156.
CHEVRIER, Jacques, « L'image du chasseur dans la prose africaine contemporaine », in La chasse traditionnelle en Afrique de l'Ouest (Actes du colloque international de Bamako, 2627-28 janvier 2001).
OUVRAGES THEORIQUES
BARTHES, Roland, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953.
BARTHES, Roland, Critique et vérité, Paris, Seuil, 1968.
GENETTE, Gérard, « Introduction à l'architexte », Collectif, Théorie des genres, Paris, Seuil,
1986.
116
GENETTE, Gérard, Figures I, Paris, Seuil, 1966.
GENETTE, Gérard, Figures II, Paris, Seuil, 1969.
GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1978.
GENETTE, Gérard, Palimpsestes, la littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982.
BISANSWA, Justin, Le corps au carrefour de l'intertextualité et de la rhétorique. Études françaises, 2005.
RANCIERE, Jacques, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
RANCIERE, Jacques, La Mésentente. Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995. KAZ-TANI, Nora-Alexandra, Roman africain de langue française- Au carrefour de l'écrit et de l'oral (Afrique noire et Maghreb), Paris, L'Harmattan, 1995.
RIFFATERRE, Michaël, Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971. KRISTEVA, Julia, Séméiôtikè, Paris, Seuil, 1969.
REVUES
Notre librairie, Revue des littératures du Sud, Sexualité et écriture, n° 151 juillet-septembre 2003.
Notre librairie, Revue des littératures du Sud, 1250 nouveaux titres de littérature d'Afrique noire 1997-2001, n° 147 janvier-mars 2002.
Notre librairie, Revue des littératures du Sud, Penser la violence, n° 148 juillet-septembre 2002.
Notre librairie, Revue des littératures du Sud, Identités littéraires, n° 155-156 juillet-décembre 2004.
Synergies Afrique Centrale et de l'Ouest, Appropriation de la langue française dans les littératures francophones de la l'Afrique subsaharienne, du Maghreb et de l'Océan indien, Extraits des actes des journées scientifiques de Dakar 23-25 mars 2006, n° 2/Année 2007.
DICTIONNAIRES
GREIMAS et COURTES, Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris,
Hachette Université, 1979, Tome I.
Dictionnaire le Robert Collège, Inc., Montréal, Canada, 1997.
ROBERT, Paul Dictionnaire Alphabétique et analogique de langue française, Paris, 1990.
117
DUCROT, Osvald et TODOROV, Tzvetan, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1972.
MEMOIRES ET THESES
GBETO, Kossi Souley, Les nouvelles écritures africaines, l'expérience de Sony Labou Tansi, thèse de doctorat (N/R), option Lettres Modernes, Université de Lomé, mars 2007. KADJANKABALO, Adjaté, Le pittoresque dans « En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma », Mémoire de Maîtrise ès Lettres Modernes, UL, février 2008.
OUVRAGES GENERAUX
THEVENOT, Jacques, « L'onomastique » in L'Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, 1961.
MBOCK, Charly Gabriel, Comprendre ville cruelle d'Eza Boto, Paris, Editions Saint-Paul, Les classiques africains, 1981.
KAGAME, Abbé Alexis, « Le sacré païen, le sacré chrétien » in Aspects de la culture noire. WEBER, Jean-Paul, Domaines thématiques, Gallimard, Paris, 1964.
MAURON, Charles, Des métamorphoses obsédantes au mythe personnel, Introduction à la psychocritique, Paris, José Corti, 1970.
VLADMAN, Albert, Le créole, structure, statut et origine, Paris, Klincksieck, 1978. DUMONT, René, L'Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.
DABLA, Jean-Jacques Séwanou, Nouvelles écritures africaines, romanciers de la seconde génération, Paris, Harmattan, 1986.
LAVERGNE, Evelyne, «Indépendances et métamorphoses du roman africain » in Ethiopiques numéro 20, Revue socialiste de culture négro-africaine, Octobre 1979. DUMONT, René, Démocratie pour l'Afrique, Paris, Seuil, Février 1991.
OSMAN, Gusine Gawdat, L'Afrique dans l'univers poétique de Léopold Sédar SENGHOR, (Les Nouvelles Editions Africaines), Dakar-Abidjan-Lomé, 1978.
DUBOIS, Jean, L'institution de la Littérature, Bruxelles, Edition Labor Nathan, 1929.
118
Pages
DEDICACE .i
REMERCIEMENTS .ii
AVANT-PROPOS .iii
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE: DEFINITION DES CONCEPTS: ECRITURE ET
POLITIQUE .7
CHAPITRE I: QU'EST-CE QUE L'ECRITURE 9
1. L'écriture dans la théorie barthésienne : la politicité de
l'écriture 10
1.1. Le produit de l'Histoire ..11
1.2. La transgression de langue ..12
1.3. La liberté de l'écrivain 13
1.4. L'essence politique de l'écriture 13
2. L'écriture institutionnelle ou la politisation de l'écriture ...14
2.1. L'écriture bourgeoise ....15
2.1.1. L'écriture de la classe dirigeante .16
2.1.2. L'écriture de culture classique ..16
2.2. L'écriture de Négritude 17
2.2.1. La Négritude: une écriture de race et de classe 17
2.2.2. Qu'est-ce que la Négritude ? 18
2.2.2.1. Selon Senghor: la Négritude est une culture et un programme
d'action 18
2.2.2.2. Une écriture programme politique et culturel 18
2.2.3. Césaire ou le cri violent de la Négritude 20
2.3. De la politisation de l'écriture à l'engagement politique de l'écrivain ..21
LE VOTE DES BETES SAUVAGES 23
1. La problématique énonciatoire ou le brouillage de la source énonciative 24
1.1. Les types de narrateurs et les niveaux narratifs .24
119
1.2. Le pluriel du "Je" narratif et le dialogisme discursif
28 |
|
2. La violence de l'écriture et l'écriture de la violence |
30 |
2.1. La violence de l'écriture |
31 |
2.2. L'écriture de la violence |
..33 |
3. L'obscénité ou le sexe décrit |
.35 |
4. La (dé) construction diégétique |
.36 |
4.1. La mise en abîme |
.36 |
4.2. La réduplication |
37 |
4.3. La métaphore et la figuration |
.38 |
5. La subversion des codes: de l'intertextualité à l'architextualité en passant par
l'hypertextualité |
38 |
|||
5.1. L'intertextualité . |
39 |
|||
5.2. L'hypertextualité: la révision de l'histoire |
39 |
|||
5.3. L'architextualité: l'hybridation générique |
40 |
|||
|
|
|
||
42 |
||||
CHAPITRE III: LE CONCEPT DE POLITIQUE DANS L'AFRIQUE POSTCOLONIALE |
43 |
|||
1. Qu'est-ce que la politique? |
43 |
|||
1.1. Définition étymologique |
43 |
|||
1.2. Autres définitions |
44 |
|||
1.3. Distinction entre la politique et le politique |
..44 |
|||
2. L'idée de politique africaine postcoloniale dans l'oeuvre |
..45 |
|||
3. L'écriture de Kourouma: une écriture idéologique et politique |
48 |
|||
3.1. Le culte de la forme ou l'idéologie de l'engagement formel |
.48 |
|||
3.2. De l'engagement formel à l'engagement politique |
.49 |
|||
Conclusion partielle . |
.51 |
DEUXIEME PARTIE: LES REPRESENTATIONS DE LA POLITIQUE DANS
L'OEUVRE .52
CHAPITRE I : DU RECIT EPIQUE
AU ROMAN SATIRIQUE; DE LA CONCILIATION LE CONCEPT DE
POLITIQUE DANS L'AFRIQUE POSTCOLONIALE .54
1. Du récit épique au roman satirique: les désillusions politiques 54
1.1. L'épopée politique: le héros sur-humain / le héros Sauveur 55
1.2. La satire politique: le héros in-humain/le héros Diable 57
2. de la conciliation de l'écriture et de l'oralité à la déstabilisation sémantique/
120
De la coexistence du capitalisme et du communisme aux instabilités politiques .60
2.1. L'écriture de l'oralité et la déstabilisation sémantique 60
2.2. La coexistence du capitalisme et du communisme: les instabilités
politiques dans l'Afrique postcoloniale 61
CHAPITRE II : DE L'ONOMASTIQUE A LA THEMATIQUE DANS L'OEUVRE: LES FIGURES DU POUVOIR ET LES FONDEMENTS DU POUVOIR POLITIQUE DANS L'AFRIQUE POSTCOLONIALE...65
1. L'onomastique dans l'oeuvre: un jeu de cache-cache sur les figures du
|
|
l'Afrique postcoloniale |
71 |
2.1. Le thème central: la dictature |
72 |
2.2. Les thèmes secondaires |
72 |
2.2.1. La violence |
.72 |
2.2.2. La magie et la sorcellerie |
..74 |
2.3.1. L'esclavage |
74 |
2.3.3. Le culte de la personnalité |
...75 |
2.3.4. Le régime policier |
.75 |
2.3.5. La terreur milicienne |
76 |
2.3.6. Le militarisme |
76 |
2.3.7. La corruption des moeurs |
.76 |
2.3.8. Le détournement d'argent |
77 |
CHAPITRE III: LES PERSONNAGES DANS L'OEUVRE : DE VERITABLES ACTEURS POLITIQUES....78
1. Le héros: Koyaga ou le faucon de la dictature 78 2. Les personnages principaux ..79 2.1. Bingo ou l'expression de la liberté politique et de la vérité |
||
historique |
79 |
|
2.2. Maclédio, l'avocat du diable |
...80 |
|
2.3. Tiécoura: l'anti-Macledio |
81 |
|
2.4. Les sept maîtres chasseurs |
81 |
|
3. Les personnages secondaires |
82 |
121
3.1. Fricassa Santos ou la démocratie avortée
82 |
|
3.2. Nadjouma et Bokano |
.83 |
3.3. Nkoutigui ou le communisme tyrannique |
84 |
3.4. Tiékoroni dit "le vieux" |
.84 |
3.5. Bossouma, le président à vie |
..85 |
3.6. L'homme au totem léopard |
86 |
3.7. L'homme au totem chacal |
.87 |
4. Les relations actantielles dans le roman |
..87 |
Conclusion partielle 89
TROISIEME PARTIE DE L'ECRITURE DE LA POLITIQUE A L'ECRITURE POLITQUE CHAPITRE I: DEFENSE DE L'ORALITE: AFFIRMATION ET EXPRESSION IDENTITAIRE |
....90 DANS .92 |
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L'ECRITURE DE KOUROUMA |
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.....94 |
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1.1. La malinkisation du français et l'insécurité linguistique |
.94 |
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1.2. La (re)création du roman du roman négro-africain |
96 |
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CHAPITRE II: LE PROCES DE LA DICTAURE ET L'ASPIRATION A LA DEMOCRATIE |
98 |
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100 |
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2.1. Mélange générique et esthétique démocratique |
..100 |
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2.2. Discours dialogique et dialogue démocratique |
101 |
|||
2.3. Le choix de l'écriture et le vote démocratique |
103 |
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Conclusion partielle |
..104 |
CONCLUSION GENERALE 106
BIBLIOGRAPHIE ..109