B) Réalités sociales et contraintes
La création des Rencontres a permis de mettre au jour
une production artistique au grand public. Cependant, cette émulation
autour des producteurs et des oeuvres en Occident n'est pas perçue de la
même manière en Afrique, pour plusieurs raisons sociales.
Tout d'abord, il faut rappeler que les sociétés
africaines ne vivent pas de la même façon qu'en occident.
Malgré tout les progrès réalisés depuis quelques
années dans l'économie ou la politique des pays, il existe un
certain retard dans l'avancée vers la modernité. Tous les
spécialistes étudiant ces sociétés se sont rendus
compte qu'à travers la violence qui y sévit constamment, cela
traduisait l'absence d'une fonction d'intégration sociale,
l'inefficacité politique souligne le défaut d'une capacité
à poursuivre les buts, la pauvreté et la misère traduisent
l'absence d'une fonction d'adaptation à son environnement. Dans ce
contexte, on se rend compte que les sociétés Africaines sont
encore instables. Si on reprend la théorie de Pierre Bourdieu sur le
fonctionnement d'une société, en Afrique, les champs ne sont pas
encore clairement définis. Par conséquent, la place et le
rôle d'un photographe contemporain en Afrique reste encore à
définir auprès de la population.
Dans ce contexte, on peut comprendre que la photographie
contemporaine a du mal à trouver sa place dans les différentes
couches sociales. Effectivement, sa compréhension sous-entend un
équipement culturel comme nous l'avons vu. Pour la plupart de la
population, la photographie n'est pas un art à part entière, mais
un moyen de conserver un événement du passé. Cette vision
correspond parfaitement à celle des « anciens » et des
photographies des studios photo, qui servaient à se positionner dans la
société ou à immortaliser un moment donné. Les
Africains, en général, n'ont pas de culture photographique, ce
qui explique que la production contemporaine trouve un écho dans les
pays Occidentaux et non auprès de la population locale.
Cette culture de la photo studio est alimentée par des
photographes ambulants, toujours nombreux et en manque d'argent. En effet, ils
cherchent surtout à gagner leur vie en couvrant les mariages et les
baptêmes. Il n'y a qu'une minorité d'artistes qui pense à
mettre en valeur ses négatifs et qui se présente à
plusieurs concours photographiques. La rivalité qui
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existait entre les « anciens » et la nouvelle
génération est toujours présente. Certains photographes
arpentent les rues à la recherche d'événements religieux
et civils à photographier, tandis que d'autres ont commencé
à penser leur travail comme un art et plus simplement comme un moyen de
saisir la vie quotidienne. Cette volonté de se détacher des
traditions engendre plusieurs difficultés pour un photographe
contemporain Africain.
Tout d'abord, au niveau financier, une photographe
malienne52 explique que, l'achat de matériels argentiques
noirs et blancs et numériques coûtent excessivement chers et il y
a peu de soutien. Un tirage numérique 10 x 15 coûte 5 fois plus
cher qu'un tirage argentique. Les possibilités de financement sont
faibles. Pour eux, la meilleure façon d'obtenir de l'argent c'est de
participer à des festivals qui offrent des prix à certains
artistes.
Au niveau social, le rapport avec la population est assez
difficile dans le sens où les individus se rebellent à chaque
fois qu'on les fixe dans l'objectif où ils leur demandent de l'argent.
Pour illustrer nos propos, Pierrot Men53 explique que pendant sa
résidence de deux semaines au Maric, en septembre 2007, il devait se
cacher et déclencher son appareil photo sur le côté, sans
avoir l'opportunité de viser et de travailler le cadrage. Il raconte que
le contact avec la population Africaine a été difficile,
contrairement à Madagascar où il a l'habitude de travailler avec
une population qui pose spontanément.
Le dernier problème est la « non-reconnaissance
» du statut professionnel de ces photographes. Nous pouvons citer à
cet égard Harandane Dicko qui explique que « Ici je ne suis pas
considéré comme un vrai photographe car les photographes ici ne
pensent qu'au studio. Ils n'ont pas de culture photographique si bien qu'ils ne
comprennent pas mon travail. »54 De même Adama Bamba dit
que « La photo est un métier noble mais très difficile car,
pour beaucoup de gens ici, un photographe ne mérite pas une certaine
aisance. Nous ne sommes pas respectés. Et pourtant tout le monde se fait
photographier du mendiant au
52 Entretien avec la Maison Africaine de la Photographie.
53 Entretien avec Afrique in Visu.
54 Entretien avec Afrique in Visu.
président. Nous sommes à la croisée de
tous les chemins, nous rencontrons les gens les plus sérieux, des
religieux, des prostitués É »55
Cette non-reconnaissance sociale dénote un profond
décalage entre une population locale tournée vers des principes
de représentation ancienne ou le photographe ambulant n'est pas un
professionnel, puisque ce statut est destiné aux laboratoires de
développement, et une minorité d'artiste qui cherche à
s'instruire et obtenir des diplômes prouvant leur professionnalisme.
Conscients de ces problèmes, les organisateurs du
festival, les dirigeants des ministères de la culture des pays
africains, et les différentes associations qui ont été
créées pour soutenir la production actuelle en photographie,
cherchent aujourd'hui différents moyens de communication afin
d'intégrer cet art contemporain auprès des populations.
***
Cette réalité sociale nous montre que le chemin
est encore long pour que l'art contemporain s'installe définitivement
dans les mentalités Africaines. Cette différence observée
dans la compréhension des oeuvres nous permet de révéler
le retard de ces sociétés par rapport aux pays Occidentaux. Ce
décalage devrait diminuer au fur et à mesure des années,
c'est ce qu'espèrent les organisateurs des Rencontres.
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