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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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CHAPITRE V: LA SÉCURISATION

BIOMÉTRIQUE DES DOCUMENTS

DE VOYAGE ET D'IDENTITÉ

« Accumuler les bases de données sans disposer d'une vision globale des résultats concrets et des lacunes:

- est contraire à une politique législative rationnelle dans le cadre de laquelle il n'y a pas lieu d'adopter de nouveaux instruments tant que les instruments existants n'ont pas été pleinement mis en oeuvre et que leur insuffisance n'a pas été démontrée,

- pourrait ouvrir la voie à une évolution vers une société de surveillance totale. »

Avis du contrôleur européen de la protection des données sur le projet de proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (Passenger Name Record -- PNR) à des fms répressives (2008), II, §35481

L'usage des technologies biométriques dans la sécurisation des documents de voyage et d'identité (passeports et cartes d'identité) est l'un des plus prometteurs sur le plan économique, puisqu'il engage à chaque fois des dizaines de millions de citoyens. La Commission européenne observait que, l'Europe étant la première destination touristique mondiale, plus de 300 millions de personnes, citoyens de l'UE et ressortissants de pays tiers confondus, traversent chaque année ses frontières extérieures, ce qui donne une idée de l'échelle des systèmes biométriques qui sont en cours d'instauration4$2. Depuis le ii septembre 2001, catalyseur d'une politique déjà impulsée auparavant, de nombreux Etats, dont ceux de l'Union européenne, ont amorcé une procédure de transition vers la biométrisation des documents de voyage et d'identité. Si les usages privés de ces technologies se multiplient, son usage administratif demeure très important, à la fois sur le plan économique et sur le plan

481 JO (Ur.) n° C 110 du 01/05/2008 p. 0001- 0015 ler mai 2008. Document n°52008XX0501(01). 4$2 Commission européenne (2009), « Préparer les prochaines évolutions de la gestion des frontières dans l'Union européenne », Bruxelles, le 13.2.2008, COM(2008) 69 final

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sociétal, puisqu'il contribue à son acceptation, de gré ou de force, par les populations, et donc à une banalisation de ces techniques d'identification. Au niveau juridique, il bénéficie d'un statut spécifique tenant d'une part aux impératifs de souveraineté liés à l'usage de ces documents, d'autre part au caractère international de sa mise en oeuvre. Enfin, sur le plan de l'argumentation philosophique concernant la légitimité de ces instruments d'identification, la sécurisation des documents d'identité et de voyage permet de faire entrer d'autres arguments intéressants, notamment celui selon lequel la sécurisation de ces documents, loin de menacer le droit à la vie privée, permettrait au contraire de renforcer ce dernier en garantissant le « droit à l'identité » et en empêchant les usurpations d'identité483. On met alors l'accent sur

l' « authentification », ou plutôt la vérification de l'identité, en passant sous silence le second aspect de ces nouveaux dispositifs, c'est-à-dire l'identification biométrique, qui permet de classer les individus dans certaines catégories (« recherché », « inconnu », « ayant droit », « électeur », etc.) voire d'instaurer un profilage des groupes et des individus. A l'opposé de l'argument de sécurisation de l'identité mis en avant par les promoteurs de ces techniques, l'accent mis sur les passeports conduit ainsi à accentuer l'influence que la biométrie exerce non plus à l'égard de la vie privée, mais sur la liberté d'aller-et-venir et la liberté de circulation, et, plus largement, sur un ensemble de droits sociaux, civils et politiques. La modernisation technologique des passeports, via la biométrie, permet en effet une « étreinte » supérieure de la société par l'Etat, pour reprendre le concept de John Torpey utilisé dans son histoire des passeports. L'identification biométrique s'applique d'abord aux migrants (la France créé ainsi le fichier dactyloscopique de l'OFPRA, ancêtre d'Eurodac, dès 1989, tandis que le Système d'information Schengen II doit classer parmi les « étrangers indésirables » ceux qui ont outrepassé leur durée de séjour autorisée484). Elle se généralise ensuite à l'ensemble de la population, avec l'établissement du passeport biométrique ou/et de cartes d'identité électroniques, qui permettent de différencier plusieurs catégories de citoyens et/ou de « non-citoyens », selon les droits dont ils disposent.

483 Pour un tel argument qui renverse celui qui considère la biométrie sous l'angle des menaces à la vie privée, cf. par ex. A. Etzioni, The Limits of Privacy, Basic Books, 1999, 280 p. (en part. p. 103-139, chapitre IV, intitulé « Big Brother or Big Benefits? ID cards and Biometric identifiers »). Etzioni était conseiller à la Maison Blanche de 1979 à 1980.

484 Cf. Van Buuren, Jelle (2003), « Les tentacules du système Schengen », Le Monde diplomatique, mars 2003.

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L'avènement de ces nouvelles technologies marque sans nul doute une nouvelle étape dans l'histoire de l'état civil et des « identités de papier », non seulement en raison du caractère biologique et physiologique des caractéristiques retenues, qui font l'objet désormais de mesures très précises et non plus simplement de signalements approximatifs, mais aussi par l'établissement concomitant de bases de données. Les contrôles d'identité, désormais, ne consistent plus en une simple comparaison entre le papier présenté et l'apparence physique du sujet contrôlé, mais peuvent impliquer soit une comparaison des données biométriques enregistrées sur la puce du document d'identité et la base de données qui y est attachée (vérification ou identification), soit une comparaison des caractéristiques biométriques du sujet à la base de données biométriques (système utilisé pour les demandes d'asile; identification). A terme, il se pourrait que le contrôle d'identité biométrique48 , consistant en une comparaison entre les caractéristiques biométriques du sujet, son document d'identité biométrique, et une base de données, et mêlant donc dans un même acte identification et vérification d'identité, puisse être instauré, ce qui affecterait l'ensemble de la population. Pour ces raisons, il convient davantage de parler, comme le suggère D. Lyon486, d'un « système de documents d'identité biométrique » plutôt que de simples « cartes » ou « passeports biométriques »: la liaison avec des bases de données informatisées d'une part, et avec les caractéristiques biométriques d'autre part, indique le caractère de cette véritable révolution de l'état civil, dont la première étape a été entamée avec l'informatisation des registres de l'état civil, effectuée sous l'égide de la Commission internationale de l'état civil (CIEC), qui recommandait notamment l'interopérabilité des systèmes de traitement des données d'état civi1487. Cette révolution de l'état civil conduit aussi à une redéfinition des frontières, celles-ci entrant dans un processus de déterritorialisation par rapport aux frontières géographiques fixes des Etats-nations, et se reterritorialisant de façon différenciée sur chaque individu. On pourrait dire aujourd'hui, malgré l'omniprésence des murs et barrières de sécurité aux

488 Voir le projet de recherches VINSI («Vérification d'Identité Numérique Sécurisée Itinérante ») développé par Thales Security Systems (CNIL, délib. n°2008-084 du 27 mars 2008 ; Thales Security Systems ; traitement automatisé ; données biométriques nécessaires au contrôle de l'identité).

486 Lyon, David, Rule, James B. et Combet, Etienne (2004), « Identity Cards: Social Sorting by Database », ier novembre 2004, Oxford Internet Institute Internet Issue Brief No. 3.

487 Recommandation n°8 du CIEC, relative à l'informatisation de l'état civil, adoptée par l'Assemblée générale de Strasbourg le 21 mars 1991.

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frontières488, que ce ne sont plus les individus qui franchissent les frontières, mais les frontières qui collent aux individus.

Avant d'examiner l'instauration des documents d'identité biométrique d'abord aux Etats-Unis, puis, sous leur influence, dans l'Union européenne, nous allons nous interroger sur la « fraude documentaire » qui justifierait la mise en place de ces mesures. Cela nous donne l'occasion de nous arrêter sur la « chaîne de sécurité » dans laquelle se place les documents d'identité, de leur délivrance au contrôle d'identité, que nous examinons à la fin du chapitre afin d'en tirer quelques conclusions relativement à l'imbrication entre la reconnaissance par le face-à-face, l'identification par l'écrit et l'instauration des systèmes biométriques. Or, en France, le besoin ressenti de sécuriser cette « chaîne de l'identité » a conduit à la réforme de l'article 47 du Code civil sur les actes d'état civil effectués à l'étranger, suivi peu après par l' « amendement Mariani » ayant mis en place les tests ADN dans le cadre du regroupement familial. Outre montrer que la suspicion à l'égard des étrangers est l'un des mobiles décisifs de la mise en oeuvre de l'identification biométrique, ce que l'examen du contexte américain confirme, l'analyse de cette « chaîne d'identité » permet aussi de mettre à jour comment s'établit une échelle des statuts, ou un continuum d'exclusion ou d'inclusion, allant de la citoyenneté pleine et entière aux « déboutés du droit d'asile », en parcourant sur cet axe toutes les situations intermédiaires. Pour conclure, nous analysons l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme de décembre 2008, S. et Marper contre Royaume-Uni: si à première vue celui-ci ne concerne pas les documents d'identité en tant que tels, puisqu'ils concernent deux individus réclamant aux autorités judiciaires l'effacement de leurs empreintes digitales et de leur échantillon ADN des bases de données britanniques relatives aux infractions pénales, il jette toutefois une étrange lumière sur l'ensemble du chapitre, qui lui-même donne à voir cet arrêt sous un éclairage équivoque. Si en effet la conservation de données biométriques, dans un fichier judiciaire, d'individus un temps mis en examen, mais finalement non condamnés, ne se justifie pas aux yeux de la Cour dans une « société démocratique », que penser de l'enrôlement des caractéristiques biométriques de l'ensemble de la population dans le cadre des documents d'identité et de voyage? Et étant donné cette tendance réelle à

488 Cf. Brown, Wendy (2009), « Souveraineté poreuse, démocratie murée », in Revue internationale des livres et des idées, n°i2, juillet-août 2009, p.3o-36.

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l'oeuvre, que penser d'un arrêt qui ne condamne pas tant le fichage biométrique, que le fait de ne pas discriminer entre « innocents » et « condamnés »? Y a-t-il une place pour l' « innocence » lorsque tout sujet, qu'il soit demandeur d'asile ou de titre de séjour, étranger en situation irrégulière ou citoyen européen, est « interpellé » dès qu'il demande un document d'identité ou de voyage, ses caractéristiques biométriques étant enregistrées dès le plus jeune âge? L'interpellation, au sens althussérien d'assujettissement ou d'assignation de l'identité, opère ici avant même le contrôle d'identité.

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A/ LA FRAUDE ET LA « CHAÎNE DE

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci