La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring( Télécharger le fichier original )par Daniel KIMBMBA KAHYA Université catholique du Congo - Licence 2012 |
I.2.4 L'analyse classique de l'agir moral chez Thomas d'Aquin1) Présentation La pensée de Thomas d'Aquin (1224-1251) a longtemps été considérée comme la philosophia perennis au sein de l'Église.78(*) En effet, comme tout penseur, Thomas d'Aquin est pris dans les problématiques de son époque, toutes d'ordre théologico-philosophique. Ainsi il est impossible d'étudier la pensée de Thomas sans considérer qu'il travaillait dans un contexte entièrement chrétien, avec sa propre foi dans le Dieu chrétien, et avec les méthodes et les limites de son temps. 2) Analyse L'exposé moral de saint Thomas se trouve principalement dans la Seconde Partie de sa Somme Théologique; cependant, il faut reconnaître que cette synthèse jouit d'une unité profonde à cause de la source du savoir théologique, de la connaissance divine qui se communique à notre intelligence par la foi et les dons de sagesse et de science.79(*) La Prima Pars étudie le Dieu-Trinité qui constitue la vraie béatitude de l'homme et la seule réponse adéquate à la question du bonheur qui ouvre et domine la morale de saint Thomas. Le bonheur de l'homme est une participation au bonheur même de Dieu. La Prima Pars fait aussi l'étude de la créature humaine avec ses facultés, notamment sa raison et sa volonté libre, sans oublier la sensibilité, qui sont principes et sources des actions morales.80(*) En outre, certains thèmes parcourent la Somme Théologique entière et se retrouvent dans chacune de ses parties, comme l'étude du bien, de la béatitude, de l'amour, au niveau de Dieu, de l'ange, de l'homme, du Christ. La Tertia Pars traite de la voie nécessaire de fait pour parvenir à la vraie béatitude: ce sera le Christ et le secours de sa grâce dispensée dans les sacrements. On ne peut donc absolument pas séparer la partie morale de la Somme Théologique de l'étude de Dieu dans la Prima Pars qui lui donne sa dimension trinitaire, ni de la Tertia Pars qui lui procure une dimension christologique et sacramentelle.81(*) L'exposé de la morale se divise en deux parties, l'une générale, l'autre particulière. Ces deux parties correspondent respectivement à la Prima Secundae et à la Secunda Secundae. Dans la Prima Secundae, la première question est celle du bonheur qui domine l'ensemble de la morale en déterminant la fin ultime de la vie et de l'agir humain. Le bonheur plénier ne peut résider ni dans la richesse, ni dans la gloire, ni dans la science, ni dans aucune réalité créée, mais dans la vision aimante du Dieu de la Révélation, devenu accessible aux hommes par la grâce de Jésus-Christ.82(*) Le but de la vie étant fixé, toute la vie est un cheminement vers le bonheur, et nos actions sont comme les pas qui doivent nous porter vers lui. Saint Thomas fait l'étude des facultés humaines qui collaborent ensemble à former nos actes. Il s'intéresse particulièrement à la volonté libre. Pour saint Thomas, le libre-arbitre s'enracine dans les deux facultés spirituelles, l'intelligence et la volonté, qui font de l'homme l'image de Dieu et lui procurent la maîtrise de ses actes, soit précisément dans l'inclination naturelle au bonheur et à l'amour et dans l'inclination à la vérité, qui ouvrent ces facultés à la mesure de l'infini divin, au-delà de tout objet et de tout amour créé. L'homme est donc maître de ses actes non point malgré, mais à cause de son inclination naturelle au bonheur et à la vérité. La question morale première inscrite dans les facultés spirituelles de l'homme, est donc bien: quel est le vrai bonheur? Toute sa morale sera une réponse à cette question. 83(*) On a là une conception de la liberté qui repose sur la collaboration harmonieuse de l'intelligence et de la volonté et que Pinckaers appellera liberté de qualité ou encore de perfection, parce qu'elle tend spontanément vers ce qui est bon et vrai, vers ce qui est de qualité selon la perfection de l'homme.84(*) Les passions contribuent aussi à nos actions. Saint Thomas en fait également une étude remarquable. Il analyse différentes passions et montre comment elles peuvent contribuer positivement à l'agir moral sous l'égide des vertus.85(*) Vient ensuite l'étude des principes des actes humains qui sont de deux sortes: principes intérieurs et principes extérieurs.86(*) Parmi les principes intérieurs, nous trouvons d'abord les facultés: intelligence, volonté, liberté, sensibilité, etc. déjà étudiées dans la Prima Pars. Ce sont ensuite les vertus qui sont des capacités dynamiques pour accomplir des actions de qualité. Elles sont de deux sortes: celles qui sont infuses par Dieu et celles qui sont acquises par l'exercice. Elles seront complétées par les dons et les fruits du Saint Esprit. À la suite des vertus seront étudiés leurs contraires: les vices et les péchés.87(*) Parmi les principes extérieurs, c'est-à-dire ayant leur origine à l'extérieur de nous bien que pouvant agir sur notre intériorité nous trouvons: - la loi issue de la sagesse de Dieu: loi éternelle et loi naturelle qui culmine dans la Loi évangélique, définie par l'action du Saint Esprit agissant par la foi au Christ. - La grâce qui nous provient de la Passion et de la Résurrection par les sacrements; elle nous unit au Christ et nous engage dans l'unique voie conduisant efficacement à Dieu, qui est le Christ lui-même.88(*) On peut résumer le travail constructif de Thomas d'Aquin en deux points : premièrement Thomas fait sortir la fin de l'acte et la matière du lot des éléments de l'action : pour lui, la fin est le principal élément de l'action, celui qui meut à agir et que vise directement la volonté. Le second élément est ce que l'on fait, la matière de l'action qui en forme la substance. C'est autour de ces deux éléments essentiels que s'ordonnent et gravitent les autres. Deuxièmement, Thomas d'Aquin va donner une nouvelle signification au terme circonstance en s'appuyant sur son étymologie, circum-stare (ce qui est autour d'une chose).89(*) Il va ainsi distinguer les circonstances de l'essence de l'acte formée par sa fin et sa matière. Partant, les circonstances désignent désormais des éléments de l'action qui s'ajoutent comme des accidents à sa substance ; c'est en ce sens qu'ils contribuent à accroître ou à diminuer la qualité morale de l'action déjà établie pour l'essentiel par sa fin et sa matière, mais ne peuvent pas d'eux-mêmes rendre un acte bon ou mauvais.90(*) Ainsi donc, pour Thomas, la qualité morale d'une action dépend de deux composantes essentielles : l'ordonnance à la fin pour l'acte intérieur, vouloir ou intention, et l'ordonnance de l'acte extérieur à sa matière propre. On peut rencontrer alors des actes intrinsèquement mauvais, de soi, par leur nature, à ces deux niveaux. Mais dans une même action, il suffit que la fin voulue ou que la matière de l'acte soit mauvaise par nature, pour que l'acte tout entier doive être considéré comme tel, selon le principe bonum ex integra causa malum ex quocumque defectu, la déficience étant ici essentielle.91(*)Ainsi, il admet, à la suite de saint Augustin, que certaines actions, mêmes prises extérieurement, soient mauvaises de soi et ne puissent jamais être légitimées par une fin bonne. * 78 M.-D. CHENU, Introduction à l'étude de saint Thomas d'Aquin, Introduction méthodologique et historique menée par le biais d'une étude des méthodes scolastiques du XIIIe siècle. Paris, Vrin, 2001, p. 54. * 79 Selon Pinckaers, l'unité de la Somme s'explique brièvement de cette façon: «Dieu ayant fait l'homme à son image par la maîtrise de ses actes dont il a doté grâce à sa liberté, la morale qui établit les règles de l'agir humain, prend place entre la Première Partie de la théologie qui étudie Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, ainsi que ses oeuvres dans la création et la Providence, parmi lesquelles émerge l'homme avec son désir naturel de voir Dieu et avec son péché, et la troisième partie de la Somme, qui traite du Christ comme Rédempteur de la faute et la voie du retour de l'homme vers Dieu, avec la grâce donnée par les sacrements». Lire S. PINCKAERS, La morale catholique, Op. cit., p. 33. * 80 Cfr. Lire S. PINCKAERS, La morale catholique, Op. cit., p. 36. * 81 Cfr. Ibid. p. 40. * 82 Cfr. Ibid. p. 42. * 83 Cfr. Ibidem. * 84 Cfr. S PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 86. * 85 Cfr. Ibidem. * 86 Cfr. S. PINCKAERS, « Le rôle de la fin dans l'action morale selon saint Thomas d'Aquin », dans Le Renouveau de la morale, Études pour une morale fidèle à ses sources et à sa mission présente, «Cahiers de l'actualité religieuse, 19 », Tournai, Casterman, 1964, p. 114-141. * 87 Cfr. Ibidem. * 88 Cfr. Ibidem. * 89 Cfr. Ibidem * 90 Cfr. Ibidem. * 91 Cfr. Ibidem. |
|