La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring( Télécharger le fichier original )par Daniel KIMBMBA KAHYA Université catholique du Congo - Licence 2012 |
IV.2.2. La réalité du péché en AfriqueLa tradition africaine, on le sait, regorge de beaucoup d'interdits. L'africain est tenu à l'observance de la loi coutumière par la soumission aux interdits. Leur strict respect est à la base de la paix et de la concorde au sein de la communauté humaine, de la famille, du clan. Leur violation, par contre, entraîne des sanctions au sein de la communauté même. Le professeur Muyengo parle de trois interdits qui ont caractérisé la vie en Afrique dans le temps passé, à savoir l'interdit de meurtre, de l'inceste et de l'idolâtrie : « Jadis, chez nous en Afrique, l'homme qui allait à la guerre s'interdisait tout acte répréhensible : vol, viol, rapine, meurtre des innocents, etc. Et, même sa conjointe restée à la maison devrait s'interdire toutes sortes de méconduite, de peur qu'en commettant des bêtises, son mari tombe sous le premier coup. Derrière ces moeurs, se cachait toute une idée de la transcendance. Aujourd'hui, il n'y a plus des tabous ( ) ; même au front, on vole, on viole, on rapine, on tue les innocents. Que peut-on attendre d'une armée constituée des violeurs, voleurs, pilleurs ? Que peut-on espérer d'une société où il n'y a plus des tabous fondés sur une certaine idée de la transcendance ? C'est-à-dire de la conviction qu'il y a quelque chose au-dessus de l'homme ; qu'il y a des actes, tels ceux liés au sexe, au sang, à la vie, etc. qui relèvent du symbolique. »334(*) . Cette notion de l'interdit n'est pas loin de celle du tabou, qui est l'interdit de l'ordre religieux, social et moral, lié à quelque chose de prohibé dans une société donnée. A propos, le professeur Muyengo note : « Dans la conception africaine, le tabou est sanctionné d'une manière automatique. Pour le comprendre, il faut saisir la nuance que les Africains font entre deux types de lois, celles à contenu juridique (souvent écrite) et celles à contenu non juridique (lois traditionnelles). La transgression de la loi juridique entraîne le coupable présumé devant les juges. En principe, cette loi n'oblige pas, car coupable ou pas, par l'intelligence ou avec des avocats capables, l'intéressé peut échapper à la peine sans éprouver aucun remord ni procéder à des cérémonies compensatoires. Relevant elle aussi de la loi naturelle, la loi traditionnelle, par contre n'a aucun rapport avec les juges et les tribunaux, elle est plutôt protégée par des tabous. La définition des tabous dépend de la culture dans laquelle il est inscrit. Il est un tabou par exemple de commettre l'inceste, de trahir le pacte de sang. Cette catégorie de loi oblige en conscience. Lorsque quelqu'un s'en est rendu coupable, il n'en dort pas des remords, redoutant la sanction automatique dont il s'est menacé (Exemple : le Cibau chez les Luba, Muzombo chez les Lega). La sanction immanente trouve du reste son application initiale, pour le cas notoire, dans l'opinion de ceux qui parviennent à savoir quelque chose sur le tabou brisé et son auteur. Pour les négro-Africains, la réalité est que la sanction est imposée par un juge invisible, Dieu, les ancêtres, etc. qui sont en fait les garants des lois ayant trait à la religion. Pourtant la personne qui transgresse le tabou n'offense pas Dieu. En milieu bantu, l'idée d'offenser Dieu n'est pas concevable. La personne qui transgresse le tabou, pèche contre elle-même, contre la communauté et contre les ancêtres. Faudra-t-il encore souligner que même la notion du péché est étrangère à la mentalité bantu. Transgresser, veut dire faire quelque chose de défendu ou d'interdit. Le défendu renvoie à la loi à contenu juridique. En ce sens, il expose à des ennuis si l'on est pris sur le fait ou identifié par la suite. L'interdit renvoie aux lois protégées par le tabou. Il est défendu de tuer, de voler, mais ces actes ne tombent pas sous l'interdit. Par contre, il est défendu de commettre l'inceste. Qui transgresse le défendu est puni par les juges ; qui transgresse l'interdit est justiciable de Dieu. 335(*)» Malgré la rigueur morale, il n'est pas étonnant de voir certains membres de la communauté dévier du droit chemin en transgressant la loi coutumière. Emery-Justin Kakule explique cette notion de la transgression et du tabou en l'illustrant chez les nande.336(*) Ceci peut s'appliquer à tous les africains malgré quelques points de divergences. En fait, toute déviation du droit chemin est traduite chez le nande par le concept erilolo, c'est-à-dire faute, manquement, transgression, péché. Emery-Justin écrit à ce sujet, « la culture nande considère comme faute, erilolo, tout manquement volontaire ou non, à n'importe quelle prescription ou défense coutumière et qui est sanctionné du moment qu'il est connu des autres. La transgression des pratiques de la coutume et le non-respect des valeurs communautaires constituent un motif suffisant de condamnation pour un nande».337(*) Pour ce dernier, en effet, le pire des maux est ce qui tue la vie en communauté, celle-ci étant le plus grand trésor hérité des ancêtres. De ce fait, tout acte qui brise la communion clanique ou familiale et qui frise la promotion de la vie humaine est ce que le nande qualifie de faute morale. Emery-Justin est plus explicite quand il écrit : « La communauté, héritage ancestral, est le lieu normal de l'épanouissement de la vie humaine. La solidarité africaine est une fidélité à l'ensemble des valeurs de la société ancestrale, qui s'exprime par la justice fraternelle et la pratique de la coutume. Le péché contre la communauté est le nom des mauvaises attitudes contre la coutume et les relations altérées tant au niveau religieux, social, familial que juridique. Il est synonyme des comportements injustes et des transgressions du droit coutumier temporel (...). Les coutumes sont sacrées parce qu'elles révèlent une hiérophanie, c'est-à-dire une réalité ultime sacrée : la justice, le respect du bien d'autrui, et la révérence due au droit de Dieu et des Ancêtres. »338(*) On l'aura compris, la faute ou le péché, que les Nande traduisent par le mot Erilolo, lèse à la fois Dieu et la communauté. En effet, chez les Nande, la communauté et la personne sont fondées sur Dieu créateur de sorte que le profane et le sacré se compénètrent. Celui qui lèse la communauté est contre la Providence de Dieu. De la sorte, le rilolo est à la fois le péché considéré comme offense faite à Dieu et la faute morale contre l'homme par la transgression de la coutume.339(*) Dans la communauté nande, l'on s'accorde que le rilolo rend impur. Mais il faut noter que le degré d'impureté varie selon quatre genres de faute. Ainsi devient-on impur kalayi (impureté des hypocrites) pour les fautes cachées, impur nyakavule (impureté de ceux qui transgressent les interdits et tabous) pour les fautes juridiques, impur musingo pour les fautes très graves, entraînant la peine capitale (pour le meurtre par exemple), impur mukumbira (paria) pour les fautes très graves contre le pays, la contrée, entraînant ipso facto l'exil.340(*) La société nande admet que le rilolo revêt un caractère contagieux (ekihondo). En ce sens, lorsqu'on commet un forfait, ce n'est pas seulement la vie du coupable en tant qu'individu qui diminue, mais aussi ce mal affaiblit toute la communauté (hommes, nature ou cosmos) qui en pâtit. Le niveau horizontal, anthropocentrique et communautaire de la faute parait ainsi être privilégié au détriment de la dimension verticale, théique et transcendante. On comprend certes que, chez les Nande traditionnels, comme chez les africains en général, le critère de bien et du mal était uniquement en conformité à la solidarité communautaire et à la coutume, tant il est vrai qu'ils n'ont fait allusion à Dieu qu'en tant qu'Auteur éloigné de l'ordre social et naturel.341(*) Toujours est-il que cela s'explique en majeure partie par le fait que, chez eux, la Révélation explicite de Dieu était absente. Ils n'ont eu que des balbutiements à son sujet par le truchement de leur conscience (Rm 2, 14-15). Cette conception nande de la faute et du péché retient notre attention sur deux points essentiels : l'importance de la vie et de la communauté (famille). * 334 S. MUYENGO, La Vie en Esprit. Bible, Morale et Spiritualité. Kinshasa, Médiaspaul, 2012, p. 78. * 335 Cfr. Ibidem. * 336 E-J KAKULE MUVAWA, La symbolique du Mbanulo chez les Nande. Pour une inculturation du sacrement de réconciliation chez les Nande de la R. D. Congo. Mémoire de maîtrise. Universités des sciences humaines de Strasbourg, Faculté de Théologie, 2001. * 337 Cfr. Ibid., p. 3. * 338 Ibid., p. 7. * 339 Cfr. Ibidem. * 340 Cfr. Ibid., p. 8. * 341 Cfr. Ibidem. |
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