La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring( Télécharger le fichier original )par Daniel KIMBMBA KAHYA Université catholique du Congo - Licence 2012 |
IV.1. Actualité de la question : perte du sens du péchéDans les pages précédentes nous avons déjà évoqué ce fait en analysant l'exhortation Réconciliation et pénitence de Jean Paul II. Il ne s'agit pas d'une répétition, mais plutôt, nous voulons ici parler de ce phénomène tel qu'il se vit aujourd'hui. En effet, la perte du sens du péché est manifeste aujourd'hui: dans les rues, dans le journal, à la radio, à la télévision... partout, le péché multiforme, est présent, de mille et une manières. Et le Pape Paul VI dénonçait lui aussi avec vigueur ce mal: « On ne parle plus de péché. Lorsque manque le sens du péché, nous pouvons dire que, pratiquement, c'est tout l'édifice moral du Christianisme qui s'écroule » (ES 32). Ainsi, pour bien comprendre ce qu'est le péché, il faut le situer par rapport à la notion de faute. Les notions de péché et de faute ne sont pas sur le même plan. La faute est une notion morale. Elle désigne un acte répréhensible aux yeux de la conscience parce qu'il atteint l'homme. Elle appelle le regret ou le repentir. Le péché par contre, est une notion religieuse, biblique. C'est une offense à Dieu, un manque d'amour de Dieu qui atteint la relation entre l'homme et Dieu. On se reconnaît pécheur non pas en se regardant, mais en regardant l'amour de Dieu pour nous. Il y a un lien entre la faute et le péché. En effet en atteignant l'homme, la faute morale atteint aussi Dieu qui est présent dans l'homme.317(*) Comme nous pouvons le constater, le mot péché n'est pas très bien vu aujourd'hui, il évoque le moraliste qui donne des leçons. On hésite à appeler quelque chose péché. La notion de péché semble s'opposer au respect de la liberté humaine et à l'épanouissement de la personnalité. Le sentiment de culpabilité apparaît comme le résultat maladif de tabous inconscients. Pour les psychanalystes, il n'y a pas de pécheurs, seulement des malades. La notion juridique est prévalue, le péché est ainsi défini d'une façon essentiellement juridique, comme infraction à une loi, à un commandement, c'est-à-dire, de façon plus ou moins extrinsèque à l'homme.318(*) Dans un tel contexte, où la vie morale apparait comme une série de comptes à régler, où tout se traite dans un climat de prescriptions, et d'infractions, on ne voit plus bien ce qui légitime fondamentalement l'abstention du péché, en dehors du fait qu'il est interdit. A ce propos J. M Aubert écrit : « Le monde moderne par sa structure même nous oblige à une reestimation de la notion de péché et à un dépassement de son ambigüité. D'un côté en effet, il révèle un grand souci moral, souci de promotion de de la valorisation humaine ; mais de l'autre, il affiche un refus de toute loi morale imposée du dehors, et cela parce que l'homme moderne veut désormais se faire exister lui-même. Car il a pris le gout de toutes les libertés enfin conquises. »319(*) Avec la perte du sens du péché, l'appréhension commune des actes humains, actuellement, s'attache surtout à l'aspect subjectif. Nos contemporains admettent de plus en plus difficilement l'idée qu'il puisse y avoir des actes objectivement mauvais quelques soient l'intention et les circonstances comme l'affirme le Magistère de l'Eglise. Les critères moraux des actes semblent se concentrer dans les idées d'utilité et d'efficacité. Mais la vérité et la justice, si elles sont réduites à de telles considérations, ne deviennent-elles pas aussi fluctuantes que le caprice des hommes ou aussi arbitraire que la loi du plus fort ? D'autre part, ces actes que l'on ne doit jamais commettre témoignent de ce que leur objet touche à un absolu. Ce qui est toujours intrinsèquement mauvais c'est de porter atteinte à des biens sur lesquels l'homme n'a aucun pouvoir, aucune maîtrise (par exemple le mystère de la naissance, la mort, la vie...).320(*) C'est là une vue de choses fort peu acceptée aujourd'hui. Ainsi se présente à la morale chrétienne la vie d'un innocent : elle ne peut jamais lui être ôtée. Mais notre époque répugne à l'idée comme à la réalité de l'absolu. Celui-ci est souvent perçu comme un totalitarisme, un despotisme opprimant une liberté.321(*) C'est surtout dans le domaine de la corporéité que l'homme a exprimé sa liberté avec la révolution sexuelle322(*) qui recouvre les changements substantiels du comportement et des moeurs sexuels intervenus en Occident à la fin des années 1960 et au début des années 1970.323(*) Ce mouvement a été essentiellement marqué par l'émancipation sexuelle des femmes, l'affirmation de l'égalité des sexes et la reconnaissance des sexualités non procréatrices et non conjugales.324(*) La libération sexuelle se définit comme la conquête des possibilités de vie sexuelle non reproductive et de la satisfaction qui est supposée y être associée à un niveau psychologique comme dépassement des processus psychologiques qui s'opposent à ces possibilités.325(*) Elle s'accompagne d'une révolution du droit par lesquels les femmes acquièrent progressivement une égalité législative, notamment l'obtention du droit de vote et donc la possibilité de pousser aux réformes qui les concernent, l'égalité au sein du couple, le droit à la contraception et le droit à l'avortement.326(*) Trois décennies après l'effervescence des années 1970, c'est un fait entendu: nous vivons à l'ère de la liberté sexuelle. A chacun son corps-à-corps, marié ou pas, homo ou hétéro, adultère ou monogame: ces choix-là relèvent désormais de la vie privée et fondent l'autonomie individuelle, dans un climat général de culte de la jouissance. Et de dilatation de l'ego: pour réussir sa vie, on se doit de trouver son plaisir et de consommer autrui. 327(*) Sous les jupons de cette liberté sexuelle se débusquent plusieurs atteintes à la morale fondamentale et l'influence religieuse corsètent moins qu'hier. Un certain nombre de comportements sexuels, comme l'adultère et l'homosexualité, sont désormais socialement tolérés. D'autres, comme l'inceste entre majeurs, la sodomie, etc., ne sont plus pénalement sanctionnés tant qu'il y a consentement entre les partenaires. Ainsi, des actes autrefois définis comme essentiellement illicites et pratiqués clandestinement sont devenus aujourd'hui non seulement pratique courant mais ils sont aussi légalisés dans certains pays. Nous pouvons citer entre autre, parmi les plus connus, l'avortement et la contraception. Face à cette situation, l'Eglise a réagi en ces termes : « De nos jours la législation civile de nombreux Etats confère aux yeux de beaucoup une légitimation indue à certaines pratiques; elle se montre incapable de garantir une moralité conforme aux exigences naturelles de la personne humaine et aux « lois non écrites » gravées par le Créateur dans le coeur de l'homme. Tous les hommes de bonne volonté doivent s'employer, spécialement dans leur milieu professionnel comme dans l'exercice de leurs droits civiques, à ce que soient réformées les lois civiles moralement inacceptables et modifiées les pratiques illicites. En outre, l'objection de conscience face à de telles lois doit être soulevée et reconnue. Bien plus, commence à se poser avec acuité à la conscience morale de beaucoup, notamment à celle de certains spécialistes des sciences biomédicales, l'exigence d'une résistance passive à la légitimation de pratiques contraires à la vie et à la dignité de l'homme. »328(*) Alors comment comprendre et interpréter ce débat de la théologie morale sur la question des actes intrinsèquement mauvais dans un contexte africain ? * 317 P. VIGAN, Le malaise est dans l'homme. Paris, avatar-edition, 2011, p. 78. * 318 Ibid., p. 87. * 319 J. M. AUBERT, Vivre en chrétien au XXe siècle. Tome I. Le sel de la terre. Strasbourg, Salvator, 1976, p. 210. * 320 Cfr. J.M. AUBERT (Dir), Morale chrétienne et requêtes contemporaines. Tournai, Desclée, 1954, p. 8. * 321 Cfr. Ibidem. * 322 Cette révolution est consubstantielle d'une révolution scientifique marquée par un faisceau de découvertes et d'avancées : la diffusion du préservatif en latex après les années 1930, le traitement des maladies sexuellement transmissibles, au premier lieu desquelles la syphilis qui faisait des ravages depuis la Renaissance avec la découverte des antibiotiques à partir de 1941, et la diffusion de la contraception (le stérilet est inventé en 1928, et la pilule contraceptive découverte au début des années 1950) * 323 M. BRIX, L'amour libre. Brève histoire d'une utopie. Paris, Éditions Molinari, 2008, p. 24 * 324 A. GIAMI, « Misère, répression et libération sexuelles », dans Mouvements n° 20 mars-avril 2002, p. 23-29 * 325 M. BRIX, Op. cit., p. 28. * 326 Jadis, ces réalités ne concernaient que l'Occident, mais aujourd'hui avec la mondialisation l'Afrique n'est plus épargnée. Le cas du traité de Maputo qui veut légaliser l'avortement en est une illustration. * 327 A. GIAMI, «art. Cit»., p. 27. * 328 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae, dans AAS 80 (1988), 75 ; La Documentation catholique 84 (1987), p. 351. |
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