La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring( Télécharger le fichier original )par Daniel KIMBMBA KAHYA Université catholique du Congo - Licence 2012 |
II.1. Le Concile Vatican II et la théologie moraleLe concile Vatican II a eu comme principale ambition de travailler à un aggiornamento de l'Eglise. Celle-ci prend conscience de ses racines, du sens de sa mission, des exigences d'une présence adaptée et signifiante au coeur d'un monde changeant. Mais pourtant, aucun document officiel de Vatican II ne traite de l'éthique chrétienne de façon systématique. Il y a cependant une morale conciliaire, tracée en totale cohérence avec l'ensemble de son enseignement, qui est présenté un peu partout, intégrée à d'autres thèmes, mais surtout dans la Constitution Gaudium et Spes.146(*) « La question morale, écrit à propos Pinckaers, n'était pas au centre de la préoccupation des Pères du Concile, dont le souci majeur était la compréhension et l'identité de l'Église. Il n'en reste pas moins vrai que leur réflexion a inauguré une nouvelle ère de la théologie morale. La nouveauté essentielle, dont on peut voir la marque dans la déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis Humanae), ainsi que dans la constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes), consiste à prendre pour point de référence des décisions morales non pas une vérité abstraite, mais la nécessité pour les personnes d'agir selon les préceptes de leur propre conscience. »147(*) En effet, Vatican II a voulu une théologie morale plus existentielle, plus historique, plus théologique, plus attentive à l'histoire des hommes dans la perspective de l'histoire du Salut. Ce qui explique l'échec du schéma De re morali comme l'explique le père Pinckaers : « Soumis à la relecture de la Commission centrale puis présenté au concile, le schéma De re morali sera vivement critiqué par le cardinal Döpfner et par un dominicain, le P. Le Guillou, qui reprocheront au texte son manque de fondations scripturaires et sa tendance à réduire la loi nouvelle du N.T. à la loi naturelle. Le texte De re morali rejeté, il ne sera pas proposé d'alternative de remplacement. Les Pères du concile n'estimèrent pas la réflexion théologique suffisamment mûre en matière de morale, et surtout, leurs préoccupations s'orientaient de plus en plus sur les rapports entre l'Église et le monde. »148(*) En effet, à la lecture des textes conciliaires, lorsque l'ensemble du corpus fut publié (1965), le croyant avait de quoi se réjouir d'une joie sans partage de l'extraordinaire remise en perspective, selon la nécessité des temps, de l'Église, du monde, et de leur relation réciproque. Mais pour ce qui touche à son propre domaine, le moraliste ne semblait ne rien trouver qui puisse directement rejoindre en profondeur sa discipline. Tout le concernait, spécialement la place redonnée à l'Écriture, mais aucun texte spécifique ne venait opérer une démonstration d'une place nouvelle pour l'éthique théologique. La morale traditionnelle issue du concile de Trente avait d'ailleurs été déjà livrée à la critique bien avant Vatican II par des théologiens tels Bernard Häring, Joseph Fuchs, Philippe Delhaye, et bien d'autres. Ils avaient perçu que cette morale, faussement nommée théologique tant elle s'était dénaturée en un code du bien et du mal, ne tenait plus. Ils avaient compris également qu'il était nécessaire de retrouver le lien perdu avec l'Évangile, la foi, la personne du Christ et les interrogations des hommes. Dans les textes conciliaires, les moralistes crurent tout d'abord que l'agir humain, l'existence chrétienne comme savoir et expérience, n'avaient pas été une priorité. Témoin à l'époque, le Père Yves Congar, lors d'un congrès tenu à Rome en 1967, affirmait : « Parmi les limites de Vatican II, on doit à coup sûr noter celle-ci : il n'a pas abordé les questions de l'éthique et donc, ne les a pas renouvelées... Or il y a là un domaine qui exige de nouvelles élaborations. »149(*) Mais il nous faut modérer ce jugement : en effet, une lecture attentive avec le recul nécessaire, amène à comprendre que le concile s'est soucié avec une grande acuité de l'éthique en lui donnant une orientation nouvelle.150(*) Il exige d'elle de ne pas se contenter des raisonnements abstraits, mais de retrouver les sources du christianisme à travers l'Écriture et la Tradition inspirée par la longue manducation des Pères de l'Église. Dans le décret sur la formation des prêtres (Optatam totius) on lit : « Il faudra s'appliquer avec un soin spécial, à perfectionner la théologie morale dont la présentation scientifique plus nourrie de la doctrine de la Sainte Écriture, mettra en lumière la vocation des fidèles dans le Christ, et leur vocation de porter du fruit dans la charité pour le salut du monde. »151(*) On aura noté le bouleversement opéré en quelques mots : la morale n'est plus obéissance passive à une loi, mais un « appel » (vocatio) à suivre le Christ et comme lui à répondre à l'amour du Père. Quant à la Tradition, comme source de renouvellement, les pères conciliaires souhaitent que l'on montre aussi « l'apport des Pères d'Orient et d'Occident pour une transmission et un approfondissement fidèles de chacune des vérités de la Révélation» (O.T 17). Le concile de ce fait, avec une audace incontestable, établit un lien entre l'agir humain et toutes les autres disciplines théologiques devant en inspirer le déploiement. La Parole de Dieu et la Sagesse de l'Église primitive redeviendront la sève de l'art de vivre en Christ. L'éthique méritera de nouveau son titre de théologie puisqu'y entreront La Trinité et les vertus théologales. C'est donc seulement plus tardivement que la force de Vatican II s'exerça en théologie morale. Si les textes avaient au départ déçu en minimisant cette discipline, la lecture approfondie de tout l'ensemble, sa connaissance donc, mit à jour cette orientation nouvelle offerte à l'Église. Ainsi en valorisant le monde et les réalités terrestres, l'intuition conciliaire va changer la manière de considérer l'éthique et de faire de la théologie morale. Le document sur la liberté de conscience (Dignitatis humanae) apparaîtra comme le sommet dans l'ordre de l'éthique conciliaire. Mais le traitement des thèmes abordés dans les diverses constitutions et spécialement Gaudium et spes, permet aux théologiens de relever des éléments fondateurs pour ce vaste chantier de rénovation dont la nécessité s'imposait à toutes les consciences. En intériorisant les textes de façon globale, les théologiens moralistes vont se réapproprier les documents et y distinguent une façon neuve de vivre l'existence chrétienne, et d'étayer le jugement moral, axe central du texte conciliaire. A ce propos Delhaye affirme : « Les textes conciliaires peuvent être la source d'un véritable traité des valeurs. »152(*) L'inquiétude, en raison de la complexité des problèmes contemporains, exige, non un retour à des réponses toutes faites et faussement sûres mais une capacité d'élaboration du jugement éthique. « L'Église dans le monde de ce temps » (Gaudium et spes) propose un regard inédit sur Dieu et sur l'homme, une invitation à une conversation -- dira Paul VI -- entre Église et monde. Elle apportera un changement considérable dans la manière d'accueillir le monde, d'en partager les inquiétudes et les espoirs, de proposer un art de la réflexion éthique partageable par tout homme de bonne volonté et impérieux pour les chrétiens. Afin de faire la vérité, dans un monde en mouvement permanent, une unique communauté de destin. Après avoir souligné la dignité de l'intelligence, la réflexion du concile insiste fortement sur la présence au coeur de tout homme d'une loi morale appartenant à l'initiative du Créateur. Cette loi intérieure inscrite dès la création, oblige la conscience à discerner le bien du mal, et à choisir le bien pour répondre à la vocation qui nous convoque tous et chacun: aimer sans cesse et davantage. Cette loi est constitutive de l'humain, et c'est elle - trace et présence du Christ au plus intime de l'intime, qui fonde la dignité, son caractère inaliénable, toujours respectable, de tout individu, de par sa seule appartenance à l'humanité. Cette loi intérieure est voix de Dieu, dira le Concile, « inscrite par Dieu au coeur de l'homme »153(*). La conscience sera donc l'espace où en totale liberté, chacun décidera ce qu'il veut être et désire devenir, à l'écoute d'un appel que même, écrit Saint Paul, les païens entendent s'ils sont attentifs à leur intériorité (cf. Rom 2,15). Ainsi Vatican II va-t-il donner un poids inédit à la dignité humaine pensée comme créationnelle et au respect de la conscience personnelle. Il va souligner comme jamais le lien indéfectible de cette conscience avec la liberté, puisqu'elle désigne « le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »(GS 16) Par, ailleurs, plusieurs documents du magistères sur la morale et particulièrement sur la question des actes intrinsèquement mauvais, procèdent de Vatican II, en mettant l'accent sur la loi, sur les commandements et sur la soumission à un ordre moral objectif, en argumentant surtout en fonction du caractère universel des interdits, des actes intrinsèquement mauvais à ne pas faire, jusqu'au martyre. Il s'agit, entre autres, en plus des textes conciliaires, comme Gaudium et Spes, des encycliques Humanae vitae et Veritatis Splendor, et du Catéchisme de l'Eglise Catholique. * 146 CONCILE OEUCUMENIQUE VATICAN II, Constitution pastorale Gaudium et spes. Paris Seuil, 1967. * 147 S. PINCKAERS, « Le renouveau de la théologie morale », dans, Vie intellectuelle 27 (octobre 1956), p.11 * 148 Ibidem. * 149 Y. CONGAR, « l'appel de Dieu », dans Le peuple de Dieu dans l'itinéraire des hommes. Actes du 3e Congrès de l'Apostolat des laïcs (Rome 11-18 octobre 1967), vol 1, Rome 1968 p. 103. * 150 PH. BORDEYNE et L. VILLEMIN (Dir), Vatican II et la théologie. Perspectives pour le XXIe siècle. Paris, Cogitatio Fidei- Cerf, 2006, p. 43. * 151 Vatican II, Optatam Totius, n° 16 * 152 P. DELHAYE, « L'apport de Vatican II à la théologie morale », dans Concilium, 75, 1972, p. 64. * 153 Vatican II, Constitution Gaudium et Spes sur l'Eglise dans le monde de ce temps, n° 16 |
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