Impact du risque politique sur les investissements directs étrangers en Afrique subsaharienne( Télécharger le fichier original )par Didier Joël Kama N'GBESSO Université d'Auvergne Clermont- Ferrand1, centre d'études et de recherches sur le développement international - Master 2 2010 |
CHAPITRE I : ANALYSE THEORIQUEI.1 PARADOXE DE LUCAS ET SES IMPLICATIONS POUR L'AFRIQUE SUBSAHARIENNEAlfaro (2005) affirme qu'en dépit de la forte mobilité des capitaux au cours de la décennie passée, les flux de capitaux des pays riches vers les pays pauvres ont été largement en dessous des niveaux prédits par les modèles néoclassiques standards. Elle utilisa les données du risque politique de l'International Country Risk Guide (ICRG)3(*) dans une étude sur la période 1970-2000, effectuée sur un panel de 86 pays développés et en développement, et elle montra que la faible qualité des institutions est la principale explication du paradoxe de Lucas. Ce constat ne fait que confirmer la thèse de Robert Lucas (1990) connue sous le nom de « Paradoxe de Lucas ». Lucas (1990) utilisa l'exemple contemporain des très modestes flux de capitaux des Etats-Unis vers l'Inde pendant le deuxième grand boom du marché global du capital. En effet, Lucas (1990) montra que les flux de capitaux des pays riches vers les pays pauvres étaient très modestes et nettement inférieurs aux niveaux prédits par la théorie. Clemens et Williamson (2000), utilisant les données sur les investissements britanniques dans 34 pays au cours du 19ème siècle, montrèrent eux aussi que deux tiers des exportations des capitaux britanniques allaient en direction du Nouveau Monde où la main d'oeuvre était rare avec seulement un dixième de la population mondiale et juste un quart des capitaux en direction de la main d'oeuvre abondante d'Asie et d'Afrique qui faisaient à eux seuls plus des deux tiers de la population mondiale. Les principales explications théoriques de l'analyse de Lucas (1990) peuvent être divisées en deux catégories: Ø la 1ère catégorie inclut les différences dans les fondamentaux qui affectent la structure de production de l'économie. Les chercheurs (incluant Lucas lui-même) ont exploré le rôle des facteurs de production omis, la politique du gouvernement, les institutions et les différences dans la technologie . En d'autres termes, l'hypothèse du modèle néoclassique standard suppose des fonctions de production néoclassiques agrégées uniformes à l'échelle internationale, c'est-à-dire que les pays produisent les mêmes biens, avec un même taux de retour pour les fonctions de production à l'échelle, les mêmes facteurs de production et la même technologie. Montiel et College (2006) abordent dans le même sens que Lucas et montrent que dans la mesure où la technologie accessible aux entreprises africaines est moins productive que celle des pays créanciers, il se peut que le rendement des investissements en capital matériel en Afrique ne soit pas exceptionnellement élevée par rapport à celui obtenu dans ces pays. Ces mêmes auteurs stipulent qu'il se peut aussi que les nouvelles technologies servent à fabriquer des produits destinés aux marchés des pays industrialisés et donc les coûts de transport et les déficiences des équipements portuaires et de transport en Afrique amèneraient les entreprises étrangères à produire localement. Montiel et College (2006) expliquent par ailleurs, que même si les fonctions de production globale des pays Africains étaient identiques à celle des pays riches, le fait que le continent Africain soient relativement bien dotés en ressources humaines et naturelles ne garantit pas forcément un rendement exceptionnellement élevé des investissements en capital matériel. En effet, le capital humain (santé, éducation), les infrastructures et le capital institutionnel(l'appareil de gouvernance dans son ensemble), sont susceptibles d'influencer sur le rendement des investissements en capital matériel. Pour eux, les lacunes observées sur le continent Africain en capital humain, infrastructure, et capital institutionnel pourraient expliquer pourquoi le paradoxe de Lucas s'applique à ce continent. Ø la 2nde catégorie d'explications met l'accent sur les imperfections des marchés de capitaux internationaux, principalement le risque de souveraineté et l'asymétrie d'information. Il soutient que l'échec des marchés inhibe les flux de capitaux des pays riches vers les pays pauvres, malgré le fait que le capital soit potentiellement productif et qu'il est un taux de retour élevé dans les pays en développement. Montiel et College (2006) affirment que l'asymétrie de l'information, alliée au comportement opportuniste, est réputée pour entraver considérablement l'exécution des opérations financières en faisant grimper leur coût. En clair, même si des projets d'investissement procurent un niveau social élevé en Afrique, il convient d'éliminer les frictions informationnelles pour les financer. Les créanciers extérieurs doivent donc être informés. Portes et Rey (2005) ont soutenu que les frictions informa- tionnelles sont les principales variables explicatives de la distribution géographique des flux d'investissement transfrontaliers. Reinhart, Rogoff et Savastano (2003) soutiennent que le risque de souveraineté explique le Paradoxe de Lucas non seulement en Afrique mais aussi dans les régions en développement. Pour Montiel et College (2006), le risque de souveraineté peut représenter un obstacle important à la réalisation des projets à rendement social élevé pouvant principalement être mis en oeuvre par les administrations publiques africaines pour 3 raisons principales : premièrement, l'inefficience engendrée par le faible niveau de compétences des fonctionnaires, le maintien de postes inutiles motivés par des impératifs politiques et la corruption rendrait très difficile la capacité du secteur public à mettre en oeuvre des projets tout en réalisant leur potentiel de rendement social élevé. On aurait donc une incapacité du secteur publique à réaliser le projet avec efficacité. Deuxièmement, même si le secteur public peut réaliser efficacement le projet, il doit posséder la capacité de rembourser les emprunts contractés pour le financer s'il veut attirer des capitaux étrangers. Ces auteurs pensent que la vulnérabilité du budget de l'administration publique aux conflits civils pouvant éclater dans les pays voisins ou aux catastrophes naturelles telles que les sécheresses, les contraintes politico-économiques influant sur les dépenses et l'inefficience du régime fiscal sur les recettes, et même l'instabilité politique pouvant amener l'administration publique à retarder les remboursements de ses emprunts peuvent engendrer un risque de souveraineté et donc diminuer les flux de capitaux en direction de l'Afrique. Montiel et Collège (2006) annoncent aussi que le coût élevé d'intermédiation financière en Afrique pourrait fortement entraver le financement par le secteur privé des projets d'investissement des entreprises privées du pays. En effet, les frais d'intermédiation, que l'on désigne sous le nom de prime de financement externe, diminuent le rendement brut obtenu par le prêteur en échange de l'utilisation de ses fonds. Il s'agit des frais de courtage, des frais d'évaluation de la demande de prêts, des frais de délégation, et des frais d'exécution de contrats. Clemens et William (2000) identifient deux camps dans l'analyse du Paradoxe de Lucas : d'un côté le 1er camp regroupe tous ceux qui pensent que le capital est hautement productif dans les pays pauvres mais il n'y afflue pas à cause de l'imperfection du marché financier global et de l'autre ceux qui pensent que le capital serait aussi très productif dans les pays pauvres également avec perfection du marché du capital mais n'a aucune raison d'affluer dans ces pays là. Ces auteurs soutiennent dans leur analyse que l'imperfection du marché des capitaux n'est pas la cause du Paradoxe de Lucas observé avec l'afflux des capitaux britanniques dans le Nouveau Monde (plutôt qu'en Afrique ou en Asie) entre 1890 et la 1ère guerre mondiale. Ils ont alors montré que ce sont plutôt les facteurs fondamentaux qui dirigeaient les capitaux britanniques, à savoir, par ordre d'importance, le niveau d'éducation, la dotation en ressources naturelles, l'immigration. * 3La qualité institutionnelle peut être mesurée comme un indice du risque politique. Alfaro (2005) utilisa l'indice composite du risque politique de l'International Country Risk Guide de l'agence indépendante PSR Group comme mesure de la qualité institutionnelle. Elle utilisa 10 des 12 composantes de l'indice composite: stabilité du gouvernement, conflit interne, conflit externe, absence de corruption, militarisation de la politique, tensions religieuses, loi et ordre, tensions ethniques, responsabilité démocratique, et qualité de la bureaucratie. |
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