Les transitions démocratiques en Afrique noire francophone. Réflexion sur le cas de la Guinée (Conakry )( Télécharger le fichier original )par Oumar KOUROUMA Université Hassan II, faculté de droit de Mohammedia (Maroc ) - Licence fondamentale de droit public 2010 |
PARAGRAPHE 2 : LES SCHEMAS D'ANALYSE A L'EPREUVE DES CONTROVERSES EPISTEMOLOGIQUESDans son cours de sociologie politique, le professeur El Asser ne cessait d'insister sur le caractère herméneutique des sciences sociales et par ricochet le problème épistémologique que cela engendrait sur la base de la question de l'objectivité voire la scientificité de certaines données provenant de ces sciences. A cet égard il convient de rappeler qu'une science est dite herméneutique lorsqu'elle use essentiellement de l'interprétation pour rendre intelligible son objet. Et de sa part l'épistémologie est définie, selon le Larousse 2009, comme « une partie de la philosophie qui étudie l'histoire, les méthodes et les principes des sciences». Cela dit, les controverses épistémologiques dans le cadre de ce travail ne peut être que l'ensemble des problèmes de validité que soulèvent ces sous disciplines tant par rapport aux concepts qu'elles utilisent que du côté des méthodes employées. Ainsi dans cette réflexion, il s'agira de s'interroger dans un premier temps sur la réalité scientifique de la formulation des concepts et sur la question de leur exportabilité (I) et en second lieu nous toucherons la méthode comparative fortement employée : la comparabilité des cas (II). I. DE LA CRITIQUE DES CONCEPTS TRANSITOLOGIQUES ET CONSOLIDOLOGIQUES Telle indiquée plus haut, cette critique consistera à voir plus au fond la scientificité de la formulation des concepts (A) employés par les spécialistes de ces sous disciplines après quoi leur exportabilité sera questionnée (B). A. DE LA SCIENTIFICITE DE LA FORMULATION DE DES CONCEPTS D'entrée, il convient de préciser que cette critique n'est autre qu'une manière de mesuré jusqu'en où les concepts formulés sont fruit de l'objectivité. De même les principales problématiques qu'ils soulèvent lorsqu'ils sont utilisés. Cela dit, nous partons d'abord du concept de transition telle analysée par Guilhot NICOLAS dans son article cité plus haut, publié dans la revue « multitudes ». Cet auteur s'emploie à dénoncer le caractère téléologique de ce concept qui pour lui était déjà formulé dans le cadre du marxisme avant que la science politique occidentale n'en fait une propriété. Et dans ce contexte, loin d'être un instrument d'explication ou d'une description scientifique, il est plutôt un schéma régulateur, un modèle qui sert au jugement des régimes postcommunistes ou « l'acteur du procès qu'il désigne »56(*). Cette réalité montre à plus d'un titre que le concept est apparu dans le cadre de la guerre froide où il ne trouve son sens que lorsque tu l'oppose au terme autoritarisme. De ce fait, il devient un instrument de guerre idéologique même dans son emploi actuel. Et pour ce fait, une conception de la démocratie a été élaborée se résumant en un ensemble de mécanismes procéduraux et institutionnels: comme les élections, des partis politiques. Dans cette critique, l'auteur tente tout simplement de montrer le poids de l'idéologie dans les soit disant constructions scientifiques des transitologues. Ensuite, nous arrivons au concept de consolidation qui a fait objet d'une véritable étude critique par Philippe SHMITTER et Guilhot NICOLAS (ci-dessus). Dans leur analyse les deux auteurs soutiennent que le concept de consolidologie est véritablement problématique, nous dirons plus problématique que celui de transition. En effet, ce concept en soit même est une tautologie car il désigne un processus et est en même temps le résultat de ce processus. Mais même là aussi, il y a un autre problème. C'est celui de savoir à quel moment peut-on considérer un régime comme « consolidé » ou stable? Les réponses à cette question sont sujet d'énormes subjectivités. Ceci par le fait que le critère « universellement» établi est celui de la conformité des agissements des acteurs « significatifs » ou « majeurs » aux nouvelles règles établies. Mais jusqu'en où peut - on apprécier cette conformité ? Et qui sont ces acteurs principaux significatifs ? Là, certains évoquent les partis politiques mais souvent au moment où le rôle de ces derniers se trouve minimisé. Cette considération accordée aux partis exclut parfois les mouvements sociaux. Un autre problème qui est cette fois-ci beaucoup plus sérieux tient à la relation entre la démocratie et le concept de consolidation. En effet, si l'on a bien compris le sens de ce concept, il renvoie à un système à un atteint la limite de sa perfection : « le régime consolidé ». Cependant l'une des caractéristiques d'un régime démocratique est le fait qu'il reste changeable et adaptable à l'évolution de la société. Ainsi le peuple dispose du pouvoir de demander des réformes à chaque fois. Par contre le concept de consolidation amène à considérer toute demande de réforme comme une demande de « déconsolidation ». De là, une règle fondamentale de la démocratie se trouve faussée. Mais cet obstacle n'est pas illogique car il tient au statut épistémologique même de la sous discipline. Car ce statut épistémologique est celui d'une théorie classique qui a toujours considéré les institutions politiques comme des facteurs d'ordre et de stabilité ; et les changements démocratiques comme des dangers. Toutefois, conscient qu'on ne pourra dégager ici toutes les reproches faites à ces concepts, il convient tout simplement de donner raison au professeur El Asser et de reconnaitre que la construction théorique en sciences sociales n'est jamais exemptée de telle observation car très influencée par l'idéologique et les considérations généraliste. Mais alors qu'en est-il de l'exportabilité de ces concepts ? B. DE L'EXPORTABILITE DE CES CONCEPTS Parler de l'exportabilité de ces concepts renvoie à un vieux débat : celui de l'universalité de ces concepts. A cet égard, il faut dire que cette question est bien abordée par Mamoudou GAZIBO dans un article qu'il a publié dans la revue internationale de politique comparée57(*). Dans cette réflexion, le professeur GAZIBO expose deux positions dans le cadre de la politique comparée : celle de SCHMITTER et de Lynn KARL d'une part et celle de Valérie BUNCE. La première soutient l'universalité de ces concepts en soulignant qu'on ne peut se cramponner dans des carapaces conceptuelles. Par contre la seconde propose de tenir compte des spécificités culturelles de chaque partie du monde. Cette dernière idée est aussi défendue par Bertrand BADIE dans son ouvrage sur le développement politique où il révèle le caractère implicitement ethnocentrique de cette entreprise d'universalisation de concept aux origines externes aux réalités des pays de transposition. Dans le cadre de cette analyse, nous devons souligner que cette question est vraiment cruciale pour pouvoir déterminer la valider des thèses transitologiques et consolidologiques. Car avec les démonstrations faites plus haut, il a été clairement établi que c'est la philosophie et l'idéologie libérales qui guident l'élaboration de l'essentielle des concepts présent ici. Comment expliquer alors le fait politique africain par exemple avec des instruments idéologiques opposés à certains fondements culturels africains comme le collectivisme social et la primauté du tous sur le moi dans ces sociétés. Toutefois, pour conclure son analyse, GAZIBO ne retient aucune de ces positions, mais propose plutôt la médiane car d'après lui, si les spécificités sont bien des réalités qu'on ne peut nier, il est important pourtant de reconnaitre qu'il y a des traits communs qu'on peut trouver à des situations généralement similaires : par exemple l'existence des partis unique en Afrique après les indépendances et jusqu'aux années 90. A l'instar de la question de l'exportabilité, une autre se pose mais cette fois ci touchant à la grande méthode dominante des études transitologiques et consolidologiques, c'est la question de la comparabilité des cas. II. DE LA QUESTION DE LA COMPARABILITE des cas : la méthode en question Pourquoi s'interroger sur la comparabilité des cas ? Cette question nous renvoie à cette méthode largement utilisée par les sciences transitologique et consolidologique : la méthode comparative. Sur cette méthode Giovanni SARTORI avance que : « «l'important est de retenir que comparer, c'est à la fois assimiler et différencier par rapport à un critère». Si cette définition est acceptable selon les mots du professeur GAZIBO, elle peut cependant soulever d'énormes problèmes. Deux principaux peuvent être dégagés ici : le premier est le fait qu'elle peut soumette des situations de transitions parfois fortement différentes de deux pays à la même « loi » et sur la base de critère essentiellement tiré de sa « philosophie conductrice » qui est l'idéologie libérale. C'est ainsi que la transition Espagnole fut érigée en modèle et des normes de ce modèle seront appliquées à des Etats non Européens ayant des conditions géographiques et sociopolitiques différentes de celles de l'Espagne. De telle comparaison n'est pas sans conséquence sur les conclusions qui seront teintées de jugement de valeurs. Cela s'est avéré vrai dans les analyses comparatives effectuées entre les démocratisations en Afrique et les situations des traditions démocratiques libérales d'Europe. En outre, nous pouvons relever comme second problème, le critère de comparaison. Ce dernier se trouve souvent préétabli en faveur des systèmes conçus comme modèles. Cela étant les expressions utilisées pour rendre compte de la réalité des autres systèmes non démocratiques au sens libéral du terme sont dépourvues d'objectivité. Au terme de ce premier chapitre essentiellement consacré à la mise en lumière de concepts dont la connaissance est nécessaire à la compréhension du reste de ce travail, nous pouvons en déduire de la complexité du cadre théorique par le fait qu'il ne renferme que des idées marquées d'un grand relativisme et d'une grande diversité. Ce fut aussi lieu de comprendre l'importance du jugement de valeur qui caractérise les sciences sociales dont la plupart des prétendus « instruments scientifiques d'analyse de fait social » se trouvent fondés sur des idéologies. Cela a pu être démontré à plus d'un titre avec cette question de transition démocratique qui ne vise que l'uni-polarisation du monde sous le toit de l'occident. Néanmoins, c'est avec ces instruments que nous serons bien sûr conduits à mener ce travail en les appliquant aux différentes réalités qui seront illustrées ici. A cet égard, il conviendra de partir de quelques expériences illustratives de transitions démocratiques puis exposer le contexte sous régional, ce qui nous permettra de mieux cerner les grandes lois qui président à ces changements. C'est donc cette démonstration que nous ferrons dans les lignes qui vont suivre. * 56
* 57 Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 9, n° 3, 2002, p431 |
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