Les transitions démocratiques en Afrique noire francophone. Réflexion sur le cas de la Guinée (Conakry )( Télécharger le fichier original )par Oumar KOUROUMA Université Hassan II, faculté de droit de Mohammedia (Maroc ) - Licence fondamentale de droit public 2010 |
CHAPITRE 2 : LES ANNEES 90 OU « L'OUVERTURE » DU SYSTEME POLITIQUE GUINEEN : une marche vers l'Etat de droit« Si la Démocratie est un droit et un art de vivre ensemble pour une société responsable, elle exige de s'enraciner dans les réalités profondes de chaque Peuple pour traduire ses aspirations propres ». Lansana Conté117(*) En Guinée, il faut dire que le retour à une ouverture du système à commencer tôt, avant même les années 1990. En effet, conscient des échecs connus dans les politiques socialistes, Sékou Touré avait déjà entrepris d'alléger le radicalisme révolutionnaire dans les années 80. Aussi à son arrivée au pouvoir en 1984, Lansana Conté avait annoncé cette même ouverture. Toutefois la démocratisation en Guinée telle nous la saisissons aujourd'hui est bien sûr le fait de la troisième vague répondant à des exigences à la fois internes qu'externes qui seront à l'origine de la prises de décisions importantes en termes de réformes. Mais, si la mise en place d'institutions démocratique ne constitue qu'une étape de la démocratisation (transition), il va falloir attendre la phase de la consolidation, pour parler d'une démocratisation. Cette phase correspond au lendemain des réformes c'est-à-dire leur évolution et le bilan qui puisse en découler. C'est à partir de ce moment que l'on peut saisir l'étendue des efforts fournis pour relever le défi de la modernité politique en Guinée. Pour mener à bien cette analyse, il convient de préciser que nous n'allons pas revenir sur les raisons internes (qui sont les échecs et les dérives du premier régime ayant conduit aux demandes d'ouverture du peuple) et les exigences externes (déjà développées plus haut dans cadre de la démocratisation en Afrique noire francophone), mais nous évoquerons d'une part les acteurs de cette démocratisation et les principaux axes des réformes qu'ils ont entreprises pour l'ouverture (section1) ; et d'autre part nous examinerons l'évolution et le bilan du régime d'ouverture (section2). SECTION 1 : LES ACTEURS DE LA DEMOCRATISATION ET LES PRINCIPAUX AXES DE REFORMESTout fait social est une construction des acteurs de la vie sociale. Ceci étant, la démocratisation en Guinée ne pourrait être que le résultat de la combinaison d'un ensemble d'effort d'acteurs à la fois interne et externes (paragraphe 1). Ces derniers, intervenus au lendemain de l'effondrement du régime de Sékou Touré vont prendre des mesures à la fois radicale et révolutionnaire pour mettre le Guinée sur la voie de la libéralisation politique et économique : la transition pour la démocratie. Pour ce faire, d'énormes réformes devaient être envisagées et dont nous essayerons d'évoquer les principales (paragraphe2). PARAGRAPHE 1 : LES ACTEURS DE LA DEMOCRATISATION EN GUINEEEn Guinée, la démocratisation répondait avant tout à une demande interne mais aussi c'était la condition à remplir pour que ce pays puisse bénéficier de l'aide de ces partenaires occidentaux. C'est dans cette perspective qu'il convient de distinguer entre les acteurs internes (I) et les acteurs externes (II) de la transition démocratique guinéenne. I. LES ACTEURS INTERNES DE LA TRANSITION DEMOCRATIQUE L'étude des acteurs internes de la démocratisation en Guinée est d'une importance capitale car il s'agit de voir le rôle déterminant de chacun d'eux et surtout comprendre que ce phénomène n'est pas seulement importé comme nous aimons souvent le dire mais sollicité aussi par les africains. Dans ce cas guinéen, il faut dire que l'armée guinéenne (A) fut l'acteur principal. Aussi les partis politiques et la société civile (B) occuperont une place importante. A. L'ARMEE GUINEENNE ET TRANSITION DEMOCRATIQUE D'entrée, il faut rappeler que l'armée guinéenne a « été créée le 1er Novembre 1958 sous la première république. C'est l'armée guinéenne qui fut à la base de l'ouverture politique et économique en Guinée dans les années 90. Car, avant cette date elle prenait le pouvoir et appelait tous les guinéens, dans un discours programme le 22 Décembre 1985, à s'engager pour « assurer une transition pacifique vers une société démocratique digne du grand Peuple » de Guinée. C'est dans ce contexte qu'elle lancera les premières réformes d'ajustement économique, politique et socioculturel. Pour la plupart des auteurs, s'ils n'ignorent pas les règlements de comptes perpétrés par l'armée, ces premiers pas sont pourtant de grands signes de démocratie. Cependant, dans le même contexte, les nouvelles autorités réunies au sein du conseil militaire de redressement national (CMRN) vont commencer à poser les bases solides de leur pouvoir militaire : en détournant la véritable direction du processus de transition. Delà, la militarisation de l'administration et la politisation de l'armée commence parallèle aux grandes réformes constitutionnelles en 1990 qui intervient sous l'égide d'un autre conseil mis en place par les militaire. Ce dernier conseil appelé Conseil Transitoire de Redressement National (Février 1991), composé de plusieurs civils restera sous leur contrôle. Ainsi, loin d'être le gardien d'une transition transparente, loin de renoncer au pouvoir comme elle promit à la prise de pouvoir, l'armée se lança sous Conté dans la course politique. Sa main mise sur le processus de démocratisation et l'usage de ce dernier à son profit devrait faire agir d'autres acteurs dont les actions seront déterminantes. Il s'agit du peuple incarné cette fois ci par les partis politiques et la société civile. B. LES PARTIS POLITIQUES ET LA SOCIETE CIVILE dans la transition S'ils ne sont pas considérés comme acteurs premiers de la démocratisation en 1990, c'est par ce qu'à la fin du régime de Sékou, ils étaient tous presque absents sur la scène politique unipolarisée. C'est plutard, à partir des années 90 qu'ils vont commencer à se constituer. En abordant en premier lieu les partis politiques, il faut rappeler que le phénomène multipartiste n'est pas nouveau en Guinée. Il remonte à la période des effervescentes luttes pour l'indépendance où la Guinée connut plusieurs partis politiques mais à base ethnique et régionalistes tels que l'Amical Gilbert Vieillard, le Bloc Africain de Guinée, la Démocratie Socialiste de Guinée). Cependant, la période du premier régime (1958-1984) constitua ce que Ngakoutou appelle : « une glaciation politique» où toute la vie politique ne sera occupée que par un seul et unique parti : le PDG ou le parti-Etat. A la suppression de ce dernier en 1984, le multipartisme allait réapparaitre d'abord « limité à deux partis » en 1990 conformément à l'article 95 de la nouvelle constitution. Toutefois, cette constitution laissa une ouverture pour la consécration du « multipartisme intégral118(*) ». C'est ce qui sera fait en Décembre 1993 par une loi organique à travers son article 1er. Partant, il convient de définir le parti politique comme : «un groupement permanent de personnes ayant pour vocation la conquête et l'usage du pouvoir d'État conformément à ses objectifs sociopolitiques, à sa vision du modèle de société prôné et à son programme de développement à réaliser dans le pays »119(*). Il joue un grand rôle à travers l'éducation politique des citoyens, l'organisation des débats et la représentation des citoyens. En Guinée, la proclamation du multipartisme intégral a conduit à la prolifération des partis politiques. Ainsi une quarantaine fut légalisée en Avril 1992 répartis entre le pouvoir en place (4), vingt huit (28) dans l'opposition et huit n'avaient pas de positons bien déterminés120(*). Toutefois, toutes ces nouvelles formations politiques semblent n'avoir pas abandonné l'ancienne pratique régionaliste. C'est ce qui expliquera leur homogénéité ethnoculturelle tant combattue sous la première république et dont l'abandon justifiait le recours au parti unique. Les principaux partis alors sur la scène politique seront : le PUP (le parti au pouvoir, Parti de l'Unité et du Progrès: Lansana Conté), le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée : Alpha Condé), l'UNR (l'Union pour la nouvelle République : Bâ Mamadou), l'UPG (l'Union pour le Progrès de la Guinée : Jean Marie Doré), le PDG- RDA (parti qui revendique l'héritage de l'ancien parti unique de Guinée : Ismaël Ghussein)... Par ce morcellement, nous sommes en face d'institutions politiques fragiles incapables d'influencer réellement le régime militaire. Loin de jouer un rôle de consolidation du peuple, ces contribueront à creuser davantage le fossé de la division. A l'instar de ces partis politiques, la société civile guinéenne est aussi une actrice incontournable de la vie politique. Au prime-abord, il faut dire que l'idée de société civile, selon Hegel, renvoie à «des personnes privées qui ont pour but leur intérêt propre»121(*). Pour aller un peu loin, nous pourrons avancer cette définition de London School of Economics, selon laquelle : « la société civile fait référence à l'ensemble des institutions, organisations et mode de pensée, situés entre l'Etat, le monde des affaires et la famille. Spécifiquement, elle inclut les organisations caritatives, volontaires de toutes sortes, les institutions philanthropiques sociales ou politiques, les autres formes de participation et d'engagements sociaux et toutes les valeurs et particularités culturelles associés à celles-ci ».122(*) A lumière de cette définition, il faudra rappeler, que le phénomène associatif en Guinée ne date pas d'aujourd'hui car depuis les années 50 le syndicalisme s'était réveillé comme instrument de mobilisation des masses. Cependant sous la première république seules les organisations du pouvoir révolutionnaire étaient permises. Cette situation changea brusquement après le coup d'Etat militaire du 4 Avril 1984. Suite à ce dernier, les libertés d'association et des libertés individuelles et collectives furent consacrées. En plus de cette consécration de libertés, le nouveau régime mit en place le Service de Coordination et d'Intervention des ONG (Organisation Non Gouvernementale) ayant pour tâche d'accompagner les ONG. Toutes ces facilités permirent la création de 800 ONG en 2001. Ces ONG peuvent être classifiées en trois catégories selon leur but : Ø la première regroupe celles qui cherchent à répondre à un besoin spécifique de certaines parties de la société guinéenne dans des domaines négligés de l'Etat d'une part et d'autre dans la promotion des Droits de l'Homme. Par exemples : le CENAFOD (Centre Africain pour la Formation et le Développement), l'OVODEC (Organisation des Volontaires pour le Développement Economique de la Guinée) ; Ø la seconde est cette catégorie d'ONG qui mettent en place des plans et cherchent des partenaires pour leur mise en oeuvre, c'est le cas des Groupements d'Intérêts Economiques ; Ø et enfin, la dernière catégorie est composée de ce qu'on appelle les entreprises-ONG, elles sont formées soit par des jeunes bien éduqués ou soit par des anciens hauts fonctionnaires en quête d'influence sur le plan national et international. En outre, rare sont ces organisations dont les actions ne sont pas fortement influencées par la politique. La plupart d'entre elles expriment des réclamations de l'opposition, c'est le cas notamment de l'Organisation guinéenne pour les Droits de l'Homme. Face à ce manque de neutralité, nous voyons que ces acteurs sont parfois instrumentalisés. Par ailleurs, il faut dire que ces acteurs internes sont grande partie assistés par des personnes morales ou physiques externes dont la contribution au processus de démocratisation ne peut être négligée. Il s'agit donc d'acteurs externes. II. LES ACTEURS EXTERNES DE LA DEMOCRATISATION Le recours à la libéralisation des régimes longtemps monopartistes résultent aussi de la pression d'un ensemble d'acteurs non nationaux, c'est-à-dire externes qui avaient conditionné leur aide, tant indispensable à ces régimes, à une ouverture de système : leur démocratisation. Ces acteurs sont le Fond monétaire international (FMI), la Banque Mondiale, la France, les Etats Unis, l'Union européenne etc..... En 1984, dès sa prise de pouvoir, l'armée guinéenne faisait appelle à leur assistance. C'est dans ce contexte qu'un d'ajustement structurel est proposé par les institutions de Breton Woods (FMI et Banque mondiale). Ce qui s'ensuit par le déblocage d'une somme de 170millions123(*) de dollars qui sera versée au nouveau pouvoir. Avec la France, les relations, très agitées sous la première république, ont repris avec la visite de François Mitterrand en Guinée les 12 et 13 Novembre 1986. Ce dernier va affirmer la volonté de son pays à accompagner la Guinée dans ses efforts d'ouverture. Il devra lui apporter des aides dans le domaine de l'enseignement (envoie de professeurs, d'ouvrages scolaires 820.000). Dans le même cadre, elle accordera à la Guinée une subvention de 295millions de dollars destinée au secteur de la santé et au programme agricole. Quant aux Etats Unis, partenaire de la Guinée depuis la première république, ils vont apporter une assistance technique avec une somme de 23 millions dollars. Cette aide devait toucher le secteur des réformes monétaires, l'alimentation et la fonction publique. A ces efforts il faut ajouter aussi les 40millions de dollars accordés par le Japon avec un taux d'intérêts bas de 1,183% en vu de soutenir le plan d'ajustement structurel. Pour la République Fédérale d'Allemagne, elle appuiera la Guinée dans le domaine de la promotion des petites et moyennes entreprises, le secteur énergétique et hydraulique villageoise, cela se fit par l'octroi successif de 18millions et de 50millions de dollars. Enfin, les Nations Unies (FAO) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique débloqueront respectivement 31000 dollars pour l'agriculture et 4,8 millions de dollars pour l'Elevage. Au regard de ces chiffres on ne peut en conclure que tout le financement des programmes d'ouverture et de démocratisation on été pris en charge par l'extérieur même si cela à l'inconvénient de conduire à l'endettement et à une prise en otage de l'Etat. Après cette présentation des acteurs de la démocratisation en Guinée, il convient de se pencher sur leurs premiers actes c'est-à-dire ces réformes qui ont marqués la première phase d'une transition démocratique. * 117 Discours-programme du 22 Décembre 1985. * 118 La possibilité de créer les partis politiques sans limiter leur nombre. * 119 MAMADI N'SAMARY CONDÉ, http://democratie.francophonie.org/IMG/bamako.378.pdf * 120 B.Lootvoet, l'Afrique politique : démocratisation : arrêt sur image, 1996, Paris, éd. Karthala p. 89 * 121 http://www.idh-benin.org/communications/Alioune-TINE-Societe-civile-alternance.pdf, p.5 * 122 Ibid. p.5 * 123 http://afriquepluriel.ruwenzori.net/guinresume.htm |
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