Femme ou fée? Mélior dans "Partonopeu de Blois"( Télécharger le fichier original )par Julie Grenon-Morin Université Sorbonne-nouvelle - Master 1 2010 |
b. La mère de PartonopeuMalgré son accord avec Mélior de demeurer deux ans auprès d'elle avant de se marier, Partonopeu obtient la permission de retourner momentanément à Blois afin de revoir les êtres qui lui sont chers. Ce périple dans sa ville natale aura des conséquences néfastes. Le rôle que joue la mère de Partonopeu, qui n'a, par ailleurs, pas de nom, se rapproche beaucoup de celui de Raimondin auprès de Mélusine dans l'histoire éponyme. L'objet qui servira à Partonopeu pour commettre sa faute et qui lui a été donné par sa mère est une lampe. Le feu qu'elle contient est un peu comme un symbole de baptême par le feu. En effet, à partir de cet évènement, Partonopeu devra subir une suite de péripéties qui le mèneront dans les bras de Mélior. C'est à cause de cette lampe que débutera l'initiation de Partonopeu. Les baptêmes par le feu étaient généralement des cérémonies secrètes et orchestrées par des femmes, dans le monde païen. Elles avaient lieu pendant la nuit ou bien dans les chambres des femmes65(*). Bien sûr, le récit anonyme de Partonopeu en est un du lien d'amour entre le héros et la fée, mais aussi du héros avec sa mère. Pour pouvoir vivre avec Mélior, Partonopeu doit apprendre à quitter sa mère pour de bon. Il y parviendra au prix de bien des efforts. Olivier Collet et Pierre-Marie Joris y voient une autre reprise de la fable de Psyché : «En retravaillant la fable de Psyché et Cupidon, notre roman reprend, on l'a vu, le motif de la rivalité entre Vénus et Psyché (la mère et l'amante) autour duquel s'organise le récit mythique66(*)». Un triangle sentimental, à défaut d'être amoureux à proprement parler, s'installe donc dans le texte médiéval, composé du fils, de la mère et de l'impératrice de Byzance. Ce type de conflit se retrouve souvent dans l'histoire de Thèbes. Par exemple, chez Stace, Parthénopée entretient des rapports houleux avec sa mère. Les auteurs soulignent ainsi que l'appartenance de Partonopeu du côté du roman de Thèbes est renforcée vu la présence de ce type de dilemme. L'amour dans le roman est source de tension pour le personnage maternel. Lentement mais sûrement, Partonopeu passe au travers d'un processus qui le détachera progressivement du sein de sa mère. En effet, même avec tous les soins que lui prodiguaient Mélior, le héros n'avait pas réussi à s'affranchir complètement du lien maternel. Pour preuve, le jeune homme retourne vers elle et se laisse dicter sa conduite, au détriment de son amie. Il faudra plus que les richesses et la dévotion entière de la monarque pour que Partonopeu réussisse à se détacher pour vivre pleinement sa vie avec elle. En fait, il n'y parviendra vraiment qu'en prouvant sa valeur lors de combats et de joutes À deux reprises, la mère réussit à reprendre le contrôle sur son fils longtemps éloigné. Dès qu'il ressurgit, elle tente de mettre la main sur cet enfant qui lui échappe, bien que ses gestes soient guidés par son affection pour lui. Elle entraîne donc son fils à enfreindre la règle établie entre les amants. Pas encore prêt à se donner complètement à Mélior, Partonopeu a choisi sa mère plutôt qu'elle, ce qui est constatée par la fée même : Amis, mar vos vi novelier, Car jo l'ai trop comperé cier. Novele amor avés coisie : Gardés que n'aiés fait folie!67(*) Malgré le retour de Partonopeu à Blois auprès de sa mère pendant un temps, il ne parvient plus à éprouver le même sentiment qu'avant pour elle. Il n'arrive pas à lui pardonner sa traîtrise. La tentative de la mère de conserver son fils auprès d'elle échoue, car au contraire de Mélior qui a toujours agi pour le Bien, sa mère s'est aventurée du côté du Mal et elle sera punie pour cela. Mélior, à la fin du roman, sera elle récompensée par son mariage avec Partonopeu. Elle aura auprès de lui un mari lui étant totalement dévoué, car il a renié sa mère : Cant sa mere [en] ot la novelle, A l'huis en vient et si appelle. «Par foit, fait il, n'i enterrés Ne ja joie de moi n'avrés. Trahi m'avés, si ai trahie Par vos [et] ma dame et m'amie. Vos m'engingnastes par vos fables, Mais or pert k n'ert pas deables. Or quereiz atre fiz ke moi, Car jo nul amor ne vos doi68(*). En plus d'être une femme très croyante, la mère de Partonopeu a des relations hauts-placées dans le clergé. Ainsi, pour accomplir sa ruse d'arracher Partonopeu à Mélior, elle fait venir l'évêque de Paris à Blois. La mère se montre ainsi sous un mauvais jour. Au lieu de laisser vivre son fils heureux et amoureux, elle agit de manière égoïste en ne pensant qu'au déshonneur qu'elle aurait à le laisser partir au loin pour régner dans un autre royaume : C'est la mere Partonopeu Qui molt entent a proier Deu Qu'en France retiegne son fis, Qu'il ne soit perdus ne honis. Od le proier a engien quis. Mande l'evesque de Paris Qui molt est sages de sermon Et molt seit bel dire raison69(*). Il s'ensuit un sermon du religieux de quarante-trois vers pour convaincre Partonopeu de revenir à la «raison», car, tout comme la mère, l'évêque est convaincu que le jeune homme a affaire à une créature diabolique. Il lui recommande de bien servir Dieu, de Le craindre et de L'aimer. Ce discours trouble le héros dans sa conviction de son amour pour la fée. Partonopeu avoue son malaise de ne pas pouvoir la voir. Comme il le dit lui-même, il décide de s'en remettre finalement au prêtre. Celui-ci l'enjoint de ne pas tarder plus longtemps à démasquer Satan qui se cache derrière son amie. De connivence avec l'évêque, la mère avait déjà établi un plan qui permettant à son fils d'accomplir la tâche. C'est à ce moment que la mère fournit la lampe à Partonopeu, qui privera, au final, la femme de revoir son fils: Sa mere li dist d'autre part Qu'ele a bien porveüe l'art Par qu'il le vera tote nue; Mais gart soi quant l'avra veüe Qu'il [ne] soit trop espoentés, Por ço que lais ert li maufés. Une lanterne a tant li baille, Puis li a dit que tot sains faille La candelle qui art dedens N'estaint por orés ne por vens70(*). On peut donc dire que la mère commet une double faute : celle de pousser son fils à agir malgré ses sentiments et celle d'être persuadée que Mélior est un avatar du diable. La relation qu'entretient la mère et le fils est, comme nous l'avons vu, cruciale pour l'avancement du schéma narratif. Malgré l'épreuve imposée par la fée ou peut-être grâce à lui seul, Partonopeu réussira à se débarrasser de son complexe d'OEdipe.
* 65 Ibid., p. 41. * 66 Partonopeu de Blois, op. cit., p. 26. * 67 Ibid., p. 318. * 68 Ibid., pp. 348-350 * 69 Ibid., p. 300. * 70 Ibid., p. 306. |
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