Femme ou fée? Mélior dans "Partonopeu de Blois"( Télécharger le fichier original )par Julie Grenon-Morin Université Sorbonne-nouvelle - Master 1 2010 |
4) Les pouvoirs utilisés contre PartonopeuC'est surtout grâce à ses qualités féériques que Mélior amène Partonopeu auprès d'elle. Ces dons, nous l'avons vu, sont le fruit d'un fastidieux apprentissage. Les professeurs de la souveraine pourraient venir de l'école de magie de Tolède, lieu légendaire selon les récits du XIIe siècle. À l'époque médiévale, la magie est «considérée comme une discipline intellectuelle susceptible d'entrer dans un cursus studiorum46(*)». La «nigromance» s'ajoute donc, dans les histoires, à la liste des sept arts libéraux. Ces arts sont divisés en deux parties, aussi nommées «degrés» : le trivium et le quadrivium. Le trivium (qui signifie les trois chemins) relève des pouvoir de la langue. Quant au quadrivium (les quatre chemins), il concerne le pouvoir des nombres. Les trois premiers arts sont donc la grammaire, la dialectique et la rhétorique. Les quatre derniers, sont l'arithmétique, la musique, la géométrie et l'astronomie. Deux vers mnémoniques résume ces principes : Gramm loquitur, Dia verba docet, Rhet
verba colorat, Autrement dit : «La Grammaire parle, La dialectique enseigne, la Rhétorique colore les mots, / La Musique chante, l'Arithmétique compte, la Géométrie pèse, l'Astronomie s'occupe des astres.». Ces sept domaines, Mélior réussie dans un temps relativement court à les maîtriser à la perfection. L'astronomie dont il est question au Moyen âge, mais dans Partonopeu de Blois est souvent reliée à la pratique de l'astrologie. Cela rapproche donc le scientifique d'un savoir relevant plus de la divination, auquel se livrent plutôt les sorciers. À ce propos, L. Harf-Lancner note : Astronomie et nigromance sont fréquemment rassemblées dans l'évocation des fées comme des sorcières, jointes à un second couple, dont les deux termes se répondent presque toujours à la rime, «nigromance-enfance», soulignant le caractère acquis du savoir magique48(*). En effet, Mélior a appris les sept arts et la magie lors de son enfance et de son adolescence. Cette théorie confirme donc une nouvelle fois que l'héroïne de Partonopeu de Blois fait partie de la première génération de fées, celle qui a acquis son savoir et pas de celle dont les dons sont un héritage de la mère. Toujours dans Les fées au Moyen âge. Morgane et Mélusine, la naissance des fées, il est dit que les enchanteurs, tout comme les sorciers de l'Antiquité, reçoivent le même type d'éducation. De plus, encore en ce qui touche à l'école de Tolède, les maîtres avaient une conception bien à eux des sept arts. Ils effectuent quelques changements par rapport aux domaines initiaux. La nigromance remplace l'arithmétique et la physique (écrite «fisique») la géométrie. Tout ce savoir absorbé par les étudiants en six années à la Faculté des Arts permettait ensuite à certains d'entre eux d'accéder à la médecine. Plus étonnant encore est le rapport entre la nigromance et la culture cléricale, comme le montre certains textes médiévaux, tel que Gaydon. On y considère que l'art de la nigromance appartient à un savoir auquel seules les plus hautes autorités spirituelles ont accès. En suivant la ligne de pensée de l'école de Tolède, Mélior serait donc une sorte de prêtresse, puisqu'elle se livre avec beaucoup de talent à la magie. Néanmoins, le texte de l'auteur anonyme ne montre rien de la sorte. Les moeurs de l'époque excluaient aussi que Mélior soit considérée au même titre que les prêtres, les évêques et autres instances religieuses, en excluant les religieuses. L'éducation de Mélior est aussi proche de celle des magiciens. Cela est démontré dans Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu. Avec ce dernier, Partonopeu de Blois est qualifié de roman «dominé par le merveilleux féérique49(*)». L'apprentissage de la fée, nous le savons, a suivi un parcours classique, quoique probablement hors du commun, compte tenu qu'elle est une femme et que le savoir prévalait surtout pour les hommes. Le trivium et le quadrivium acquis, elle s'est livrée ensuite à la médecine, puis à la théologie où son savoir aurait dû être à son summum. Malgré tout, le savoir de la fée prend encore plus d'ampleur avec son prolongement du côté de la nigromance. Cela est aussi le cas dans le texte Gaydon de l'abbé de Saint-Denis. Dans les deux histoires, c'est comme si, tout naturellement, la théologie laissait place à la magie. D'après tout le chemin intellectuel parcouru par Mélior, on peut donc dire que son esprit a progressé vers la révélation, une certaine illumination ou encore le satori dont parlent les Japonais. La littérature médiévale présente deux figures d'importance : Morgue (Morgane) et la Dame du Lac (Viviane). À l'opposé de Mélior et malgré que les deux premières soient désignées comme des fées, elles sont plutôt des enchanteresses50(*). Dans leur cas, elles ont appris leurs pouvoirs féériques. Ayant acquis son savoir de Merlin, Viviane a donc des pouvoirs dont l'origine est connue et explicable rationnellement. L. Harf-Lancner relate, à ce sujet, qu'elle est un personnage doublement rationnalisé. D'abord, elle emprisonne son amant dans un monde parallèle. Elle usera de ses charmes pour acquérir les pouvoirs de l'enchanteur. Elle les utilisera contre le vieil homme. Ainsi, par nature, Viviane n'est pas un être merveilleux. Ensuite, on voit en Viviane un personnage rationnel, car elle élève Lancelot, ce qui fait d'elle une fée nourrice. On peut donc en conclure que Viviane, par son caractère ambigu de fée, ressemble à Mélior. Il en va aussi de Morgue, chez qui on note des aspects rationnels et éloignés de la sphère féérique. Cette image demeurera même dans les romans postérieurs du cycle arthurien. En effet, Morgue évolue «dans un merveilleux explicable51(*)». Comme ce fût le cas de Mélior, Morgue la fée a suivi un cursus universitaire. Ses autres pouvoirs lui proviennent des enseignements de Merlin. Cette fois encore, la fée use de la séduction pour soutirer les précieuses informations au magicien. Lancelot et Merlin donne cependant des explications divergentes quant au l'acquisition du savoir de Morgane. Cependant, les raisons sont toujours aussi rationnelles. Morgane se maria au roi Neutre de Garlot, qui lui offrit une éducation de qualité qui aura raison de son nom de «Morgain la faee». En observant cette version, on remarque un point commun avec Mélior, c'est-à-dire que quelqu'un de proche d'elle lui fournit des précepteurs qui lui révèlent ses talents pour la magie. Dans le cas de l'épouse de Partonopeu, c'est son père l'empereur d'Orient qui rendit cet enseignement possible. * 46 L. Harf-Lancner. Les fées au Moyen âge, op. cit., p. 416. * 47 Benjamin Buisson, «Scolastique», INRP. [en ligne] [http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3605] [26 mai 2010]. * 48 L. Harf-Lancner. Les fées au Moyen âge, id. * 49 Ibid., p. 417. * 50 Ibid., p. 418. * 51 Id. |
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