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Femme ou fée? Mélior dans "Partonopeu de Blois"

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par Julie Grenon-Morin
Université Sorbonne-nouvelle - Master 1 2010
  

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2) Le schéma narratif

La quatrième de couverture de la collection Lettres gothiques parue en 2005 résume bien le lien qui unit l'histoire de Partonopeu et celle de Psyché. Ce récit d'Apulée, faisant partie de L'Âne d'or ou Les Métamorphoses, a cependant la caractéristique d'être inversé dans l'oeuvre Partonopeu de Blois. En effet, le rôle féminin de l'un est tenu par un homme et vice versa. Autrement dit, chez Apulée, c'est Psyché qui accomplit la transgression, alors que, dans l'oeuvre médiévale, il s'agit de Partonopeu. En effet, Psyché, mariée au dieu Amour, a promis de ne jamais chercher à voir le corps de son époux. Elle ne sait cependant pas tenir parole et observe Amour qui dort à l'aide d'une lampe à l'huile. Une goutte de cette huile tombe, réveille l'endormi et le blesse gravement. Le dieu se sépare alors de sa femme, qui mettra longtemps à le chercher. Le couple se réconcilie, après bien des épreuves que doit accomplir Psyché. Elle deviendra ensuite immortelle.

Du côté de Partonopeu de Blois, le héros Partonopeu est invité par Mélior à partager son lit et son domaine. Il fait également la promesse de ne pas regarder le physique de sa dame. Cependant, il faut noter cette différence : ce couple n'est pas marié, ce qui est bien le cas de Psyché et Amour. Mélior s'était engagée auprès de Partonopeu à l'épouser après une période de deux ans, où le jeune homme demeurerait au palais de la fée. Poussée par l'idée de sa mère que Mélior est une créature diabolique, Partonopeu s'empare de la lampe que sa mère lui suggère d'utiliser et fait fi du souhait de la fée. Tout comme Psyché, il en coûtera bien des efforts au héros pour revenir auprès de son amie.

On peut donc observer que l'auteur anonyme du Moyen âge a calqué son histoire sur celle du mythe antique d'Apulée. L'écrivain de l'époque médiévale a cependant ressenti le besoin d'inverser les rôles. Il est toutefois évident que les deux récits sont apparentés. De plus, Psyché et Partonopeu utilisent tous deux une lampe, outil de leur désobéissance. Si Partonopeu est poussé par sa mère, Psyché ne l'est que par sa curiosité, ce qui lui causera bien du souci. Cela est d'ailleurs la leçon qui peut être tirée du conte, c'est-à-dire que la curiosité est un vilain défaut. Partonopeu de Blois ne va pas vraiment dans ce sens, puisque l'histoire continue bien après l'épisode de la lampe, qui survient au début du roman seulement.

Apulée voulait peut-être mettre cette leçon en avant : la trop grande curiosité peut engendrer bien des problèmes. Dans l'introduction de la version de GF Flammarion, Claufine Sharp a trouvé une autre explication, bien plus profonde. Selon elle, il faut regarder le sens des termes grecs «Psyché» et «Éros». Le premier signifie «âme» ou «papillon» et le second «amour». À partir de là, on peut tirer cette conclusion :

On peut alors penser qu'Apulée a voulu ainsi exprimer l'aventure de l'âme, reflet de la beauté pure, enchaînée à la terre par ses passions mauvaises. Cette âme doit subir, comme la jeune héroïne, bien des épreuves, avant d'accéder, grâce à l'amour, au monde divin et devenir immortelle à son tour.25(*).

Cette théorie est applicable à l'oeuvre Partonopeu de Blois, où le héros doit faire face à des épreuves avant de vivre son amour pleinement avec Mélior. L'histoire de la fée a cela de commun avec le conte antique : les humains et les non-humains se ressemblent de part et d'autre. Ainsi, chez Apulée, les dieux ne sont pas très différents des Hommes et, dans Partonopeu, la fée présente beaucoup de similitudes avec les humaines.

Dans son ouvrage Les fées au Moyen âge, Laurence Harf-Lancner note que la fable de Psyché se divise en trois parties26(*). La première partie concerne les malheurs de l'héroïne Psyché, avant qu'elle fasse la connaissance du dieu Amour. Aucune ressemblance ne permet de créer le rapprochement entre ce récit et celui de Partonopeu. En revanche, dans la deuxième partie de la fable, qui relate le séjour de Psyché dans le monde du dieu, un «Autre Monde», trois caractéristiques récurrentes dans le roman médiéval sont facilement observables. Harf-Lancner a relevé que ces trois points prévalent tant chez Apulée que chez Fulgence, dans Mythologiae écrit à la fin du Ve ou au début du VIe siècle.

Dans un premier temps, Psyché découvre un palais d'une beauté à couper le souffle. Cela est aussi le cas pour Partonopeu lorsqu'il pénètre au château de Chef d'Oire. Cet édifice merveilleux est fait de marbre, d'or et d'argent. Puisque la propriétaire Mélior est impératrice d'Orient, on verra dans cette richesse une caractéristique du merveilleux oriental. Dans un second temps, il faut souligner que les deux personnages principaux des deux histoires entrent dans un endroit désert. Les esclaves qui servent Psyché lors de son arrivée au palais lui sont invisibles et l'héroïne ne perçoit que leur voix. Partonopeu reçoit lui aussi un accueil spécial, digne d'un roi. Les soins qui lui sont prodigués sont opérés par des serviteurs qui sont non seulement invisibles, mais dont on n'entend pas la voix non plus. Le merveilleux médiéval se manifeste lorsque deux chandelles le guident jusqu'à son aire de repos, par exemple. Puis, ce sont des mains invisibles qui lui retirent ses éperons. Ces éléments merveilleux se chargeront de Partonopeu tout au long de son séjour au palais de Mélior, jusqu'à ce qu'il transgresse l'interdit de la fée. Dans un troisième temps, les personnages de Partonopeu et de Psyché ont en commun d'être visités la nuit par leur compagnon respectif. Avant la transgression de l'interdit, la découverte du visage et duc corps, les deux héros ne verront pas leurs amants à cause de l'obscurité nocturne. Les hôtes Amour et Mélior les quittent lorsque le jour se lève, après avoir passé une nuit d'amour avec l'être choisi. Les chambres attribuées aux deux héros sont d'une beauté somptueuse et ils s'en émerveillent.

Dans son chapitre sur «Morgane» (puisqu'il s'agit en partie d'un conte dit «morganien»), L. Harf-Lancner explique que la troisième partie du conte d'Apulée coïncide parfaitement avec ce qui se déroule dans Partonopeu de Blois. Cette partie concerne le manquement au commandement. On observe donc que la première partie de Psyché et Amour n'a rien à voir avec Partonopeu de Blois, que des similitudes rapprochent les deux oeuvres dans la deuxième partie pour finalement faire se calquer presque l'un sur l'autre les évènements de la troisième partie.

Puisque, de toute évidence, la fable de Psyché est une inversion de l'histoire de Partonopeu, un argument supplémentaire vient renforcer l'idée que Mélior est une fée. Cependant, fées et dieux n'ont pas le même degré d'être. Dans le récit antique, son rôle est tenu par un dieu, un être qui n'est donc pas humain. De la même façon, Mélior n'est pas humaine, mais bien un être merveilleux. Dans le premier cas, c'est une lampe sous un boisseau qui provoque le réveil, dans le deuxième cas, une lanterne dont la chandelle ne s'éteint pas au vent. Le premier sort du sommeil à cause d'une goutte d'huile bouillante qui lui tombe sur l'épaule, la deuxième par la lumière de la lanterne. Sachant cela continuons d'analyser les points de ressemblance entre Partonopeu et le conte d'Apulée.

Le pacte entre Psyché et Amour présente quelques aspects communs avec celui de Partonopeu et Mélior. Dans les deux cas, un habitant de l'autre monde s'éprend d'un mortel et l'épouse. Ils vivent ensemble dans un château somptueux, entourés de richesses. Ce palais est toujours vide de toutes présences. En revanche, Partonopeu obtient tout ce qu'il désire. Ensuite, l'être doté de pouvoirs magiques va retrouver son amant dans son lit, la nuit, pour vivre les uniques moments d'amour qu'ils partageront dans le futur. Le visiteur nocturne aura disparu au matin. L'interdiction de ne pas chercher à voir cette personne doit être respecté, sinon des conséquences s'en suivront. Dans tous les contes, cet interdit demeure le même. Le héros ou l'héroïne ne sait en général pas pourquoi il existe.

Suite à la convention qui unit les deux personnages, il se produit la violation de celle-ci ainsi que la reconquête de l'amant surnaturel. Ce dernier accorde, à celui qui a promis de respecter le pacte, la permission d'aller voir sa famille et ses amis. Cette visite est présente dans tous les contes du genre. Dans la situation de Partonopeu, sa mère le poussera à mal agir, ce qui est le cas des soeurs dans Le Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont. Le résultat sera que l'être merveilleux disparaît. L'humain a échoué et il doit partir. Malgré tout, cet humain prend sur lui de passer au travers d'épreuves pour réparer sa faute. Les tâches difficiles accomplies, le couple se retrouve dans l'autre monde. L'humain aura eu l'aide d'entités magiques. On établit donc un lien direct entre La Belle et la Bête et Partonopeu de Blois :

Comme le héros de la «Belle et la Bête», dans sa version masculine ou féminine, Partonopeu vit dans l'autre monde une aventure proprement mélusinienne : son bonheur est lié au respect de l'interdit qu'il transgresse; chassé par son amie, il la retrouve au terme de longues épreuves27(*).

Les histoires de Partonopeu et de Psyché ont également en commun de posséder toutes deux des palais somptueux où se déroule une grande, sinon importante, partie de l'action. Donc, le lieu de «l'enlèvement» d'un des deux individus du couple se fait dans un endroit presque irréel tant il est beau. Les deux édifices sont le produit d'actions soit guidées par la magie, pour Mélior, soit d'origine divine pour Amour. Psyché, en effet, séjournera dans un endroit splendide :

Près des bords de cette source, s'élève un palais que des mains mortelles n'ont pu construire. À la seule vue de l'entrée, on reconnaît le séjour somptueux de quelque divinité. Les lambris du plafond, artistement sculptés en ivoire et en bois de citronnier, sont supportés par des colonnes d'or28(*).

Fait intéressant, O. Collet et P.-M. Joris notent que la géographie de Chef d'Oire de Mélior n'est pas sans faire penser à une cité antique. Les auteurs s'accordent pour dire que la cité de la fée à Constantinople est l'équivalent du château d'Illion à Troie. Cette idée renforce l'hypothèse que le récit s'inspire de la matière de Thèbes, en opposition à la matière de Bretagne, qui l'a aussi influencée. Le nom «Chef d'Oire» n'est d'ailleurs pas trop éloigné de «ciés d'Aise», nom de la ville de Priam. Une autre preuve que le roman tient peut-être moins de la matière de Bretagne est que l'espace où se déroule principalement la fiction est l'Orient et non pas Blois. Cette ville et Chef d'Oire sont ainsi en pleine polarité. Cette volonté de privilégier Thèbes à la Bretagne se note également dans le personnage même de Mélior. On le sait, les fées sont des descendantes des druidesses du monde celtique et païen. Pourvoir l'amante de Partonopeu de dons merveilleux décentre la fée de son appartenance traditionnelle :

Par l'organisation de sa géographie et par l'invention de Mélior, Partonopeu de Blois qui confère les pouvoirs de la fée bretonne à la magicienne orientale donne plutôt l'impression de vouloir éluder la Bretagne et instaurer un autre ordre romanesque dont le centre serait ramené en Orient29(*).

Malgré le fait que le roman se place plus du côté de l'Orient que de l'Occident, il n'en reste pas moins qu'il est bel et bien en lien avec une histoire toute européenne : La Belle et la Bête.

Heureusement pour le héros, le fait qu'il désobéisse à la fée relativement tôt laisse place à d'autres péripéties. Elles donnent au jeune homme plus de prestance que de mourir après avoir désobéi à son amie, comme c'est le cas dans un schéma morganien : «La maîtrise que [Partonopeu] parvient à s'assurer sur lui conférait sans doute une gloire plus éclatante que celle qu'aurait pu lui donner la conquête d'une enclave anonyme et assez irréelle de l'Autre Monde30(*)». Rappelons-le, la fée Morgue aime asservir les hommes, surtout ceux dotés de pouvoir et de force.

Mélior, nous l'avons vu, possède ce que D. Poirion qualifie de «féminité agressive». Tout comme Morgane, elles sont des fées pas tout à fait idéalisées. Cela les éloigne du merveilleux, car les fées sont plus volontiers associées à une féminité qui se veut protectrice. De ce point de vue, l'impératrice de Constantinople est une croqueuse d'homme, de même que Morgane et dans certaines légendes celtiques, tel que Deirdre et Noise31(*). L'humanisation de l'amie de Partonopeu se fait ainsi plus sentir, car l'auteur anonyme la montre moins sous son jour maternel et nourricier. Les héritières de Mélior ne sont toutefois pas présentées de manière aussi pure qu'elle, opposées à Morgane. En effet, au XIIIe siècle, les fées intègrent plus facilement la dualité bonne / mauvaise. Elles se servent de la magie et de leurs charmes féminins pour poser ces deux genres d'actes. C'est le cas de la Dame du lac qui enlève Lancelot, mais l'élève et le protège. De même, dans le Bel Inconnu, Guinglain préfère la jeune fille transformée en serpent plutôt que «l'amour dangereux de la fée aux-blanches-mains».

Le but de Mélior s'orientait dans la veine de l'amour pour le héros. La fée ne cherchait rien d'autre que faire le bien et trouver le bonheur. Cela n'est pas le cas de Morgain, qui manigance dans son propre intérêt et qui agit méchamment. Morgain organise «une longue série de complots ourdis» qui prend racine dans un «système de motivations multiple32(*)». La rage de la fée affecte principalement trois personnages : Urien, Arthur et Accalon. Cette triade invoque une conception du récit en triptyque. La composition de l'histoire de Morgane, tout comme dans de nombreux textes cycliques et chez les poètes courtois, n'économise pas les moyens de narration. Ils faisaient entrer en relation de manière constante les éléments de l'oeuvre, de sorte qu'un véritable réseau de sens se crée. Pour ce faire, la psychologie des personnages et la logique des situations sont réduites à leur plus simple expression, ce qui donne un effet de limpidité et de simplicité. On peut donc dire du récit médiéval qu'il est équilibré et finement ordonné. Eugène Vinaver compare cet effet narratif aux lettrines opulentes et ornementées des manuscrits : il se dégage une impression d'abondance et de vie que nous contemplons à loisir.

Les complots de Morgain sont composés de telle sorte que les motifs s'additionnent les uns aux autres. D'un point de vue romanesque, cette poétique médiévale se rapproche de l'ornatus difficilis33(*). Le point central de l'histoire de la fée est fixé sur le roi Arthur. De là s'insèrent les aventures d'Accalon d'abord et, ensuite celles du roi Urien. Ce mouvement triple atteint son apogée lorsque Morgain dérobe Excalibur à Arthur. Vinaver poursuit son raisonnement qui concerne l'enchevêtrement des histoires / complots de la fée. En fait, les trois héros ne constituent qu'une petite partie du tout qui compose le cycle arthurien imaginé par plusieurs créateurs. Ce «vaste dessein» prend appuie sur de multiples éléments :

Pour que ce dessein se réalise pleinement il faut que le triple fil de l'intrigue nouée par Morgain se croise avec un autre, et encore un autre, tous enchevêtrés dans un ensemble qui se prolonge et se complique à perte de vue. (...) C'est ce qui permet à chaque épisode d'être "tenu en suspens et de laisser place à un autre, qui lui-même sera interrompu pour permettre la continuation de l'épisode antérieur" (Jean Frappier, Étude sur La mort le Roi Artu, Paris, Droz, 1936, p.348)34(*).

Partonopeu de Blois n'est évidemment pas une oeuvre aussi complexe que le cycle du Graal et les épreuves et la directive lancée par Mélior à son ami n'ont rien d'aussi compliqué. Le cycle arthurien s'oppose donc aux Lais féériques de par leur longueur, mais ces textes comprennent toujours une consigne.

* 25 Ibid., p. 8.

* 26 Laurence Harf-Lancner. Les fées au Moyen âge, Paris, Honoré-Champion, 1984, pp. 318-328.

* 27 Ibid., p. 323.

* 28 Apulée, op. cit., p. 24.

* 29 Partonopeu de Blois, op. cit., p. 35.

* 30 C. Gaullier-Bougassas, op. cit., p. 304.

* 31 Id.

* 32 Eugène Vinaver. «La fée Morgain et les aventures de Bretagne», Mélanges Jean Frappier, tome 2, Genève, Droz, 1970, p. 1081.

* 33 Id.

* 34 Ibid., p. 1082.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein